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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Culture citoyenne

Discussion générale

M. Henri Cabanel, auteur de la proposition de loi

M. Bernard Fialaire, rapporteur de la commission de la culture

Mme Prisca Thevenot, secrétaire d'État chargée de la jeunesse et du service national universel

M. Gérard Lahellec

Mme Annick Girardin

M. Martin Lévrier

M. Adel Ziane

Mme Sabine Drexler

Mme Laure Darcos

M. Jean Hingray

Mme Mathilde Ollivier

Discussion des articles

Article 1er

M. Pierre Ouzoulias

Après l'article 1er

Article 2

M. Adel Ziane

Article 3

Article 5

Mme Cécile Cukierman

Vote sur l'ensemble

M. Henri Cabanel, auteur de la proposition de loi

M. Adel Ziane

Mme Prisca Thevenot, secrétaire d'État chargée de la jeunesse et du service national universel

Prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés

Discussion générale

Mme Nathalie Delattre, auteure de la proposition de loi

M. Alain Duffourg, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques

M. André Guiol

Mme Nadège Havet

Mme Nicole Bonnefoy

Mme Marta de Cidrac

M. Cédric Chevalier

Mme Nadia Sollogoub

M. Jacques Fernique

Mme Marie-Claude Varaillas

Discussion des articles

Article unique

Après l'article unique

Intitulé de la proposition de loi

Vote sur l'ensemble

Mme Nathalie Delattre

Mme Nicole Bonnefoy

Projet de loi de finances pour 2024

Discussion générale

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances

M. Claude Raynal, président de la commission des finances

Question préalable

M. Éric Bocquet

Discussion générale (Suite)

M. Didier Rambaud

M. Thierry Cozic

Mme Christine Lavarde

M. Joshua Hochart

M. Emmanuel Capus

Mme Nathalie Goulet

M. Thomas Dossus

M. Pascal Savoldelli

M. Raphaël Daubet

M. Saïd Omar Oili

Mme Florence Blatrix Contat

M. Stéphane Sautarel

M. Bernard Delcros

Mme Isabelle Briquet

M. Olivier Rietmann

M. Michel Canévet

M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics

Modification de l'ordre du jour

Discussion de l'article liminaire

Discussion de l'article 33

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial de la commission des finances

Mme Christine Lavarde, en remplacement de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes

Mme Florence Blatrix Contat

Mme Marta de Cidrac

M. Aymeric Durox

M. Emmanuel Capus

M. Jean-Michel Arnaud

M. Jacques Fernique

M. Éric Bocquet

Mme Annick Girardin

M. Jean-Baptiste Lemoyne

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe

Modification de l'ordre du jour

Ordre du jour du vendredi 24 novembre 2023




SÉANCE

du jeudi 23 novembre 2023

29e séance de la session ordinaire 2023-2024

Présidence de M. Alain Marc, vice-président

Secrétaires : M. François Bonhomme, Mme Nicole Bonnefoy.

La séance est ouverte à 9 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Culture citoyenne

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à renforcer la culture citoyenne, présentée par M. Henri Cabanel et plusieurs de ses collègues, à la demande du RDSE.

Discussion générale

M. Henri Cabanel, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI) Savez-vous ce qu'est la citoyenneté ? Seuls 28 % des jeunes des lycées Henri IV et Mermoz, à Béziers, ont répondu oui.

Un chiffre qui ferait frémir les rédacteurs de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC), qui déclaraient en 1791 : « Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. »

Deux siècles et demi plus tard, en cette ère de défiance, qu'est devenue la notion de bonheur pour tous ?

En mars 2023, 75 % des Français disent ne pas faire confiance au Gouvernement. Pour le Parlement, c'est entre 68 et 72 %. Les violences envers les élus ont progressé de 32 % l'an dernier. Pour les journalistes, 57 % de défiance !

Comment revenir aux valeurs communes de notre République ? Tel est l'objet de notre proposition de loi, issue de la mission d'information présidée par Stéphane Piednoir, organisée autour de trois axes : mieux éduquer, encourager une citoyenneté active et repenser les pratiques démocratiques pour rapprocher les citoyens des institutions.

Premier axe : mieux éduquer. Notre parti pris, c'est de nous préoccuper des jeunes, car la citoyenneté se construit et s'enseigne. L'enseignement moral et civique (EMC), au gré des réformes successives, est devenu une matière instable.

En 2018, Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, déplorait son statut très secondaire.

Il recommandait d'abord de développer les liens entre les jeunes et les institutions. Dans mon département, j'ai initié un binôme d'élus dans les établissements scolaires. Nous avons soutenu ce projet avec Sophie Béjean, rectrice de l'académie de Montpellier. Le but : que les élus portent d'une même voix auprès des jeunes scolarisés les valeurs de notre République.

Ensuite, Jean-Marc Sauvé expliquait que la refondation du pacte de citoyenneté devrait passer par la réaffirmation des valeurs qui sont à sa racine, et demandait que l'on intègre les jeunes en amont dans la construction des politiques publiques qui les concernent.

La citoyenneté se construit à l'école, mais comment se sentir citoyen quand l'égalité des chances n'est pas la même pour tous ? C'est pourquoi je travaille avec des jeunes de Paris, Melun, Marseille, Toulouse... Je salue particulièrement le travail remarquable conduit par l'association Une voie pour tous.

Nous avons auditionné des experts, mais surtout des jeunes, ce dont je suis particulièrement fier. Si nous ne les écoutons pas, il ne sert à rien de légiférer. J'ai organisé un déplacement à Montpellier, où nous avons entendu les jeunes parler de leur vie, de la vraie vie. L'un d'entre eux nous a dit se sentir exclu de la société.

Deuxième axe de la mission d'information : encourager une citoyenneté active. Pour faire citoyenneté, il faut pouvoir être acteur. C'était le but de la création du service civique. La création du service national universel (SNU) s'est inscrite dans une démarche similaire. Les critiques sur l'aspect militaire du dispositif sont de faux arguments. Faisons cohabiter les deux dispositifs. Voyons le service civique comme un complément du SNU : le SNU offre les bases, le service civique les nourrit, lui qui est si important pour les jeunes décrocheurs.

Troisième axe : repenser les pratiques démocratiques, pour rapprocher les citoyens des institutions.

Qu'avons-nous raté ? L'abstention est devenue aujourd'hui le premier parti de France. Des maires de grande ville n'ont été élus qu'avec 18 % des suffrages.

J'aurais aimé aller plus loin sur la reconnaissance du vote blanc et le vote obligatoire, mais j'ai dû composer.

Adopté à l'unanimité le 7 juin 2022, le rapport d'information est assorti de vingt-trois recommandations, dont six ont une traduction législative, sur l'EMC, la Journée défense et citoyenneté (JDC), les Établissements pour l'insertion dans l'emploi (Epide), la double procuration, la profession de foi électronique et le statut de l'étudiant élu.

Cette proposition de loi est limitée, car elle n'a pour ambition que de faire progresser quelques recommandations ; mais ainsi elle améliorera l'existant, dans l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI ; M. Laurent Lafon applaudit également.)

M. Bernard Fialaire, rapporteur de la commission de la culture .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) « Rien n'est moins naturel que la démocratie, qui consiste à remplacer la violence, verbale ou physique, par des discussions, des compromis et des efforts collectifs. » Ces propos de Dominique Schnapper nous rappellent la nécessité d'entretenir la flamme de la citoyenneté.

La mission d'information a identifié un parcours citoyen constitué de cinq étapes clés, fondements d'un projet collectif autour valeurs partagées. Mais chaque étape s'étiole. Il en résulte une « archipélisation de la société », pour reprendre les termes de Jérôme Fourquet.

La mission d'information a formulé vingt-trois propositions. Henri Cabanel reprend celles à portée législative. Nous sommes conscients que ce texte ne suffira pas à réconcilier tous les jeunes avec la démocratie, mais il améliorera la formation des jeunes à la citoyenneté.

Il y a 120 ans, Ferdinand Buisson disait : « Le premier devoir d'une République, c'est de faire des républicains. »

Nous voulons resserrer l'EMC sur des objectifs concis. Son contenu est désormais pléthorique, et manquent des heures dédiées. L'enseignant pioche des points dans le programme, selon son appétence et ses compétences : une forme de vision collective en pâtit.

La formation des enseignants n'est pas l'objet de ce texte, même si le sujet est primordial. Je suis ainsi frappé que le Capes d'histoire-géographie ne comporte aucune épreuve d'EMC ; les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé) n'incluent pas cette matière dans la formation initiale des enseignants. L'État doit reprendre la main, en tant que futur employeur. Par ailleurs, la défense des valeurs de la République ne peut se limiter aux seuls enseignants d'histoire géographie, il faut l'étendre à toute la communauté éducative.

La JDC devait être un rendez-vous obligatoire, pour l'ensemble d'une classe d'âge, avec ceux qui assurent la défense du pays. Or trois heures seulement y sont consacrées. Lors de l'examen de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), un amendement de M. Henri Cabanel, reprenant l'article 2 du présent texte, avait été voté, mais censuré comme cavalier.

L'article 3 de la proposition de loi vise l'intégration des jeunes via les Epide. Je me suis rendu dans un établissement et ai pu constater l'importance de ce dispositif. Mais les places sont limitées ; le taux d'occupation est de 90 à 95 %. Il convient de mieux faire connaître les établissements et de renforcer le maillage territorial. Une dizaine de départements ont envoyé moins de cinq jeunes en cinq ans en Epide, à cause d'un maillage insuffisant.

Les articles 4 et 5 visent à moderniser le processus électoral. La société évolue, je me réjouis donc que le Sénat se saisisse de cette question. La double procuration adapte notre système électoral aux réalités des mobilités actuelles. Quant à l'envoi dématérialisé de propagande, il ne sera pas généralisé, pour ne pas pénaliser ceux qui ne maîtrisent pas le numérique. Les jeunes sont particulièrement intéressés par cet envoi numérique. La commission a élargi cette possibilité pour les élections locales et européennes.

Difficile, pour les jeunes élus, de concilier études et mandat électif. Pourtant, l'engagement associatif, militaire et civil ou le travail étudiant sont pris en compte. Nous voulons donc étendre ces dispositions aux jeunes élus. La commission a réécrit l'article 6 en ce sens, et étendu ce dispositif aux mandats nationaux et européens.

Cette proposition de loi contribuera à guérir les fractures entre les citoyens et nos institutions. J'en profite pour saluer l'ensemble des élus, notamment les maires, qui sont un maillon essentiel de notre démocratie. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI ; M. Laurent Lafon applaudit également.)

Mme Prisca Thevenot, secrétaire d'État chargée de la jeunesse et du service national universel .  - Je suis honorée de m'exprimer pour la première fois à cette tribune en tant que secrétaire d'État chargée de la jeunesse et du SNU. J'aime penser ce ministère comme un ministère du lien, notamment entre les jeunes et nos institutions.

La citoyenneté est le socle de notre nation. Je remercie donc le RDSE d'avoir mis à l'ordre du jour ce texte constructif, transpartisan et rigoureux. Le Gouvernement en partage les constats et la philosophie. Le goût des jeunes pour l'engagement doit être renforcé. Nous ne sommes pas une somme d'individus mais une équipe de citoyens, sous un même drapeau, partageant les mêmes valeurs : liberté, égalité, fraternité. Nous devons construire ces valeurs dans une société plus tolérante et plus unie.

Notre jeunesse est confrontée à la grande bascule, pour reprendre les mots du Président de la République : crise écologique, difficultés économiques, retour de la guerre en Europe, conflits sociaux et religieux, transformation numérique. Cette jeunesse ne veut pas être administrée, mais responsabilisée. En l'émancipant, rendons-la actrice de son destin.

Avec Gabriel Attal, nous avons lancé le SNU en 2019. Quelque 90 000 jeunes y ont participé. En 2024, nous ouvrons 80 000 places. Cette année, le SNU franchit un pas de plus, avec les « classes et lycées engagés », autour d'un projet pédagogique annuel. Nous visons en priorité les quartiers prioritaires de la politique de la ville, dont sont issus la moitié des bénéficiaires.

Vendredi dernier, nous avons lancé les brigades citoyennes SNU, qui ont vocation à venir en aide aux collectivités territoriales dans les territoires frappés par les intempéries. Dès le lendemain, les premiers volontaires étaient sur le terrain dans le Pas-de-Calais.

En 2024, nous ambitionnons 150 000 volontaires. Il s'agit du premier poste de dépenses de mon ministère, avec 518,8 millions d'euros.

Favoriser les échanges, c'est aussi le but du dispositif Engagement seniors. J'ai annoncé le doublement du service civique pour que les jeunes puissent intervenir en Ehpad, l'objectif étant d'intervenir auprès de 200 000 personnes âgées d'ici à 2027.

Pour reprendre les mots du rapport, redynamiser la culture citoyenne, c'est permettre aux jeunes de s'investir dans les associations. Nous allons augmenter le Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA) : il passera de 50 millions d'euros en 2023 à 70 millions en 2024.

Nous traversons de profondes mutations auxquelles le secteur associatif n'est pas hermétique. Nous l'accompagnons autour de quatre grands axes : simplification, reconnaissance, facilitation et accompagnement des acteurs.

Le contenu de l'EMC doit être recentré sur l'éducation aux institutions, sur nos grandes valeurs et sur les grands sujets sociétaux. L'apprentissage d'une attitude réfléchie et éclairée face aux informations est une exigence démocratique. C'est pour cela que Gabriel Attal a annoncé que l'EMC serait renforcé dès 2024. Au collège, les heures seront doublées.

Le Conseil supérieur des programmes y travaille. Il serait prudent d'attendre ses conclusions, prévues pour début décembre, avant de modifier la loi. Cette matière, qui a fait l'objet de nombreuses modifications ces dernières années, ne peut se limiter à un enseignement historique. Elle doit favoriser une relation de confiance envers les institutions. Elle doit être aussi morale que civique.

La JDC doit aussi retrouver sa vocation initiale, celle d'un rendez-vous entre nos jeunes et nos armées. Le ministère des armées y travaille, pour la recentrer sur ses missions premières : enseigner les enjeux de défense, renforcer le lien armée-nation, accroître l'attractivité des métiers de défense. Les travaux sont en cours, c'est pourquoi le ministère des armées est réservé quant à la temporalité de l'article 2.

Le dispositif des Epide présente d'excellents résultats. Le Gouvernement est favorable à cet article 3, sous réserve de l'adoption de l'amendement de réécriture du rapporteur.

Le Gouvernement émettra un avis défavorable aux deux articles suivants. Le vote par procuration déroge déjà au secret du vote. La double procuration a été rendue possible durant la crise sanitaire, dans des conditions particulières. Mais seulement 7 % des mandataires détenaient une double procuration. Par ailleurs, la procuration a déjà été assouplie : depuis 2022, il est possible de détenir une procuration d'un électeur d'une autre commune.

Il semble prématuré d'inscrire l'envoi dématérialisé de la propagande électorale dans la loi. Cela impliquerait une collecte massive de données, car seuls 25 % des électeurs ont donné leur adresse e-mail.

Nous devons tout faire pour faciliter la vie des jeunes élus et les aider à concilier leurs études avec leur mandat. Je partage pleinement l'objet de l'article 6. Cependant, son inscription dans le code général des collectivités territoriales ne semble pas opportune.

Je souhaite que nous poursuivions le renforcement du parcours citoyen tout au long de la vie, sujet capital pour notre pays. Faisons-le ensemble, pour nos jeunes, et avec eux.

M. Gérard Lahellec .  - Je salue la volonté de cette proposition de loi de renforcer la culture de la citoyenneté. La création d'un statut d'étudiant élu ou le souci de moderniser le processus électoral sont de bonnes avancées.

L'EMC doit s'attacher à transmettre les valeurs de la République ; nous en avons grandement besoin. Je pense à nos enseignants, et à nos professeurs d'histoire-géographie en particulier, en grande souffrance jusque dans leurs classes. Il faut instruire notre jeunesse du sens profond de notre République, car c'est à cette seule condition qu'elle s'engagera pour la défendre.

Comme le disait Jean Jaurès, dans son discours de 1903 à la jeunesse : « L'histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l'invincible espoir. » Nous ne parviendrons pas à relever cet immense défi par quelques mesures symboliques, ni en revenant au temps du tableau noir, où la journée d'école commençait par une leçon de morale... Instituer la République, c'est proclamer que des millions d'hommes sauront concilier la liberté et la loi, le mouvement et l'ordre. À cet égard, cette proposition de loi nous semble peu ambitieuse.

Notre République n'est pas née de la transposition de la République romaine. Elle est celle d'un grand peuple de citoyens réputés égaux. Elle est celle de la démocratie et du suffrage universel - nouveauté magnifique, et émouvante. Nous devons en instruire notre jeunesse.

Nous ne voulons pas lui proposer un rêve décevant ou affaiblissant, mais le rêve éveillé d'une République à défendre face aux menaces ou aux illuminations. En votant cette proposition de loi, nous continuerons donc à nourrir cette grande ambition. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, du GEST, du groupe INDEP et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe UC)

M. Pierre Ouzoulias.  - Très bien !

Mme Annick Girardin .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Cette proposition de loi se veut pratique et pragmatique.

Depuis des décennies, nous inventons des dispositifs pour réaffirmer la citoyenneté et l'appartenance à la République. La France, pays des Lumières et des droits de l'homme et du citoyen, a porté face au monde la liberté, l'égalité et la fraternité. Mais les héritiers de ces combats s'en détachent en méconnaissant la valeur de cet héritage. Même la volonté de vivre ensemble, de faire nation, est en perte de vitesse.

Cette citoyenneté est une construction perpétuelle, mais encore faut-il en avoir les bases ! Nous ne nous facilitons pas la tâche en complexifiant le contenu de nos apprentissages, qu'il s'agisse de l'EMC ou de la JDC.

La citoyenneté, c'est aussi l'expérience et l'engagement. Les écodélégués, le SNU, le service civique, le volontariat international en entreprise (VIE) ou en administration (VIA), les conseils municipaux des jeunes... Les dispositifs sont nombreux. Pourquoi ne sont-ils pas suffisamment sollicités ? Parce qu'il est difficile d'y accéder, et qu'ils sont insuffisamment complémentaires.

J'ai entendu ce que le Gouvernement souhaitait faire pour valoriser cet engagement. Mais il faut aller vite.

Être citoyen, c'est aussi faire des choix politiques. Cela passe par le vote. La progression de l'abstention doit nous faire réagir. La double procuration ou l'envoi électronique des professions de foi sont des mesures de bon sens.

Voter cette loi, c'est aussi favoriser l'engagement des jeunes, en protégeant les étudiants élus ou en accompagnant des jeunes sans diplôme dans leur insertion. À cet égard, le service militaire adapté, en vigueur outre-mer, peut nous inspirer.

C'est avec beaucoup de fierté que notre groupe présente cette proposition de loi qui sera, je l'espère, largement votée. Je salue Henri Cabanel, son auteur, et Bernard Fialaire, son rapporteur. Ce travail devra se poursuivre par la matérialisation d'un parcours citoyen tout au long de la vie, sous la forme d'un passeport qui viendra sceller les droits et les devoirs des citoyens. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Martin Lévrier .  - La culture citoyenne est cruciale pour le renforcement du lien entre citoyens et institutions. Le RDPI partage cette préoccupation.

La mission d'information sur le renforcement de la culture citoyenne a identifié cinq étapes essentielles pour inscrire les citoyens dans un parcours collectif : l'école, la JDC, les dispositifs d'insertion sociale, l'engagement citoyen et les élections.

La proposition de loi entend améliorer la formation à la citoyenneté, moderniser le processus électoral et faciliter le mandat des jeunes.

Nous saluons les principales avancées du texte, comme la révision de l'EMC, le recentrage de la JDC sur la défense, la sécurité et l'orientation des jeunes vers ces métiers, ou encore la prolongation de trois mois de l'accompagnement au sein des Epide.

Une partie de notre groupe est défavorable au rétablissement de la double procuration prévu à l'article 4, contraire au secret du vote. Par ailleurs, adapter nos processus électoraux à la dématérialisation n'est pas forcément bénéfique. N'oublions pas que 15,4 % des Français de plus de 15 ans, selon l'Insee, sont en situation d'illectronisme.

Enfin, la création d'un statut d'élu étudiant est à saluer.

Comme bon nombre de sénateurs de notre groupe, je regrette que l'on n'ait pas attendu les conclusions des travaux du Conseil supérieur des programmes sur le contenu de l'EMC. La lettre de saisine du ministre souligne le rôle crucial de cet enseignement dans la formation de citoyens éclairés, l'importance de l'autonomie du citoyen et de son appartenance à une communauté politique. L'EMC sera enrichi de dispositions relatives à l'éducation aux médias et aux réseaux sociaux et à l'apprentissage du discernement. La non-articulation de la présente proposition de loi avec cette lettre de mission nous interroge.

Par ailleurs, les articles 4 et 5 soulèvent des questionnements qui ne permettent pas à notre groupe de voter unanimement.

M. Adel Ziane .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La citoyenneté est un concept essentiel, ciment de notre République. Inspiré de l'Antiquité, mûri par les Lumières et concrétisé en 1789, ce concept excluait autrefois les femmes ou les hommes ne pouvant s'acquitter du cens. Il a fallu attendre 1848 pour que soit instauré le suffrage universel, imparfait, et 1945 pour un suffrage vraiment universel, après un âpre et long débat sur le vote des femmes.

En 2023, ce combat continue, car la citoyenneté est bien plus qu'un statut administratif. Au concept d'un individu citoyen détenteur de droits et devoirs se substitue celui d'un individu consommateur de biens et services. La mondialisation et les crises environnementales remettent en question notre rôle de citoyen, tandis que l'abstention démontre un désintérêt pour nos institutions et qu'émergent des modes d'action autres que le vote.

L'enjeu est majeur : l'adhésion aux valeurs de la République, de liberté, d'égalité et de fraternité.

Il aurait fallu une approche plus ambitieuse pour renforcer l'engagement citoyen. Malgré l'absence d'avancées substantielles, nous saluons néanmoins cette proposition de loi.

Rendre l'EMC plus opérationnel est positif. L'article 4 pérennisant la double procuration nous semble intéressant, mais la vigilance sera de mise pour éviter les usages frauduleux. La création d'un statut d'élu étudiant est bienvenue. La commission l'a utilement étendu aux mandats nationaux et européens.

Partisan du progrès et de l'égalité, je reconnais que ce texte, même modeste, comporte des avancées.

Il faut explorer des pistes complémentaires : réformes éducatives audacieuses, réflexion sur la représentativité des institutions et la démocratie directe. La proposition de loi de Yan Chantrel sur le référendum d'initiative partagée, hélas rejetée hier, allait en ce sens.

Nous devons aussi nous attaquer à la désinformation et promouvoir une éducation aux médias.

Le groupe SER votera cette proposition de loi. Les premiers pas, même les plus modestes, ont leur importance. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDSE)

Mme Sabine Drexler .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis 1789, nous sommes tous reconnus comme citoyens et faisons partie d'une même nation démocratique, où la souveraineté appartient au peuple.

La crise démocratique que nous vivons se manifeste par une lente érosion de la participation aux élections. L'abstention est devenue le premier parti de France, le record ayant été atteint en 2021 aux élections départementales et régionales, avec seulement un tiers de votants.

Mais ne soyons pas défaitistes. Cet état des lieux est plutôt le signe d'un mécontentement et d'une méconnaissance du paysage institutionnel français, rendu illisible par les réformes successives. L'incohérente et complexe répartition des compétences entre collectivités territoriales et services de l'État y est pour beaucoup. En cherchant à y remédier, on complexifie encore. La dégradation du débat public, où l'invective a remplacé la parole, joue aussi.

Cette proposition de loi est une première étape, qui en appelle d'autres, pour retisser les fils de la confiance perdue. Il s'agit de recentrer, faciliter, encourager.

D'abord recentrer. L'école est un terreau, à condition que l'éducation morale et civique soit, comme autrefois, une discipline à part entière et non un enseignement « strapontin ». L'EMC doit être recentré sur ses fondamentaux : l'esprit républicain et la morale. Nos élèves doivent être formés à la connaissance des institutions et au fonctionnement de l'administration et des instances de gouvernement.

La JDC est l'occasion d'un contact direct avec les militaires et de sensibilisation aux sujets de défense : son contenu doit être recentré sur les enjeux de sécurité et sur les différentes formes d'engagement, pour faire de nos jeunes des citoyens responsables et éclairés. L'ignorance et le déni font le lit des guerres !

Les Epide ont fait leurs preuves depuis dix-huit ans : 50 000 jeunes en sont sortis, avec un taux d'insertion dans l'emploi de 40 %. Cette solution doit être développée. La proposition du rapporteur de prolonger la durée d'hébergement des jeunes travailleurs de trois mois est une excellente chose.

Nous ne pouvons qu'adhérer à la facilitation des démarches pour les électeurs : avec la double procuration, nous répondons aux attentes des citoyens. La diffusion par voie électronique de la propagande électorale devrait faire repartir la participation à la hausse, notamment chez les jeunes. Cela évitera aussi le gâchis de tonnes de papier et d'encre, la mise sous pli chronophage et les problèmes de distribution.

Les jeunes générations se détournent de plus en plus de l'engagement associatif ou politique, faute de temps. À l'heure où nous vivons une crise profonde des vocations, avec un nombre record de démissions d'élus, ouvrir un statut d'élu étudiant incitera les jeunes à s'engager dans la vie locale.

Nous devons dépasser les clivages politiques, la santé de notre démocratie est en jeu. Cette première étape en appellera d'autres. Suscitons l'envie de s'exprimer et de s'engager, d'être en toute connaissance de cause un citoyen français. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE ; Mme Monique de Marco applaudit également.)

Mme Laure Darcos .  - Je salue en tribunes l'élu Pierrick Courilleau, porteur de handicaps lourds, qui me suivra toute la journée. Très dynamique, il illustre tout ce que l'on peut apporter à la vie municipale tout en ayant ces handicaps. (Applaudissements)

Cette proposition de loi reprend les préconisations de la mission d'information d'Henri Cabanel visant à restaurer le lien entre les citoyens et les institutions. Elle apporte des réponses concrètes au désengagement démocratique des Français, dont témoignent les taux d'abstention. C'est d'autant plus vrai pour les jeunes, malgré l'EMC. Nous nous inquiétons du fossé grandissant entre élus et citoyens, de la fatigue républicaine qui s'est emparée de notre pays.

Ce texte formule des propositions réalistes et pertinentes. Je salue ainsi la création de la double procuration et la diffusion électronique des professions de foi, avancée écologique et logistique. Certains électeurs reçoivent la propagande après l'élection !

Afin de rapprocher les plus jeunes de la vie citoyenne, la proposition de loi recentre le contenu de l'EMC, dont les programmes actuels sont incohérents et les objectifs disparates.

La création d'un statut d'élu étudiant est une excellente mesure. Nous devons encourager les vocations. En cette semaine consacrée aux maires de France, je salue les plus jeunes d'entre eux.

Bien que non mentionné dans le texte, le SNU est un moyen de valoriser la citoyenneté et le sens de l'engagement. Le séjour de cohésion permet un brassage social qui n'existe plus depuis la conscription. Je salue l'initiative de Mme la secrétaire d'État de déployer les brigades SNU auprès des collectivités territoriales et des associations venant en aide aux victimes des inondations dans les Hauts-de-France.

Le SNU fait grandir les jeunes en tant que citoyens. Je suis favorable à son extension à l'ensemble d'une classe d'âge, même si je n'ignore pas les défis. Avec un peu de bon sens, nous pourrions dégager une marge de manoeuvre financière en les déployant à proximité de leur domicile. En revanche, la saisine du Parlement sera nécessaire pour trancher sur sa nature volontaire ou obligatoire, militaire ou civique.

Le groupe INDEP soutiendra la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Jean Hingray .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je félicite Henri Cabanel et Stéphane Piednoir pour leur travail. Alors qu'un fossé se creuse entre élus et citoyens, cette proposition de loi apporte une traduction législative aux recommandations de la mission.

Nous saluons la réforme du code de l'éducation, qui intègre une formation aux valeurs de la République dans le cadre de l'EMC, afin de sacraliser la pédagogie sur nos institutions et sur le principe de laïcité. Plus les jeunes connaîtront le rôle de chaque élu, plus ils voteront.

Nous nous félicitons du recentrage de la JDC. Les sensibilisations sur l'égalité femmes-hommes ou sur le don d'organes existent dans les établissements scolaires. Se focaliser sur l'engagement au sein des forces armées, des réserves ou des sapeurs-pompiers pourra même susciter des vocations.

La proposition de loi réforme également le processus électoral. La double procuration fonctionne, nous l'avons vu en 2021, et pourrait réduire l'abstention chez les jeunes en études loin du domicile familial.

L'envoi dématérialisé de la propagande électorale est encourageant, mais arrêter le courrier serait prématuré. Il faudrait envoyer d'abord par courriel, pour que les électeurs disposent de davantage de temps pour lire les professions de foi.

Le statut d'élu étudiant, sur le modèle de l'étudiant salarié, apporterait des facilités pour combiner études et mandat. S'il est difficile d'agir sur l'éloignement entre le lieu d'élection et le lieu d'études, on peut néanmoins aider les étudiants à dégager du temps pour un mandat.

Le groupe UC votera cette proposition de loi et vous encourage à faire de même. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDSE, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Mathilde Ollivier .  - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Marie-Pierre Monier et M. Gérard Lahellec applaudissent également.) Notre pays est plus fracturé que jamais. Les causes sont complexes : crises à répétition, difficultés économiques et sociales, exemplarité de la classe politique.

Nous, écologistes, sommes convaincus que le vivre ensemble doit se conjuguer au faire ensemble. Nous devons travailler la question du lien, dans nos villes et villages. Le principe du faire société se trouve actuellement dans une impasse.

Vous évoquez à raison la forte fluctuation législative : faut-il légiférer encore et encore sur l'EMC et la JDC ? La liberté d'enseignement de nos professeurs permettra un meilleur résultat. Faisons-leur confiance. Pour la JDC, je regrette la disparition de la mention de la lutte contre les préjugés sexistes et contre les violences sexuelles et sexistes.

La dématérialisation de la propagande électorale est une bonne chose. Souvenons-nous du fiasco de la distribution lors des législatives ! Elle réduira le risque de dysfonctionnement et l'empreinte carbone des élections, mais doit rester facultative pour ne pas aggraver la fracture numérique. De même, la double procuration de vote est bénéfique, elle a fait ses preuves pour les Français de l'étranger. Encore faut-il bien communiquer sur le fonctionnement.

L'abstention affolante est le symptôme d'une société malade. Aux dernières présidentielles, 42 % des 18-24 ans ne se sont pas déplacés ; 70 % lors des législatives. Cette proposition de loi s'engage à mieux reconnaître l'engagement des jeunes dans les mandats politiques. Le concilier avec les études et la vie personnelle exige de surmonter de nombreux obstacles. Le taux de maires de plus de 60 ans est de 55,3 %. Il y a de l'espoir ; des jeunes sautent le pas dans les conseils départementaux et régionaux, à l'Assemblée nationale et au Sénat. Leur permettre de libérer du temps pour leur mandat est une bonne chose.

Combattre le frein de l'engagement politique des jeunes, c'est leur laisser la place. Faire et vivre en société, c'est favoriser l'engagement de toutes et tous, quel que soit l'âge, le genre ou le milieu social. La jeunesse est notre pilier, donnons-lui sa chance.

Le GEST votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST, du groupe SER et du RDSE)

Discussion des articles

Article 1er

M. Pierre Ouzoulias .  - Je salue cette nouvelle rédaction, sobre et efficace, de l'article L. 312-15 du code de l'éducation.

L'enseignement obligatoire des principes de la laïcité dans les établissements sous contrat sera désormais d'ordre législatif et non réglementaire. Un arrêté de juillet 2021 prévoit bien que tous les personnels des établissements, y compris hors contrat, soient formés à la laïcité, mais il n'est pas appliqué. J'ai été saisi par des syndicats d'enseignants qui regrettent le très faible nombre de formateurs sur la laïcité, malgré les consignes du secrétariat général de l'enseignement catholique (SGEC). Trop d'établissements estiment qu'enseigner la laïcité est optionnel. Avant même l'adoption de cette proposition de loi, votre ministère doit s'assurer de la pleine effectivité de son arrêté.

M. Patrick Kanner.  -  Très bien !

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Ziane et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 3

Remplacer les mots :

à la

par les mots :

aux principes de la République visés au premier alinéa de l'article 1er de la Constitution dont celui de

M. Adel Ziane.  - Nous nous félicitons du toilettage de l'article L. 312-15, qui avait enflé pour intégrer de nombreuses préoccupations sans rapport évident avec l'EMC. Néanmoins, en le restreignant autant, certains sujets cruciaux sont supprimés.

Il faut rappeler les principes de la République figurant à l'article 1er de la Constitution, notamment son caractère indivisible, laïc, démocratique et social. Nous n'avons pas compris le raisonnement du rapporteur en commission, arguant que les principes de la République seraient contenus dans ses valeurs. Pour nous, l'indivisibilité de la République signifie que les lois s'appliquent de la même manière que pour tous. La laïcité découle de l'application de la loi de 1905. La démocratie signifie que le peuple détient le pouvoir qu'il confie à ses représentants élus. La République sociale implique que l'État a le devoir de satisfaire les besoins des citoyens en matière d'éducation, de logement et de santé.

L'État est garant des principes de la République, qui ne sont pas inclus dans les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité. Ces valeurs obligent l'État, mais aussi les citoyens. L'EMC doit éclairer sur ces deux facettes de la vie citoyenne : les principes du ressort de l'État protecteur et les valeurs partagées par toutes et tous.

M. Patrick Kanner.  - Très bien !

M. Bernard Fialaire, rapporteur.  - La commission souhaite conserver l'esprit de ce texte : rassembler sur les valeurs de la République un EMC plus concentré. Au RDSE, nous défendons les principes de la République, qui, selon nous, constituent les valeurs de la République. Que serait la laïcité sans la liberté ? Qu'est-ce que la fraternité, sinon la solidarité, le contraire du communautarisme ? Retrait, pour ne pas alourdir. À défaut, avis défavorable.

Mme Prisca Thevenot, secrétaire d'État.  - Les programmes en vigueur prévoient cet enseignement du CP à la Terminale. La saisine du Conseil supérieur des programmes mentionne bien la transmission des valeurs fondamentales et des principes inscrits dans la Constitution. Retrait, sinon avis défavorable. Inutile de réécrire ce qui est déjà écrit.

M. Patrick Kanner.  - Je connais une grande élue du Nord qui dit que quand c'est flou... Vous connaissez la suite.

M. Pierre Ouzoulias.  - Bien vu !

M. Patrick Kanner.  - Pourquoi ne pas mentionner les principes de la République ? La volonté de toilettage ne doit pas conduire à réduire à la portion congrue ce qui fait notre pacte républicain, notre vivre ensemble. De quoi avez-vous peur ?

Mme Prisca Thevenot, secrétaire d'État.  - Nous n'avons pas peur !

M. Patrick Kanner.  - La rédaction proposée est claire et nette : il faut montrer notre engagement. Je me souviens de propositions du Gouvernement pour identifier parfaitement la laïcité.

M. Pierre Ouzoulias.  - M. Jean-Raymond Hugonet nous a instruits sur les différences entre valeurs et principes de la République. La valeur, en latin, c'est ce qui vaut, qui se mesure. Le principe, c'est ce qui est premier. Faire référence à l'article 1er de la Constitution me semble une évidence. Je ne comprends pas votre opposition.

Je laisse M. Hugonet compléter... (Sourires)

M. Jean-Raymond Hugonet.  - Je suis heureux de ce débat. Depuis six ans, je me bats pour rappeler le distinguo subtil, mais pourtant évident, entre les valeurs de la République - liberté, égalité et fraternité - et les principes de la République énoncés dans la Constitution, au nombre desquels la laïcité.

En six ans, j'ai repris les deux ministres de l'éducation nationale qui, sciemment ou par incompétence, commettaient cette confusion. C'est une erreur fondamentale !

Bien entendu, notre pays est laïc et nous en sommes fiers. Nous avons même inventé cette laïcité.

Il ne faut pas toucher à ce qui est clair : les valeurs sont très claires et sont premières. Je remercie Pierre Ouzoulias et le président Lafon pour notre travail commun. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. Pierre Ouzoulias.  - Notre combat !

M. Henri Cabanel.  - J'ai bien entendu ce qui vient d'être dit. Il est important de penser laïcité, mais surtout de le dire. Je voterai cet amendement.

M. Pierre Ouzoulias.  - Très bien !

Mme Sylvie Robert.  - Bravo !

M. Philippe Grosvalet.  - Le monde va mal. Quand on le parcourt, on nous parle du patrimoine de la France, mais n'oublions pas son patrimoine immatériel que sont les grands principes de la République, et notamment la laïcité. On peut interpréter une valeur à sa façon. Mais les principes, eux, sont intangibles.

Si nous avons quelque chose d'exceptionnel à faire valoir, c'est bien la laïcité. Quand un principe est bien énoncé, il s'entend mieux. Je voterai cet amendement.

Mme Prisca Thevenot, secrétaire d'État.  - Bien évidemment, nous devons en permanence rappeler les valeurs et les principes de notre République. Ce n'est pas moi qui dirais le contraire. Toutefois, ils figurent dans nos textes. Inutile de les réécrire : il convient avant tout de faire appliquer ce qui est écrit.

Il est vrai qu'il y avait un flou, mais ce n'est plus le cas.

M. Patrick Kanner.  - Ce n'est pas clair du tout !

Mme Prisca Thevenot, secrétaire d'État.  - Dès sa nomination, Gabriel Attal a voulu sortir des zones grises sur ces sujets. (M. Patrick Kanner proteste.) Nous sommes tous d'accord ici sur les valeurs et les principes de la République : faisons en sorte qu'ils soient appliqués en dehors de cet hémicycle.

M. Patrick Kanner.  - Nous ne sommes pas convaincus !

L'amendement n°1 est adopté.

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Ziane et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée : 

Cet enseignement sensibilise les élèves aux dangers d'internet et de la manipulation de l'information ainsi qu'aux droits et devoirs des enfants et à toute forme de maltraitance et de harcèlement les concernant.

M. Adel Ziane.  - Si le recentrage de l'EMC est bienvenu, certains sujets importants en sont désormais exclus : c'est le cas de la sensibilisation aux dangers d'internet et au harcèlement, pourtant grande cause du ministère de l'Éducation nationale. En informer les élèves est essentiel à la formation de citoyens libres, égaux et fraternels.

L'article liminaire du code de l'éducation dispose qu'aucun élève ne doit subir de harcèlement, mais cela n'empêche pas un enseignement spécifique. Nous souhaitons que ce sujet soit gravé dans la loi comme relevant de l'EMC.

M. Bernard Fialaire, rapporteur.  - Avis défavorable. Le ministre nous a dit qu'il voulait faire de l'éducation aux médias et à l'information (EMI) l'une des priorités des programmes d'enseignement. Appelons un chat un chat : l'EMC doit enseigner les valeurs de la République, et l'EMI se concentrer sur l'éducation aux médias.

Mme Prisca Thevenot, secrétaire d'État.  - Vous le dites très justement : le risque est de tout demander à l'EMC, au risque de manquer de temps. La certification Pix, désormais déployée dès la 6e, permet de développer la capacité à se saisir des outils numériques et donc d'intégrer la question du harcèlement et du cyberharcèlement.

Votre amendement est satisfait. Retrait, sinon avis défavorable.

Mme Laure Darcos.  - Dans l'absolu, il faudrait parler à l'école du harcèlement, du respect du corps, de la sexualité. Mais nous ne pouvons tout intégrer au programme de l'EMC, doté de quelques heures seulement. Recentrons-le sur la citoyenneté et les valeurs de la République. Je vous rejoins toutefois : l'école doit aborder ces sujets primordiaux.

L'amendement n°2 n'est pas adopté.

L'article 1er, modifié, est adopté.

Après l'article 1er

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par Mme Monier et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans les six mois suivant la publication de la présente loi, le Gouvernement transmet au Parlement un rapport de bilan sur l'effectivité de l'organisation de l'enseignement moral complémentaire auquel les élèves des établissements du premier degré dispensés d'enseignement religieux, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, doivent être soumis. Il propose, le cas échéant, des pistes pour rendre plus effectif cet enseignement complémentaire. 

Mme Marie-Pierre Monier.  - Si le Concordat prévoit un enseignement religieux à l'école publique dans le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle, une dispense est possible. Le code de l'éducation prévoit pour ces enfants dispensés un complément d'enseignement moral, mais celui-ci n'est pas effectif : en pratique, ce temps est consacré à des coloriages, dessins ou lectures libres... Soit 180 heures d'enseignement obligatoire perdues, et ce pour plus de 50 % des élèves, puisque les élèves dispensés sont désormais majoritaires.

Nous demandons un rapport sur l'effectivité de cet enseignement.

M. Bernard Fialaire, rapporteur.  - Avis défavorable : la coutume du Sénat est de refuser les rapports. Toutefois, nous attendons au moins des informations de la part du Gouvernement sur ce sujet.

Mme Prisca Thevenot, secrétaire d'État.  - Même avis.

M. Pierre Ouzoulias.  - C'est un peu court ! L'enseignement religieux en Alsace-Moselle n'a rien à voir avec le Concordat : il est imposé par une loi allemande du 10 juillet 1873 qui vise l'enseignement de « la » religion, et non des religions comme en France « de l'intérieur ».

En 2022, en Moselle, l'enseignement de la religion était suivi par 35 % des élèves de primaire, 7 % des collégiens et aucun lycéen. En Alsace, 20 % des lycéens suivent ces cours.

Cet enseignement est obligatoire, mais les élèves dispensés sont majoritaires. Il est certes difficile de toucher au droit local allemand, mais nous pourrions rapprocher cet enseignement de l'enseignement du fait religieux, qui favorise la distanciation critique. Je vous conseille l'excellent rapport de Régis Debray sur le sujet.

Mme Marie-Pierre Monier.  - Madame la ministre, pouvez-vous répondre ?

Mme Prisca Thevenot, secrétaire d'État.  - Je vous propose de saisir l'inspection générale pour faire un état des lieux.

Mme Marie-Pierre Monier.  - Merci !

M. Pierre Ouzoulias.  - Très bien !

L'amendement n°4 n'est pas adopté.

Article 2

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par M. Ziane et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 9, première phrase

Après le mot :

citoyenneté 

Rédiger ainsi la fin de cette phrase :

, aux enjeux du renforcement de la cohésion nationale, de la mixité sociale et de l'égalité femmes-hommes ainsi qu'à la lutte contre les préjugés sexistes et homophobes et à celle contre la violence au sein des couples.

M. Adel Ziane .  - Cet amendement réintroduit certaines exigences relatives à la JDC qui, dans un esprit de rationalisation, en ont été exclues. Il nous semble important que l'égalité hommes-femmes soit abordée, de même que la lutte contre les préjugés sexistes et homophobes ainsi que la sensibilisation aux violences conjugales.

M. Bernard Fialaire, rapporteur.  - Ces sujets sont très importants. Mais ont-ils leur place dans la JDC ? La proposition de loi la recentre sur l'essentiel, à savoir la défense et la citoyenneté. Les sujets que vous évoquez doivent être traités au cours de toute la scolarité. Les trois heures d'enseignement de la JDC ne permettent pas de faire plus. Avis défavorable.

Mme Prisca Thevenot, secrétaire d'État.  - Même avis.

L'amendement n°3 n'est pas adopté.

L'article 2 est adopté.

Article 3

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par M. Fialaire, au nom de la commission.

Alinéa 3

Compléter cet alinéa par les mots :

et dans la limite des places disponibles

M. Bernard Fialaire, rapporteur.  - Cet amendement vise à rassurer et fait suite à une remarque de Stéphane Piednoir en commission.

La prolongation du séjour en Epide pour les jeunes sans hébergement se ferait dans la limite des places disponibles - soit 5 à 10 %. Un grand progrès a déjà été acquis : les jeunes sont désormais accueillis le week-end, quand ils se retrouvaient parfois à la rue...

Mme Prisca Thevenot, secrétaire d'État.  - En toute logique, avis favorable. En lien étroit avec ce texte, qui vise à faire vivre la citoyenneté au quotidien, dans un souci d'inclusion, je salue Thomas, qui m'accompagne aujourd'hui dans le cadre du DuoDay, au Sénat puis à Bruxelles. (Applaudissements)

M. Adel Ziane.  - Cet amendement est réducteur, car il limite l'accès à ces établissements au nombre de places disponibles. Or le taux d'occupation moyen dans les Epide est de 90 à 95 %. Sans obligation, le dispositif se résume à une déclaration de principe. Nous ne voterons pas cet amendement.

L'amendement n°5 est adopté.

L'article 3, modifié, est adopté.

L'article 4 est adopté.

Article 5

Mme Cécile Cukierman .  - L'accélération de la dématérialisation de la propagande électorale est une fausse bonne idée. Alors que nous traversons une crise politique et de confiance, n'allons pas assimiler ces éléments à des prospectus de réclame ! Le risque est que les citoyens ne regardent plus du tout les professions de foi. Il convient de faire preuve de prudence - souvenez-vous de l'émotion, lors des élections départementales et régionales de 2021, quand une grande partie de nos concitoyens n'avait pu recevoir ces documents qui éclairent le vote.

Nous ne nous opposons pas à cet article, mais n'accélérons pas trop sur la dématérialisation pour n'exclure personne.

L'article 5 est adopté.

L'article 6 est adopté, ainsi que l'article 7.

Vote sur l'ensemble

M. Henri Cabanel, auteur de la proposition de loi .  - Cette proposition de loi n'est certes pas très ambitieuse, mais elle résulte d'un compromis. Pour aller plus loin, il convient d'aller doucement. (M. André Guiol renchérit.) Nous faisons un premier pas.

Je ne comprends pas vos arguments, madame la ministre, sur le statut de l'étudiant élu. La Convention nationale de la démocratie locale, engagée par Dominique Faure, répond à la volonté des élus locaux de jouir d'un véritable statut.

Nous souhaitons créer un statut similaire pour les jeunes élus, pour favoriser leur engagement. Nous les avons écoutés, faisons-leur de la place ! Cette mesure constitue une avancée. Il faudra aller plus loin, en faisant des compromis. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe Les Républicains et du RDPI)

M. Adel Ziane .  - Je salue le travail en commission. Il était essentiel pour nous que certaines thématiques de l'EMC ne soient pas renvoyées à d'autres dispositifs aux contours encore peu clairs.

Par ailleurs, le sujet des principes de la République est primordial et nous nous réjouissons d'en avoir débattu sereinement.

La question du statut de l'étudiant fait aussi écho au Congrès des maires. Nous devons proposer aux étudiants qui souhaitent s'engager un statut pour les y aider. (Mme Mathilde Ollivier applaudit.)

Mme Prisca Thevenot, secrétaire d'État chargée de la jeunesse et du service national universel .  - Sur le statut des étudiants élus, je vous rejoins sur le principe. Le texte est au début de son parcours législatif. Je suis à votre disposition pour avancer sur cette mesure dans la suite de la navette, en lien avec le ministre de l'intérieur.

M. Henri Cabanel.  - Merci !

La proposition de loi, modifiée, est adoptée.

(Applaudissements sur les travées du RDSE, du RDPI, du groupe SER et du GEST)

La séance est suspendue quelques instants.

Prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à aménager la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés, présentée par Mme Nathalie Delattre et plusieurs de ses collègues, à la demande du RDSE.

Discussion générale

Mme Nathalie Delattre, auteure de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP) L'entrée en vigueur du décret du 7 août 2017 relatif à la prévention des risques liés aux sons amplifiés, dit décret Bruits, tirant son origine de la loi de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016, a fait basculer l'ensemble des activités des sports mécaniques dans le droit commun.

Elle porte en germe des risques contentieux qui menacent la pérennité des associations sportives. Aucun circuit ne peut en effet respecter ce nouveau cadre réglementaire, sur lequel les acteurs concernés n'ont pas été consultés.

L'enjeu de la présente proposition de loi est de trouver une solution équilibrée, pour concilier pratique des sports mécaniques et protection de la tranquillité publique. Il ne s'agit pas d'autoriser un bruit excessif.

Environ 2 300 épreuves sportives sont organisées chaque année sur plus de 1 000 circuits, dont 37 circuits de vitesse, porte-étendards du savoir-faire français. Les 24 heures du Mans ou le Grand prix de Formule 1 ont une notoriété qui dépasse nos frontières.

La filière des sports automobile a un chiffre d'affaires de 2,3 milliards d'euros et génère 13 500 emplois directs. C'est la troisième filière sportive en France pour son impact économique.

Autour de chaque site, un écosystème s'est développé, ferment de cohésion sociale - sur lequel pèse une épée de Damoclès qui ne doit pas perdurer.

Les fédérations sportives délégataires doivent se conformer à une réglementation complexe. Après l'obtention d'un arrêté préfectoral d'homologation renouvelable tous les quatre ans, une visite de la commission d'examen des circuits de vitesse ou de la commission départementale de la sécurité routière, elles édictent les règles techniques et de sécurité, dont les réglementations sonores. Désormais incapables de respecter la règle d'émergence, de nombreux circuits sont exposés à un risque de fermeture sur la seule plainte d'un riverain ou d'un collectif, alors qu'ils ont été précisément construits en périphérie des centres urbains pour éviter les nuisances. Mais l'opposabilité de l'antériorité de la construction aux activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques ne s'applique pas aux sports mécaniques.

Cette menace est d'autant plus paradoxale que cette filière est vectrice d'innovations technologiques en matière environnementale, pour lesquelles la France est pionnière. La filière a développé de nouvelles technologies profitant à l'ensemble de l'industrie automobile et des citoyens. Elle est ainsi à l'origine de la motorisation hybride et des biocarburants. Entraver le développement de ces technologies, ce serait ralentir la transition écologique des transports.

La Fédération française du sport automobile et la Fédération française de motocyclisme ont fait la preuve de leur volonté en la matière : en décembre prochain, seront présentées les conclusions de leur baromètre environnemental.

Ne pas agir, ce serait aussi prendre le risque que se développent les rodéos urbains, aux conséquences tragiques. C'était pour les éviter qu'il y a cinquante ans, le Gouvernement avait développé ces circuits : en témoigne le circuit Carole, à Tremblay-en-France, nommé en hommage à une victime de ces rodéos. Il ne s'est jamais autant vendu de motos en France. Ne faudrait-il pas plutôt encadrer cette pratique via des circuits ?

De nombreux maires m'ont fait part de leur soutien, pour cette raison. Je salue Mme la maire d'Albi, présente en tribune. La voirie publique n'est en effet pas concernée par le décret Bruits.

Cette proposition de loi ne crée pas un droit à la pollution sonore, mais propose un compromis entre survie des circuits et santé publique, par l'introduction d'une dérogation à l'article L. 571-6 du code de l'environnement, applicable aux seuls sports mécaniques. Le pouvoir réglementaire pourrait ainsi modifier le décret Bruits de 2017.

Je remercie le rapporteur pour son travail. Il nous incombe à présent, chers collègues, de débattre de ce texte dans le temps imparti réservé au RDSE. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que des groupes UC et INDEP)

M. Alain Duffourg, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - Les sports mécaniques font partie de notre patrimoine : cette troisième filière sportive pour le chiffre d'affaires représente 2,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires et 13 500 emplois. Le Gers abrite ainsi le circuit de Nogaro qui organise une course autour des fêtes de Pâques. Je salue les maires gersois présents en tribune.

La proposition de loi que nous examinons n'est pas une entrave à la sécurité sanitaire que nous défendons tous. Les fédérations sportives sont engagées depuis longtemps dans la réduction des nuisances sonores. Il ne s'agit pas de court-circuiter la prévention des risques liés aux bruits, mais d'adapter le dispositif législatif.

Avant 2017, les circuits étaient régis par les fédérations sportives et le préfet, qui pouvait adapter les règles à chaque manifestation.

Le décret de 2017 a été pris sans que les acteurs de la filière soient consultés, et leur applique des règles générales pour les bruits de voisinage. Or un circuit de vitesse n'est pas un voisin comme les autres !

La commission a cherché à sécuriser juridiquement le dispositif et à clarifier le champ d'application des règles, pour présenter un texte pragmatique cherchant un équilibre entre exercice du sport automobile et santé humaine. Le texte paraît équilibré et adapté. Il enverra un signal fort à la filière et aux citoyens qui trouvent du lien social sur les circuits.

Je remercie Nathalie Delattre de sa proposition de loi, et le président de la commission Jean-François Longeot qui m'a fait confiance. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP, ainsi que sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques .  - La France est une grande nation de sport ! Elle l'est devenue en acclimatant des disciplines venues d'outre-Manche, mais aussi en étant pionnière, comme c'est le cas pour les sports mécaniques, source d'innovation technique - avec les véhicules hybrides - et sociétale, avec la ceinture de sécurité. Ils sont devenus une passion bien française, comme l'illustrent les 2 300 événements que font vivre 160 000 licenciés et 130 000 bénévoles.

Les noms de Magny-Cours, de Paul-Ricard et des 24 heures du Mans se sont fait une place à part dans la grande épopée du sport mondial.

La France entend poursuivre cette grande histoire, tout en conciliant passion des courses, innovation, développement durable et protection de la santé publique. Je remercie donc Mme Delattre de cette initiative. (Mme Nathalie Delattre salue Mme la ministre.)

L'objectif n'est pas de placer les sports mécaniques en dehors de tout cadre, mais de trouver le meilleur dispositif législatif possible pour maintenir cette filière, tout en renforçant ses efforts pour la réduction des nuisances sonores.

Le décret Bruits résulte d'une double impasse. Issu de la loi du 28 janvier 2016, il a été rédigé sans concertation avec les acteurs de la filière, sans étude d'impact ni mesure transitoire, alors qu'elle était déjà régie par des règles strictes.

Soumis en droit à la règle d'émergence - soit la différence entre un bruit ambiant, bruit durant l'activité, et un bruit résiduel - les circuits sont bien souvent, malgré eux, pris au piège. En pleine ville, leur activité a forcément un impact sur son voisinage immédiat, qui lui est postérieur - l'exemple d'Albi est à ce titre parlant. En milieu rural, la règle d'émergence est quasi impossible à respecter, le bruit résiduel étant faible.

Certaines compétitions de premier plan comme les 24 heures du Mans ou le Bol d'or ne peuvent respecter les règles d'émergence entre période diurne et période nocturne. Ce flou juridique pénalise les collectivités territoriales souvent propriétaires ou gestionnaires des circuits comme l'État, dont la responsabilité peut être invoquée. Nos préfets sont à la fois les autorités homologuant les circuits et celles qui sont chargées de faire respecter la police de l'environnement.

La Fédération française de sport automobile et la Fédération française de motocyclisme travaillent déjà à une réduction du bruit depuis les années 2000. La première a réduit le bruit de 20 décibels en vingt ans ; pour la seconde, le bruit a baissé de cinq à sept décibels pondérés de 2009 à 2024.

Cet engagement responsable place la France à l'avant-garde mondiale. C'est en France que la première compétition automobile électrique sur circuit a eu lieu, en 2009. Des carburants décarbonés sont utilisés, notamment pour la Formule 4. Un objectif de neutralité carbone a été fixé pour 2050.

Il est à l'honneur de l'initiative parlementaire de rechercher un nouveau point d'équilibre pour pérenniser le sport automobile, fleuron national, tout en protégeant la tranquillité publique et la santé humaine. Le dispositif proposé demeure perfectible, ce sera l'objet de notre débat.

Il sera nécessaire d'exposer plus explicitement la nature des dérogations au code de la santé publique et les prescriptions particulières aux sports mécaniques.

Je m'engage à mener un travail spécifique, pour qu'ensemble nous continuions à améliorer le dispositif proposé, en nous appuyant sur les préfets, à l'aune de l'éclairage apporté par le baromètre des filières.

Le Gouvernement s'en remettra à la sagesse du Sénat.

Je suis persuadée que nous parviendrons à concilier nos deux impératifs : la pérennité de la filière, et la tranquillité et la santé publiques.

Vous pouvez compter sur moi pour mobiliser les acteurs, au service de ces deux objectifs sur lesquels nous n'avons pas le droit de décevoir les Français. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et du RDSE)

M. André Guiol .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) L'entrée en vigueur du décret relatif à la prévention des risques liés au bruit a fait basculer les sports mécaniques dans le droit commun des bruits de voisinage. Il est nécessaire de protéger les citoyens contre les bruits, notamment causés par les comportements illicites et agressifs comme les rodéos urbains. La présente proposition de loi vise à aménager des règles spécifiques pour que les sports mécaniques ne soient plus à portée de plainte de riverains ou de collectifs.

Favoriser la poursuite des sports mécaniques pourrait paraître inopportun, dans un contexte de décarbonation des transports. Ce serait méconnaître que les innovations de la filière ont contribué à réduire les nuisances environnementales des moteurs thermiques en améliorant leurs performances mécaniques. C'est particulièrement utile pour les groupes électrogènes alimentant îles et fermes isolées, hôpitaux et centrales nucléaires.

Les sports mécaniques ont aussi contribué à améliorer la sécurité routière via la tenue de route, les suspensions, les ceintures de sécurité, l'habitacle et le freinage ABS.

Notre aventure humaine doit arbitrer entre deux objectifs apparemment antinomiques : lutter contre le réchauffement climatique et poursuivre une activité économique. Comme le disait Jean Jaurès, le courage, c'est d'aller à l'idéal et de comprendre le réel.

Une majorité des membres du RDSE votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Nadège Havet .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Les sports mécaniques doivent concilier leur pratique avec la tranquillité du voisinage et la santé humaine. Mais le décret de 2017 les soumet au droit commun, qui s'ajoute aux règles techniques des fédérations. C'est disproportionné, voire inapplicable, comme à Magny-Cours ou aux 24 heures du Mans, qui doivent respecter de surcroît les régimes diurne et nocturne.

Le risque évident de contentieux inquiète les fédérations. S'il est impératif de lutter contre la pollution sonore, le RDPI votera majoritairement en faveur de cette proposition de loi qui prévoit des dérogations pour les sports mécaniques. Il souhaite que les efforts des constructeurs et organisateurs se poursuivent et que le décret prévu soit praticable, mais ambitieux.

J'ai constaté les progrès réalisés notamment par le motocyclisme pour réduire le volume sonore.

Les professionnels du spectacle vivant font face eux aussi à une réglementation ambitieuse. Quelque 3 000 festivals sont concernés. Des expériences sont menées pour relever le défi technique et respecter l'environnement. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe UC)

Mme Nicole Bonnefoy .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le décret Bruits a été pris dans la continuité de la loi Touraine pour renforcer la protection des riverains. L'impact des nuisances sonores sur la santé et son coût social ont été prouvés par une récente étude de l'Ademe. Ce décret affecte aussi les festivals.

Les fédérations de sport mécanique ont réalisé un baromètre environnemental ; mais il est impérieux d'aller plus loin, notamment en raison de leur forte consommation d'énergie fossile. Les riverains doivent se sentir suffisamment protégés.

Le Sénat ne doit pas s'empêcher de placer des garde-fous. Nous avons donc présenté trois amendements encadrant mieux le dispositif. Nous proposons la consultation du Conseil national du bruit (CNB) avant la rédaction du décret. Certes, il dispose d'un pouvoir d'autosaisine, mais cela va mieux en le disant, d'autant plus que le texte laisse la main au pouvoir réglementaire. Nous proposons un rapport d'évaluation dans un article additionnel et une clarification de l'intitulé du texte.

Nous voulons un meilleur équilibre entre sports mécaniques, santé humaine et protection du voisinage. Je ne comprends pas la position rigide du rapporteur sur nos amendements en commission. J'espère que cela changera aujourd'hui. Il n'y a aucune contrepartie à la dérogation concédée.

Dans sa réponse à une question écrite de l'un de nos collègues, le Gouvernement a indiqué qu'un groupe de travail interministériel s'était réuni en octobre 2021. Sur quoi cela a-t-il abouti ? Des aménagements du décret sont-ils prévus, et dans quel sens ? (M. Jacques Fernique applaudit.) Savoir tout cela aurait pu rendre ce texte inutile.

Nous sommes circonspects face au manque de souplesse du rapporteur. Si nos amendements sont rejetés, nous nous opposerons à la proposition de loi (MM. Jacques Fernique et Pierre Barros applaudissent.)

Mme Marta de Cidrac .  - (Mme Elsa Schalck applaudit.) Ancien membre du Conseil national du bruit, je me réjouis de cette proposition de loi. Mieux différencier et encadrer les risques liés au bruit est une bonne initiative. Ce n'est pas créer un droit à la pollution sonore.

Les sports mécaniques participent à l'innovation et à la recherche industrielle de pointe. Biocarburant, hybridation, motorisation électrique, remplacement du carbone par le chanvre, télémétrie, aérodynamique, toutes ces technologies venant de la course automobile sont devenues d'incontournables standards pour réussir la transition écologique.

Il est indispensable que, dans toutes les disciplines, les sports mécaniques conservent un écosystème avec des infrastructures comme le circuit Jean-Pierre Beltoise, dans les Yvelines.

Or la filière est fragilisée par l'application du droit commun du bruit ; même les formules E sont en infraction : un monoplace électrique produit en effet 85 décibels. Ne pénalisons pas ce laboratoire pour l'industrie automobile qui doit tendre aux objectifs européens - le temps presse.

Un chemin de crête équilibré doit être trouvé. Les Français ont droit à la tranquillité publique.

Bien qu'en dehors du champ de la loi de 2016, le transport aérien connaît les mêmes problèmes. Les Yvelines sont particulièrement concernées. J'ai d'ailleurs plusieurs fois interrogé le Gouvernement sur la mise en oeuvre des trajectoires d'approches aériennes dites en descente douce, qui semblent convenir à tous les acteurs - preuve que s'adapter à certaines réalités sectorielles est souvent une solution de bon sens.

Le bruit est l'un des maux du monde moderne : intensification des déplacements, généralisation des casques... Comme la pollution lumineuse, elle n'est pas sans conséquence sur notre santé. L'audition est l'une des fonctions de notre organisme qui ne cesse jamais. Il peut y avoir des troubles du sommeil et des dommages cardiovasculaires irréversibles.

Je salue tous les acteurs engagés contre la pollution sonore, notamment les élus locaux et les services de l'État.

Nous devons réaliser un travail de sensibilisation auprès de nos concitoyens. Le secteur du BTP devra également agir davantage sur l'isolation phonique, qui fait partie des diagnostics immobiliers.

Ce texte adapte un dispositif trop large qui ignore les spécificités de la filière. Le droit à la différenciation ne rime pas avec l'octroi de privilèges. Nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mme Nathalie Delattre applaudit également.)

M. Cédric Chevalier .  - (Applaudissement sur les travées du groupe UC ; Mme Nathalie Delattre applaudit également.) Sur tous nos territoires, les courses automobiles sont des lieux d'échange et de rencontre. Au-delà des vitrines comme les 24 heures du Mans, il y a des rallyes dans tous les départements. Le circuit de Gueux, près de Reims, est classé au patrimoine monumental français, et la Marne est un lieu de passage du Rallye de Monte-Carlo. J'ai été bercé par les exploits de mon arrière-grand-père Charles Delfosse, constructeur et pilote automobile dans les années 1920.

Les sports mécaniques sont soumis à de strictes restrictions ne correspondant pas à leurs pratiques, malgré de grands progrès. Je salue le travail de l'auteure et du rapporteur. Notre commission a voulu instaurer un cadre limitant les nuisances mais desserrant un étau inutilement pressurisant. Il n'est pas question d'instaurer un droit à la pollution sonore, mais de permettre un développement équilibré du sport.

Les circuits automobiles existent pour la plupart depuis longtemps : nous ne sommes pas dans un film d'Yves Robert où des quadras achètent une maison près d'un aéroport un jour de grève des avions ! (Sourires)

Les avancées technologiques de ces sports servent à l'ensemble des constructeurs automobiles. La France est reconnue pour son savoir-faire d'excellence. Le moteur turbo a été développé grâce à la Formule 1, de même que l'ABS ou la récupération de l'énergie cinétique. Les freins à disque ont été présentés lors des 24 heures du Mans.

M. Jean-Raymond Hugonet.  - Très bien !

M. Cédric Chevalier.  - Il faut trouver une pratique équilibrée entre ces sports et les nuisances. De nombreuses améliorations ont été trouvées. Le groupe Les Indépendants votera ce texte. (Mme Nathalie Delattre et M. Alain Duffourg applaudissent.)

Mme Nadia Sollogoub .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Nathalie Delattre applaudit également.) Dans cet univers plein de bruit et de fureur, c'est le bruit des uns qui provoque la fureur des autres, écrivait Antoine Blondin. (Sourires) Mais un bruit peut être insupportable ici et acceptable ailleurs. C'est une réalité à géométrie variable.

Dans un souci de protection de la santé publique, le décret Bruits détermine des niveaux sonores à respecter par des activités impliquant la diffusion de sons amplifiés à des niveaux sonores élevés, prévoit l'information du public, la mise à disposition de protections auditives et la mise en place de dispositions permettant le repos auditif. Les seuils sont fixés en décibels dits pondérés, des niveaux de pression acoustique maximum sur une durée déterminée. Cela concerne les festivals et les lieux hébergeant des activités susceptibles d'occasionner la diffusion de sons amplifiés à des niveaux sonores élevés, en prenant cette fois en compte un critère d'émergence.

Curieusement, on trouve des dérogations pour les bruits d'infrastructure de transport, des installations de défense, nucléaires, des carrières, certaines installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), et même des lieux situés à Saint-Barthélemy...

Cela induit des incohérences : le bruit d'un véhicule sur une route n'est pas plafonné, mais il l'est dans l'enceinte d'un circuit automobile, comme si la santé des riverains d'une autoroute comptait moins que celle des riverains d'un circuit automobile.

Or les sports automobiles participent du rayonnement de la France et ont un effet d'entraînement. Élue de la Nièvre, département mal connu, j'ai pu constater que le circuit de Magny-Cours l'était bien plus - comme le vin de Pouilly-sur-Loire. Les habitants sont tout à fait informés des bruits et le circuit a fait venir plus d'habitants qu'il n'en a fait partir. Le maire du village m'a indiqué qu'il savait détecter à l'oreille une vieille F1 des voitures modernes, bien moins bruyantes, et que l'installation d'un mât de mesure du bruit sur le toit de sa mairie avait prouvé que l'autoroute voisine suscitait plus de nuisances sonores.

Sénèque nous dit qu'il fallait séparer les choses du bruit qu'elles font. C'est ce que nous faisons pour les axes routiers et les activités industrielles.

Permettons à nos préfets de reprendre la main et d'utiliser une méthode qui vaut tous les décrets : la discussion. Le groupe UC votera cette proposition de loi pied au plancher ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDSE)

M. Jacques Fernique .  - La pollution sonore est une des pollutions les plus négligées ; pourtant ses impacts sanitaires sont prouvés : selon l'OMS, le bruit est le second dommage environnemental le plus important, après la pollution atmosphérique.

Pas moins de 20 % de la population européenne est exposée à des niveaux de bruits préjudiciables pour la santé. Cela affecte la santé humaine et animale. Il y a donc urgence à faire moins de bruit. Une étude conjointe du CNB et de l'Ademe évalue son coût social à 147 milliards d'euros chaque année.

Cette proposition de loi qui accorde une dérogation à la réglementation antibruit va à l'encontre des préconisations environnementales, du droit européen, des codes de l'environnement et de la santé publique. Quoi qu'on en dise, elle est un recul du droit à la santé. Le groupe écologiste s'y opposera.

Hypertension, maladies cardiovasculaires, morts prématurées sont les conséquences d'un bruit trop important. À Biltzheim, face au vacarme du circuit de l'Anneau du Rhin et aux effets des voitures et motos traversant les villages voisins jusqu'à Pfaffenheim, de nombreux riverains cochent dans le calendrier les jours de courses automobiles pour quitter le secteur. Où est le lien social ?

Le décret antibruit de 2017, voilà une norme sérieuse.

Certes, les circuits créent de l'engouement et de l'attractivité, mais l'argument de l'antériorité témoigne d'une singulière conception du code de l'environnement.

Quand un ancien pilote et responsable de circuit déclare, sans ambages, que la moitié de l'intérêt de ce sport vient du bruit du moteur, cela nous montre à quel point la culture de ce sport doit évoluer. (M. Alain Duffourg acquiesce.)

Les sports mécaniques ont aussi leur transition à mener. En votant cette proposition de loi, nous ne les y aiderons pas. Nous n'y contribuerons pas.

Mme Marie-Claude Varaillas .  - (M. Pierre Barros applaudit.) La prévention du bruit est un enjeu sanitaire et de qualité de vie. Selon un rapport de l'ONU de 2017, le bruit entraîne 48 000 cardiopathies et 12 000 décès prématurés par an en Europe. Les Européens sont 22 millions à souffrir de nuisances sonores chroniques. Certaines communes ont ainsi expérimenté des radars antibruit, aménagé des parcs et isolé des bâtiments. Nous devons apaiser les ambiances, en ville comme à la campagne.

L'intitulé de la proposition de loi n'est pas reflété par son objet. Le spectacle des sports mécaniques contribue au dynamisme économique de certaines communes, indubitablement. Toutefois, rien n'empêche des normes en matière de bruit, comme c'est déjà le cas pour le poids des véhicules ou le carburant. Elles pourraient en outre conduire les écuries à innover pour rendre les moteurs plus silencieux et performants.

Les passions de quelques-uns ne doivent pas causer des désagréments à toutes et tous.

Nous présenterons un amendement pour que le décret sur le bruit tienne compte de l'avis du CNB. S'il ne devait pas être retenu, comme nous souhaitons préserver la qualité de vie des riverains, nous voterons contre le texte. (M. Pierre Barros applaudit.)

Discussion des articles

Article unique

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par MM. Fernique, Dantec, Benarroche, G. Blanc, Dossus et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mme Ollivier, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel.

Supprimer cet article.

M. Jacques Fernique.  - Considérant qu'il faut aller vite, sans faire trop de bruit : défendu ! (Sourires ; Mme Nathalie Delattre et M. André Guiol applaudissent.)

M. Alain Duffourg, rapporteur.  - Avis défavorable. Le texte, équilibré, protège à la fois les sports mécaniques et la santé de tous.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Le dispositif actuel pose de nombreuses difficultés pour les circuits. Nous devons conjuguer pérennité des circuits, préservation de la santé et tranquillité publique.

Cette proposition de loi peut être améliorée pour éviter les effets de bord. Sagesse. La discussion doit se poursuivre.

Mme Nathalie Delattre.  - Le RDSE ne votera pas cet amendement. Nous voulons que le débat perdure et que la proposition soit votée.

M. Jacques Fernique.  - Le décret date de 2017, nous sommes fin 2023. J'entends la volonté d'équilibre, mais existe-t-elle vraiment ? Où en est le groupe de travail sur cette question, annoncé par le Gouvernement en 2022 en réponse à une question de Patrice Joly ?

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Les gens ne veulent plus travailler !

L'amendement n°5 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par Mme Varaillas et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.

Alinéa 3

Après le mot :

vitesse

insérer les mots :

et du Conseil national du bruit

M. Pierre Barros.  - Si nous commençons à légiférer au cas par cas pour chaque problème, nous ne nous en sortirons pas.

Cet amendement prévoit un avis du CNB. Le travail législatif est important, mais il faut consulter les structures existantes. L'association Antibruit de voisinage salue cette position.

Le bruit n'est pas logarithmique : trois décibels de plus doublent la pression acoustique ! La technologie permet certes des moteurs moins bruyants, mais on ne pourra se passer d'une bonne correction acoustique et d'isolation.

M. le président.  - Amendement identique n°2, présenté par Mme Bonnefoy et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Mme Nicole Bonnefoy.  - Le CNB doit être consulté pour l'élaboration du décret prévu à l'alinéa 3. Il peut certes s'autosaisir, mais mieux vaut l'inscrire dans la loi.

Mme la présidente.  - Amendement identique n°7, présenté par Mme Havet.

Mme Nadège Havet.  - Défendu.

M. Alain Duffourg, rapporteur.  - Avis défavorable. Le ministère de l'environnement peut déjà faire appel au CNB, qui peut aussi s'autosaisir.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Sagesse. La loi actuelle prévoit l'avis de la Commission nationale d'examen des circuits de vitesse, déjà consultée pour homologuer les circuits. Le code du sport veille au respect de ses missions d'évaluation et de proposition, y compris sur les nuisances sonores.

L'objectif poursuivi est donc pleinement atteint. Sans remettre en cause la compétence du CNB, je ne souhaite pas alourdir la procédure.

Les amendements identiques nos1, 2 et 7 ne sont pas adoptés.

L'article unique est adopté.

Après l'article unique

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par Mme Bonnefoy et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d'évaluation de la mise en oeuvre du décret prévu au deuxième alinéa de l'article L. 571-6-1 du code de l'environnement et de ses conséquences sur les activités mécaniques, l'environnement, la santé et la tranquillité des riverains.

Mme Nicole Bonnefoy.  - Cet amendement prévoit un rapport sur l'application de ce texte dans les deux ans suivant sa promulgation. Aucune contrepartie n'est demandée à la filière des sports mécaniques, dont la préservation est mise sur le même plan que la lutte contre les nuisances sonores. Une clause de revoyure est donc indispensable. Certains rapports sont nécessaires, celui-ci est attendu par les riverains.

M. Alain Duffourg, rapporteur.  - Avis défavorable. Le Sénat n'est pas enclin à accepter les demandes de rapport.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Avis défavorable.

M. Jean-François Longeot, président de la commission.  - L'amendement est intéressant, même si les demandes de rapport ne sont pas notre tasse de thé, d'autant que le Gouvernement nous les remet rarement... Une réunion est prévue pour veiller à l'application de la loi. Je serai vigilant, la réflexion de Mme Bonnefoy étant pertinente.

L'amendement n°3 n'est pas adopté.

Intitulé de la proposition de loi

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par Mme Bonnefoy et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Rédiger ainsi l'intitulé de la proposition de loi :

Proposition de loi visant à instaurer un régime dérogatoire applicable aux sports mécaniques en matière de prévention des risques liés aux bruits

Mme Nicole Bonnefoy.  - La loi doit être intelligible et claire. L'intitulé actuel, qui ne mentionne pas les sports mécaniques, semble avoir pour objet de dissimuler la nature du texte.

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par MM. Fernique, Dantec, Benarroche, G. Blanc, Dossus et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mme Ollivier, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel.

Rédiger ainsi l'intitulé de la proposition de loi :

Proposition de loi visant à court-circuiter la prévention des risques liés aux bruits pour les sports mécaniques.

M. Jacques Fernique - Selon les auteurs de la proposition de loi, les sports mécaniques seraient soumis à des normes inapplicables. Cet amendement vise à mettre en cohérence leur objectif et l'intitulé du texte. Vous avez le choix entre deux propositions : choisissez la bonne !

On a cité Jaurès, dont j'ignorais la passion pour les courses. (Sourires) Je citerai Albert Camus : « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde. »

M. Alain Duffourg, rapporteur.  - Les expressions de régime dérogatoire et de court-circuit sont inappropriées. Avis défavorable aux deux amendements.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Sagesse sur l'amendement n°4, avis défavorable sur l'amendement n°6.

L'amendement n°4 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°6.

Vote sur l'ensemble

Mme Nathalie Delattre .  - Je remercie le rapporteur et les services du Sénat pour le travail effectué, ainsi que l'ensemble des groupes pour nos échanges. Je me réjouis de l'adoption probable de ce texte et je fais confiance à la navette pour l'améliorer.

Mme Nicole Bonnefoy .  - Je regrette que nos amendements, pourtant constructifs, n'aient pas été retenus.

Le président Longeot dit qu'il veillera à la bonne application de la loi. Je n'hésiterai pas à vous le rappeler, car le bruit est une question majeure. Notre groupe votera majoritairement contre ce texte.

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements sur les travées du RDSE ; MM. Cédric Chevalier et Thierry Cozic applaudissent également.)

M. Jean-François Longeot, président de la commission.  - Merci à tous pour ce débat intéressant. Le sujet nous invite à la vigilance. Madame Bonnefoy, je sais que vous ne lâcherez rien ! Je m'engage à avoir une oreille attentive au bruit... (Sourires)

Je rends hommage au travail accompli par nos services en quelques semaines. Nous espérons une suite à l'Assemblée nationale.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Je remercie Nathalie Delattre. Nous ne devons rien lâcher sur la préservation de la filière des sports mécaniques, les enjeux de santé publique et de protection de l'environnement. Je remercie également le rapporteur et ses services.

Nous approfondirons le débat durant la navette. Pour poser les curseurs aux bons endroits, nous avons besoin du législateur. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI ; Mmes Nathalie Delattre et Annick Girardin applaudissent également.)

La séance est suspendue à midi vingt-cinq.

Présidence de M. Mathieu Darnaud, vice-président

La séance reprend à 14 h 30.

Projet de loi de finances pour 2024

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2024.

Discussion générale

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique .  - Permettez-moi de saluer la présence de Raphaël Zahiri, qui m'accompagne dans le cadre de la semaine pour l'emploi des personnes handicapées. Le Gouvernement tient à l'insertion des personnes en situation de handicap dans le monde du travail. Raphaël, comme toutes les personnes en situation de handicap, vous avez toute votre place dans notre société.

La période économique est complexe. La conjoncture internationale ralentit, en France comme chez nos partenaires. Même si elle reflue, l'inflation pénalise les plus modestes, malgré les mesures prises par le Gouvernement et le début de ralentissement des prix. La guerre au Proche-Orient et en Ukraine inquiète.

Je crois à la capacité de l'économie française à tenir bon.

Premièrement, nous avons de la croissance - ce qui n'est pas le cas partout. Nous ferons 1 % de croissance en 2023, comme je m'y étais engagé. La Commission européenne estime la croissance pour 2024 à 1,2 %, le Gouvernement à 1,4 %.

L'inflation reflue en France et dans la zone euro : nous avons gagné cette bataille en un peu moins de deux ans, alors qu'il avait fallu dix ans dans les années 1960.

Certes, l'emploi marque le pas, mais plusieurs projets industriels majeurs devraient voir le jour.

Je suis donc convaincu que si nous poursuivons les transformations économiques de notre modèle social pour inciter davantage au retour à l'emploi, la France réussira dans les prochaines décennies.

Encore faut-il tenir une ligne claire et ferme.

D'abord, sur les comptes publics. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 prévoit un déficit de 4,4 % - nous tiendrons ce chiffre, comme nous avons toujours tenu nos objectifs, hors période covid.

C'est pourquoi nous allons supprimer les boucliers tarifaires sur l'électricité et le gaz : nous payons encore 30 % de la facture d'électricité des ménages. C'est fait pour le bouclier sur le gaz ; il en ira de même pour l'électricité d'ici au 1er janvier 2025.

Votre excellent rapporteur général...

MM. Emmanuel Capus et Laurent Burgoa.  - Excellent !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - ... a proposé d'aller plus vite. Je le remercie pour cette proposition utile et bienvenue. Nous sommes prêts à la reprendre, dès lors que les tarifs pour les ménages n'augmentent pas de plus de 10 % en février 2024.

Nous ferons également des économies sur la politique de l'emploi et sur les dispositifs à destination des entreprises.

Deuxièmement, à la demande de la Première ministre, nous avons engagé une revue des dépenses qui nous fera économiser 2 milliards d'euros sur le Pinel, le prêt à taux zéro (PTZ) et les politiques de l'emploi.

Les propositions d'économies des parlementaires nous aident. (Mme Nathalie Goulet s'en félicite.) Je salue le travail de la majorité à l'Assemblée nationale et de l'autre excellent rapporteur général, Jean-René Cazeneuve, qui a permis de dégager 1 milliard d'euros supplémentaires, avec le maintien de la contribution sur la rente inframarginale et le gel des allègements de charges.

Nous tiendrons aussi la promesse de repasser sous les 3 % de déficit d'ici à 2027.

Toutes les dépenses publiques seront examinées : nous prévoyons trois revues des dépenses d'ici au premier semestre 2024, qui concerneront une quarantaine de programmes.

Il est indispensable d'engager une réflexion globale sur le périmètre de l'État et l'enchevêtrement des compétences, comme prévu par la mission Woerth.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances.  - Lisez le rapport du Sénat, cela vous fera gagner du temps !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Nous agissons donc en trois temps : sortir des dispositifs exceptionnels liés au covid, engager la revue des dépenses publiques et enfin interroger l'organisation administrative de notre pays pour plus d'efficacité.

Nous devons être clairs et fermes sur la stratégie économique, et donc sur la croissance, qui crée des emplois et réduit la dette.

Je refuse l'austérité, qui n'a jamais permis de rétablir les comptes publics. Je crois à la responsabilité et au soutien à la croissance. Nous maintiendrons la politique de l'offre, qui a fait ses preuves depuis sept ans : deux millions d'emplois créés, trois cents usines implantées, des filières relancées - comme celle des batteries électriques.

Cette année, les impôts de production baisseront de 1 milliard d'euros, en vue de supprimer la contribution à la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) dans les meilleurs délais possible. C'est la seule baisse d'impôt prévue en 2024 et elle est pour les PME.

Nous allons réaliser dans les prochains mois un effort massif de simplification de la vie des entreprises, pour permettre aux entrepreneurs de se concentrer sur la création de valeur et d'emplois. (M. Pascal Savoldelli ironise.) Toutes les propositions seront les bienvenues.

Nous devons aussi viser le plein emploi. La France bute depuis cinq décennies - un demi-siècle ! - sur les 7 % de taux de chômage. Quand ça va mal, c'est 10 % ; quand ça va bien, c'est 7 %. Nous ne sommes jamais parvenus au plein emploi, soit 5 %. Tel est l'objectif fixé par le Président de la République. Mais nous n'y parviendrons pas à modèle social constant. (Exclamations de surprise à gauche)

M. Pascal Savoldelli.  - Ben oui !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Donnons-nous les moyens d'y arriver ensemble, en ouvrant plusieurs chantiers.

Premièrement, celui de l'assurance chômage. La première discrimination est l'âge : passé 55 ans, on vous ferme la porte au nez. C'est une discrimination invisible, mais réelle.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Il serait temps de le découvrir !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - On argue alors du moindre prétexte pour vous écarter. Voilà la réalité inavouable du modèle social français, à laquelle je ne me résignerai pas. Approchant moi-même de cet âge...

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - C'est bon, je les ai passés !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - ... j'estime que cette compétence et cette expérience sont précieuses pour les entreprises.

M. Michel Canévet.  - C'est vrai !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Avec une durée d'indemnisation de 27 mois pour les plus de 55 ans, contre 18 mois pour les autres, l'incitation à la reprise d'emploi est faible et l'assurance chômage se transforme en retraite.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Et alors ?

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Il faut donc modifier les règles : je suis favorable à une indemnisation de dix-huit mois et souhaite que les entreprises prennent leurs responsabilités pour donner aux seniors toute la place qui leur revient. (Murmures à gauche)

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Et comment ?

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Une société qui se prive des compétences des plus de 55 ans se prive de richesses.

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Dites-le au Medef !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Deuxièmement, le chantier du logement. Nombre de jeunes ne peuvent prendre un emploi aux Herbiers, alors même qu'il y a des emplois disponibles, tout simplement par manque de logements. (Mme Marie-Claire Carrère-Gée ironise.) Il faut donc construire plus vite et mieux, grâce à des mesures fortes.

M. Bruno Retailleau.  - Pas le ZAN !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Je suis prêt à étudier toutes les propositions. Cela passera par une simplification massive et un échange approfondi entre l'État et les collectivités territoriales.

M. Bruno Retailleau.  - Nous avons des idées...

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Je le sais,...

M. Pascal Savoldelli.  - Moi, je ne le savais pas !

Une voix à gauche.  - Et nous ?

M. Bruno Le Maire, ministre.  - ... et d'autres groupes en ont aussi.

Troisièmement, la productivité est en berne, car l'Union européenne n'innove pas assez et n'a pas créé cette union des marchés de capitaux pour laquelle je me bats depuis cinq ans. Sans elle, il n'y aura pas d'intelligence artificielle européenne. Pour gagner en productivité, il faut gagner en innovation, donc en moyens de financement.

L'innovation doit être ouverte à tous. Comment notre nation peut-elle se résigner à avoir moins de femmes ingénieures qu'il y a vingt ans ? D'où ma proposition de quotas de femmes dans les classes préparatoires scientifiques.

M. Thomas Dossus.  - Parlez-en à votre collègue !

Mme Marie-Claire Carrère-Gée.  - Parlez-nous du budget plutôt !

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Cela manque de femmes sur le banc des ministres !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Quatrième chantier, la réindustrialisation. L'hypocrisie et les mensonges ont fait des ravages. Longtemps, on a privilégié la consommation et redistribué des richesses qui n'avaient pas été créées. C'est en redevenant une nation de production, avec usines, exploitations agricoles et produits à forte valeur ajoutée que nous ferons tenir notre modèle social. Il n'y a pas de modèle social généreux sans production industrielle et agricole de masse.

La baisse des impôts sur les entreprises, la loi relative à l'industrie verte, le crédit d'impôt doivent nous permettre de gagner la bataille de la production et de financer sainement notre modèle social. La transition climatique est une opportunité historique pour y parvenir.

Si nous voulons gagner la bataille de la relocalisation, il faut investir massivement dans la formation et nous doter des mêmes instruments de protection que la Chine et les États-Unis. L'Europe doit aider des projets à contenu européen, qui respectent les normes européennes. Sinon, le marché européen deviendra un supermarché pour les puissances étrangères.

Tout cela suppose des comptes publics bien tenus et une accélération du désendettement. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Bruno Belin applaudit également.)

M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics .  - Je suis heureux d'être accompagné d'un commissaire du Gouvernement, M. Santiago Forestier, qui partage nos travaux dans le cadre du programme DuoDay pour une société plus inclusive. Ce programme a permis l'année dernière à 35 000 personnes d'amorcer un parcours d'insertion.

Nous avons récemment débattu de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) et, hier, le Sénat a voté les conclusions de la CMP sur le PLF de fin de gestion. Le PLF pour 2024 s'inscrit dans la même trajectoire.

Note vision est cohérente et claire : nous souhaitons maîtriser nos finances publiques, poursuivre notre soutien à l'emploi et à l'activité et investir dans l'avenir.

Ce PLF confirme la trajectoire inscrite dans la loi de programmation. En 2018, le déficit était repassé sous les 3 %, ce qui nous a permis, pendant la crise sanitaire, de protéger les emplois - avec le chômage partiel - les entreprises - avec le fonds de solidarité - et les ménages - avec l'aide exceptionnelle de solidarité. Face à la hausse du prix de l'énergie, l'État a mis en place des boucliers et un amortisseur. Face à l'inflation, il a revalorisé les prestations sociales, créé une prime exceptionnelle de rentrée et versé une indemnité carburant.

Nous avons tenu bon : le taux de chômage est historiquement bas, la croissance solide et nous sommes en train de gagner la bataille de l'inflation. Grâce à nos réformes, nous sortons des crises.

Mais ces politiques ont eu un coût ; elles ont accru la charge de la dette, ce qui nous coûte cher compte tenu de la hausse des taux d'intérêt.

Acter la fin du « quoi qu'il en coûte » sans renoncer à nos investissements, tel est l'objet de ce PLF.

Nous prévoyons un déficit à 4,4 % pour 2024, et en dessous de 3 % en 2027. Nous prévoyons des économies : 14 milliards d'euros grâce à la sortie de crise ; 350 millions sur la politique de l'emploi, grâce à la réduction du chômage ; 500 millions en améliorant l'efficience de la politique de formation professionnelle et de l'apprentissage.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Eh bien...

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Il s'agit d'économies ciblées, non d'un grand coup de rabot néfaste à l'économie.

Cela se fait sans augmentation d'impôt depuis 2017, et cela fonctionne ! Nous ne changerons pas de cap, car les résultats sont là.

La croissance est prévue à 1,4 % - les prévisions de l'OCDE et de la Commission européenne oscillent entre 1,2 et 1,3 %.

L'effort ne porterait que sur les collectivités territoriales ? Cessons d'opposer l'État et les collectivités. Les concours financiers de l'État s'élèveront à 55 milliards d'euros, et la DGF augmentera de 220 millions d'euros, après la hausse de 2023.

Les élus ont besoin de clarté. (M. André Reichardt renchérit.) Hier, le Président de la République a annoncé la réforme de la DGF.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - On va vous aider !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Le FCTVA sera élargi aux dépenses d'aménagement, pour 250 millions d'euros.

Nos collectivités territoriales bénéficieront d'un effort inédit en faveur de la transition écologique : fonds vert à hauteur de 2,5 milliards d'euros, dont 500 millions d'euros pour la rénovation des écoles.

Il faut accélérer le verdissement de toutes nos dépenses publiques. Des budgets verts seront instaurés dans les plus grandes collectivités, non pas pour compliquer la vie des élus, mais pour valoriser leur action en faveur de la transition écologique.

Résolument tourné vers l'avenir, ce budget est conforme aux lois de programmation pour les armées, la sécurité et la justice.

Dans le contexte international actuel, il est essentiel de disposer d'une armée de premier ordre. C'est pourquoi le budget des armées augmentera de 3,3 milliards d'euros, pour renforcer nos équipements mais aussi aider l'Ukraine.

Le budget du ministère de l'intérieur augmentera de 1 milliard d'euros, pour financer des recrutements et améliorer l'accueil des victimes de violences.

Quant à celui de la justice, il augmentera de 500 millions d'euros, avec le recrutement de plus de 2 000 fonctionnaires, dont 300 magistrats, 300 greffiers et 450 agents pénitentiaires.

Il n'y a pas de meilleur investissement que l'éducation nationale : nous revaloriserons le salaire des professeurs grâce à une hausse historique du budget.

Nous avons deux dettes : la dette financière et la dette écologique. Nous investissons massivement dans la transition écologique, avec pas moins de 10 milliards d'euros supplémentaires prévus pour la rénovation thermique, la décarbonation des transports ou l'industrie verte. Ces dépenses vertes accompagneront aussi les ménages pour passer à la voiture électrique et isoler leur logement. C'est indispensable si nous voulons respecter nos objectifs.

Ce PLF marque une étape décisive dans la lutte contre la fraude.

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - C'est un enjeu de cohésion sociale et de consentement à l'impôt. Nous embaucherons 250 agents supplémentaires dès l'année prochaine. (Mme Nathalie Goulet s'en félicite.) Nous renforcerons aussi l'arsenal législatif en créant une sanction administrative générale pour lutter contre toutes les fraudes. (M. Michel Canévet s'en félicite.)

L'Assemblée nationale a enrichi le texte. Nous avons repris 515 amendements, de la majorité et des oppositions - soit plus que l'an dernier. Notre méthode, c'est le dialogue, comme lors des dialogues de Bercy qui nous ont permis de partager nos divergences et nos sujets de préoccupation communs.

La première lecture à l'Assemblée nationale...

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Mais il n'y a pas eu de lecture !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - ... a permis d'adopter des mesures très concrètes : maintien de la contribution sur les rentes inframarginales pour capter les profits exceptionnels des énergéticiens ; décorrélation de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires et de la taxe foncière, répondant aux attentes de nombreux élus ; soutien aux collectivités d'outre-mer grâce à 90 millions d'euros supplémentaires pour l'aide aux infrastructures et un fonds pour l'eau à Mayotte.

En outre, le PLF de fin de gestion ouvre 113 millions d'euros supplémentaires pour Mayotte, sur initiative du RDPI.

C'est la même méthode que je veux appliquer. Nous sommes ouverts aux propositions des sénateurs...

Mme Nathalie Goulet.  - Et sénatrices !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - ... de tous les groupes. Nous nous appuierons sur vos travaux pour aboutir à une vision enrichie et équilibrée, sans dégrader nos finances publiques. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Une nouvelle fois, le Gouvernement a fait usage de l'article 49.3 de la Constitution à l'Assemblée nationale. La méthode est problématique à plusieurs égards. Vous avez utilisé le 49.3 non pour clore une discussion parlementaire, mais avant même l'examen du moindre amendement de la première partie... Le débat sur la seconde partie a été complètement tronqué.

Et pourtant, votre texte est passé de 59 à 234 articles : c'est la grande inflation ! Voilà donc 175 articles qui n'ont été ni examinés par le Conseil d'État, ni évalués par une étude d'impact, ni débattus à l'Assemblée nationale...

M. Albéric de Montgolfier.  - Ce n'est pas sérieux !

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Vous ne pouvez pas faire n'importe quoi en vous abritant derrière les dialogues de Bercy : c'est la démocratie à l'envers ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Ici, nous débattrons ; j'espère que vous retiendrez plus de nos propositions que l'an dernier...

Le temps s'est comme figé, et je pourrais reprendre au mot près mes propos de 2022 : le budget de l'État atteint des sommets ; il faut faire des économies ; les dépenses publiques ne fléchissent pas. Bis repetita, est-ce un manque de courage ? Un manque d'idées ?

En 2024, le déficit public devrait atteindre 4,4 % du PIB, prévision optimiste. Selon le FMI, la France aurait le deuxième déficit public le plus élevé de la zone euro. (M. Albéric de Montgolfier le confirme.)

Vous laissez dériver la dette : avec un endettement public à 110 % du PIB - douze points de plus qu'en 2017 -, la France sera sur le podium des pays les plus endettés, derrière la Grèce et l'Italie.

Les collectivités territoriales sont quasiment à l'équilibre : leur léger déficit, de 0,3 % du PIB, est quinze fois inférieur à celui de l'État. À 144 milliards d'euros, celui-ci représente 54,7 % des ressources nettes du budget général.

La France entre dans sa cinquantième année consécutive de déficit budgétaire. Depuis cinq ans, c'est même l'ère des déficits extrêmes : 150 milliards d'euros par an, contre 90 milliards il y a cinq ans. Vous ne cessez d'annoncer la sortie du « quoi qu'il en coûte », annonce sans lendemain. Le déficit s'est creusé de 400 milliards en cinq ans, voilà la réalité !

Conséquence directe : augmentation de la charge de la dette, qui passera de 48 milliards d'euros en 2023 à 84 milliards en 2027 : 75 % d'augmentation ! Dès 2026, il s'agira du premier poste de dépenses de l'État, soit l'équivalent des budgets des armées et des forces de sécurité civile réunis. Comment financer la transition écologique avec des ressources à ce point amputées ?

La répétition de ce constat depuis cinq ans témoigne de votre impuissance coupable. Vous multipliez les déclarations optimistes, contredites par vos résultats : vos comptes ne sont pas tenus. Vous parlez beaucoup, mais faites si peu ! Où sont donc les 16 milliards d'euros d'économies ? Nous ne voyons disparaître que les dépenses de crise. Où est le 1 milliard d'euros de prélèvements sur les excédents des opérateurs, et de quels opérateurs s'agit-il ?

Vous parlez de stabilité des emplois de l'État, mais en voici 8 273 de plus, et la masse salariale de l'État a augmenté de 10 % en volume depuis 2017. Le Gouvernement parle beaucoup, mais fait si peu...

À ne pas regarder la vérité en face, vous ne trouvez pas de solutions aux problèmes du pays. C'est le cas pour le logement : tous les indicateurs sont au rouge, mais ce PLF n'est pas à la hauteur de la crise structurelle du secteur, pourtant décisif pour notre économie.

Vous tablez sur une croissance de 1,4 %, contre 0,8 % pour le consensus des économistes : c'est très, très optimiste !

Vous sous-estimez les effets de la politique monétaire : en quatorze mois, la BCE a augmenté ses taux d'intérêt directeurs de 450 points de base, le durcissement le plus sévère de son histoire. Or il y a un effet retard d'un an, qui jouera donc en fin d'année prochaine.

Vous anticipez des créations d'emplois en 2024, alors que la Banque de France prévoit des destructions d'emplois et une hausse du chômage. Même le président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) juge que le Gouvernement ne retient que des hypothèses favorables.

J'ai entendu vos bémols sur la situation internationale, mais les chiffres sont têtus. Votre problème majeur, c'est la dépense publique, dont la dérive - plus 6 milliards d'euros hors crise - donne le vertige... C'est irresponsable !

En 2024, la plupart des missions du budget général vont augmenter, de plus de 1 milliard d'euros pour sept d'entre elles. La Commission européenne vous a alertés voilà quelques jours.

Monsieur le ministre, il faut redresser la barre. Le Sénat ne se contente pas de critiquer. Vous parlez d'économies, nous vous les proposons. La commission des finances a voté plus de 5 milliards d'économies : réduction des effectifs des opérateurs, meilleur ciblage de l'apprentissage, fin des surbudgétisations, réforme de l'aide médicale d'État, réforme de l'audiovisuel public, révision du bouclier électricité. La majorité présidentielle les évoque, mais les laisse en plan ; nous proposons d'agir !

Malgré la prétendue fin du « quoi qu'il en coûte », vous proposez une baisse d'impôt non ciblée de 10 milliards d'euros sur les tarifs de l'électricité. Nous vous proposons de cibler.

Vous proposez d'exonérer de tout impôt les fédérations olympiques, y compris leurs salariés, pendant cinq ans. Comment pouvez-vous parler d'une bonne gestion de l'argent public ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Michel Canévet et Thomas Dossus applaudissent également.)

Le Président de la République annonce qu'il financera le Centre national de la musique, mais le Gouvernement ne fait rien. Nous, si !

Il est 15 heures passées : l'heure du réveil a sonné ! (Sourires) Le « quoi qu'il en coûte » vous a anesthésiés. Vous êtes incapables de tenir certaines promesses, comme la disparition de la CVAE, et les chefs d'entreprise et les ménages craignent des hausses d'impôt à venir.

Je vous propose de suivre la commission des finances pour redresser notre pays et ses comptes publics. La France et les Français en ont grand besoin ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Voilà plus d'un mois que nous analysons ce budget. Je remercie tous mes collègues pour leurs travaux sur l'ensemble des missions, budgets annexes et comptes spéciaux, durant trente-sept heures de commission depuis début octobre. Ayant mené un nombre considérable d'auditions, nous avons une vision plus claire de ce PLF.

Comme l'an dernier, notre examen intervient après l'utilisation du 49.3 : très peu de dispositions ont été débattues, la Première ministre ayant déclenché la procédure avant l'examen du premier article de la première partie. Et vous avez ajouté 115 articles additionnels en première partie, 60 en seconde... Le nombre d'articles a quadruplé.

Voici quelques idées qui me tiennent à coeur.

Une fois n'est pas coutume, je parlerai dépense publique. (M. Jean-François Husson s'exclame.) Ce n'est pas un gros mot. J'aimerais combattre des facilités lassantes, comme de toujours mesurer les dépenses publiques par rapport au PIB. Après 61,4 % du PIB en 2020, elles représenteraient 55,8 % du PIB en 2023 et 55,4 % en 2024. Ainsi exprimée, la dépense publique paraît très élevée, et la diminution de cet agrégat est systématiquement interprétée comme une bonne nouvelle.

Ne soyons pas hypocrites : ces chiffres ne signifient pas que la sphère publique capterait 55 % du PIB ! Certes, certains éléments comme la consommation et l'investissement public constituent une part du PIB, mais pas les transferts sociaux, qui ne sont nullement des valeurs ajoutées, alors que le PIB est la somme des valeurs ajoutées produites. Avec un indicateur similaire, les dépenses privées atteindraient 220 % du PIB.

Cet indicateur montre que nous avons fait le choix de socialiser une grande partie des dépenses des ménages, contrairement aux États-Unis par exemple : leurs dépenses publiques atteignent 45 % du PIB, mais les dépenses de santé n'y sont pas incluses, alors qu'elles représentent 18 % du PIB, contre 12 % en France. Si l'on désocialise les dépenses de santé, nous rejoignons le niveau américain. L'Allemagne a un niveau de dépenses publiques de 50 % du PIB. L'écart tient, là aussi, aux différences de protection sociale.

La France est une économie de marché dans laquelle la puissance publique assure une redistribution forte, qui réduit les écarts de revenus. Certains le déplorent, je m'en réjouis, car c'est ce qui tient notre société. Il est urgent de préserver ce système tout en essayant de faire mieux.

M. Victorin Lurel.  - Très bien !

M. Claude Raynal, président de la commission.  - Dire cela, ce n'est pas renoncer à améliorer nos finances publiques. La charge de la dette augmente, et nul ne s'en réjouit.

Messieurs les ministres, je ne comprends pas votre entêtement à réduire les recettes de l'État en période de crise. FMI, Banque de France, Cour des comptes : tous vous disent que l'heure n'est pas à la réduction des prélèvements obligatoires. L'impôt sur les sociétés est passé de 33 à 25 %. Mais, depuis, je ne vous suis plus : suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), de la taxe d'habitation, de la CVAE et même de la contribution à l'audiovisuel public (CAP). Une cinquantaine de milliards annuels se sont évaporés depuis 2017, que vous cherchez désespérément pour ramener le déficit en dessous de 3 % du PIB.

En 2018, grâce à la politique de vos prédécesseurs (M. Thomas Cazenave sourit.), la France quittait la procédure de déficit excessif, avec 3 % de déficit. Vous êtes en train de nous y ramener : une belle réussite ! Et pour quel résultat ? Une hausse de l'épargne des plus aisés et des bénéfices plus tournés vers l'achat d'actions que vers l'investissement.

M. Victorin Lurel.  - Eh oui !

M. Claude Raynal, président de la commission.  - N'aurait-il pas été plus utile que l'État conserve ses moyens et limite son endettement ? Je crains que la réponse ne soit dans la question...

Cette année, le projet de loi de finances est à peu près aligné sur la loi de programmation et le programme de stabilité. En 2025, l'exercice sera plus compliqué : quasiment plus de reliquat, une revue des dépenses décevante... Et je crains que le sujet des recettes nouvelles ne s'impose prochainement, comme la remise en cause des lois de programmation.

Le retour sur Terre ne fait que commencer. Un conseil : attachez bien vos ceintures ! (Sourires et applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K ; MMMarc Laménie et Bruno Belin applaudissent également.)

Question préalable

M. le président.  - Motion n°I-1666, présentée par M. Bocquet et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2024 (n° 127, 2023-2024).

M. Éric Bocquet .  - Dans les prochaines semaines, nous énoncerons des chiffres ; mais je souhaite parler de la vie des gens, à qui ce budget devrait apporter des solutions concrètes.

Le 14 novembre dernier, le Secours catholique a publié son rapport annuel pour 2023, qui est saisissant : depuis le covid, 550 000 personnes ont basculé dans la pauvreté. Le taux de pauvreté atteint 14,5 %, en hausse de 0,9 point.

Le Monde du jeudi 16 novembre relate le cas de Chantal, 60 ans, qui fait partie des personnes aidées par les associations d'aide alimentaire. Quand elle a payé ses frais fixes, il lui reste 17 euros par jour. « Je me dis toujours qu'il y a pire que moi », témoigne-t-elle. Elle vit sous le seuil de pauvreté, fixé à 60 % du revenu médian, soit 1 210 euros par mois.

Après une séparation, un cancer du sein et un licenciement, elle a retrouvé un emploi et cumule pension d'invalidité, salaire et aide au logement. Ses quinze jours annuels de congé lui font perdre des revenus. Elle reconnaît quelques heures de travail au black ses aides baisseraient si elles étaient déclarées. Si elle prend sa retraite à 62 ans, elle ne dépassera pas 800 euros par mois.

Elle doit assumer 682 euros de frais fixes mensuels : 242 euros pour le loyer, 109 euros pour l'électricité, mutuelle, assurance voiture, internet. Il lui reste donc 17 euros par jour. Elle attend les promotions, fait durer ses dix steaks surgelés sur le mois, a renoncé aux fruits et légumes pour se payer son tabac et jouer au loto le dimanche. Elle continue de payer son assurance décès - 21 euros - pour ses enfants. En revanche, elle n'a pas les moyens de se payer un dentier ; après sa chimio, ses treize dents restantes la font souffrir, mais elle se bourre de Doliprane et ne se plaint pas. Sa voiturette, hors service, lui a fait renoncer à deux semaines de salaires. Elle n'a aucun droit à l'erreur : une déclaration deux jours trop tard lui a fait perdre trois mois de pension d'invalidité.

Aujourd'hui, elle a rejoint les bénévoles de la permanence alimentaire. Je remercie la journaliste Claire Ané, qui a écrit son histoire.

Le pacte de solidarité du Gouvernement a fait réagir les associations. Un catalogue de mesures pour la plupart déjà connues avec, tout au plus, une petite rallonge... C'est une déception.

Vous confirmez votre volonté dogmatique de baisser les dépenses à tout prix et de ne pas prendre sur les dividendes. À l'autre pôle de l'échiquier social, face aux 682 euros de frais fixes de Chantal, Bernard Arnault consomme 657 litres de carburant par heure avec son méga yacht, pour une TVA nulle grâce au contrat de transport international. La France ne serait pas un paradis fiscal ? Même Challenges le conteste.

Pour la quasi-totalité de la population, le système fiscal est progressif, sauf au sommet de la pyramide - les 0,1 % les plus riches. Il est le plus faible pour 75 milliardaires identifiés, les 0,0002 %, à 26 % - si leurs revenus étaient assujettis à l'impôt sur le revenu, ce serait 59 %.

Jean Pisani-Ferry, inspirateur du programme économique du candidat Emmanuel Macron, préconise de taxer davantage les plus riches. Bruno Le Maire semble enfin commencer à comprendre ce que sont les superprofits : nous l'appelons maintenant à les taxer à la hauteur.

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Éric Bocquet.  - Nous vous appelons aussi à regarder les recettes. Le rapport de l'Assemblée nationale rappelle que 2 500 emplois ont été supprimés dans le contrôle fiscal entre 2013 et 2021. Parmi nos voisins, le Luxembourg accueille le siège de 55 000 sociétés offshore, et Chypre abrite l'argent sale des oligarques russes.

La Cour des comptes s'interroge, elle, sur la pertinence de l'IA pour les contrôles fiscaux et critique les indicateurs qui ne font pas le lien entre ciblage, motif de programmation et résultat.

Il est grand temps de chausser les bottes de sept lieues pour agir contre l'évasion fiscale. Les 465 dépenses fiscales, ou niches, coûtent 94 milliards d'euros à l'État !

Mme Nathalie Goulet.  - Eh oui !

M. Éric Bocquet.  - Portant à 90 % sur l'impôt sur le revenu et la TVA, elles fragilisent la consolidation des dépenses publiques. Aucune évaluation sur les onze programmes de contrôle n'a été réalisée. Aucune réforme depuis dix ans. Aucune des onze évaluations prévues pour 2022 n'a été menée. N'est-il pas temps de revoir, entre autres, le pacte Dutreil ?

Cette motion est le surgissement de l'état réel de notre société dans nos débats, et un appel à de nouvelles recettes contre la dette.

Ce projet de loi de finances doit dégager 16 milliards d'euros pour, selon Bruno Le Maire, engager le désendettement. Comment croire à cette fable quand vous avez déjà annoncé que vous emprunterez 285 milliards d'euros l'année prochaine ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; MM. Christian Bilhac et Philippe Grosvalet, Mme Nathalie Goulet et M. Marc Laménie applaudissent également.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Avis défavorable. Je remercie notre collègue de nous narrer la vraie vie d'un certain nombre de concitoyens. Chacun d'entre nous a pu dresser des portraits semblables.

Vous avez ensuite redonné certaines perspectives, afin d'améliorer nos débats. Heureusement, le Sénat choisit de débattre ! Notre démocratie ne peut se passer de tout débat au Parlement.

Ici, nous aimons travailler et le faisons sérieusement. Nous avons des désaccords, bien sûr, c'est le propre du débat public. Messieurs les ministres, je vous demande de retenir davantage de propositions du Sénat que l'an dernier. Sinon, c'est perdant-perdant : un exécutif affaibli et un Parlement qui n'est pas entendu.

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Même avis.

M. Pascal Savoldelli.  - Je comprends l'argument du rapporteur général sur la privation de débat en cas d'adoption de la motion. Mais de quel débat parlons-nous ? Des emprunts à 285 milliards d'euros, un déficit de 254 milliards... On l'accepte ? Le rapporteur général a rappelé que 175 articles ont été ajoutés par le 49.3. Peu importent nos votes, il sera réutilisé à l'Assemblée. Cette motion n'est pas un mouvement d'humeur : les dés sont pipés !

À la fin, les débats sont usurpés. Ici, pas de censure. Avec les moyens dont nous disposons, nous voulons signifier un coup d'arrêt.

La motion n°I-1666 est mise aux voix par scrutin public de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°66 :

Nombre de votants 344
Nombre de suffrages exprimés 260
Pour l'adoption   18
Contre 242

La motion n°I-1666 n'est pas adoptée.

Discussion générale (Suite)

M. Didier Rambaud .  - Les jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) ont le marathon. Ici, nous avons le budget.

Avec une croissance de 1,4 % et des recettes en hausse de 14 milliards d'euros, le dynamisme de l'économie française n'est pas le fruit du hasard, mais de la politique menée depuis plus de cinq ans.

L'imposition minimale sur les sociétés apportera 1,5 milliard d'euros de plus en 2026, une victoire pour la réindustrialisation de la France.

Le ministre l'annonçait à la radio : ce budget marque la fin du « quoi qu'il en coûte ». Il demeure cependant résolument engagé pour les services publics, la transition écologique et, surtout, les collectivités territoriales. Les Français ont des attentes fortes en matière de services publics.

Le budget des armées augmente de 3,3 milliards d'euros et celui de la justice de 5 % ; 6 700 agents publics supplémentaires sont recrutés, dont 3 000 pour accompagner les élèves en situation de handicap, 1 900 pour les tribunaux et 2 600 dans la police.

En 2024, 3,9 milliards d'euros supplémentaires seront consacrés à l'éducation nationale. Pour faire face au problème d'attractivité du métier d'enseignant, les rémunérations augmentent de 100 euros pour tous les enseignants, avec 2 100 euros en début de carrière, sans oublier la hausse du point d'indice.

Saint-Exupéry disait : « Nous n'héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l'empruntons à nos enfants. » À l'heure du défi climatique, le rapport Pisani-Ferry estime les besoins à 60 milliards d'euros d'ici à 2030. Le Gouvernement prend sa part en consacrant 7 milliards d'euros à la transition écologique dès cette année, pour l'isolement thermique, les forêts, le fonds vert...

Je n'oublie pas le crédit d'impôt industrie verte, qui pourrait susciter 23 milliards d'euros d'investissement, avec la création de 40 000 emplois directs. La planification écologique est en cours. Ne pas le reconnaître serait de mauvaise foi, voire un déni de réalité inquiétant.

Si ce budget marque la fin du « quoi qu'il en coûte », cela ne vaut pas pour l'accompagnement des collectivités territoriales. Après une première hausse en douze ans, la dotation globale de fonctionnement (DGF) augmente à nouveau, de 220 millions d'euros. Le FCTVA est élargi aux dépenses d'aménagement des collectivités territoriales, pour 250 millions d'euros.

Le Sénat peut affiner le budget : c'est pourquoi je défendrai des amendements sur l'élevage bovin, l'aide universelle d'urgence aux victimes de violence conjugale, le logement locatif intermédiaire ou encore un taux réduit de TVA - 5,5 % - pour l'achat de préservatifs.

On ne peut déplorer devant les entreprises que la suppression de la CVAE n'aille pas assez vite, tout en regrettant sa disparition devant les collectivités...

Nous souhaitons des débats enrichissants et sans langue de bois. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Thierry Cozic .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Nous examinons le deuxième PLF de la législature, sans 49.3 ici. Cet examen relève du numéro d'équilibriste, avec un triangle d'incompatibilité entre réduction du déficit, investissement vert et diminution des dépenses publiques, qui fragilisent les classes populaires.

Ce budget est celui de tous ces renoncements. Quelle place donnée à l'héritage ? Comment taxer les multinationales ? Comment lutter contre la fraude sociale ? Au banc des ministres, toujours la même réponse : nous traiterons cette question au budget. Nous y sommes ! Mais la déception est à la hauteur des espérances.

Les renoncements du Gouvernement sont autant d'aveux. Je pense à la suppression de la CVAE, repoussée à 2027, preuve que votre dogmatisme s'arrête face au mur de la réalité budgétaire. Soit cette suppression est nécessaire pour relancer l'économie, auquel cas il ne faut pas perdre de temps. (M. Didier Rambaud s'exclame.) Soit elle est inutile, et nous pouvons attendre quatre ans. C'est un aveu de l'inanité de votre politique de l'offre... De France Stratégie à la Cour des comptes, tous aboutissent à la même conclusion : le maintien de l'ISF aurait rapporté 6,3 milliards d'euros en 2022 !

Les entreprises sont là pour créer de la richesse, mais l'État est là pour créer de la justice. Les grands chantiers ne manquent pas. La bifurcation écologique devrait être au coeur des politiques. Les économistes Pisani-Ferry et Mahfouz estiment les besoins à 34 milliards d'euros, face auxquels vos 7 milliards sont bien dérisoires. Nous suggérons donc un avis favorable à notre amendement créant un ISF vert...

Vous êtes dans l'improvisation constante. Vous prévoyez 16 milliards d'euros d'économies, puis, au dernier moment, demandez aux oppositions de trouver 1 milliard de plus.

Improvisation aussi sur la hausse des prix des carburants : la Première ministre a annoncé les ventes à perte, sans concertation, pour se voir opposer une fin de non-recevoir... (Marques d'approbation sur de nombreuses travées à gauche et à droite)

Quid de la lutte contre l'évasion fiscale ? Malgré un plan annoncé avant l'été, les mesures sont loin d'être à la hauteur des enjeux... (Mme Nathalie Goulet ponctue l'intervention de l'orateur de multiples marques d'approbation.)

La politique fiscale visant à faire contribuer tout le monde à la hauteur de ses capacités est loin de votre mantra... Exemple caricatural : vous voulez exempter d'impôts les fédérations sportives. Or la Fédération internationale de football (Fifa) réalise un bénéfice record de 7,6 milliards de dollars. Elle n'en a pas besoin !

Comme Bruno Le Maire, vous souhaitez, monsieur Cazenave, responsabiliser les oppositions. Le groupe SER y est prêt ! Nous vous aiderons à trouver des recettes supplémentaires, mais nous avons besoin de vous ! Soyez favorables à l'ISF vert, à la taxation des superprofits... (Sourires)

Le groupe SER ne votera pas ce budget inique, qui fait peser les efforts sur les classes moyennes. Seul un budget de justice fiscale et sociale emporterait notre vote, mais nous en sommes loin ! (Applaudissements sur les travées des groupeSER et CRCE-K et du GEST)

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Selon le dossier de presse du Gouvernement, le PLF met l'accent sur la protection du pouvoir d'achat des Français et les investissements pour préparer l'avenir et la transition écologique. C'est bien connu : qui trop embrasse mal étreint.

M. Bruno Belin.  - Bien !

Mme Christine Lavarde.  - Non, la forte baisse des dépenses s'explique par la baisse des dispositifs de soutien aux consommateurs. Moins de 7 % des dépenses du budget sont consacrées à la transition écologique, alors que les trois quarts des dépenses sont contraintes : transferts, dépenses de personnel. Un État moins omnipotent augmenterait la part des dépenses évaluables.

Le Gouvernement oublie d'ailleurs d'actualiser le document pour la loi de règlement : les dépenses vertes exécutées sont inférieures à celles votées. MaPrimeRénov' est largement sous-exécutée ; lors du PLFG, nous avons annulé 1 milliard d'euros en crédits de paiement. (M. Christian Bilhac acquiesce.)

Les investissements à couvrir par les ménages et les entreprises doivent être anticipés, avec 50 à 70 milliards pour les cinquante sites les plus émetteurs de CO2 et 80 milliards pour les collectivités en 2030, contre 55 milliards aujourd'hui.

On ne peut que saluer l'introduction, dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP), de l'obligation pour le Gouvernement de transmettre une réflexion sur la transition écologique.

Sur le financement de l'eau, la sobriété a entraîné une baisse de consommation de 10 %, mais les recettes ont diminué dans la même proportion. Or les besoins d'investissements sont de 3 milliards d'euros pendant cinq ans. Le PLF n'y apporte aucune réponse. L'article 49 undecies relève du coup de peinture : permettre aux collectivités territoriales de joindre un état vert au budget ne changera rien.

L'action des collectivités territoriales est difficile, car le Gouvernement finance par à-coups. L'adaptabilité du fonds vert se heurte aux faits : pour les 500 millions d'euros consacrés au bâti scolaire, les délais de dossier sont trop brefs.

Notre système de financement marche sur la tête : 2 milliards d'euros d'aides de l'État ont été versés par cinq opérateurs via 340 dispositifs, créés par stratification progressive sans cohérence d'ensemble. Le rapport de l'inspection générale des finances (IGF) appelle à une discipline d'évaluation. Mais, au lieu de réfléchir sur le fond, demain, deux ministres dévoileront une plateforme d'accès aux aides pour les entreprises.

Les fonds d'investissement et les compagnies d'assurances sont fortement exposés aux risques climatiques. Notre groupe estime que l'écologie ne doit pas rimer avec décroissance. Nous prônons une meilleure croissance et la souveraineté industrielle. (M. Bruno Belin renchérit.) Je regrette que le ministre Le Maire ne soit pas là pour m'écouter. (On renchérit à droite.)

Non, ce texte ne garantit pas la souveraineté. Ainsi, cette année, sur 1,9 milliard d'euros d'aides, une grande partie est allée à l'industrie chinoise : c'est scandaleux ! (MMAndré Reichardt et Stéphane Sautarel renchérissent.) D'autant que Tesla et les marques chinoises construisent des batteries non recyclables.

Les importations de pompes à chaleur chinoises ont augmenté de 17 %. Celles qui sont produites en France le sont souvent avec des composants ou matières premières chinois. MaPrimeRénov' et les certificats d'économie d'énergie (C2E) ont financé 1,4 milliard d'euros de matériaux importés.

Je pense que la communication gouvernementale autour du Black Friday aurait dû inciter à acheter français et durable plutôt qu'à ne pas acheter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Nathalie Goulet applaudit également.) On ne peut pas exporter ce qu'on ne produit pas ! La réindustrialisation doit se faire, mais pas à tout prix. Il faut cibler les subventions.

La souveraineté est industrielle, mais aussi financière. Fin 2022, 47 % de la dette publique française était détenue par des étrangers, contre 37 % en moyenne en Europe et 23 % aux États-Unis -  cela alors que la Banque de France, qui détient 709 milliards d'euros d'encours de dette, se désengage.

Les niveaux de dette deviennent infernaux. Selon la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (iFRAP), la part du coût de la dette dans le déficit passera de 13 % en 2019 à 50 % en 2027. (Mme Nathalie Goulet acquiesce.) L'urgence est à l'équilibre primaire des comptes publics, mais le Gouvernement peine à trouver ne serait-ce que 1 milliard d'euros d'économies - il en faudra 12 milliards en 2025 !

J'ai cru comprendre que le Gouvernement plaçait beaucoup d'espoir dans la revue des dépenses publiques. Au vu des échos de la réunion de mardi matin à ce sujet, j'ai quelques craintes...

Dimanche, avec Bruno Le Maire, vous nous indiquez avoir une recette miracle : la vente des bijoux de famille. (Exclamations ironiques à droite) Mais c'est un fusil à un coup !

On ne peut augmenter les impôts sans détruire notre compétitivité. Résultat : il reste un seul levier, les économies. Le Sénat démontrera que la trajectoire pour les finances publiques qu'il a votée est réalisable : il est possible de faire 5 milliards d'euros d'économies en 2024.

Mais à la clarté des mesures budgétaires, vous préférez l'obscurité des mesures relatives...

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Très bien !

Mme Christine Lavarde.  - Les Français connaissent le mètre, le kilo, l'euro, mais vous parlez de points de PIB ! Ainsi, le déficit s'améliorerait, de 4,9 à 4,5 %, mais reste stable à 150 milliards d'euros. Le taux de prélèvements obligatoires passe de 44 à 44,4 % : un petit chiffre après la virgule qui cache une hausse de 10 % ! La charge d'intérêts de la dette passera de 1,3 à 2,6 % en 2027, soit de 37 milliards d'euros à 84 milliards ! Parler en points de PIB évite de dire que les dépenses sont supérieures de 30 % aux recettes.

Les critères plus souples de la Commission européenne sur le pacte de stabilité et de croissance feraient consensus et seraient plus faciles à défendre, n'étaient les cancres que sont l'Italie et la France.

Alors que les mesures contre l'inflation sont empreintes du « quoi qu'il en coûte », la souveraineté nous impose le « combien ça coûte ». Il faut cibler l'aide à l'électricité vers les ménages populaires : c'est moins populaire que l'arrosage, mais plus prometteur pour les générations futures.

Ce sont ces générations oubliées qui devront financer la charge de la dette et le vieillissement de la population - le coût des allocations d'autonomie pourrait dépasser 10 milliards d'euros en 2040 selon l'iFRAP, soit une hausse de 80 % en vingt ans. Les finances des départements n'y suffiront pas. (M. Jean-François Husson acquiesce.)

Les lois Grand âge et sur le financement de la transition écologique sont des urgences. C'étaient pourtant des promesses de 2017 ! La situation est désormais catastrophique.

Alors que la majorité des Ehpad subissent des pertes, 100 millions d'euros ont dû être débloqués ; Aurore Bergé reconnaît elle-même qu'il fallait se poser la question du long terme. Le 0,15 point de CSG transféré à la branche autonomie finançait la CRDS, censée disparaître en 2033 (MM. Bruno Belin et André Reichardt acquiescent), mais dont la persistance interroge.

Selon le FMI, la facture annuelle du dérèglement climatique, des troubles géopolitiques et du vieillissement atteindrait 7,5 points de PIB pour les pays de l'OCDE.

Il faut plus de rigueur ! Napoléon estimait (on apprécie la référence à droite) que « lorsqu'un gouvernement est dépendant des banquiers pour l'argent, ce sont ces derniers, et non les dirigeants du gouvernement qui contrôlent la situation, puisque la main qui donne est au-dessus de la main qui reçoit. [...] L'argent n'a pas de patrie ; les financiers n'ont pas de patriotisme et n'ont pas de décence ; leur unique objectif est le gain. »

Méditons-le au vu de notre dette ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE ; M. Vincent Louault applaudit également.)

M. Joshua Hochart .  - En entendant Bruno Le Maire tout à l'heure, j'ai eu le sentiment d'un discours de campagne. Peut-être oubliait-il qu'il est au pouvoir depuis six ans...

Nietzsche disait : « Parfois, les gens ne veulent pas entendre la vérité, parce qu'ils ne veulent pas que leurs illusions soient détruites. »

Bilan de votre politique et de celle de vos prédécesseurs : 3 000 milliards de dettes. Vous fondez le PLF sur une croissance illusoire, voire fantaisiste. (M. Thomas Cazenave le conteste.)

Selon Eurostat, le taux de prélèvements obligatoires est de 47,7 %, le deuxième le plus élevé d'Europe après le Danemark. Les Français consentent encore à l'impôt, mais ont-ils un retour sur investissement ? Non ! Délitement des services publics, administration tatillonne, hôpital à bout de souffle, déserts médicaux, abandon de nos outre-mer - notamment Mayotte. Les enseignants, piliers notre État et de notre devise républicaine, sont mis en cause par un fondamentalisme islamiste et une immigration non contrôlée : telle est la réalité.

Vous camouflez à coups de 49.3 la gravité de la situation. Vous voulez jouer les bons élèves de l'Union européenne, à laquelle les Français ont donné 24 milliards d'euros, mais la baisse de 3 milliards de la dîme bruxelloise n'est qu'un écran de fumée de plus. Les Français ne sont pas dupes ! Ils espèrent l'alternance avec Marine Le Pen. (On ironise sur plusieurs travées.)

M. Laurent Burgoa.  - Cela faisait longtemps !

M. Joshua Hochart.  - Il faudra vous habituer !

Les sénateurs RN proposeront des amendements de bon sens : baisse de la TVA sur l'énergie et les produits de première nécessité, mesures pour le pouvoir d'achat, gel des cotisations patronales en échange d'une augmentation de 10 % des salaires. Enfin, pour la natalité (marques d'exaspération à gauche), l'universalité des allocations familiales, honteusement spoliées par la gauche. (M. Thomas Dossus proteste.)

Nous proposons aussi de taxer le patrimoine immatériel et les superprofits : le capital doit soutenir l'effort national. Il faut diminuer la honteuse contribution à l'Union européenne.

La chambre haute ne peut être muselée comme l'Assemblée nationale avec le seul chiffre qui trouve grâce à vos yeux - le 49.3.

J'en appelle à l'intérêt national, loin des calculs des écuries politiques dépassées. (M. Aymeric Durox applaudit.)

M. Jean-Michel Arnaud.  - Et les vôtres ?

M. Emmanuel Capus .  - La France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer, selon Sylvain Tesson. Je crois qu'il a raison.

M. Thomas Dossus.  - Ah !

M. Emmanuel Capus.  - Il est en effet difficile de convaincre les Français, mais aussi certains sénateurs. (M. Vincent Éblé ironise.)

Sur le plan budgétaire, l'enfer, c'est quand la dette explose, quand l'inflation s'emballe, quand les services publics ne fonctionnent plus, quand le pays semble au bord de l'implosion, quand les prélèvements obligatoires sont presque confiscatoires. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Laurent Burgoa.  - On y est !

M. Emmanuel Capus.  - Le paradis, c'est quand les impôts sont bas, quand les services publics se modernisent, quand les comptes sont maîtrisés et que la signature de l'État inspire confiance.

M. Pascal Savoldelli.  - Peut mieux faire !

M. André Reichardt.  - Vous ne croyez pas au paradis...

M. Emmanuel Capus.  - Sylvain Tesson a raison. Bien sûr, il n'est pas difficile de trouver les éléments plaidant pour l'enfer budgétaire - Christine Lavarde en a parlé. Avec 3 000 milliards d'euros de dettes publiques, un déficit chronique...

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - C'est la dèche !

M. Emmanuel Capus.  - ... une dépense publique à 55 % du PIB, un taux de prélèvements obligatoires au plus haut, le tableau est alarmant.

Mais la France est aussi un paradis budgétaire. Selon Paul Krugman, la France est le pays qui a le mieux géré la crise. Selon Der Spiegel, la France, c'est l'Allemagne en mieux. La France est le pays qui attire le plus d'investissements étrangers, le taux de chômage est au plus bas depuis cinquante ans, l'inflation reflue, passant de 4,9 à 2,6 % l'an prochain.

Je ne poursuivrai pas l'exégèse de Sylvain Tesson. L'important est de connaître le cap fixé pour la suite. L'exercice est difficile, car les nuages s'amoncellent. La menace sécuritaire est la plus évidente. Partout, les attaques contre la démocratie se multiplient, et l'explosion de la délinquance inquiète jusque dans les campagnes. Les deux autres menaces sont le déclassement économique et le délitement social.

Ces trois menaces sont liées et nous devons leur apporter une réponse claire, qui tient en trois mots : un État fort - et non pas omnipotent, chère Christine Lavarde.

Le budget 2024 y contribue, en se recentrant sur les missions régaliennes. Justice, forces de l'ordre, forces armées : les moyens mobilisés augmentent considérablement, grâce aux trois lois de programmation votées par le Sénat.

Au-delà, le PLF contient des mesures bienvenues contre la fraude fiscale. L'État doit être fort avec tous les citoyens, pas seulement avec les faibles. Nous proposerons de renforcer ces mesures, en rendant automatique la peine complémentaire pour fraude fiscale aggravée.

Notre groupe restera fidèle à sa ligne budgétaire : il faut continuer à mettre de l'ordre dans nos comptes.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Ah !

M. Emmanuel Capus.  - Un État dont les recettes représentent un tiers des dépenses ne peut être fort. Le rapporteur général a proposé des mesures d'économies.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Très bien !

M. Emmanuel Capus.  - Le groupe INDEP y prendra lui aussi toute sa part, et même plus : un milliard d'économies sur les 5 milliards votés en commission portent sur la mission « Travail et emploi », dont je suis rapporteur spécial avec Ghislaine Senée. Certes, c'est insuffisant au regard des 144 milliards de déficit public, mais nous proposerons d'autres mesures.

Certaines dépenses peuvent rapporter gros : l'État doit être stratège et indiquer par des orientations claires les secteurs à privilégier. Nous avons ainsi soutenu toutes les initiatives du Gouvernement pour réindustrialiser.

Reporter la suppression de la CVAE interroge. Le plus dur avait été fait pour les collectivités territoriales. Revenir sur le calendrier brouille une stratégie qui avait le mérite de la clarté. Toutes les dépenses qui accélèrent la réindustrialisation connaissent un retour sur investissement massif et rapide. Nous continuerons d'innover, et nos territoires en profiteront pleinement. Miser sur la réindustrialisation, c'est offrir à nos territoires ruraux des perspectives nouvelles.

M. André Reichardt.  - Ils en ont besoin !

M. Emmanuel Capus.  - Nous devons renforcer la cohésion sociale.

Vous avez des alliés sur le terrain, les collectivités, qui veulent une relation de confiance avec l'État. L'augmentation de la DGF de 220 millions euros est une excellente nouvelle. Après la crise sanitaire et le pic inflationniste, une stagnation de leurs moyens aurait été malvenue.

Plusieurs mesures aideront à rétablir la confiance : la redéfinition des zones de revitalisation rurale (ZRR), la rétrocession des amendes issues des zones à faibles émissions (ZFE), le remboursement du pacte de stabilité au profit des communes nouvelles. Nul doute que le Sénat sera force de proposition.

Le groupe INDEP a une boussole claire : un État centré sur ses missions régaliennes, et en confiance avec les collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, MM. Michel Canévet et Marc Laménie applaudissent également.)

Mme Nathalie Goulet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Monsieur le ministre, notre groupe va vous aider à équilibrer les comptes. Les chiffres de la fraude fiscale sont astronomiques : 80 à 120 milliards d'euros manquent à l'État chaque année. Je salue les articles 19, 20 et 21, avec une petite tendresse pour l'article 22 relatif aux prix de transfert.

De manière regrettable, persistante et anormale, selon la Cour des comptes, nous ne disposons d'aucun outil d'évaluation de la fraude fiscale. Vous avez réuni un groupe de travail sous l'impulsion de Gabriel Attal, mais rien ne se passe et les fraudeurs courent toujours. Un fraudeur heureux est un fraudeur qui revient.

Combien d'éléments ne figurent pas dans le document de politique transversale ! Ainsi de Tracfin, qui dépend du programme 118, de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), qui dépend du programme 176, ou du parquet national financier (PNF), qui dépend du programme 166. Incomplet, le document est inopérant.

La fraude aux dividendes s'élève à 150 milliards d'euros dans le monde, et, pour la France, à 33 milliards entre 2020 et 2022. Il nous faut véritablement lutter contre la délinquance financière et les paradis fiscaux. Un scandale, une annonce. Nicolas Sarkozy avait annoncé la fin des paradis fiscaux, ils ne se sont jamais aussi bien portés : Suisse, Luxembourg, ports francs, Jersey, Dubaï...

La liste grise n'est pas plus satisfaisante : Arménie, Israël, mais rien sur Dubaï ou la Grande-Bretagne post-Brexit. Il n'y a pas d'amour sans acte d'amour, appliquons les mêmes règles aux pays non coopératifs.

Un exemple : l'oligarque lambda s'est acheté un Falcon 2000 pour 28 millions d'euros - une paille - l'a revendu pour 38 millions - encore une paille - et en achète un nouveau pour 48 millions d'euros - toujours une paille. Ces avions sont produits par Dassault et livrés au Bourget, sans aucune TVA, car les achats sont effectués depuis l'île de Man ! Résultat : une fraude à la TVA de 18 millions euros.

M. Éric Bocquet.  - Bravo !

Mme Nathalie Goulet.  - C'est beaucoup d'argent ! (M. Michel Canévet renchérit.) Idem pour les yachts et le leasing maltais, au nez et à la barbe des contribuables européens.

Revoyons nos conventions fiscales. Éric Bocquet a très bien montré combien les conventions fiscales avec le Danemark et la Grèce, a priori anodines, cautionnaient d'immenses avantages pour le fret maritime.

J'aurais mille propositions : une agence européenne contre le blanchiment, une mission budgétaire dédiée à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale, et pourquoi pas un ministre dédié ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, RDSE, SER et CRCE-K)

M. Thomas Dossus .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Le contexte politique est particulier. Après le déclenchement d'un énième 49.3, très tôt, le projet de loi de finances fait l'objet de son premier véritable examen démocratique.

Personne n'est dupe : le Gouvernement, incapable de compromis, maniera à nouveau le 49.3, balayant notre travail. L'esprit Shadok n'est pas mort ! À l'Assemblée nationale, taisez-vous ; au Sénat, cause toujours... (M. le rapporteur général apprécie la formule.)

Les crises, sociale et écologique, se nourrissent l'une l'autre, faisant le lit des profiteurs de haine. Vous nous présentez un budget d'insouciance climatique. Alors que la décrue est à peine amorcée dans le Pas-de-Calais, quelles seront conséquences de la catastrophe ? Des familles ne savent pas si elles seront indemnisées, des agriculteurs voient leurs récoltes menacées ou perdues, des entreprises ferment. Les phénomènes climatiques extrêmes frappent les plus modestes.

Cela fait vingt ans que les économistes nous le disent : plus nous tardons à engager les changements, plus les coûts explosent. Dès lors, nous avons deux obligations : prendre un virage décarboné et de sobriété, et adapter l'outil productif et agricole, nos villes et villages, au nouveau régime climatique. Le mur d'investissements est colossal. Le rapport Pisani-Ferry et Mahfouz pose les ordres de grandeur : il faudra investir 66 milliards euros par an à l'horizon de 2030.

Le rapport propose de recourir à l'emprunt et à une taxation provisoire des plus gros patrimoines financiers. Bruno Le Maire a balayé ces propositions d'un revers de main, frisant le déni climatique, fragilisant une nouvelle fois notre diplomatie climatique comme notre contrat social. Il faut inverser le rapport entre les plus gros pollueurs et ceux qui n'ont pas les moyens d'agir.

La crise sociale est l'impensé de ce texte. L'inflation reste élevée à 5 % ; le Gouvernement espère 2,6 % en 2024, mais rien de moins certain. Les salaires augmentent moins que l'inflation, les Français s'appauvrissent. Vous accélérez la dynamique des grands gagnants et grands perdants. L'État abandonne la lutte contre l'extrême pauvreté alors que des milliers d'étudiants ne mangent pas à leur faim et que des enfants dorment dehors.

Nos collectivités territoriales sont au front, pour tenir tous les bouts d'une société qui se fracture. La DGF augmente de 0,8 %, mais, avec une inflation à 5 %, le compte n'y est pas.

Aucun changement de paradigme en vue. Ce gouvernement pratique le discours volontariste, les annonces chocs, l'autosatisfaction... mais les résultats ne sont pas au rendez-vous. La faute à un dogme : toujours moins d'impôts pour les plus aisés. Vous refusez obstinément de rechercher de nouvelles recettes. Pourtant, les entreprises perçoivent plus de 150 milliards d'euros d'aides directes ou indirectes, le patrimoine des Français les plus riches ne cesse d'augmenter. Vous vous contentez de saupoudrage et de communication, quand des solutions existent!

Le GEST regrette votre manque d'ambition et défendra des amendements cohérents, pour un projet de loi de finances réaliste.

En matière d'écologie, nous proposons de renforcer l'investissement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM), de muscler le crédit d'impôt industries vertes, de consacrer plus de moyens à la rénovation énergétique pour les collectivités territoriales, l'État et les ménages.

En matière sociale, nous voulons plus de solidarité, avec un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) climatique, une contribution des plus hauts revenus, un élargissement de la taxe sur les transactions financières (TTF). Nous proposons des mesures pour le logement : lutte contre l'habitat indigne, aide à la construction.

Enfin, en matière institutionnelle, nous voulons renforcer la République des territoires : revalorisation de la DGF et compensation de l'augmentation du point d'indice, revalorisation de la dotation des départements pour compenser la baisse des DMTO et la hausse du RSA. Les départements sont un échelon charnière, les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) sont en première ligne : ils doivent voir leurs moyens augmenter.

Nous sommes très critiques du projet de loi de finances initial, censé fixer les contours d'un avenir souhaitable et atteignable. À quelques jours de la COP 28, le secrétaire général de l'ONU appelle les dirigeants à redoubler d'efforts, qui se doivent d'être spectaculaires, avec des actions et des baisses d'émissions records. Faisons de ce projet de loi de finances celui de l'action climatique record. Il en est encore temps ! (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER ; M. Éric Bocquet applaudit également.)

M. Pascal Savoldelli .  - Monsieur Cazenave, je salue votre intervention : vous avez su respecter le périmètre de votre ministère. En revanche, avec Bruno Le Maire, c'est insupportable : c'est un candidat permanent ! (MM. Éric Bocquet et Antoine Lefèvre rient.)

Vous dites qu'il faut débattre ; dont acte. Nous y sommes prêts. Notre budget d'initiative citoyenne comprend 200 propositions.

Avec 280 milliards, nous avons atteint un endettement record, témoignant d'une véritable dépendance aux marchés financiers. Ce n'est pas qu'une question d'agences de notation ou d'Union européenne, qui veulent une dépense publique toujours plus basse. L'inflation sera toujours supérieure à l'augmentation des dépenses publiques, d'où une baisse en volume. C'est factuel.

La Commission nous menace d'une procédure de déficit excessif. La crédibilité financière de la France et ses principes républicains sont menacés par ces décisions budgétaires. La France met fin au bouclier énergétique. L'énergie serait-elle devenue bon marché ? Ce bouclier a un coût de 32 milliards. Mais un rattrapage est en cours. Un tiers de la facture serait pris en charge par l'État, selon Agnès Pannier-Runacher. Mais salaires et pensions n'ont pas augmenté à hauteur de l'inflation.

Le 49.3 pèse d'autant plus : l'Assemblée qui perd la voix, c'est la démocratie qui est aphone. La menace d'un shutdown n'est pas crédible, et irrespectueuse. La Constitution est claire : si le Parlement ne s'est pas prononcé sous 70 jours, le Gouvernement peut procéder par ordonnance.

Pour subvenir à leurs besoins primaires, les Français puisent dans leurs économies. Beaucoup ne mangent pas à leur faim. L'Insee a montré que 500 000 personnes ont basculé dans une pauvreté toujours plus intense. Les associations d'aide alimentaire se désolent de devoir, selon leurs propres termes, trier les pauvres.

Les prix de l'alimentation augmentent de 21 %. Le ministre-candidat permanent dit que la crise inflationniste est derrière nous ! C'est indigne. Un tiers de l'inflation vient des coûts salariaux, le reste des marges. Bruno Le Maire, déjà absent, réfute la présence de profiteurs dans l'industrie agroalimentaire.

Une croissance de 1,4 % ne résorbera pas le chômage. Elle créera de l'intérim, du RSA et de la misère. Vouloir poursuivre le démantèlement de notre modèle social, de l'assurance chômage, c'est mettre en danger notre société.

Une politique de l'offre ne soutient pas l'économie, mais l'accumulation primitive de capital. Nous risquons la paralysie si nous ne relançons pas la demande en prélevant sur la spéculation.

Sous pression de la démocratie sociale, vous concédez quelques prélèvements sur quelques richesses. Il faut le dire... C'est une aspiration forte de nos concitoyens. Mais c'est la gauche du Parlement qui y a contribué, et - pour être bien clair - pas l'extrême droite !

La transposition de l'accord mondial sur les firmes multinationales est intéressante. Un seuil à 15 %, soit, mais combien d'exemptions et de motifs de non-imposition ? Il faudra être un très gros poisson pour ne pas échapper à vos filets...

Le Gouvernement consent à taxer les concessions d'autoroute et les grands aéroports. Les parlementaires communistes demandent leur nationalisation, pour chercher les 35 milliards d'euros de bénéfice de ces concessionnaires. Mais vous fixez des seuils de rentabilité de 10 % avant de prélever un euro. Certes, Vinci menace d'attaquer l'État, mais les lois de la République doivent primer, pas celles des actionnaires. À travers la représentation nationale, le peuple fait la loi.

Les entreprises ne devaient pas avoir tant besoin que cela de la suppression de la CVAE, si elles peuvent s'en acquitter pendant quatre ans supplémentaires. Il faut un lien entre l'activité économique et les territoires, mais vous tenez envers et contre tous.

Nous voulons interdire toute justice négociée, qui évite aux fraudeurs une condamnation pénale. Google a ainsi payé 1 milliard d'euros au lieu de 8 milliards !

Nous portons l'indignité fiscale et un contre-budget d'initiative citoyenne, au déficit limité. Il faut aller chercher les profits indus et les dividendes par milliards. Nous voulons supprimer les niches fiscales. Je ne crois pas au simulacre de débat que vous proposez, pour économiser 1 milliard.

Face à la pauvreté, bloquons les prix. Nous voulons relancer la construction dans le parc social avec une TVA à 5,5 %. Nous voulons une liberté fiscale communale.

Nos propositions de budget sont socialement justes et réalisables. Elles sont le réceptacle du travail des députés empêchés et des alertes de la population. Ainsi, nous donnons la parole à la nation tout entière. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)

M. le président.  - Je salue les maires et élus de Nouvelle-Calédonie en tribunes. (Applaudissements)

M. Raphaël Daubet .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Impossible d'aborder ce budget sans dire ce qu'il est : un exercice d'équilibriste. Vous n'avez pas manqué de souplesse, monsieur le ministre, pour résoudre les contradictions : réduire le déficit et la dette tout en soutenant le pouvoir d'achat des Français. Beau grand écart ! Pour le dire autrement, reconnaissons que nous sommes face à la quadrature du cercle.

Trois mots pour qualifier ce budget : inquiétant, engagé, subi.

Inquiétant, car les hypothèses retenues sont trop optimistes : inflation à 2,6 %, dépenses de l'État en baisse - ce qui n'est pas arrivé depuis 2015 -, amélioration du solde budgétaire de 27,6 milliards d'euros, hausse de la consommation et de l'investissement des ménages, malgré des taux d'intérêt élevés...

Certes, vos prévisions de croissance pour 2023 se sont révélées justes. Les recettes fiscales sont dynamiques et les revues de dépenses nous feront faire des économies. Mais ce budget d'une architecture complexe repose sur une poutre dont on mesure mal la résistance.

Ce budget se veut engagé. Le Gouvernement souhaite accélérer la transition écologique et investir dans le régalien, mais les marges de manoeuvre sont limitées. Les résultats seront en deçà des annonces.

Ainsi, l'indemnité carburant pour les plus modestes - 100 euros annuels - est symbolique.

Attention à la question des transports dans le monde rural : méfions-nous des bonnes idées vertes, qui débouchent sur des colères noires, qui s'expriment sur des ronds-points jaunes. Une fois de plus, ce sont les territoires ruraux qui sont oubliés.

Se justifier au nom de la maîtrise de l'artificialisation des sols ne peut que faire bondir les élus locaux, englués dans la coûteuse et interminable élaboration de plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi).

Combien d'entreprises peinent à remplir leur carnet de commandes faute de main-d'oeuvre ? La pénurie de main-d'oeuvre touche nos entreprises, mais aussi nos commerces et nos écoles.

Le RDSE salue l'effort pour les collectivités territoriales, même s'il est insuffisant. Les communes, qui font face à des défis majeurs, voient leurs marges de manoeuvre s'effriter à cause de l'augmentation du point d'indice.

L'augmentation de la DGF est bienvenue, mais insuffisante. Les 10 milliards pour la transition écologique sont louables ; mais nous venons d'annuler 800 millions de crédits non consommés de MaPrimeRénov' et on prévoit 1,6 milliard de crédits supplémentaires dans le PLF. Nos dispositifs sont si complexes qu'ils détournent finalement les Français de la rénovation énergétique. Au bout du compte, nous nous retrouverons à réaffecter des crédits vers d'autres missions.

Restons prudents avant de généraliser les budgets verts. Oui, valoriser des projets vertueux est souhaitable, mais ne cédons pas à la tentation de coter la vertu des actions municipales dans des tableurs Excel.

Mme Christine Lavarde.  - Très bien !

M. Raphaël Daubet.  - Je salue les mesures pour l'école, et rappelle l'importance de l'enseignement supérieur pour construire l'avenir : il faudra faire plus.

Ce budget consacre des augmentations de crédits pour le régalien : défense, police, justice. C'est sain.

Enfin, ce budget est subi - In cauda venenum. Il est celui d'un pays qui peine à se réformer. Nous ne pouvons pas ne pas nous interroger sur l'héritage de nos habitudes, sur notre conservatisme, sur le poids de notre dépense publique et sur l'obésité de nos administrations. Quel est le projet de simplification ?

Les prévisions d'embauches sont en contradiction avec la loi de programmation. Les agences sont coûteuses et ne sont finalement que des interfaces entre l'État et les collectivités territoriales.

Des investissements massifs et rapides, un délestage rapide sur tout ce qui pèse sur notre pays doivent être engagés. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe UC ; Mme Christine Lavarde, M. Marc Laménie et Mme Marie-Carole Ciuntu applaudissent également.)

M. Saïd Omar Oili .  - En complément de Didier Rambaud, je vous donne le point de vue de notre groupe sur les crédits destinés aux outre-mer. Je salue l'effort du Gouvernement pour rattraper le retard de nos territoires par rapport à l'Hexagone. Les crédits des outre-mer doivent se retrouver dans toutes les missions.

Dans la mission « Outre-mer », les crédits sont en hausse au-delà de l'inflation. Je pense notamment à la compensation des exonérations de cotisations sociales, en hausse de 123 millions d'euros ; aux moyens dédiés à la continuité sociale, en hausse de 23 millions, pour pallier l'augmentation du prix des billets d'avion ; et à la hausse du financement du logement, pour 291 millions.

Face aux taux de chômage et de pauvreté, les plus élevés de la République, nous pourrions demander plus. Toutefois, nos territoires ne sont pas oubliés par le Gouvernement. En témoignent les deux aides exceptionnelles votées dans le PLF de fin de gestion : 50 millions d'euros pour l'enfance à Mayotte, et 63 millions pour répondre à la crise de l'eau.

Notre groupe défendra des amendements pour compléter les dispositions prévues. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Florence Blatrix Contat .  - Le programme des Nations unies pour l'environnement prévoit un réchauffement de plus de 3 degrés, scénario catastrophique. Ainsi, chaque budget, chaque action revêt une importance cruciale.

Avec le 49.3, le Gouvernement décide de tout, tout seul. Nous restons convaincus que le maintien d'un débat parlementaire exigeant est essentiel.

Nous continuerons de prôner un modèle plus juste et social. Pour être ambitieuse, la transition écologique doit être juste. La transition sociale est une condition sine qua non ; nous regrettons à cet égard les politiques qui pèsent sur les ménages précaires, les plus touchés par le changement climatique.

Le Gouvernement n'est pas au rendez-vous : le budget met l'accent sur les réductions d'impôts, alors que le rapport Pisani-Ferry et Mahfouz préconise 34 milliards d'euros d'investissements par an. Or le Gouvernement prévoit seulement 10 milliards d'euros !

Les taxes sur les énergies fossiles vont diminuer et le ralentissement de la croissance va faire baisser les recettes. Un sursaut politique est nécessaire.

J'espère que le Gouvernement écoutera nos propositions. Nous voulons prendre l'argent là où il se trouve, et favoriser les aides directes et la redistribution. Nous souhaitons encourager une économie de la réparation, plus sobre. C'est le meilleur moyen de réduire la dépense publique. Idem pour les mobilités douces.

Nous souhaitons réduire les inégalités territoriales et prônons un grand plan ferroviaire. Une réindustrialisation décarbonée constitue un autre levier pour recréer des bassins d'emploi au coeur de nos territoires.

Pour assurer le rôle moteur des collectivités territoriales dans la lutte contre le dérèglement climatique, il faut leur donner des moyens. Il est temps de briser le tabou de l'endettement des collectivités. Il faut mieux les intégrer dans les politiques pluriannuelles de l'État. Le fonds vert est insuffisant.

La transition écologique a un coût, mais celui de l'inaction est plus élevé encore. Ayons le courage d'interdire et de réguler pour préserver l'environnement. (Applaudissements sur les travées des groupeSER et CRCE-K ; M. Grégory Blanc applaudit également.)

M. Stéphane Sautarel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'examen du PLF est un rendez-vous majeur pour fixer le cap d'une politique. Un budget trace une orientation, une volonté, un chemin, qui, s'il est soumis au Parlement, l'est aussi à nos citoyens.

Malgré l'inflation du nombre d'articles, le 49.3, qui n'offre qu'un débat limité aux députés, pose une grave question démocratique. Heureusement, le bicamérisme permet un débat de fond au Sénat, même si nos propositions, au bout du compte, sont réduites à la portion congrue.

Le PLF 2024 célèbre 50 ans de déficit public, et de quelle manière ! La France est parmi les plus mauvais élèves, comme l'a souligné la Commission européenne. Les dépenses augmentent encore. L'État prévoit une dette record de 285 milliards d'euros : notre addiction ne cesse pas, d'autant que nous l'utilisons pour des dépenses de fonctionnement, et non d'investissement. Cela risque de très mal se finir pour l'ensemble des Français. Une fois encore, j'alerte.

Ce PLF est triplement inquiétant et continue de précipiter notre pays vers des abîmes.

Tout d'abord, les hypothèses retenues sont bien trop optimistes et interrogent sur la sincérité de ce budget, dans un contexte géopolitique préoccupant.

Le déficit est l'un des plus élevés de la zone euro, à 4,4 points de PIB, et l'endettement est l'un des plus forts de l'Union européenne - 109 points de PIB, soit une hausse de 12 points depuis 2017. La charge de la dette sera le premier poste budgétaire de l'État en 2027, à 84 milliards d'euros. Elle s'élèvera à 56 milliards d'euros dès 2024.

Rappelons que le stock public de la dette dépasse les 3 000 milliards d'euros. La Grèce rembourse sa dette, nous, nous la faisons gonfler ! Même l'économiste Olivier Blanchard s'en inquiète ! (M. Grégory Blanc rit.)

Seul l'État est responsable du déséquilibre du budget, puisque les collectivités territoriales doivent voter leur budget à l'équilibre. La création de 8 500 emplois publics interroge sur l'efficacité des services publics, dans tous les secteurs. Nous l'avons vu dans les hôpitaux lors de la crise covid, mais aussi dans les écoles.

Deux voies s'offrent à nous : avec un niveau de prélèvements obligatoires à 45,6 %, nous ne pouvons accroître la pression fiscale ni baisser nos recettes fiscales. Dès lors, nous proposerons des pistes d'économies à hauteur de 5 milliards d'euros pour respecter la trajectoire de la LPFP.

Je proposerai des amendements pour réduire la dépense fiscale, c'est-à-dire les niches fiscales, qui, avec les niches sociales, représentent un volume cumulé de 200 milliards d'euros.

Il convient d'être attentif aux effectifs publics. Les effectifs de l'administration administrante doivent baisser de manière drastique ; instaurons un rapport 80-20 : 80 % des effectifs devant le public et 20 % pour gérer les services.

Enfin, une revue de nos dépenses de politiques publiques doit être menée rigoureusement, notamment en raison d'une déconcentration inaboutie.

Un nouveau pacte entre État et collectivités territoriales doit être scellé. Continuer à rogner leur autofinancement serait une faute. Après le logement social, ne faites pas tomber les Ehpad ou la mobilité.

Voilà quelques pistes pour une sphère publique plus libre, plus responsable, plus efficace, plus pragmatique, plus proche.

J'adresse, pour conclure, un satisfecit à l'article 7, qui transforme les zones de revitalisation rurale (ZRR) en France ruralités revitalisation (FRR), pour mieux répondre aux attentes de nos territoires ruraux. Avec pragmatisme, nous vous accompagnerons dans cette action. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Bernard Delcros .  - La ligne du groupe UC en matière budgétaire est claire : baisser le poids de la dépense publique et actionner le levier des recettes fiscales, pour un meilleur équilibre et plus de justice fiscale. La voie est étroite pour réduire le déficit tout en répondant aux besoins en matière de santé, d'éducation ou d'accompagnement du grand âge. Une chose est sûre : nous n'y parviendrons pas sans faire baisser la dette !

M. Jean-Michel Arnaud.  - Très bien !

M. Bernard Delcros.  - Avec une prévision de 4,4 % pour le déficit, la ligne de crête est périlleuse.

Pour la tenir, agissons sur le levier des recettes. Demandons un effort de solidarité aux plus fortunés. Nous proposons donc l'exit tax, des taxes sur les programmes de rachat d'actions et les superprofits, des contributions exceptionnelles, une rationalisation des niches fiscales, un renforcement de la lutte contre la fraude fiscale, ou encore le report de la suppression de la deuxième part de CVAE. Soit près de 10 milliards de recettes supplémentaires.

Dans un contexte international instable, les hypothèses macroéconomiques sont optimistes. Aurait-il été souhaitable d'être pessimiste ? Je ne le crois pas.

De fortes disparités se cachent derrière la hausse de la DGF : nous voulons qu'elle soit ciblée vers les territoires les plus fragiles. C'est d'ailleurs le choix qu'a fait le Gouvernement, nous le saluons.

Toutefois, alors que la hausse de la DGF était de 320 millions d'euros en 2023, elle régresse à 220 millions, soit une différence de 100 millions, au seul détriment de la dotation de solidarité rurale, dont la hausse est réduite de moitié.

M. Jean-Michel Arnaud.  - C'est inacceptable !

M. Bernard Delcros.  - C'est pourquoi nous proposons de corriger cette injustice en reprenant le niveau de la hausse de 2023.

M. Jean-Michel Arnaud.  - Très bien !

M. Bernard Delcros.  - Je tiens à saluer la réforme de la dotation aménités rurales, avec des crédits portés à 100 millions d'euros en 2024, plus que doublés, des critères d'éligibilité élargis et une prise en compte réelle des superficies concernées. Cette avancée importante était réclamée depuis longtemps par le monde rural.

Nous approuvons également la réintégration de l'éligibilité au FCTVA des aménagements de terrain, la reconduction du fonds vert, porté à 2,5 milliards d'euros, la décorrélation des taux de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires et de la taxe sur le foncier bâti - qu'il faudra néanmoins assouplir. Je rejoins Raphaël Daubet sur la nécessité de rétablir le PTZ dans les zones rurales.

Enfin, nous nous réjouissons du maintien du dispositif des ZRR, devenu FRR, annoncé dans le plan France Ruralité et concrétisé dans ce PLF. Il est essentiel pour les territoires ruraux. Cela dit, nous ne partageons pas certains critères retenus, qui excluent certaines communes. Il appartient au Sénat d'aboutir à un projet calibré, au profit de nos territoires les plus fragiles.

Le groupe UC aborde l'examen de ce budget de manière positive, avec pour seule volonté de trouver les meilleures solutions pour notre pays et pour nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Emmanuel Capus et Mme Maryse Carrère applaudissent également.)

M. Jean-Michel Arnaud.  - Bravo !

Mme Isabelle Briquet .  - (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K) Ce PLF s'inscrit dans le droit fil des précédents, profondément ancrés dans une perspective néo-libérale. Les quelques mesures pour lutter contre l'inflation n'éviteront ni la précarisation croissante ni la fracture territoriale.

L'État a toujours pu compter sur les collectivités territoriales. Elles doivent elles aussi pouvoir compter sur lui. Depuis 2017, le Gouvernement n'a cessé de souffler le chaud et le froid. Alors qu'elles représentent 70 % de l'investissement public, leur rôle est sous-estimé, leur gestion remise en question. Or les élus locaux ne sont pas responsables de notre dette et de nos déficits publics ! La dette des collectivités territoriales ne représente que 8 % de la dette publique totale. Pourquoi cette méfiance, que rien ne justifie ? En limitant les dépenses à un niveau inférieur à l'inflation, Bercy impose une règle d'airain qui contraindra les collectivités à l'austérité.

Baisse des impôts de production et suppression de la taxe d'habitation ont entamé le lien avec le territoire. Le mitage fiscal engagé depuis 2017 transforme progressivement les impôts locaux en compensations et dotations, réduisant les marges de manoeuvre des collectivités territoriales ; le plafonnement des dépenses de fonctionnement réduit leur liberté d'action.

Les 220 millions supplémentaires de DGF représentent moins de 1 % de l'inflation - une indexation sur l'inflation aurait représenté entre 1 et 1,3 milliard d'euros. Les élus locaux dénoncent à raison une attaque contre l'autonomie financière des collectivités. Nous défendrons l'indexation de la DGF sur l'inflation pour rétablir une certaine équité.

Au final, les collectivités territoriales perdront 2,2 milliards d'euros de ressources avec ce PLF, entre la fin des boucliers énergie, la ponction de 67 millions d'euros sur diverses dotations et la compensation insuffisante de la hausse du point d'indice.

Le panier fiscal des collectivités est quasi nationalisé. En 2023, elles recevront 53 milliards d'euros de TVA, soit un quart de la TVA nette. Que se passera-t-il quand les recettes de TVA seront moins dynamiques, en 2024 ? (M. Thomas Cazenave lève les bras au ciel.) Avec le transfert croissant des recettes de TVA aux collectivités territoriales, ces dernières financent les décisions sectorielles de l'État, sans avoir leur mot à dire. Imaginons que le Gouvernement diminue la TVA sur les poney-clubs et les activités équestres - les finances locales en pâtiraient.

En 2024, avec le ralentissement des recettes de TVA et la hausse des dépenses, notamment sociales, les élus locaux seront confrontés à des choix difficiles. Quelles seront leurs marges de manoeuvre, alors qu'il leur faut investir pour la transition écologique ?

Rétablissons leur autonomie financière, et reconnaissons le rôle clé qu'elles jouent dans le développement de nos territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K)

M. Olivier Rietmann .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Michel Canévet applaudit également.) « Tout le temps passé sur l'administratif, c'est du temps qu'on vous fait perdre », a dit Emmanuel Macron il y a deux jours, lors du lancement du programme ETIincelles pour faire rayonner nos PME.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Quelle comédie...

M. Olivier Rietmann.  - En tant que président de la délégation sénatoriale aux entreprises, je souscris à 100 % à ce constat. Menons la lutte contre la charge administrative !

Mais comment lire ce PLF, tant il est dépourvu de mesures pour simplifier la vie de nos entreprises ?

Je suis frappé par l'absence de vision de long terme pour notre économie, de cap clair pour les entreprises. Le report de la suppression de la CVAE en témoigne. Certes, je comprends l'impératif des finances publiques, mais quand le Gouvernement comprendra-t-il que la stabilité, législative et fiscale, est une donnée clé pour les entreprises ?

L'instabilité législative est une vraie difficulté pour les entreprises. Les niveaux de nos impôts de production aussi - quatre plus élevés qu'en Allemagne. Surtout, la complexité administrative, ce mal français, représente pour nos entreprises une charge annuelle de 60 milliards d'euros par an, soit 3 % du PIB.

Alors que le Gouvernement lance les assises de la simplification, je découvre que ce PLF soumet davantage d'entreprises à l'obligation dite de documentation. Cette mesure, dépourvue d'étude d'impact, vise à faciliter le contrôle de l'administration fiscale sur les prix de transfert. Quelle inversion des priorités ! On demande aux entreprises de produire à leurs frais une documentation qui dans 99 % des cas, ne sera pas lue par l'administration fiscale - qui peut toujours demander des infos au cas par cas. Cette présomption de culpabilité qu'a votre administration à l'égard de nos entreprises est injustifiable.

Je veillerai au maintien de l'équilibre du pacte Dutreil, essentiel pour notre tissu économique composé à 60 % d'entreprises familiales. Alors qu'un dirigeant sur quatre a plus de 60 ans, il faut anticiper et faciliter la transmission, sans quoi nos entreprises seront rachetées par des fonds étrangers, ou disparaîtront. Notre délégation plaide de longue date pour l'extension de ce dispositif. Je me réjouis que des députés de la majorité aient repris à leur compte notre proposition de relever le seuil de l'abattement fiscal en cas de reprise par les salariés.

Monsieur le ministre, écoutez les messages : celui du Président, bien sûr, mais aussi les nôtres ! Prenez mieux en compte les impacts de vos décisions sur les entreprises.

Ne renoncez pas à lutter contre l'inflation normative pesant sur nos entreprises. Remettez votre budget en cohérence avec nos grands objectifs économiques. Rappelez-vous, avec Montesquieu, que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ». (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Tout à fait !

M. Michel Canévet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Bernard Delcros a expliqué la ligne de notre groupe : une position constructive, mais exigeante, car il est nécessaire de rétablir les finances de notre pays.

En 2023, le Gouvernement avait affiché 1 % de croissance : pari tenu. Pour 2024, il prévoit 1,4 % : nous soutenons cette ambition.

Cela dit, il faut tenir compte de la situation de nos finances publiques. En 2023, le déficit de la sécurité sociale s'élèvera à 8,8 milliards d'euros ; en 2024, à 10,7 milliards ; en 2027, à 17,5 milliards d'euros. Nous devons faire des efforts pour résorber ces chiffres.

Pour l'État, la situation sera grave en 2024. Il devra emprunter 285 milliards d'euros sur les marchés financiers - un montant colossal. Après 172 milliards d'euros cette année, le déficit s'élèvera encore à 145 milliards en 2024. C'est dire le chemin à parcourir pour revenir à l'équilibre des finances publiques...

Cette semaine, la Commission européenne nous a placés dans la « bande des 4 », avec la Belgique, la Croatie et la Finlande, des pays où la croissance des dépenses publiques est la plus importante.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Les chenapans !

M. Michel Canévet.  - Nous sommes aussi dans la « bande des quatre » pour le déficit, avec Malte, la Slovaquie et la Belgique.

Parmi les signaux d'alerte, on note une légère remontée du chômage. La réforme créant France Travail doit apporter des réponses, nous la soutenons, car le retour à l'emploi de nos concitoyens demeure un objectif impératif.

Pascal Savoldelli l'a dit : la progression de la pauvreté dans notre pays nous préoccupe. Les associations caritatives alertent sur l'augmentation des besoins. Dès lors, ciblons les actions de solidarité vers ceux qui en ont besoin.

La situation du logement nous préoccupe grandement. Sans logement, pas d'intégration dans la société, d'insertion professionnelle, de vie sociale. Il faut agir concrètement, car tous les indicateurs sont au rouge. Il faut certes réduire les dépenses fiscales, notamment le Pinel, mais aussi favoriser l'accession à la propriété des primo-accédants, sur l'ensemble du territoire.

M. Jean-Michel Arnaud.  - Très bien.

M. Michel Canévet.  - C'est la condition de la mobilité dans le parc locatif. Le PTZ, financé par des recettes de TVA, est un outil intéressant, qui donnera un retour sur investissement.

Enfin, nous devons remettre de l'ordre dans les niches fiscales et les réduire, même si c'est difficile, pour se concentrer sur l'essentiel. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Emmanuel Capus applaudit également.)

M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics .  - Monsieur le rapporteur général, notre trajectoire est crédible. Nous avons démontré notre crédibilité en sortant la France de la procédure de déficit excessif et en ramenant le déficit public sous les 3 %, avant les crises.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Là, vous l'avez enfoncé !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - En 2018, le déficit s'élevait à 2,3 %. Nous attendions 5 % cette année, ce sera 4,9 %. Notre croissance a tenu ! Je réaffirme l'objectif de 4,4 % pour 2024. Le plus important, vis-à-vis des Français et de nos partenaires, est de tenir nos engagements. Je préfère une trajectoire crédible et moins agressive à une trajectoire très volontariste, mais inatteignable.

Ne regrettons pas la politique du « quoi qu'il en coûte » durant la crise.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Si ! Elle était trop lâche...

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Si nous avons aujourd'hui une croissance de 1 %, c'est parce que nous avons protégé le pays. Cela nous aurait coûté beaucoup plus cher de réparer le tissu économique et social si nous avions laissé le chômage s'emballer et les entreprises au tapis. Cette stratégie était la bonne, la plupart des économistes l'ont reconnu. J'espère que les crises - du covid et de l'énergie - sont derrière nous : maintenant, nous pouvons redresser les finances publiques.

Le président Raynal a soutenu que la dépense publique n'est pas taboue. C'est vrai, en témoigne notre modèle social. De même pour les économies. Pas de modèle social pérenne s'il n'est pas financé, il faut donc restaurer nos marges de manoeuvre, en réduisant le déficit.

Monsieur Rambaud, merci de souligner l'investissement colossal en faveur de la transition écologique.

Madame Lavarde, ce PLF est le budget le plus vert de notre histoire.

M. Thierry Cozic.  - On est loin du rapport Pisani-Ferry !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Bien sûr on peut toujours dire qu'il faut aller beaucoup plus loin... (M. Thierry Cozic s'exclame.)

Monsieur Cozic, vous auriez pu vous féliciter des vingt mesures de ce PLF pour mieux traquer la fraude fiscale, chez les entreprises, les particuliers, sur internet, sur les prix de transfert. Tout cela va dans le bon sens, Mme Goulet l'a reconnu. Nous affectons 1 500 personnes supplémentaires d'ici 2027 au contrôle fiscal, 1 000 de plus pour lutter contre la fraude sociale.

Vous auriez pu aussi vous réjouir du taux minimal de 15 % d'imposition des sociétés au niveau international, qui fait qu'aucune multinationale n'échappe plus à l'impôt sur les sociétés. (M. Thierry Cozic s'exclame.) Sans doute faut-il aller plus loin, et resserrer les mailles du filet. (M. Rémi Féraud s'exclame.)

Madame Lavarde, vous n'avez pas été tendre. Je ne partage pas votre analyse sur les budgets verts, qui doivent être un outil de pilotage. Nous augmentons de 7 milliards d'euros les dépenses dites vertes. Certaines sont difficiles à classer, c'est vrai. Nous vous proposerons d'étendre les budgets verts aux opérateurs et négocions avec les associations d'élus pour doter les collectivités territoriales d'une boussole commune sur les investissements relevant de la transition écologique, que nous avons en partage. (Mme Christine Lavarde s'exclame.) Enfin, nous nous dotons d'une stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique. (M. Jean-François Husson s'exclame.)

Mme Christine Lavarde.  - Je l'ai dit.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Je partage votre analyse sur le versement des aides aux entreprises. Nous avons lancé une revue de dépenses à cet effet. Je m'interroge sur les aides du fonds de solidarité mises en oeuvre par la DGFiP, quand d'autres le sont par l'Agence de services et de paiement (ASP). Rationalisons, pour faire des économies et lutter contre les erreurs et la fraude.

Il ne faudrait plus exprimer le déficit en pourcentage du PIB, dites-vous ? Aucun Gouvernement ne l'a jamais remis en question.

Mme Christine Lavarde.  - En valeur absolue, c'est bien aussi !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Ne cassons pas le thermomètre.

Vous nous enjoignez d'aller plus loin pour limiter les dépenses, mais concluez votre intervention sur la loi de programmation Grand âge - qui représente des dépenses supplémentaires.

Mme Christine Lavarde.  - C'est votre dossier de presse !

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - C'est ce que prône Bruno Le Maire !

Mme Marie-Claire Carrère-Gée.  - C'est pour cela que vous ne faites rien sur le grand âge ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - J'y vois une forme d'injonction contradictoire ... (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)

Monsieur Capus, je partage la position de votre groupe sur le régalien. La police, la justice font partie des priorités de ce PLF.

Vous insistez sur la nécessaire confiance entre l'État et les collectivités territoriales. Je suis prêt à avancer sur les ZRR et sur les communes nouvelles. Aucune commune qui fait ce choix ne doit être pénalisée. Nous espérons pouvoir ainsi faire progresser le texte.

J'ai bien noté les propositions de Mme Goulet sur la fraude, je lui proposerai d'être associée à nos travaux.

Monsieur Dossus, le PLF 2024 est parfaitement en ligne avec l'excellent rapport Pisani-Ferry-Mahfouz.

M. Thomas Dossus.  - Vous taxez les hauts revenus ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Le rapport estime qu'il faudrait 30 milliards d'euros de plus d'investissement public. La part de l'État représente entre 7 et 10 milliards d'euros. Les collectivités territoriales réalisent 70 % de l'investissement public, elles doivent donc réaliser les deux tiers de l'effort. Quand on ajoute la Caisse des dépôts et les certificats d'économies d'énergie (C2E), la copie est en ligne... (M. Thomas Dossus proteste.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - On ne change rien !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Nous avons un rendez-vous, avec la stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique.

M. Thomas Dossus.  - En 2030 ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - C'était une attente du groupe écologiste, lors des rencontres de Bercy.

M. Savoldelli ironise sur le shutdown et critique l'emploi du 49.3, mais notre responsabilité est de doter le pays d'un budget. Je ne reproche pas aux oppositions de ne pas le voter, mais comment faire, avec une majorité relative, sans recourir au 49.3 ?

M. Thomas Dossus.  - Vous avez empêché le débat.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - M. Savoldelli veut populariser l'article 47. Bon courage, si l'on doit adopter le budget par douzièmes : fini les grands investissements, au revoir la transition écologique ! Sans compter que c'est le Parlement qui habilite, et qui ratifie les ordonnances. Votre problème demeure...

M. Pascal Savoldelli.  - Notre problème ? Franchement !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Je sens un peu de mauvaise foi... (MPascal Savoldelli s'en défend ; protestations amusées à gauche.) Pardon j'ai été trop loin ! Mais nous revenons au point de départ : puisqu'il faut un budget, il faut passer par le 49.3.

Je suis ravi de la méthode adoptée sur le projet de loi de fin de gestion : nous avons discuté, les oppositions ont posé les conditions de leur abstention. Seraient-elles capables de faire de même sur le PLF ?

M. Thierry Cozic.  - Ça se négocie en amont !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Cela suppose d'être ouvert à la discussion. Ma porte est ouverte.

M. Thomas Dossus.  - Ah oui ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Elle l'a toujours été.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Il y a des courants d'air...

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Le taux minimal de l'impôt sur les sociétés est une avancée historique, que vous pourriez saluer. Les mailles du filet vont se resserrer.

Nous avons généralisé les budgets verts, monsieur Daubet. Un budget qui peine à revoir son organisation administrative ? Le Président de la République a confié une mission à Éric Woerth sur le sujet.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Et aussi à Mme Vautrin, c'est le grand bazar...

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Nous devons aussi évaluer combien coûte cet empilement.

Merci, Monsieur Omar Oili, de souligner les aides exceptionnelles pour Mayotte. Nous sommes aux côtés du département.

Madame Blatrix Contat, n'oubliez pas le fonds vert de 2,5 milliards d'euros, un effort inédit en faveur des collectivités territoriales ! Nous avons un problème de soutenabilité des finances publiques : tout euro qui part dans la charge de la dette n'est pas investi. Nous n'avons pas renoncé à la transition écologique : en témoigne la déclinaison à travers les COP territoriales animées par Christophe Béchu.

Monsieur Sautarel, le FMI table sur 1,3 % de croissance, la Commission européenne, sur 1,2 %. Nous maintenons notre prévision à 1,4 %, malgré les incertitudes du climat international. Nous devons travailler sur les doublons, et avons lancé une mission à cet effet. Je suis ouvert aux propositions. Idem sur le nouveau zonage ZRR, sujet sur lequel j'espère un accord.

Sur les 8 500 emplois supplémentaires, 2 700 sont destinés à la sécurité intérieure, 2 000 à la justice. Est-ce trop ? Vous les avez votés dans les lois de programmation. Nous renforçons aussi l'éducation nationale et la transition écologique. En contrepartie, nous identifions les secteurs où faire des économies d'ETP.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Tenez votre promesse de stabilité !

M. Stéphane Sautarel.  - C'est l'administration administrante.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Policiers, magistrats, greffiers, ce n'est pas l'administration administrante !

Monsieur Delcros, attention aux impôts. Selon Eurostat, nous sommes tout en haut du tableau des prélèvements obligatoires. Cela pose un problème de pouvoir d'achat et d'attractivité des territoires. (M. Thierry Cozic le conteste.) Si nous créons de l'emploi et de la croissance, c'est parce que nous sommes devenus un territoire attractif. Ne cassons pas un modèle qui fonctionne, et qui reste notre meilleur allié pour redresser les finances publiques.

L'augmentation de 100 millions d'euros supplémentaires de la DGF, soit 320 millions, est de nature à répondre aux attentes.

Madame Briquet, les élus locaux ne sont pas responsables du déficit de l'État, mais nous sommes tous comptables du redressement des finances publiques. (M. Laurent Somon proteste.) Les concours financiers augmenteront de 1 milliard d'euros.

Monsieur Rietmann, vous avez raison sur la simplification. Sur la CVAE, j'avoue ne plus comprendre le positionnement du groupe Les Républicains, difficile à lire. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Et inversement ! Tenez vos promesses !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Les prix de transfert doivent pouvoir être décrits pour lutter contre la fraude. Nous parlons d'entreprises qui ont des filiales à l'étranger, pas de la TPE du coin.

Monsieur Canévet, le travail est la clé, pour générer des recettes, pour redresser les finances publiques. Tout doit y concourir. (M. Pascal Savoldelli proteste.)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances.  - Je demande quinze minutes de suspension pour examiner l'amendement du Gouvernement à l'article liminaire.

La séance, suspendue à 18 h 10, reprend à 18 h 30.

Modification de l'ordre du jour

M. Claude Raynal, président de la commission des finances.  - Le nombre d'amendements sur la première partie s'élève à 2 259, soit 500 amendements de plus que l'an dernier. Les délais constitutionnels nous imposent de revoir l'organisation de nos travaux. Il n'est plus possible d'éviter de siéger dimanche 26 novembre. Nous demandons donc l'ouverture de la séance dimanche à 14 heures et le soir. Nous siégerions demain jusqu'à minuit et demi, puis samedi de 9 h 30 à 2 heures du matin et dimanche de 14 heures à 1 h 30 du matin.

Cela vous fait manifestement plaisir, monsieur le ministre. (Sourires) Cela ne nous dispense pas de tenir un rythme soutenu pour terminer l'examen de la première partie jeudi prochain.

Lors de l'examen du PLF 2019 - 1 035 amendements contre 617 en 2018 - mon prédécesseur Vincent Éblé avait parlé d'une « inflation substantielle ». Cette année, c'est le double. Je n'ai plus de mots ! (Sourires)

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - C'est avec plaisir que je serai parmi vous dimanche. (Sourires)

Il en est ainsi décidé.

Discussion de l'article liminaire

M. le président.  - Amendement n°I-2183, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 2, tableau

Rédiger ainsi ce tableau :

(En points de produit intérieur brut, sauf mention contraire)

Loi de finances pour 2024

PLPFP 2023-2027

2022

2023

2024

2024

Ensemble des administrations publiques

Solde structurel (1) (en points de PIB potentiel)

-4,2

-4,1

-3,7

-3,7

Solde conjoncturel (2)

-0,5

-0,7

-0,6

-0,6

Solde des mesures ponctuelles et temporaires (3) (en points de PIB potentiel)

-0,1

-0,1

-0,1

-0,1

Solde effectif (1+2+3)

-4,8

-4,9

-4,4

-4,4

Dette au sens de Maastricht

111,8

109,7

109,7

109,7

Taux de prélèvements obligatoires (y.c UE, nets des CI)

45,4

44,0

44,1

44,1

Taux de prélèvements obligatoires corrigé des effets du bouclier tarifaire

45,6

44,4

44,4

 44,4

Dépense publique (hors CI)

57,7

55,8

55,4

55,3

Dépense publique (hors CI, en Md€)

1523

1574

1624

1622

Évolution de la dépense publique hors CI en volume (%) 1

-1,1

-1,4

0,6

0,5

Principales dépenses d'investissement (en Md€) 2

 

25

30

30

Administrations publiques centrales

 

Solde

-5,2

-5,3

-4,8

-4,7

Dépense publique (hors CI, en Md€)

625

630

640

639

Évolution de la dépense publique en volume (%) 3

-0,1

-3,8

-1,1

-1,4

Administrations publiques locales

 

Solde

0,0

-0,3

-0,3

-0,3

Dépense publique (hors CI, en Md€)

295

312

322

322

Évolution de la dépense publique en volume (%) 3

0,1

1,0

0,9

0,9

Administrations de sécurité sociales

 

Solde

0,4

0,7

0,6

0,6

Dépense publique (hors CI, en Md€)

704

730

762

761

Évolution de la dépense publique en volume (%) 3

-2,4

-0,5

1,9

1,7

1 À champ constant.

2 Au sens du projet de loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027.

3 À champ constant, hors transferts entre administrations publiques.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - Cet amendement met à jour l'article liminaire en coordination avec les différents textes financiers récemment adoptés ; les prévisions de solde pour 2023 et 2024 restent inchangées, respectivement à moins 4,9 % et moins 4,4 %, conformément à la trajectoire de la LPFP.

La transcription de l'ANI pour l'Agirc-Arrco dégrade le solde de 1 milliard d'euros en 2024, tandis que le gel des barèmes des allègements généraux de cotisations sociales l'améliore de 500 millions d'euros.

L'amendement n°I-1896 est retiré.

M. Jean-François Husson, rapporteur général.  - Avis favorable sur l'amendement de coordination du Gouvernement.

L'amendement n°I-2183 est adopté.

L'article liminaire, modifié, est adopté.

Discussion de l'article 33

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial de la commission des finances .  - L'examen du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne est un exercice complexe, car le montant est uniquement prévisionnel.

Le 11 novembre, le Parlement européen et le Conseil européen se sont pourtant accordés sur un budget de 189 milliards d'euros en crédits d'engagement et 143 milliards en crédits de paiement. Le Gouvernement devrait ultérieurement déposer un amendement pour préciser le montant subséquent de notre contribution, mais je regrette que nous ne disposions pas d'une évaluation révisée. Quand en saurons-nous plus, madame la ministre ?

L'article 33 évalue le prélèvement sur recettes à 21,61 milliards d'euros, soit 2,287 milliards de moins que la prévision actualisée pour 2023. Cette baisse relative s'explique par des facteurs conjoncturels, et non une baisse à moyen terme de la contribution française, qui devrait plutôt s'établir en moyenne à 26,9 milliards d'euros par an entre 2023 et 2027.

En juin 2023, la Commission européenne a proposé une révision du cadre financier pluriannuel (CFP) comprenant une hausse de 66 milliards d'euros. Certains pays « frugaux » sont cependant réticents à l'augmentation du budget de l'Union européenne.

Quelle est la position de la France ? À quelle date y aura-t-il un accord ? La révision du CFP s'accompagne de nouvelles ressources propres. Pour quel montant ? Je ne suis pas sûr qu'elles soient suffisantes pour couvrir le remboursement du plan de relance NextGenerationEU de 75 milliards d'euros et ses intérêts, ainsi que le plan Climat.

L'évaluation ne tient pas compte des différentes garanties de la France à l'Ukraine. Au vu des engagements pris par la France, quels montants la France versera-t-elle au total à l'Union européenne à moyen terme ?

La France a demandé le 31 juillet un premier versement du plan de relance pour 10,3 milliards d'euros. La Commission a publié un projet de décision de validation le 17 novembre. Quand le recevrons-nous ?

La commission des finances a proposé l'adoption de l'article 33 sans modification. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

Mme Christine Lavarde, en remplacement de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes   - Je vous prie d'excuser M. Jean-François Rapin, actuellement en Allemagne. Nous sommes devant un paradoxe : la contribution de la France au budget de l'Union européenne va baisser, alors que ce dernier va fortement augmenter dans les prochaines années, à cause de la guerre en Ukraine, de l'inflation et du remboursement de l'emprunt européen.

À mi-parcours du cadre financier pluriannuel, la Commission propose de le rallonger de 66 milliards d'euros. Elle met sur la table de nouvelles ressources propres, mais le compte n'y est pas. Le train de mesures ne compte qu'un seul wagon : une ressource fondée sur l'excédent brut d'exploitation des entreprises, qui est, en réalité, une nouvelle contribution des États membres.

Selon la Cour des comptes, en l'absence de nouvelles ressources propres, la contribution de la France augmenterait de 2,5 milliards pendant trente ans à partir de 2028, et cela, sans compter un élargissement qui augmenterait le budget de l'Union de 20 %. Quel en serait l'impact sur la contribution française ? Comment la France envisage-t-elle le financement européen à long terme ?

La Cour des comptes européenne a émis une opinion défavorable pour la quatrième année consécutive sur les comptes de l'Union, estimant le taux d'erreur à 4,2 % des dépenses. Onze des treize subventions accordées au titre de la facilité pour la reprise et la résilience poseraient des problèmes d'irrégularité. Ces erreurs regrettables seraient-elles liées à la trop grande complexité des aides européennes ? Madame la ministre, que propose le Gouvernement à cet égard ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Florence Blatrix Contat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La France est le deuxième contributeur net au budget de l'Union européenne. La légère baisse de 4 milliards d'euros pour 2024 découle d'un décalage dans l'exécution des politiques de cohésion. Malgré cette baisse, la contribution française augmente constamment depuis trente ans. Il convient donc de trouver de nouvelles ressources.

La révision du cadre pluriannuel est une question pressante, avec la guerre en Ukraine, l'inflation et la hausse des taux d'intérêt. La Commission européenne a proposé une augmentation de 66 milliards. C'est insuffisant pour prendre en compte la situation actuelle, notamment pour faire face à l'Inflation Reduction Act (IRA) instauré par les États-Unis. L'Europe ne doit pas fléchir dans la course à la décarbonation. Elle doit investir dans l'innovation et la recherche. La transition coûtera cher, mais moins que l'inaction.

Malheureusement, le Conseil européen a refusé la demande de rallonge de 66 milliards d'euros de la Commission, préférant un redéploiement.

Il y a des pistes de ressources nouvelles : marché carbone européen, ajustement carbone aux frontières et pilier 1 de l'accord sur la fiscalité internationale de l'OCDE.

Nous nous réjouissons de la nouvelle ressource statistique fondée sur l'excédent brut d'exploitation des entreprises, première étape vers un impôt européen sur les sociétés. Allons plus loin, avec un ISF vert européen et une taxe sur les multinationales.

Enfin, il est nécessaire de réviser le pacte de croissance de manière équilibrée. Nous devons assouplir les contraintes en intégrant des règles budgétaires transparentes qui prennent en compte les situations nationales, et en excluant certains investissements du solde structurel, notamment ceux en faveur de la transition écologique.

Nous sommes à la croisée des chemins : ne rien faire serait contre-productif. La France doit assumer son rôle moteur, sans céder aux sirènes des pays « frugaux ».

Jean Monnet estimait que l'Europe se construisait au fil des crises. Nous voterons cet article. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Marta de Cidrac .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le prélèvement sur recettes est constitué de plusieurs composantes : fraction de TVA, contribution basée sur le revenu national brut et la taxe plastique. Il sera de 21,6 milliards d'euros en 2024, contre 24,6 milliards en 2023. Il faut y ajouter 3 milliards d'euros de droits de douane, qui ne font pas l'objet d'un vote formel.

Le quatrième cadre financier pluriannuel dont ce budget fait partie prévoit un plafond global de dépenses de plus de 1 200 milliards d'euros en crédits d'engagement sur sept ans, afin de répondre à la crise sanitaire, grâce au plan NextGenerationEU.

La marge d'action des Parlements nationaux est bien faible. Sauf à vouloir casser la baraque européenne, nous devons voter l'article 33. Mais cela n'empêche pas de faire des remarques.

La France est le deuxième contributeur derrière l'Allemagne. Sans remettre en question notre engagement, il est permis de nous interroger sur le ratio coût-bénéfice de notre contribution.

En période d'endettement et de déficit, un delta de 10 milliards d'euros n'est pas anodin, car il faut tenir compte des contextes nationaux. Le contribuable français a tendance à le percevoir comme une double peine, les retombées étant peu visibles. Il faut être capable de l'entendre et d'expliquer : les politiques européennes profitent à la France via la PAC, dont nous sommes le premier bénéficiaire et qui est un soutien vital pour nos agriculteurs - ne l'oublions pas au moment d'aborder la question de l'élargissement - et via le soutien à nos régions ultrapériphériques (RUP).

En Européenne convaincue, je voterai cet article 33, mais resterai attentive aux attentes de nos concitoyens.

M. Aymeric Durox .  - La droite et la gauche sont deux détaillants qui ont le même grossiste, l'Union européenne. Ainsi parlait Philippe Séguin, qui fustigeait l'abandon de la souveraineté nationale par la gauche et la droite au profit d'une putative souveraineté européenne.

Cette participation de la France au budget européen est injuste à tous égards. Elle a toujours payé rubis sur ongle sa contribution, sans contrepartie, alors que le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Autriche, la Suède, les Pays-Bas ou le Danemark ont profité de rabais ou de rabais sur le rabais - uniquement parce qu'ils étaient conduits par des dirigeants soucieux de l'intérêt de leur pays.

Nous sommes déjà le pays le plus taxé au monde, mais l'Union européenne entre 2000 et 2023 aura coûté 175 milliards d'euros - soit une soixantaine de gros hôpitaux, une cinquantaine de porte-avions ou une dizaine d'EPR, dont nous aurions tant besoin après l'abandon du nucléaire pour faire plaisir aux Verts. (M. Thomas Dossus ironise.)

Pire, l'argent que l'Union européenne daigne nous redonner est fléché et nous ne pouvons pas l'utiliser à notre gré. C'est la double peine : l'Union européenne nous coûte « un pognon de dingue » pour des résultats économiques médiocres. Après 175 milliards d'euros, l'agriculture se porte-t-elle mieux ? Et nos entreprises ? Le dumping social a-t-il diminué ? La sécurité aux frontières est-elle mieux assurée ?

L'intégration probable de pays des Balkans et du Caucase alourdira encore la note, comme le remboursement d'un emprunt mal négocié. Mettons fin à ce tonneau des Danaïdes.

Comptez sur les sénateurs du RN pour défendre les intérêts des Français. Nous verrons les résultats des prochaines élections européennes. Vox populi, vox dei. (M. Joshua Hochart applaudit.)

M. Emmanuel Capus .  - La participation de la France au budget de l'Union européenne est en forte baisse : 3 milliards d'euros de moins que l'an dernier.

La France représente 18 % des contributions européennes. Nous sommes contributeurs nets. Que nous apporte l'Union, directement et indirectement ? Répondre à cette question tordrait le cou à certaines idées reçues - comme celles que nous venons d'entendre. L'Union européenne n'est pas une option, mais un levier indispensable pour répondre aux enjeux futurs.

La révision du CFP nous fait-elle craindre des hausses futures ? Oui. Accueillons-nous favorablement le nouveau panier de ressources propres, comprenant l'excédent brut d'exploitation des entreprises ? Oui, et nous souhaitons les renforcer.

Les rabais négociés par les autres États nous indignent-ils ? Oui. Quand on est européen, on l'est entièrement, pas au rabais !

L'an dernier, j'évoquais la solidarité ; cette année, je parlerai de puissance. En Européens, nous devons donner l'impulsion à l'Europe. Je nous invite tous à suivre le prochain Conseil européen : le menu est appétissant, avec la renégociation du CFP ou encore un potentiel élargissement. La commission s'est prononcée pour l'ouverture formelle de négociations avec l'Ukraine ; sommes-nous prêts ? L'Europe va devoir se penser en puissance et se réformer.

Les peuples européens méritent mieux. Soyons enfin ce que nous devons être et que notre contribution y participe ! (M. Marc Laménie applaudit.)

M. Jean-Michel Arnaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ce prélèvement sur recettes représente 21 milliards d'euros, auxquels il faut ajouter les droits de douane. La contribution baisse de 3 milliards d'euros cette année, mais il s'agit en fait d'une stabilisation conjoncturelle.

Ne perdons pas de vue certains facteurs économiques systémiques. Il convient d'analyser l'impact de la nouvelle taxe plastique et des rabais accordés à cinq États - l'Allemagne, les Pays-Bas, la Suède, l'Autriche et le Danemark. Alors que la solidarité européenne est mise à mal, veillons à ne pas alimenter la défiance vis-à-vis de l'Europe.

Le budget de l'Union, de 142,6 milliards d'euros en crédits de paiement et 189,4 milliards en crédits d'engagement, s'inscrit dans un cadre pluriannuel fixant sur sept ans un plafond de 1 074 milliards d'euros d'engagement.

La Commission européenne propose de réviser ce cadre à mi-chemin, pour tenir compte de la guerre en Ukraine, de l'inflation et des transitions énergétique et numérique, avec une rallonge de 66 milliards d'euros qui financeraient une nouvelle facilité pour l'Ukraine et une plateforme des technologies stratégiques.

Le groupe UC réaffirme son soutien indéfectible à l'Ukraine contre l'agresseur russe.

Des ressources propres doivent être dégagées, mais seront-elles suffisantes pour le plan de relance et la transition écologique ?

La réduction de 55 % des émissions d'ici à 2050 doit être financée par l'affectation de ressources propres à un fonds social pour le climat.

Le budget de l'Union est un outil au service notamment de la cohésion. Récemment, la Commission a rappelé à l'ordre quatre États membres, dont la France, pour une augmentation excessive des dépenses publiques. Or le respect de règles budgétaires communes est un pilier de la construction européenne. La nouvelle PAC a posé la fondation d'une agriculture diversifiée entre les États, source de frustrations, alors que la souveraineté alimentaire est indispensable.

Comme le disait Jacques Delors après la crise des subprimes : après les pompiers il nous faut des architectes.

Le danger guette. Réaffirmons fortement nos convictions européennes. N'en déplaise à certains, l'Union européenne a garanti la paix, et la paix est précieuse, l'actualité nous le rappelle avec force. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et du RDPI, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Jacques Fernique .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) La contribution de la France au budget de l'Union européenne intervient au moment de la révision à mi-parcours du CFP, à la veille des élections européennes et du retour annoncé du pacte de stabilité et de croissance. Mon groupe, fidèle à son engagement européen, votera l'article 33.

L'Union européenne a été confrontée à des crises imprévisibles - guerre, inflation, énergie - qui lui ont permis de se renforcer à travers un endettement commun. Elle repose cependant sur un financement instable : les contributions nationales. Même un Européen résolu peut se demander où va une Union européenne à bientôt trente-six membres.

Seul un projet ambitieux peut répondre aux défis, ce qui ne se fera pas à budget constant. La France ne bénéficie d'aucun rabais, c'est vrai, et n'est que le vingt-troisième bénéficiaire, rapporté à sa population. En outre, le fonds européen pour les plus démunis y est sous-consommé. Quand de nombreux ménages peinent à joindre les deux bouts, on comprend que la contribution française fasse grincer des dents.

Une autre voie est possible, et même nécessaire, alors que l'extrême droite anti-européenne progresse à chaque élection ou presque.

Les ressources propres représentent moins de 20 % du budget, la part des ressources douanières ayant fortement diminué avec les accords de libre-échange. La France gagnerait à les développer.

Notre enveloppe au titre du plan de relance a baissé de 10 milliards d'euros alors que nous remboursons 4,2 milliards par an. En tant que deuxième contributeur net, nous sommes exposés à des sanctions éventuelles en raison de notre déficit excessif.

Pourtant, le Gouvernement n'est pas moteur : la taxe sur le numérique a été abandonnée par peur de représailles américaines, comme la taxe sur les transactions financières et il n'y a toujours pas d'avancée majeure sur l'harmonisation fiscale et l'assiette commune pour l'impôt sur les sociétés.

Sans ressources propres, la dette augmentera. L'austérité est-elle l'avenir promis à nos concitoyens ? Ils attendent au contraire que vous fassiez participer ceux qui profitent de l'Union européenne sans y contribuer à leur juste mesure. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Éric Bocquet .  - La réforme du budget européen est une impérieuse nécessité. Le CFP proposé en juin dernier est au point mort, supplanté par les conflits mondiaux.

La Commission européenne propose de modifier à la marge le CFP précédent pour renforcer l'aide à l'Ukraine, créer une plateforme des technologies stratégiques, faire face aux migrations et rémunérer les fonctionnaires européens.

La baisse de la contribution française, conjoncturelle, est en trompe-l'oeil. Les retards dans la mise en oeuvre de la politique de cohésion - via le Fonds européen de développement régional (Feder), le Fonds social européen (FSE) et le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) - devront être rattrapés. Le sentiment anti-européen est nourri par les tergiversations de la Commission et par l'impression que la solidarité est au point mort.

Trompe-l'oeil aussi, parce que les remboursements du plan NextGenerationEU ont été calculés sur l'hypothèse de taux d'intérêt dépassés. La question du financement a été mise sous le tapis, et l'endettement est une fuite en avant.

Que dire des financements indispensables du Fonds social pour le climat ? Un nouveau marché carbone heurtera les ménages. Sans contrepartie sociale, la transition écologique sera vaine...

En 2032, la Commission devrait engager des procédures d'infraction contre vingt États membres au regard du Pacte vert. Ce n'est pas une secousse, mais un séisme social.

La question de l'avenir financier de l'Union s'est posée en février 2021, lors de l'examen de la directive sur les ressources propres : 1,5 milliard d'euros avec la contribution sur le plastique non recyclé, c'était bien peu... Il faut revenir sur la règle de l'unanimité pour éviter les blocages systématiques.

Où en est la taxation des transactions financières ? Car la spéculation va bon train. Cela avait été proposé par la Commission dans la directive ressources propres : n'ayez pas la mémoire courte, car l'impasse budgétaire est proche.

Mon groupe votera contre ces crédits, qui empêchent de réaliser l'exigence climatique du Pacte vert et de concrétiser la cohésion européenne en l'absence de toute taxation du capital. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Mme Annick Girardin .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI) Cet article prévoit 22 milliards d'euros au titre de notre participation à l'Union européenne. Sa baisse pour 2024 n'est que provisoire, au regard des plans de relance européens et de la révision du CFP.

Cette contribution fait souvent débat. Pour le RDSE, profondément attaché au projet européen, la question ne se pose pas.

Ce prélèvement est bien plus qu'un acte financier, il est une déclaration tangible en faveur d'une Europe résiliente, solidaire et souveraine : gestion collective du covid, soutien à l'Ukraine, réduction de notre dépendance énergétique...

Certes, la France est le deuxième contributeur net, mais aussi l'un des principaux bénéficiaires des politiques publiques européennes. Sans la PAC, notre modèle agricole n'aurait pas accompli sa mue. Je n'oublie pas les instruments de gestion de crise, notamment en faveur de la pêche. Nos concitoyens sont souvent ignorants des efforts des institutions européennes pour nous relever des crises et faire face aux enjeux de long terme, bien mieux que ne le ferait chaque État individuellement. Pour un total de 490 milliards d'euros, le Conseil européen a validé 25 plans de relance et de résilience, dont celui des Pays-Bas en 2022. Le succès électoral de Geert Wilders s'explique-t-il par un manque de pédagogie ? Le règlement de Dublin n'est pas parfait et Frontex n'a pas les moyens nécessaires, mais quel État membre pourrait faire mieux ? Regardons le Royaume-Uni. Est-ce une question de moyens ? Pourrait-on faire plus que les 1 824 milliards d'euros du CFP et de NextGenerationEU ?

Autre question : celle de la dette de l'Union européenne, avec un début de remboursement en 2028. Assistera-t-on à un retour des frugaux qui fragiliserait la reprise européenne déjà bien atone ?

Seule issue : la recherche de ressources propres. Je me réjouis que la Commission européenne ait présenté des projets en ce sens, à hauteur de 36 milliards d'euros par an. Oui au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, oui au levier fondé sur l'excédent brut d'exploitation des entreprises, sans oublier l'accord OCDE-G20 sur la fiscalité internationale.

Un reproche toutefois : tout cela est bien trop lent. Le Conseil avance à petits pas.

Le RDSE votera l'article 33 pour une Europe que nous voulons toujours plus solidaire et convaincante. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Grégory Blanc applaudit également.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - Sans surprise, le RDPI votera cet article 33, méconnu de nos concitoyens mais fondamental à tous égards.

Nous sommes mus par un profond attachement à la construction européenne pour répondre aux défis immenses qui se posent à notre continent.

Denis de Rougemont écrivait que « L'Europe unie n'est pas un expédient moderne, économique ou politique, mais c'est un idéal qu'approuvent depuis mille ans tous ses meilleurs esprits, ceux qui ont vu loin. » Nous sommes les défenseurs de l'Union européenne, bouc émissaire commode de certains - voyez les élections aux Pays-Bas.

Le CFP prévoit le renforcement du budget de l'Union à hauteur de 18 milliards d'euros pour faire face aux migrations. C'est bien à l'échelle européenne que nous pourrons traiter ce problème.

Nous avons toujours plaidé en faveur d'une Union plus stratégique, dotée de moyens renforcés. Que d'efforts déployés par le Président de la République pour obtenir le plan de relance européen ! Désormais, l'Union européenne n'est plus naïve : nous disposons des instruments pour figurer au premier rang de l'économie mondiale.

Sur les 100 milliards d'euros du plan de relance français, 40 milliards proviennent de l'Union européenne, avec une visée verte à hauteur de 30 %. Ces crédits s'inscrivent dans une logique de transformation.

Nombre de dépenses européennes contribuent au meilleur fonctionnement de nos territoires, sans être forcément visibles : PAC, fonds de cohésion, entre autres. Améliorons la communication pour que l'Europe soit perçue comme une réalité tangible et accessible, car aucun canton de France n'est oublié.

Le renforcement de l'action aux côtés de l'Ukraine et la création de la plateforme européenne des technologies stratégiques sont des avancées.

Il est essentiel d'adopter ce budget pour influer sur la marche du monde et relever les défis de long terme.

Mme Laurence Boone, secrétaire d'État chargée de l'Europe .  - Je salue la qualité du rapport spécial de Jean-Marie Mizzon et des débats en commission des finances le 31 octobre dernier.

Je vous retrouve avec plaisir pour demander, au nom du Gouvernement, d'autoriser le PSR-UE pour 2024. Il s'élèvera à 21,6 milliards d'euros, niveau inférieur à 2023, mais proche de celui avant la pandémie.

La France est le deuxième contributeur de l'Union européenne. Alors que la France et l'Europe font face à des défis inédits, la contribution française est essentielle pour répondre aux enjeux prioritaires tels que le défi migratoire et la transition écologique.

Monsieur Mizzon, messieurs Capus et Fernique, vous avez mentionné la révision du CFP. C'est ainsi que nous pérennisons l'aide à l'Ukraine, avec la facilité Ukraine pour 2024-2027. Il n'y aura pas d'amendements sur le PSR - UE, car les négociations sur le CFP sont encore en cours - mais les effets sont mineurs sur le PLF 2024.

Le soutien à l'Ukraine est la priorité de cette révision. Le budget européen permettra aussi de répondre au défi migratoire, notamment en mettant en oeuvre le pacte sur la migration et l'asile et en renforçant nos partenariats avec les pays tiers d'origine ou de transit.

En pratique, notre contribution permet à l'Europe de mettre en oeuvre les politiques communes, pour nos concitoyens : PAC, programme pour la jeunesse, transition écologique.

À 9,5 milliards d'euros par an, nous sommes - et de loin ! - le premier bénéficiaire de la PAC, qui représente 31 % du budget de l'UE, ce qui est bien mieux qu'un rabais. Voter le PSR, c'est financer notre agriculture.

En outre, l'Allemagne paie deux fois plus et elle reçoit deux fois moins : cela s'appelle la solidarité.

Avec ce budget, nous renforçons la résilience, au travers de la politique de cohésion. Le plan de relance européen octroie 40,3 milliards d'euros à la France jusqu'en 2026. La Commission européenne vient d'attribuer un deuxième décaissement de 10,3 milliards, qui sera versé avant la fin de l'année pour accélérer la transition verte dans notre pays.

L'agenda de Versailles réduira notre dépendance dans les secteurs critiques et renforcera la production européenne. Nous nous réjouissons de l'adoption du Critical Raw Material Act, le 13 novembre dernier.

La France pèse beaucoup plus avec les 440 millions de citoyens de l'Union européenne qu'elle ne le ferait seule !

Monsieur Mizzon, mesdames Lavarde, Blatrix Contat et Girardin, vous avez souligné la difficulté de trouver des ressources propres. Celles-ci, auxquelles la France appelle, permettront de sortir de la logique délétère des taux de retour. La présidence espagnole poursuit les travaux : les nouvelles ressources, notamment le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, sont estimées à 36 milliards par an à partir de 2028, ce qui suffira à rembourser le plan de relance et le fonds social pour le climat.

Je me félicite que la France soit leader dans la construction d'une Europe puissante et souveraine, à l'image du plan NextGenerationEU.

Monsieur Durox, vous me peinez : vous cachez à vos électeurs les menaces russes, l'ingérence chinoise et le repli possible des États-Unis. Vous oubliez de souligner les bénéfices sécuritaires de l'appartenance à l'Union européenne. C'est vrai également en matière de commerce et de climat - la transition écologique serait bien plus coûteuse à 66 millions d'habitants seulement...

Comme le dit M. Capus, l'Europe est un levier pour nous rendre plus forts, plus puissants et plus souverains. (M. Joshua Hochart proteste.)

Je me réjouis que ce débat contribue à la place de la France dans la construction européenne. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)

L'article 33 est adopté.

Modification de l'ordre du jour

M. le président.  - Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l'inscription à l'ordre du jour du lundi 18 décembre sous réserve de sa transmission par l'Assemblée nationale, de la proposition de loi visant à prolonger en 2024 l'utilisation des titres-restaurant pour des achats de produits alimentaires non directement consommables.

Il demande l'inversion de l'ordre d'examen de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie et de celle sur la proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, prévues le même jour.

Enfin, il demande l'inscription à l'ordre du jour du jeudi 21 décembre, sous réserve de leur dépôt, de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à prolonger en 2024 l'utilisation des titres-restaurant pour des achats de produits alimentaires non directement consommables ou la nouvelle lecture.

Il en est ainsi décidé.

Prochaine séance demain, vendredi 24 novembre 2023, à 16 heures.

La séance est levée à 19 h 40.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du vendredi 24 novembre 2023

Séance publique

À 16 heures et le soir

Présidence : M. Pierre Ouzoulias, vice-président, M. Loïc Hervé, vice-président

Secrétaires : M. Philippe Tabarot, Mme Véronique Guillotin

. Projet de loi de finances pour 2024 (n°127, 2023-2024)

=> Examen des articles de la première partie (Suite)