Ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution invitant le Gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par Mme Nathalie Delattre et plusieurs de ses collègues, à la demande du RDSE.

Mme Nathalie Delattre, auteure de la proposition de résolution .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Le 29 mars, lors des questions d'actualité, j'alertais sur la santé mentale des jeunes. L'actualité nous rappelle brutalement la souffrance psychique de nombreux adolescents. Lindsay, Nicolas, Lucas : autant de vies brisées.

De plus en plus de jeunes connaissent un état dépressif. Les études sur la santé mentale recensent plusieurs marqueurs : l'adolescence, période difficile de changement ; l'isolement des étudiants coupés de leurs proches ; les violences morales, physiques et sexuelles dans et hors de la famille ; le harcèlement scolaire, démultiplié par les réseaux sociaux, qui fait des milliers de victimes - jusqu'à conduire au suicide. Citons aussi l'addiction aux écrans, source d'isolement et d'accès sans filtre à des images effrayantes, ou l'éco-anxiété.

Les inégalités, sociales ou de genre, jouent aussi leur rôle. La précarité est un facteur de dégradation de la santé mentale. En Nouvelle-Aquitaine, un jeune sur quatre n'a pas de médecin traitant. En raison de la prévalence de la violence faite aux femmes, la dépression touche davantage les jeunes filles.

Tous ces éléments conduisent à un constat clinique dramatique : troubles du sommeil, phobie scolaire, anorexie, troubles obsessionnels compulsifs, dépression, schizophrénie, addictions, voire suicide.

Les chiffres de Santé publique France sont glaçants. En 2021, 43 % des étudiants ont connu un état de détresse psychologique, contre 29 % l'année avant le covid. Le nombre de jeunes souffrant de dépression est passé de 11,7 % en 2017 à 21 % en 2021. En septembre 2023, les passages aux urgences pour gestes suicidaires et troubles de l'anxiété ont nettement augmenté chez les moins de 18 ans, et près de 5 % d'enfants ingèrent des psychotropes. Depuis 2014, les prescriptions ne cessent d'augmenter.

Quelles réponses apporter ? Ce fléau nécessite une prise de conscience collective.

En juin 2022, la Défenseure des droits invitait à mettre en place un plan d'urgence. Le ministre de la santé d'alors indiquait que la santé mentale des jeunes devait être une priorité du Gouvernement. C'est le sens de ma proposition de résolution soutenue par le RDSE.

La communauté pédopsychiatrique alerte sur les besoins criants. On le sait, la psychiatrie est le parent pauvre de la médecine. Il faut parfois deux ans pour obtenir un suivi dans un centre médico-psycho-pédagogique (CMPP). On ne compte que 600 pédopsychiatres pour 10 millions d'enfants et 800 médecins scolaires, soit un médecin pour 15 000 élèves. Les centres médico-psychologiques infanto-juvénile (CMP-IJ) sont dépassés par les demandes, d'autant que les familles n'avancent pas les frais. Ce défaut de prise en charge peut conduire à la surmédication d'enfants traités avec des produits destinés aux adultes. Il est urgent de renforcer les pratiques psychothérapeutiques et de prévention, pour éviter la médication.

Les dispositifs mis en place ces dernières années doivent être poursuivis et renforcés : MonParcoursPsy pour les moins de 18 ans, les Maisons des Adolescents, les Points Santé dans les Missions locales, le Fil Santé Jeune (FSJ) d'aide à distance et les campagnes nationales de sensibilisation, « En parler, c'est déjà se soigner » ou recontact VigilanS.

Une expérimentation pionnière, venue d'Australie, est en cours à la faculté de Bordeaux pour former des étudiants « sentinelles ».

Parce que les troubles mentaux émergent tôt dans la vie et s'installent le plus souvent avant 18 ans, la médecine scolaire est un outil indispensable de dépistage et d'orientation, mais il lui faut des moyens. Face à la pénurie de médecins scolaires, il est urgent de repenser les missions et de renforcer les moyens du service de santé scolaire, notamment en revalorisant les salaires.

Il est vain d'appeler à une France résiliente si l'on ne donne pas à chaque enfant les moyens de forger sa propre résilience.

Cette proposition de résolution invite donc à ériger en grande cause nationale la santé mentale des jeunes, pour donner de la visibilité à ce fléau et briser les tabous.

Nous avons un défi immense face à nous, et la responsabilité d'être au rendez-vous de notre jeunesse pour construire une société plus sereine. (Applaudissements sur les travées du RDSE, des groupes Les Républicains et INDEP)