Personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982, présentée par M. Hussein Bourgi et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

M. Hussein Bourgi, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je remercie les 102 cosignataires de ce texte, et les collègues nouvellement élus qui le soutiennent. Leur diversité politique montre que nous traitons, dans un climat apaisé, d'un sujet qui doit faire consensus. Nous sommes animés par la quête de la vérité et la recherche de la justice.

Les lois mémorielles visent à réconcilier un pays avec son histoire, avec ses parts de lumière et ses zones d'ombre. La France n'échappe pas à cette règle.

Ils s'appelaient Henri de Montherlant, Roger Peyrefitte, Michel Chomarat, Bernard Bousset. Ils étaient célèbres ou anonymes. Ils aimaient la France et la servaient. Ils l'ont défendue dans la Résistance comme Jean Desbordes ou chantée comme Charles Trenet. La France fut non pas douce, mais cruelle avec eux.

En 1791, la France dépénalise l'homosexualité, grâce à Cambacérès, une première dans le monde. Mais en août 1942, le maréchal Pétain la pénalise de nouveau. Pourtant, à la même époque, la Suède, la Suisse et la Pologne prenaient le chemin inverse.

À rebours de l'histoire, la France instaure une majorité à 21 ans pour les personnes homosexuelles - contre 13 ans pour les hétérosexuels. Cette discrimination d'apparence anodine légitimera la persécution, l'arrestation et la condamnation de dizaines de milliers d'hommes. Plusieurs centaines ont été déportés dans les camps de concentration. Je rends hommage au travail des historiens Florence Tamagne, Régis Schlagdenhauffen et Mickaël Bertrand qui les ont réhabilités.

En 1945, le ministre de la justice François de Menthon fait le choix de conserver cette législation, renforcée en 1960 par l'adoption d'un amendement du député Paul Mirguet qui double la peine pour outrage à la pudeur en cas d'homosexualité - qui devient alors une circonstance aggravante. Cette disposition a conduit à une persécution disproportionnée des homosexuels, traqués jusqu'à leur domicile.

Jusqu'en 1978, 93 % des condamnations se solderont par des peines d'emprisonnement. En 1977, à l'occasion du médiatique procès dit du Manhattan, le législateur envisage enfin de remettre en cause cette législation et je rends hommage au courage de Michel Chomarat.

En 1978, Henri Cavaillet, sénateur du Lot-et-Garonne, dépose une proposition de loi, votée par le Sénat, pour revenir sur cette législation. Reprise à l'Assemblée nationale par Michel Crépeau, elle se heurtera à l'hostilité de la majorité des députés. Il faudra attendre 1980 pour que le caractère aggravant de l'homosexualité dans le cadre d'un outrage à la pudeur soit abrogé. Enfin, le 4 août 1982, à l'initiative de Robert Badinter, Raymond Forni et Gisèle Halimi et avec le concours de Jean-Pierre Michel, la législation héritée de Vichy est enfin abrogée.

Régis Schlagdenhauffen estime que plus de 50 000 personnes furent condamnées en quarante ans. Peu de ces condamnés sont encore en vie. Pour tous, ce fut une tache indélébile, avec opprobre social, rejet familial, licenciement. Des vies volèrent en éclats.

Victor Hugo disait : « le plus lourd fardeau, c'est d'exister sans vivre ». Certains furent poussés au suicide par une presse sans scrupule. Aucune loi ne pourra, hélas, réparer ce préjudice. Mais nous pouvons nous y employer, c'est l'objet de ce texte.

L'article 1er reconnaît la responsabilité de la France dans les préjudices subis. Nous avons du mal à suivre le rapporteur qui distingue ce qui a été fait sous Vichy de la période suivante. À la libération de Paris, quand George Bidault pressait le Général de Gaulle de proclamer la République, celui-ci a bien dit : « La République n'a jamais cessé. » Le regretté président Chirac a bien reconnu la responsabilité de la France dans la persécution des Juifs sous l'occupation.

L'article 2 crée un délit de négationnisme.

L'article 3 propose un dédommagement, qui ne concernera que quelques centaines de personnes.

Que l'esprit de concorde guide vos votes. Plus qu'un symbole, cette proposition de loi aidera à refermer les plaies de personnes inquiétées non pour ce qu'elles faisaient, mais pour ce qu'elles étaient. Faisons preuve d'humanité.

Lamartine disait : « Je suis de la couleur de ceux que l'on persécute ». Soyons tous comme Lamartine, de la religion de ceux que l'on opprime, de l'orientation sexuelle de ceux que l'on a condamnés ! (Applaudissements à gauche ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Évelyne Perrot et M. Jean-Gérard Paumier applaudissent également.)

M. Francis Szpiner, rapporteur de la commission des lois .  - Le Sénat examine un texte dont le fondement ne peut que recueillir l'assentiment de tous. Mais les lois s'appuient sur le droit.

Je me réjouis de la popularité de Jacques Chirac sur les bancs de la gauche, surtout depuis qu'il est mort... (Quelques exclamations sur les travées du groupe SER)

Mais les historiens qui ont étudié la période distinguent 1942-1945 et 1945-1982. Vous-même ne faites pas courir le délit de négationnisme de 1945 à 1982 !

C'est une question de morale politique : la République n'a pas à endosser la responsabilité de Vichy. La période 1942-1945 est une période de répression de l'homosexualité, idéologique et organisée. C'est pourquoi l'amendement de la commission des lois à l'article 1er fait débuter la période en 1945.

Pour ce qui est de la réparation financière, l'audition d'Ariane Chemin a été éclairante sur un point : les drames ont été nombreux, non pas du fait de l'application de la loi, mais parce que la société française était homophobe à l'époque ! La moitié des psychiatres comptait l'homosexualité parmi les maladies mentales. On en parlait ainsi dans les Dossiers de l'écran. (M. Éric Dupond-Moretti le confirme.) La loi n'était pas la première responsable du préjudice.

Des drames affreux ont certes été vécus, mais ce n'est pas la faute de la République : c'est une responsabilité collective de toute la société. Le Sénat n'a pas à juger la société et ses préjugés des années plus tard. Tenons-nous-en au droit.

Il est indiscutable néanmoins que la loi était discriminatoire : ce qui était toléré entre personnes hétérosexuelles ne l'était pas pour des personnes homosexuelles. Alors, oui, la République a commis une faute.

La loi d'amnistie a effacé l'existence même des condamnations que vous visez et la prescription existe : vous ne pouvez donc pas décréter qu'il n'y aurait pas prescription - sauf à créer un dangereux précédent - et qu'il y aurait ainsi matière à réparation !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Ça ne tient pas !

M. Francis Szpiner, rapporteur.  - Vous êtes une brillante juriste, nous le savons, et vous démontrerez le contraire, je n'en doute pas.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Absolument !

M. Francis Szpiner, rapporteur.  - Citez-moi des exemples de prescriptions plus que quarantenaires. La loi mémorielle sur les harkis n'a rien à voir. Voilà pourquoi la commission des lois n'a pas souhaité vous suivre sur le sujet des réparations.

La commission ne peut pas non plus vous suivre sur le délit de négationnisme, car les droits de l'homme sont indivisibles et universels. La négation de la déportation dans son ensemble - des juifs, des résistants, des homosexuels, des Tziganes -, qui est un crime contre l'humanité, est punie par l'article 24 bis de la loi de 1881 sur la presse. Nul besoin de créer une infraction nouvelle.

Plusieurs associations de lutte contre l'homophobie ont par ailleurs engagé des procédures sur le fondement de cette loi de 1981. Si votre proposition de loi était adoptée en l'état, elles seraient exposées à des relaxes.

Nous sommes donc partisans d'un article unique reconnaissant que la République a pratiqué une politique discriminatoire de 1945 à 1982. Le symbole a son importance. Pourquoi ? Parce que des gamins de 18 ans sont encore chassés de chez eux quand leurs parents découvrent qu'ils sont homosexuels.

Mais le Sénat ne peut pas faire plus. Il y a un travail d'éducation de toute la société à mener. La loi ne réglera pas le problème de l'homophobie. Reconnaître néanmoins symboliquement que la République s'est mal conduite aidera.

Nous n'avons pas refusé d'auditions - j'ai été très choqué de le lire. Nous avons travaillé dans un temps très court, ce qui n'était le fait ni du rapporteur ni de la commission. Ceux que nous n'avons pas pu entendre nous ont transmis des contributions écrites. Dire que nous aurions bâclé le travail est scandaleux.

Les universitaires ont encore à faire. L'audition de la direction des affaires criminelles et des grâces a montré qu'il n'existe pas de fichier des personnes condamnées pour homosexualité - et c'est heureux.

Nous réaffirmons un principe : oui, la République a fauté, mais nous ne pouvons aller au-delà.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Nous nous retrouvons dans le cadre de la niche socialiste pour débattre d'un sujet d'importance, trop longtemps oublié. Monsieur le sénateur, votre proposition de loi a, indubitablement, beaucoup de sens. Je vous remercie de l'avoir déposée.

On peine à imaginer aujourd'hui à quel point les homosexuels ont été maltraités et méprisés. La République n'est jamais aussi grande que lorsqu'elle sait reconnaître ses erreurs et, en l'occurrence, ses fautes.

Le texte du sénateur Bourgi reconnaît la politique discriminatoire mise en oeuvre à l'encontre des personnes homosexuelles pendant quarante ans. Si cette politique fait honte à notre République, il n'en a pas toujours été ainsi.

Alors que les relations homosexuelles étaient incriminées sous l'ancien Régime, elles ont été décriminalisées en 1791. Durant un siècle et demi, aucune pénalisation n'était en vigueur dans notre pays, ce qui en faisait l'un des plus progressistes au monde. Or Vichy aura raison de cet acquis, par la loi du 6 août 1942 modifiant l'article 334 du code pénal.

Ces évolutions législatives ont bouleversé et parfois détruit la vie des homosexuels de l'époque en donnant une base légale à la répression. Nous ne l'acceptons plus. Nous le dénonçons même aujourd'hui.

Vous substituez à une loi de haine une loi d'unité, de reconnaissance et de mémoire. J'y suis favorable.

Il fallut attendre Robert Badinter, la majorité socialiste d'alors et la loi du 4 août 1982 pour mettre un terme à quarante années de pénalisation de l'homosexualité.

Quand on parle de Badinter, tout le monde pense à l'abolition de la peine de mort. L'un de ses successeurs, évoquant sa difficulté à prendre ses fonctions à la suite de l'illustre Badinter, m'avait confié : « Que voulez-vous, Éric, on n'abolit la peine de mort qu'une seule fois. »

Chaque condamnation ou mise en cause portant sur une infraction liée à l'homosexualité a eu des conséquences sociales lourdes et souvent dévastatrices, jusqu'au bannissement de la sphère familiale et professionnelle. Plus de 10 000 personnes ont été condamnées entre 1945 et 1982, à de la prison ferme dans plus de 90 % des cas.

Après une telle législation déshonorante, cette proposition de loi mérite toute notre bienveillance.

Je suis favorable au principe de l'article 1er, auquel le rapporteur apportera d'intéressantes précisions. Cette écriture de compromis apaisera notre société.

Il ne fait aucun doute que des personnes homosexuelles ont été déportées pendant la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, j'émets un doute sur la constitutionnalité de l'article 2, en raison de l'atteinte portée à la liberté d'expression : une reconnaissance judiciaire préalable aurait été nécessaire.

L'article 3 ouvre droit à des mesures d'indemnisation, à condition d'apporter la preuve de sa condamnation - difficile à produire : la mise en oeuvre est donc complexe.

L'article 4 sur la commission nationale indépendante semble relever du domaine réglementaire et présente des difficultés probatoires, compte tenu de l'ancienneté des faits.

Sur les articles 2, 3 et 4, le Gouvernement s'en remettra donc à la sagesse du Sénat.

Le Gouvernement est favorable au principe de cette proposition de loi. Il est toujours difficile de regarder les lois d'hier avec les lunettes d'aujourd'hui, mais les principes de notre République sont non négociables. C'est pourquoi nous devons reconnaître les errements du passé et leurs terribles conséquences. Nos principes fondamentaux valent plus que notre orgueil. Nous devons assumer toute l'histoire de notre pays et reconnaître lorsque nous avons fait fausse route : notre République et les principes universels qui la sous-tendent triomphent toujours. (Applaudissements)

M. Alain Marc .  - La loi du 4 août 1982 a dépénalisé l'homosexualité. Quarante ans plus tard, Hussein Bourgi a pris l'heureuse initiative de cette proposition de loi.

Si l'on doit beaucoup à la loi de 1982, n'oublions pas que la France fut le premier pays, en 1791, à dépénaliser l'homosexualité. Sous l'Ancien Régime, de nombreux homosexuels ont été brûlés vifs à Paris.

La loi de 1942, prise sous Vichy, a instauré une discrimination, maintenue dans notre code pénal pendant 40 ans. C'était indigne de la France.

La proposition de loi poursuit un objectif légitime et présente un intérêt symbolique majeur. Il est fondamental que la France reconnaisse la répression judiciaire dont les homosexuels ont été les victimes.

Toutefois, la réparation financière entraînerait un contournement de la prescription.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Cela n'a rien à voir !

M. Alain Marc.  - De plus, la condamnation de propos négationnistes me semble superflue, car couverte par le droit en vigueur.

Enfin, la période retenue ne me semble pas pertinente : la République n'a pas à assumer les crimes de Vichy.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Et Chirac ?

M. Alain Marc.  - Une réparation symbolique est indispensable : reconnaissons la faute et la responsabilité de la République.

Le vote du groupe Les Indépendants dépendra de l'adoption des amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

M. Jean-Michel Arnaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. » Vous avez tous reconnu l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. La France de la Révolution fut un refuge pour tous les combattants de la liberté. L'État moderne et progressiste est né à cette époque, avec des avancées sociales majeures, comme le divorce par consentement mutuel, la première abolition de l'esclavage et la dépénalisation du crime de sodomie - alors puni par le feu.

Le 6 août 1942, l'abject gouvernement de Pétain repénalise les relations entre personnes de même sexe. Le rétablissement de l'ordre républicain ne modifie cette incrimination qu'à la marge, et s'y est ensuite ajoutée la répression d'un outrage à la pudeur spécifique.

Durant quatre décennies, cette discrimination a été acceptée. Le Sénat a certes adopté une proposition de loi en 1978, mais il a fallu attendre 1982 pour abroger le délit d'homosexualité.

L'homosexualité est encore illégale dans 69 pays et l'élection du nouveau président argentin nous montre que rien n'est garanti.

Je salue amicalement Hussein Bourgi pour sa proposition de loi. Si la commission ne l'a pas adoptée, c'est pour mieux la réécrire - merci au rapporteur.

Il faut restreindre l'article 1er à la période 1945-1982 et simplifier la description du motif de responsabilité. Notre groupe soutient avec force cette mesure. Le législateur s'est fourvoyé : en aucun cas, la République ne peut condamner un individu pour ce qu'il est. Chacun répond de ses actes, non de qui il est.

L'article 2 entend autonomiser le délit de négationnisme s'agissant de la déportation des homosexuels. C'est louable, mais la loi couvre déjà ce cas de figure. Toute contestation ou banalisation des crimes contre l'humanité, dont la déportation des homosexuels, est lourdement punie.

Nous devons tirer les enseignements du passé, mais l'éducation est cruciale. C'est ainsi que j'ai reçu en 2022 SOS Homophobie. Je salue les multiples actions des associations pour lutter contre l'homophobie et toutes formes d'exclusions.

Le groupe UC votera la réécriture en un article unique de cette proposition de loi. Nous devons rappeler que l'homophobie est inacceptable et que la République s'est mal comportée. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées des groupes Les Républicains et SER)

Mme Mélanie Vogel .  - Merci à Hussein Bourgi et au groupe SER de nous donner l'occasion, alors que la France recule si souvent sur ses grands principes, de la faire grandir.

Dans l'histoire des nations, il y a des horreurs qui débordent sur notre présent et qui détruisent notre image. Entre ce que nous disons être - une grande Nation des Lumières - et ce que nous avons fait, il y a parfois un gouffre.

Reconnaître et réparer nos fautes est l'unique promesse que nous pouvons faire aux victimes : plus jamais ça ! Il faut, en reconnaissant la pleine responsabilité de la faute, alléger un peu la souffrance des victimes : cela n'aurait jamais dû arriver.

C'est pourquoi la France a adopté des lois mémorielles, mais avec parfois une mémoire sélective.

Certaines personnes n'ont jamais bénéficié d'une reconnaissance des violences subies. À la Libération, la République a repris la loi de 1942 à son compte, établissant une continuité juridique avec le régime de Vichy.

Les homosexuels étaient coupables d'être. Ils ont été intimidés, persécutés, fichés, emprisonnés, blessés, tués, car ils existaient. Quant aux lesbiennes, on considérait qu'elles n'existaient même pas : elles ont été moins condamnées, car on ne les respectait pas assez pour admettre qu'elles existaient...

Le minimum, pour une société dont la devise est « liberté, égalité, fraternité » est de reconnaître sa responsabilité dans les persécutions subies par les personnes homosexuelles durant quarante ans. Il faut aussi réparer, car reconnaître sans réparer, c'est reconnaître à moitié.

Nous avons tous dit à quel point le régime discriminatoire de 1942-1982 était horrible, mais il a fallu attendre 2010 pour que le transsexualisme soit retiré de la liste des maladies psychiatriques, 2013 pour que le mariage ne soit plus homophobe, 2018 pour que les personnes décédées atteintes du Sida bénéficient de soins funéraires, 2021 pour que la PMA cesse d'être lesbophobe - et nous attendons qu'elle cesse d'être transphobe. Jusqu'en 2016, l'État a forcé les personnes trans à subir des stérilisations forcées pour être reconnues. Une personne trans ne peut toujours pas décider qui elle est, un juge doit le faire, alors que l'identité de genre des personnes cisgenres est reconnue depuis toujours.

La France a été condamnée trois fois par les Nations unies pour mutilation de personnes intersexes, souvent dès la naissance.

Nous aurons peut-être, dans quarante ans, à nous pencher sur une loi qui demandera pardon aux personnes trans stérilisées, aux personnes intersexes mutilées et à toutes celles et tous ceux qui se seront suicidés, car ils n'auront pas tenu.

Nous pouvons dès maintenant faire l'égalité réelle et totale pour toutes les personnes LGBT. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

M. Ian Brossat .  - Un vieux penseur barbu disait que celui qui ne connaît pas l'histoire est condamné à la revivre. Cette proposition de loi permet de regarder en face des pages de notre histoire. Des hommes, par milliers, ont été réprimés pendant quarante ans pour leur orientation sexuelle.

Cette loi vichyste de 1942 punissait les hommes coupables d'être homosexuels. En 1960, l'homosexualité est considérée comme fléau social. N'oublions pas tous ceux qui ont subi la répression et les raids dans les lieux de rencontre.

Il a fallu attendre la loi Forni de 1982. Toujours en 1982, Jack Ralite, retire l'homosexualité de la liste des maladies mentales.

Tant de vies brisées : opprobre, licenciement, rupture familiale... Comment cette discrimination législative a-t-elle pu durer si longtemps ? C'est parce qu'elle avait des soutiens, parmi les ministres et les parlementaires, qui militaient pour cette homophobie d'État. (Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Audrey Linkenheld le confirment.) Il est trop facile de rejeter la faute sur la société. Ce n'est pas faire injure au Sénat que de rappeler qu'en 1982, il a voté contre la dépénalisation. Pour se justifier, le rapporteur Étienne Dailly considérait l'homosexualité comme un dérèglement physiologique et les homosexuels comme des enfants égarés.

Pourquoi, après la dépénalisation, des hommes et femmes sont-ils encore victimes d'homophobie ? Car, même au plus haut niveau de l'État, des propos homophobes continuent d'être prononcés. Au moment du débat sur le Pacs, Christine Boutin faisant mine de pleurer sur les homosexuels, Muguette Jacquaint lui a répondu : « quand je vous entends, je comprends qu'ils souffrent. »

À la fois pour ceux condamnés hier et pour ceux qui vivent l'homophobie aujourd'hui, cette proposition de loi est bienvenue.

(Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du GEST)

Mme Nathalie Delattre .  - Il y a des législations dont le législateur se passerait bien. Il en va ainsi de celle reconnaissant une discrimination contre les homosexuels.

Je salue l'initiative d'Hussein Bourgi, ainsi que le travail du rapporteur.

Trois dispositifs sont proposés. Le premier est déclaratif : reconnaître la discrimination à l'encontre des personnes homosexuelles entre 1942 et 1982. Une loi d'amnistie a été adoptée, mais sans réparation des souffrances morales. Avec ce nouveau dispositif, notre nation demanderait pardon pour ces discriminations passées.

Je suis en revanche réservée sur l'article 2, déjà couvert par la définition du crime contre l'humanité. Le négationnisme doit être condamné sévèrement, dans sa globalité, sans qu'il y ait besoin de dresser une liste exhaustive des situations.

Je suis plutôt favorable à l'article 3 sur la compensation, d'autant qu'il s'agit d'un geste plus symbolique qu'onéreux.

L'homophobie reste préoccupante dans notre société. Les agressions physiques homophobes augmentent, marquant l'échec de nos politiques sociales et éducatives. L'homophobie n'est pas une posture ni une opinion, c'est un délit à condamner fermement. Nous voterons donc pour cette proposition de loi, malgré quelques réserves. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

Mme Nadège Havet .  - Le 4 août 1982, la loi du député Raymond Forni abrogeait le délit d'homosexualité. Le garde des sceaux, Robert Badinter, avait alors déclaré qu'il était temps de prendre conscience de tout ce que la France devait aux homosexuels.

Nous ne saurions maintenir un texte discriminatoire dans notre droit.

Pendant quarante ans, certaines relations homosexuelles ont été condamnées. La loi de 1982 a mis un terme à une injustice. Ce fut un soulagement, ces peines se doublant d'une réprobation morale et familiale. Je salue la mobilisation du sénateur Henri Caillavet.

J'apporte aussi mon soutien à tous ceux qui ne se sentent toujours pas libres de vivre leur orientation sexuelle.

Un acte homophobe est commis tous les deux jours. Restons mobilisés.

Monsieur Bourgi, votre proposition de loi vise à reconnaître et apporter réparation aux anciens condamnés. Le RDPI votera pour.

La logique de criminalisation et de discrimination des homosexuels doit être reconnue, comme l'ont déjà fait l'Espagne, le Canada, l'Allemagne et l'Autriche.

Le dispositif proposé se veut consensuel. Nous soutenons cette démarche collective : pendant des années, des hommes ont été traités comme des criminels. En 2022, Élisabeth Borne s'était engagée à « réparer ce qui peut l'être » dans un entretien accordé à Têtu.

Je salue notre diplomatie qui oeuvre en faveur de la dépénalisation dans le monde - 69 pays criminalisent encore l'homosexualité, dont 11 prévoient la peine de mort.

On ne doit pas être condamné pour qui on est. Aujourd'hui, le Sénat est au rendez-vous. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER, du RDPI et du RDSE)

Mme Audrey Linkenheld .  - « On peut se demander, avec le recul, comment des députés français, c'est-à-dire par définition des femmes et des hommes qui devraient avoir l'intelligence de nos libertés fondamentales puisqu'ils sont chargés de les défendre, ont pu légiférer pour réprimer l'homosexualité. » Tels étaient les propos de Gisèle Halimi en 1981. Pourquoi de telles lois sont-elles votées au XXe siècle, alors que depuis la Révolution ces relations étaient décriminalisées ? Certes, c'est une loi de Vichy qui a rétabli cette pénalisation. Mais la réflexion était entamée dès la IIIe République, et les textes persistent après 1945 : l'ordonnance prise à la Libération se borne à les transférer d'un article à un autre du code pénal.

En 1960, l'amendement Mirguet assimile l'homosexualité à un « fléau social ». N'en déplaise au rapporteur, de 1942 à 1982, la même loi a cautionné toutes les oppressions contre les personnes homosexuelles.

L'ensemble du groupe SER, aux côtés de Hussein Bourgi, souhaite qu'au-delà de l'amnistie et de l'abrogation en 1981 et 1982, il soit reconnu que le législateur a commis une faute et brisé des vies, par des amendes, de l'emprisonnement et, surtout par l'opprobre social qui en a résulté.

Tel élève avocat lillois, reçu au barreau, n'a ainsi jamais pu exercer le métier de ses rêves à cause d'une condamnation et a fini surveillant dans un lycée. Son traumatisme social a été plus important que l'amende... Mais au moins que ce qui peut être réparé le soit. Le coût sera limité en raison du faible nombre de survivants, le temps étant passé - et le sida. Mais l'effet de ces réparations sera très fort sur les esprits.

Nous restons attachés à la réparation au cas par cas et à la reconnaissance d'un délit spécifique de négation de la déportation des homosexuels, vérité historique établie. Sa minimisation doit être sanctionnée. Monsieur le rapporteur, indivisibilité ne doit pas signifier invisibilité. (M. François-Noël Buffet s'en émeut.) Je regrette qu'il n'ait pas été possible d'organiser davantage d'auditions, et remercie Florence Tamagne et Sébastien Landrieux d'avoir partagé leurs travaux avec moi.

Je suis fière que cette proposition de loi ait été déposée un 6 août 2022 par un socialiste, et j'espère qu'elle sera votée aujourd'hui. Le Sénat a failli être en avance sur l'Assemblée nationale en 1978, il peut se rattraper aujourd'hui. À nous, ici, d'apporter les excuses et la reconnaissance de la République à ces milliers d'hommes et à ces centaines de femmes punies pour ce qu'ils et elles étaient. À nous de faire un pas de plus pour l'égalité des droits.

J'invite tous les groupes politiques à entendre les voix de ces condamnés et à dépasser arguties juridiques et postures politiques pour adopter cette proposition de loi dans son acception large, pour que plus jamais on ne se demande pourquoi des parlementaires ont refusé cette liberté fondamentale, celle d'aimer. (Applaudissements à gauche)

Mme Muriel Jourda .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi est fondée sur deux faits : la déportation des personnes homosexuelles pendant la Seconde Guerre mondiale et la discrimination par la loi pénale de l'homosexualité, considérée comme une circonstance aggravante dans le délit d'outrage à la pudeur.

L'auteur propose un délit de négationnisme et d'indemniser les personnes victimes de la discrimination. Le rapporteur propose une réponse différente, tout en reconnaissant la réalité de cette discrimination (M. Francis Szpiner acquiesce) : il considère que le négationnisme est déjà puni et qu'il serait dangereux de l'isoler ; il refuse la réparation au nom de la prescription et souligne qu'il est difficile de condamner l'État pour l'application de la loi ; il propose d'exclure la période du régime de Vichy, pour laquelle la République n'a pas à s'excuser. Nous le suivrons et voterons un texte reconnaissant qu'il y a eu une discrimination dans la loi française pour les personnes homosexuelles.

Mais je m'associe aux propos du rapporteur et du garde des sceaux : il est difficile de juger le passé avec les yeux du présent. (Mme Audrey Linkenheld proteste.) À la lecture des comptes rendus des débats du Sénat en 1982, c'est flagrant : on s'était alors demandé si la dépénalisation de l'homosexualité en 1791 n'avait pas été votée parce que Cambacérès avait cette orientation sexuelle...

On le voit aussi avec l'ordonnance de 1945, certes prise par le général de Gaulle, mais validée par un conseil des ministres où toutes les tendances politiques étaient représentées : personne n'avait protesté, car c'était l'état de la morale à cette époque.

Mme Laurence Rossignol.  - Quel relativisme !

Mme Muriel Jourda.  - Il nous a beaucoup été reproché, pendant l'examen de la loi sur l'immigration, de ne pas citer le pape François. (On s'en amuse sur quelques travées du groupe SER.) Je le citerai donc aujourd'hui : « Qui sommes-nous pour juger ? » (Murmures à gauche ; M. Mickaël Vallet proteste.) Il n'y a d'ailleurs rien à juger : l'homosexualité fait partie de la vie privée. Le groupe Les Républicains votera ce texte amendé par la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées des groupes UC et INDEP)

M. Joshua Hochart .  - L'homophobie perdure en France, et nous regrettons souvent que ses causes soient délibérément ignorées, notamment dans certains quartiers...

M. Rachid Temal.  - Ah !

M. Joshua Hochart.  - Chaque jour, des jeunes sont harcelés en raison de leur orientation supposée. Chaque jour, des couples de même sexe doivent se cacher. En 2022, nous avons connu une hausse de 28 % des actes anti-LGBT.

Nous serions plutôt favorables à la reconnaissance portée par ce texte. Mais certains points gâchent tout : ils parlent de la France, alors que les Français ne sont pas responsables des erreurs de leurs dirigeants. Surtout, Vichy, ce n'était pas la France, qui vivait sous le joug nazi.

Cette proposition de loi, qui répond à un légitime souhait d'indemnisation, ne doit pas être un prétexte pour éviter de répondre à l'homophobie d'aujourd'hui, issue de l'islamisme, lequel vise les femmes, les Juifs et les homosexuels.

Discussion des articles

Article 1er

Mme Hélène Conway-Mouret .  - J'ai cosigné cette proposition de loi. La France a eu ses Lumières : elle fut le premier pays au monde à supprimer la pénalisation de l'homosexualité. Elle a aussi ses parts d'ombre, avec la loi de 1942 et l'ordonnance de 1945.

La proposition de loi de Hussein Bourgi nous permet de reconnaître les erreurs commises et de les réparer, pour emprunter la voie courageuse tracée par l'Allemagne, l'Espagne ou le Canada, qui ont instauré des réparations financières.

Comment les députés français ont-ils pu ainsi légiférer, demandait Gisèle Halimi à Robert Badinter ?

Tendons la main à ceux qui ont été marginalisés, lésés. Envoyons un message de respect et de tolérance à une société en quête d'apaisement. Je vous invite à voter ce texte.

M. Pierre Ouzoulias .  - Monsieur le rapporteur, vous excluez Vichy du texte, car cette période « ne paraît pas pouvoir être prise en compte ». Or le Parlement a voté à l'unanimité la loi du 22 juillet 2023 portant reconnaissance des spoliations antisémites entre le 10 juillet 1940 et le 24 août 1944. Il ne peut y avoir reconnaissance des crimes de Vichy sans celle des lois de Vichy, et il serait incompréhensible que le Parlement reconnaisse les spoliations antisémites, mais pas la persécution des homosexuels.

Certes, Vichy n'était pas la République, mais un régime à la tête duquel le maréchal Pétain avait obtenu les pleins pouvoirs : 569 parlementaires avaient voté pour, 80 contre. Merci à ces 80 ! (Applaudissements à gauche)

M. Victorin Lurel .  - Il faudrait un jugement par un tribunal international pour punir le négationnisme ? On avait opposé le même argument pour la reconnaissance du génocide arménien, ou pour la loi Taubira. Monsieur le rapporteur, ne vous fondez pas sur une jurisprudence particulièrement réactionnaire de la Cour de cassation : il est possible de créer un délit spécifique.

Mme Anne Souyris .  - L'homophobie tue et le silence a tué, même après l'abrogation de 1982. La République doit le reconnaître, sinon cela ne s'arrêtera pas.

En juin 1992, dix ans après la détection du « cancer gay », j'écrivais, dans le numéro 40 du journal du sida, qu'il était inutile de cacher les toxicos et les homos ; en 1982, un an après que le premier article de presse relatif au sida paraît dans le New York Times, la France dépénalise l'homosexualité. Trop tard : la stigmatisation perdure et l'épidémie s'installe. L'homosexualité est condamnée à mort par une épidémie que l'homophobie d'État n'a pas voulu reconnaître et combattre à temps. La stigmatisation a perduré et l'épidémie s'est installée.

Je voterai cette proposition de loi. Poursuivons cette politique mémorielle et de réparation sans purge de l'histoire. Sachons ce que nous devons aux combattants du sida. (M. Ian Brossat applaudit.)

M. Jean-Gérard Paumier .  - Les résistants homosexuels n'ont guère été honorés par la nation, et il faudrait leur rendre justice. Ainsi, l'écrivain Jean Desbordes, dit Duroc, un temps compagnon de Jean Cocteau, est mort sous la torture à 38 ans. Son nom d'écrivain est parmi les noms des écrivains morts pour la France, au Panthéon, mais pas son nom de résistant. Il a pourtant sauvé ses camarades en gardant le silence sous la torture.

Daniel Cordier, secrétaire de Jean Moulin, a mis très longtemps à révéler son homosexualité dans son autobiographie.

Ce texte est important et symbolique, notre responsabilité aussi, à travers un texte de réparation et d'apaisement. (Applaudissements sur plusieurs travées à gauche)

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Szpiner, au nom de la commission.

Rédiger ainsi cet article :

La République française reconnaît sa responsabilité du fait de l'application des dispositions pénales suivantes à compter du 8 février 1945, qui ont constitué une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle :

1° Le troisième alinéa de l'article 331 et le deuxième alinéa de l'article 330 du code pénal dans leur rédaction antérieure à la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux moeurs ;

2° Le deuxième alinéa de l'article 331 du code pénal dans sa rédaction antérieure à la loi n° 82-683 du 4 août 1982 abrogeant le deuxième alinéa de l'article 331 du code pénal.

Elle reconnaît que ces dispositions ont été sources de souffrances et de traumatismes pour les personnes condamnées, de manière discriminatoire, sur leur fondement. 

M. Francis Szpiner, rapporteur.  - Je propose une nouvelle rédaction : « La République française reconnaît sa responsabilité du fait de l'application des dispositions pénales suivantes à compter du 8 février 1945, qui ont constitué une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle » - suivent les dispositions en question. « Elle reconnaît que ces dispositions ont été sources de souffrances et de traumatismes pour les personnes condamnées, de manière discriminatoire, sur leur fondement. »

M. le président.  - Sous-amendement n°3 à l'amendement n 1 de M. Szpiner, au nom de la commission, présenté par M. Bourgi et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Amendement n° 1, alinéa 5

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Cette reconnaissance ouvre à ces personnes le bénéfice d'une réparation dans les conditions prévues à l'article 3 de la présente loi.

M. Hussein Bourgi.  - Ma préférence ne va pas à la rédaction du rapporteur. Si toutefois elle devait être retenue, il faudrait y ajouter au moins la réparation.

En droit français, lorsqu'une culpabilité est reconnue, le préjudice doit être indemnisé. J'entends qu'il pourrait être difficile de retrouver les victimes ; aussi je propose qu'elles se manifestent elles-mêmes, comme pour les harkis, ni plus ni moins.

D'éminents spécialistes du droit pénal, y compris au Sénat, ne partagent pas votre point de vue, monsieur le rapporteur. Une reconnaissance sans réparation, ce serait faire la moitié du chemin. Ne votons pas une loi de bonne conscience ; soyons cohérents jusqu'au bout. (Applaudissements à gauche)

M. Francis Szpiner, rapporteur.  - En général, je ne réponds pas aux lettres anonymes : que ces éminents juristes se manifestent ouvertement ! La règle en droit civil, c'est la prescription.

De quoi résulte le préjudice ? De la loi pénale. Vous demandez à la République de réparer le fait que les tribunaux ont appliqué une loi de la République ? C'est d'autant plus difficile que le préjudice est plus encore le fait de la société que de la loi directement. La réparation symbolique, morale, est bienvenue, mais elle suffit. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Sagesse. L'important, c'est qu'il y ait un texte. Le Gouvernement n'entend pas entrer dans des dissensions - et encore le mot est mal choisi... Je n'exprimerai que des avis de sagesse. C'est rare pour le Gouvernement.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - M. Darmanin a fait cela pendant toute la semaine il y a quinze jours...

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Je ne le savais pas...

Mme Laurence Rossignol.  - L'amendement du rapporteur pose de nombreux problèmes. Son intention est sûrement de protéger la République, qu'il ne veut pas voir assimilée à Vichy. Mais, ce faisant, vous effacez ce qu'ont subi les homosexuels sous Vichy. Vous effacez ce qu'a très bien évoqué notre collègue Paumier.

Je ne cite pas Jacques Chirac tous les jours, mais il a tenu des propos importants en son temps au Vél' d'Hiv'.

Aussi désagréables soient-elles, certaines politiques ont connu une grande continuité entre Vichy et la IVe République, comme celle qui s'est imposée aux femmes qui avortaient, et qui est allée parfois jusqu'à la peine de mort. Elle s'est même aggravée : à partir de 1946, les femmes qui recouraient à des avortements ont été systématiquement poursuivies. Les politiques moralistes visant à pénaliser les droits des femmes et des homosexuels ont été marquées par la continuité.

Par ailleurs, le texte de Hussein Bourgi ne parle pas de responsabilité ; c'est vous qui l'introduisez ! (Applaudissements sur quelques travées à gauche)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - L'amendement du rapporteur ne poursuit qu'un seul but : exclure la période de Vichy.

Sans doute pour faire un bon mot, le rapporteur dit : la gauche cite Jacques Chirac. Je ne cite pas Jacques Chirac, je cite le Président de la République, qui a dit le 16 juillet 1995 : « Reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l'État. Ne rien occulter des heures sombres de notre Histoire, c'est tout simplement défendre une idée de l'Homme, de sa liberté et de sa dignité. C'est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l'oeuvre. »

Voilà ce que nous vous demandons aujourd'hui : pas d'analyser ce qui s'est passé sous Vichy, mais simplement de le prendre en compte. Il est curieux de vouloir effacer cette période de l'Histoire de notre mémoire collective. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Ian Brossat applaudit également.)

M. Pierre Ouzoulias.  - Monsieur le rapporteur, vous ne m'avez pas répondu sur le parallèle que j'établis entre la loi du 22 juillet 2023 et ce texte. À l'époque, le Gouvernement souhaitait confondre la responsabilité du Reich et celle de Vichy. MM. Max Brisson et Roger Karoutchi s'étaient exprimés avec force pour s'y opposer. Et le Sénat les avait suivis !

Avec l'amendement du rapporteur, vous revenez sur une avancée historique. Faites attention, car cela serait catastrophique, compte tenu de la montée des actes antisémites. (Applaudissements sur quelques travées à gauche)

M. Francis Szpiner, rapporteur.  - N'oublions pas que les biens confisqués sous Vichy visés par la loi du 22 juillet 2023 étaient restés propriété de l'État...

Dans la proposition de loi, vous distinguez vous-même la période de Vichy et la IVe République. (Protestations à gauche) Il est faux de dire que j'introduis une telle distinction.

Le problème du négationnisme de la déportation des homosexuels est réglé par Nuremberg.

Quand le Président de la République - pardonnez ma familiarité qui me l'a fait appeler Jacques Chirac - tient ses propos sur Vichy, il dit « des Français » et « l'État français » ; il ne parle ni de la France ni de la République, car Vichy, ce n'est pas, ce ne sera jamais la République !

Mme Audrey Linkenheld.  - Vichy a consacré la pénalisation de l'homosexualité, conduisant à des condamnations et à des emprisonnements : vous effacez ces actes, qui ne correspondent pas à la déportation ! Si le négationnisme relève d'un autre débat, avec votre amendement, vous n'intégrez pas ces dispositions.

À la demande de la commission, le sous-amendement n°3 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°57 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 321
Pour l'adoption 122
Contre 199

Le sous-amendement n°3 n'est pas adopté.

À la demande de la commission, l'amendement n°1 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n°58 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 337
Pour l'adoption 221
Contre 116

L'amendement n°1 est adopté et l'article 1er est ainsi rédigé.

Article 2

M. Hussein Bourgi .  - J'ai une divergence majeure avec le rapporteur sur cet article. Il fait systématiquement référence à Nuremberg. Moi, je fais référence à ce qui se passe en France. En 2012, Christian Vanneste a évoqué la déportation pour homosexualité pendant la Seconde Guerre mondiale en parlant de « légende ». Jean-François Copé l'a courageusement exclu du parti. Des associations ont porté plainte, mais, lorsque l'affaire a été jugée en 2014, Christian Vanneste a été relaxé.

En 2022, durant la campagne pour l'élection présidentielle, Éric Zemmour a tenu exactement les mêmes propos ; une plainte est en cours. Nous ne pouvons pas attendre et espérer un revirement jurisprudentiel.

Je regrette que certaines associations faisant autorité sur la question en France n'aient pas été auditionnées - je pense au Mémorial de la déportation des homosexuels, et aux Oubliés de la mémoire. Plusieurs historiens ont aussi le sentiment d'avoir été délibérément mis de côté. Je le dis sans polémique : ils m'ont tous écrit, croyant que l'auteur du texte décidait des auditions. Nous devrions auditionner ces personnes lors de la deuxième lecture.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois.  - Puisque le Sénat a adopté l'amendement de la commission à l'article 1er, nous proposons de voter contre les articles qui suivent.

M. Francis Szpiner, rapporteur.  - Concernant les auditions, ce n'est pas une mauvaise volonté de la commission. Nous devions travailler dans un temps contraint, comme cela a été souligné.

La relaxe de M. Vanneste ne résulte pas de la Cour de cassation, faute d'un pourvoi : c'est une décision de cour d'appel, à la portée plus limitée.

À la demande de la commission, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°59 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 306
Pour l'adoption 103
Contre 203

L'article 2 n'est pas adopté.

Article 3

Mme Audrey Linkenheld .  - Le groupe SER est attaché à la reconnaissance des fautes commises et à leur réparation. Nous avons décrit ces vies brisées pour ces milliers d'hommes et ces centaines de femmes qui ont mal vécu les amendes, la prison et, pis encore, l'opprobre social, car les condamnations faisaient l'objet de publicité. Ruptures personnelles, professionnelles, sentimentales et familiales : telles en étaient les conséquences. Nous sommes attachés à une réparation symbolique de ces fautes.

Ces lois ont frappé d'abord les plus fragiles : personnes modestes, immigrés... Quand on est modeste, il est plus difficile de se payer un lieu de drague discret ou de négocier sa libération après une arrestation musclée... (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

À la demande de la commission, l'article 3 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°60 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 322
Pour l'adoption 119
Contre 203

L'article 3 n'est pas adopté.

Article 4

M. le président.  - Si cet article n'était pas adopté, l'article 5 deviendrait sans objet.

À la demande de la commission, l'article 4 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°61 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 325
Pour l'adoption 119
Contre 206

L'article 4 n'est pas adopté et l'article 5 n'a plus d'objet.

Intitulé de la proposition de loi

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Szpiner, au nom de la commission.

Remplacer la date :

1942

par la date :

1945

M. Francis Szpiner, rapporteur.  - Coordination.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - Sagesse.

M. Patrick Kanner.  - Ce débat aurait pu être plus consensuel. Le texte de M. Bourgi avait une cohérence.

M. François-Noël Buffet, président de la commission.  - Celui de la commission aussi !

M. Patrick Kanner.  - Reconnaissance et réparation. La reconnaissance et la réparation de ces injustices commencées en 1942 et continuées par la République auraient été à l'honneur de notre Haute Assemblée.

Monsieur le garde des sceaux, nous allons, malgré la déconstruction du texte de Hussein Bourgi, voter pour : le Gouvernement favorisera-t-il son inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE-K)

À la demande de la commission, l'amendement n°2 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°62 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 243
Contre 98

L'amendement n°2 est adoptéet la proposition de loi est ainsi intitulée.

À la demande de la commission, l'ensemble du texte est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°63 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l'adoption 343
Contre     0

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements)

La séance, suspendue à 18 h 25, reprend à 18 h 35.