Accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution relative aux négociations en cours en vue d'un accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par Mme Sophie Primas, M. Jean-François Rapin, Mme Anne-Catherine Loisier, M. Laurent Duplomb et plusieurs de leurs collègues, à la demande du groupe Les Républicains.

M. Jean-François Rapin, auteur de la proposition de résolution .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP) Avec Sophie Primas, Anne-Catherine Loisier et Laurent Duplomb, nous avons déposé cette proposition de résolution en juin dernier pour poser quelques lignes rouges. Après près de vingt ans de négociation, l'Union européenne et le Mercosur sont parvenus à un accord, le 28 juin 2019. Les échanges commerciaux annuels s'élevaient alors à 88 milliards d'euros pour les biens et 34 milliards d'euros pour les services. Il s'agissait de donner à nos entreprises un accès privilégié à un marché de plus 260 millions de consommateurs et d'économiser annuellement 4 milliards d'euros de droits de douane. Mais ces gains affichés masquent des impacts négatifs, notamment pour le monde agricole.

La Commission pensait que l'affaire était conclue, avant que tout ne déraille au Conseil. La déforestation massive au Brésil entrait en contradiction avec l'accord de Paris. L'agriculture, notamment la filière de la viande, avait servi d'ajustement, avec des droits de douane réduits de 7,5 % pour les pays du Mercosur. Or les conditions de production dans le Mercosur ne sont pas les mêmes que celles imposées à nos agriculteurs. Des concessions significatives avaient également été accordées sur le sucre, la volaille, le maïs et l'éthanol.

Face au blocage du Conseil, la Commission a tenté de trouver une voie de sortie via des engagements complémentaires. La Commission, mais aussi la présidence espagnole et les Allemands se sont montrés particulièrement volontaristes. Mais le président de la République, lors de la dernière COP de Dubaï, a rappelé que l'accord, en l'état, ne convenait pas.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Très bien !

M. Jean-François Rapin.  - Les élections en Argentine ont changé la donne, mais notre proposition de résolution est-elle devenue caduque ?

Non, car la pression n'est pas retombée. Certains espèrent encore un accord de dernière minute. Le chancelier allemand et le président argentin y appelaient la semaine dernière et la Commission européenne espère un accord avant la fin de son mandat -  après ses échecs avec le Mexique ou l'Australie.

Nous entendons les arguments en faveur du derisking de l'économie européenne, et le souhait de réduire notre indépendance vis-à-vis de la Chine. Pour autant, nous ne sommes pas prêts à sacrifier des pans entiers de notre agriculture.

Mme Sophie Primas.  - Très bien !

M. Jean-François Rapin.  - La méthode de la Commission européenne est aussi en cause. Le Sénat demande que les parlements soient mieux associés à ces accords, pour éviter d'aller de blocage en blocage.

Je ne peux mettre les intérêts de la filière automobile allemande avant ceux de la filière de la viande française. (Mme Sophie Primas renchérit.)

Il faut de la cohérence. À quoi bon d'ambitieux objectifs environnementaux si nous importons des produits qui ne respectent ni nos normes ni nos valeurs ?

Enfin, l'accord avec le Mercosur ne doit pas être scindé pour tenter de contourner les parlements nationaux. Je rappelle que l'accord économique et commercial global avec le Canada (Ceta) est en vigueur à titre provisoire depuis septembre 2017, sans avoir été soumis à la ratification du Sénat...

Nous ne sommes pas hostiles par principe au commerce international - nous n'oublions pas nos entreprises exportatrices ! -, mais nous nous interrogeons sur la capacité de l'Union européenne à conclure des accords globaux respectant ses valeurs et ses standards, notamment en matière d'environnement et de droits de l'homme.

Nous vous demandons de réaffirmer que vous ne sacrifierez pas les intérêts français et respecterez vos lignes rouges. Vous devez refuser cet accord en l'état et les parlements doivent être consultés en temps et en heure. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDSE et du GEST)

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Fabien Gay .  - Depuis 1999, la Commission européenne a négocié dans l'opacité la plus totale : ni information du public ni consultation des parlements nationaux -  comme pour le Ceta, jamais examiné par le Sénat...

Afin de contourner le rejet du texte par le Parlement européen et le veto de certains États membres, la Commission européenne souhaite aujourd'hui le découper, comme ce fut le cas avec l'accord avec le Chili. Libre-échange rime avec opacité et antidémocratie : c'est inacceptable.

Cet accord propose un modèle de société dépassé et un modèle économique nocif, qui exacerbe les inégalités mondiales.

La France a posé trois conditions : arrêt de la déforestation importée ; respect de l'accord de Paris ; clauses miroirs sanitaires et environnementales. Mais quid de la déforestation en Guyane et de l'orpaillage ?

Le rapprochement avec le président Lula ne doit pas nous faire renoncer à nos exigences, d'autant que l'arrivée au pouvoir du président argentin climatosceptique Milei nous inquiète.

Ce traité présente aussi des risques pour la santé alimentaire de nos concitoyens, avec l'importation de produits ne répondant pas au principe de précaution. Ces risques sanitaires seraient accrus par l'impact climatique de cet accord, incompatible avec l'accord de Paris et le Pacte vert européen.

En outre, les pays du Mercosur risquent de se trouver prisonniers d'un modèle exportateur au détriment de leurs populations et de l'environnement. Et l'absence de mesures miroirs enverrait un message délétère à nos paysans et éleveurs et créerait une concurrence déloyale.

La ratification de ce traité de libre-échange soulève de nombreuses difficultés dont nous devrions être saisis. Elles ne se régleront pas sans consultation des citoyens et des parlements et sans évaluation de leur impact cumulé.

Le contrôle frontalier des importations doit être approfondi, et un mécanisme efficace de résolution des conflits doit être instauré. Nous voterons cette résolution. (Applaudissements)

M. Henri Cabanel .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Depuis trente-quatre ans, l'idée d'un régionalisme ouvert en Amérique du Sud prospère ; mais depuis vingt-cinq ans, les discussions patinent. Notre groupe est très préoccupé par la multiplication des accords de libre-échange. Dans une résolution de 2018, le président Requier avait déjà souligné nos craintes et appelé à ne pas signer précipitamment cet accord déstabilisateur.

Cette proposition de résolution est bienvenue, car elle met en lumière les multiples lacunes de ce texte. Le RDSE se joint aux signataires, pour inciter le Gouvernement à s'y opposer.

Quelles sont nos lignes rouges ? Nous sommes fiers de notre agriculture française, qui se distingue par son excellence sanitaire et environnementale.

L'accord de principe entre l'Union européenne et le Mercosur de 2019 est loin d'être satisfaisant. Nos agriculteurs ne doivent pas être lésés et nos partenaires doivent se conformer aux mêmes règles que nous. Quelles clauses miroirs envisagez-vous, monsieur le ministre ? Quand entendrons-nous, à Bruxelles, la voix du Président de la République, qui estimait que l'accord était inacceptable en l'absence de réciprocité ? Il le reste donc, même avec la déclaration additionnelle prévoyant des dispositions environnementales non contraignantes.

La question des pesticides n'est pas réglée. Au Brésil, la quantité épandue est bien plus élevée qu'en France. Quelle sera la limite maximale de résidus de produits phytosanitaires dans nos importations ?

La Commission européenne souhaite scinder l'accord, pour « accélérer sa mise en oeuvre ». Mais cela permettrait surtout un vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil et éviterait les parlements nationaux. Voilà qui fragilise l'assise démocratique de notre politique commerciale commune. Le mandat de négociation de 2018 du Conseil est ainsi bafoué.

Quand les parlementaires seront-ils associés à ces négociations ? Quand le Ceta sera-t-il inscrit à l'ordre du jour du Sénat ?

Mme Nathalie Goulet.  - Eh oui !

M. Henri Cabanel.  - Le RDSE soutient toutes les initiatives qui seront du côté des agriculteurs et des consommateurs. Nous voterons cette proposition de résolution, fidèle à celle que nous avions votée en 2018. (Applaudissements sur les travées du RDSE, des groupes INDEP et UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-François Rapin.  - Très bien !

Mme Nadège Havet .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Au bout de vingt ans de négociations, un accord a été trouvé le 28 juin 2019, afin de développer les échanges commerciaux et le dialogue politique entre l'Union européenne et le Mercosur.

Cet accord, qui créerait la plus vaste zone de libre-échange au monde, est d'une ampleur considérable : 780 millions de personnes, près de 45 milliards d'euros de biens et services échangés ; 1 000 entreprises françaises actives au Brésil.

SI le volet politique ne pose pas de difficulté, le volet économique suscite des inquiétudes. Pour la France, le volet environnemental ne va pas assez loin : la balance écologique n'est pas à l'équilibre.

Le Président de la République a rappelé que 14 % de la surface mondiale concentre 75 % des stocks de carbone et 91 % des stocks de biodiversité, trésors dont nous ne pouvons nous passer.

Face à la menace qu'il représente pour la forêt amazonienne, poumon de la planète, il a été décidé de ne pas approuver cet accord si trois conditions ne sont pas respectées : limite de la déforestation, respect de l'accord de Paris et clauses miroirs.

Les négociations ont été relancées sous la présidence espagnole, qui en a fait une priorité. Le chancelier allemand et le nouveau président argentin appellent à une conclusion de l'accord.

Le 13 juin 2023, une proposition de résolution a été adoptée par les députés, qui ont estimé que le volet commercial de l'accord n'était compatible ni avec la lutte contre le changement climatique ni avec nos objectifs de souveraineté alimentaire. Ils ont considéré que l'ensemble de l'accord devait être soumis à la procédure de ratification et ont demandé la généralisation du principe de réciprocité des normes de production.

Celle que nous examinons nous alerte sur le respect des conditions démocratiques, économiques, environnementales et sociales et sur les risques pour les agriculteurs français et européens. En effet, les exploitations sud-américaines comptent des dizaines de milliers de têtes, utilisent des antibiotiques de croissance et des phytosanitaires non autorisés dans l'Union européenne : ce serait une concurrence déloyale. Vous demandez donc des clauses miroirs et le renforcement des contrôles aux frontières.

Vous soulevez enfin un problème de méthode, avec la découpe des accords commerciaux par la Commission européenne.

Le RDPI votera cette proposition de résolution. (M. Laurent Duplomb s'en réjouit.) Il faut que la France évalue ce projet d'accord. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE ; Mme Sophie Primas et M. Pascal Allizard applaudissent également.)

M. Jean-Claude Tissot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Quelques mois après l'Assemblée nationale, nous débattons sur ce potentiel accord commercial, car les négociations se poursuivent.

Nous avons tous en tête l'inacceptable contournement du Parlement avec le Ceta : les accords commerciaux d'une telle ampleur doivent être avalisés par le Parlement. Or cet accord avec le Mercosur serait le plus important en nombre de personnes et de volumes.

L'alinéa 52 de la proposition de résolution rappelle que le monde agricole a trop longtemps été la variable d'ajustement d'un libéralisme débridé. Il y a toujours eu et il y aura toujours des échanges, mais la mondialisation sans limites aboutit à des délocalisations et des pertes de savoir-faire, de souveraineté alimentaire et de biodiversité. Nous ne pouvons plus penser les accords commerciaux comme il y a trente ans.

Le dernier alinéa de la proposition de résolution de l'Assemblée nationale mentionne la généralisation du principe de réciprocité des normes de production dans les accords commerciaux, pour les rendre plus justes et plus vertueux. Il est inacceptable de voir arriver sur nos marchés des produits dangereux et qui menacent nos agriculteurs.

De nombreux produits ont été cités : poulet aux antibiotiques, maïs à l'atrazine, mais aussi les 100 000 tonnes de viande bovine qui perturberont l'élevage français et européen. Or le Mercorsur fournit déjà un tiers du marché mondial de la viande bovine. L'avantage tarifaire serait un coup de massue pour la filière. Alors que l'élevage participe de la déforestation de l'Amazonie, la préservation de la biodiversité et des forêts est une priorité de l'Union européenne...

L'usage de nombreux produits phytosanitaires interdits dans l'Union européenne au sein du Mercorsur pose problème : les accepter constituerait un terrible retour en arrière.

Je m'étonne de l'ambiguïté de nos collègues du groupe Les Républicains, qui utilisent allègrement la défense de l'environnement.

M. Michel Savin.  - Nous y sommes très attachés !

M. Jean-Claude Tissot.  - Ils étaient pourtant moins ambitieux lors de l'examen de la proposition de loi sur la ferme France ou au Parlement européen.

Mme Sophie Primas.  - Il y a une marche !

M. Laurent Duplomb.  - C'est bien la gauche !

M. Jean-Claude Tissot.  - J'espère que cela ne sera pas une nouvelle promesse non tenue de l'exécutif. (M. Michel Savin renchérit.)

Le groupe SER partage les objectifs de cette proposition de résolution, qu'il votera. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

MM. Damien Michallet et Michel Savin.  - Bravo !

Mme Sophie Primas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nouvelle-Zélande, Mexique, Chili : cet accord n'est-il qu'un simple accord de plus ? J'ai au moins trois raisons, parmi des centaines, pour répondre non.

D'abord, car l'impact cumulé des accords de libre-échange, notamment sur le secteur agricole, n'a toujours pas été mesuré. C'est peut-être l'accord de trop...

Ensuite, le libre-échange donne lieu à des réallocations entre pays, secteurs, entreprises. Mais à ce jeu, notre agriculture française est bien souvent perdante - voyez la proposition de loi de Laurent Duplomb.

La logique d'avoir accès au marché des automobiles allemandes en échange de quotas de boeuf est compréhensible. Quoi de plus rationnel en apparence ? Le Gouvernement met en avant des gains pour l'agriculture, avec la reconnaissance des indications géographiques protégées (IGP) - mais c'est moins de 3 % de notre production agricole !

Soyez certains que les quotas supplémentaires seront une réalité et deviendront un droit opposable, exploité par nos concurrents. Nos filières sont profondément affaiblies, comme on le voit déjà sur le sucre. Pour nos agriculteurs, cela s'ajoute à des aléas, sans que les contrôles aux frontières soient efficaces. Les 1 000 agriculteurs réunis aujourd'hui à Toulouse témoignent du moral de notre ferme France. Cette décroissance de la production européenne organisée menace notre souveraineté alimentaire.

Ensuite, le Mercosur est un géant économique qui peut perturber jusqu'à nos filières les mieux installées, comme celle du sucre. Avec certains collègues, nous sommes allés au Brésil et y avons vu l'agriculture industrielle et intensive, la vraie, monsieur Jadot ! Je n'ai jamais vu cela en France. (M. Yannick Jadot acquiesce en hochant la tête.) Nous avons été pris de vertiges devant ces pratiques si éloignées de nos standards. L'Argentine et le Brésil exportent chaque année l'équivalent de la quantité produite dans l'Union européenne. Le Mercosur est un rouleau compresseur agricole dont les capacités de production peuvent doubler, voire tripler, pour déferler sur l'Europe.

Enfin, cet accord est le symbole d'une fuite en avant, la Commission européenne étant prête à plusieurs concessions pour faire aboutir l'accord.

Voilà pourquoi je vous demande de voter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, du RDSE et du groupe INDEP)

M. Christopher Szczurek .  - Le 28 juin 2019, l'accord a été refusé par la France, car il ne respectait pas les trois conditions - ne pas augmenter la déforestation importée, respecter l'accord de Paris, instaurer des clauses miroirs. Une fois n'est pas coutume, cette position a été rappelée au salon de l'agriculture le 27 février dernier, par le Président de la République.

À quelques jours de la présidence espagnole de l'Union européenne, il est urgent de nous battre contre ce projet : les conditions démocratiques, économiques, sociales et environnementales ne sont toujours pas réunies. Malgré quelques avantages comme la proximité avec nos outre-mer, il faut rappeler au Brésil ses engagements agricoles et environnementaux.

Des clauses miroirs en matière environnementale, sociale et de bien-être animal ne sont toujours pas inscrites dans l'instrument additionnel. C'est une concurrence déloyale pour l'agriculture française, que ce soit sur le boeuf ou l'éthanol - ce qui inquiète les producteurs du Pas-de-Calais.

Nous dénonçons la pratique de la Commission européenne de découper les accords de libre-échange, ce qui porte atteinte à la souveraineté des peuples et des nations.

Nous demandons la fin des négociations avec le Mercosur, mais voterons néanmoins sans réserve cette proposition de résolution. (MM. Joshua Hochart et Guislain Cambier applaudissent.)

M. Vincent Louault .  - Il n'y a pas de prospérité sans puissance ni de puissance économique et commerciale sans souveraineté alimentaire. Cessons de considérer notre agriculture comme un gage de second rang dans les accords de libre-échange. Réveillons-nous !

Dans moins de six mois se tiendront les élections européennes. Les accords de libre-échange vont apparaître comme le reflet de nos choix en matière de souveraineté. La construction européenne ne doit pas devenir sa propre caricature.

Nous ne devons pas confondre vitesse et précipitation. La vitesse, c'est de se servir de notre politique commerciale pour asseoir le rôle de chef de file dans l'Union dans les domaines des transitions écologiques, en faisant respecter l'accord de Paris. La vitesse, c'est faire à l'échelle internationale ce que les Pères fondateurs ont fait à l'échelle européenne : utiliser les intérêts des pays pour rapprocher les peuples et améliorer leur prospérité.

La précipitation, c'est rêver en fonçant tout droit dans un mirage et nier les divergences qui ne permettent pas une convergence en l'état. À l'heure d'une bataille agricole mondiale, où l'on parle de souveraineté alimentaire, pourquoi un tel accord ?

Rappelons que nos agriculteurs souffrent déjà des surtranspositions françaises. L'adoption de cet accord serait donc une double peine.

Nous sommes à vos côtés pour porter une voix crédible et singulière. Nous sommes face à un choix d'avenir. La France doit rester vigilante. Cette proposition de résolution est une nécessité. Nous en partageons l'esprit et nous la voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Guislain Cambier applaudit également.)

Mme Anne-Catherine Loisier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Cette proposition de résolution vise à rappeler les lignes rouges. À l'occasion de la visite du président Lula, la présidence du Conseil européen voulait que l'accord aboutisse, grâce à un addendum qui l'aurait verdi... mais cela avait tout l'air d'être un artifice, non contraignant, et une scission de l'accord était envisagée.

Nos craintes étaient justifiées : sans l'élection du président Milei, un accord aurait probablement été conclu fin 2023.

Nous ne nions pas l'intérêt stratégique d'accéder au marché du Mercorsur, de plus de 280 millions de consommateurs, avec de nouveaux alliés géopolitiques. Mais il faut respecter les conditions démocratiques, économiques et sociales de l'accord, définies par le Gouvernement français au regard de ses engagements : ne pas augmenter la déforestation importée, respecter l'accord de Paris, instaurer des clauses miroirs environnementales et sanitaires.

Je me réjouis que l'exécutif ait redit son opposition à l'adoption de l'accord en l'état.

Les accords mixtes sont adoptés après approbation du Parlement européen, décision à l'unanimité du Conseil et ratification par les parlements nationaux. Une adoption contre l'avis de la France serait donc problématique. Nous nous méfions, après l'outrage de la non-ratification du Ceta par le Parlement.

Quelle cohérence y a-t-il entre notre agenda européen interne - avec les contraintes imposées à nos agriculteurs dans le cadre du Pacte vert - et notre agenda international - avec la multiplication des accords commerciaux sans clauses miroirs ni maîtrise des conséquences sur nos filières d'élevage et notre souveraineté alimentaire ?

Pour toutes ces raisons, je vous invite à soutenir cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Henri Cabanel applaudit également.)

M. Yannick Jadot .  - De quoi parle-t-on ? D'un accord dont les négociations ont commencé il y a un quart de siècle, d'un accord dinosaure, d'avant les dégâts de la mondialisation libérale, le dérèglement climatique, l'effondrement de la biodiversité, la guerre en Ukraine, d'un accord du monde d'avant.

En vingt ans de négociation, c'est l'équivalent de la surface de la péninsule ibérique qui a disparu en forêt amazonienne. Les opinions publiques et certains gouvernements avaient arrêté cette négociation. Il est incompréhensible de la reprendre avec Javier Milei, qui surclasse Bolsonaro.

Les effets de cet accord seront dramatiques. Côté Mercosur, l'accord renforcerait un modèle de développement agro-exportateur déséquilibré au détriment de l'industrie et des classes ouvrières. Après le café et le caoutchouc, le Brésil est dans un cycle soja-boeuf.

La question agricole est bien la plus problématique dans cet accord, qui serait un désastre pour notre agriculture et le Pacte vert. Sa mise en place contribuerait au dérèglement climatique, à la mondialisation de la malbouffe, à la contamination chimique de la nature et de nos organismes, à la souffrance animale, à la disparition des paysans.

Les quotas de boeuf importés augmenteraient de 50 %, et pas n'importe quels morceaux - longe, rumsteck, aloyau ! Le boeuf brésilien passerait de 13 à 26 % du marché européen, mettant en danger nos élevages.

J'ai vu au Brésil les effets de la déforestation sur le Cerrado, château d'eau de la région, détruit aux deux tiers : c'est la nouvelle frontière du soja. Pour le protéger, il faut refuser l'accord.

Que dire des conditions de production dans les États du Mercosur, du travail forcé, du semi-esclavage dans les abattoirs, du mépris du bien-être animal ? Sur un demi-millier de pesticides utilisés au Brésil, 150 sont interdits en Europe !

Il faut donc stopper cet accord, qui ne peut pas évoluer, malgré les tentatives de la Commission européenne, dont la lettre interprétative n'a aucune force juridique. L'accord pourrait être suspendu si l'Europe n'importe pas assez de poulet argentin, mais pas au motif de la déforestation ou des droits sociaux...

Le Gouvernement doit exprimer à Bruxelles le refus de la France.

Cette proposition de résolution européenne n'est pas parfaite, (sourires et exclamations amusées à droite) mais nous la voterons avec un immense plaisir. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées à gauche)

M. Christian Redon-Sarrazy .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La présidence espagnole du Conseil avait pour priorité l'aboutissement de l'accord avec le Mercosur, sur la base d'une déclaration interprétative de la Commission européenne dont nous ne connaissons pas la dernière version.

L'exigence de transparence des négociations commerciales conduites au nom de l'Union, obtenue par la France en 2015, doit être maintenue. Cet accord n'est pas plus acceptable qu'en 2019. Il a été négocié sur la base d'un mandat datant de 2000 - dans un contexte économique, commercial et climatique bien différent. Les garanties négociées restent non contraignantes, le non-respect des normes ne fait pas l'objet de clause suspensive.

Il lui faut une assise démocratique. Nous ne devons pas céder aux manoeuvres qui cherchent à scinder l'accord pour s'exonérer de la ratification des parlements nationaux. Je rappelle que malgré les demandes réitérées du Sénat, la ratification du Ceta n'a toujours pas été inscrite à l'ordre du jour...

Monsieur le ministre, la ratification par le Parlement ne doit pas être contournée. À six mois des élections européennes, une telle contorsion antidémocratique nuirait à l'image que les citoyens ont de l'Union...

Comment cette dernière pourrait-elle ratifier un accord d'ancienne génération dépourvu de clauses contraignantes en matière environnementale et sociale ? La France a émis des conditions : que la déforestation importée n'augmente pas, une conformité avec l'accord de Paris et des mesures miroirs. C'est essentiel pour protéger nos productions agricoles d'une concurrence déloyale. Être cohérent, c'est respecter les lignes rouges définies. Ont-elles été prises en compte dans les négociations ?

Depuis 2015, nous avons introduit, de haute lutte, des critères de durabilité dans la politique commerciale commune, pour un commerce plus équitable. Normes RSE, interdiction des produits issus du travail forcé, taxe carbone aux frontières : nous progressons. Nos exigences sont aussi pour les producteurs et travailleurs des pays tiers.

Nous ne parviendrons pas à faire du neuf avec du vieux. Ne rafistolons pas cet accord qui empêcherait l'Union de peser dans les négociations environnementales. Nous soutiendrons la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur plusieurs travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Yannick Jadot applaudit également.)

M. Pascal Allizard .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Au temps de la mondialisation heureuse, l'Union européenne a entrepris de développer ses échanges avec de nombreuses régions du monde par le biais d'accords commerciaux. Mais sous la pression des événements, les priorités ont changé. Les attentes sociétales des citoyens et consommateurs européens ne sont plus les mêmes. Le commerce intercontinental sans entraves, par transport maritime de masse, est remis en question. Des enjeux de souveraineté, de normes sociales et environnementales, de bien-être animal, de traçabilité sont désormais au premier plan, particulièrement dans le secteur agricole, qu'on ne peut traiter comme n'importe quel autre. Après la crise sanitaire, l'instabilité géopolitique autour du détroit de Bab el-Mandeb rappelle combien les échanges sont sensibles aux événements extérieurs. La guerre en Ukraine a également montré que les denrées alimentaires étaient une arme de la guerre hybride, une force stratégique.

Familier de l'Amérique du Sud, je sais que le Mercosur est un marché attractif. Mais ses États membres n'ont pas les mêmes pratiques que nous. Ne nous mettons pas dans une situation de dépendance, ou de concurrence déloyale. Nos agriculteurs ne déforestent pas les campagnes et n'élèvent pas des dizaines de milliers de têtes de bétail, mais entretiennent les paysages et participent à la vie de nos territoires. Beaucoup se mettent aux circuits courts, tant il est aberrant de faire venir du bout du monde des productions en tous points inférieures aux nôtres.

Mesures miroirs, renforcement des contrôles aux frontières, meilleure association des parlements nationaux sont des demandes adaptées aux enjeux, comme l'exclusion de certaines productions agricoles de ces accords.

Rapporteur d'une proposition de résolution sur le sujet en 2018, j'avais alerté sur les risques pour le boeuf, le sucre ou la banane. Je voterai cette proposition de résolution. Du nouveau Gouvernement, nous attendons de la fermeté dans la défense de nos intérêts à l'international et la sauvegarde de nos filières agricoles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Amel Gacquerre .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le 10 décembre dernier, l'investiture du président argentin Javier Milei assombrissait les perspectives d'avenir d'un accord entre l'Union européenne et le Mercosur : il considère en effet que certains pans, notamment en matière environnementale, sont inacceptables. Impensable de céder et d'introduire de nouvelles distorsions de concurrence pour nos producteurs.

Cette proposition de résolution est donc plus que jamais d'actualité. Les conditions démocratiques, environnementales et sociales ne sont pas réunies. Il est impératif d'oeuvrer pour plus de transparence.

Traçabilité, concurrence non faussée, information du consommateur : ces principes doivent être sanctuarisés. L'absence de mesures miroirs est regrettable. Nous ne pouvons pas imposer à nos agriculteurs des contraintes dont s'exonèrent leurs concurrents, au risque de voir notre pays envahi par les volailles dopées aux molécules de synthèse. Les mesures miroirs doivent être inscrites dans l'accord.

Autre exigence de bon sens : les États membres doivent être davantage associés à l'élaboration de la politique commerciale commune. Il y a la loi, mais aussi l'esprit de la loi : compétence exclusive ne signifie pas exclusion des États membres. Faisons de la politique commerciale commune l'objet de tous.

Le groupe UC souscrit pleinement à cette proposition de résolution et appelle vivement le Gouvernement à la prendre en compte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains)

M. Jean-Jacques Panunzi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'accord négocié par la Commission en juin 2019 n'est pas du meilleur intérêt pour la France : c'est surtout un accord voulu par l'Allemagne afin d'ouvrir les vastes marchés sud-américains à son industrie automobile notamment.

Plutôt que d'assumer cette divergence d'intérêts commerciaux, le Gouvernement français a préféré tergiverser.

Premier argument, ou premier prétexte : l'accord ne serait pas suffisamment vertueux sur le plan environnemental. Il conviendrait donc d'obtenir des pays du Mercosur des engagements additionnels en matière de respect de l'accord de Paris et de lutte contre la déforestation. Ces derniers rechignent à accepter le projet de protocole additionnel, mais si l'accord était amélioré, l'argument ne tiendrait plus.

D'où un deuxième argument : les produits agricoles originaires du Mercosur n'obéiraient pas aux mêmes standards. Il faudrait donc inclure des clauses miroirs. Mais ce concept est une invention franco-française, un gimmick jamais entériné par nos partenaires européens, ni a fortiori par les États avec lesquels nous signerions des accords commerciaux. Il se heurte au demeurant à des obstacles tant pratiques que juridiques. La Commission a souligné que des décisions ne pourraient être prises qu'au cas par cas, produit par produit, norme par norme, selon des critères de faisabilité. Il n'est pas étonnant que ce projet n'ait guère progressé.

Le Gouvernement français devrait assumer son opposition ferme à cet accord, sans chercher de prétexte autre que la défense de nos intérêts nationaux. Il est important à cet égard d'empêcher que la Commission ne scinde l'accord, ne mette la France en minorité au Conseil et ne lie la décision à la seule approbation du Parlement européen.

Les clauses miroirs sont un miroir aux alouettes. Pour protéger nos producteurs agricoles de la concurrence déloyale, ne réduisons pas les droits de douane, n'ouvrons pas les contingents tarifaires : c'est plus honnête et plus efficace. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce débat est l'occasion de faire le point sur un sujet auquel la société civile, et le Gouvernement, prêtent une grande attention. Il illustre les efforts de la France pour une politique commerciale européenne plus durable et plus équilibrée, bénéfique à tous, et d'abord aux Français, monsieur le sénateur Panunzi.

C'est un travail de longue haleine entamé dès 2017, concrétisé notamment avec la nouvelle stratégie de la Commission pour une politique commerciale « ouverte, durable et assertive », décliné sous présidence française de l'Union européenne et dans les accords avec la Nouvelle-Zélande, le Chili, le Kenya et les négociations en cours. Entrés en vigueur en 2023, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et le règlement zéro-déforestation sont des avancées majeures.

Le Président de la République a rappelé, à la COP28, sa position constante : cet accord n'est pas acceptable en l'état, car il n'est pas à la hauteur des enjeux climatiques et environnementaux. Nous ne cessons de plaider pour des engagements additionnels contraignants et ambitieux sur le développement durable. Je me félicite de la convergence de vues entre le Gouvernement et le Sénat sur ce sujet.

L'ouverture commerciale reste pourtant nécessaire à l'économie française, pour nos entreprises, pour sécuriser nos approvisionnements ; mais pas au prix d'une hausse des importations en provenance de pays moins-disant sur le plan environnemental.

Les mesures miroirs, sectorielles, sont incluses dans la législation de l'Union et distinctes des accords de commerce : elles appliquent certains standards européens aux produits importés. Rien n'empêche les pays tiers d'exercer leur souveraineté réglementaire ; nous défendons la nôtre.

La proposition de résolution juge les avancées en matière de mesures miroirs insuffisantes. Nous avons pourtant des premiers résultats : l'interdiction d'importer des viandes bovines traitées avec des antimicrobiens, une victoire française, ou des produits portant des traces de deux néonicotinoïdes néfastes pour les pollinisateurs.

Chaque révision sectorielle doit s'accompagner d'un réflexe « mesure miroir » au stade de l'étude d'impact. C'est un travail qui demande du temps : les mesures doivent reposer sur des fondements scientifiques solides. Pour éviter les mesures de rétorsion, il faut laisser aux pays tiers le temps de s'adapter. Nous n'accepterions pas que nos exportations soient soumises à de brusques changements de législation des pays tiers sans période de transition...

Nous ne devons pas craindre un agenda commercial ouvert, tant qu'il reste durable et équilibré. La négociation Union européenne-Mercosur en est l'illustration. Nous ne soutiendrons pas un accord à tout prix.

Mme Cécile Cukierman.  - Il faut le refuser, dans ce cas !

M. Stéphane Séjourné, ministre.  - On peut s'opposer à cet accord en l'état et, en même temps, (« Ah ! » et marques d'ironie sur les travées du groupe Les Républicains) chercher à approfondir nos liens avec l'Amérique latine, avec laquelle nous partageons les valeurs de l'État de droit.

Le Gouvernement partage vos préoccupations. Il est à l'oeuvre, et émet un avis de sagesse bienveillante à l'égard de cette proposition de résolution. (Mouvements divers à droite et au centre ; Mme Marie Mercier lève les bras au ciel.)

La proposition de résolution est adoptée.

M. le président.  - À l'unanimité ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe SER et du GEST)

La séance est suspendue quelques instants.