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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Financement de la sécurité sociale pour 2024 (Suite)

Explications de vote

M. Bernard Jomier

Mme Corinne Imbert

M. Stéphane Ravier

Mme Marie-Claude Lermytte

M. Olivier Henno

Mme Anne Souyris

Mme Silvana Silvani

Mme Véronique Guillotin

M. Dominique Théophile

Scrutin public solennel

M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Mise au point au sujet d'un vote

Déclinaison territoriale de la planification écologique

M. Hervé Gillé, pour le groupe SER

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires

M. Jean-Baptiste Blanc

M. Cédric Chevalier

M. Bernard Pillefer

M. Grégory Blanc

Mme Marie-Claude Varaillas

M. Éric Gold

Mme Nadège Havet

Mme Audrey Bélim

M. Alain Cadec

Mme Denise Saint-Pé

M. David Ros

Mme Catherine Belrhiti

M. Michaël Weber

Mme Sabine Drexler

Mme Else Joseph

M. Didier Mandelli

M. Franck Montaugé, pour le groupe SER

Situation des finances publiques locales

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances

M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics

Mme Marie-Claude Lermytte

M. Hervé Maurey

M. Grégory Blanc

M. Ian Brossat

M. Christian Bilhac

Mme Nadège Havet

Mme Isabelle Briquet

M. Stéphane Sautarel

M. Jean-Marie Mizzon

Mme Frédérique Espagnac

M. Jean-Raymond Hugonet

M. Victorin Lurel

M. Jean-Claude Anglars

M. Fabien Genet

M. André Reichardt

M. Hervé Reynaud

M. Claude Raynal, président de la commission des finances

Échec en CMP

Mise au point au sujet d'un vote

Partenariats renouvelés entre la France et les pays africains

Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées

M. Cédric Perrin

Mme Marie-Arlette Carlotti

M. François Bonneau

M. Pierre Jean Rochette

M. Jean-Baptiste Lemoyne

Mme Michelle Gréaume

M. Akli Mellouli

M. Jean-Noël Guérini

M. Stéphane Ravier

Accord en CMP

Ordre du jour du mercredi 22 novembre 2023




SÉANCE

du mardi 21 novembre 2023

27e séance de la session ordinaire 2023-2024

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Guy Benarroche, Mme Alexandra Borchio Fontimp.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Financement de la sécurité sociale pour 2024 (Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, de financement de la sécurité sociale pour 2024 (PLFSS).

Explications de vote

M. Bernard Jomier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Durant une semaine, nous avons débattu d'un budget de la sécurité sociale en déficit - lequel se creusera dans les années à venir pour atteindre 17 milliards d'euros en 2027. Ce Gouvernement ne parvient pas à rétablir les comptes et projette dans l'opinion l'idée que le système ne serait pas soutenable.

Les débats ont confirmé qu'il s'agissait d'un choix. Les dépenses de santé progressent plus vite que la richesse nationale, en raison du vieillissement, de l'augmentation de la dépendance, de la hausse du coût des soins : 4 % par an environ. Le Gouvernement propose un objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) en hausse de 3,2 %, ce qui rend le budget intenable. En 2023 déjà, il a fallu le majorer de 1,2 point.

L'hôpital est maltraité. La revalorisation du personnel est bienvenue, mais il ne reste plus rien pour les autres besoins. L'année 2024 sera encore plus dure, avec des secteurs très touchés, comme la néonatalogie ou les urgences.

La médecine de ville est également touchée. Les négociations reprennent avec les médecins et les pharmaciens, mais pas un euro n'est inscrit pour eux.

Le secteur de l'autonomie est en souffrance : les 100 millions d'euros ajoutés en cours d'examen sont bien insuffisants. Le bien vieillir nécessite des mesures structurantes, mais c'est devenu un slogan et un avorton législatif.

Les recettes sont-elles majorées pour limiter le déficit ? Non, le Gouvernement mise tout sur une amélioration espérée de l'emploi. Il rejette toutes nos propositions de suppressions d'exonérations ou de prélèvements sur le capital, de même que les mesures de fiscalité comportementales.

Puisque les dépenses augmentent et que les recettes ne suivent pas, le Gouvernement transfère les dépenses hors du périmètre de la sécurité sociale, c'est-à-dire sur les ménages, directement ou via les complémentaires : on le voit avec les franchises médicales et le moindre remboursement des soins dentaires.

Nous votons un budget qui sera modifié par voie réglementaire ensuite, j'en prends le pari.

Bien sûr, il comporte quelques mesures positives, comme la vaccination contre le papillomavirus humain (HPV), la santé des femmes ou la transformation du financement des hôpitaux.

Mais il y a une forme de procrastination politique sur la dépendance, la politique de la famille, la médecine du travail et la prévention.

Ce budget est insuffisant pour répondre aux besoins d'un système solidaire. En termes d'espérance de vie, nous sommes à la treizième place de l'OCDE et la mortalité infantile progresse.

L'Ondam n'est pas modifié pour mieux prendre en compte les besoins en santé ou pour construire une approche territoriale. Le virage de la prévention n'est pas amorcé sur le tabac, l'alcool, l'alimentation...

Enfin, rien pour freiner la financiarisation du système qui transforme nos cotisations en profits pour des actionnaires.

Comment prétendre alors agir sur la pertinence des soins ? Les pénuries se répandent. Ce budget est une impasse, aucun enseignement n'a été tiré de la crise sanitaire.

Alors que notre protection sociale devrait être réformée grâce à un consensus large, la faiblesse de votre base politique vous en empêche. Les Conseils nationaux de la refondation (CNR) ne sont que des pis-aller. Le résultat est là et nous le désapprouvons. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur plusieurs travées du groupe CRCE-K et du GEST)

Mme Corinne Imbert .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Alain Marc applaudit également.) La sécurité sociale est un bien précieux. Son budget est supérieur à celui de l'État. Hélas, il est en demi-teinte : quelques lueurs encourageantes noyées dans des mesures décevantes.

Sur le plan budgétaire, c'est un  aveu d'impuissance : le Gouvernement transmet le fardeau de la dette sociale aux générations futures. Le déficit va se creuser pour atteindre 17 milliards en 2027.

Nous déplorons, comme la commission, l'insincérité de ce budget, dans un contexte inflationniste. L'Ondam connaît une hausse vertigineuse, passant de 200 milliards d'euros en 2019 à 255 milliards en 2024 ! C'est une véritable boîte noire, le Sénat ne peut que le rejeter.

Le Gouvernement ne prend pas la peine de détailler les économies de 3,5 milliards d'euros, on le voit avec la question des franchises et des participations forfaitaires. La vaccination HPV est la seule mesure de prévention ; la possibilité pour les pharmaciens de prescrire des antibiotiques, la seule pour l'accès aux soins.

On ne peut en rester là. Nous avons donc agi pour responsabiliser les patients sur le respect des rendez-vous.

Jugeant que la réforme du financement de l'hôpital était précipitée, nous l'avons reportée de trois ans pour réaliser une étude : ne jouons pas avec l'hôpital pour des effets d'annonces. (Mme Valérie Boyer applaudit.)

Concernant la lutte contre les pénuries, nous divergeons avec le Gouvernement : la dispensation de médicaments à l'unité est une fausse bonne idée, et nous regrettons sa frilosité sur les biosimilaires.

Précipitation également dans la suppression pure et simple de l'article 39. Un temps de consultation est nécessaire pour étudier la réforme de la rente AT-MP.

La banche famille est la grande oubliée. Grâce au Sénat, 2 milliards d'euros sont transférés de la branche maladie vers la branche famille. Le congé post-natal relève de la santé. Il n'y aura pas de politique nataliste sans un budget suffisant.

L'extension des pensions de réversion aux orphelins pour les artisans, les commerçants et les professions libérales est une bonne chose.

Pour prendre en compte les besoins des départements, nous avons maintenu les 250 millions d'euros de la prestation du handicap (PCH) et de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), ainsi que le complément de l'État de 150 millions d'euros pour l'APA. Nous avons voté la transformation en expérimentation de la fusion des sections soin et dépendance des Ehpad. Nous attendons toujours une réforme de la dépendance et du handicap.

Nous avons également élargi aux délégués aux EPCI la possibilité de cotiser sur simple demande.

Mme Françoise Gatel.  - Très bien !

Mme Corinne Imbert.  - Nous nous réjouissons de la suppression de la ponction de crédits sur l'Agirc-Arrco. L'État n'a qu'à réaliser des économies ! Il peut le faire en luttant contre la fraude et en limitant les actes redondants. C'est pourquoi nous voulons instaurer le contrôle biométrique des retraités établis à l'étranger.

La lutte contre la fraude doit devenir un cheval de bataille. Nos aînés attendent des solutions pour le grand âge et la dépendance ; les établissements de santé doivent être aidés ; les familles méritent une politique nataliste favorable permettant de concilier travail et famille.

Le groupe Les Républicains votera ce texte modifié par le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mmes Élisabeth Doineau et Catherine Morin-Desailly applaudissent également.)

M. Stéphane Ravier .  - À la lecture du PLFSS, nous avons l'impression d'être, comme l'arche de Bercy, noyés dans la Seine après avoir fait de la brasse coulée.

Les dépenses augmentent de 3,2 %, le déficit se creusera de 17 milliards d'euros d'ici à 2027, selon vos prévisions les plus optimistes, alors que 50 % des Français ont déjà renoncé à se soigner.

Services d'urgence et maternités ferment. Les déserts médicaux progressent. Avec 600 millions d'euros enlevés aux hôpitaux, vous retirez le squelette au lieu de dégraisser.

Pendant ce temps, l'idéologie prospère : on rembourse les transitions de genre puis les détransitions de genre (exclamations à gauche), les salles de shoot, alors que l'amoxicilline manque dans les pharmacies.

Nous sommes loin du catholicisme social qui a inspiré la sécurité sociale : l'idéologie a pris le pas sur la solidarité. J'en veux pour preuve la baisse du remboursement des soins dentaires, pendant que les préservatifs et les protections périodiques pour les jeunes sont gratuits. Le socialisme vous aveugle ! (On rit de bon coeur sur les travées du groupe SER.) Vous êtes les ministres chargés de financer la santé des Français, pas leur sexualité ! Il faut revenir au régalien, et cesser de régaler ! (Sourires)

Alors que les départements peinent à financer les Ehpad, vous avez dit, Monsieur le ministre, que nous ne pouvions transmettre à la Cour des comptes le nombre de cartes vitales en circulation. Dans quel monde vivons-nous ? Il y aurait 75,2 millions d'assurés sociaux pour 67 millions d'habitants : 8,2 millions en trop ! La fraude sociale est la seule industrie qui se développe encore dans notre pays.

Malgré les ajouts du Sénat, je me refuse à donner mon aval à ce texte.

Mme Marie-Claude Lermytte .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) L'examen du PLFSS est l'occasion de débats importants sur les orientations financières. Je salue la pédagogie des rapporteurs qui nous ont permis d'avoir des échanges de qualité.

Ce texte traduit la situation budgétaire de la sécurité sociale et les choix que nous faisons pour les prochaines années. Chaque année, le déficit se creuse : il atteindra 17 milliards d'euros en 2027, du jamais vu hors covid. Gare à l'immobilisme. Nous devons faire les bons choix pour que les Français continuent de bénéficier de la protection sociale qui fait la force de notre République.

C'est le choix qu'a fait le Sénat en mars dernier en reculant l'âge de départ à la retraite, tout en tenant compte de situations spécifiques. Il faut parfois prendre des mesures impopulaires qui s'imposent.

Ce texte comprend des avancées concrètes - délivrance gratuite de préservatifs et protections périodiques, possibilité pour les pharmaciens de délivrer des anti-infectieux de première urgence sans ordonnance, accès à la complémentaire santé solidaire - qui font consensus.

La prévention doit être la clé de voûte du système, et nous approuvons la vaccination HPV dès le collège.

Nous avons suivi avec intérêt les débats sur la taxation des produits sucrés, même si nous préférons la prévention aux démarches punitives.

Ce texte prévoit également un meilleur contrôle des arrêts de travail. Les abus ne sont pas majoritaires, mais ils existent. Nous approuvons également les précisions sur la délivrance d'arrêts de travail par téléconsultation et la lutte contre la fraude aux cotisations sociales, et aurions aimé voir conserver l'article 6 sur les microentrepreneurs de plateformes.

Nous regrettons que le texte ne soit pas à la hauteur du défi de la dépendance, alors que le nombre de personnes de plus de 85 ans va doubler d'ici 2050. Sur les soins palliatifs, le texte est lacunaire. J'espère que le Gouvernement tiendra son objectif de créer une unité de soins palliatifs par département.

Le groupe Les Indépendants ne partage pas le rejet de l'Ondam, même s'il semble insuffisant pour les hôpitaux et le médico-social, et s'abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. François Patriat applaudit également.)

M. Olivier Henno .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) Mes premiers mots sont pour remercier la rapporteure générale pour la qualité de son travail et la pertinence de ses amendements (on apprécie au centre), le président de la commission des affaires sociales, les ministres au banc qui ne se sont pas bornés à lire leurs fiches. (Mme Françoise Gatel s'en félicite.) Merci pour la forme... mais il y a le fond ! (M. Thomas Cazenave et Mme Agnès Firmin Le Bodo sourient.)

Plat, décevant, désabusé... Pour le groupe UC, c'est un PLFSS « désenchanté », comme le chantait Mylène Farmer (sensation sur toutes les travées) qui nous fait « nager dans les eaux troubles » du déficit. (On apprécie la référence.) C'est une trajectoire qui donne le vertige - 9 milliards d'euros en 2024, 17 milliards en 2027 - et qui reporte la dette sur les générations futures.

L'histoire jugera sévèrement cette période d'endettement public. Ce PLFSS n'a pas pris en compte le changement de monde et la fin de l'argent pas cher. Et ce n'est rien par rapport au PLF, disait un ministre !

Notre dette s'élève à 3 050 milliards ; son service coûtera 74 milliards d'euros par an, plus que le budget de l'éducation nationale ! Il faut agir.

À gauche, monsieur Jomier, c'est toujours la même réponse : augmentation des prélèvements, suppression des exonérations de charges. Mais où est la crédibilité ? Au pouvoir, vous faites le CICE !

M. Bernard Jomier.  - Je n'étais pas au gouvernement !

M. Olivier Henno.  - Nous consacrons 33 % du PIB à notre protection sociale, contre 29 % en moyenne en Europe.

Oui, monsieur Jomier, le déficit du PLFSS peut être un poison mortel pour notre système de protection sociale, mais il y en a un plus foudroyant : l'augmentation des prélèvements et taxes, comme dans les « frères qui râpent tout » des Inconnus. (On apprécie cette nouvelle référence.)

Seule solution : des réformes structurelles pour générer de véritables économies. Pas la politique du rabot, mais des réformes interrogeant la pertinence des soins, des actes médicaux et la suradministration de notre système de santé. (Mme Élisabeth Doineau applaudit.) Il faut revoir notre organisation pour la médecine de ville et le management des hôpitaux.

Sur la branche autonomie, l'expérimentation de la fusion des sections soin et dépendance dans les Ehpad est bienvenue, mais ne devra pas aboutir à une nouvelle recentralisation au profit des ARS. Le département doit renforcer sa place d'organisateur de l'action sociale. Il y a urgence à présenter une loi autonomie pour le grand âge et le handicap. La CNSA n'est plus un outil pertinent pour le pilotage paritaire de cette branche. Les départements doivent s'impliquer davantage.

Certains ici dénoncent en même temps la brutalité de la réforme des retraites et son manque d'impact financier. C'est incohérent ! Cette réforme aura un effet dans cinq ans, y compris en faveur des petites retraites et des carrières hachées. Merci René-Paul Savary ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)

Enfin, la grande oubliée, la branche famille : rien sur le CMG, les allocations familiales, alors que notre natalité chute de 850 000 à 700 000 naissances par an.

L'absence d'équilibre du PLFSS résulte de choix - ou plutôt de non-choix - politiques du Gouvernement. Nous ne pouvons nous y résoudre. Le groupe UC votera le texte issu des débats du Sénat, bien meilleur que celui adopté par 49.3 à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre-Jean Verzelen applaudit également.)

Mme Anne Souyris .  - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mmes Émilienne Poumirol et Annie Le Houerou applaudissent également.) Vendredi dernier, nous avons rejeté l'Ondam pour 2024. Pour la première fois, nous avons approché le coeur du débat : l'avenir de la sécurité sociale.

L'Ondam est-il un outil pilotable ? L'ensemble des travées ou presque a répondu par la négative. A-t-il été piloté ? Non. Est-il un outil démocratique satisfaisant ? Non.

Notre groupe a rejeté l'Ondam, non pour sanctionner des dépenses excessives, mais une hypocrisie partagée par la majorité sénatoriale et le Gouvernement. Alors que le déficit de la sécurité sociale atteint 8,8 milliards d'euros en 2023, tous deux ont rejeté nos propositions de nouvelles recettes. Notre cotisation sur les superprofits aurait généré 10 milliards d'euros et rétabli une justice sociale nécessaire. Mais non !

En l'absence d'une trajectoire claire de financement, cette voie est sans issue.

À quels défis fallait-il s'attaquer pour sauver la sécurité sociale et répondre aux enjeux d'avenir ? Urgences hospitalières engorgées, manque de généralistes en secteur 1, accès à une retraite avant de mourir, difficulté à être soigné quand on n'est pas français, inégalité devant l'achat d'un fauteuil roulant : c'est notre contrat social, la solidarité, la fraternité, l'égalité qui sont en jeu.

Nous sommes nombreux à nous battre pour que chacun ait accès aux droits fondamentaux. Or ce texte n'apporte aucune solution à la désertification médicale, aux épidémies de maladies chroniques, à l'inégal accès aux droits.

Il manque à l'hôpital public 1 milliard d'euros et des milliers de professionnels de santé.

Il eût fallu un virage majeur pour protéger les plus précaires et sauver la sécurité sociale. Ce texte ressemble plus à un patchwork bricolé qu'à un plan de financement.

Soyons lucides : le Gouvernement aura recours au 49.3. Pauvre démocratie ! Espérons que le Gouvernement préservera au moins les quelques mesures utiles, notamment en matière de prévention : campagne vaccinale contre le HPV, continuité de la sécurité sociale pour les Français venant se réinstaller en France, taxe sur la publicité sur les jeux de hasard, maintien de la contribution tarifaire d'acheminement (CTA) pour financer des régimes de retraite, entre autres.

Certains enjeux majeurs ont été balayés : la santé environnementale, la démocratie sanitaire, la santé communautaire.

Le Gouvernement a ouvert une consultation publique sur sa stratégie santé ; je l'invite à venir nous la présenter.

Ce texte est insuffisant, malgré quelques mesures de prévention et le début d'une autre tarification hospitalière. C'est business as usual. Mais pour la santé comme le climat, nous naviguons à bord d'un Titanic qui coulera sûrement, faute de mesures préventives. Il y a urgence.

Le GEST votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST, ainsi que sur plusieurs travées des groupeSER et CRCE-K)

Mme Silvana Silvani .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) Durant cinq jours et quatre nuits, nous avons examiné 830 amendements pour un budget de 640 milliards d'euros. La copie du Gouvernement considérée comme adoptée par 49.3 à l'Assemblée nationale était très médiocre. Ce budget est insuffisant face aux difficultés des hôpitaux, aux pénuries de médicaments, aux délais pour obtenir un rendez-vous médical...

La branche AT-MP est sous-dotée et privée de vision. La branche autonomie est aux antipodes des besoins du médico-social et des enjeux du vieillissement. La branche vieillesse démontre l'inefficacité de la contre-réforme des retraites qui aggravera le déficit en 2027.

Le Gouvernement fait des économies sur le dos des assurés sociaux, en augmentant les contrôles des arrêts maladies ou en déremboursant des soins dentaires.

Par dogmatisme, vous avez repoussé tous nos amendements proposant de nouvelles recettes, comme la lutte contre la fraude aux cotisations patronales, qui aurait rapporté 8 milliards d'euros.

Nous proposions de mettre à contribution les revenus financiers, d'augmenter le taux de CSG afférent et de créer une cotisation de solidarité pour les actionnaires, qui aurait rapporté 40 milliards d'euros ; de taxer les superprofits, pour 10 milliards d'euros ; d'instituer l'égalité familiale femmes-hommes, pour 5 milliards d'euros ; de supprimer les exonérations de cotisations patronales pour 87,9 milliards d'euros. (Murmures réprobateurs à droite)

Vous avez ainsi refusé 150 milliards de recettes ! (M. Pascal Savoldelli renchérit.) En revanche, la majorité sénatoriale a accordé encore 1,2 milliard d'euros d'exonérations de cotisations patronales et créé une taxe « lapin » pour les rendez-vous non honorés.

Comment ne pas être en colère devant cette incapacité à tirer les leçons de l'échec des politiques restrictives ? Si les hôpitaux subissent des départs par milliers, c'est en raison de la pénibilité du travail dans des établissements devenus maltraitants...

Les exonérations de cotisations sociales menacent notre modèle de sécurité sociale. Le patronat dénonce des charges prétendument excessives. Pourtant, les exonérations de cotisations patronales n'ont jamais été aussi importantes, en témoignent les transferts de l'Agirc-Arrco. Désormais, notre pacte social tangue dangereusement.

Le Gouvernement va pouvoir dégainer à nouveau le 49.3 à l'Assemblée nationale... Ce texte est un rendez-vous manqué : pas de financement à la hauteur des besoins sociaux, pas de prise en main de la production de médicaments.

Le président Mouiller a souhaité se saisir de certains dossiers. Nous sommes volontaires pour participer à ces travaux.

Le groupe CRCE-K, qui a défendu un autre projet tout au long des débats, votera contre ce PLFSS. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER)

Mme Véronique Guillotin .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Pas moins de 642 milliards d'euros de dépenses et 631 milliards d'euros de recettes, voilà l'essentiel de ce PLFSS. Budget et déficit sont colossaux. Alors que nous espérions des améliorations post-covid, l'annexe A prévoit un déficit des branches maladie et vieillesse plus important en 2027 qu'en 2024 - et avec des prévisions de croissance optimistes, encore ! Nous nous inquiétons de la soutenabilité de notre système de santé.

Réduire les dépenses, oui, mais lesquelles ? Tous, nous décrivons une situation complexe dans nos territoires. Comment préserver le pouvoir d'achat de nos concitoyens et la profitabilité de nos entreprises ? La marge est étroite.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics.  - C'est difficile, en effet.

Mme Véronique Guillotin.  - En 2030, on comptera vingt millions de personnes âgées, dont quatre millions en perte d'autonomie. Nous aurons besoin de plus de soignants, avec de meilleures conditions de travail.

Pour autant, nous ne pouvons laisser la situation se dégrader. Nous devons examiner, sans tabou, la pertinence des soins et les coûts de gestion pointés par la Cour des comptes. Attention aux superpositions entre sécurité sociale et mutuelles. Notre système est aussi trop centralisé.

Des pistes de réduction de dépenses existent : lutte contre la fraude, mais aussi prévention et éducation à la santé. La campagne nationale contre le HPV est une excellente nouvelle. Vaccination et dépistage peuvent ouvrir la voie à une éradication des cancers de l'utérus. Un amendement a été adopté pour renforcer l'information des jeunes et de leurs familles.

À titre personnel, je m'interroge sur le refus de toute taxe supplémentaire sur l'alcool alors que cela a fonctionné pour le tabac et que l'on connaît les risques : 41 000 décès par an et une dépense annuelle de 102 milliards euros ! Une taxe comportementale n'exclut pas l'information. J'espère que nous pourrons avancer sur le prix minimal de l'alcool dans le cadre du projet de loi de finances (PLF).

Nous nous félicitons du remboursement de l'activité physique adaptée, c'est un premier pas.

Mme Françoise Gatel.  - Excellent !

Mme Véronique Guillotin.  - À titre personnel, je soutiens l'application sans délai de la réforme de la tarification à l'activité (T2A) ou encore l'interdiction de la prescription à distance d'arrêts maladie de plus de trois jours.

Nous saluons le report de la date d'inscription volontaire des départements pour la gestion des Ehpad et le maintien du dispositif des travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi (TO-DE).

Après avoir soupesé les mesures de ce texte, bonnes et moins bonnes, la majorité du groupe RDSE s'abstiendra.

Il faut acter la suppression du coefficient de minoration des établissements privés à but non lucratif, comme s'y est engagé le ministre de la santé.

Mon département, frontalier de la Belgique et du Luxembourg, subit une double peine : la concurrence frontalière fragilise les hôpitaux, les professionnels de santé se voient offrir des salaires deux à trois fois plus élevés au Luxembourg. J'ai demandé la prise en compte de la zone frontalière, le ministre y semblait sensible. Nous devons avancer. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Élisabeth Doineau et Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)

M. Dominique Théophile .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce texte s'inscrit dans un contexte difficile, avec un système de santé fragilisé par l'inflation. Il fallait soutenir les établissements en difficulté, revaloriser les métiers, moderniser et mieux prendre en charge les patients, avec pour horizon la maîtrise des dépenses et du déficit et la recherche d'économies.

Soutien aux plus précaires, réforme du financement des hôpitaux, lutte contre la fraude sociale, renforcement des compétences des pharmaciens : les avancées sont nombreuses. Le soutien à l'autonomie d'abord, avec 39,9 milliards d'euros pour renforcer l'attractivité des métiers, adapter l'offre médico-sociale à la démographie et améliorer la qualité des accompagnants. Saluons l'expérimentation de la fusion des sections soins et dépendance pour créer de nouvelles places à domicile.

L'effort en faveur de la prévention, ensuite, avec 150 millions d'euros pour la vaccination contre le HPV, ou la prise en charge des protections périodiques réutilisables et des préservatifs pour les moins de 26 ans.

La prise en charge du sport sur ordonnance était très attendue, notamment dans les territoires ultramarins.

M. Laurent Burgoa.  - Très bien !

M. Dominique Théophile.  - Nous nous réjouissons de l'adoption de certains de nos amendements : ceux de Xavier Iacovelli pour taxer davantage les produits sucrés et obliger les industriels à proposer des produits plus sains, ou encore garantir aux orphelins handicapés une pension de réversion ; celui de Nadège Havet facilitant le remboursement par l'employeur des frais de location de vélos ; celui de Solanges Nadille permettant d'étendre la vaccination obligatoire contre les méningocoques... (M. Rachid Temal sourit de l'énumération.)

Ces avancées auraient dû nous conduire à voter ce projet de loi. Pourtant, nous ne voterons pas ce texte. (On fait mine de le déplorer à droite.)

Pour la seconde fois, chers collègues, vous avez supprimé l'Ondam, lui reprochant d'être insuffisamment maîtrisé. Vous déplorez la trajectoire financière de la sécurité sociale, tout en ajoutant 1 milliard d'euros d'exonérations. Vous reportez à 2028 la réforme de la T2A, alors qu'elle est prête.

J'en viens aux coefficients géographiques sur les établissements de santé, notamment en Guadeloupe. L'engagement du ministre de maintenir le taux à 27 % a été accueilli avec satisfaction, sans pour autant lever toutes les craintes.

Finalement, au cours de nos cinq jours de débat, c'est la question lancinante de la refonte structurelle du financement de la sécurité sociale qui s'est imposée. Le Gouvernement doit l'entendre, et le Sénat s'en emparer. Notre groupe, ne pouvant se satisfaire d'un texte sans réelle cohérence, s'abstiendra.

Merci aux ministres et aux rapporteurs pour la qualité de leur travail. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du RDSE)

Scrutin public solennel

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°56 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 292
Pour l'adoption 184
Contre 108

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC ; Mme Nathalie Delattre applaudit également.)

M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics .  - Le Sénat a adopté le PLFSS. Les débats ont montré des points de convergence, mais aussi des divergences. Bref, nous ne sommes pas d'accord sur tout. À l'issue de l'examen au Sénat, le déficit s'aggrave de 1,3 milliard d'euros...

Pour conclure sur une tonalité plus positive, je remercie M. le président de la commission et Mme la rapporteure générale pour ces débats cordiaux et précis. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du RDSE)

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé .  - Je m'associe à ces remerciements. Nous n'avons pas été d'accord sur tout, et avons même de réels désaccords, mais nous nous rejoignons sur un point : notre pays a besoin d'un budget de la sécurité sociale.

Oui, monsieur Jomier, il faut maintenir un système solidaire : la sécurité sociale est notre bien commun. Ce budget augmente de 8 milliards d'euros. Depuis 2017, 50 milliards d'euros supplémentaires ont été débloqués pour renforcer notre système de santé.

Modernisation du système de soin, réforme de la T2A, délégations de tâches, virage de la prévention, nouveaux leviers contre la pénurie de médicaments, lutte contre la fraude, travail sur les rendez-vous « lapins », expérimentation de l'activité physique adaptée (APA) pour les malades du cancer : autant d'avancées de ce PLFSS responsable, réaliste et ambitieux.

Je rappelle toutefois que l'Ondam reste un outil nécessaire. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Nathalie Delattre applaudit également.)

La séance est suspendue à 15 h 40.

Présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente

La séance reprend à 16 heures.

Mise au point au sujet d'un vote

M. Cédric Chevalier.  - Lors du scrutin n°56, M. Jean-Luc Brault souhaitait s'abstenir.

Acte en est donné.

Déclinaison territoriale de la planification écologique 

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Déclinaison territoriale de la planification écologique : Quel rôle et quels moyens pour les collectivités locales ? Quel accompagnement du citoyen ? » (demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain).

M. Hervé Gillé, pour le groupe SER .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Les feux hors normes de 2022, les sécheresses et les inondations nous rappellent que la transition écologique exige une mise en oeuvre méthodologique, fondée sur une approche décentralisée. Les collectivités territoriales sont incontournables.

Cependant, lors de la présentation de sa feuille de route écologique le 25 septembre dernier, le Président de la République n'a fait que recycler des mesures existantes : mise en place des services express régionaux métropolitains, arrêt du charbon... Ni précision financière, ni clarification, ni concertation. Nous souhaitions un nouveau départ, ce n'est qu'une redite.

« L'écologie à la française, juste et accessible », dixit le Président de la République, semble peu compatible avec la pause environnementale demandée au niveau européen. Quid de l'interdiction du glyphosate, promesse présidentielle, alors que la France s'est abstenue lors d'un vote au sein des institutions européennes ? Quelle hypocrisie !

Créer un récit qui entraîne tous nos concitoyens, sans oublier les plus fragiles, représente un immense défi.

S'agissant des moyens, nous restons là aussi sur notre faim ; manque une colonne vertébrale territorialisée. On multiplie les appels à projets dans les territoires sans qu'une cartographie des besoins n'ait été établie. Les collectivités se sentent dépassées, voire dépossédées, notamment face aux zones d'accélération de la production d'énergies renouvelables (ZAER). Nombre de communes estiment ne pas disposer de l'ingénierie et de l'accompagnement nécessaire pour agir ; elles demandent un cadre de dialogue.

Médiatisées lors du Congrès des régions de France, les conférences des parties (COP) régionales sont apparues dans le paysage pour faire converger politique nationale et politique locale.

Pourtant, les collectivités n'ont pas attendu l'État pour agir : schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi), schémas de cohérence territoriale (Scot), autant d'outils que l'État ne s'impose pas à lui-même.

Derrière un calendrier intenable, le Gouvernement ne souhaite-t-il pas se désengager de la planification écologique, en renvoyant la responsabilité aux régions, au risque de créer des distorsions entre territoires et d'obérer la pérennité des financements ? Autant de questions en suspens, malgré votre tour de France des régions, monsieur le ministre.

Le bloc infrarégional est l'impensé des politiques gouvernementales : il faut redonner du sens aux politiques contractualisées avec l'État et encourager une véritable écoconditionnalité incitative. Nous saluons le maintien du fonds vert, mais il manque de transparence et d'articulation avec les collectivités. Évitons le saupoudrage de financements et la sous-utilisation des crédits. Les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) ont été plutôt bien accueillis ; la nouvelle version ne devra pas se cantonner à une liste d'actions à mener.

Pour transformer notre modèle, il faut faire appliquer le principe pollueur-payeur et cibler les moyens vers les territoires pour qu'ils mènent des projets - je pense notamment aux paiements pour services environnementaux.

La baisse des ressources du bloc local, objet d'une tribune dans Le Monde, inquiète. La baisse des impôts de production réduit les marges de manoeuvre. Nous vous demandons de clarifier les compétences de chacun et de mettre fin aux transferts masqués de l'État en matière de transition écologique. Enfin, il faut clarifier l'attribution des moyens et construire collectivement l'évaluation de ces politiques publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires .  - Les récents épisodes climatiques extrêmes nous rappellent la réalité du dérèglement climatique : de la Guadeloupe au Pas-de-Calais, en passant par les Alpes-Maritimes, nos concitoyens ont subi ces drames de plein fouet. L'État se tient à leurs côtés pour les aider, mais aussi pour réduire de 55 % nos émissions à l'horizon 2030. Cet engagement est fondamental, tant pour nos enfants que pour nous. Nous avons parcouru la moitié du chemin en 33 ans : il nous en reste sept pour effectuer l'autre moitié.

Mon ministère et le secrétariat général à la planification écologique (SGPE) ont travaillé secteur par secteur : c'est un exercice unique au monde. Après la définition du cadre national, nous passons aux travaux pratiques, pour que les objectifs soient effectivement mis en application dans les territoires, par tous les acteurs.

Ma démarche repose sur deux piliers : la mobilisation des citoyens et l'association des collectivités territoriales. Je me suis déjà rendu dans sept régions, à la rencontre de 3 000 Français. Lors de ce tour de France, je leur ai tenu un discours d'humilité et de vérité : chacun d'entre nous a la solution entre ses mains et devra faire des efforts.

Les collectivités sont en première ligne de la transition écologique. Les maires, réunis à Paris pour le Congrès des maires de France, véritables hussards verts de la République, jouent un rôle essentiel. Ils connaissent leur territoire et défendent des projets qui changent la vie des gens. M. Gillé l'a dit, ils n'ont pas attendu l'État pour agir.

Je salue le rapport d'information de Pascal Martin, Guy Benarroche et Laurent Burgoa : c'est une mine d'idées fortes pour faire des collectivités des acteurs clés du changement, à tous les échelons.

Nous avons ainsi lancé les COP régionales, copilotées par les présidents de conseil régional et les préfets. Dans ces enceintes, les acteurs réalisent un diagnostic partagé et identifient les leviers de baisse des émissions de gaz à effet de serre. Les deux premières COP viennent d'être lancées, dans le Grand Est et en Guadeloupe. Les parlementaires y seront étroitement associés.

Dans les régions, nous ne partons pas d'une page blanche : j'ai participé le 14 novembre au lancement de la COP Grand Est à Metz, qui se fonde sur le travail déjà accompli. La territorialisation de la planification écologique doit permettre à toutes les collectivités de s'approprier les projets : c'est le dernier kilomètre de la planification.

Diagnostic, portage de projets et ingénierie territoriale, autant d'éléments à moderniser.

Diagnostic, d'abord. Les collectivités ont besoin de données pertinentes. Les nouveaux indicateurs territoriaux sont déjà disponibles.

Portage de projets, ensuite. Pour que le partenariat État-collectivités fonctionne, nous devons envisager une vision pluriannuelle. Les CRTE doivent devenir des contrats pour la réussite écologique, avec une pluralité de financements. Les tuyaux des projets doivent arriver en face des tuyaux des financements, si vous me permettez l'expression. Ainsi, les programmes publics tels qu'Action coeur de ville ou Petites villes de demain seront mieux coordonnés.

Enfin, je signerai demain une charte avec tous les acteurs qui traduit un engagement en faveur de la simplification de l'ingénierie territoriale.

Nous formerons 25 000 cadres de la fonction publique d'ici 2024. Nous avons également formé 500 maires : cette expérience sera généralisée. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Cédric Chevalier applaudit également.)

M. Jean-Baptiste Blanc .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Au hasard, j'ai choisi une question sur le zéro artificialisation nette (ZAN). (« Ah ! » sur les travées de droite et sur le banc des ministres

La loi est récente et les décrets se font attendre : nous nous interrogeons sur l'atterrissage, d'où la décision du Sénat de créer une mission de suivi.

Nous nous sommes battus collectivement pour que les régions, via les Sraddet, aient une approche la plus large et la plus souple possible : nous ne voulons pas qu'elles entrent dans les détails de la planification.

Alors que nous avions trouvé un accord intéressant, avec un système à la carte, voilà qu'arrivent les COP régionales. Diagnostic fait en chambre, sans concertation, impossibilité de faire des propositions, solutions normées... autant de sujets d'inquiétude. Cette planification normative va-t-elle écraser tous nos efforts ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Pas du tout ! Les décrets seront publiés la semaine prochaine, après l'accord de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF).

Nous publierons un guide de seize pages, qui rappellera les objectifs. Vendredi dernier, je me suis rendu à Dieppe, pour un cas pratique sur l'EPR de Penly. Je me suis exprimé sur les grands projets d'intérêt national.

Certains essaient de remettre une pièce dans la machine, mais nous voulons avancer. Ce matin, lors du lancement du salon des maires, je n'ai eu aucune question sur le ZAN. (On ironise sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme.  - La question n'est pas encore arrivée sur le terrain !

M. Christophe Béchu, ministre.  - Les acteurs sont conscients de la nécessité de lutter contre l'étalement urbain. Il faut assister aux COP régionales pour mieux comprendre leur finalité. Chacun détermine où accélérer : pour certains, ce sera la géothermie, pour d'autres le solaire... (M. François Patriat applaudit.)

M. Cédric Chevalier .  - Le fonds vert, qui aide nos collectivités territoriales à s'engager pleinement dans la transition écologique, est un succès.

Toutefois, les démarches restent longues et complexes, surtout pour les collectivités qui n'ont pas accès à de l'ingénierie. Par exemple, afin de rénover son éclairage public, une commune doit fournir plusieurs indicateurs, complexes à obtenir, comme la puissance totale du parc ou la surface de trame noire.

Certains s'étonnent que le fonds vert outrepasse les normes. Pour l'éclairage public, le maximum demandé pour être éligible aux aides du fonds est de 2 500 degrés Kelvin, quand la réglementation impose au maximum 3 000 degrés Kelvin. Pouvez-vous énoncer avec précision vos ambitions pour simplifier l'accès au fonds vert ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Le fonds vert représente plus de 17 000 demandes de subvention, pour 5 milliards d'euros de crédit. Quelque 8 000 dossiers ont été acceptés, pour 2 milliards d'euros de subventions versées. Cette somme correspond à un doublement de l'enveloppe de soutien aux collectivités territoriales.

Nous avons refusé les appels à projets et les appels à manifestation d'intérêt : nous voulions que le système reste souple. Mais la souplesse préfectorale a engendré quelques rigidités. (M. Cédric Chevalier lève un sourcil.)

L'an dernier, nous craignions que le nombre de dossiers soit insuffisant. Ce n'est pas le cas. Pour la deuxième édition, 2 200 dossiers de rénovation thermique et 2 000 dossiers de rénovation des éclairages publics ont été déposés : voilà qui explique la tentation d'ajouter des critères. (M. François Patriat applaudit.)

M. Bernard Pillefer .  - La loi pour l'accélération de la production d'énergies renouvelables prévoit que les communes définissent des ZAER. Depuis le 1er juillet 2023, les élus locaux sont donc invités à formuler des propositions. Il y a un mois, Mme Pannier-Runacher répondait à une question de Mme Annick Jacquemet qu'un décret n'était pas nécessaire.

Pourtant, le dispositif manque de clarté. Passé la fin de l'année, les communes pourront toujours communiquer des zones d'accélération à l'État. Des préfets sollicitent les communes avec insistance.

Que se passera-t-il en cas de carence ? Prévoyez-vous des sanctions ? L'État prendra-t-il le relais ? Unilatéralement ou en concertation avec les communes ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Votre question concerne plutôt le portefeuille de Mme Pannier-Runacher.

Nous mettons deux fois plus de temps que les Allemands à mettre en oeuvre des projets de production d'énergies renouvelables, d'où la loi d'accélération, qui prévoit un mécanisme de consultation pour décider des ZAER ; les maires ont jusqu'à fin 2023 pour remettre leurs conclusions. Il n'y aura pas de sanction au-delà du 31 décembre. Si les élus ont quelques jours de retard, cela ne posera pas de difficulté.

Quel que fût le délai, il eût été présumé insuffisant par certains. (Marques de désapprobation) La loi sur l'accessibilité universelle avait été votée en 2005. Nous avons constaté en 2015 - un peu tard - que nous n'étions pas prêts. Cette fois-ci, nous avons voulu aller vite.

Les collectivités qui ne sont pas tout à fait prêtes pourront déposer les éléments ultérieurement ; celles qui n'envisagent pas de définir de zone pourront se tourner vers Mme Pannier-Runacher pour savoir quel sera le rôle de l'État.

M. Grégory Blanc .  - L'État, avec la planification, entame un virage en matière de transition écologique qu'il faut saluer, mais les financements ne sont pas à la hauteur des besoins. Si quelque 7 milliards d'euros ont été engagés en 2024, il faudrait trois fois plus. La stratégie bas-carbone n'est pas suffisante. Pour associer les collectivités, il faut leur en donner les moyens et ne pas confondre urgence et précipitation.

Si chaque territoire rédige des feuilles de route à la carte, comment assurer une cohérence avec la feuille de route nationale ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Monsieur le sénateur, je me réjouis de vous entendre pour la première fois dans cette enceinte, et de façon plus constructive que dans d'autres circonstances...

Concernant les financements, 10 milliards d'euros sont déjà engagés, puisque 3 milliards destinés au ferroviaire s'ajoutent aux premiers 7 milliards. C'est la première marche du plan de 33 milliards d'euros. L'effet de levier est puissant : les 2 milliards d'euros du fonds vert engagés par l'État ont généré 10 milliards d'euros d'investissement.

Concernant la méthode, si le délai peut sembler court, ces COP régionales ne partent pas d'une feuille blanche. Sur la quasi-totalité des territoires, planifications et investissements ont été conduits par les collectivités ; il convient de les mutualiser.

La question des moyens devra être traitée dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 : en juin, nous aurons connaissance des besoins. Pour assurer le bouclage, il faut mener une démarche à la fois ascendante et descendante.

M. Grégory Blanc.  - Vos réponses sont toujours de qualité, mais ma question portrait sur les communes rurales, incapables d'établir une feuille de route régionale : 90 % du territoire n'est pas artificialisé. Comment, dès lors, les associer aux COP ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Je vous confirme que l'Association des maires ruraux de France (AMRF) est associée aux COP : en Bretagne, il y a 750 parties prenantes ! (M. Cédric Chevalier le conteste.) L'AMRF mène des travaux passionnants sous l'égide de Fanny Lacroix ; je vous invite à vous y intéresser.

Oui, nous accompagnerons les 88 % de territoires ruraux : c'est le sens de la dotation pour les aménités rurales, créée dans le cadre de ce projet de loi de finances.

M. Grégory Blanc.  - L'enjeu est d'associer en profondeur les collectivités. Si nous le faisons par le biais des grandes associations, sans associer directement les collectivités elles-mêmes, nous manquerons notre objet. Ces COP permettent peut-être de traiter la question des émissions et celle de la mobilité, mais quid de l'artificialisation des sols et de la reconversion des sites ?

Mme Marie-Claude Varaillas .  - Réserves naturelles, puits de biodiversité, les espaces ruraux sont essentiels. Les collectivités territoriales, qui sont sans nul doute des rouages de la transition, sont engagées de longue date dans de nombreux projets.

En 2024, les CRTE prendront fin. Ils n'ont pas tenu leur promesse. La Cour des comptes en dresse un bilan mitigé, estimant qu'ils ne font qu'ajouter au millefeuille territorial. Le 14 novembre, vous admettiez vous-même que les CRTE étaient perfectibles. Comment faire en sorte que la seconde génération de CRTE soit vraiment intégratrice, dotée de moyens financiers et d'ingénierie ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Un grand nombre de projets existent déjà dans les territoires ruraux. Il y a autant de situations que de communes. Ancien président d'une communauté urbaine, je sais que sa plus petite commune membre, de 150 habitants, n'était pas la plus en reste en matière de transition écologique.

Le bilan des CRTE est mitigé, mais ils ont eu leur utilité, en recensant les projets. Leur défaut : manquaient les aides. Pour cette seconde génération, il faut que les tuyaux se rencontrent. Le recrutement d'un agent supplémentaire dans chaque préfecture y contribuera.

Mme Marie-Claude Varaillas.  - La transition écologique exige des outils lisibles. Alors que 80 % de la consommation énergétique des communes provient des bâtiments publics, nous avons beaucoup à faire pour limiter nos émissions. Le fonds vert est subventionné à hauteur de 25 % ; reste 75 % à trouver !

M. Christophe Béchu, ministre.  - J'irai même plus loin, 480 millions de mètres carrés de bâtiments publics doivent être isolés, si l'on compte les bâtiments des collectivités territoriales. L'augmentation de 500 millions d'euros est fléchée vers les écoles, premier poste de dépenses des petites communes. Dans le plan annoncé le 14 septembre avec Gabriel Attal, nous avons prévu des financements mixtes : prêts de la Caisse des dépôts, dotation d'équipement des territoires ruraux les dispositifs (DETR), dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et fonds vert. Le tiers financement se met en place.

M. Éric Gold .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Je ne parlerai pas de mesures spectaculaires demandées par l'ONU, mais des moyens à donner aux collectivités.

Les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) sont à la peine : seuls 57 % ont été adoptés et très peu ont un objectif égal ou supérieur à l'objectif national de neutralité carbone en 2050.

Le manque de formation et de sensibilisation des élus aux enjeux environnementaux est criant. Conscients des enjeux et des besoins, cent maires ruraux se sont réunis pendant six mois pour élaborer une boîte à outils.

Vous avez prévu de former 30 000 édiles : ces formations commencent-elles à porter leurs fruits ? Concernent-elles aussi les agents des collectivités territoriales ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Certes, seuls 57 % des PCAET ont été adoptés, mais la démarche est lancée dans 96 % des EPCI : nous sommes proches de l'objectif.

La formation est clé. Nous avons dupliqué ce qui se faisait dans l'Indre pour former 500 maires au premier semestre. L'objectif de 30 000 d'ici à la fin du mandat municipal tient toujours. Le format est le bon : la formation s'appuie sur l'analyse, par les opérateurs de l'État, des conséquences du dérèglement climatique dans chaque département.

Il y a quelques heures, l'Ademe a lancé le réseau des élus référents pour la transition écologique et énergétique, afin de former une personne par commune. C'est ainsi que nous pourrons accélérer.

Mme Nadège Havet .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Rapporteure d'une mission en 2023 sur la rénovation du bâti scolaire, j'ai formulé des recommandations, dont l'une - un soutien accru pour les communes les moins bien dotées - sera débattue dans ma proposition de loi le 14 décembre.

Une enveloppe de 500 millions d'euros est prévue dans le cadre du prochain PLF. Il s'agit d'un sujet essentiel pour dix millions d'élèves et un million d'agents. Les deux tiers des établissements ont plus de 50 ans et doivent être rénovés.

Pour cela, il faut accompagner les élus en matière d'ingénierie, souvent parcours du combattant. C'est le rôle du programme Villages d'avenir, avec notamment le recrutement de cent chefs de projet pour aider les maires à concrétiser leurs idées. Quand les premiers maires bénéficieront-ils de cet appui ? Quel sera le rôle de ces référents ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Je confirme ces créations de postes. Au cours des vingt dernières années, le ministère de l'écologie est celui qui a vu ses effectifs baisser le plus en pourcentage. Cette année, 760 emplois sont créés pour accélérer la transition écologique, dont cent postes de chefs de projet sur le dispositif Villages d'avenir afin de faire le lien entre le maire et l'État, d'assurer les démarches administratives, de veiller à la disponibilité des financements, etc.

Les recrutements de la première session seront lancés dès l'adoption du PLF 2024. Comme pour Action coeur de ville ou Petites villes de demain, nous savons que certaines communes ne seront pas prêtes. Je vous donne rendez-vous au premier trimestre pour déterminer le calendrier de mise en oeuvre.

Mme Audrey Bélim .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Monsieur le ministre, je vous sais attaché à la lutte contre l'artificialisation des sols. À La Réunion, nous savons que les sols ne sont pas une ressource illimitée et nous les protégeons. Chaque année, nous perdons plus de 130 hectares à cause de l'artificialisation et la surface agricole a diminué de 10 % en dix ans.

Le schéma d'aménagement régional doit aboutir en 2026, avant d'être décliné localement. Ce sera un travail long, alors qu'il y a urgence pour préserver la biodiversité et notre sécurité alimentaire.

Avec 42 000 demandes de logement social en attente, la question du logement à La Réunion est prégnante, du fait de la pression démographique - nous compterons un million d'habitants dans vingt ans. Pourquoi ne pas avancer le calendrier, sans attendre 2026 ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - La lutte contre l'étalement urbain croise trois enjeux : la biodiversité, qui sera l'objet de la stratégie nationale biodiversité (SNB) ; l'adaptation - ne créons pas des zones de chaleur ; la préservation des puits de carbone.

Grâce au texte issu du Sénat, des délais supplémentaires ont été accordés aux régions. Sans rien lâcher sur l'objectif, j'assume de prendre un peu plus de temps plutôt que de susciter une levée de boucliers faute d'avoir pris le temps de faire de la pédagogie.

Je connais la situation réunionnaise, compte tenu de la richesse de la biodiversité, de la complexité administrative, entre loi Littoral et loi Montagne, des projets d'envergure nationale...

Mme Audrey Bélim.  - Notre inquiétude reste vive. L'urbanisation a été violente dans les outre-mer. Il nous semble nécessaire d'accélérer le calendrier afin de gagner de précieuses années.

M. Alain Cadec .  - Face à l'urgence climatique et afin de réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 140 millions de tonnes d'ici à 2030, le Gouvernement a décidé de mettre en place une planification écologique. Le PLF prévoit 10 milliards d'euros supplémentaires à cette fin.

Notre stratégie nationale bas-carbone (SNBC) mise sur des investissements massifs et rapides des collectivités territoriales dans de nombreux secteurs. Mais en auront-elles les moyens ? La transformation de la taxe professionnelle, la suppression de la taxe d'habitation et la réduction de moitié de la CVAE ont diminué leur fiscalité directe de 40 milliards d'euros. Seules les taxes foncières leur permettent de conserver un pouvoir de taux, concentré au niveau du bloc communal. Les recettes fiscales des départements dépendent très fortement des DMTO, qui sont en baisse. Les régions sont affectées par l'impact du recul de la consommation sur leurs recettes de TVA. Bref, le système de financement des collectivités est à bout de souffle.

Comment l'État compte-t-il distribuer ces 10 milliards d'euros ? Seront-ils conditionnés à des résultats en matière de performance énergétique et climatique ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - À la tête du conseil départemental des Côtes-d'Armor, vous vous êtes battu pour concilier les enjeux économiques et écologiques.

Nous ne ferons pas l'économie d'assises des finances locales. Nous devons mener cette réflexion non seulement sur les taxes, mais aussi sur les dotations : les valeurs locatives n'ont pas été révisées depuis 1971, la DGF s'appuie sur des kilomètres de voirie... Cela ne répond plus aux enjeux.

Demain, un terrain rendu constructible devra être taxé pour réduire d'autres fiscalités, car l'écologie ne doit pas être que punitive. On ne fera pas l'économie d'une baisse de la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB) pour les agriculteurs, afin de compenser la baisse des rendements. (M. Laurent Burgoa acquiesce.)

Dans les 10 milliards d'euros que vous évoquez, un milliard supplémentaire est destiné aux collectivités. Il s'ajoute aux 2 milliards d'euros du fonds vert et aux 500 millions d'euros prévus pour les agences de l'eau. C'est l'effet de levier : pour chaque euro de l'État, les collectivités territoriales en investissent quatre.

Mme Denise Saint-Pé .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, il faudra produire plus d'énergies renouvelables et décarbonées avec un mix énergétique équilibré et résilient, ouvert à plusieurs énergies et plusieurs technologies. Il faudra aussi de la sobriété énergétique.

Ce travail implique une planification territoriale, qui coordonne les actions des acteurs publics locaux et de l'État.

De nombreuses collectivités territoriales pâtissent d'un manque d'ingénierie et de moyens dans le domaine de l'énergie. Les autorités organisatrices de la distribution d'énergie (AODE), compétentes sur toute la chaîne de valeur énergétique, doivent les aider à mettre en oeuvre leurs projets. À l'heure des concertations dans le cadre des COP territoriales, comment mieux reconnaître le rôle des AODE ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Le dispositif doit s'appuyer sur toutes les énergies, là où nous avons des gisements. Nous devons mobiliser les énergies renouvelables et le nucléaire, qui est pilotable. Cela dit, nous ne devons nous priver ni de la géothermie ni du BioGNV.

Il n'y aura pas de planification sans les collectivités territoriales. Les AODE bénéficient du compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » (Facé), doté de 370 millions d'euros, et sont associées à l'ensemble des schémas relatifs au développement des énergies renouvelables.

La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) devra préciser leur rôle dans la stratégie et la mise en oeuvre du mix énergétique. C'est sur les territoires que se déploieront les projets énergétiques.

Mme Denise Saint-Pé.  - Ne vous privez pas de l'expertise des AODE.

M. David Ros .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Les collectivités territoriales sont aux premières loges de la crise énergétique, mais n'ont souvent plus les ressources pour faire face aux enjeux. Elles ont besoin d'innovations technologiques, mais aussi financières. Les investissements à réaliser doivent être déconnectés des ratios classiques budgétaires, qui limitent l'accès à l'emprunt. C'est d'autant plus vrai pour les opérations d'intérêt national.

Le projet du plateau de Saclay doit être exemplaire. Or la réalité comptable mise en musique par Bercy freine l'action au quotidien.

Quelles modalités financières d'accompagnement prévoyez-vous de mettre en place pour une action de développement réellement durable ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Les budgets verts permettent de détourer, non pas la dette, mais l'investissement. Ils sont un outil de dialogue entre les collectivités territoriales et l'État. La formule retenue dans le PLF est celle du bureau de l'AMF.

Ensuite, il y a la dette verte. En cas d'urgence, l'emprunt peut être justifié pour des investissements qui évitent d'autres dépenses. Une étude est en cours à Bercy avec toutefois la limite des ratios et l'alerte de la décision de la Cour de Karlsruhe sur les 60 milliards d'euros mis de côté par le gouvernement allemand.

Le Sénat a voté à l'unanimité le dispositif du tiers financement, en cours de déploiement, qui permet de lever ces freins.

Mon directeur de cabinet ayant été le directeur de l'établissement public d'aménagement Paris-Saclay, je vous propose de poursuivre cette discussion dans un cadre plus restreint.

M. David Ros.  - Comme aurait dit Saint-Exupéry : pour ce qui est de la planification écologique, il ne s'agit pas de la prévoir, mais de la rendre possible. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Catherine Belrhiti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La France doit progresser dans la transition écologique, sinon elle en subira les conséquences sur le plan économique et écologique.

Nos territoires et nos habitants sont en première ligne. Pourtant, les collectivités territoriales sont souvent reléguées au second plan. Je ne compte plus les maires de Moselle qui se plaignent des éoliennes : nuisances sonores, pollution visuelle, artificialisation des sols, pour un rendement négligeable. Mais certains sont obligés d'accepter leur implantation, car elles rapportent bien plus que la DGF.

Sans l'intervention du Sénat, l'application du ZAN aurait été catastrophique. Comment le texte initial a-t-il pu ne pas tenir compte des plaintes des territoires ? Comment le Gouvernement compte-t-il associer davantage les élus dans la planification écologique ? (MM. Olivier Paccaud et François Bonhomme applaudissent.)

M. Christophe Béchu, ministre.  - C'est une question que se posent tous les gouvernements. Toute commune veut aussi mieux associer les citoyens.

M. Laurent Burgoa.  - Par l'élection !

M. Christophe Béchu, ministre.  - Les COP permettent d'écouter le terrain.

Nous avons ajusté le ZAN grâce au texte issu du Sénat. (M. Olivier Paccaud approuve.) J'écoute les collectivités. C'est pourquoi je n'ai pas généralisé l'obligation des consignes pour les bouteilles en plastique, car certaines collectivités sont déjà très avancées dans le recyclage.

Réfléchissons avant de voter des textes. C'est le sens de la disparition des appels à projets et des appels à manifestation d'intérêt du fonds vert. C'est aussi le sens des décrets sur le ZAN, pour lesquels nous avons attendu l'avis de l'AMF.

Mme Catherine Belrhiti.  - Faire de la planification écologique sans tenir compte des particularités des territoires serait une erreur.

M. Christophe Béchu, ministre.  - Vous avez raison.

M. Michaël Weber .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La biodiversité fait l'objet d'une juxtaposition de textes dans le code de l'environnement. Or la principale cause de son érosion réside dans l'étalement urbain, l'agriculture intensive, la fragmentation des habitats...

La politique d'aménagement du territoire est un échec. Malgré la multiplication des schémas, jusqu'au ZAN, l'artificialisation a progressé. Pourtant, des outils fonctionnent : l'Office français de la biodiversité est un succès, de même que les agences régionales de la biodiversité et les aires protégées, entre autres.

Nos outils privilégient le maintien de la biodiversité : mais comment la reconquérir ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Je connais votre attachement à la biodiversité et aux parcs naturels régionaux.

Les aménités sont une demande des territoires ruraux, qui sont responsables des plus grands espaces de notre territoire. Une première dotation de 100 millions d'euros est prévue.

La semaine prochaine, je présenterai la SNB avec Sarah El Haïry. Des moyens sont prévus dans le projet de loi de finances pour la restauration et la reconquête de la biodiversité, sachant qu'une espèce sur huit est menacée...

Notre politique de l'eau est cruciale. Notre plan Eau s'est concentré sur la quantité, mais le défi est celui de la qualité : seules 44 % des masses d'eau sont en bon état écologique. Nous prévoyons 475 millions d'euros supplémentaires pour les agences de l'eau pour leur permettre de changer de braquet.

M. Michaël Weber.  - Les 100 millions d'euros doivent être salués. Nous devons entrer dans un processus vertueux. Comptez sur moi pour faire des propositions.

Mme Sabine Drexler .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Il y a un mois, avec Mathieu Darnaud et Christian Klinger, nous avons rencontré plus de 200 élus du Haut-Rhin pour connaître leurs difficultés. Ils ne sont pas tous mobilisés sur l'objectif de la planification écologique ! Beaucoup d'entre eux demandent plus de décentralisation et de déconcentration, et déplorent des politiques injonctives et inapplicables. Alors que vous prônez la coopération, ils craignent que les préfets ne gardent la main.

Oui, il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre, préserver la biodiversité et réduire l'impact du changement climatique, mais de nombreux services y travaillent déjà. Pourquoi ajouter une énième couche ?

Alors que la SNBC compte sur l'investissement massif des collectivités, celles-ci nous interrogent sur les moyens alloués. Comment convaincre et mobiliser ces élus ?

M. Christophe Béchu, ministre.  - Vous m'avez surpris : je pensais que vous alliez m'interroger sur la rénovation énergétique et les architectes des bâtiments de France... (Sourires)

Il n'y aura pas d'injonction préfectorale, c'est l'inverse ! On ne définit pas les bons schémas de mobilité depuis Paris : cela n'a pas de sens de créer des services express régionaux métropolitains dans des régions peu denses ! Vous pouvez faire tous les plans vélos imaginables, il faut un maire pour construire une piste cyclable sécurisée. C'est l'addition des actions des territoires dans leur diversité qui nous permettra d'atteindre l'objectif.

Venez demain à 12 h 30 sur le stand du ministère au Salon des Maires pour la signature de la charte entre l'ANCT, l'Agence nationale de l'habitat (Anah), le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) et la Banque des territoires. Depuis la loi 3DS, le préfet est le patron de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) au niveau local : de même, nous simplifions.

Mme Else Joseph .  - Il faut aider les collectivités. Les Scot en cours de réécriture prennent en compte l'application du ZAN. Réfléchissons aux conséquences de tout ce qui est demandé, sous couvert de générosité, dans les multiples schémas. Nos collectivités sont déjà sous pression.

Il faut réfléchir à des instruments incitatifs et non coercitifs. De la planification à l'obligation, il n'y a pas loin...

Dotées de peu de moyens, les collectivités territoriales doivent être accompagnées, notamment en ingénierie. N'oublions pas la réalité de terrain. Certaines consultent déjà leurs citoyens sur la révision des plans locaux d'urbanisme (PLU) ou des PCAET.

Oui à une écologie de l'accompagnement et de l'encouragement. Nous n'avons pas besoin d'un ZAN bis. Il faut de la confiance.

J'attends une réponse sur le projet de forêt primaire dans les Ardennes.

M. Christophe Béchu, ministre.  - Vous faites probablement référence au projet de Francis Hallé de 70 000 hectares dans les Ardennes : rien ne se fera sans les élus locaux.

Je n'ai pas spécialement envie de faire un ZAN bis. Faisons déjà celui-là, en le simplifiant.

Quand j'étais président de communauté urbaine, j'ai associé tous les habitants de tous les territoires. Nous avons pris toutes les idées de toutes les listes. Ces mille idées sont devenues 154 propositions concrètes, distribuées dans toutes les boîtes aux lettres de l'agglomération angevine. Onze mille foyers ont répondu à notre questionnaire. Les propositions ayant obtenu plus de 50 % des votes ont fait l'objet d'une planification par la collectivité.

Voilà l'écologie à laquelle je crois, qui associe les habitants et sort des postures. C'est le chemin sur lequel nous devons avancer, avec les Français et avec les collectivités.

M. Didier Mandelli .  - Pardon de mon retard, j'étais en audition sur le projet d'aéroport de Notre-Dame des Landes. (M. le Ministre s'exclame.) De Nantes, plutôt...

La déclinaison territoriale de la planification écologique doit aboutir, via l'organisation de COP régionales, à une feuille de route régionale d'ici 2030. De nombreuses collectivités sont engagées dans des démarches vertueuses comme Agenda 21, PCAET, etc. Elles sont méritantes et exemplaires. Leurs dépenses s'élèvent à 275 milliards d'euros, dont 70 milliards d'investissements, avec 6 milliards d'aides de l'État.

La circulaire de la Première ministre évoque un soutien à l'ingénierie, sans en préciser les contours. Or pour atteindre les objectifs de la SNBC, il faudrait 12 milliards d'euros par an.

Seriez-vous favorable à l'écoconditionnalité des aides de l'État, véritable levier de la transition ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Christophe Béchu, ministre.  - J'attendais ce moment... (Sourires)

Je crois à l'écoconditionnalité pour favoriser ce qui est vertueux et écarter ce qui ne l'est pas. C'est ce que le Sénat a fait dans le cadre de la loi sur l'industrie verte, en favorisant les circuits courts, notamment pour les voitures électriques : évitons de subventionner des importations en provenance de Chine. Pour la forêt française, nous voulons éviter les coupes rases d'opportunité qui nuisent à la biodiversité. Autre exemple d'écoconditionnalité : demain après-midi, au Salon des maires, les cinquante entreprises les plus polluantes de France s'engageront.

Mais attention à ne pas construire d'usine à gaz, avec critères trop précis. Quand on n'est pas sûr, mieux vaut se donner un peu de temps.

M. Didier Mandelli.  - Je pensais à la DETR, dont 15 % seulement est fléché vers des projets environnementaux, mais aussi à la DSIL. Ce serait un nouveau paradigme, mais le signal serait très fort.

M. Christophe Béchu, ministre.  - La première étape, ce sont les budgets verts. Mais j'y vois une limite : on peut discuter de l'urgence écologique de certains projets. Les élus locaux défendent des projets multiples, avec des priorités sociales, associatives, etc.

Nous devrons aller au-delà des 15 %, mais je ne suis pas favorable à un dispositif totalement écoconditionné.

M. Franck Montaugé, pour le groupe SER .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je remercie les collègues qui ont participé à ce débat.

La transition écologique et énergétique est le cadre d'action des collectivités territoriales et notre horizon commun.

Les collectivités devront augmenter leurs investissements. L'État a mis beaucoup de temps pour formaliser cette planification, mais je salue le travail du SGPE. Beaucoup reste à faire.

Les collectivités devront avoir une capacité financière suffisante pour mener à terme les projets et mobiliser plusieurs leviers : recours à l'emprunt à des niveaux inhabituels, réorientation de leurs investissements, augmentation de leurs ressources propres et hypothétiques aides de l'État.

Il ne faut pas se mentir : le mur des investissements obligera à reconsidérer l'équilibre financier issu de la décentralisation. On ne passera pas facilement de 55 à 80 milliards d'euros d'investissement.

Le niveau d'endettement est très variable selon les collectivités. Certaines ne pourront pas emprunter davantage. De plus, elles devront arbitrer entre des actions en faveur du climat et les autres dépenses.

Redresser les comptes publics n'exonère pas l'État d'aider les collectivités territoriales. Il faut trouver des économies et des ressources, tout en améliorant les services publics.

L'indexation de la DGF sur l'inflation, non prévue, et la pérennisation du fonds vert ne suffiront pas à résoudre l'équation financière. L'encours de dette des collectivités augmentera de plus de 77 milliards en 2030 par rapport à 2022.

Notre système de fiscalité locale est-il adapté à ce défi ? Non.

Le plan de stabilité présenté à la Commission européenne et la loi de programmation des finances publiques 2023-2030 devraient s'aligner sur les besoins des collectivités territoriales : or ce n'est pas le cas.

Le Gouvernement connaît-il le montant des investissements nécessaires ? J'en doute. Pourquoi ne pas mobiliser M. Pisani-Ferry pour expertiser cette question ?

Une loi de programmation pluriannuelle des finances publiques, que nous appelons de nos voeux, clarifierait ce point.

Les outils ne doivent pas devenir facteurs de complexité. Les collectivités territoriales ont besoin d'un accompagnement opérationnel, de l'ingénierie à la maîtrise d'ouvrage et à l'évaluation. Le dialogue avec l'État doit être réinventé.

La réussite de la transition écologique passera par des moyens adaptés et par une refonte de la gestion de projets par l'État.

Mme la présidente.  - Veuillez conclure.

M. Franck Montaugé.  - L'amélioration du pouvoir de vivre des plus modestes devra aussi être conjuguée avec l'action climatique d'intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Situation des finances publiques locales

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le rapport sur la situation des finances publiques locales remis en application de l'article 52 de la loi organique relative aux lois de finances à la demande de la commission des finances.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances .  - Je me réjouis de la tenue d'un second débat sur les finances publiques locales au Sénat, en amont du projet de loi de finances (PLF). C'est là l'une des avancées de la réforme de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf).

Ces échanges doivent aboutir à un diagnostic commun sur la situation financière des collectivités territoriales. Nous devons leur proposer des solutions concrètes.

Cela suppose d'abandonner les postures stériles, comme celle présentant les collectivités comme dispendieuses et irresponsables. En réalité, leur solde est chaque année peu ou prou à l'équilibre. Leur dette ne représente que 8 % de la dette publique, soit 0,3 % du PIB. Celle de l'État, c'est dix-sept fois plus ! Les collectivités territoriales n'empruntent que pour investir. Elles sont bien gérées et ne sont pas responsables de l'endettement public.

M. André Reichardt.  - Très bien.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Malgré cela, le Gouvernement leur demande une baisse de 0,5 % de leurs dépenses. Le Sénat est las d'un gouvernement qui demande des efforts aux collectivités et qui supprime les impôts des autres.

Je me réjouis que le Sénat ait obtenu l'abandon des pactes dits de confiance, après les contrats de Cahors de sinistre mémoire. Les collectivités ont démontré le sérieux de leur gestion : elles continueront de le faire, car elles sont responsables de l'efficacité des services publics locaux devant leurs électeurs. Elles n'ont pas besoin de ces usines à gaz technocratiques attentatoires au principe de libre administration.

J'espère que M. le ministre ne nous racontera pas que leur situation serait globalement favorable et que le Gouvernement serait le seul à se soucier de celles qui seraient dans le besoin... Ce discours convenu ne reflète pas la réalité. Bien maigre est le soutien apporté à la quinzaine de départements confrontés à une impasse financière, du fait notamment de l'effondrement des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Je proposerai dans le cadre du PLF une dotation exceptionnelle de 100 millions d'euros pour leur venir en aide. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Laurent Burgoa.  - Très bien !

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Les départements ont besoin d'une réponse structurelle, dans le contexte lié à la perte de la taxe foncière. Le Gouvernement doit se saisir de cette question. Pour sa part, le Sénat a fait des propositions, notamment dans le cadre du groupe de travail sur la décentralisation présidé par Gérard Larcher.

Le discours sur la situation globalement favorable des collectivités territoriales ne reflète pas la réalité. (M. Thomas Cazenave le conteste.) Les collectivités ne sont pas des lignes sur un tableur !

Transition écologique, cohésion sociale et territoriale : les collectivités font face à un mur d'investissements. Dans leur rapport, Stéphane Sautarel et Hervé Maurey ont évalué à 110 milliards d'euros à l'horizon 2030 l'investissement nécessaire dans les transports du quotidien pour atteindre nos objectifs de baisse d'émissions. La commission des finances proposera lors du PLF un levier de financement pérenne : l'affectation aux autorités organisatrices de transport d'une fraction du produit de la mise aux enchères des quotas carbone. Nous proposerons aussi de consacrer une partie de la taxe sur les autoroutes que le Gouvernement veut instaurer à l'indispensable remise en état de notre réseau routier.

L'architecture globale du financement des collectivités est devenue illisible et inefficace. Le chantier prioritaire est la réforme de la DGF : quand allez-vous vous y atteler ? (M. Bruno Belin renchérit.) Vous nous trouverez à vos côtés pour bâtir un système plus simple et plus juste. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Christian Bilhac applaudit également.)

M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics .  - Alors que le Congrès des maires bat son plein, je salue le travail des élus locaux qui s'engagent au quotidien pour les Français ; ils peuvent compter sur le Gouvernement pour travailler avec eux au service de l'intérêt général.

Permettez-moi de partager avec vous quelques faits, pour que nous nous accordions sur un constat commun.

À la fin de l'année dernière, la Cour des comptes a estimé que la situation financière des collectivités territoriales était globalement satisfaisante : épargne supérieure de 9 milliards d'euros à son niveau de 2017, capacité de remboursement en hausse, nombre de communes en difficulté en baisse de 23 % par rapport à 2019.

M. Olivier Paccaud.  - Tout va très bien...

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Je suis donc surpris par les propos alarmistes et sans nuances que j'entends parfois. (M. Franck Montaugé s'exclame.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Pas ici !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Je n'ignore pas que des élus ont du mal à boucler leurs budgets. (On ironise à droite.) Je souhaite que le rapport sur les finances locales s'enrichisse l'année prochaine d'une analyse de la diversité des situations, en vue de construire des diagnostics partagés.

L'État et les collectivités territoriales doivent avoir des cadres pour échanger - je pense notamment au Haut Conseil des finances publiques locales. Ne laissons pas prospérer l'idée que l'État étranglerait financièrement les communes !

Leur bonne situation financière est d'abord le fait des élus locaux. Elle résulte aussi de la politique constante de soutien menée depuis 2017. Nous avons compensé la réforme des financements à l'euro près et par des recettes dynamiques. La Cour des comptes estime que la compensation de la suppression de la taxe d'habitation et de la CVAE s'est traduite par 6 milliards d'euros de recettes supplémentaires. Les bases locatives ont été indexées sur l'inflation, ce qui contribue au dynamisme des recettes.

Après cinq années de baisse, la DGF a été stabilisée en 2017, puis augmentée par deux fois.

M. Bruno Belin.  - C'est l'effet de la démographie !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Durant la crise sanitaire, 10 milliards d'euros de soutien ont été accordés aux collectivités. Quant au bouclier tarifaire,...

Plusieurs voix à droite.  - Les communes doivent le rembourser !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - ... il a bénéficié à 2 426 communes.

M. André Reichardt.  - Vous en aviez annoncé 25 000...

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - En 2023, l'épargne brute du bloc communal a ainsi continué de progresser.

La situation est moins bonne pour les départements, affectés par la baisse des DMTO.

M. Bruno Belin.  - Et la hausse des dépenses sociales !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Rappelons toutefois que ceux-ci avaient doublé en dix ans. La Première ministre a annoncé une aide de 230 millions d'euros pour les départements les plus fragiles.

Nous traçons un chemin de baisse progressive du déficit public, afin de le ramener sous les 3 % du PIB d'ici à 2027, comme nous y étions parvenus avant la crise sanitaire. Il est légitime que les collectivités contribuent à cet effort collectif (vives exclamations à droite et sur certaines travées à gauche), comme les opérateurs de sécurité sociale et l'État. L'État les a massivement protégées depuis 2020, et s'est endetté pour cela. Cet effort ne consiste au demeurant qu'à modérer la progression des dépenses de fonctionnement.

Nous devons inventer une méthode nouvelle pour identifier les économies qui bénéficieront à tous. Bien entendu, le Sénat sera associé à ce travail : qui mieux que lui peut réfléchir au financement des collectivités territoriales ?

Le redressement de nos finances publiques est une nécessité, et nous avons collectivement des marges de progression. Commençons par nous pencher sur la complexité de nos organisations : elle nous coûte cher. Je salue le travail de Françoise Gatel à cet égard.

En 2024, nous voulons réduire le déficit - une première étape. Le PLF n'en est pas moins favorable aux collectivités territoriales, dont nous voulons soutenir l'investissement. Le fonds vert est ainsi porté à 2,5 milliards d'euros. Le plan France Ruralité permettra d'améliorer l'ingénierie dans les départements. S'agissant des zones de revitalisation rurale (ZRR), à la lumière des travaux de M. Delcros, Mme Espagnac et M. Pointereau, je suis favorable à une extension du zonage pour inclure un plus grand nombre de communes. Entre la DGF, le fonds biodiversité et le FCTVA, les concours financiers aux collectivités augmenteront de plus de 1 milliard d'euros.

Les communes nouvelles doivent être encouragées : aucune ne doit perdre en DGF. Enfin, la décorrélation de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires et de la taxe foncière était attendue.

Nous avons de nombreux chantiers devant nous, à commencer par la réforme de la DGF. Nous ne gagnons jamais à opposer l'État et les collectivités territoriales. Le dialogue est la seule méthode qui marche. Vous pouvez compter sur ma détermination à faire avancer le débat et à trouver des solutions au service des Français.

Mme Marie-Claude Lermytte .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Voilà plusieurs années que les finances des collectivités sont sous pression. La DGF a baissé durant cinq ans, puis a été stabilisée et légèrement réaugmentée. Mais c'est insuffisant face à la hausse des coûts, notamment de l'inflation.

Le filet de sécurité a permis de faire face à l'urgence. Toutefois, les critères retenus sont trop complexes. Beaucoup d'élus qui ont cru pouvoir en bénéficier se trouvent dans l'obligation de rembourser l'acompte reçu. Dans le Nord, Crochte, Saint-Pierre-Brouck, Wemaers-Cappel, Zuydcoote ou Ghyvelde sont concernées.

Leur situation est alarmante, et les élus parlent de perte de confiance ; il faut les comprendre. Qu'entend faire le Gouvernement pour restaurer la confiance ? (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains)

M. André Reichardt.  - Très bien !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Nous avons augmenté la DGF à deux reprises : cela va dans le sens d'une relation de confiance. Nous devons aussi veiller à maîtriser nos finances publiques, c'est un équilibre permanent.

Le filet de sécurité 2022 a été bâti selon des critères transpartisans et connus des élus. Sur ces bases, les communes ont pu recevoir des acomptes. La situation est finalement meilleure qu'anticipée, notamment parce que les prix de l'électricité ont baissé.

Nous accompagnerons les communes concernées en lissant le remboursement des acomptes. Annuler le remboursement romprait l'égalité entre celles qui en ont demandé et les autres. J'ai transmis aux directions des finances publiques des consignes de grande souplesse.

Mme Céline Brulin.  - Ce n'est pas ce qui se passe sur le terrain !

Mme Marie-Claude Lermytte.  - Ma collègue a raison : sur le terrain, les choses ne sont pas aussi simples. (On renchérit à droite.)

M. Hervé Maurey .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Quoi qu'en dise le ministre, le mandat municipal en cours est rude pour les élus. Conséquences de la crise sanitaire, inflation galopante, double revalorisation du point d'indice : les finances locales sont mises à mal du fait de compensations insuffisantes.

Le filet de sécurité concernera moins de 2 500 communes. Pis, de nombreuses communes ayant reçu un acompte doivent le rembourser...

Alors que l'augmentation annuelle des dépenses de fonctionnement est supérieure à 5 %, allez-vous prendre des mesures pour aider réellement les communes ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Olivier Paccaud.  - Analyse lucide !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Je me fonde sur les travaux de la Cour des comptes. (Exclamations à droite)

M. Laurent Burgoa.  - Nous parlons de la réalité !

M. Olivier Paccaud.  - Allez sur le terrain, dans la vraie vie !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - On ne peut pas dire qu'il y a la réalité d'un côté, les rapports de la Cour des comptes de l'autre.

M. Olivier Paccaud. - Et pourtant, si !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - La situation des finances locales est meilleure en novembre 2023 qu'en novembre 2022. Le bloc communal est la strate qui a le mieux résisté.

Les crédits prévus pour le filet de sécurité ont bien été consommés, de manière concentrée sur un nombre plus réduit de communes : c'est un effet automatique de l'amélioration de la situation.

Je suis prêt à travailler à une réforme de la DGF, mais, de grâce, mettons-nous d'accord sur un diagnostic conjoint !

M. Hervé Maurey.  - Votre propos liminaire m'a stupéfié ; je ne suis pas déçu par votre réponse... Venez avec moi sur le terrain pour rencontrer les maires ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Thomas Cazenave s'exclame.)

Le comité des finances publiques a dit qu'il manquerait 1 milliard d'euros pour les communes l'année prochaine. Qui décide paie : cessez de prendre des mesures dont vous faites peser le financement sur les communes ! (Applaudissements sur les travées des groupeUC et Les Républicains ; M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)

M. Grégory Blanc .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Dans votre réponse au rapporteur général, monsieur le ministre, vous avez souligné le bon état des finances locales en 2022 et les difficultés de nombreuses collectivités territoriales en 2023 - légitimement dans les deux cas.

Ce que vous n'avez pas dit, c'est que les collectivités territoriales sont confrontées à des hausses de dépenses, un maintien relatif des dotations et un retournement des cycles des DMTO et de la TICPE. C'est le triple effet kiss cool...

Vous ne dites pas non plus que la transition écologique nécessitera des moyens considérables ; l'I4CE et La Banque postale évaluent à 77 milliards d'euros d'ici 2030 les investissements nécessaires pour respecter notre stratégie bas-carbone.

Vous ne dites pas davantage qu'il faut repenser la fiscalité locale, y compris en modulant l'impôt au regard de l'enjeu environnemental.

Comment comptez-vous faire évoluer la fiscalité locale pour répondre aux enjeux de transition écologique ? (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Je partage votre volonté de garantir le financement de la transition écologique. Les collectivités assurent 70 % des investissements civils : elles sont au coeur de la planification écologique.

Le fonds vert sera doté de 2,5 milliards d'euros, un effort inédit. Plus largement, nous devons rassembler les financements, de l'État, des collectivités, de la Caisse des dépôts, des certificats d'économies d'énergie et de la responsabilité élargie des producteurs. Dans cet esprit, nous présenterons au Parlement au printemps prochain la première stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique.

M. Grégory Blanc.  - Je m'étonne que, alors que la priorité est de clarifier les finances locales, vous demandiez un rapport sur les compétences. Vous prenez le problème à l'envers.

M. Ian Brossat .  - Le Gouvernement répète sur tous les tons que les finances locales se portent au mieux. Il le disait en 2017 des bailleurs sociaux, qu'il a largement ponctionnés. Résultat : on n'a jamais construit aussi peu de logements.

M. Bruno Belin.  - Exact !

M. Ian Brossat.  - Les services publics locaux craquent de partout. Les dotations ont baissé de 15 milliards d'euros depuis 2012. Nos communes, sentinelles de la démocratie, sont fragilisées.

Pourtant, chaque fois que l'exécutif est en difficulté, c'est vers les maires qu'il se retourne : quel paradoxe !

Allez-vous donner enfin au service public local les moyens de fonctionner correctement, notamment en indexant la DGF sur l'inflation ?

M. André Reichardt.  - Bonne question !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Vous évoquez une baisse de la DGF de 15 milliards d'euros depuis 2012. Elle n'est pas imputable à notre majorité, puisque, depuis 2017, nous l'avons stabilisée, puis augmentée à deux reprises. Nous avons tout fait pour restaurer la confiance avec les collectivités territoriales.

On évoque souvent le dynamisme des dépenses des collectivités territoriales, mais les recettes ne sont pas moins dynamiques : les recettes de fonctionnement du bloc communal ont augmenté de 9 % cette année ! Il n'y a pas d'étranglement du bloc communal, ayons l'honnêteté de le dire. La baisse des DMTO porte préjudice aux départements, mais les communes se portent bien.

M. Christian Bilhac .  - Comme vous, je rencontre régulièrement les maires de mon département. Peu à peu, nous avons installé dans l'esprit de nos concitoyens que la sécurité leur incombait, alors qu'il s'agit d'une compétence de l'État.

Les communes doivent consacrer à la sécurité des moyens croissants, compte tenu du désengagement de l'État : installation de caméras de vidéosurveillance, recrutement de policiers municipaux. Les polices municipales remplissent des missions de plus en plus larges pour pallier les carences de l'État.

L'État va-t-il se donner les moyens d'assurer sa mission régalienne de garantir la sécurité des Français ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - La sécurité et la tranquillité publiques sont l'affaire commune de l'État et des maires. (M. Christian Bilhac le conteste vigoureusement.) Je crois au continuum de sécurité, à la coopération entre la police nationale et les polices municipales et aux contrats de sécurité intégrée.

État et communes ont des responsabilités différentes, mais complémentaires. Un maire ne peut se désintéresser de la tranquillité publique, compétence ancienne.

Le PLF prévoit un effort supplémentaire pour le recrutement de policiers nationaux partout sur nos territoires.

M. Christian Bilhac.  - Ne mélangeons pas tout. La sécurité est l'affaire de l'État. Ce qui est l'affaire des maires, c'est la tranquillité publique, pas la lutte contre la délinquance ou le trafic de drogue ! Aujourd'hui, les maires pallient les carences de l'État, qui, par exemple, ne prend plus en charge les caméras de vidéosurveillance. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Victorin Lurel. - Absolument !

Mme Nadège Havet .  - La Lolf prévoit un rapport sur les finances locales annexé au projet de loi de finances initial. Ce rapport dresse un état des lieux des budgets locaux, des transferts de l'État et de la péréquation.

Les transferts sont en progression depuis 2018. L'augmentation sera l'année prochaine de plus de 1,15 milliard d'euros.

Le PLF pour 2024 prévoit plus de 7 milliards d'euros supplémentaires de dépenses favorables à l'environnement. Les collectivités aussi prendront toute leur part pour relever le défi du siècle, mais cet engagement suppose des investissements inscrits dans le temps et des ressources propres dédiées. Dans le même temps, la démarche des budgets verts locaux doit être précisée.

Quel cadre d'équilibre financier prévoyez-vous pour une planification écologique territoriale réussie ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Réussir la transition écologique, c'est le chantier du siècle.

Première étape, le PLF pour 2024 augmente de 10 milliards d'euros les dépenses qui y sont consacrées. Mais il n'y aura pas de transition écologique sans les investissements des collectivités territoriales. C'est pourquoi nous augmentons le fonds vert, pour accompagner la renaturation, la rénovation de l'éclairage public ou des réseaux d'eau.

La stratégie de financement des collectivités doit jouer sur plusieurs leviers. Le rapport d'I4CE mentionne les dotations de l'État, mais aussi la capacité des collectivités à dégager des ressources propres et à réorienter leurs dépenses. Nous devons nous doter d'une boussole commune avec les budgets verts. L'endettement local est aussi un levier d'action.

Nous présenterons en juin prochain le premier rapport sur le financement pluriannuel de la transition écologique.

Mme Isabelle Briquet .  - Alors que l'État compte sur les collectivités pour relever le défi de la transition écologique, il doit tenir ses engagements et accompagner les acteurs locaux.

La suppression du fonds de soutien au développement des activités périscolaires (FSDAP), qui bénéficie aux communes ayant adopté la semaine de quatre jours et demi, est une erreur. Les communes concernées sont certes moins nombreuses, mais cela ne justifie pas de compromettre les programmes périscolaires.

Garantissons la poursuite d'activités dont la valeur pédagogique n'est plus à démontrer. L'État doit continuer à accompagner les communes pour garantir la qualité de l'offre périscolaire. (M. Christian Bilhac applaudit.)

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Le FSDAP s'adapte au nombre de communes concernées. Sa suppression a été envisagée, mais la Première ministre a annoncé sa prolongation, afin d'approfondir la concertation avec les associations d'élus. Je vous confirme le maintien de ce dispositif pour l'année qui vient.

M. Olivier Paccaud.  - Sage décision !

Mme Isabelle Briquet.  - Ce fonds correspond à la mise en oeuvre d'une réforme voulue par l'État. La question se reposera donc l'année prochaine.

M. Stéphane Sautarel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie notre rapporteur général d'avoir pris l'initiative de ce débat durant le Congrès des maires.

La situation financière des collectivités territoriales dans le contexte de la reprise post-pandémie est très contrastée ; il faut plus que jamais sanctuariser la péréquation. La situation se dégrade rapidement sous l'effet de l'inflation, de la hausse du point d'indice et de la baisse des recettes fiscales. L'année 2024 sera compliquée, alors anticipons !

Les départements sont de nouveau confrontés à un effet ciseau délétère, en raison de la décorrélation entre leurs ressources et leurs compétences.

L'autofinancement des collectivités est en grand danger ; c'est le vrai sujet. Alors qu'elles ont un rôle décisif à jouer, notamment pour réussir la transition écologique, ne prenez pas le risque de casser le moteur social de proximité. Allez-vous leur donner de la liberté et de la lisibilité ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Christian Bilhac applaudit également.)

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Nous suivons avec attention la situation du bloc communal. Le nombre de communes en difficulté baisse, grâce à la bonne gestion des élus locaux et au dynamisme des recettes.

S'agissant de la liberté d'action, je suis très favorable à un nouvel acte de décentralisation qui clarifie les responsabilités, comme le Président de la République l'a évoqué dans le cadre des rencontres de Saint-Denis. L'entremêlement actuel des compétences nuit à la responsabilité des élus. Allons vers une décentralisation de clarté.

M. Jean-Marie Mizzon .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Vous avez raison d'insister : la DGF a baissé pendant dix ans. En 2022 et 2023, elle a augmenté, mais moitié moins que l'inflation. Le compte n'y est pas.

Les collectivités territoriales doivent faire face à un mur d'investissements. On a parlé du rapport Maurey-Sautarel sur la mobilité. J'évoquerai la rénovation du bâti scolaire : d'après Mme Faure, il faudra 55 milliards d'euros d'ici à 2030 pour atteindre le premier palier défini par le décret tertiaire. Des aides sont-elles prévues pour les collectivités ? Non, hormis le fonds vert, qui n'est pas extensible à l'infini...

Les aides forment un maquis, quand elles existent - mais pour la voirie, par exemple, il n'y en a presque plus. Allez-vous prévoir une aide digne de ce nom ? La voirie n'est pas un investissement dépassé !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - La DGF représente en moyenne 20 % des recettes des communes. Je le répète, les recettes de fonctionnement du bloc communal ont augmenté cette année de 9 %.

M. Jean-Marie Mizzon.  - Grâce aux économies !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Sans doute, mais aussi grâce au dynamisme de la taxe foncière, lié à la revalorisation de 7 % des bases. Nous avons résisté à la volonté de certains groupes politiques de plafonner l'évolution des bases à 3,5 % : c'est une protection majeure des ressources des collectivités territoriales.

Oui, le bâti scolaire est un chantier considérable pour les mairies, le personnel et nos enfants. La Caisse des dépôts et consignations a lancé un programme spécifique, EduRénov. Le fonds vert peut intervenir aussi, de même que le tiers financement. Nous avons enrichi l'arsenal au service des collectivités.

Quant à la voirie, elle relève de la responsabilité des départements. Nous réfléchirons à des dispositifs de secours.

Mme Frédérique Espagnac .  - Le filet de sécurité devait aider les communes les plus en difficulté à faire face aux augmentations des coûts de l'énergie. L'Association des petites villes de France (APVF) dénonce la demande de remboursement de l'acompte, alors que les maires ont été sollicités directement par les services de l'État pour le demander. Les maires sont de bonne foi, il y a eu défaillance des services préfectoraux.

Il faut étaler le remboursement autant que possible et prolonger l'amortisseur électricité, ainsi qu'une forme ciblée de filet de sécurité, car les collectivités ont de plus en plus de mal à faire face à l'augmentation de leurs charges. (Applaudissements sur des travées du groupe SER)

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Je sais que vous êtes interpellés par les élus. Un peu plus de 3 000 communes doivent rembourser un acompte.

Il n'y a pas eu défaillance des services de l'État. Le Parlement a voté des critères. Nous avons prévu la possibilité d'un acompte, en fonction des prévisions. Bonne nouvelle, la situation des collectivités est meilleure que prévu, car les prix de l'énergie sont plus faibles.

Comment gérer correctement les finances publiques si nous devions annuler des acomptes versés ? Ce serait, en outre, une rupture d'égalité. J'ai transmis aux services fiscaux une consigne de grande souplesse pour les étalements. Je souhaite que nous fassions du « cousu main » pour chaque commune. (M. Christian Bilhac s'en félicite.) N'hésitez pas à solliciter localement les directions des finances publiques.

Enfin, l'amortisseur électricité sera bien prolongé l'année prochaine pour les collectivités ayant signé des contrats au plus fort de la crise.

Mme Frédérique Espagnac.  - Les collectivités territoriales sont volontaires pour relever bien des défis, mais attendent un dialogue équilibré et fiable avec l'État. Alors que s'ouvre le Congrès des maires, je m'inquiète du nombre de démissions d'élus. Ils ont le sentiment de ne plus avoir les moyens de remplir leur mission. Il faut endiguer ce malaise et prévenir la crise des vocations en 2026 - ce qui passe aussi par la création d'un statut de l'élu. (Applaudissements sur des travées du groupe SER)

M. Jean-Raymond Hugonet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce volumineux rapport (L'orateur brandit le document) illustre à merveille le mal profond de notre pays. Il manifeste le décalage entre la théorie et la pratique, entre le verbe et la réalité. Les dynamiques sont historiques, les péréquations veillent sur nous... Encore un effort, et ce sera la félicité ! (Sourires et marques d'ironie à droite)

Mais la triste réalité, c'est que l'autonomie financière des collectivités territoriale est devenue une coquille vide. En vingt ans, le modèle de décentralisation à la française a perdu sa pertinence avec la tendance à la recentralisation et la restriction des financements.

Réconcilier pouvoir local et pouvoir central serait une oeuvre historique : y êtes-vous prêt ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Il n'y a pas de libre administration des collectivités territoriales sans autonomie financière.

Je rends hommage aux rédacteurs de ce volumineux rapport, qui ont oeuvré pour la bonne information de la représentation nationale. On y apprend que l'autonomie financière des communes est passée de 61 % en 2003 à 71 % aujourd'hui ; pour les départements, de 58 à 75 % et pour les régions, de 41 à 74 %.

L'autonomie financière a ainsi fortement progressé. Certes, l'autonomie fiscale, elle, s'est réduite. (M. Victorin Lurel s'en émeut.) Mais ce qui est garanti par la Constitution, c'est la capacité à mettre en oeuvre librement une politique, soit l'autonomie financière.

M. Jean-Raymond Hugonet.  - Nous ne nous rejoignons pas du tout, et c'est grave. La réalité des chiffres indiqués n'est pas celle que nous vivons : nous sommes sous perfusion, et cette perfusion se ferme. Entendez la réalité vécue par les maires ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Victorin Lurel .  - Je vais vous faire faire une traversée transocéanique... (M. Thomas Cazenave sourit.) Depuis quelques mois, une obsession hante les outre-mer : la réforme de l'octroi de mer. Depuis que le Gouvernement a annoncé une réforme en profondeur de cette taxe, les élus ne sont pas tranquilles. Ils craignent des surprises.

L'octroi de mer, c'est 1,6 milliard d'euros pour cinq collectivités d'outre-mer et 35 % à 45 % de leurs ressources.

Les rumeurs vont bon train. Quelles sont vos intentions, vos pistes ? Cette taxe sera-t-elle réservée uniquement aux importations n'ayant pas de concurrent local, comme le suggérait Bruno Le Maire ? Allez-vous la remplacer par une TVA recentralisée ? Allez-vous lever le secret fiscal, prévu par la loi de 1950 ? Avez-vous l'intention de compenser la perte de recettes pour les collectivités en taxant les services - ce qui serait contraire à la philosophie et à la nature même de l'octroi de mer ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Le comité interministériel outre-mer de juillet a décidé d'ouvrir ce chantier, avec une garantie claire : les ressources des collectivités territoriales ne seront pas impactées. Je veux tordre le cou aux rumeurs : il n'y aura pas de perte de recettes. La concertation a été lancée ce jeudi par le ministre Philippe Vigier, chacun pourra s'exprimer.

M. Jean-Claude Anglars .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La Cour des comptes a montré que la situation financière des collectivités était moins favorable en 2023 qu'en 2022, en raison de l'inflation, mais aussi de la suppression de la taxe d'habitation et de l'insuffisante compensation de la CVAE.

Quid de leur autonomie financière dans ces conditions ? Le coefficient correcteur, dit « coco », censé compenser le transfert de la taxe foncière aux communes, sanctionne les communes rurales qui reversent plus, en moyenne, que les communes urbaines.

Il est nécessaire de renforcer l'autonomie financière des collectivités territoriales, constitutionnelle depuis 2003. La suppression des impôts territorialisés a conduit à augmenter les transferts financiers de l'État, qui atteignent 36 milliards d'euros. L'autonomie fiscale des collectivités a été réduite au fur et à mesure de vos réformes, qui ont cassé le lien entre fiscalité locale et territoire. À trop poursuivre dans cette voie, on risque d'entraver leur libre administration.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - La suppression de la taxe d'habitation n'a pas eu d'impact sur la situation financière des collectivités, puisque nous l'avons compensée.

Selon la Cour des comptes, les compensations ont représenté 6 milliards d'euros de plus que si les collectivités avaient continué à percevoir directement ces impôts. Leur situation s'est donc bien améliorée - même si la Cour insiste sur les difficultés des départements.

Ne confondons pas autonomie financière et fiscale. L'autonomie fiscale est réduite, mais nous n'avons pas amputé l'autonomie financière des collectivités. C'est un ratio clair que nous suivons.

Peut-on réussir la libre administration sans autonomie fiscale ? Voyez l'exemple allemand : les Länder sont des collectivités très fortes, avec une forte autonomie financière, mais quasiment pas d'autonomie fiscale.

M. Fabien Genet .  - Pour compenser la suppression de la taxe d'habitation, les collectivités ont reçu la part départementale de la taxe foncière. Pour assurer l'équilibre à l'euro près, l'État corrige l'écart en reversant aux communes sous-compensées un montant calculé sur la base d'un coefficient correcteur et prélevé aux communes surcompensées.

En Saône-et-Loire, 316 communes sur 564 reversent ainsi 33 millions d'euros de fiscalité locale à l'État, quand 148 reçoivent 5,7 millions. Belle évaporation ! Étrigny, 465 habitants, voit la moitié de sa fiscalité locale ponctionnée en application du coefficient correcteur ! Les communes rurales ont le sentiment de payer pour les communes urbaines. Bien sûr, nous ne contestons ni la compensation ni la péréquation, mais nous atteignons les limites de l'exercice.

À force d'empiler les réformes de fiscalité locale depuis vingt ans, assorties de différents mécanismes de compensation, plus personne n'y comprend rien !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - En effet, le financement des collectivités territoriales est devenu extrêmement complexe.

M. André Reichardt.  - C'est le moins qu'on puisse dire !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Nous sommes ouverts à ouvrir un chantier de refonte de la DGF. Il est technique, difficile, mais nécessaire.

Le « coco » permet d'assurer la neutralité de la réforme. L'État a rajouté 600 millions d'euros pour assurer l'équilibre global. Le « coco » embarque lui-même la dynamique. La suppression de la taxe d'habitation a été compensée à l'euro près et n'a pas privé les collectivités d'une ressource.

M. Fabien Genet.  - Le « coco » embarque peut-être la dynamique, mais laisse à quai de nombreux contribuables qui ne comprennent pas pourquoi leurs impôts sont reversés à d'autres communes.

Méfiez-vous des effets euphorisants du rapport de la Cour des comptes. Les communes ne vivent pas la même réalité.

M. André Reichardt .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Contraintes à faire toujours plus avec moins, les communes ont du mal à se projeter financièrement. Or les sujets d'inquiétude ne manquent pas : filet de sécurité à rembourser, transferts de compétences non compensés, augmentation du point d'indice du jour au lendemain, entre autres.

La compensation par l'État de l'exonération des parts communale et intercommunale de la taxe foncière sur les propriétés non bâties pour les terrains situés sur un site Natura 2000 devait initialement être de 100 % ; elle est passée à 84 % en 2009 puis à 23 % en 2016. Les communes engagées dans la préservation de la biodiversité sont de facto pénalisées. Certes, des dispositifs de soutien à ces communes ont été créés depuis, mais ils ne compensent pas ces pertes fiscales. Pourquoi toujours complexifier ? Pourquoi ne pas simplement tenir l'engagement initial d'une compensation intégrale par l'État ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Les ressources des communes sont très dynamiques : 8,9 % en novembre 2023, grâce à la taxe foncière, dont les bases ont été revalorisées de 7 %. Les communes peuvent donc absorber des charges tirées à la hausse par l'inflation. L'augmentation du point d'indice compense aussi l'inflation pour les agents publics.

M. André Reichardt.  - Bien sûr.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Les recettes sont-elles suffisamment dynamiques pour compenser les charges ?

M. Fabien Genet.  - La fiscalité, ce n'est pas la taxation.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Quand on regarde les deux, on observe que le bloc local tient bien.

M. André Reichardt.  - Ce n'est pas ce que l'on entend sur le terrain.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Les communes en site Natura 2000 sont éligibles à la dotation biodiversité. En 2020, celle-ci était de 4 millions d'euros ; peut-être cela ne couvrait-il pas l'exonération. Nous l'avons portée à 100 millions d'euros. Regardez les ordres de grandeur ! Je suis preneur de tout exemple de commune qui aurait subi un manque à gagner.

M. Hervé Reynaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La situation des départements n'est pas florissante. Dans la Loire, le reste à charge résultant du transfert du RMI était de 3,2 millions d'euros en 2003, il sera de 58 millions en 2024. Entre 2013 et 2023, la dotation de l'État est passée de 182 à 129 millions d'euros ; la fiscalité directe, de 225 millions d'euros à 48 millions.

Les dépenses de fonctionnement ne cessent d'augmenter. Le produit des impôts diminue en valeur absolue, les DMTO s'effondrent avec le retournement du marché immobilier, tandis que les dépenses, la rémunération des agents, les prestations sociales et les frais financiers augmentent. L'effet ciseau est particulièrement tranchant !

Les dépenses sont structurelles ; les recettes, volatiles et exogènes. La capacité d'investissement des départements se réduit dangereusement alors que les besoins croissent. Le désengagement de l'État, les transferts de compétences non compensés depuis une dizaine d'années rendent la situation intenable.

Sur quels leviers comptez-vous agir ? Réforme de la fiscalité ? Recentralisation de certaines compétences ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Lorsque j'annonce un constat global, on me répond que cela ne correspond pas à la réalité. On ne peut sans cesse remettre en cause les chiffres de la Cour des comptes ! Il nous faut réconcilier nos visions. Je demanderai que le rapport annexé sur la situation des finances locales donne des indicateurs de dispersion sur la situation hétérogène des collectivités.

Nous mesurons les difficultés que traversent les départements avec la baisse des DMTO, qui avaient atteint des niveaux historiques. Certains avaient fait des réserves, d'autres se retrouvent en difficulté. La Première ministre a annoncé un effort de 250 millions d'euros pour leur venir en aide. La mission confiée à Éric Woerth sur un nouvel acte de la décentralisation sera l'occasion d'y revenir.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances .  - Ce débat consacré à la situation des finances publiques locales ouvre l'examen du projet de loi de finances pour 2024, comme le prévoit désormais la loi organique.

Cet exercice est nécessaire, dans un contexte incertain. En 2023 et 2024, le ralentissement économique limitera la progression des recettes des collectivités. Les recettes nettes de TVA progresseraient de 4 % en 2023, soit à un niveau inférieur à l'inflation. Les recettes de TICPE pourraient diminuer sous l'effet d'une moindre consommation de carburant, avec la fin des aides à la pompe. Quant aux recettes des DMTO, elles chuteraient de 20 à 30 %.

En 2022, la Cour des comptes chiffrait à 4,8 milliards d'euros le supplément de recettes. Mais pour 2023, elle table sur une baisse de 2,6 milliards, et de 2,9 milliards en 2024. Le tableau n'est pas si rose !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Cela dépend pour qui.

M. Claude Raynal, président de la commission.  - En parallèle, les charges de fonctionnement augmentent : dépenses d'achat de biens et de services, revalorisation du point d'indice. Idem pour les charges sociales. Le vieillissement de la population expose les départements à une augmentation durable des dépenses en matière d'autonomie, sans oublier la hausse du RSA.

Enfin, les collectivités territoriales font face à un mur d'investissements pour la transition écologique et la modernisation des transports. Elles détiennent un patrimoine bâti de 225 000 bâtiments, contre 100 000 pour l'État : les investissements à réaliser sont colossaux.

Le projet de loi de finances prévoit certaines mesures d'accompagnement : fonds vert, fonds de reconstruction, hausse de la DGF. Seront-elles suffisantes ? J'en doute...

L'enjeu est de fournir des services publics de qualité, de faire face au changement climatique et d'aider les plus fragiles. Or les collectivités n'ont quasiment plus de ressources fiscales propres pour assumer leurs compétences. Dès lors, pour bâtir un budget, les élus ont besoin d'une vision pluriannuelle des dotations de l'État, sur la durée du mandat.

La Cour des comptes a mis ces éléments en exergue. Repensons le financement des collectivités et assurons une prévisibilité de leurs ressources, qui doivent être en adéquation avec leurs missions. Le défi est de taille et le succès ne sera possible que par le dialogue et la confiance retrouvée entre l'État et les élus locaux. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et Les Républicains, et du RDSE)

Échec en CMP

Mme la présidente.  - La commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 n'est pas parvenue à l'adoption d'un texte commun.

La séance est suspendue à 19 h 10.

Présidence de Mme Sophie Primas, vice-présidente

La séance reprend à 21 h 30.

Mise au point au sujet d'un vote

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Lors du scrutin n°56, Mme Cazebonne et moi-même souhaitions nous abstenir.

Acte en est donné.

Partenariats renouvelés entre la France et les pays africains

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, sur les partenariats renouvelés entre la France et les pays africains.

Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Il est important de débattre ici des relations de la France avec les pays africains, priorité de notre politique étrangère. Nous l'avions déjà fait le 6 juin dernier.

Les questionnements suscités par les différentes crises sahéliennes sont également légitimes, j'y reviendrai, mais l'attitude de trois juntes militaires à notre égard ne doit pas occulter les très bonnes relations que nous avons avec l'immense majorité des 54 pays africains. Ce serait une erreur que de réduire l'Afrique, diverse et vaste, au seul Sahel.

Je commencerai donc par ce qui va bien. Depuis 2017, sous l'impulsion du Président de la République, nous avons voulu renouveler notre politique à l'égard de l'Afrique.

Pourquoi ce continent est-il une priorité de notre diplomatie ? L'Afrique émerge sur le plan économique, diplomatique et démographique - sa population va doubler d'ici à 2050 et quadrupler d'ici à 2100 pour représenter le quart de la population mondiale. Elle va compter de plus en plus dans les grands équilibres du monde, dans la croissance, la création, l'innovation. C'est aussi en Afrique que se joue l'avenir de la francophonie. Plus d'un million de Français vivent à Mayotte et à La Réunion, sans oublier nos 130 000 compatriotes dans les pays d'Afrique subsaharienne. Nous avons besoin de nos partenaires africains pour résoudre les grands défis liés à la paix et au climat. Nous devons donc nouer et conserver des liens solides avec les gouvernements et les sociétés africaines.

Trop longtemps, notre dialogue avec l'Afrique s'est limité aux crises régionales. Nous entretenons désormais un dialogue étroit sur des sujets communs : Ukraine, climat, forêts, réforme de la gouvernance mondiale. Plus d'une vingtaine de chefs d'État africains ont ainsi participé au récent sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial.

Pour autant, la France demeure engagée pour aider à la résolution des crises. Je pense aux terribles conflits dans l'est de la République du Congo ou au Soudan ; nous restons en contact avec chaque camp pour faciliter le processus de paix. Je l'ai fait ce matin avec mes homologues rwandais et congolais. Nous accompagnons aussi le processus de sortie de crise en Éthiopie, où je me suis rendue avec mon homologue allemande. Enfin, nous nous sommes engagés dans un travail de mémoire avec le Rwanda, qui a permis de relancer notre relation bilatérale.

Notre principal objectif diplomatique est de faire de la France un partenaire attractif tant pour les acteurs économiques, les étudiants, les créateurs, que pour l'ensemble des sociétés civiles.

Nos entreprises sont compétitives en Afrique et le prouvent chaque jour : la France est le deuxième investisseur étranger et nos investissements y ont doublé en quinze ans, tout comme le nombre de filiales d'entreprises françaises. Nous aidons nos start-up, nos PME et les entrepreneurs de la diaspora à accéder au marché africain. J'étais il y a trois semaines au Nigéria, qui sera bientôt le troisième pays le plus peuplé au monde : nous y avons doublé nos investissements en dix ans.

J'ai conscience que ce constat va à rebours des réflexes pavloviens qui voudraient faire croire que tout va mal en Afrique et que la France est à la traîne.

À nous de répondre aux attentes des jeunesses française et africaine qui demandent un monde plus juste et plus durable. C'est pourquoi nous investissons dans les secteurs d'avenir, dans le continent le plus jeune du monde, où 60 % de la population a moins de 25 ans. À cet égard, la priorité donnée aux industries culturelles et créatives est exemplaire. Bande dessinée, jeux vidéo, e-sport, univers immersifs, ces industries sont porteuses de croissance économique, d'émancipation individuelle, de renouvellement de nos imaginaires. Elles ont un immense potentiel en Afrique, où la France se positionne comme partenaire de référence.

Le premier forum Creation Africa s'est tenu à Paris début octobre, réunissant des centaines de jeunes créateurs. Pour accompagner ces talents, j'ai lancé un fonds de 20 millions d'euros pour permettre à nos ambassadeurs de soutenir directement les artistes et créateurs. Enfin, avec la Maison des mondes africains, nous voulons faire de Paris un des coeurs battants de la créativité africaine.

C'est aussi par l'investissement solidaire que la France est un partenaire crédible. Depuis 2017, notre aide au développement est passée de 10 à 15 milliards d'euros par an, dont plus de 5 milliards pour l'Afrique. Devenus quatrième bailleur mondial devant le Royaume-Uni, nous sommes les seuls à avoir augmenté notre aide en direction de l'Afrique l'an dernier.

La France est la première destination étrangère des étudiants africains, qui sont les élites de demain. Ils sont désormais 95 000 à faire le choix de nos universités, en augmentation de 40 % depuis 2017. Je salue le travail de nos ambassades pour attirer des étudiants francophones mais aussi anglophones, par exemple les Sud-Africains.

La France est résolument aux côtés des démocrates africains. Il ne s'agit pas pour nous de donner des leçons ou de nous ingérer dans les affaires intérieures, mais d'aider les acteurs engagés de la société civile - à l'instar de la Fondation de l'innovation pour la démocratie, dirigée par Achille Mbembé - mais aussi des influenceurs et des journalistes africains qui luttent contre la désinformation.

Nous rénovons notre politique de visas pour mieux tenir nos objectifs d'attractivité, de rayonnement et de prévention de migrations illégales. Nous déclinons la feuille de route établie avec Gérald Darmanin, avec l'éclairage du rapport Hermelin.

Depuis les engagements du Président de la République à Ouagadougou en 2017, réitérés à Montpellier en 2021 et en février à l'Élysée, nous réinventons notre manière de travailler avec nos partenaires africains, en bâtissant des partenariats respectueux où chacun assume ses intérêts réciproques. Cela implique respect, écoute, dialogue, mais aussi de briser certains tabous. Nous l'avons fait en restituant des oeuvres d'art, ou en regardant notre passé en face, comme avec le Rwanda et le Cameroun.

Enfin, nous voulons un partenariat qui s'appuie sur nos atouts : nos diasporas, mais aussi, alors que nous accueillerons le Sommet de la Francophonie en 2024, la langue française que nous partageons avec des millions d'Africains.

La méthode que nous poursuivons est la bonne. Nous la mettons en oeuvre avec détermination.

J'en appelle aussi à un devoir de lucidité. Nous devons considérer ce qui se passe au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Trois pays sur 54, certes, mais trois relations complexes.

Depuis dix ans, notre pays a consenti d'importants efforts militaires, financiers, diplomatiques et politiques, jusqu'au sacrifice de nos soldats, auxquels je rends hommage. En 2013, à la demande des autorités maliennes, le président Hollande a pris la décision courageuse d'engager nos forces armées, qui ont combattu avec bravoure pour éviter que le Mali ne devienne un État terroriste. Nous pouvons en être fiers.

D'aucuns avancent que nous aurions privilégié le volet militaire au détriment du développement et de la diplomatie : c'est faux.

Depuis 2013, nous avons consacré 3,5 milliards d'euros d'aide bilatérale au Sahel, dont 80 % sous forme de dons. Entre 2012 et 2022, notre aide annuelle pour le Sahel a doublé.

En parallèle, nous avons investi un capital diplomatique important, à Bruxelles, pour convaincre nos partenaires européens de s'engager. Résultat, plus de 7 milliards d'euros d'aides européennes sur dix ans, et l'intervention directe, y compris militaire, de l'Estonie et de la République tchèque dans Takuba, ou de l'Allemagne dans la Minusma. Avec l'Alliance Sahel, nous avons fédéré 27 bailleurs internationaux.

Nous avons oeuvré auprès de l'ONU pour créer la Minusma puis renouveler son mandat. Alors que les derniers Casques bleus quittent le Mali dans des conditions extrêmement difficiles, je rappelle que 310 d'entre eux ont perdu la vie depuis 2013.

Enfin, nous n'avons ménagé aucun effort pour convaincre les autorités maliennes de respecter l'accord d'Alger, d'améliorer la gouvernance et de rétablir les services de l'État sur tout le territoire. Car la question de la gouvernance est fondamentale. Les partenaires extérieurs peuvent encourager, inciter, mais ne peuvent ni ne doivent se substituer aux autorités locales.

Les coups d'État au Mali, au Burkina et au Niger fragilisent tous les efforts consentis depuis 2013. La situation sécuritaire s'est dégradée, la crise humanitaire est dramatique et les libertés reculent. Avec Wagner, le Mali a fait le choix de la prédation économique et des crimes de guerre documentés.

Ces juntes ne sont pas motivées par une volonté de rupture seulement avec la France, mais avec l'ensemble des organisations internationales, à commencer par leurs voisins et les Nations unies, et tout un système de coopération et de valeurs qu'elles récusent.

Face à de tels régimes, nous ne pouvons poursuivre notre coopération. Nous ne pouvons lutter contre le terrorisme avec des putschistes ni financer des projets de développement qui les entretiennent dans leurs errements. Nous maintenons bien sûr notre aide humanitaire, pour ne pas faire payer aux populations les comportements de leurs dirigeants. Nous maintenons nos coopérations avec les sociétés civiles, les artistes, les étudiants, qui restent les bienvenus.

Toute la région est déstabilisée : clairement, les choses ne vont pas mieux depuis notre retrait. Au terme de dix années de lutte antiterroriste française au Sahel, nous devons repenser collectivement l'architecture de la sécurité dans la région, avec les partenaires européens et américain. La France ne doit plus porter seule la lourde charge de lutter contre le terrorisme en Afrique occidentale. Elle prendra sa part, mais dans un cadre collectif.

Avant de conclure, je réaffirme haut et fort l'importance des relations avec l'Afrique et les moyens que nous y consacrons. À la suite des états généraux de la diplomatie, j'ai annoncé de nouveaux moyens : plus de personnel dans nos chancelleries, nos services de communication et services d'action culturelle ; plus de moyens financiers, notamment avec le fonds Équipe France et le fonds d'appui à l'entrepreneuriat culturel, pour que nos ambassades mènent des projets rapides et visibles.

J'ai aussi pris des mesures pour valoriser la filière africaniste du Quai d'Orsay, avec un concours dédié : le peul, le haoussa, le wolof et le mandingue sont désormais proposés au concours. Nous cherchons à diversifier le recrutement et à attirer des talents issus de nos diasporas.

J'exprime ma profonde reconnaissance pour nos agents déployés en Afrique. Quand nos ambassades ont été attaquées, à Ouagadougou, à Niamey, quand il s'agit d'évacuer des civils, comme à Khartoum, ils ont toujours répondu à leur mission et manifesté leur courage et leur dévouement envers notre pays. Je les en remercie. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Guillaume Chevrollier applaudit également.)

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées .  - Je me réjouis de tenir un tel débat avec la représentation nationale, qui fait écho aux engagements pris par le Président de la République à Saint-Denis le 30 août dernier. Après un premier débat en juin, ce sera l'occasion de clarifier certains aspects de notre stratégie africaine et de faire le point sur les évolutions à venir de notre présence militaire sur le continent. (M. Rachid Temal renchérit.)

Je sais le Sénat très mobilisé sur le sujet et connais l'engagement de votre commission des affaires étrangères et de la défense, et de ses deux présidents successifs.

Je commence par un court rappel historique et politique du sens de notre présence sur le continent. De 2000 à 2010, de nombreuses interventions françaises ont été menées dans le cadre de missions d'interposition ou de maintien de la paix sous l'égide des Nations unies, la plus connue étant l'opération Licorne, en Côte d'Ivoire.

La période de 2010 à 2020 a été marquée par la lutte contre les groupes armés terroristes au travers des opérations Serval puis Barkhane au Sahel, décidées courageusement par le président Hollande à la demande de nos partenaires. Cette menace demeure.

On doit ensuite distinguer les géographies des théâtres d'engagement. Il n'y a pas une Afrique, mais autant de particularités qu'il y a d'États, et d'organisations régionales.

Enfin, il faut distinguer les menaces : piraterie - lisez le rapport des sénateurs Fournier, Jourda et Bonneau sur le golfe de Guinée -, traite d'êtres humains, trafic de drogue ou d'armements, et menace terroriste.

Votre commission des affaires étrangères et de la défense a produit un rapport fourni sur le bilan de Barkhane. L'opération a été un indéniable succès militaire, mais nous ne devons pas nous substituer à nos partenaires sur une durée trop longue, même si la reconstitution progressive d'un sanctuaire islamiste au Sahel peut faire peser sur la région et l'Europe des menaces que nous avons déjà connues.

Nos armées fonctionnent sur le mode de l'intervention : elles n'ont pas vocation à rester durablement sur un théâtre d'opérations si le partenaire ne fait pas de la lutte contre le terrorisme une priorité. C'est pourquoi nos soldats présents au Niger sont en cours de rapatriement.

Fallait-il répondre présent quand nos partenaires africains nous ont appelés ? Je pense que oui, car c'était un appel au secours. Pourquoi partir ? Parce que la France respecte la souveraineté des États africains et ne s'ingère pas.

Nos objectifs sont clairs : lutter contre le terrorisme, garantir la sécurité de nos ressortissants et approfondir nos partenariats stratégiques d'intérêt commun.

Nous avons deux grandes familles de forces en présence, avec tout d'abord deux pôles de coopération au Gabon et au Sénégal qui proposent l'accès aux infrastructures et de nombreuses formations. Les armements sur ces bases sont très limités.

Nous avons ensuite des bases à capacités opérationnelles, en Côte d'Ivoire - 1 000 militaires - et à Djibouti - 1 500. Au Tchad, et jusqu'à cet été au Niger, nous avons des bases de nature différente, dans le cadre d'opérations antiterroristes précises.

Ces capacités de projection depuis l'Hexagone seront renforcées grâce à la loi de programmation militaire (LPM).

La France est donc présente aux côtés de ses partenaires, qui ont souvent accompli des efforts remarquables en matière de sécurité - comme le Bénin, la Côte d'Ivoire, ou le Gabon.

De plus, nous renforçons notre accompagnement en matière de formation, de capacités et de réseau diplomatique de défense.

En matière de formation, notre objectif est de doubler nos places de formation, avec cent places supplémentaires dès 2023. En 2022, 3 000 stagiaires africains sont passés par nos écoles et 25 000 militaires ont été formés cette année. Nous développons les missions communes et tournons la page de la réduction des capacités - enfin !

Sur le plan capacitaire, nous voulons fournir un équipement adapté à nos partenaires, avec notamment des drones et du cyber. Le délégué général pour l'armement (DGA) s'est rendu sur le continent, une première depuis 1961 !

Sur la diplomatie de défense, notre réseau se densifie, avec de nouveaux attachés de défense ou d'armement. Le volet renseignement fera l'objet d'une audition dédiée devant la délégation parlementaire pour le renseignement.

Enfin, la France et ses partenaires africains sont liés par un honneur commun au combat. Nous ouvrons une période mémorielle d'ampleur - libération de la Corse, campagne d'Italie, débarquement de Provence. Je rends hommage à tous ces combattants d'Afrique qui sont morts pour la France, ainsi qu'à nos soldats morts au Sahel, aux blessés et à leurs familles. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe SER ; M. André Reichardt applaudit également.)

M. Cédric Perrin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. François Bonneau applaudit également.) Après le Mali, la République centrafricaine et le Burkina Faso, au tour du Niger : nos forces armées sont sommées de se retirer. Ce sont dix ans de lutte, au prix de la vie de 58 de nos hommes, qui sont désavoués. Le sentiment antifrançais se répand de plus en plus.

Nous assistons au crépuscule africain de la France. Les liens construits depuis les indépendances se sont distendus. Notre pays a désinvesti sa relation à l'Afrique, démantelant son appareil de coopération technique, formidable levier d'influence. (M. Victorin Lurel le confirme.)

Si la France a moins regardé vers l'Afrique, la réciproque est vraie. Une jeunesse nombreuse, urbaine et connectée ne voit désormais plus la France que comme un simple partenaire potentiel.

Le Président de la République a eu l'intuition de cette bascule. Malgré l'ambition d'une nouvelle histoire d'amitié, annoncée dès 2017, la suite a été autre : une stratégie illisible, qui a précipité la crise. Le Président de la République déploie une politique désormais partenariale ; dont acte.

Il faudra donc être pragmatique, avec des constats lucides et des principes clairs.

L'ère du monopole français est terminée. Intégrer ce changement, c'est comprendre que l'Afrique est devenue un espace de compétition à investir, où les relations ne sont pas automatiques. Ainsi, il faut rompre tant avec la repentance, qui nous dévalorise, qu'avec l'arrogance, qui dévalorise nos partenaires. Comment construire une relation saine si nous faisons de nous d'éternels coupables et de l'Africain une éternelle victime ? Ne soyons pas naïfs : avec son narratif antifrançais, Wagner cherche à se développer et en faisant pourrir des situations dramatiques, la Russie crée les conditions d'une nouvelle crise migratoire.

Nous devons mieux contrer ces discours hostiles à la France, en sortant de la communication institutionnelle pour trouver de nouveaux formats plus adaptés à la lutte contre la désinformation.

Mais ne restons pas sourds aux reproches qui nous sont adressés. Le procès en paternalisme n'est pas sans fondement. Ne prétendons pas en savoir plus que les Africains sur ce qui est bon pour eux et départissons-nous d'un messianisme démocratique dépassé, qui plus est à géométrie variable.

Le partenariat doit être au service d'intérêts mutuels. Les attentes sont d'abord économiques et notre aide au développement doit se concentrer sur les domaines fondamentaux : agriculture, santé, éducation, eau, énergie, etc. Nous devons encourager les investissements de long terme dans les infrastructures et l'industrialisation, pour que les économies africaines créent de la valeur et de l'emploi de masse.

L'État doit aussi aider les entreprises françaises à s'implanter en Afrique. La France ne pourra rivaliser seule et devra développer des synergies, notamment avec ses partenaires européens.

L'influence française en Afrique participe de notre stature internationale, notamment pour lutter contre la stratégie de basculement de certains. L'Afrique, futur poids lourd mondial, est une réserve importante de votes à l'ONU. Nous ne pouvons lui tourner le dos.

L'Afrique francophone entend nouer des relations hors de toute exclusive : faisons de même, en nous tournant vers toutes les Afriques, notamment anglophone et lusophone.

Nos intérêts sont économiques. L'Afrique constitue actuellement une part très faible de nos échanges, mais elle deviendra un gigantesque marché et un fournisseur stratégique majeur.

Nos intérêts sont aussi stratégiques et sécuritaires. L'Afrique sera toujours voisine de l'Europe. Ses instabilités seront aussi les nôtres ; nous devons ainsi maîtriser les flux migratoires. Sa sécurité est aussi la nôtre, notamment quand nos 200 000 ressortissants sont menacés. Notre coopération militaire est donc essentielle, mais elle devra tirer les leçons du piège qui s'est refermé sur nous au Sahel et se concentrer sur le renforcement des forces africaines en formation, renseignement et équipements.

Notre action bilatérale devra trouver une forme de symbiose avec les organisations régionales, pour définir l'architecture de sécurité du continent.

Je suis ouvert à ce que nos bases militaires puissent travailler différemment, mais j'ai plus de mal avec la cogestion. Ces bases sont un morceau de France : ne l'oublions pas et maintenons notre souveraineté.

Face à cette nouvelle Afrique, l'heure est à l'introspection et au changement, pas au doute ni à l'effacement. L'Afrique doit être notre priorité, face aux actions prédatrices de nos adversaires stratégiques.

Notre commission conduira en 2024 un ambitieux programme de travail sur l'Afrique et nous avons déjà fait de nombreuses recommandations. Que le Gouvernement s'en inspire !

Comme il n'y a pas d'influence sans présence, réinvestissons notre coopération technique en stimulant nos échanges économiques, culturels et diplomatiques et faisons la preuve que l'Afrique est l'intérêt de la France et réciproquement ; ainsi, nous pourrons nous projeter dans le XXIe siècle, celui de tous les risques, et de toutes les opportunités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Marie-Arlette Carlotti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Après les coups d'État en Afrique, la France doit revoir sa politique africaine de fond en comble. Le désamour de la France n'est pas nouveau, mais il devient bruyant.

Les raisons de cette perte d'influence sont complexes.

En 2017, à Ouagadougou, le Président de la République avait proclamé la fin de la Françafrique, mais sans revenir sur une forme de paternalisme arrogant. La France n'a jamais accepté l'indépendance de ses anciennes colonies. Emmanuel Macron a tenté de faire bouger les lignes - restitution d'oeuvres d'art, refonte du franc CFA ou initiative sur la dette -, sans succès.

Le 27 février, dans un nouveau discours, censé être à nouveau fondateur, le propos est resté flou.

Notre présence doit changer de modèle. Nous avons toujours quatre bases permanentes et 3 000 soldats sur le continent : nous sommes loin du retrait. Les temps ont changé, les Africains n'en veulent plus, ou moins. À quoi servent ces bases ? Protéger nos ressortissants ? Les chefs d'État adoubés par la France ?

La lutte contre le terrorisme a justifié la présence française au Sahel et je rends hommage à nos soldats. Nous avons remporté des succès militaires, mais nous n'avons pas endigué l'avancée du djihadisme.

L'enlisement de la situation et les problèmes politiques et sociaux ont retourné l'opinion publique malienne contre la France : les libérateurs sont devenus des occupants.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Une inversion des valeurs !

Mme Marie-Arlette Carlotti.  - Ce ne fut pas un échec militaire, mais un échec politique. La présence française doit être désormais moins visible. Il faudra en débattre au Parlement.

Le franc CFA est critiqué, 74 ans après sa création. La promesse de réforme de 2019 doit aboutir. Sortir du franc CFA ? Mais pour quelle monnaie ? Aux Africains de décider. Ils veulent une rupture franche avec un Occident vieillissant et regardent désormais vers les Brics.

Depuis six ans, Emmanuel Macron prétend s'adresser à la jeunesse et la société civile, mais s'affiche toujours avec les vieux dinosaures de la Françafrique. La France prétend soutenir la démocratie, mais elle n'est pas toujours regardante sur les régimes - on condamne le pouvoir militaire au Mali, on l'accepte au Tchad. Ce double langage nous fait perdre toute crédibilité.

La France doit rester fidèle à ses valeurs. Mais alors que dire de notre politique de visas ? La frustration des jeunes africains est immense ! Les empêcher de voir leur famille ou de faire des études ne rime à rien et ne permet pas de lutter contre l'immigration illégale. Nous devons revenir à une politique des visas plus ouverte.

La jeunesse africaine est plus perméable à la fausse information et au sentiment antifrançais. La société civile africaine a changé ; une époque s'achève à nos dépens. Le refus de suspendre temporairement les brevets sur les vaccins pendant la crise covid nous a décrédibilisés.

La démographie de l'Afrique subsaharienne est très forte. Peu de jeunes trouveront un emploi. En 2030, l'Afrique abritera la moitié des personnes souffrant de la faim dans le monde. Or notre aide publique au développement fonctionne sous forme de prêts, peu sous forme de dons. Nos ONG sont des partenaires privilégiés de nos actions de solidarité, mais nous les avons mises en danger. Il faut abandonner la stratégie 3D.

Depuis les coups d'État au Sahel, la France a décidé de suspendre son aide au développement. C'est une chose ; arrêter de coopérer avec les organisations humanitaires en est une autre. Qui va dire ce qui relève de l'humanitaire ou pas ? Près de neuf millions de personnes sont concernées. Qui décide ? Pas les parlementaires, ce qui pose un problème démocratique. Les ONG vont devoir expliquer aux 5 000 femmes qui produisent du beurre de karité au Burkina que c'est fini. Quel sera l'impact sur l'image de la France ?

Les acquis de la loi du 4 août 2021, dont nous sommes garants, sont menacés. Nous devons sanctuariser l'APD et maintenir la trajectoire financière pour soutenir en priorité les dix-neuf pays les plus pauvres.

Le Président de la République répète qu'il n'y a plus de politique africaine de la France. Notre politique africaine s'effondre au profit de nouveaux partenaires. Les Africains ne veulent plus d'une dépendance à la France ; ils veulent s'ouvrir au monde. Pour autant, il serait catastrophique pour nos intérêts comme pour les leurs de nous retirer du continent. Nous devons réviser notre politique en profondeur, sortir de notre isolement et prendre en compte les priorités africaines.

Non, nous n'abandonnons pas l'Afrique, mais devons trouver un chemin entre renoncement et acharnement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. François Bonneau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le groupe centriste espère que ce débat sera utile et que nos considérations seront prises en compte. Que de rapports d'information, de colloques... Nous aurions pu anticiper les événements plutôt que de les subir. Je vous invite à mieux prendre en compte notre diplomatie parlementaire.

M. Christian Cambon.  - Tout à fait !

M. François Bonneau.  - La France et le continent africain sont liés par une histoire particulière, je pense notamment à la francophonie.

La France a un rôle à jouer face à des défis planétaires comme le réchauffement climatique et l'explosion démographique.

L'Afrique est le continent le moins électrifié. Pourtant, ses capacités sont proches des moyennes mondiales. La France doit aider les États intéressés à développer leurs infrastructures. Au Nigeria, on compte vingt-cinq coupures d'électricité par mois et la population recourt à des générateurs polluants...

La France et l'Union européenne doivent accompagner l'Afrique vers un mix énergétique vertueux. Le nucléaire a sa place en Afrique : le Ghana, le Soudan, l'Afrique du Sud souhaitent en bénéficier. La France doit se montrer compétitive face à la Chine et à la Russie, alors que l'Afrique concentre 20 % des réserves mondiales d'uranium...

L'Afrique est aussi riche en graphite, en terres rares, en cuivre, en aluminium, en platine, essentiels pour les technologies vertes. Nous devons garantir nos sources d'approvisionnement via une coopération économique solide et le respect des normes internationales. En sécurisant ses partenariats, la France assurera son approvisionnement tout en contribuant au développement durable de l'Afrique.

L'hydraulique, sur le Nil, le Congo, le Niger, le Zambèze, et le solaire - l'Afrique subsaharienne est la région la plus ensoleillée du monde - doivent être développés. La France peut porter des projets de centrales photovoltaïques en Afrique. La ruralité y est souvent laissée de côté, seuls les centres urbains sont électrifiés.

Avec l'Union européenne, nous devons mettre l'accent sur les réseaux d'électricité, d'eau et d'assainissement pour éviter les mouvements de population.

Le second choc, c'est l'explosion démographique. Les populations victimes de sécheresses sont condamnées à partir. Dans moins de trente ans, l'Afrique comptera deux milliards d'habitants et le Nigéria sera le troisième pays le plus peuplé au monde. Cette rapide croissance démographique pourrait rendre le continent inhospitalier en raison du réchauffement climatique et du manque de ressources alimentaires.

La France et l'Union européenne doivent soutenir l'Afrique au plan économique, logistique et médical. Une meilleure éducation contribuera aussi au développement et à l'amélioration du niveau de vie.

L'Afrique est le continent de tous les risques et de tous les possibles. La France peut l'accompagner, mais c'est aux Africains de définir leur avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)

M. Pierre Jean Rochette .  - En février, le Président de la République affirmait que nous avions destin lié avec le continent africain, car les défis africains affectent aussi l'Europe.

Avec une abondance de terres arables et de minerais, l'Afrique a de nombreux atouts. Mais sa croissance économique est insuffisante, pour de multiples raisons. La première est l'insécurité, qui décourage les investisseurs et engendre des surcoûts - système de sécurité et réparation de dégradations. S'y ajoutent des infrastructures dégradées.

La France entretient des relations particulières avec l'Afrique. Pour des raisons historiques et géographiques, nous devons les préserver, voire les améliorer.

Nous nous félicitons du renouveau engagé par le Président de la République.

C'était nécessaire, la France a oeuvré pour la sécurité au Sahel - nous n'oublions pas le sacrifice de nos 53 soldats tombés au combat et de nos blessés. Notre pays a été bien mal récompensé de ses efforts. Mais les putschs ne doivent pas nous détourner du continent, car il y va aussi de la sécurité de la France.

Dans les pays avec lesquels nous continuons de travailler, nous devons cesser de passer pour une force d'occupation. La France a l'expérience des conflits. Nous savons que la force militaire ne résout pas tout, il faut aussi de la politique. La coopération internationale est donc essentielle. La France peut conseiller, contribuer, mais il ne lui revient pas d'assurer la sécurité du continent africain.

Dans le domaine économique, l'approche impulsée par le Président de la République nous paraît pertinente. Les logiques de prédation doivent laisser place aux investissements constructifs.

Pékin, dans le cadre des nouvelles routes de la soie, a remporté bon nombre de contrats, sans demander de contrepartie politique et en mettant à profit une main-d'oeuvre bon marché. Mais le Sud prétendument global s'est quelque peu lézardé à la découverte de micros au siège de l'Union africaine, construit par la Chine... Le piège de la dette chinoise a achevé de refroidir les angélismes.

Cela ne nous dispense pas de faire évoluer notre approche, dont les vulnérabilités ont été exploitées par nos rivaux. Nos partenaires africains attendent d'être traités en égaux. Parallèlement, la France doit assumer de rechercher son intérêt dans ses relations avec ses partenaires.

À l'avenir, l'Afrique sera l'un des principaux moteurs de la croissance mondiale ; les opportunités y seront nombreuses pour nos entreprises. En soutenant des projets concrets, ancrés dans les sociétés civiles, nous pouvons faire progresser les économies de nos deux continents. Les marges de progression sont importantes : moins de 5 % de nos exportations sont destinées à l'Afrique.

Nous devons accorder une attention particulière à l'information et, singulièrement, à la désinformation. Les attaques informationnelles portent une atteinte grave à notre réputation, tandis que nos réussites sont insuffisamment mises en valeur. L'affaire du charnier de Gossi a fait l'objet d'une réponse rapide et adaptée : elle invite à être vigilants sur les manipulations de l'information. L'audiovisuel public doit s'y attacher.

Gardons-nous d'alimenter les rumeurs et continuons à soutenir la démocratie, qui a beaucoup progressé depuis les années 1970. Même lorsque les gouvernements s'en écartent, continuons de travailler avec les populations. Accompagner le mouvement démocratique est un impératif moral, mais aussi une exigence d'efficacité.

Par des projets modestes en lien avec la société civile, la France peut oeuvrer au bénéfice de ses partenaires comme du sien propre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Depuis des mois, d'aucuns entonnent le refrain d'un prétendu désamour de l'Afrique pour la France. Il n'en est rien.

Ce débat a été souhaité par le Président de la République après le putsch au Niger contre le Président Bazoum, après ceux menés au Mali et au Burkina-Faso. Je rends hommage aux 58 enfants de France qui ont payé de leur vie la lutte contre le terrorisme et la protection des populations au Sahel. Leur sacrifice n'a pas été vain : Serval puis Barkhane ont permis qu'aucune capitale ne soit prise par les islamistes.

La multiplication des putschs dans la zone est-elle une remise en cause de l'action de la France ? Non, car ils sont dirigés avant tout contre les dirigeants et institutions de ces pays. Nous devons maintenir des liens avec les sociétés civiles - je pense aux visas - et avec les ONG.

Renoncer, non ; reformater, oui. Le temps est venu de repenser notre empreinte militaire et sécuritaire. Nous ne sommes pas là pour faire « à la place de », mais, le cas échéant, « à la demande de » et « avec ». Nous pouvons aussi faire beaucoup par la formation : je pense aux écoles nationales à vocation régionale et à l'Académie internationale de lutte contre le terrorisme, à Abidjan.

Plus largement, c'est avec les 54 États africains que nous devons coconstruire des partenariats pour relever les défis globaux. Notre avenir s'écrira ensemble, quoi qu'en disent, ici, les adeptes de « la Corrèze avant le Zambèze » et, là-bas, les néo-gourous pseudo-panafricanistes, cache-sexe de puissances autoritaires.

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Bravo !

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Comment prétendre délivrer l'Afrique de prétendues chaînes et se passer autour du cou la laisse de feu Prigojine ou de son maître Poutine ? Être panafricain, c'est plutôt répondre à l'appel lancé par le président du Ghana : « soyons autosuffisants, sortons de l'aide » !

L'ère des interdépendances impose une coopération d'égal à égal. Climat, migrations, développement durable : nous réussirons ensemble ou échouerons ensemble. La France agit pour les forêts tropicales, pour accroître les ressources financières du Sud global à travers l'allocation de droits de tirage spéciaux et pour un nouveau pacte financier mondial. Preuve qu'elle n'est pas sur le reculoir !

Toute-puissance et retrait sont des mythes, comme l'a montré Hervé Gaymard. La France est aujourd'hui le deuxième investisseur étranger en Afrique. Nos investissements ont été multipliés par dix en vingt ans, et les impôts payés par les entreprises françaises dans les dix plus gros pays africains représentent le montant annuel de notre aide publique au développement. Si la France n'était plus désirée, pourquoi cent mille étudiants africains viendraient-ils étudier en France ?

La relation entre la France et ses partenaires africains demeure vivace, mais elle évolue et se normalise. Je dirais que plus notre relation se banalise, mieux c'est ! Habituons-nous à cette nouvelle Afrique.

C'est le sens de l'action initiée depuis 2017 par le Président de la République, de la restitution d'oeuvres à la réforme du Franc CFA. Avec Choose Africa ou le Forum Création Africa, la France est au contact de celles et ceux qui façonnent l'avenir du continent de l'avenir.

« Les fondamentaux sont là, solides et prometteurs », comme le dit le président du Conseil français des investisseurs en Afrique.

La dynamique démocratique semble marquer le pas, mais, dans de nombreux pays, les dirigeants se succèdent au terme de processus électoraux - dernièrement au Libéria. Notre propre démocratie peut paraître bien verticale à certains. Acceptons que la démocratie africaine ait son caractère propre, que les peuples africains fassent leurs propres choix. Nous répondrons toujours présent lorsqu'ils le souhaiteront.

Assumons la compétition qui s'accroît et montrons de quoi nous sommes capables ! Il n'y a pas de doctrine Monroe à avoir en Afrique, mais je dis à nos amis africains de bien regarder la qualité des partenariats. La Chine détient les deux tiers de la dette bilatérale, ce qui n'est pas sans effet sur la souveraineté. La Russie contribue-t-elle à la résilience des Africains en matière alimentaire ou économique ?

La France a une politique globale et panafricaine, avec une offre allant de la culture au sport, en passant par le numérique et l'environnement. Elle a toujours plaidé pour une meilleure participation des pays africains à la gouvernance mondiale. Nous avons la langue française en partage avec nombre d'États. Avec nos compatriotes de La Réunion et de Mayotte, nous sommes de plain-pied dans les enjeux de l'Afrique de l'Est et de l'Océan indien.

Les liens entre nos diasporas respectives peuvent être des amortisseurs en cas de choc dans les relations interétatiques.

J'insiste sur l'indispensable relation avec le Maroc. Nous devons avoir un réflexe franco-marocain sur l'espace eurafricain.

Enfin, la filière d'Orient au Quai d'Orsay est un véritable trésor qui permet le maintien d'une filière de diplomates passionnés d'Afrique.

Soyons donc optimistes pour l'Afrique et les nouveaux partenariats équilibrés de la France avec les peuples et les États du continent. Je me réjouis que notre commission ait décidé de travailler sur ce sujet dans les prochains mois. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Michelle Gréaume .  - (Applaudissements sur les travées du CRCE-K) Nous avons déjà dénoncé les fondements de nos rapports économiques, politiques et militaires avec les pays africains, qui entravent de longue date leur développement. C'est la confiance même dans notre relation à l'Afrique qui est mise en cause par ces rapports d'un autre temps, à mille lieues des enjeux du XXIe siècle.

Je pense au franc CFA, aux traités de libre-échange ultralibéraux, à notre silence face à la course au moins-disant fiscal et à la prédation des multinationales, dont certains groupes français comme Bolloré et Bouygues. À la persistance d'une logique néocoloniale d'interventions militaires, de moins en moins supportée par les jeunesses africaines.

Gérard Araud, ancien représentant permanent de la France au Conseil de sécurité de l'ONU, l'a dit : nous devons « changer du tout au tout la forme de notre présence. » Mais, de coup d'État en coup d'État, la France persiste à reproduire les mêmes erreurs : coups de menton et appui aux velléités d'intervention de la Cédéao.

Nous condamnons le coup d'État au Niger, comme nous avons condamné ceux au Tchad, en Guinée et au Burkina.

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Et donc ?

Mme Michelle Gréaume.  - Mais engager un bras de fer n'a conduit qu'à renforcer la popularité des putschistes, notamment auprès de la population nigérienne.

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Scandaleux ! C'est ça, la gauche ?

Mme Michelle Gréaume.  - Le rejet de la politique française devient un levier pour qui veut asseoir son pouvoir. C'est dire s'il est urgent de changer de politique.

L'influence malveillante d'autres puissances ne doit pas détourner notre regard de nos propres responsabilités. Tirons les leçons de nos échecs et adoptons une politique humble et sans oeillère au Sahel. Entendons l'aspiration des jeunesses africaines d'une deuxième indépendance et respectons la volonté des États de diversifier leurs partenariats.

Soit les autorités françaises tiennent compte de cette lame de fond, soit nous poursuivons une politique empreinte de relents néocoloniaux. Quand la droite sénatoriale vote une mesure visant à conditionner l'aide au développement à la coopération en matière migratoire, nous ouvrons la porte à une logique punitive qui couvre la France de honte.

Nous devrions flécher 10 % de notre aide au développement vers le renforcement des systèmes fiscaux des pays africains, afin de leur donner des moyens budgétaires propres. Il nous faut aussi revoir en profondeur la philosophie de notre aide, pour la dégager de toute logique de pillage. Travaillons en relation plus étroite avec les ONG et octroyons plus de dons que de prêts. Soutenons une réforme des conditions d'émission des DTS en vue de favoriser la lutte contre la pauvreté et le financement de la transition écologique du continent africain. Si nous ne sommes pas actifs en ce sens, les Brics le seront.

Agissons également en faveur d'une agroécologie vivrière qui a fait ses preuves et de l'industrialisation, au lieu de perpétuer une économie de rente. En matière énergétique, faisons profiter les pays africains de notre savoir-faire, en particulier dans le nucléaire.

Il est temps d'adopter une logique fondée sur la coopération et le soutien aux choix de développement des pays, seul moyen de réparer notre lien. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

M. Akli Mellouli .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Les pays africains sont-ils 54, comme l'affirment Google et Mme la ministre, ou plutôt 55 ? En tout cas, tous ont leur singularité et leurs enjeux stratégiques propres. Peut-être serait-il plus approprié, par respect pour nos frères africains, de ne pas mettre tous les pays dans le même panier ?

Mme Catherine Colonna et M. Sébastien Lecornu, ministres. - Nous l'avons dit !

M. Akli Mellouli. - Sans doute est-ce l'héritage d'un regard daté sur l'homme africain... Ayons à l'avenir une approche moins caricaturale.

La relation entre la France et les pays d'Afrique revêt une dimension affective, historique et stratégique. De cette relation dépendra l'influence de la France dans le monde de demain.

Un certain nombre d'erreurs nous ont conduits à des échecs cuisants.

Je pense d'abord à notre approche stato-centrée. Si les États sont des acteurs clés, une analyse plus fine des sociétés civiles permet de percevoir des dynamiques nouvelles. Le Président le République a appelé le corps diplomatique à aller à la rencontre des sociétés civiles : il est temps de passer du discours à la pratique.

Ensuite, nous manquons de cohérence entre notre politique intérieure et notre politique extérieure. L'ambition de rayonner par l'universalisme de nos valeurs doit être en cohérence avec notre politique migratoire. On ne peut pas dénigrer, voire insulter, les populations étrangères comme lors des débats récents sur l'immigration et espérer avoir une belle image en Afrique ! Le bât blesse dans les politiques de visas. Nos actes doivent être alignés avec nos ambitions.

Du fait de ces erreurs, nombre de pays du Sahel se sont détournés de nous au profit de la Chine et de la Russie. La jeunesse africaine, de plus en plus anglophone, tend à voir dans notre politique la continuité d'une Françafrique qui n'a rien apporté de positif.

Toutefois, je suis convaincu que notre relation avec l'Afrique demeure pleine de promesses. Nos atouts sont évidents ; j'en citerai quatre.

La francophonie, d'abord, demeure bien ancrée malgré la progression de l'anglais.

Ensuite, les nombreux jeunes français issus des diasporas sont autant de passerelles entre nous et nos frères africains. Ces diasporas seront l'atout majeur de la France dans les années à venir face à d'autres puissances. Madame la ministre, encouragez une véritable diplomatie parlementaire qui renforce la relation avec les diasporas et les sociétés civiles africaines.

D'autre part, les ONG mènent une multitude de projets de coopération. Mais pour valoriser cet atout, il faut avoir une approche humaniste et les moyens de nos ambitions. Il est impératif de maintenir les financements des ONG qui travaillent dans la santé et l'éducation, notamment : elles sont les meilleures ambassadrices d'une France tolérante et humaniste. Poursuivons la croissance de notre aide publique au développement pour atteindre l'objectif de 0,7 % du RNB.

Enfin, nous avons l'opportunité historique d'engager une coopération avec nos partenaires africains pour lutter conjointement contre le dérèglement climatique. Agissons ensemble contre la déforestation ou le commerce illégal d'espèces.

Nous avons besoin d'une vision de long terme. Ne reproduisons pas les erreurs du passé, en donnant l'impression que notre relation avec les pays africains ne serait qu'une histoire d'intérêts politiciens et économiques. Alignons nos discours et nos actes avec nos ambitions ! (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

M. Jean-Noël Guérini .  - Depuis quelques années, les relations entre notre pays et le continent africain sont devenues un long bulletin de mauvaises nouvelles. Comment sauver la place de la France en Afrique ? Il serait présomptueux d'imaginer que les solutions sont faciles.

Oui, nos relations avec certains États africains sont affaiblies, voire inexistantes. Les raisons du ressentiment sont multiples. Notre présence sécuritaire est remise en cause. Il faut trouver une nouvelle voie, au-delà des traditionnels grands discours dont nous sommes friands en matière de relations internationales.

Inutile de le cacher : notre politique africaine a suscité bien des promesses, suivies par autant de désillusions. Alors que le continent africain est entré de plain-pied dans la mondialisation, nos conceptions sont restées imprégnées par une culture datée.

L'Afrique n'est plus notre pré carré. En 2050, un Africain sur deux aura moins de 25 ans, et cette jeunesse ne se privera pas de contester ses élites, toujours fortement francophiles. Nos intérêts sont directement concurrencés par la Chine conquérante, la Russie milicienne et la Turquie pragmatique.

Face à ces ruptures, avons-nous une stratégie ?

Depuis l'intervention au Mali en 2013, notre approche est essentiellement militaire, destinée à lutter contre le terrorisme et à sécuriser la bande sahélienne. Sans négliger les impératifs de ces engagements, j'insiste sur la nécessité de retisser des liens avec les pays africains,

Le Président de la République a plusieurs fois souligné la nécessité de bâtir une nouvelle politique africaine, dégagée des pièges de ce qu'il est convenu d'appeler la Françafrique. L'Agence française pour le développement a permis d'investir sur le continent 16 milliards d'euros entre 2020 et 2022. Mais les populations locales ne perçoivent pas ces aides, trop orientées vers les infrastructures au détriment d'initiatives moins ambitieuses, mais repérables par les habitants.

Nous devons redéfinir les enjeux d'une coopération novatrice et dynamique. Les propositions de financements innovants ne manquent pas. Identifions des axes de développement ambitieux comme les énergies renouvelables, l'éducation ou l'économie numérique.

L'Afrique s'inscrit désormais dans un cadre multilatéral. La France, acteur historique, peut continuer de jouer un rôle clé autour de partenariats tournés vers l'avenir du continent africain.

L'Europe, ces dernières années, a investi 170 milliards de dollars en faveur de projets sur le continent. Pourquoi ne pas nous inscrire avec audace dans ce mouvement ?

Pour être crédible, la France doit apporter la preuve que son action ne témoigne pas de la volonté de maintenir un ordre suranné. C'est sans doute à travers des initiatives rassemblant plusieurs partenaires et tournées vers la résolution de difficultés concrètes que nous reconstruirons nos relations avec les pays africains.

Il y faut du courage, de la volonté et sans doute un peu d'audace, mais ce sont là des qualités qui ne font défaut ni à notre pays, ni à nos ministres, ni à nos diplomates, ni aux élus que nous sommes. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)

M. Christian Cambon.  - Très bien !

M. Stéphane Ravier .  - Voilà la deuxième fois en quelques mois que vous présentez votre feuille de route pour l'Afrique devant le Parlement. Nous vous remercions, mais nous avons l'impression de prêcher dans le désert... Le Président de la République multiplie déplacements et déclarations, mais l'Afrique ne nous écoute plus !

En 2050, une personne sur quatre dans le monde sera africaine. L'âge médian en Afrique est de 20 ans. L'Afrique est jeune, et elle n'attend plus la France.

Le Sud global se développe en Afrique, avec comme dénominateur commun d'être opposé à l'Occident, en particulier à la France. Les Brics tiennent d'ailleurs un sommet extraordinaire en ce moment même... Avec l'Afrique du Sud, ils représentent 41 % de la population mondiale et 31 % de la production mondiale. Vingt-deux pays africains ont demandé à en devenir membre, dont le Nigeria, le Sénégal et l'Algérie. L'Égypte et l'Éthiopie viennent de rejoindre ce groupe influent.

La Chine a déjà construit plus de 6 000 km de chemin de fer en Afrique. La cause de leurs succès est notre échec. Les pays du Sud global ont su proposer des partenariats alternatifs, alors que nous sommes empêtrés dans nos litiges de colonisation et décolonisation.

En 2009 déjà, l'économiste zambienne Dambisa Moyo affirmait que l'aide publique au développement n'aidait pas l'Afrique. Le continent aurait bénéficié de plus de 1 000 milliards de dollars d'aides depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale... Nos gouvernements n'ont jamais eu aucune exigence sur l'utilisation de ces sommes, qui servent souvent à soutenir l'incurie de la classe politique africaine.

L'Empire britannique s'est disloqué avec perte et fracas, et les guerres civiles post-décolonisation ont fait des millions de morts. Les Britanniques ont cessé de s'en excuser, ce qui n'a pas empêché le Gabon et le Togo, pourtant francophones, de rejoindre le Commonwealth.

Le Premier ministre britannique a assuré qu'il ne permettrait pas à la Cour européenne des droits de l'homme de bloquer son projet d'expulser des demandeurs d'asile vers le Rwanda. Il a promis de faire tout ce qu'il faut pour faire décoller les avions, en bonne intelligence avec son homologue africain. Voilà un partenariat volontariste !

Pour la paix, la sécurité et la stabilité du monde, nous avons besoin de développer notre influence en Afrique et d'en finir avec l'assistanat et nos complexes pour développer des partenariats pragmatiques.

Accord en CMP

Mme la présidente.  - La commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 est parvenue à l'adoption d'un texte commun.

Prochaine séance demain, mercredi 22 novembre 2023, à 15 heures.

La séance est levée à 23 h 25.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 22 novembre 2023

Séance publique

À 15 heures, de 16 h 30 à 20 heures et à 22 heures

Présidence : M. Gérard Larcher, président, M. Mathieu Darnaud, vice-président, Mme Sylvie Robert, vice-présidente

Secrétaire : Mme Marie-Pierre Richer

1. Questions d'actualité

2. Proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982, présentée par M. Hussein Bourgi et plusieurs de ses collègues (n°864, 2021-2022)

3. Proposition de loi constitutionnelle visant à faciliter le déclenchement du référendum d'initiative partagée, présentée par M. Yan Chantrel et plusieurs de ses collègues (n°571, 2022-2023)

4. Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la CMP sur le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023.