Partenariats renouvelés entre la France et les pays africains

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, sur les partenariats renouvelés entre la France et les pays africains.

Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Il est important de débattre ici des relations de la France avec les pays africains, priorité de notre politique étrangère. Nous l'avions déjà fait le 6 juin dernier.

Les questionnements suscités par les différentes crises sahéliennes sont également légitimes, j'y reviendrai, mais l'attitude de trois juntes militaires à notre égard ne doit pas occulter les très bonnes relations que nous avons avec l'immense majorité des 54 pays africains. Ce serait une erreur que de réduire l'Afrique, diverse et vaste, au seul Sahel.

Je commencerai donc par ce qui va bien. Depuis 2017, sous l'impulsion du Président de la République, nous avons voulu renouveler notre politique à l'égard de l'Afrique.

Pourquoi ce continent est-il une priorité de notre diplomatie ? L'Afrique émerge sur le plan économique, diplomatique et démographique - sa population va doubler d'ici à 2050 et quadrupler d'ici à 2100 pour représenter le quart de la population mondiale. Elle va compter de plus en plus dans les grands équilibres du monde, dans la croissance, la création, l'innovation. C'est aussi en Afrique que se joue l'avenir de la francophonie. Plus d'un million de Français vivent à Mayotte et à La Réunion, sans oublier nos 130 000 compatriotes dans les pays d'Afrique subsaharienne. Nous avons besoin de nos partenaires africains pour résoudre les grands défis liés à la paix et au climat. Nous devons donc nouer et conserver des liens solides avec les gouvernements et les sociétés africaines.

Trop longtemps, notre dialogue avec l'Afrique s'est limité aux crises régionales. Nous entretenons désormais un dialogue étroit sur des sujets communs : Ukraine, climat, forêts, réforme de la gouvernance mondiale. Plus d'une vingtaine de chefs d'État africains ont ainsi participé au récent sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial.

Pour autant, la France demeure engagée pour aider à la résolution des crises. Je pense aux terribles conflits dans l'est de la République du Congo ou au Soudan ; nous restons en contact avec chaque camp pour faciliter le processus de paix. Je l'ai fait ce matin avec mes homologues rwandais et congolais. Nous accompagnons aussi le processus de sortie de crise en Éthiopie, où je me suis rendue avec mon homologue allemande. Enfin, nous nous sommes engagés dans un travail de mémoire avec le Rwanda, qui a permis de relancer notre relation bilatérale.

Notre principal objectif diplomatique est de faire de la France un partenaire attractif tant pour les acteurs économiques, les étudiants, les créateurs, que pour l'ensemble des sociétés civiles.

Nos entreprises sont compétitives en Afrique et le prouvent chaque jour : la France est le deuxième investisseur étranger et nos investissements y ont doublé en quinze ans, tout comme le nombre de filiales d'entreprises françaises. Nous aidons nos start-up, nos PME et les entrepreneurs de la diaspora à accéder au marché africain. J'étais il y a trois semaines au Nigéria, qui sera bientôt le troisième pays le plus peuplé au monde : nous y avons doublé nos investissements en dix ans.

J'ai conscience que ce constat va à rebours des réflexes pavloviens qui voudraient faire croire que tout va mal en Afrique et que la France est à la traîne.

À nous de répondre aux attentes des jeunesses française et africaine qui demandent un monde plus juste et plus durable. C'est pourquoi nous investissons dans les secteurs d'avenir, dans le continent le plus jeune du monde, où 60 % de la population a moins de 25 ans. À cet égard, la priorité donnée aux industries culturelles et créatives est exemplaire. Bande dessinée, jeux vidéo, e-sport, univers immersifs, ces industries sont porteuses de croissance économique, d'émancipation individuelle, de renouvellement de nos imaginaires. Elles ont un immense potentiel en Afrique, où la France se positionne comme partenaire de référence.

Le premier forum Creation Africa s'est tenu à Paris début octobre, réunissant des centaines de jeunes créateurs. Pour accompagner ces talents, j'ai lancé un fonds de 20 millions d'euros pour permettre à nos ambassadeurs de soutenir directement les artistes et créateurs. Enfin, avec la Maison des mondes africains, nous voulons faire de Paris un des coeurs battants de la créativité africaine.

C'est aussi par l'investissement solidaire que la France est un partenaire crédible. Depuis 2017, notre aide au développement est passée de 10 à 15 milliards d'euros par an, dont plus de 5 milliards pour l'Afrique. Devenus quatrième bailleur mondial devant le Royaume-Uni, nous sommes les seuls à avoir augmenté notre aide en direction de l'Afrique l'an dernier.

La France est la première destination étrangère des étudiants africains, qui sont les élites de demain. Ils sont désormais 95 000 à faire le choix de nos universités, en augmentation de 40 % depuis 2017. Je salue le travail de nos ambassades pour attirer des étudiants francophones mais aussi anglophones, par exemple les Sud-Africains.

La France est résolument aux côtés des démocrates africains. Il ne s'agit pas pour nous de donner des leçons ou de nous ingérer dans les affaires intérieures, mais d'aider les acteurs engagés de la société civile - à l'instar de la Fondation de l'innovation pour la démocratie, dirigée par Achille Mbembé - mais aussi des influenceurs et des journalistes africains qui luttent contre la désinformation.

Nous rénovons notre politique de visas pour mieux tenir nos objectifs d'attractivité, de rayonnement et de prévention de migrations illégales. Nous déclinons la feuille de route établie avec Gérald Darmanin, avec l'éclairage du rapport Hermelin.

Depuis les engagements du Président de la République à Ouagadougou en 2017, réitérés à Montpellier en 2021 et en février à l'Élysée, nous réinventons notre manière de travailler avec nos partenaires africains, en bâtissant des partenariats respectueux où chacun assume ses intérêts réciproques. Cela implique respect, écoute, dialogue, mais aussi de briser certains tabous. Nous l'avons fait en restituant des oeuvres d'art, ou en regardant notre passé en face, comme avec le Rwanda et le Cameroun.

Enfin, nous voulons un partenariat qui s'appuie sur nos atouts : nos diasporas, mais aussi, alors que nous accueillerons le Sommet de la Francophonie en 2024, la langue française que nous partageons avec des millions d'Africains.

La méthode que nous poursuivons est la bonne. Nous la mettons en oeuvre avec détermination.

J'en appelle aussi à un devoir de lucidité. Nous devons considérer ce qui se passe au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Trois pays sur 54, certes, mais trois relations complexes.

Depuis dix ans, notre pays a consenti d'importants efforts militaires, financiers, diplomatiques et politiques, jusqu'au sacrifice de nos soldats, auxquels je rends hommage. En 2013, à la demande des autorités maliennes, le président Hollande a pris la décision courageuse d'engager nos forces armées, qui ont combattu avec bravoure pour éviter que le Mali ne devienne un État terroriste. Nous pouvons en être fiers.

D'aucuns avancent que nous aurions privilégié le volet militaire au détriment du développement et de la diplomatie : c'est faux.

Depuis 2013, nous avons consacré 3,5 milliards d'euros d'aide bilatérale au Sahel, dont 80 % sous forme de dons. Entre 2012 et 2022, notre aide annuelle pour le Sahel a doublé.

En parallèle, nous avons investi un capital diplomatique important, à Bruxelles, pour convaincre nos partenaires européens de s'engager. Résultat, plus de 7 milliards d'euros d'aides européennes sur dix ans, et l'intervention directe, y compris militaire, de l'Estonie et de la République tchèque dans Takuba, ou de l'Allemagne dans la Minusma. Avec l'Alliance Sahel, nous avons fédéré 27 bailleurs internationaux.

Nous avons oeuvré auprès de l'ONU pour créer la Minusma puis renouveler son mandat. Alors que les derniers Casques bleus quittent le Mali dans des conditions extrêmement difficiles, je rappelle que 310 d'entre eux ont perdu la vie depuis 2013.

Enfin, nous n'avons ménagé aucun effort pour convaincre les autorités maliennes de respecter l'accord d'Alger, d'améliorer la gouvernance et de rétablir les services de l'État sur tout le territoire. Car la question de la gouvernance est fondamentale. Les partenaires extérieurs peuvent encourager, inciter, mais ne peuvent ni ne doivent se substituer aux autorités locales.

Les coups d'État au Mali, au Burkina et au Niger fragilisent tous les efforts consentis depuis 2013. La situation sécuritaire s'est dégradée, la crise humanitaire est dramatique et les libertés reculent. Avec Wagner, le Mali a fait le choix de la prédation économique et des crimes de guerre documentés.

Ces juntes ne sont pas motivées par une volonté de rupture seulement avec la France, mais avec l'ensemble des organisations internationales, à commencer par leurs voisins et les Nations unies, et tout un système de coopération et de valeurs qu'elles récusent.

Face à de tels régimes, nous ne pouvons poursuivre notre coopération. Nous ne pouvons lutter contre le terrorisme avec des putschistes ni financer des projets de développement qui les entretiennent dans leurs errements. Nous maintenons bien sûr notre aide humanitaire, pour ne pas faire payer aux populations les comportements de leurs dirigeants. Nous maintenons nos coopérations avec les sociétés civiles, les artistes, les étudiants, qui restent les bienvenus.

Toute la région est déstabilisée : clairement, les choses ne vont pas mieux depuis notre retrait. Au terme de dix années de lutte antiterroriste française au Sahel, nous devons repenser collectivement l'architecture de la sécurité dans la région, avec les partenaires européens et américain. La France ne doit plus porter seule la lourde charge de lutter contre le terrorisme en Afrique occidentale. Elle prendra sa part, mais dans un cadre collectif.

Avant de conclure, je réaffirme haut et fort l'importance des relations avec l'Afrique et les moyens que nous y consacrons. À la suite des états généraux de la diplomatie, j'ai annoncé de nouveaux moyens : plus de personnel dans nos chancelleries, nos services de communication et services d'action culturelle ; plus de moyens financiers, notamment avec le fonds Équipe France et le fonds d'appui à l'entrepreneuriat culturel, pour que nos ambassades mènent des projets rapides et visibles.

J'ai aussi pris des mesures pour valoriser la filière africaniste du Quai d'Orsay, avec un concours dédié : le peul, le haoussa, le wolof et le mandingue sont désormais proposés au concours. Nous cherchons à diversifier le recrutement et à attirer des talents issus de nos diasporas.

J'exprime ma profonde reconnaissance pour nos agents déployés en Afrique. Quand nos ambassades ont été attaquées, à Ouagadougou, à Niamey, quand il s'agit d'évacuer des civils, comme à Khartoum, ils ont toujours répondu à leur mission et manifesté leur courage et leur dévouement envers notre pays. Je les en remercie. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Guillaume Chevrollier applaudit également.)

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées .  - Je me réjouis de tenir un tel débat avec la représentation nationale, qui fait écho aux engagements pris par le Président de la République à Saint-Denis le 30 août dernier. Après un premier débat en juin, ce sera l'occasion de clarifier certains aspects de notre stratégie africaine et de faire le point sur les évolutions à venir de notre présence militaire sur le continent. (M. Rachid Temal renchérit.)

Je sais le Sénat très mobilisé sur le sujet et connais l'engagement de votre commission des affaires étrangères et de la défense, et de ses deux présidents successifs.

Je commence par un court rappel historique et politique du sens de notre présence sur le continent. De 2000 à 2010, de nombreuses interventions françaises ont été menées dans le cadre de missions d'interposition ou de maintien de la paix sous l'égide des Nations unies, la plus connue étant l'opération Licorne, en Côte d'Ivoire.

La période de 2010 à 2020 a été marquée par la lutte contre les groupes armés terroristes au travers des opérations Serval puis Barkhane au Sahel, décidées courageusement par le président Hollande à la demande de nos partenaires. Cette menace demeure.

On doit ensuite distinguer les géographies des théâtres d'engagement. Il n'y a pas une Afrique, mais autant de particularités qu'il y a d'États, et d'organisations régionales.

Enfin, il faut distinguer les menaces : piraterie - lisez le rapport des sénateurs Fournier, Jourda et Bonneau sur le golfe de Guinée -, traite d'êtres humains, trafic de drogue ou d'armements, et menace terroriste.

Votre commission des affaires étrangères et de la défense a produit un rapport fourni sur le bilan de Barkhane. L'opération a été un indéniable succès militaire, mais nous ne devons pas nous substituer à nos partenaires sur une durée trop longue, même si la reconstitution progressive d'un sanctuaire islamiste au Sahel peut faire peser sur la région et l'Europe des menaces que nous avons déjà connues.

Nos armées fonctionnent sur le mode de l'intervention : elles n'ont pas vocation à rester durablement sur un théâtre d'opérations si le partenaire ne fait pas de la lutte contre le terrorisme une priorité. C'est pourquoi nos soldats présents au Niger sont en cours de rapatriement.

Fallait-il répondre présent quand nos partenaires africains nous ont appelés ? Je pense que oui, car c'était un appel au secours. Pourquoi partir ? Parce que la France respecte la souveraineté des États africains et ne s'ingère pas.

Nos objectifs sont clairs : lutter contre le terrorisme, garantir la sécurité de nos ressortissants et approfondir nos partenariats stratégiques d'intérêt commun.

Nous avons deux grandes familles de forces en présence, avec tout d'abord deux pôles de coopération au Gabon et au Sénégal qui proposent l'accès aux infrastructures et de nombreuses formations. Les armements sur ces bases sont très limités.

Nous avons ensuite des bases à capacités opérationnelles, en Côte d'Ivoire - 1 000 militaires - et à Djibouti - 1 500. Au Tchad, et jusqu'à cet été au Niger, nous avons des bases de nature différente, dans le cadre d'opérations antiterroristes précises.

Ces capacités de projection depuis l'Hexagone seront renforcées grâce à la loi de programmation militaire (LPM).

La France est donc présente aux côtés de ses partenaires, qui ont souvent accompli des efforts remarquables en matière de sécurité - comme le Bénin, la Côte d'Ivoire, ou le Gabon.

De plus, nous renforçons notre accompagnement en matière de formation, de capacités et de réseau diplomatique de défense.

En matière de formation, notre objectif est de doubler nos places de formation, avec cent places supplémentaires dès 2023. En 2022, 3 000 stagiaires africains sont passés par nos écoles et 25 000 militaires ont été formés cette année. Nous développons les missions communes et tournons la page de la réduction des capacités - enfin !

Sur le plan capacitaire, nous voulons fournir un équipement adapté à nos partenaires, avec notamment des drones et du cyber. Le délégué général pour l'armement (DGA) s'est rendu sur le continent, une première depuis 1961 !

Sur la diplomatie de défense, notre réseau se densifie, avec de nouveaux attachés de défense ou d'armement. Le volet renseignement fera l'objet d'une audition dédiée devant la délégation parlementaire pour le renseignement.

Enfin, la France et ses partenaires africains sont liés par un honneur commun au combat. Nous ouvrons une période mémorielle d'ampleur - libération de la Corse, campagne d'Italie, débarquement de Provence. Je rends hommage à tous ces combattants d'Afrique qui sont morts pour la France, ainsi qu'à nos soldats morts au Sahel, aux blessés et à leurs familles. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe SER ; M. André Reichardt applaudit également.)

M. Cédric Perrin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. François Bonneau applaudit également.) Après le Mali, la République centrafricaine et le Burkina Faso, au tour du Niger : nos forces armées sont sommées de se retirer. Ce sont dix ans de lutte, au prix de la vie de 58 de nos hommes, qui sont désavoués. Le sentiment antifrançais se répand de plus en plus.

Nous assistons au crépuscule africain de la France. Les liens construits depuis les indépendances se sont distendus. Notre pays a désinvesti sa relation à l'Afrique, démantelant son appareil de coopération technique, formidable levier d'influence. (M. Victorin Lurel le confirme.)

Si la France a moins regardé vers l'Afrique, la réciproque est vraie. Une jeunesse nombreuse, urbaine et connectée ne voit désormais plus la France que comme un simple partenaire potentiel.

Le Président de la République a eu l'intuition de cette bascule. Malgré l'ambition d'une nouvelle histoire d'amitié, annoncée dès 2017, la suite a été autre : une stratégie illisible, qui a précipité la crise. Le Président de la République déploie une politique désormais partenariale ; dont acte.

Il faudra donc être pragmatique, avec des constats lucides et des principes clairs.

L'ère du monopole français est terminée. Intégrer ce changement, c'est comprendre que l'Afrique est devenue un espace de compétition à investir, où les relations ne sont pas automatiques. Ainsi, il faut rompre tant avec la repentance, qui nous dévalorise, qu'avec l'arrogance, qui dévalorise nos partenaires. Comment construire une relation saine si nous faisons de nous d'éternels coupables et de l'Africain une éternelle victime ? Ne soyons pas naïfs : avec son narratif antifrançais, Wagner cherche à se développer et en faisant pourrir des situations dramatiques, la Russie crée les conditions d'une nouvelle crise migratoire.

Nous devons mieux contrer ces discours hostiles à la France, en sortant de la communication institutionnelle pour trouver de nouveaux formats plus adaptés à la lutte contre la désinformation.

Mais ne restons pas sourds aux reproches qui nous sont adressés. Le procès en paternalisme n'est pas sans fondement. Ne prétendons pas en savoir plus que les Africains sur ce qui est bon pour eux et départissons-nous d'un messianisme démocratique dépassé, qui plus est à géométrie variable.

Le partenariat doit être au service d'intérêts mutuels. Les attentes sont d'abord économiques et notre aide au développement doit se concentrer sur les domaines fondamentaux : agriculture, santé, éducation, eau, énergie, etc. Nous devons encourager les investissements de long terme dans les infrastructures et l'industrialisation, pour que les économies africaines créent de la valeur et de l'emploi de masse.

L'État doit aussi aider les entreprises françaises à s'implanter en Afrique. La France ne pourra rivaliser seule et devra développer des synergies, notamment avec ses partenaires européens.

L'influence française en Afrique participe de notre stature internationale, notamment pour lutter contre la stratégie de basculement de certains. L'Afrique, futur poids lourd mondial, est une réserve importante de votes à l'ONU. Nous ne pouvons lui tourner le dos.

L'Afrique francophone entend nouer des relations hors de toute exclusive : faisons de même, en nous tournant vers toutes les Afriques, notamment anglophone et lusophone.

Nos intérêts sont économiques. L'Afrique constitue actuellement une part très faible de nos échanges, mais elle deviendra un gigantesque marché et un fournisseur stratégique majeur.

Nos intérêts sont aussi stratégiques et sécuritaires. L'Afrique sera toujours voisine de l'Europe. Ses instabilités seront aussi les nôtres ; nous devons ainsi maîtriser les flux migratoires. Sa sécurité est aussi la nôtre, notamment quand nos 200 000 ressortissants sont menacés. Notre coopération militaire est donc essentielle, mais elle devra tirer les leçons du piège qui s'est refermé sur nous au Sahel et se concentrer sur le renforcement des forces africaines en formation, renseignement et équipements.

Notre action bilatérale devra trouver une forme de symbiose avec les organisations régionales, pour définir l'architecture de sécurité du continent.

Je suis ouvert à ce que nos bases militaires puissent travailler différemment, mais j'ai plus de mal avec la cogestion. Ces bases sont un morceau de France : ne l'oublions pas et maintenons notre souveraineté.

Face à cette nouvelle Afrique, l'heure est à l'introspection et au changement, pas au doute ni à l'effacement. L'Afrique doit être notre priorité, face aux actions prédatrices de nos adversaires stratégiques.

Notre commission conduira en 2024 un ambitieux programme de travail sur l'Afrique et nous avons déjà fait de nombreuses recommandations. Que le Gouvernement s'en inspire !

Comme il n'y a pas d'influence sans présence, réinvestissons notre coopération technique en stimulant nos échanges économiques, culturels et diplomatiques et faisons la preuve que l'Afrique est l'intérêt de la France et réciproquement ; ainsi, nous pourrons nous projeter dans le XXIe siècle, celui de tous les risques, et de toutes les opportunités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Marie-Arlette Carlotti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Après les coups d'État en Afrique, la France doit revoir sa politique africaine de fond en comble. Le désamour de la France n'est pas nouveau, mais il devient bruyant.

Les raisons de cette perte d'influence sont complexes.

En 2017, à Ouagadougou, le Président de la République avait proclamé la fin de la Françafrique, mais sans revenir sur une forme de paternalisme arrogant. La France n'a jamais accepté l'indépendance de ses anciennes colonies. Emmanuel Macron a tenté de faire bouger les lignes - restitution d'oeuvres d'art, refonte du franc CFA ou initiative sur la dette -, sans succès.

Le 27 février, dans un nouveau discours, censé être à nouveau fondateur, le propos est resté flou.

Notre présence doit changer de modèle. Nous avons toujours quatre bases permanentes et 3 000 soldats sur le continent : nous sommes loin du retrait. Les temps ont changé, les Africains n'en veulent plus, ou moins. À quoi servent ces bases ? Protéger nos ressortissants ? Les chefs d'État adoubés par la France ?

La lutte contre le terrorisme a justifié la présence française au Sahel et je rends hommage à nos soldats. Nous avons remporté des succès militaires, mais nous n'avons pas endigué l'avancée du djihadisme.

L'enlisement de la situation et les problèmes politiques et sociaux ont retourné l'opinion publique malienne contre la France : les libérateurs sont devenus des occupants.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Une inversion des valeurs !

Mme Marie-Arlette Carlotti.  - Ce ne fut pas un échec militaire, mais un échec politique. La présence française doit être désormais moins visible. Il faudra en débattre au Parlement.

Le franc CFA est critiqué, 74 ans après sa création. La promesse de réforme de 2019 doit aboutir. Sortir du franc CFA ? Mais pour quelle monnaie ? Aux Africains de décider. Ils veulent une rupture franche avec un Occident vieillissant et regardent désormais vers les Brics.

Depuis six ans, Emmanuel Macron prétend s'adresser à la jeunesse et la société civile, mais s'affiche toujours avec les vieux dinosaures de la Françafrique. La France prétend soutenir la démocratie, mais elle n'est pas toujours regardante sur les régimes - on condamne le pouvoir militaire au Mali, on l'accepte au Tchad. Ce double langage nous fait perdre toute crédibilité.

La France doit rester fidèle à ses valeurs. Mais alors que dire de notre politique de visas ? La frustration des jeunes africains est immense ! Les empêcher de voir leur famille ou de faire des études ne rime à rien et ne permet pas de lutter contre l'immigration illégale. Nous devons revenir à une politique des visas plus ouverte.

La jeunesse africaine est plus perméable à la fausse information et au sentiment antifrançais. La société civile africaine a changé ; une époque s'achève à nos dépens. Le refus de suspendre temporairement les brevets sur les vaccins pendant la crise covid nous a décrédibilisés.

La démographie de l'Afrique subsaharienne est très forte. Peu de jeunes trouveront un emploi. En 2030, l'Afrique abritera la moitié des personnes souffrant de la faim dans le monde. Or notre aide publique au développement fonctionne sous forme de prêts, peu sous forme de dons. Nos ONG sont des partenaires privilégiés de nos actions de solidarité, mais nous les avons mises en danger. Il faut abandonner la stratégie 3D.

Depuis les coups d'État au Sahel, la France a décidé de suspendre son aide au développement. C'est une chose ; arrêter de coopérer avec les organisations humanitaires en est une autre. Qui va dire ce qui relève de l'humanitaire ou pas ? Près de neuf millions de personnes sont concernées. Qui décide ? Pas les parlementaires, ce qui pose un problème démocratique. Les ONG vont devoir expliquer aux 5 000 femmes qui produisent du beurre de karité au Burkina que c'est fini. Quel sera l'impact sur l'image de la France ?

Les acquis de la loi du 4 août 2021, dont nous sommes garants, sont menacés. Nous devons sanctuariser l'APD et maintenir la trajectoire financière pour soutenir en priorité les dix-neuf pays les plus pauvres.

Le Président de la République répète qu'il n'y a plus de politique africaine de la France. Notre politique africaine s'effondre au profit de nouveaux partenaires. Les Africains ne veulent plus d'une dépendance à la France ; ils veulent s'ouvrir au monde. Pour autant, il serait catastrophique pour nos intérêts comme pour les leurs de nous retirer du continent. Nous devons réviser notre politique en profondeur, sortir de notre isolement et prendre en compte les priorités africaines.

Non, nous n'abandonnons pas l'Afrique, mais devons trouver un chemin entre renoncement et acharnement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. François Bonneau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le groupe centriste espère que ce débat sera utile et que nos considérations seront prises en compte. Que de rapports d'information, de colloques... Nous aurions pu anticiper les événements plutôt que de les subir. Je vous invite à mieux prendre en compte notre diplomatie parlementaire.

M. Christian Cambon.  - Tout à fait !

M. François Bonneau.  - La France et le continent africain sont liés par une histoire particulière, je pense notamment à la francophonie.

La France a un rôle à jouer face à des défis planétaires comme le réchauffement climatique et l'explosion démographique.

L'Afrique est le continent le moins électrifié. Pourtant, ses capacités sont proches des moyennes mondiales. La France doit aider les États intéressés à développer leurs infrastructures. Au Nigeria, on compte vingt-cinq coupures d'électricité par mois et la population recourt à des générateurs polluants...

La France et l'Union européenne doivent accompagner l'Afrique vers un mix énergétique vertueux. Le nucléaire a sa place en Afrique : le Ghana, le Soudan, l'Afrique du Sud souhaitent en bénéficier. La France doit se montrer compétitive face à la Chine et à la Russie, alors que l'Afrique concentre 20 % des réserves mondiales d'uranium...

L'Afrique est aussi riche en graphite, en terres rares, en cuivre, en aluminium, en platine, essentiels pour les technologies vertes. Nous devons garantir nos sources d'approvisionnement via une coopération économique solide et le respect des normes internationales. En sécurisant ses partenariats, la France assurera son approvisionnement tout en contribuant au développement durable de l'Afrique.

L'hydraulique, sur le Nil, le Congo, le Niger, le Zambèze, et le solaire - l'Afrique subsaharienne est la région la plus ensoleillée du monde - doivent être développés. La France peut porter des projets de centrales photovoltaïques en Afrique. La ruralité y est souvent laissée de côté, seuls les centres urbains sont électrifiés.

Avec l'Union européenne, nous devons mettre l'accent sur les réseaux d'électricité, d'eau et d'assainissement pour éviter les mouvements de population.

Le second choc, c'est l'explosion démographique. Les populations victimes de sécheresses sont condamnées à partir. Dans moins de trente ans, l'Afrique comptera deux milliards d'habitants et le Nigéria sera le troisième pays le plus peuplé au monde. Cette rapide croissance démographique pourrait rendre le continent inhospitalier en raison du réchauffement climatique et du manque de ressources alimentaires.

La France et l'Union européenne doivent soutenir l'Afrique au plan économique, logistique et médical. Une meilleure éducation contribuera aussi au développement et à l'amélioration du niveau de vie.

L'Afrique est le continent de tous les risques et de tous les possibles. La France peut l'accompagner, mais c'est aux Africains de définir leur avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)

M. Pierre Jean Rochette .  - En février, le Président de la République affirmait que nous avions destin lié avec le continent africain, car les défis africains affectent aussi l'Europe.

Avec une abondance de terres arables et de minerais, l'Afrique a de nombreux atouts. Mais sa croissance économique est insuffisante, pour de multiples raisons. La première est l'insécurité, qui décourage les investisseurs et engendre des surcoûts - système de sécurité et réparation de dégradations. S'y ajoutent des infrastructures dégradées.

La France entretient des relations particulières avec l'Afrique. Pour des raisons historiques et géographiques, nous devons les préserver, voire les améliorer.

Nous nous félicitons du renouveau engagé par le Président de la République.

C'était nécessaire, la France a oeuvré pour la sécurité au Sahel - nous n'oublions pas le sacrifice de nos 53 soldats tombés au combat et de nos blessés. Notre pays a été bien mal récompensé de ses efforts. Mais les putschs ne doivent pas nous détourner du continent, car il y va aussi de la sécurité de la France.

Dans les pays avec lesquels nous continuons de travailler, nous devons cesser de passer pour une force d'occupation. La France a l'expérience des conflits. Nous savons que la force militaire ne résout pas tout, il faut aussi de la politique. La coopération internationale est donc essentielle. La France peut conseiller, contribuer, mais il ne lui revient pas d'assurer la sécurité du continent africain.

Dans le domaine économique, l'approche impulsée par le Président de la République nous paraît pertinente. Les logiques de prédation doivent laisser place aux investissements constructifs.

Pékin, dans le cadre des nouvelles routes de la soie, a remporté bon nombre de contrats, sans demander de contrepartie politique et en mettant à profit une main-d'oeuvre bon marché. Mais le Sud prétendument global s'est quelque peu lézardé à la découverte de micros au siège de l'Union africaine, construit par la Chine... Le piège de la dette chinoise a achevé de refroidir les angélismes.

Cela ne nous dispense pas de faire évoluer notre approche, dont les vulnérabilités ont été exploitées par nos rivaux. Nos partenaires africains attendent d'être traités en égaux. Parallèlement, la France doit assumer de rechercher son intérêt dans ses relations avec ses partenaires.

À l'avenir, l'Afrique sera l'un des principaux moteurs de la croissance mondiale ; les opportunités y seront nombreuses pour nos entreprises. En soutenant des projets concrets, ancrés dans les sociétés civiles, nous pouvons faire progresser les économies de nos deux continents. Les marges de progression sont importantes : moins de 5 % de nos exportations sont destinées à l'Afrique.

Nous devons accorder une attention particulière à l'information et, singulièrement, à la désinformation. Les attaques informationnelles portent une atteinte grave à notre réputation, tandis que nos réussites sont insuffisamment mises en valeur. L'affaire du charnier de Gossi a fait l'objet d'une réponse rapide et adaptée : elle invite à être vigilants sur les manipulations de l'information. L'audiovisuel public doit s'y attacher.

Gardons-nous d'alimenter les rumeurs et continuons à soutenir la démocratie, qui a beaucoup progressé depuis les années 1970. Même lorsque les gouvernements s'en écartent, continuons de travailler avec les populations. Accompagner le mouvement démocratique est un impératif moral, mais aussi une exigence d'efficacité.

Par des projets modestes en lien avec la société civile, la France peut oeuvrer au bénéfice de ses partenaires comme du sien propre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Depuis des mois, d'aucuns entonnent le refrain d'un prétendu désamour de l'Afrique pour la France. Il n'en est rien.

Ce débat a été souhaité par le Président de la République après le putsch au Niger contre le Président Bazoum, après ceux menés au Mali et au Burkina-Faso. Je rends hommage aux 58 enfants de France qui ont payé de leur vie la lutte contre le terrorisme et la protection des populations au Sahel. Leur sacrifice n'a pas été vain : Serval puis Barkhane ont permis qu'aucune capitale ne soit prise par les islamistes.

La multiplication des putschs dans la zone est-elle une remise en cause de l'action de la France ? Non, car ils sont dirigés avant tout contre les dirigeants et institutions de ces pays. Nous devons maintenir des liens avec les sociétés civiles - je pense aux visas - et avec les ONG.

Renoncer, non ; reformater, oui. Le temps est venu de repenser notre empreinte militaire et sécuritaire. Nous ne sommes pas là pour faire « à la place de », mais, le cas échéant, « à la demande de » et « avec ». Nous pouvons aussi faire beaucoup par la formation : je pense aux écoles nationales à vocation régionale et à l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme, à Abidjan.

Plus largement, c'est avec les 54 États africains que nous devons coconstruire des partenariats pour relever les défis globaux. Notre avenir s'écrira ensemble, quoi qu'en disent, ici, les adeptes de « la Corrèze avant le Zambèze » et, là-bas, les néo-gourous pseudo-panafricanistes, cache-sexe de puissances autoritaires.

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Bravo !

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Comment prétendre délivrer l'Afrique de prétendues chaînes et se passer autour du cou la laisse de feu Prigojine ou de son maître Poutine ? Être panafricain, c'est plutôt répondre à l'appel lancé par le président du Ghana : « soyons autosuffisants, sortons de l'aide » !

L'ère des interdépendances impose une coopération d'égal à égal. Climat, migrations, développement durable : nous réussirons ensemble ou échouerons ensemble. La France agit pour les forêts tropicales, pour accroître les ressources financières du Sud global à travers l'allocation de droits de tirage spéciaux et pour un nouveau pacte financier mondial. Preuve qu'elle n'est pas sur le reculoir !

Toute-puissance et retrait sont des mythes, comme l'a montré Hervé Gaymard. La France est aujourd'hui le deuxième investisseur étranger en Afrique. Nos investissements ont été multipliés par dix en vingt ans, et les impôts payés par les entreprises françaises dans les dix plus gros pays africains représentent le montant annuel de notre aide publique au développement. Si la France n'était plus désirée, pourquoi cent mille étudiants africains viendraient-ils étudier en France ?

La relation entre la France et ses partenaires africains demeure vivace, mais elle évolue et se normalise. Je dirais que plus notre relation se banalise, mieux c'est ! Habituons-nous à cette nouvelle Afrique.

C'est le sens de l'action initiée depuis 2017 par le Président de la République, de la restitution d'oeuvres à la réforme du Franc CFA. Avec Choose Africa ou le Forum Création Africa, la France est au contact de celles et ceux qui façonnent l'avenir du continent de l'avenir.

« Les fondamentaux sont là, solides et prometteurs », comme le dit le président du Conseil français des investisseurs en Afrique.

La dynamique démocratique semble marquer le pas, mais, dans de nombreux pays, les dirigeants se succèdent au terme de processus électoraux - dernièrement au Libéria. Notre propre démocratie peut paraître bien verticale à certains. Acceptons que la démocratie africaine ait son caractère propre, que les peuples africains fassent leurs propres choix. Nous répondrons toujours présent lorsqu'ils le souhaiteront.

Assumons la compétition qui s'accroît et montrons de quoi nous sommes capables ! Il n'y a pas de doctrine Monroe à avoir en Afrique, mais je dis à nos amis africains de bien regarder la qualité des partenariats. La Chine détient les deux tiers de la dette bilatérale, ce qui n'est pas sans effet sur la souveraineté. La Russie contribue-t-elle à la résilience des Africains en matière alimentaire ou économique ?

La France a une politique globale et panafricaine, avec une offre allant de la culture au sport, en passant par le numérique et l'environnement. Elle a toujours plaidé pour une meilleure participation des pays africains à la gouvernance mondiale. Nous avons la langue française en partage avec nombre d'États. Avec nos compatriotes de La Réunion et de Mayotte, nous sommes de plain-pied dans les enjeux de l'Afrique de l'Est et de l'Océan indien.

Les liens entre nos diasporas respectives peuvent être des amortisseurs en cas de choc dans les relations interétatiques.

J'insiste sur l'indispensable relation avec le Maroc. Nous devons avoir un réflexe franco-marocain sur l'espace eurafricain.

Enfin, la filière d'Orient au Quai d'Orsay est un véritable trésor qui permet le maintien d'une filière de diplomates passionnés d'Afrique.

Soyons donc optimistes pour l'Afrique et les nouveaux partenariats équilibrés de la France avec les peuples et les États du continent. Je me réjouis que notre commission ait décidé de travailler sur ce sujet dans les prochains mois. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Michelle Gréaume .  - (Applaudissements sur les travées du CRCE-K) Nous avons déjà dénoncé les fondements de nos rapports économiques, politiques et militaires avec les pays africains, qui entravent de longue date leur développement. C'est la confiance même dans notre relation à l'Afrique qui est mise en cause par ces rapports d'un autre temps, à mille lieues des enjeux du XXIe siècle.

Je pense au franc CFA, aux traités de libre-échange ultralibéraux, à notre silence face à la course au moins-disant fiscal et à la prédation des multinationales, dont certains groupes français comme Bolloré et Bouygues. À la persistance d'une logique néocoloniale d'interventions militaires, de moins en moins supportée par les jeunesses africaines.

Gérard Araud, ancien représentant permanent de la France au Conseil de sécurité de l'ONU, l'a dit : nous devons « changer du tout au tout la forme de notre présence. » Mais, de coup d'État en coup d'État, la France persiste à reproduire les mêmes erreurs : coups de menton et appui aux velléités d'intervention de la Cédéao.

Nous condamnons le coup d'État au Niger, comme nous avons condamné ceux au Tchad, en Guinée et au Burkina.

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Et donc ?

Mme Michelle Gréaume.  - Mais engager un bras de fer n'a conduit qu'à renforcer la popularité des putschistes, notamment auprès de la population nigérienne.

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Scandaleux ! C'est ça, la gauche ?

Mme Michelle Gréaume.  - Le rejet de la politique française devient un levier pour qui veut asseoir son pouvoir. C'est dire s'il est urgent de changer de politique.

L'influence malveillante d'autres puissances ne doit pas détourner notre regard de nos propres responsabilités. Tirons les leçons de nos échecs et adoptons une politique humble et sans oeillère au Sahel. Entendons l'aspiration des jeunesses africaines d'une deuxième indépendance et respectons la volonté des États de diversifier leurs partenariats.

Soit les autorités françaises tiennent compte de cette lame de fond, soit nous poursuivons une politique empreinte de relents néocoloniaux. Quand la droite sénatoriale vote une mesure visant à conditionner l'aide au développement à la coopération en matière migratoire, nous ouvrons la porte à une logique punitive qui couvre la France de honte.

Nous devrions flécher 10 % de notre aide au développement vers le renforcement des systèmes fiscaux des pays africains, afin de leur donner des moyens budgétaires propres. Il nous faut aussi revoir en profondeur la philosophie de notre aide, pour la dégager de toute logique de pillage. Travaillons en relation plus étroite avec les ONG et octroyons plus de dons que de prêts. Soutenons une réforme des conditions d'émission des DTS en vue de favoriser la lutte contre la pauvreté et le financement de la transition écologique du continent africain. Si nous ne sommes pas actifs en ce sens, les Brics le seront.

Agissons également en faveur d'une agroécologie vivrière qui a fait ses preuves et de l'industrialisation, au lieu de perpétuer une économie de rente. En matière énergétique, faisons profiter les pays africains de notre savoir-faire, en particulier dans le nucléaire.

Il est temps d'adopter une logique fondée sur la coopération et le soutien aux choix de développement des pays, seul moyen de réparer notre lien. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

M. Akli Mellouli .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Les pays africains sont-ils 54, comme l'affirment Google et Mme la ministre, ou plutôt 55 ? En tout cas, tous ont leur singularité et leurs enjeux stratégiques propres. Peut-être serait-il plus approprié, par respect pour nos frères africains, de ne pas mettre tous les pays dans le même panier ?

Mme Catherine Colonna et M. Sébastien Lecornu, ministres. - Nous l'avons dit !

M. Akli Mellouli. - Sans doute est-ce l'héritage d'un regard daté sur l'homme africain... Ayons à l'avenir une approche moins caricaturale.

La relation entre la France et les pays d'Afrique revêt une dimension affective, historique et stratégique. De cette relation dépendra l'influence de la France dans le monde de demain.

Un certain nombre d'erreurs nous ont conduits à des échecs cuisants.

Je pense d'abord à notre approche stato-centrée. Si les États sont des acteurs clés, une analyse plus fine des sociétés civiles permet de percevoir des dynamiques nouvelles. Le Président le République a appelé le corps diplomatique à aller à la rencontre des sociétés civiles : il est temps de passer du discours à la pratique.

Ensuite, nous manquons de cohérence entre notre politique intérieure et notre politique extérieure. L'ambition de rayonner par l'universalisme de nos valeurs doit être en cohérence avec notre politique migratoire. On ne peut pas dénigrer, voire insulter, les populations étrangères comme lors des débats récents sur l'immigration et espérer avoir une belle image en Afrique ! Le bât blesse dans les politiques de visas. Nos actes doivent être alignés avec nos ambitions.

Du fait de ces erreurs, nombre de pays du Sahel se sont détournés de nous au profit de la Chine et de la Russie. La jeunesse africaine, de plus en plus anglophone, tend à voir dans notre politique la continuité d'une Françafrique qui n'a rien apporté de positif.

Toutefois, je suis convaincu que notre relation avec l'Afrique demeure pleine de promesses. Nos atouts sont évidents ; j'en citerai quatre.

La francophonie, d'abord, demeure bien ancrée malgré la progression de l'anglais.

Ensuite, les nombreux jeunes français issus des diasporas sont autant de passerelles entre nous et nos frères africains. Ces diasporas seront l'atout majeur de la France dans les années à venir face à d'autres puissances. Madame la ministre, encouragez une véritable diplomatie parlementaire qui renforce la relation avec les diasporas et les sociétés civiles africaines.

D'autre part, les ONG mènent une multitude de projets de coopération. Mais pour valoriser cet atout, il faut avoir une approche humaniste et les moyens de nos ambitions. Il est impératif de maintenir les financements des ONG qui travaillent dans la santé et l'éducation, notamment : elles sont les meilleures ambassadrices d'une France tolérante et humaniste. Poursuivons la croissance de notre aide publique au développement pour atteindre l'objectif de 0,7 % du RNB.

Enfin, nous avons l'opportunité historique d'engager une coopération avec nos partenaires africains pour lutter conjointement contre le dérèglement climatique. Agissons ensemble contre la déforestation ou le commerce illégal d'espèces.

Nous avons besoin d'une vision de long terme. Ne reproduisons pas les erreurs du passé, en donnant l'impression que notre relation avec les pays africains ne serait qu'une histoire d'intérêts politiciens et économiques. Alignons nos discours et nos actes avec nos ambitions ! (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

M. Jean-Noël Guérini .  - Depuis quelques années, les relations entre notre pays et le continent africain sont devenues un long bulletin de mauvaises nouvelles. Comment sauver la place de la France en Afrique ? Il serait présomptueux d'imaginer que les solutions sont faciles.

Oui, nos relations avec certains États africains sont affaiblies, voire inexistantes. Les raisons du ressentiment sont multiples. Notre présence sécuritaire est remise en cause. Il faut trouver une nouvelle voie, au-delà des traditionnels grands discours dont nous sommes friands en matière de relations internationales.

Inutile de le cacher : notre politique africaine a suscité bien des promesses, suivies par autant de désillusions. Alors que le continent africain est entré de plain-pied dans la mondialisation, nos conceptions sont restées imprégnées par une culture datée.

L'Afrique n'est plus notre pré carré. En 2050, un Africain sur deux aura moins de 25 ans, et cette jeunesse ne se privera pas de contester ses élites, toujours fortement francophiles. Nos intérêts sont directement concurrencés par la Chine conquérante, la Russie milicienne et la Turquie pragmatique.

Face à ces ruptures, avons-nous une stratégie ?

Depuis l'intervention au Mali en 2013, notre approche est essentiellement militaire, destinée à lutter contre le terrorisme et à sécuriser la bande sahélienne. Sans négliger les impératifs de ces engagements, j'insiste sur la nécessité de retisser des liens avec les pays africains,

Le Président de la République a plusieurs fois souligné la nécessité de bâtir une nouvelle politique africaine, dégagée des pièges de ce qu'il est convenu d'appeler la Françafrique. L'Agence française pour le développement a permis d'investir sur le continent 16 milliards d'euros entre 2020 et 2022. Mais les populations locales ne perçoivent pas ces aides, trop orientées vers les infrastructures au détriment d'initiatives moins ambitieuses, mais repérables par les habitants.

Nous devons redéfinir les enjeux d'une coopération novatrice et dynamique. Les propositions de financements innovants ne manquent pas. Identifions des axes de développement ambitieux comme les énergies renouvelables, l'éducation ou l'économie numérique.

L'Afrique s'inscrit désormais dans un cadre multilatéral. La France, acteur historique, peut continuer de jouer un rôle clé autour de partenariats tournés vers l'avenir du continent africain.

L'Europe, ces dernières années, a investi 170 milliards de dollars en faveur de projets sur le continent. Pourquoi ne pas nous inscrire avec audace dans ce mouvement ?

Pour être crédible, la France doit apporter la preuve que son action ne témoigne pas de la volonté de maintenir un ordre suranné. C'est sans doute à travers des initiatives rassemblant plusieurs partenaires et tournées vers la résolution de difficultés concrètes que nous reconstruirons nos relations avec les pays africains.

Il y faut du courage, de la volonté et sans doute un peu d'audace, mais ce sont là des qualités qui ne font défaut ni à notre pays, ni à nos ministres, ni à nos diplomates, ni aux élus que nous sommes. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)

M. Christian Cambon.  - Très bien !

M. Stéphane Ravier .  - Voilà la deuxième fois en quelques mois que vous présentez votre feuille de route pour l'Afrique devant le Parlement. Nous vous remercions, mais nous avons l'impression de prêcher dans le désert... Le Président de la République multiplie déplacements et déclarations, mais l'Afrique ne nous écoute plus !

En 2050, une personne sur quatre dans le monde sera africaine. L'âge médian en Afrique est de 20 ans. L'Afrique est jeune, et elle n'attend plus la France.

Le Sud global se développe en Afrique, avec comme dénominateur commun d'être opposé à l'Occident, en particulier à la France. Les Brics tiennent d'ailleurs un sommet extraordinaire en ce moment même... Avec l'Afrique du Sud, ils représentent 41 % de la population mondiale et 31 % de la production mondiale. Vingt-deux pays africains ont demandé à en devenir membre, dont le Nigeria, le Sénégal et l'Algérie. L'Égypte et l'Éthiopie viennent de rejoindre ce groupe influent.

La Chine a déjà construit plus de 6 000 km de chemin de fer en Afrique. La cause de leurs succès est notre échec. Les pays du Sud global ont su proposer des partenariats alternatifs, alors que nous sommes empêtrés dans nos litiges de colonisation et décolonisation.

En 2009 déjà, l'économiste zambienne Dambisa Moyo affirmait que l'aide publique au développement n'aidait pas l'Afrique. Le continent aurait bénéficié de plus de 1 000 milliards de dollars d'aides depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale... Nos gouvernements n'ont jamais eu aucune exigence sur l'utilisation de ces sommes, qui servent souvent à soutenir l'incurie de la classe politique africaine.

L'Empire britannique s'est disloqué avec perte et fracas, et les guerres civiles post-décolonisation ont fait des millions de morts. Les Britanniques ont cessé de s'en excuser, ce qui n'a pas empêché le Gabon et le Togo, pourtant francophones, de rejoindre le Commonwealth.

Le Premier ministre britannique a assuré qu'il ne permettrait pas à la Cour européenne des droits de l'homme de bloquer son projet d'expulser des demandeurs d'asile vers le Rwanda. Il a promis de faire tout ce qu'il faut pour faire décoller les avions, en bonne intelligence avec son homologue africain. Voilà un partenariat volontariste !

Pour la paix, la sécurité et la stabilité du monde, nous avons besoin de développer notre influence en Afrique et d'en finir avec l'assistanat et nos complexes pour développer des partenariats pragmatiques.