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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Questions d'actualité

Remaniement

Mme Cécile Cukierman

M. Gabriel Attal, Premier ministre

Maîtrise des finances publiques

M. Hervé Maurey

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Gaza

Mme Raymonde Poncet Monge

M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Réforme de l'aide médicale de l'État

M. François-Noël Buffet

M. Gabriel Attal, Premier ministre

Agressions houthies en mer Rouge

Mme Nicole Duranton

M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Soutien à l'Ukraine

M. Claude Malhuret

M. Gabriel Attal, Premier ministre

Crise de l'ostréiculture

Mme Nathalie Delattre

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Politique générale du Gouvernement

M. Patrick Kanner

M. Gabriel Attal, Premier ministre

L'école, mère des batailles ?

M. Max Brisson

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques

Cyclone Belal à La Réunion

Mme Audrey Bélim

Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement

Politique familiale

Mme Anne Chain-Larché

Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement

Protection des maires

Mme Sylvie Vermeillet

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Transition écologique et logement

Mme Laurence Muller-Bronn

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Enseignement public et privé

Mme Colombe Brossel

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques

Filière pêche

M. Jean-François Rapin

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Retraites agricoles

Mme Nadia Sollogoub

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Nomination

Commission d'enquête (Nominations)

Intégrité territoriale de la République d'Arménie

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution

Mme Valérie Boyer

M. Stéphane Ravier

M. Pierre Jean Rochette

M. Philippe Folliot

M. Akli Mellouli

M. Pierre Ouzoulias

M. Jean-Noël Guérini

Mme Nicole Duranton

M. Patrick Kanner

M. Pascal Allizard

M. Gilbert-Luc Devinaz

M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale

Mme Nathalie Delattre, auteure de la proposition de résolution

Salut à une délégation

Ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale (Suite)

Mme Laure Darcos

Mme Nadia Sollogoub

Mme Anne Souyris

Mme Céline Brulin

M. Ahmed Laouedj

M. Dominique Théophile

Mme Marion Canalès

Mme Pascale Gruny

Mme Marie-Do Aeschlimann

Mme Béatrice Gosselin

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités

Violences associées au football, dans et hors des stades

M. Pierre-Antoine Levi, pour le groupe UC

M. Claude Kern, pour le groupe UC

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques

M. Pierre Jean Rochette

M. Jean Hingray

M. Thomas Dossus

M. Gérard Lahellec

M. Ahmed Laouedj

M. Didier Rambaud

M. Jean-Jacques Lozach

M. François Bonhomme

M. Pierre-Antoine Levi

Mme Laurence Harribey

M. Jean-Raymond Hugonet

M. Adel Ziane

M. Didier Mandelli

M. Michel Savin

M. Francis Szpiner

Mme Marie Mercier

M. Laurent Lafon, pour le groupe Union Centriste

Ordre du jour du jeudi 18 janvier 2024




SÉANCE

du mercredi 17 janvier 2024

52e séance de la session ordinaire 2023-2024

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. François Bonhomme, Mme Nicole Bonnefoy.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions d'actualité

M. le président.  - Monsieur le Premier ministre, au nom du Sénat tout entier, je tiens à nouveau à vous féliciter pour votre nomination et vous souhaiter la bienvenue au sein de notre assemblée dans vos nouvelles fonctions.

Depuis le début de la législature, votre prédécesseur, Mme Élisabeth Borne, a témoigné, lors de nos séances de questions d'actualité, d'une présence constante à laquelle nous avons été particulièrement sensibles et que je tiens une nouvelle fois à saluer.

Je souhaite également la bienvenue aux membres du Gouvernement, avec une attention particulière pour la ministre chargée des relations avec le Parlement, Mme Marie Lebec.

Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, le Sénat est le reflet de nos territoires, dans leur diversité. Sur ses bancs siègent des élus expérimentés, à l'écoute de nos concitoyens et de nos collectivités territoriales.

Je forme donc le voeu, Monsieur le Premier ministre, que vous soyez attentif au Sénat. Le bicamérisme est une chance pour la démocratie et l'équilibre de nos institutions.

L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et du temps de parole.

Remaniement

Mme Cécile Cukierman .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER) Monsieur le Premier ministre, vous tentez d'incarner un changement, mais la seule nouveauté, c'est la confirmation d'un ancrage de la casse du service public, de l'entrée dans un monde pour les riches qui exclut au lieu de rassembler.

Le Président de la République n'a toujours pas de majorité absolue à l'Assemblée nationale, pourtant le socle de nos institutions. Vous ne pouvez pas abuser des 49.3 comme en 2023. Vous engagez-vous à laisser faire le débat parlementaire ?

Monsieur le Premier ministre, selon l'article 20 de la Constitution, c'est vous qui dirigez la politique du Gouvernement et non le Président de la République. Or Emmanuel Macron prend tout en main, des rencontres de Saint-Denis à sa conférence de politique générale hier - mais il n'est pas responsable devant le Parlement. Monsieur le Premier ministre, vous devez demander un vote de confiance du Parlement, à l'Assemblée nationale au titre de l'article 49.1 de la Constitution, au Sénat au titre de l'article 49.4.

Aujourd'hui, c'est la gesticulation médiatique pour masquer l'accélération autoritaire vers une politique libérale. Votre mandat doit être soumis au vote des représentants du peuple, qui doit reprendre la main. Monsieur le Premier ministre, demanderez-vous la confiance ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER)

M. Gabriel Attal, Premier ministre .  - C'est la première fois que je m'exprime devant le Sénat en tant que Premier ministre. Je l'ai dit au président Larcher, j'ai un très grand respect, une très grande admiration pour le travail ici. (Sourires)

M. Roger Karoutchi.  - J'espère bien...

M. Christian Cambon.  - Merci !

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - J'ai pu l'observer dans mes fonctions précédentes, lors des longues nuits à examiner les projets de loi de finances avec le rapporteur général Husson et le président Raynal, ou les textes sur l'école, avec le président Lafon... J'ai toujours été très à l'écoute du Sénat, de votre expérience, de votre représentativité, de vos propositions toujours constructives. C'est mon état d'esprit.

Je prononcerai ma déclaration de politique générale le 30 janvier prochain à l'Assemblée nationale. D'ici là, je souhaite rencontrer les présidents de groupes, les forces vives de la Nation dont les syndicats et les associations d'élus locaux, et les Français sur le terrain.

Y a-t-il une majorité à l'Assemblée nationale ? Non. Y a-t-il besoin d'un vote pour le savoir ? Non. (Mme Cécile Cukierman proteste.) Y a-t-il des Français qui se lèvent le matin en ayant pour priorité qu'il y ait une demande de confiance ? Je ne crois pas. (On en doute sur plusieurs travées ; Mme Cécile Cukierman et M. Pascal Savoldelli protestent vivement.) Ils attendent plutôt qu'on agisse pour l'école, la santé et la transition écologique. (« Ah ! » sur plusieurs travées du groupe SER)

Cette déclaration sera lue simultanément, mais j'ai proposé au président Larcher de venir devant vous prononcer une intervention propre au Sénat. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et des groupes INDEP et UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; Mmes Marie-Pierre de La Gontrie et Laurence Rossignol applaudissent également.)

M. Roger Karoutchi.  - C'est l'usage !

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - La situation de notre pays commande que nous ayons un débat ici au Sénat. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE et du groupe UC)

Maîtrise des finances publiques

M. Hervé Maurey .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC, Mme Kristina Pluchet applaudit également.) Hier, le Président de la République a mentionné un grand nombre de sujets allant de l'école à la santé, du pouvoir d'achat à la sécurité. Cependant, il a peu évoqué nos finances publiques, malgré une dette sur le podium européen, une charge de la dette bondissant de 50 % d'ici à 2027, et le deuxième déficit de la zone euro.

Les annonces du Président de la République aggravent les choses : la généralisation du service national universel (SNU) coûtera 3 milliards d'euros par an et les impôts baisseront de 2 milliards d'euros. À combien chiffrez-vous les annonces du Président de la République, alors que le rétablissement des finances publiques est toujours annoncé, mais jamais réalisé ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Louault applaudit également.)

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique .  - (Mme Nicole Duranton applaudit ; acclamations sarcastiques sur de nombreuses travées.) Je vous adresse mes meilleurs voeux.

Monsieur Maurey, nous avons été élus du même territoire pendant quinze ans. Vous savez que j'ai l'habitude de faire les choses en temps et en heure. (Marques d'ironie sur les travées du groupe Les Républicains)

En 2017, j'avais dit que nous reviendrions sous les 3 % et sortirions de la procédure de déficit excessif. J'ai tenu parole. Ensuite, nous avons fait face au covid et à l'inflation. Vous tous avez appelé à une protection des entreprises et des salariés - nous l'avons fait -, ainsi que des plus modestes - là encore, nous l'avons fait.

Désormais, nous revenons à la normale. Je tiens parole : nous accélérerons le désendettement et réduirons le déficit à 4,4 % en 2024. Mais en matière de finances publiques, le plus dur est devant nous. (M. Mickaël Vallet acquiesce.)

M. Jérôme Durain.  - Pour les Français !

M. Bruno Le Maire, ministre.  - Nous devrons prendre des décisions fortes et courageuses. Vous avez bien écouté le Président de la République hier (M. Jean-François Husson ironise) ; vous aurez noté la sortie du bouclier énergétique sur le gaz et l'électricité. Je l'ai dit hier : nous sortons de la situation exceptionnelle, il faut donc revenir à la normale. De même pour la franchise sur les médicaments, qui passera de 0,5 à 1 euro. (Mme Laurence Rossignol s'en émeut.) Je n'ai aucun doute que vous soutiendrez ces mesures. (Applaudissements sur des travées du RDPI)

M. Hervé Maurey.  - Vous n'avez pas vraiment répondu. Il est difficile de faire du « en même temps » en matière de finances publiques : vous prônez l'indépendance financière, mais vous vous endettez toujours plus. Vous demandez 12 milliards d'euros d'économies supplémentaires ; or le Premier ministre a annoncé 32 milliards supplémentaires pour la santé. La valse des milliards continue.

Ainsi, la loi de programmation des finances publiques semble déjà caduque, à peine votée. Lors du projet de loi de finances, le Sénat avait proposé 7 milliards d'euros d'économies et 2 milliards d'euros de recettes supplémentaires dont le Gouvernement n'a pas tenu compte.

M. Jean-François Husson.  - Et voilà !

M. Hervé Maurey.  - Écoutez davantage le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Gaza

Mme Raymonde Poncet Monge .  - (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER) Ce remaniement acte la continuité d'une ligne politique de droite - mais nous pourrons y revenir plus tard.

La situation à Gaza, elle, ne peut attendre.

Mme Valérie Boyer.  - Et les otages ?

Mme Raymonde Poncet Monge.  - Ainsi, 1 % des Gazaouis sont morts, un taux plus haut que dans tous les conflits du XXe siècle -  et 85 % sont déplacés. Selon une avocate à la Cour internationale de justice, « c'est le premier génocide de l'histoire où ses victimes diffusent leur propre destruction en temps réel, dans l'espoir désespéré, jusqu'à présent vain, que le monde puisse faire quelque chose. »

La France a l'obligation de protéger les populations et de mettre un terme aux crimes contre l'humanité, aux crimes de guerre et aux génocides. En Ukraine comme en Palestine, il y va du droit international et des valeurs de l'Europe. Ferez-vous appliquer les mesures conservatoires demandées par la Cour internationale de justice ?

Saisirez-vous la Cour pénale internationale pour qualifier les faits, tous les faits, et poursuivre les criminels ? Déclarerez-vous l'embargo sur les armes vers Israël ? Quand reconnaîtrez-vous l'État palestinien, comme l'a voté le Parlement, en soutenant la position de l'Espagne ? (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées des groupes SER et CRCE-K)

M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Je rappelle la solidarité de la France avec Israël face à l'attaque de lundi, qui a fait un mort et blessé dix-sept personnes, dont deux de nos compatriotes. Nous rendrons hommage, le 7 février prochain, à nos compatriotes assassinés le 7 octobre 2023.

La situation à Gaza s'aggrave dramatiquement. L'action française repose sur trois piliers. Le premier est la sécurité et la lutte contre le terrorisme, avec des sanctions contre le Hamas. L'humanitaire, ensuite : nous avons acheminé 1 000 tonnes d'aide et 100 millions d'euros pour les Palestiniens. Enfin, le politique sera au coeur de la réunion du 23 janvier du Conseil de sécurité des Nations unies, que je présiderai.

Nous devons enrayer l'escalade, ce pour quoi la France oeuvre au Liban, en mer Rouge et en Cisjordanie. Ce qui se joue au Proche-Orient est trop important : il faut éviter le pire. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Réforme de l'aide médicale de l'État

M. François-Noël Buffet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le Premier ministre, à l'occasion des discussions sur le projet de loi immigration, le débat a porté sur l'aide médicale de l'État (AME). (« Ah ! » à gauche) MM. Evin et Stefanini ont rendu le rapport qui leur avait été demandé.

Votre prédécesseur avait pris l'engagement d'en débattre en 2024. Vous avez annoncé hier, devant l'Assemblée nationale, que vous vous en chargeriez. Déposerez-vous un projet de loi sur la base du seul rapport Evin-Stefanini, ou en discuterez-vous préalablement avec le Parlement ? Si oui, quand et comment ?

M. Gabriel Attal, Premier ministre .  - Pendant les débats sur le projet de loi immigration, j'ai pu observer que l'AME avait fait l'objet de discussions, légitimes.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Ah oui ?

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - Nous interroger sur nos politiques publiques est la raison pour laquelle nous sommes élus. L'AME a fait l'objet d'évolutions sous des majorités, de gauche comme de droite, ainsi que celle qui nous rassemble.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - De droite ! (Rires à gauche ; M. Hervé Gillé mime une brasse coulée.)

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - En 2014, Marisol Touraine posait déjà la question des filières qui abusaient de ce dispositif.

Dans le précédent quinquennat, il y a eu aussi des évolutions du panier de soin, de manière dépassionnée.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Et Aurélien Rousseau ?

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - C'est ainsi qu'il faut agir, et c'est dans cet esprit que MM. Evin et Stefanini ont travaillé. Pour les reprendre, l'AME ne constitue pas, en tant que telle, un levier d'incitation à l'immigration, et est globalement maîtrisée. Mais cela épuise-t-il toutes les questions ? Non. Le rapport formule d'ailleurs des propositions.

Je reprends l'engagement d'Élisabeth Borne. Comment ? Je vous invite à patienter quelques semaines, le temps d'installer mon gouvernement. J'y reviendrai le 30 janvier, lors de ma déclaration de politique générale. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du RDSE)

M. François-Noël Buffet.  - Merci pour cette réponse. Vous vous dites « adepte du constat de vérité » : c'est un point que nous avons en commun. Notre groupe est prêt à un travail approfondi, en rappelant la non remise en cause du principe du soin, et l'impératif de maîtriser et contrôler le dispositif, pour qu'il ne soit pas dévoyé. (Applaudissements et « très bien » sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC)

Agressions houthies en mer Rouge

Mme Nicole Duranton .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Dans le contexte de la guerre entre Israël et le Hamas, des attaques houthies visent le trafic maritime sur la mer Rouge, voie économique cruciale traversée par 20 000 navires chaque année. Les Houthis, soutenus par l'Iran, veulent interdire le passage aux navires d'États supposément proches d'Israël. Ces milices rejoignent l'axe informel coalisant le Hamas, l'Iran et le Hezbollah, faisant peser le spectre d'une généralisation du conflit. En situation de légitime défense, la frégate Languedoc a abattu des drones.

Les navires optent donc pour le cap de Bonne-Espérance, ce qui fait augmenter le temps de trajet et le prix du transport. C'est une menace pour le commerce et une violation du droit international, alors que la libre navigation en mer Rouge est cruciale pour le lien avec Mayotte et La Réunion. Cette crise aggrave la pression inflationniste sur le monde entier.

Face à cette double menace, quelles mesures envisagez-vous pour défendre nos intérêts ? (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - En effet, les Houthis menacent la sécurité maritime et le commerce international en mer Rouge. Un navire de la CMA CGM et la frégate Languedoc ont été directement ciblés. Plusieurs compagnies contournent désormais la zone.

C'est une violation du droit international. La résolution du 10 janvier du Conseil de sécurité des Nations unies condamne cette agression.

La France agit en détruisant ces drones civils ou militaires. Les États-Unis ont lancé une opération militaire. Si la France ne s'y joint pas, elle reste coordonnée avec ses alliés et étudie le renforcement de la présence de l'Union européenne en mer Rouge.

Nous agissons avec fermeté et appelons, en même temps, à la désescalade, pour éviter l'embrasement dans la région. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Soutien à l'Ukraine

M. Claude Malhuret .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Monsieur le Premier ministre, à Kiev, votre ministre des affaires étrangères a déclaré que l'aide à l'Ukraine restait une priorité. Il faut tenir cette promesse. La situation est critique, les crimes de guerre du boucher du Kremlin font vivre un supplice aux civils ukrainiens.

L'armée ukrainienne est aujourd'hui en position de faiblesse, car le soutien des démocraties se résume à : trop peu, trop tard. Si nous avions livré à temps les armes attendues, la Russie n'aurait pu reconstituer ses défenses et faire échouer la contre-offensive de 2023.

Zelensky attend depuis des mois les 60 milliards de dollars bloqués au Congrès par les trumpistes, les 50 milliards d'euros d'une Europe paralysée par ses cinquièmes colonnes - Orbán le collabo, Le Pen et Mélenchon, les chienchiens à leur Poutine, et tant d'autres.

Nos tergiversations mettent l'Ukraine en danger. Sa défaite serait un formidable stimulant pour la Chine face à Taïwan, pour le Dr Folamour de Corée du Nord, pour les mollahs iraniens tueurs de femmes.

Il serait impensable que le prochain Conseil européen du 1er février ne débloque pas la totalité de l'aide promise. Je vous demande d'en prendre l'engagement formel, et de soutenir sans restriction le fonds d'investissement européen en défense de 100 milliards d'euros proposé par le commissaire Breton.

Vous serez jugé sur vos résultats dans notre pays, c'est exact. Mais l'Histoire jugera l'Europe à l'aune de la victoire ou de la défaite de la démocratie en Ukraine, face à l'internationale reconstituée des dictateurs. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur plusieurs travées des groupes UC, Les Républicains, du RDSE, du RDPI et du groupe SER ; M. Yannick Jadot applaudit également.)

M. Gabriel Attal, Premier ministre .  - Il y a deux ans, au mépris des règles du droit international et de tous ses engagements, la Russie a agressé l'Ukraine - une attaque cynique et meurtrière, visant les civils. La liberté, la démocratie, l'avenir de notre continent sont en jeu.

La Russie espère que l'Ukraine cédera, que ses soutiens se lasseront. Elle se trompe. La Président de la République l'a dit, nous ne faiblirons jamais. Notre détermination est intacte.

Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a réservé son premier déplacement à Kiev. Au nom du Gouvernement, je redis mon admiration pour le peuple ukrainien et salue son courage exceptionnel.

Le Président de la République a annoncé hier la livraison de nouveaux missiles de longue portée et de bombes : ce sera déterminant sur le terrain. En parallèle, nous continuons à former des militaires ukrainiens. Nous poursuivons également notre soutien humanitaire, notamment en matière d'éducation et de santé. La mobilisation de tous est essentielle : État, collectivités locales - je salue leur engagement remarquable - et acteurs privés, engagés pour la reconstruction.

Notre soutien de long terme sera inscrit dans l'accord bilatéral de sécurité que le Président de la République signera avec le président Zelensky lors de son déplacement à Kiev, en février. Il réaffirmera ce soutien vendredi, à Cherbourg, lors de ses voeux aux armées.

La France porte la mobilisation pour l'Ukraine au niveau européen : nous sommes résolus à obtenir un accord sur la facilité pour l'Ukraine lors du Conseil européen extraordinaire du 1er février. L'Union européenne est également déterminée à poursuivre son soutien militaire, et le Conseil de décembre dernier a demandé l'intensification des travaux sur la réforme de la facilité européenne pour la paix.

La Russie a attaqué nos valeurs, remis en cause la démocratie et la liberté. Nous nous tiendrons toujours aux côtés du peuple ukrainien et de nos valeurs. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC et du RDSE)

Crise de l'ostréiculture

Mme Nathalie Delattre .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Il y a quatre ans, presque jour pour jour, notre collègue Muriel Jourda interrogeait le ministre de l'agriculture de l'époque sur l'aide aux ostréiculteurs, touchés par une pollution au norovirus. Mme Borne, alors ministre de la transition écologique, annonçait 3,6 milliards d'euros pour le traitement des eaux usées, dans le cadre du programme d'intervention des agences de l'eau. Comment ces fonds ont-ils été utilisés ? Car les mêmes causes ont produit les mêmes effets : le préfet a interdit la vente d'huîtres du bassin d'Arcachon le 27 décembre dernier, pour contamination au norovirus.

Le préfet a promis d'accélérer les programmes d'investissement, le ministre Béchu a évoqué des aides à l'investissement. Or il ne s'agit pas d'investir, mais de survivre ! La fermeture pour 28 jours de la zone de production du bassin d'Arcachon a entraîné 5 millions d'euros de pertes sèches, sans parler de la perte de confiance des clients.

Comment aiderez-vous les ostréiculteurs ? Serez-vous épaulés par un ministre de la mer ? (Applaudissements sur les travées du RDSE ; MMMickaël Vallet et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent également.)

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire .  - C'est un sujet récurrent. À l'issue d'épisodes pluviométriques intenses, des débordements de stations d'épuration et des délestages sur les réseaux d'eaux pluviales saturés ont conduit à la propagation du norovirus, qui entraîne des gastroentérites aiguës, justifiant des mesures d'interdiction temporaire pour protéger la santé des consommateurs. Elles ne sont nullement liées à la qualité du travail des ostréiculteurs, et les coquillages contaminés pourront être à nouveau commercialisés une fois le virus éteint, mais le préjudice économique et le préjudice d'image demeurent.

Des mesures de soutien ont déjà été prises ; d'autres sont à l'étude avec le ministère de l'économie et des finances, comme une exonération de la redevance domaniale, voire des exonérations fiscales ou sociales.

S'agissant des collectivités locales, il faut rappeler le principe pollueur-payeur, qui s'applique pleinement.

Enfin, il faut accélérer sur les investissements et accompagner les collectivités dans les départements concernés. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Politique générale du Gouvernement

M. Patrick Kanner .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Hier, dans un exercice assumé d'autosatisfaction, le Président de la République m'a rassuré : notre pays va bien. Pourtant, dans ma réalité, l'école publique est fragilisée par les absences non remplacées ; l'hôpital public s'effondre - la maternité Jeanne de Flandre à Lille transfère même des patientes en Belgique ; le pays compte cinq millions de pauvres ; le déclassement social frappe ; le logement traverse une crise inédite - sans ministre de plein exercice.

Voilà l'état de la France, et vous en êtes comptable. Le Président de la République est déconnecté du quotidien des Français. Il prône la moralisation et l'ordre pour les citoyens, la dérégulation et le désordre pour les intérêts financiers. Il cultive une amnésie politicienne pour ne pas changer de cap, mais les Français, eux, n'ont rien oublié : ni l'injuste réforme des retraites, ni la stigmatisation des chômeurs, ni la xénophobie de la loi Immigration.

Monsieur le Premier ministre, aurez-vous la lucidité de poser ce constat, et l'audace d'en tirer les conséquences ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Ian Brossat applaudit également.)

M. Gabriel Attal, Premier ministre .  - Manifestement, nous n'avons pas assisté à la même conférence de presse. Les Français, nombreux, qui l'ont écoutée...

M. Bernard Jomier.  - Moins que pour ses voeux !

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - ... ont entendu un Président de la République lucide sur les difficultés du pays et les défis à relever. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains)

Cette lucidité doit-elle nous empêcher de reconnaître les progrès intervenus ces dernières années ?

M. Hussein Bourgi.  - Lesquels ? Le pouvoir d'achat ? La santé ? Le logement ?

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - Nous n'avons pas connu un taux de chômage aussi bas depuis des années. C'est un progrès - non pour le Président de la République, non pour le Gouvernement, mais pour les millions de Français qui ont retrouvé un emploi.

M. Olivier Paccaud.  - Tout va très bien, madame la Marquise !

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - Un million de jeunes en apprentissage, c'est un progrès - non pour le Président de la République, non pour le Gouvernement, mais pour ces jeunes qui trouvent leur voie.

M. Emmanuel Capus.  - Excellent !

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - Je pense aussi aux droits qui ont été ouverts à l'initiative du Président de la République et de la majorité, comme la PMA pour toutes : un progrès, non pour le Président de la République, non pour le Gouvernement, mais pour ces femmes !

Je ne suis pas pour autant aveugle ou sourd à la situation du pays. Je sais les difficultés, les angoisses, les colères de nombreux Français, le découragement de ceux qui n'attendent plus rien, qui vont travailler chaque jour, sans avoir droit à la solidarité nationale, mais sans réussir à s'en sortir seuls...

Je suis conscient que les Français attendent beaucoup en matière de santé et d'accès aux soins. Vous le savez, j'ai été membre du Parti socialiste... (Exclamations sur les travées du groupe SER)

M. Olivier Paccaud.  - Personne n'est parfait !

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - ... J'ai travaillé auprès de la ministre de la santé. Les budgets consacrés à l'hôpital public depuis 2017, à travers le Ségur de la Santé notamment, on en aurait rêvé ! (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Françoise Gatel et M. Franck Dhersin applaudissent également ; protestations sur les travées du groupe SER)

Mme Audrey Linkenheld.  - On le sait !

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - Le choix a été fait de soutenir l'hôpital, mais l'argent ne fait pas tout, et nous poursuivons le travail sur les coopérations pour l'accès aux soins. C'est le mandat de Catherine Vautrin.

Sur l'école, il y a de nombreux défis à relever. J'ai montré, comme ministre...

M. Jean-François Husson.  - Cela n'a pas duré longtemps !

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - ... que j'étais capable de porter un constat lucide et de prendre des décisions fermes, pour faire respecter la laïcité, en tout lieu du territoire...

M. Vincent Éblé.  - Quel rapport ?

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - ... pour remettre de l'exigence et de l'excellence à tous les niveaux. L'école ne doit pas être un tapis roulant faisant passer les élèves de classe en classe. La ministre a pour mandat de décliner le choc des savoirs que j'ai annoncé.

M. Éric Kerrouche.  - Le choc, on l'a eu !

M. Gabriel Attal, Premier ministre.  - Je suis lucide sur les difficultés en matière de sécurité : depuis 2017, nous avons recruté 14 000 policiers et gendarmes supplémentaires et investi comme jamais dans la justice, avec un garde des sceaux particulièrement tonique pour obtenir des budgets - je l'ai vu de Bercy. (Sourires) Là aussi, il y a des transformations à poursuivre, pour que le service public de la justice soit au rendez-vous.

Je suis lucide sur ce qu'il reste à accomplir pour la transition écologique. J'ai à coeur d'accélérer sur la planification écologique, qui fait de la France un pays moteur en la matière. (Protestations sur les travées du GEST) Quel pays a manifesté une telle ambition ? Quel pays a réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 4 %, comme nous l'avons fait l'an dernier ? Quel pays comparable a un niveau de d'émissions de CO2 par habitant aussi faible que le nôtre ?

Je ne ferai pas ma déclaration de politique générale maintenant (sourires), mais j'ai des choses sur le coeur, et sais que nous aurons de beaux débats au Sénat.

M. Patrick Kanner.  - Je ne doute pas de votre sincérité, mais changer de premier violon ne change pas la partition.

Le Président de la République qualifie votre gouvernement de « soldats de l'an II » : je ne voudrais pas qu'ils se transforment demain en cavaliers de l'Apocalypse, installant l'extrême droite dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

L'école, mère des batailles ?

M. Max Brisson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'éducation nationale (« Ah ! » à droite), de la jeunesse (« Ah ! » à droite), des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques (« Ah ! » à droite). J'espère n'avoir oublié aucune de vos fonctions...

Lors de la passation, le Premier ministre affirmait : « L'école sera la mère des batailles de mon Gouvernement ». Comment comptez-vous concilier refondation de l'école et organisation des Jeux de Paris ?

Quelle image du professeur entendez-vous porter dans la société ? Quel rôle entendez-vous donner à l'enseignement privé sous contrat et hors contrat ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; on ironise à gauche.)

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques .  - En réunissant les champs de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports dans notre contexte olympique et paralympique, le Président de la République et le Premier ministre m'ont confié un continuum de responsabilités aux synergies nombreuses. (On ironise à gauche.) Au coeur de ce continuum, une ambition : le réarmement civique de notre jeunesse. Et un trésor : l'école. (Mouvements divers)

Je m'appuierai sur trois piliers. Restaurer l'exigence à travers le choc des savoirs impulsé par Gabriel Attal et réaffirmer l'autorité de nos professeurs. Renforcer l'attractivité des métiers en réinventant la formation initiale, en repensant la formation continue, en améliorant l'organisation des remplacements de courte durée, en revalorisant les carrières et les conditions de travail, des enseignants mais aussi des AESH ou des infirmières scolaires.

Mme Émilienne Poumirol.  - Il n'y a plus ni médecins ni infirmiers scolaires !

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Construire une école de l'épanouissement républicain, où la peur et le harcèlement n'ont plus leur place, qui promeut les valeurs de la République, le respect de la laïcité et l'engagement à travers le SNU. Une école inclusive, ouverte sur la société et la découverte des métiers. Une école, enfin, qui reconnaît les singularités de nos enfants et fait grandir leurs talents par le sport, l'art et la culture.

Ma détermination : faire réussir la jeunesse, faire réussir toutes les écoles de notre pays. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; quelques huées.)

M. Max Brisson.  - Le Président de la République a fait subir à notre école un véritable zigzag. Jean-Michel Blanquer parlait laïcité, autorité et confiance, avant de constater, impuissant, la dégringolade de notre école. Pap Ndiaye passait par-dessus bord les principes chers à son prédécesseur, s'appliquant, sous couvert de mixité sociale, à saper les derniers espaces d'excellence. Gabriel Attal, en cinq mois et vingt jours, nous a servi une ode quotidienne à l'école - dont nous attendons la traduction en actes.

Ne peut-on fixer un cap et s'y tenir, autour des valeurs de liberté, d'autorité, de mérite et d'excellence ?

M. Bernard Jomier.  - Comme à Stanislas ? (Sourires à gauche)

M. Max Brisson.  - Avec un tel portefeuille, madame la ministre, la mère des batailles ne risque-t-elle pas, sous le poids de vos responsabilités, de finir noyée ? (Applaudissements et plusieurs « Bravo ! » sur les travées du groupe Les Républicains)

Cyclone Belal à La Réunion

Mme Audrey Bélim .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La Réunion a connu, pour la première fois depuis trente ans, le passage de l'oeil d'un cyclone. Quatre personnes ont perdu la vie, et de nombreux habitants sont sinistrés. J'assure de notre solidarité les Mauriciens.

Je salue l'action des élus locaux, mais aussi du préfet et du Gouvernement. L'état de catastrophe naturelle, demandé par les maires, devrait être prochainement reconnu.

Oui, La Réunion a tenu, mais Belal n'est qu'un avertissement de plus : nous devons renforcer la prévention des risques.

À court terme se pose la question de l'accompagnement des collectivités, quand on sait que les dépenses de réparation à Saint-Denis s'élèveront à 6 millions d'euros hors bâti...

À moyen terme, celle de la résilience de notre territoire, alors que de nombreux Réunionnais n'ont plus accès à l'électricité ni à l'eau. Dans une terre de cyclones, comment comprendre que les fils électriques ne soient pas enterrés ? Lutter contre le changement climatique est essentiel, car les tempêtes vont se multiplier.

Pouvez-vous nous dire, non pas ce que vous avez fait, mais ce que vous comptez faire ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement .  - Au nom du Gouvernement, je salue la résilience de la population et la capacité d'intervention des secouristes et des collectivités. Je salue également les habitants de l'Île Maurice.

L'alerte rouge a été levée. Les actions de reconnaissance se poursuivent, comme les opérations de déblaiement. Les réseaux sont en cours de réparation et le réseau routier principal est rouvert. Sur le plan humain, nous déplorons quatre victimes. Le Président de la République a envoyé des renforts de métropole et de Mayotte.

La procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle sera accélérée : la commission se réunira dès demain. Le régime des calamités agricoles sera activé, de même que le fonds de secours pour l'outre-mer.

Vous l'avez dit : il faut anticiper. Un groupe a été mis en place au niveau européen, et la France y portera une voix singulière. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Politique familiale

Mme Anne Chain-Larché .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En 2023, la France n'a compté que 678 000 naissances, en baisse de 7 % en un an et de 20 % en treize ans.

Ce crash de la natalité est destructeur pour notre système économique et social et constitue une menace existentielle, faute de renouvellement des générations. Le recours à une immigration massive serait une très grave erreur, détruisant la cohésion nationale. Le nombre d'enfants désirés par les familles est toujours supérieur aux naissances.

La responsabilité du Gouvernement est immense : le quotient familial a été rogné, les allocations rabotées, les coûts de garde ont augmenté, entre autres. L'annonce d'un congé de naissance de six mois est à côté de la plaque, en supprimant l'actuel congé parental de deux ans et en augmentant les problèmes de garde.

Quelle est votre politique familiale ? (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement .  - Je vous prie d'excuser Catherine Vautrin, retenue à l'Assemblée nationale.

Effectivement, la France accuse une baisse de natalité sans précédent. Les raisons en sont multiples : baisse de la fertilité et difficulté d'accès aux modes de garde.

Des mesures ont été annoncées et mises en oeuvre en 2023 : allongement du congé de paternité, entretiens prénatal et postnatal, recherche contre l'infertilité - qui ne concerne pas que les femmes. Nous avons levé le tabou sur l'endométriose, qui touche une femme sur dix.

Nous irons plus loin : 200 000 solutions de garde nouvelles doivent être trouvées d'ici la fin du quinquennat, et 6 milliards d'euros supplémentaires sont prévus pour la petite enfance. Nous allons renforcer l'attractivité des métiers de la petite enfance, avec des revalorisations salariales.

Le Président de la République a annoncé un nouveau congé de naissance, plus court et mieux rémunéré, pour aider les ménages dans les 1 000 premiers jours de la vie de l'enfant, en rééquilibrant la charge dans le couple. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Anne Chain-Larché.  - Cessez de dépenser l'argent public à coup de chèques bidon : investissez pour la petite enfance, soutenez toutes les familles, faites coexister congé court et bien rémunéré et congé long, créez des places en crèches et redonnez un ministère à la famille ! Les familles sont la France de demain. Agissez vite et fort, ou notre pays disparaîtra. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

Protection des maires

Mme Sylvie Vermeillet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Au matin de Noël puis du Nouvel An, Gabriel Bremond, maire d'Éclans-Nenon, dans le Jura, découvre des tags partout dans son village : « Gabriel en porte-jarretelles », « le maire s'envoie en l'air », et j'en passe - des attaques homophobes, d'une violence inouïe. Gabriel Bremond, maire apprécié et solide, a déposé plainte. Ses administrés lui apportent un réconfort salutaire.

On a compté 2 600 agressions d'élu l'an passé, 50 % de plus qu'il y a deux ans. Cette dérive est insupportable.

Monsieur le Premier ministre, vous avez rappelé à Dijon le week-end dernier que votre gouvernement lutterait contre l'homophobie. Les auteurs de ces attaques n'ont peur ni des forces de l'ordre ni de la justice. Notre République ne sait pas protéger ses maires.

Qu'allez-vous faire pour changer la situation ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE, du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Nous sommes tous unis par une indignation et une révolte identiques face à cette agression doublement infâme, car elle est de nature homophobe et vise un élu. J'apporte tout le soutien du Gouvernement au maire d'Éclans-Nenon.

Dès mon arrivée au ministère, j'ai pris des circulaires claires pour demander aux procureurs une réponse systématique, ferme et rapide. Les trois budgets, votés par le Sénat, nous permettent de recruter des personnels supplémentaires -  cinquante-huit à la cour d'appel de Besançon. J'ai demandé à tous les procureurs de suivre l'issue des plaintes déposées par les élus. Les attachés de justice assurent un lien entre élus et parquets.

Pour vous rassurer, voici quelques chiffres : en 2022, le taux de réponse pénale des agressions contre les élus s'élève à 98 %, la peine est à 51 % de la prison ferme quand la victime est un élu - 25 % dans le cas général. Le taux de déferrement est cinq fois plus élevé, et le mandat de dépôt quatre fois plus, quand la victime est élue.

Le combat continue, et notre engagement est total. S'attaquer à un élu, c'est s'attaquer à la République. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE, des groupes INDEP et UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Sylvie Vermeillet.  - Trop de plaintes sont encore classées sans suite. La clé, c'est la fermeté et la sanction. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Transition écologique et logement

Mme Laurence Muller-Bronn .  - (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains) Le Conseil d'analyse économique (CAE) a rappelé que l'étiquette énergie des logements de A à G repose en réalité sur des calculs théoriques et une modélisation approximative.

Le diagnostic de performance énergétique (DPE), véritable Graal climatique, ne reflète ainsi pas la consommation réelle des logements. Or c'est lui qui aggrave une crise du logement sans précédent en interdisant la mise en location de tous les logements G+ depuis le 1er janvier 2023, alors que l'algorithme est biaisé. Que dites-vous aux propriétaires et locataires qui en font les frais ? Quelque 11 millions de logements classés F et G vont être interdits à la location dans les dix ans.

Cette machine à exclure retombera encore sur les maires, qui sont dépassés. Monsieur le ministre, comment remplacer cet outil défaillant ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires .  - Le rapport du CAE ne dit pas exactement cela : plus les gens sont dans des passoires thermiques, moins ils chauffent. À l'inverse, lorsqu'un logement est bien isolé, ils peuvent avoir tendance à trop se chauffer. L'enquête a concerné 170 000 logements. Les étiquettes sont donc cohérentes - lisez le rapport et pas seulement les articles de presse.

La rénovation des logements est nécessaire pour des questions climatiques et de pouvoir d'achat. Vous mélangez les chiffres des propriétaires occupants, des logements vacants, des résidences secondaires, alors que seuls les locataires sont concernés par l'interdiction.

Enfin, il y a des marges d'amélioration, notamment sur la formation des diagnostiqueurs. Je ferai des annonces pour corriger des biais pour les DPE de surfaces inférieures à 40 mètres carrés. (Applaudissements sur plusieurs travées du RDPI)

Mme Laurence Muller-Bronn.  - Ce n'est pas la première fois qu'on fonde une politique majeure sur des modélisations fumeuses. Hier, j'ai entendu le Président de la République s'inquiéter de la baisse de la natalité. Mais la première sécurité pour élever des enfants, c'est le logement ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)

Enseignement public et privé

Mme Colombe Brossel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.) Madame la ministre de l'éducation nationale, à l'heure où vos propos ont choqué, blessé la communauté éducative, parlons de l'école de la République : l'école publique, laïque, gratuite et obligatoire, celle qui scolarise 80 % des élèves, d'où qu'ils viennent.

C'est vers elle que votre énergie devrait être tournée. Car les défis sont immenses, alors que vous êtes au pouvoir depuis plus de six ans.

Vous avez, de fait, posé la question des parts de marché, de la concurrence entre l'enseignement public et l'enseignement privé. Une concurrence qui n'est même pas libre et non faussée : aucun contrôle n'est opéré des financements d'État, qui représentent plus de 70 % du budget de l'enseignement privé. La Cour des comptes, tout récemment, a rappelé au Gouvernement ses obligations en la matière.

Quels moyens allez-vous enfin donner à l'école publique pour la renforcer ? (Applaudissements à gauche)

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques .  - On ne doit pas opposer l'école publique et l'école privée. (Nombreux sarcasmes à gauche)

M. Pierre Ouzoulias.  - C'est une autocritique !

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Depuis la loi Debré, qui établit la liberté d'enseignement, notre pays vit bien avec une école publique et une école privée, qui accueillent respectivement dix et deux millions d'élèves et concourent au service public de l'éducation.

Dans les établissements privés, les programmes et volumes horaires sont les mêmes que dans le public ; dans tous les établissements sous contrat, les enseignants sont recrutés avec les mêmes exigences qu'à l'école publique.

La moitié des familles ont eu recours au moins une fois à l'enseignement privé pour au moins un de leurs enfants : ne stigmatisons donc pas. (Exclamations ironiques à gauche)

M. Hussein Bourgi.  - Répondez sur les moyens !

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Faisons en sorte que les choix ne résultent pas de déceptions ou de frustrations, mais d'une adhésion libre.

Pour l'école publique, j'ai la plus grande des ambitions (murmures dubitatifs à gauche), à commencer par l'exigence, à travers le choc des savoirs et l'autorité renforcée des professeurs. Je poursuivrai à cet égard les réformes impulsées par Gabriel Attal, notamment sur la revalorisation des carrières et l'organisation des remplacements.

Plusieurs voix à gauche.  - Avec quels moyens ?

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Pour l'école privée, je veillerai à ce qu'elle soit toujours au rendez-vous des principes et valeurs de la République. Nous y renforcerons, aussi souvent que nécessaire, le contrôle pédagogique. (Exclamations sur des travées du groupe SER)

Dans tout notre service public de l'enseignement, nous devons assurer la cohérence de l'offre éducative et la mixité.

Mme Laurence Rossignol.  - Ce n'est pas la priorité de l'école privée...

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. - Avec toute la communauté éducative, nous ferons réussir toutes les écoles de notre pays.

M. Max Brisson.  - Langue de bois !

Mme Colombe Brossel.  - Il n'est peut-être pas d'usage de parler avec son coeur dans un hémicycle.

M. le président. - Si, ma chère collègue... (Sourires)

Mme Colombe Brossel.  - Pourtant, je vous dirai qu'il est troublant que vous soyez incapable de répondre à ma question, pourtant simple.

Vous vous êtes mise toute seule dans une situation de polémiques et de mensonges. L'impuissance que vous projetez est délétère, alors qu'enfants, enseignants et parents ont besoin de confiance. Les solutions existent : recrutez des remplaçants dans le primaire, annulez les suppressions de postes prévues pour cette année ! La mixité, dites-vous ? Nous la faisons vivre dans nos territoires, avec les secteurs multicollèges ou l'adossement du financement au privé à la mixité.

Prenez vos responsabilités : l'école de la confiance, c'est la confiance dans l'école publique ! (Applaudissements nourris à gauche)

Filière pêche

M. Jean-François Rapin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) À partir du 22 janvier, des centaines de pêcheurs français du golfe de Gascogne seront empêchés d'exercer leur activité pendant un mois ; 600 navires sont concernés.

Ce mois sans pêche, qui ne concerne que les pêcheurs français, a été proposé par le Gouvernement et durci par le Conseil d'État, sous la pression des associations environnementales. Il s'agit de préserver les populations de petits cétacés des prises accidentelles.

C'est un nouveau coup porté à une filière qui tente, depuis des années, de surmonter les obstacles dressés face à elle : conséquences du Brexit, plan de sortie de flotte, envolée des prix du gazole, quotas de plus en plus restrictifs. La pêche française est en voie de disparition.

Nos marins et leurs familles continuent à souffrir, malgré les efforts consentis depuis trente ans. Alors qu'ils s'équipent progressivement pour satisfaire à toutes les contraintes imposées, l'incompréhension les gagne. On prétend valoriser le travail, mais on les empêche de travailler ! Les importations sont en hausse : en Bretagne, on envisage d'importer par avion du poisson pêché à 8 000 km de nos côtes...

La plateforme d'indemnisation atténuera partiellement la douleur pour une partie de la filière. Mais compenser n'est pas une perspective d'avenir.

Après l'industrie et l'agriculture, notre pêche souffre. Pour préserver notre autonomie, il est grand temps de changer de cap. Qu'avez-vous à dire aux pêcheurs ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC ; Mme Annick Girardin et M. Philippe Grosvalet applaudissent également.)

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires .  - L'émotion dont vous faites état est née de la décision du Conseil d'État du 22 décembre dernier, censurant une tentative de concilier poursuite de la pêche et préservation du dauphin et du marsouin.

Ce compromis reposait sur un arrêté spatiotemporel, avec des dérogations liées à des équipements. Mais une controverse scientifique existe : certains répulsifs sonores attireraient au contraire les dauphins... Les chiffres sont préoccupants : plus de 1 000 échouages, donc entre 5 000 et 10 000 cétacés qui meurent. La viabilité des espèces est en jeu. (Mme Annick Girardin le conteste.)

À la suite de cette décision, nous devons accompagner la filière et construire un équilibre. Je n'ignore pas que, pour les femmes et les hommes dont nous parlons, pêcher n'est pas seulement un gagne-pain : c'est une vocation et un mode de vie. Nous continuerons de nous battre pour les compensations et nous nous retrouverons rapidement avec les acteurs de la filière pour préparer l'avenir de façon constructive. (M. François Patriat applaudit.)

M. Jean-François Rapin.  - Vous avez répondu techniquement à ma question, je vous en remercie. Reste l'enjeu des familles. La pêche restera un sujet d'actualité prégnant - je pense aux conséquences du Brexit dans la Manche et la mer du Nord. Ces enjeux ne sont-ils pas suffisamment importants pour justifier un ministère de la mer ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Mickaël Vallet et Franck Montaugé applaudissent également.)

Retraites agricoles

Mme Nadia Sollogoub .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Voilà un an, un texte était adopté à l'unanimité dans les deux chambres. Olivier Dussopt, alors ministre du travail, avait déclaré au Sénat : les agriculteurs et, plus largement, les Français nous attendent sur cet horizon de justice sociale.

Ce texte, c'est celui qui prévoit le calcul de la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq meilleures années. La loi du 13 février dernier dispose que, dans un délai de trois mois, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les modalités de sa mise en oeuvre, qui comporte tous les éléments permettant à la Mutualité sociale agricole (MSA) de lancer ce chantier considérable.

Or de rapport, point... Les associations professionnelles agricoles et la MSA alertent : le dispositif ne sera probablement pas opérationnel dans le délai prévu. Quand ce rapport nous sera-t-il remis ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Loïc Hervé.  - Très bien !

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire .  - L'enjeu est d'importance, pour la justice et la reconnaissance, mais aussi l'attractivité de la profession.

Collectivement, nous avons déjà avancé : lois Chassaigne 1 et 2, revalorisation de la pension minimale, calcul plus équitable de cette pension. Rappelons que les personnes concernées sont à 70 % des femmes. La réforme des retraites a aussi permis des améliorations - je pense aux exploitants partis en retraite au titre du handicap ou de l'invalidité.

Sur le texte de Julien Dive, mon ministère, à l'époque, avait estimé que le délai nécessaire serait de trois mois. Mais des données manquent, la reconstitution des carrières est difficile. Le rapport sera rendu public au début du mois de février. (M. Loïc Hervé s'en félicite.)

Le sujet est très complexe : il y a un risque de perdants. J'assume donc que nous ayons pris le temps de bien faire les choses.

Il y a deux pistes : n'appliquer la réforme qu'aux nouveaux entrants ou procéder à une double liquidation - pour avant et pour après 2016. Nous en reparlerons, mais nous touchons au but pour rendre justice aux agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Nadia Sollogoub.  - Je suis très contente : je ne m'attendais pas à une parution imminente... Nous resterons attentifs, car beaucoup de temps a été perdu. Nous attendons un aboutissement rapide sur ce sujet très important. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains)

La séance est suspendue quelques instants.

Présidence de Mme Sophie Primas, vice-présidente

Nomination

Mme la présidente.  - En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique et de la loi ordinaire du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des lois a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable (31 voix pour, 2 voix contre) à la nomination de Mme Marie-Laure Denis à la présidence de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).

Commission d'enquête (Nominations)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la désignation des 23 membres de la commission d'enquête portant sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050.

En application de l'article 8 ter, alinéa 5 de notre Règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la Présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.

Intégrité territoriale de la République d'Arménie

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution visant à condamner l'offensive militaire de l'Azerbaïdjan au Haut-Karabagh et à prévenir toute autre tentative d'agression et de violation de l'intégrité territoriale de la République d'Arménie, appelant à des sanctions envers l'Azerbaïdjan et demandant la garantie du droit au retour des populations arméniennes au Haut-Karabagh, présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par MM. Bruno Retailleau, Gilbert-Luc Devinaz et plusieurs de leurs collègues, à la demande du groupe Les Républicains.

M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Voilà plus d'un siècle, ces mots ont été prononcés non loin d'ici, à la Sorbonne : « C'était notre soeur d'Orient qui mourait. Elle mourait d'avoir aimé ce que nous aimions, pensé ce que nous pensions, cru ce que nous croyions. » Ils avaient été prononcés par Anatole France en avril 1916, peu de temps après le génocide arménien.

Ces phrases font malheureusement écho à l'actualité, au nettoyage ethnique qui a eu lieu il y a quelques mois dans le Haut-Karabagh. Assiégée, coupée de sa mère l'Arménie pendant des mois, sa population de plus de 120 000 hommes, femmes, enfants et vieillards a été jetée sur les routes de l'exode : 3 000 ans de présence arménienne ont été effacés en trois jours seulement.

Voilà pourquoi nous avons déposé, avec Gilbert-Luc Devinaz, cette proposition, cosignée par tous les présidents de groupe - montrant que la cause arménienne est une cause française que nous portons, quels que soient nos origines et nos engagements.

Ce processus d'éradication pourrait en effet être la première étape d'un autre processus allant jusqu'à la remise en cause de la souveraineté territoriale de l'Arménie elle-même. Notre objectif est de crier haut et fort que nous n'admettrons pas l'inadmissible, que nous ne céderons rien, que nous ne croirons pas un seul mot de M. Aliyev. Comment le croire, alors qu'il a renié sa propre signature des accords tripartites en 2020 - accords dans lesquels la Russie a elle aussi joué un double jeu... ? Il avait promis de laisser libre le corridor de Latchine, mais il a tout balayé.

Là où le mensonge prolifère, la tyrannie se perpétue, disait Camus. Nous n'accepterons pas le fait accompli et le mensonge par lequel M. Aliyev a berné la communauté internationale.

Nous avons tous désapprouvé le voyage de Mme von der Leyen à Bakou, pour négocier un accord gazier - accord, nous le savons désormais, qui n'est qu'un contournement des sanctions contre la Russie.

Nous ne pouvons pas croire M. Aliyev. Le régime de Bakou n'a pas de parole, mais il a un projet : le négationnisme et l'expansionnisme. Non seulement il ne reconnaît pas le génocide de 1915, mais il affirme qu'Erevan a été volée. Pis, il a baptisé les rues de Stepanakert, la capitale du Haut-Karabagh, du nom des génocidaires. (Mme Valérie Boyer s'en désole.)

Son projet est aussi de créer, avec l'aide de la Turquie, un espace commun de la mer Égée à la mer Caspienne : c'est à cela que lui servirait le couloir de Zanguezour.

Monsieur le ministre, nous ne pouvons pas penser que M. Aliyev s'arrêtera là. Il faut être ferme. Mme von der Leyen s'est déshonorée, comme beaucoup d'autres nations occidentales.

Le Président de la République s'est manifesté...

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Toujours au rendez-vous !

M. Bruno Retailleau.  - Je le reconnais.

Une voix à gauche.  - Et Rachida Dati ?

M. Bruno Retailleau.  - Notre voix doit être ferme contre chaque violation dont se rend coupable l'Azerbaïdjan : violation du droit de la guerre, violation des droits de l'homme, notamment à l'égard des anciens dirigeants du Haut-Karabagh, qui sont détenus dans les geôles de Bakou et doivent être libérés, violation de cette culture - car comme tous les régimes totalitaires, ce régime veut effacer toute trace de la présence humaine, notamment la culture.

L'Unesco, dont le siège est à Paris et dont la directrice générale est une ancienne ministre française de la culture, doit dépêcher des experts internationaux pour vérifier l'état de ce patrimoine multimillénaire qui appartient à l'humanité tout entière. La nouvelle ministre de la culture aura à coeur d'y veiller, j'en suis sûr.

M. Max Brisson.  - Ce n'est pas gagné...

M. Bruno Retailleau.  - Ce qui se joue dans le Caucase, c'est l'éternelle guerre de David contre Goliath, des nations contre les empires, des démocraties contre les démocratures.

Cette petite nation, petite par le nombre, mais grande par la culture, par ce qu'elle a apporté à la France, porte quelque chose qui est plus grand que nous, peut-être la meilleure part de nous-même. Merci de voter cette résolution. (Applaudissements)

Mme Valérie Boyer .  - Le 19 septembre dernier, pour la première fois en plus de 2 000 ans, l'Artsakh a été vidé de presque tous ses habitants : les seuls qui restent sont dans leur tombe - dont certaines sont abominablement profanées. Ce nouvel exode, cette nouvelle tragédie s'inscrit dans la continuité de celle de 1915 : mais elle aurait pu être évitée. Selon le New York Times, presque personne ne pouvait la prédire ? Quelle hypocrisie ! Ce projet de l'Azerbaïdjan et de la Turquie est ancien. Nous avons alerté, nous connaissons tous la situation de la région, nous avons vu le conflit regagner en vigueur en 2020.

Nous avions suivi le drame qui se jouait dans le Caucase, comme en témoignent nos résolutions de 2020 et 2022.

Je salue l'engagement exceptionnel du président Larcher dans leur adoption, ainsi que l'investissement de MM. Christian Cambon, Gilbert-Luc Devinaz et Bruno Retailleau.

Le 7 juillet 1923 naissait la République d'Artsakh. Un siècle après sa naissance, indépendante de fait depuis 1991, elle a vu ses dirigeants arrêtés.

En 2022, Ursula von der Leyen signait un honteux accord avec l'Azerbaïdjan, qu'elle qualifiait de « partenaire fiable » : quelle honte, quelle faillite morale ! Quelques mois plus tard, ce pays attaquait le territoire souverain de l'Arménie, dont 100 kilomètres carrés sont occupés ! En décembre 2022, il a établi un blocus du couloir de Latchine, que la Cour de Justice de La Haye a exigé de lever en février 2023, par une ordonnance que l'Azerbaïdjan a ignorée.

Malnutrition, pénurie de médicaments... La situation est devenue critique pour les 120 000 Arméniens du Haut-Karabagh, à tel point que Luis Moreno Ocampo, ancien procureur de la Cour pénale internationale, a parlé de génocide. J'ai encore en tête les images du président Retailleau constatant le blocage des camions aux portes de l'Artsakh, sans qu'aucun commencement de menace de sanction ne soit prononcé, malgré nos demandes. Quelle déroute ! Le Gouvernement azerbaïdjanais a retenu le message : oui, il peut provoquer une telle crise, pratiquer la diplomatie du chantage, et tout se passe bien. Ce qui est valable en Ukraine ne l'est pas en Arménie.

Les mots n'ont jamais suffi : des mesures beaucoup plus fermes sont nécessaires. S'il prétend n'avoir pas incité à cet exode massif, ce dictateur n'a jamais caché ses intentions génocidaires : le choix des populations, c'est la valise ou le cercueil, voire la valise et le cercueil, car certains emportent leurs morts, de crainte de les voir profaner. Pas moins de 100 000 personnes ont ainsi quitté leur foyer dans l'indifférence presque générale.

Je veux rendre hommage à Anouch Apetian, violée, démembrée, filmée sans que les associations féministes ne s'en émeuvent...

Ruben Vardanian a été arrêté illégalement, il est détenu illégalement, comme trois anciens présidents et tant d'autres hommes politiques, dont Arayik Haroutiounian, Bako Sahakian, Arkadi Ghukasian, David Babayan, Levon Mnatsakanian, Davit Ichkhanian et Davit Manoukian. Le peu d'informations accessibles sur leur état est inquiétant. Chaque jour compte pour la vie de ces prisonniers.

Enfin, tant de monuments sont détruits. À l'heure de l'entrée au Panthéon de Manouchian, la France doit être au rendez-vous, et emmener avec elle la communauté internationale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées des groupes UC et INDEP ; M. Gilbert-Luc Devinaz applaudit également.)

M. Stéphane Ravier .  - Avec Bakou « nous partageons les mêmes valeurs » ; « l'énergie n'est que l'un des domaines dans lesquels nous pouvons renforcer notre coopération avec l'Azerbaïdjan et j'ai hâte d'exploiter tout le potentiel de notre relation. » Ces propos scandaleux, Rachida Dati aurait pu les prononcer, mais ce sont ceux de la présidente de votre Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui a signé un accord de 16 milliards d'euros avec l'Azerbaïdjan, alors qu'Aliyev avait sur les mains le sang de 6 000 Arméniens.

Une épuration ethnique, culturelle et religieuse a eu lieu. À Noël, pour la première fois depuis 1 700 ans, les cloches n'ont pas résonné dans ces montagnes. Les 100 000 déplacés ont été chassés comme des chiens, comme l'avait promis Aliyev. En 2020, nous avons laissé passer la première agression armée de l'Azerbaïdjan qui avait, depuis, bloqué le corridor de Latchine.

Personne n'a été surpris par l'invasion de l'Artsakh. Le Gouvernement semble avoir accepté cette Anschluss.

La suite de l'engrenage mortel n'est rien d'autre que l'ouverture du couloir de Zanguezour, c'est à dire l'invasion du sud de l'Arménie, avant la disparition totale du pays. La France doit boycotter la COP qui aura lieu à Bakou et s'opposer au processus d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.

Notre soutien à l'Arménie doit être aussi inconditionnel que celui que nous portons à l'Ukraine. Cette terre arménienne, (M. Stéphane Ravier montre une fiole contenant de la terre) je vous en ai rapporté, monsieur le ministre, ramassée dans un trou d'obus, dans un verger planté par SOS Chrétiens d'Orient, bombardé.

Il ne tient qu'à vous que cette terre ne soit plus maculée d'obus, de sang et de larmes. (M. Stéphane Ravier apporte la fiole à M. Stéphane Séjourné.)

M. Pierre Jean Rochette .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) En pleine période des voeux, 2024 commence sous de tragiques auspices. Poursuite de la guerre du Hamas, guerre d'agression de Poutine qui ne faiblit pas... L'incertitude du soutien international fait redouter une victoire russe. Le morcellement des puissances semble raviver les conflits.

Cette succession de guerres ne doit pas faire oublier les agressions azerbaïdjanaises. En 2020, une première agression, terminée par un cessez-le-feu sous l'égide russe ; en 2023, une reprise de l'offensive pour le contrôle total du Haut-Karabagh, occasionnant un exode ; ces agressions contreviennent au droit international, mais l'Europe n'a pas su faire entendre sa voix.

Alors que les conflits prolifèrent, nous devons lutter pour imposer nos valeurs.

Avec moins de gaz russe, nous avons besoin de celui de l'Azerbaïdjan. Mais cela ne doit pas nous contraindre au silence.

Collectivement, nous avons su réduire nos consommations énergétiques primaires. Nous ne devons pas reconnaître le résultat du coup de force de l'Azerbaïdjan, qui veut créer une nouvelle forme de continuité territoriale. Je salue l'action du Gouvernement, qui a livré du matériel de défense à l'Arménie.

Nous devons être unanimes sur cette proposition de résolution. Je m'associe aux propos de Bruno Retailleau. Plus que jamais, il est indispensable que l'Union européenne s'implique dans la résolution du conflit.

Mon groupe votera cette proposition, pour que l'Arménie retrouve sa liberté et son intégrité. (Applaudissements sur plusieurs travées)

M. Philippe Folliot .  - Cette proposition de résolution est totalement transpartisane, ce qui honore le Sénat.

« Vers l'Orient compliqué, je volais avec des idées simples », écrivait le général de Gaulle se rendant en Syrie en 1941. Assurément, c'est compliqué. La région du Caucase est à la confluence de trois anciens empires - russe, ottoman et perse. Les nombreux mouvements de population n'ont rien simplifié. La république de Transcaucasie créée par les Soviétiques a été divisée entre Azerbaïdjan, Arménie et Géorgie, ce qui n'a pas manqué de compliquer les choses...

Tout n'est pas blanc d'un côté, tout noir de l'autre. Les transferts forcés de populations ont eu lieu dans les deux sens, si l'on prend en compte le temps long.

Mais aujourd'hui, au vu des événements récents, nous devons exiger le respect du droit international, de l'intégrité territoriale et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Il y a eu un accord international, que remet en cause l'Azerbaïdjan.

Le phénomène qui se répète : lorsqu'un puissant voisine avec un faible, il s'assoit sur le droit international et lui impose son point de vue. Voyez la Russie et l'Ukraine, mais pas seulement. Avec François Bonneau, je me suis rendu au Guyana, dont une province, l'Essequibo, est convoitée par un autocrate voisin, M. Maduro.

Au Haut-Karabagh, la crise est d'abord humanitaire. La France doit demander la libération de tous les prisonniers politiques. Deuxième enjeu : la culture et l'histoire. L'Azerbaïdjan souhaite effacer la mémoire des populations. Si peu d'Arméniens pourront revenir sur le territoire - 100 000 ont fui sur 120 000 - nous devons demander que l'Unesco réalise un inventaire de leur patrimoine au Haut-Karabagh.

Ensuite, il faut poser des limites à M. Aliyev. L'Arménie n'est pas une démocratie parfaite, mais l'Azerbaïdjan est une véritable autocratie. Il faut aussi fixer des limites à son allié turc, pourtant membre de l'Otan. Une appropriation du couloir de Zanguezour violerait les frontières et la souveraineté de l'Arménie ; ce n'est pas négociable.

Le groupe UC votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, SER et CRCE-K)

M. Akli Mellouli .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Dans un mois, nous commémorerons les 80 ans de l'exécution de Missak Manouchian, mort « en soldat régulier de l'armée française de la libération », qui symbolise à lui seul l'apport de la diaspora arménienne à la France. J'espère que sa prochaine entrée au Panthéon permettra un regard moins caricatural sur l'apport de l'immigration à notre pays.

La singularité de notre lien avec l'Arménie fait que la situation du Haut-Karabagh nous touche particulièrement.

Tandis que l'Azerbaïdjan évoquait l'intangibilité des frontières internationales, l'Arménie appelle légitimement au droit des peuples à s'autodéterminer.

Deux logiques s'affrontent, comme au Kosovo ou en Crimée, mais il y a un agresseur et un agressé. Bakou attaque les Arméniens du Haut-Karabagh depuis la guerre de quatre jours en 2016. En septembre 2020, 4 000 Arméniens ont été massacrés. « La mort les a frappés sans demander leur âge / puisqu'ils étaient fautifs d'être enfants d'Arménie », chantait Aznavour. Forcer à fuir, c'est procéder à un nettoyage ethnique.

La communauté internationale peine à défendre les victimes et à imposer une paix durable. Les différentes puissances jouent un jeu complexe. S'ajoute la dépendance des membres de l'Union européenne au gaz azerbaidjanais. En juillet 2022, la présidente de la Commission européenne a signé un protocole d'accord avec Bakou, augmentant en un an les importations de gaz de 40 % ! Notre gouvernement sera-t-il libre demain pour dénoncer ces crimes de l'Azerbaïdjan ? L'odeur du gaz ne doit pas nous tourner la tête !

M. Pierre Ouzoulias.  - Très bien.

M. Akli Mellouli.  - Ne tombons pas non plus dans le piège de ceux qui parlent de guerre de civilisation. L'Iran soutient l'Arménie, et Israël arme Bakou, qui lui fournit 55 % de son gaz : ce n'est pas une guerre de religion, c'est un conflit de territoire. La France doit porter une voix singulière, et remettre l'Hôtel de ville au milieu du village.

M. Michel Savin.  - L'église !

M. Akli Mellouli.  - Nous sommes dans un espace laïc.

Nous, écologistes, refusons les doubles standards ; nous pleurons avec les mêmes larmes la mort d'un enfant à Kiev, au Haut-Karabagh, à Tel-Aviv et à Gaza.

C'est pourquoi nous avons cosigné et voterons cette proposition de résolution, pour que le peuple arménien retrouve dignité et respect. (Applaudissements sur les travées du GEST ; MM. Pierre Ouzoulias et Jean-Noël Guérini applaudissent également.)

M. Jean-Noël Guérini.  - Bravo !

M. Pierre Ouzoulias .  - « Lorsque le Sultan voit que pendant trois années, il a pu, grâce au sommeil complaisant de l'Europe, conduire impuni des massacres qui n'ont peut-être pas de précédent dans les derniers siècles de l'histoire humaine ; lorsqu'il voit l'Europe se levant dans le premier sursaut de ce réveil tardif, au lieu de se tourner vers les victimes du Sultan pour guérir leurs blessures, au lieu de se tourner vers les populations opprimées pour les aider à conquérir leur indépendance, se faire d'abord, pour première démarche, pour première politique, la servante de ses intérêts à lui, il se dit qu'il tient l'Europe dans ses mains, qu'il peut à son gré se jouer d'elle. » Ainsi parlait Jean Jaurès à la tribune de la Chambre, le 15 mars 1897.

L'Azerbaïdjan a envahi l'Artsakh et a fait disparaître un État en trois jours ; les Arméniens sont partis, laissant derrière eux les infirmes et les morts ; l'Azerbaïdjan a dessiné les frontières, procédant au nettoyage ethnique d'un territoire presque exclusivement peuplé depuis la plus haute Antiquité par des Arméniens.

Staline a fragmenté la région en rattachant Haut-Karabagh et Nakhitchevan à l'Azerbaïdjan. Mais la loi soviétique du 3 avril 1990 avait donné aux entités autonomes la possibilité de faire sécession. Les frontières de la République d'Artsakh née en décembre 1991 sont donc des frontières internationales. En acceptant leur violation, nous avons consenti à la primauté de la force sur le droit et fragilisé de facto l'intégrité territoriale de la République d'Arménie : fort de son impunité, l'Azerbaïdjan exerce maintenant une forme de souveraineté sur le Bas-Karabakh et donc sur la province arménienne du Syunik pour progressivement établir une continuité territoriale avec le Nakhitchevan et la Turquie. Bientôt, ces régions seront annexées.

Il faut sanctionner l'Azerbaïdjan pour protéger l'Arménie. Il faut tout faire pour que l'Union européenne oblige l'Azerbaïdjan à respecter les frontières. Il est inacceptable qu'Israël, l'Italie, la Tchéquie, la Bulgarie, l'Espagne, la Slovaquie ou même l'Ukraine fournissent des armes à l'Azerbaïdjan, qui les retourne contre l'Arménie. Ne vendons pas notre honneur pour un plat de lentilles - le gaz azéri.

Le Parlement européen, dans une résolution du 5 octobre 2023, a demandé la suspension du protocole d'accord dans le domaine de l'énergie. La France doit rendre cette suspension effective et saisir les biens des dirigeants azéris.

Le buste d'Auguste Scheurer-Kestner qui fut, pendant vingt-cinq ans, le représentant au Sénat d'une Alsace annexée par l'Empire allemand, doit être pour tous les Artsakhiotes exilés, un symbole d'espoir : tous les exils peuvent être provisoires. Nous restons à vos côtés, pour refuser l'asservissement. (Applaudissements nourris)

M. Max Brisson.  - Très bien !

M. Jean-Noël Guérini .  - Hélas, les inquiétudes que nous exprimions le 25 novembre 2020 en demandant la reconnaissance de la république du Haut-Karabagh ont été confirmées par les récents événements sanglants.

Urgence à agir, devoir moral et exigence... Je pourrais reprendre mot pour mot mon discours d'alors, alors que l'Arménie est désormais sous surveillance de la Russie et de la Turquie. Notre fierté d'avoir reconnu le génocide arménien est aujourd'hui submergée par la honte. Trente ans après sa création, la République du Haut-Karabagh n'est plus.

La République d'Arménie et le Haut-Karabagh ont été victimes du cynisme de leurs voisins et de la lâcheté de la communauté internationale. (M. Pierre Ouzoulias renchérit.) Ils ont été sacrifiés, dans un silence assourdissant, sur l'autel des intérêts économiques et énergétiques.

Bakou a joué un jeu subtil, Ankara un jeu trouble. J'avoue ma honte, notre honte collective, la honte de l'ONU, qui ressemble toujours plus à sa grande soeur, la Société des nations (SDN), impuissante, engoncée dans ses principes. Désormais, confiance et droit international ne pèsent guère face à la volonté expansionniste des dirigeants autoritaires. Je ne vous en ferai pas la liste... Mais pourquoi laisser aux historiens seuls le soin d'égrener cette longue liste, qui est celle de nos lâchetés ?

Nous sommes comptables de ce fiasco, mes chers collègues, pour les soldats et la jeunesse d'Arménie...

Cette proposition de résolution fait vivre notre soutien au coeur démocratique du Caucase. Notre voix doit soutenir les peuples qui s'engagent sur la voie du progrès. Nous connaissons la richesse du peuple arménien, ce qu'il nous a apporté et continuera à nous offrir. Le RDSE votera à l'unanimité cette proposition de résolution. (Applaudissements)

Mme Nicole Duranton .  - Ce conflit international, douloureux, a des répercussions dévastatrices.

Après la guerre de 2020, les forces azerbaïdjanaises ont établi en décembre 2022 un blocus total du corridor de Latchine, enfermant la population du Haut-Karabagh. Le 19 septembre 2023, l'Azerbaïdjan a violé le cessez-le-feu et lancé une offensive militaire éclair.

Les tensions anciennes sont ravivées. L'Azerbaïdjan a bafoué le droit à l'autodétermination des peuples et révélé ses intentions génocidaires. Il s'attaque aujourd'hui au patrimoine arménien, pour en effacer toute trace. Ces atteintes au peuple arménien sont un crime contre l'humanité.

Nous condamnons cette offensive et appelons au respect du droit international. C'est le sens de cette proposition de résolution qui transcende les clivages.

Alors que l'attention internationale est captée par le Proche Orient ou l'Ukraine, il est important de souligner le soutien continu de la France, qui s'engage auprès des populations civiles. Les deux tiers des 120 000 habitants du Haut-Karabagh ont fui, devenant du jour au lendemain des réfugiés. L'Arménie est débordée par cet afflux. La France l'a soutenue en décembre dernier avec 15 millions d'euros d'aide d'urgence, ce qui porte son aide à 27,5 millions d'euros pour 2023. La société civile et les collectivités territoriales ont également fait preuve de solidarité envers ces réfugiés qui ont enduré des souffrances inimaginables.

Les populations déplacées doivent pouvoir retourner chez elles en toute sécurité. Il faut respecter l'intégrité territoriale et la souveraineté de l'Arménie. Nous exigeons également la libération inconditionnelle des prisonniers de guerre, notamment les élus du Haut-Karabagh.

Il est temps que les responsables azerbaïdjanais répondent de leurs actes devant la justice.

Ce texte appelle une réponse robuste de la France, de l'Union européenne et de la communauté internationale. Il appelle à défendre les principes du droit international, du droit humanitaire et du droit à l'autodétermination des peuples, fondement de nos démocraties. Leur respect est la seule voie possible vers une paix durable.

Le RDPI votera cette proposition de résolution. (Applaudissements)

M. Patrick Kanner .  - Notre débat pourrait paraître décalé au vu des récentes négociations, mais les tensions restent prégnantes : le risque d'invasion du sud de l'Arménie perdure. La préservation de la souveraineté nationale de ce petit pays du Caucase doit rester notre priorité.

Le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale a conduit à mettre en place des instances internationales pour la résolution pacifique des conflits. L'espoir d'apaisement que portaient les notes de Bach sous le violoncelle de Rostropovitch à Checkpoint Charlie n'a guère duré, et nous assistons depuis quelques années à une escalade délétère.

Je nous souhaite de ne jamais nous y habituer et de porter haut l'étendard de la paix face au fatalisme belliqueux.

L'élimination ethnique qui a lieu en Arménie ne peut être tolérée. L'indolence occidentale lors du génocide de 1915 doit être reconnue.

Cette proposition de résolution permet de nommer les choses.

On dit du peuple arménien - dont je salue l'ambassadrice - qu'il est résilient, tel un phénix renaissant de ses cendres. Cela nous donnerait trop facilement une bonne conscience. Dans le silence des médias et de la communauté internationale, les belligérants peuvent avoir le sentiment d'agir en toute impunité. C'est le cas à Taïwan ou au Yémen ; quant à l'Ukraine, elle s'efface petit à petit au profit de nouvelles actualités...

La montée des nationalismes favorise les revendications territoriales et l'extrémisme, vecteur de conflictualisation. Le nationalisme est en train de nous submerger : même le Gouvernement en reprend désormais les éléments de langage, comme dans la loi Immigration.

L'Europe doit dénoncer ces phénomènes de division, de fracturation et d'attisement des tensions, refuser la banalisation de la violence. Les élections européennes doivent être l'occasion de réaffirmer notre responsabilité dans la résolution pacifique des conflits. Notre conception du droit international doit primer sur les rapports de force.

Notre débat ne doit avoir qu'un seul but : l'avènement d'une humanité réconciliée.

William Saroyan écrit : on ne peut qu'essayer de détruire les Arméniens, « car il suffirait que deux d'entre eux se rencontrent, n'importe où dans le monde, pour qu'ils créent une nouvelle Arménie ». Nous voterons cette résolution. (Applaudissements)

M. Pascal Allizard .  - Au carrefour des civilisations, le Caucase, la montagne des langues, est riche de sa diversité culturelle, religieuse, linguistique et ethnique. La région a connu une histoire mouvementée. La période soviétique a garanti une certaine stabilité au prix d'un verrouillage sécuritaire - Heydar Aliyev, premier président de l'Azerbaïdjan indépendant, était général du KGB. Elle n'a pu empêcher les premières tensions entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie, qui ont dégénéré en conflit gelé ponctué d'escarmouches et d'affrontements ouverts.

Le lent retour de la Russie dans son « étranger proche » s'opère en force, aux dépens d'États indépendants : Géorgie, Ukraine. L'Azerbaïdjan, enrichi par le gaz de la mer Caspienne et tenté de se rapprocher de l'Occident, a bien reçu le message. Les Azerbaïdjanais ont souhaité mettre à profit cette richesse pour améliorer le sort de leurs déplacés et récupérer les territoires perdus en 1994. Un pari de long terme gagnant face à l'Arménie, privée de ressources naturelles et lâchée par la Russie.

Le retour en force des ex-empires russe et turc a facilité les récentes actions militaires azerbaïdjanaises. Cette guerre instrumentalisée devient une nouvelle zone de friction entre Occidentaux et pro-dictatures.

Les belligérants s'opposent à coups d'études historiques. Il faut condamner les exactions d'États qui doivent respecter leurs obligations internationales et humanitaires, soutenir les populations civiles, et faire cesser la destruction méthodique du patrimoine historique.

La France n'a pas ménagé sa peine, en témoigne l'implication personnelle du président Chirac, et les travaux du groupe de Minsk de l'OSCE. Le président Poncelet avait aussi multiplié les initiatives avec ses homologues du Sud-Caucase. La France, alors, pouvait encore parler à tout le monde et avoir une position équilibrée. Les choses ont changé. Nous ne sommes plus audibles.

À Erevan, j'ai assisté à la présentation du plan de paix du Premier ministre arménien. Je me suis entretenu avec l'ambassadeur de France, et le nouvel attaché de défense, dont le poste vient d'être créé. Cela montre le soutien de la France à l'Arménie, dans un but défensif.

Avec l'Azerbaïdjan, les relations se sont dégradées, alors que les présidents Heydar puis Ilham Aliyev avaient pourtant choisi la France pour leur première visite officielle à l'étranger.

L'Azerbaïdjan est membre du partenariat oriental de l'Union européenne, censé défendre la démocratie, l'État de droit et les libertés fondamentales, et participe à l'OSCE, qui vise la résolution pacifique des conflits et le désarmement... Désormais, on expulse réciproquement des diplomates et le décalage entre les discours et les actes va croissant.

Les exportations énergétiques azerbaïdjanaises vers l'Union européenne devraient continuer à croître. Quelles sont les alternatives d'approvisionnement pour les Européens ? L'Algérie, le Qatar, les États-Unis ? Il n'y a pas de solution idéale.

Enfin, nous savons d'expérience que les sanctions européennes ont peu d'impact.

Mme la présidente.  - Veuillez conclure.

M. Pascal Allizard.  - Je soutiens vaillamment cette proposition de résolution et vous invite à la voter. (Applaudissements)

M. Gilbert-Luc Devinaz .  - (Applaudissements) La diplomatie parlementaire permet à des élus d'échanger en toute bienveillance et de partager leurs espoirs et leurs angoisses. Nous y contribuons au sein du groupe d'amitié France-Arménie que je préside. Je salue l'engagement de ses membres. Je remercie le président Larcher qui nous soutient toujours, et M. Retailleau de son aide efficace.

Je remercie tous les présidents des groupes politiques du Sénat qui ont accepté de cosigner ce texte, signe que la cause arménienne dépasse les clivages politiques, car elle renvoie à des sujets universels : la défense des droits de l'homme, de la démocratie contre la dictature, de l'ordre international contre la force et les logiques de puissance.

La diplomatie parlementaire a parfois une longueur d'avance sur la diplomatie officielle grâce aux liens de confiance entre parlementaires. Nos amis arméniens nous ont alertés dès 2019 sur les risques d'une agression militaire. Nous avions relayé leurs craintes auprès des autorités françaises, mais elles n'ont pas été entendues.

C'est avec le devoir moral de témoigner du sentiment d'urgence absolue que je défends cette proposition de résolution.

Elle fait suite à l'offensive militaire menée par l'Azerbaïdjan en septembre 2023, en violation du cessez-le-feu. Certes, 32 prisonniers vont être libérés et une initiative pour la paix est en cours. Nous la soutenons, mais il nous faut dénoncer ce qu'ont vécu et ce que vivent les 120 000 Arméniens d'Artsakh, contraints, après dix mois de blocus, de quitter leurs terres et leur maison - ce que notre ancienne ministre des affaires étrangères a qualifié d'épuration ethnique. Le président Aliyev a piétiné leur drapeau et détruit le patrimoine arménien, en rebaptisant les rues du nom des génocidaires de 1915.

L'Azerbaïdjan dit désormais vouloir faire la paix, ce qui revient à entériner l'annexion du Haut-Karabagh et l'épuration ethnique. Nous ne pouvons nous y résoudre.

Cette résolution condamne l'offensive de septembre et demande des sanctions. Elle appelle à la libération des autorités politiques démocratiquement élues du Haut-Karabagh et des prisonniers de guerre. Elle demande que soit garanti aux populations arméniennes du Haut-Karabagh un droit au retour en toute sécurité. Elle alerte sur les menaces qui pèsent sur le patrimoine arménien.

Enfin, l'Arménie doit avoir les moyens de se défendre contre toute nouvelle violation de son intégrité territoriale. C'est tout le sens de la coopération militaire mise en place cet automne entre nos deux pays.

Il ne faut rien lâcher ; résister, malgré les menaces, les peurs et le désespoir. Alors que Missak Manouchian entrera au Panthéon pour avoir défendu les valeurs de la France, nous devons à notre tour défendre l'Arménie et les valeurs démocratiques qu'elle incarne. Merci à tous de soutenir cette résolution. (Applaudissements)

M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - La proposition de résolution porte sur un enjeu vital pour la France et pour l'Europe : assurer une paix durable et juste dans le Sud-Caucase, dans le respect du droit international. Le Président de la République a rappelé l'engagement entier et constant de la France aux côtés de l'Arménie en faveur d'une paix durable et inconditionnelle.

Aucun autre pays ne fait autant que la France pour l'Arménie. Nous assumons nos responsabilités. Nous avons condamné l'exode forcé des Arméniens du Haut-Karabagh, sous le regard complice de la Russie.

Nous avons eu une action résolue, en quatre axes : un soutien humanitaire, une réponse politique, un renforcement de notre action bilatérale, et une action européenne.

Nous avons renforcé notre assistance à l'Arménie et aux réfugiés en triplant notre aide, portée à 29 millions d'euros. Je salue le vote par le Parlement d'une aide d'urgence de 15 millions d'euros supplémentaires. Nous appuyons l'action de la Croix-Rouge et des agences des Nations unies, notamment pour prendre en charge les plus vulnérables. Une aide médicale d'urgence a été remise aux autorités arméniennes et plusieurs grands brûlés traités dans des hôpitaux français. Je remercie les collectivités territoriales qui ont été au rendez-vous de cette cause et salue leur mobilisation humanitaire et financière.

Notre réponse est aussi politique. La France a été aux avant-postes de la mobilisation internationale. Ainsi, trois réunions du Conseil de sécurité se sont tenues à l'initiative de la France.

L'avenir de l'Arménie et les négociations de paix ne doivent pas être déterminés par la force et la menace. Le 5 octobre, à Grenade, le Président de la République a rappelé notre soutien indéfectible à l'indépendance, à la souveraineté, à l'intégrité territoriale et à l'inviolabilité des frontières de l'Arménie. Nous y serons vigilants.

Le 9 novembre, le Président de la République a reçu le Premier ministre Pachinian pour marquer sa solidarité et évoquer le renforcement de notre soutien.

Nous accentuons notre soutien bilatéral. La France a donné son accord à des livraisons de matériel militaire pour que l'Arménie puisse protéger sa population et son territoire. La France continuera à agir dans un esprit de responsabilité, sans escalade.

Nous renforcerons notre présence dans la région avec l'ouverture prochaine d'une agence consulaire, et continuerons à appuyer des projets d'infrastructures dans les domaines stratégiques des transports, de l'énergie ou de l'eau.

Enfin, notre soutien passe par l'Europe. Il y a eu une prise de conscience, et il y a aujourd'hui un consensus européen pour bâtir un plan de soutien à une Arménie indépendante, souveraine et démocratique. Lors de sa réunion des 26 et 27 octobre, le Conseil européen a demandé un renforcement des relations avec l'Arménie. Les effectifs de la mission civile d'observation sont accrus, à la demande de la France, afin de renforcer la présence européenne sur les points sensibles de la frontière. Des discussions sont en cours pour que l'Arménie bénéficie d'un soutien au titre de la facilité européenne pour la paix - là encore, à l'initiative de la France. Espérons que cette initiative progresse.

Nous nous félicitons de ces avancées essentielles. Vous pouvez compter sur notre détermination pour faire bouger les lignes. Seul un processus négocié et pacifique apportera la paix. La France apporte tout son soutien aux efforts de médiation américains et européens. L'Azerbaïdjan doit lever toute ambiguïté sur le respect de l'intégrité territoriale de l'Arménie. Le Sud-Caucase doit rester un espace de paix et de coopération, avec des frontières ouvertes.

Des gestes de bonne volonté réciproques ont été faits en décembre dernier avec la libération de détenus. C'est un signal positif, mais insuffisant. Espérons qu'il s'agit d'un premier pas vers d'autres libérations. Une paix juste et durable n'est possible que dans le respect du droit international, de l'intégrité territoriale et de l'inviolabilité des frontières. L'Azerbaïdjan doit empêcher et punir toute dégradation ou profanation du patrimoine culturel, religieux et funéraire arménien.

Les événements de l'automne ont réveillé les consciences. Le Caucase n'est pas un conflit lointain : il nous concerne tous, car il s'agit du droit, d'une population déplacée, d'une démocratie menacée.

Telle est la ligne de conduite de la France, constante et exigeante. Nous soutenons tous les efforts sincères en faveur de la paix et défendons le droit international. Nous nous tiendrons aux côtés du peuple arménien. Notre action s'amplifiera dans les prochains mois. (Applaudissements)

Mme la présidente.  - Je vous remercie de ce débat respectueux et digne.

À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°110 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 337
Pour l'adoption 336
Contre     1

La proposition de résolution est adoptée.

(Applaudissements)

Ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution invitant le Gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par Mme Nathalie Delattre et plusieurs de ses collègues, à la demande du RDSE.

Mme Nathalie Delattre, auteure de la proposition de résolution .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Le 29 mars, lors des questions d'actualité, j'alertais sur la santé mentale des jeunes. L'actualité nous rappelle brutalement la souffrance psychique de nombreux adolescents. Lindsay, Nicolas, Lucas : autant de vies brisées.

De plus en plus de jeunes connaissent un état dépressif. Les études sur la santé mentale recensent plusieurs marqueurs : l'adolescence, période difficile de changement ; l'isolement des étudiants coupés de leurs proches ; les violences morales, physiques et sexuelles dans et hors de la famille ; le harcèlement scolaire, démultiplié par les réseaux sociaux, qui fait des milliers de victimes - jusqu'à conduire au suicide. Citons aussi l'addiction aux écrans, source d'isolement et d'accès sans filtre à des images effrayantes, ou l'éco-anxiété.

Les inégalités, sociales ou de genre, jouent aussi leur rôle. La précarité est un facteur de dégradation de la santé mentale. En Nouvelle-Aquitaine, un jeune sur quatre n'a pas de médecin traitant. En raison de la prévalence de la violence faite aux femmes, la dépression touche davantage les jeunes filles.

Tous ces éléments conduisent à un constat clinique dramatique : troubles du sommeil, phobie scolaire, anorexie, troubles obsessionnels compulsifs, dépression, schizophrénie, addictions, voire suicide.

Les chiffres de Santé publique France sont glaçants. En 2021, 43 % des étudiants ont connu un état de détresse psychologique, contre 29 % l'année avant le covid. Le nombre de jeunes souffrant de dépression est passé de 11,7 % en 2017 à 21 % en 2021. En septembre 2023, les passages aux urgences pour gestes suicidaires et troubles de l'anxiété ont nettement augmenté chez les moins de 18 ans, et près de 5 % d'enfants ingèrent des psychotropes. Depuis 2014, les prescriptions ne cessent d'augmenter.

Quelles réponses apporter ? Ce fléau nécessite une prise de conscience collective.

En juin 2022, la Défenseure des droits invitait à mettre en place un plan d'urgence. Le ministre de la santé d'alors indiquait que la santé mentale des jeunes devait être une priorité du Gouvernement. C'est le sens de ma proposition de résolution soutenue par le RDSE.

La communauté pédopsychiatrique alerte sur les besoins criants. On le sait, la psychiatrie est le parent pauvre de la médecine. Il faut parfois deux ans pour obtenir un suivi dans un centre médico-psycho-pédagogique (CMPP). On ne compte que 600 pédopsychiatres pour 10 millions d'enfants et 800 médecins scolaires, soit un médecin pour 15 000 élèves. Les centres médico-psychologiques infanto-juvénile (CMP-IJ) sont dépassés par les demandes, d'autant que les familles n'avancent pas les frais. Ce défaut de prise en charge peut conduire à la surmédication d'enfants traités avec des produits destinés aux adultes. Il est urgent de renforcer les pratiques psychothérapeutiques et de prévention, pour éviter la médication.

Les dispositifs mis en place ces dernières années doivent être poursuivis et renforcés : MonParcoursPsy pour les moins de 18 ans, les Maisons des Adolescents, les Points Santé dans les Missions locales, le Fil Santé Jeune (FSJ) d'aide à distance et les campagnes nationales de sensibilisation, « En parler, c'est déjà se soigner » ou recontact VigilanS.

Une expérimentation pionnière, venue d'Australie, est en cours à la faculté de Bordeaux pour former des étudiants « sentinelles ».

Parce que les troubles mentaux émergent tôt dans la vie et s'installent le plus souvent avant 18 ans, la médecine scolaire est un outil indispensable de dépistage et d'orientation, mais il lui faut des moyens. Face à la pénurie de médecins scolaires, il est urgent de repenser les missions et de renforcer les moyens du service de santé scolaire, notamment en revalorisant les salaires.

Il est vain d'appeler à une France résiliente si l'on ne donne pas à chaque enfant les moyens de forger sa propre résilience.

Cette proposition de résolution invite donc à ériger en grande cause nationale la santé mentale des jeunes, pour donner de la visibilité à ce fléau et briser les tabous.

Nous avons un défi immense face à nous, et la responsabilité d'être au rendez-vous de notre jeunesse pour construire une société plus sereine. (Applaudissements sur les travées du RDSE, des groupes Les Républicains et INDEP)

Salut à une délégation

Mme la présidente.  - (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent, ainsi que Mme la ministre.) J'ai le plaisir de saluer, dans la tribune d'honneur, une délégation conduite par Mme Annita Demetriou, Présidente de la Chambre des Représentants de Chypre. Elle est accompagnée par notre collègue Samantha Cazebonne, présidente du groupe interparlementaire d'amitié France-Chypre.

La délégation a été entendue ce matin par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Puis elle a été reçue en audience par le Président du Sénat Gérard Larcher.

La France entretient d'excellentes relations avec Chypre, fruit de notre histoire. Chypre joue un rôle de stabilisation essentiel à la frontière extérieure de l'Union européenne. Elle est un acteur majeur de la dimension méditerranéenne qui doit demeurer une priorité de l'Union.

Nous nous réjouissons de la perspective du renforcement de nos coopérations en matière de défense et en Méditerranée orientale.

Mes chers collègues, en votre nom à tous, permettez-moi de souhaiter à Mme Annita Demetriou, la plus cordiale bienvenue au Sénat ainsi qu'un excellent et fructueux séjour ! (Applaudissements)

Ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale (Suite)

Mme Laure Darcos .  - Le suicide est la première cause de mortalité chez les 15-24 ans. Nous ne pouvons accepter que des personnes à l'aube de leur vie en viennent à cette extrémité.

La crise sanitaire a eu un impact désastreux, mais elle n'est pas la cause unique : l'adolescence peut être insurmontable pour certains ; les violences intrafamiliales causent des traumatismes très lourds - voyez mon récent rapport ; la précarité étudiante favorise l'isolement. Sans parler des réseaux sociaux ni du harcèlement scolaire, qui concerne près d'un million de jeunes par an et auquel notre ancienne collègue Colette Mélot a consacré un rapport.

L'école a un rôle majeur à jouer dans la détection des troubles. Or le nombre de médecins scolaires a baissé de 20 % en dix ans. Le Gouvernement nous rétorque que les moyens ne manquent pas, que les postes sont ouverts, mais qu'il y a un problème d'attractivité. Même constat en psychiatrie : la situation est alarmante, avec un manque chronique de places et de personnels.

Allouer des moyens supplémentaires à la prise en charge des jeunes est indispensable : il faut recruter des médecins, y compris étrangers, des infirmiers spécialisés et des psychologues, et favoriser l'internat en psychiatrie. Nos jeunes méritent que l'on traite les causes autant que les symptômes.

La santé mentale reste le parent pauvre de notre système de santé. Les nombreux rapports, tel celui de notre collègue Alain Milon, n'ont pas été suivis d'effets.

Nous espérons que cette proposition de résolution débouchera sur des mesures concrètes. Je remercie Nathalie Delattre. Le groupe INDEP votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme Nadia Sollogoub .  - (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.) Les causes de l'anxiété de la jeunesse française sont nombreuses : crise du covid, isolement, situations de rupture sociale, guerres et conflits, éco-anxiété, réseaux sociaux.

La santé mentale des jeunes est un enjeu majeur de santé publique. Il faut détecter et accompagner, mais notre système de soins peine à répondre à ces souffrances, surtout en zone rurale. La remise en cause du numerus clausus était une évidence, mais le numerus apertus n'est pas la panacée, et le nombre de médecins formés en France reste très insuffisant. Pour la psychiatrie comme pour les autres spécialités, il est nécessaire de donner du sens. Attirer et fidéliser les praticiens vers la psychiatrie est indispensable pour faire de la santé mentale des jeunes une grande cause nationale.

Le constat est alarmant : 48 % des 18-24 ans souffrent de troubles anxieux ; un jeune sur cinq montre des symptômes dépressifs ; on dénombre 25 000 tentatives de suicide chez les jeunes, sans parler des addictions diverses.

Nous partageons l'objectif de cette proposition de résolution, mais demeurons perplexes sur sa déclinaison, faute de moyens suffisants.

J'en profite pour évoquer la proposition de loi de Mme Guidez relative au dépistage précoce des troubles du neuro-développement, que nous examinerons prochainement. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Anne Souyris .  - Les troubles psychiatriques toucheraient 13 % des adolescents, soit 1,6 million de personnes. Ils représentaient, en 2019, la première cause de perte d'années de vie en bonne santé des 5-24 ans dans les pays de l'OCDE.

La crise du covid-19 a dégradé la santé mentale des jeunes : les syndromes dépressifs ont doublé entre 2019 et 2020 et les tentatives de suicide ont augmenté de 40 % à Paris après 2020.

L'action publique doit faire de la santé mentale des jeunes une priorité. Il faut repérer les troubles le plus tôt possible et pour cela, former les médecins généralistes et renforcer les services de santé scolaire et de pédopsychiatrie.

La Cour des comptes le rappelait en mars 2023 : la prévention est clé, alors que 48 % des affections psychiatriques adultes débutent avant 18 ans. La Cour estime la prise en charge des dépenses de psychiatrie à 81,3 milliards d'euros, soit 3,7 % du PIB.

Nous comptons 34 % de psychiatres de moins qu'en 2010 et 47 % des médecins en exercice ont plus de 60 ans.

La santé mentale des jeunes nécessite un effort collectif. Le GEST votera en faveur de cette proposition de résolution, mais n'est pas dupe : les dernières « grandes causes nationales » n'ont pas eu de résultats apparents. L'égalité entre les femmes et hommes, grande cause du précédent quinquennat, recule.

Nous avons besoin d'un investissement massif pour former et recruter des psychologues et des psychiatres, mais aussi réformer et rendre plus attractive la santé scolaire.

Le Gouvernement va-t-il agir ? Madame la ministre, je vous laisse le bénéfice du doute...

La coordination des politiques de santé fait défaut, comme le soulignaient déjà Alain Milon et Michel Amiel en 2017. Plutôt qu'un délégué ministériel, nous aurions besoin d'un secrétaire d'État à la santé mentale. Qui d'autre pour piloter une grande cause nationale ?

Mme Céline Brulin .  - Le sujet est préoccupant. Les études confirment une augmentation significative des troubles de santé mentale chez les jeunes - insomnies, stress, dépression -, accentuée par les confinements.

En novembre 2021, l'hôpital Robert Debré lançait un cri d'alarme face à l'augmentation, en deux ans, de 300 % des tentatives de suicide chez les moins de 15 ans !

Malgré les discours sur la prévention, les moyens manquent pour les CMPP, le remboursement des séances de psychologue est insuffisant, la médecine scolaire est indigente et les psychologues de l'éducation nationale sont réduits à la portion congrue. On comptait 900 médecins scolaires pour 12 millions d'élèves en 2023... Huit enfants sur dix n'ont jamais rencontré le médecin scolaire. En Seine-Maritime, quatre postes d'enseignants en CMPP ont été supprimés en 2023.

L'état de santé psychique des enfants est l'un des principaux déterminants de leur santé future. Faute de concertation, moins de 10 % des psychologues se sont engagés dans MonParcoursPsy. Les 50 millions d'euros que le Gouvernement y consacre seraient plus utiles pour créer des postes pérennes. Il faut réarmer le secteur en ouvrant des lits d'hospitalisation et en formant des praticiens.

Le caractère inégalitaire de notre système de santé, la compétition anxiogène de Parcoursup et des futures classes de niveau, la précarité, autant de facteurs qui expliquent ces troubles. Les enfants vivant sous le seuil de pauvreté sont trois fois plus hospitalisés que les autres.

Les étudiants sont aussi plus anxieux. Il est regrettable que vous ayez refusé, chers collègues, l'allocation autonomie pour les étudiants. Cette anxiété est accrue par le dérèglement climatique, les guerres, les incertitudes sur l'emploi et le sens du travail, mais aussi les discriminations sociales, de milieu et de genre.

Il faut donc de la prévention et un environnement sain de travail et d'étude. Il faut donner espoir et confiance dans l'avenir et la société. La santé mentale doit mobiliser l'ensemble de notre société. Nous voterons cette proposition de résolution, qui devra être suivie d'un plan d'action et de moyens concrets ! (Mme Nathalie Delattre applaudit.)

M. Ahmed Laouedj .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Les jeunes sont confrontés à de nombreux défis et à une pression constante. À l'adolescence, les comportements à risque se multiplient, comme la consommation de substances psychoactives. Les jeunes veulent fuir les problèmes et la réalité. Or ces substances créent des addictions aux conséquences très graves : anxiété, agressivité, altération des fonctions cognitives, difficultés scolaires et académiques, déscolarisation, schizophrénie et dépression.

Attaquons-nous aux racines du mal : il faut connaître les causes de ces addictions. MonParcoursPsy est un échec, selon les psychologues. Selon neuf psychologues sur dix, le dispositif ne répond pas aux besoins. Il faut un vrai dispositif d'accès au psychologue, sans passage par le médecin traitant et sans restriction sur les motifs de consultation.

Madame la ministre, les conditions de travail dans les structures rendent difficile le recrutement. Une revalorisation salariale des psychologues est-elle prévue ?

Le groupe RDSE votera cette proposition de résolution à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Dominique Théophile .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) La crise du covid-19 a dégradé la santé mentale des Français. Après la lutte contre les violences faites aux femmes ou la promotion de l'activité physique et sportive, vous proposez au Gouvernement d'ériger cette question en grande cause nationale.

Le constat est sans appel : les jeunes souffrent, en silence. L'éco-anxiété l'explique en partie. En 2021, 43 % des jeunes se sont déclarés en état de détresse psychologique, contre 29 % avant le covid-19.

Selon Santé publique France, 13 % des enfants de 6 à 11 ans présenteraient des troubles probables de santé mentale.

Le manque de personnels médicaux, notamment de médecins scolaires, et de places en milieu médical, a des conséquences directes sur la prise en charge des jeunes, entraînant les drames que l'on sait.

Vous proposez des pistes : plus de psychologues et de psychiatres, renforcement de la médecine scolaire, soutien aux CMPP, campagnes de sensibilisation.

Beaucoup a été fait ces dernières années : une feuille de route de la santé mentale a été adoptée en 2018, autour de trois piliers - prévention, parcours de soins, insertion sociale. Le Ségur de la santé et les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie ont complété cette feuille de route : communication grand public, secourisme en santé mentale, création des maisons de l'enfant et de la famille, MonParcoursPsy, renforcement du réseau des maisons des adolescents, augmentation du nombre de psychologues dans les CMPP. C'est encore insuffisant.

La question des inégalités sociales est cruciale - les outre-mer ne font pas exception. Un rapport de l'Unicef sur les droits des enfants dans les outre-mer montre que leur situation est globalement plus défavorable. La prise en charge de la santé mentale y est particulièrement difficile, notamment en Guyane et à Mayotte, où l'accès aux soins primaires n'est pas assuré.

Le RDPI, attentif à cette question, votera évidemment cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE)

Mme Marion Canalès .  - Un Français sur cinq, 12 millions de personnes, souffre de problèmes de santé mentale. Le coût humain, direct et indirect, est évalué à 110 milliards d'euros.

Quatre ans après le covid, la santé mentale des jeunes reste dégradée. La Défenseure des droits ou l'Unicef nous ont alertés. Le Gouvernement a établi deux feuilles de route, mais les réponses ne sont pas à la hauteur. Entre 2018 et 2021, les passages aux urgences pour épisodes dépressifs ont augmenté de 23 % pour les 18-24 ans et de 58 % pour les 11-17 ans.

La parole s'est libérée. Outre la crise du covid, la situation internationale est également en cause, les jeunes se sentant pris en étau entre la fin du monde et la fin du mois.

Si 13 % des enfants et adolescents présentent un trouble psychique, 750 000 seulement bénéficient des soins adaptés, faute d'offre suffisante. On manque de médecins, de bâtiments. Plus de 30 % des postes de psychiatres en secteur public sont vacants. Le temps d'attente pour une place en CMPP est de 18 mois, ce qui aggrave les pathologies.

La prévention aussi est insuffisante : 600 pédopsychiatres, pour dix millions d'enfants de moins de quinze ans. Leur nombre a été divisé par deux entre 2007 et 2016. Certains départements n'en ont aucun !

L'association nationale des maisons des adolescents alerte sur l'embolie des maisons partout en France. Une faculté de médecine sur cinq n'a pas de professeur d'université en pédopsychiatrie.

La dégradation de la santé mentale des enfants et adolescents appelle une réponse rapide et forte, avec des moyens pour l'hôpital comme pour l'école. Devant la pénurie de médecins scolaires, va-t-on assister à véritable tournant dans l'organisation de la santé à l'école ?

Pourquoi ne pas former la communauté éducative aux premiers secours en santé mentale ? Un cours d'éducation à la santé mentale existe dans certains pays, comme l'Australie, et les écoles apprennent aux enfants à gérer leurs émotions. Pourquoi ne pas créer de postes de psychologue dans l'éducation nationale ?

Présidents d'université, médecins, représentants de syndicats et d'associations étudiantes alertaient dès 2022, dans une tribune au Monde, sur la détresse psychologique des étudiants depuis la pandémie. Il faut développer les bureaux d'aide psychologique universitaires.

La santé mentale des jeunes est aussi une question de territoires. On observe un report vers les services de la PMI. Les contrats locaux de santé mentale se multiplient : il en existe 260, mais seuls 5 % couvrent un territoire rural. Leurs financements sont disparates, d'où une différence d'accès aux soins selon le territoire.

Il faut aussi lutter contre le fléau des addictions : écrans, paris sportifs, jeux d'argent. Plus d'un tiers des joueurs ont entre 15 et 17 ans.

L'éco-anxiété, qui touche 45 % des jeunes, contribue à la baisse de la natalité. La jeune génération ne se projette plus dans un monde infini, et les injonctions à la natalité ne fonctionneront pas.

La précarité des jeunes doit susciter notre action, au moment où des milliardaires, à Davos, demandent dans une tribune à être plus taxés.

Nous appelons de nos voeux un RSA pour les moins de 25 ans, afin de ne pas enfermer les jeunes dans la précarité. La devise olympique « Plus vite, plus haut, plus fort » résume une injonction à la performance qui pèse sur les jeunes et leur santé mentale. Or une jeunesse qui va mal, c'est une société qui se dégradera.

Le Premier ministre, au CHU de Dijon, a rappelé la nécessité d'avancer sur le sujet. Nous voterons cette proposition de résolution pour passer des paroles aux actes.

Mme Pascale Gruny .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les effets délétères de la crise covid sont encore palpables. Les enfants et les jeunes sont parmi les plus fragilisés, et les services de pédopsychiatrie sont saturés. La proportion d'étudiants en détresse psychologique est passée de 29 à 43 %. Il y a, sans conteste, un avant et un après covid.

Les professionnels de santé ont alerté sur les conséquences du covid sur les jeunes et les étudiants dès 2020, mais les pouvoirs publics ont tardé à agir. La campagne nationale de prévention n'a débuté qu'au printemps 2021.

La crise sanitaire a mis en lumière les difficultés de notre mode de prise en charge et les inégalités d'accès aux soins.

Le Sénat, dès 2021, dans le rapport de Victoire Jasmin et Jean Sol, a fait des propositions : détecter les troubles dès le plus jeune âge, renforcer la médecine scolaire, mener des actions auprès des parents. La méconnaissance et les préjugés retardent les prises en charge, voire favorisent le non-recours aux soins. La prévention primaire est sous-développée en France, faute de personnels et de structures adaptées. La profession de psychologue doit être mieux valorisée.

La psychiatrie est le parent pauvre de la médecine : deux ans d'attente pour un rendez-vous dans un CMPP, comme à Gauchy, dans mon département. Il faut aussi promouvoir de nouveaux métiers, notamment les infirmiers en pratique avancée (IPA) spécialisés en santé mentale et psychiatrie. Soutenons l'« aller-vers » pour mieux sensibiliser et orienter les jeunes et encourageons une approche de jeune à jeune. La médecine universitaire doit ne pas être oubliée.

En prévenant mieux leurs troubles de santé mentale, nous aiderons nos jeunes à mieux grandir. Nous voterons donc cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que du RDSE)

Mme Marie-Do Aeschlimann .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dans la France de 2023, la psychiatrie est anxieuse, troublée et déprimée. Le secteur est le moins prisé des étudiants en médecine. D'où une insuffisante prise en charge.

Faire de la santé mentale des jeunes une grande cause nationale est légitime, mais insuffisant.

C'est pendant l'enfance et l'adolescence que se joue la dramaturgie de la vie psychique de l'adulte. Une intervention précoce est donc nécessaire.

Depuis 2020, la santé mentale des jeunes se dégrade. Le rapport du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge alerte sur l'augmentation de la consommation de psychotropes par les jeunes.

En Île-de-France, 78 % des jeunes du territoire souffrent de troubles dépressifs modérés ou sévères et 25 % ont déjà eu des pensées suicidaires. Les causes en sont nombreuses : délitement de la sphère familiale, emprise des réseaux sociaux, violences croissantes, harcèlement, stigmatisation des maladies mentales mise en évidence par Marie Melchior...

Il est plus que temps d'agir. Il faut mieux former les professionnels et renforcer la prévention, en particulier au cours des 1 000 premiers jours de la vie de l'enfant. Il faut recruter des médecins, des infirmiers, des assistantes sociales et des AESH en nombre suffisant dans les écoles.

L'offre de soins médicaux et psychiatriques dans les CMPP doit être renforcée. Il faut responsabiliser les parents sur les réseaux sociaux, renforcer la fonction parentale et aider les familles. Mettons en place aussi des équipes d'intervention à domicile pour soutenir les jeunes mères.

Ériger la santé mentale en grande cause nationale est bienvenu, mais, faute d'un ministère de la famille de plein exercice, nous risquons de ne pas nous attaquer aux causes des difficultés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE)

Mme Béatrice Gosselin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La pandémie a affecté la santé mentale de nombreux jeunes et adolescents. Les 18-24 ans sont les plus touchés : 20 % étaient dépressifs en 2021, contre 12 % en 2017. Leur équilibre psychologique se dégrade, mais les tabous demeurent.

Santé publique France a renforcé la surveillance pour libérer la parole. Nous devons sensibiliser les jeunes aux comportements bénéfiques à la santé mentale. Le coût d'une consultation, la difficulté à se confier et la peur que l'entourage ne soit au courant expliquent le renoncement aux soins.

La liste réduite de 11 000 psychologues n'a permis d'accompagner que peu d'étudiants. L'offre de soins et d'accompagnement en santé mentale des plus jeunes pose problème. Or les enjeux sont cruciaux : émotion, rapport au langage et au corps, liens familiaux et sociaux...

La consommation d'antidépresseurs par les enfants et adolescents a augmenté de 62 % ; celle des hypnotiques et sédatifs, de 155 %.

On observe un effet ciseaux : baisse de l'offre de soins et augmentation de la demande. Faute de spécialistes, l'enfant en souffrance psychique consulte souvent un généraliste.

La Cour des comptes appelle à améliorer l'offre de soins psychiques pour les enfants. Certes, le précédent ministre de la santé a publié une feuille de route sur la santé mentale, mais sans objectifs ni calendrier clairs. Il est indispensable de mieux structurer et planifier cette politique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités .  - La psychiatrie relève de l'intime et de l'écoute. Elle nous renvoie à la fois au temps long et aux réponses concrètes à apporter dans l'urgence.

La santé mentale des plus jeunes sera une priorité du Gouvernement, conformément au souhait du Président de la République.

Voilà quelques jours, j'accompagnais le Premier ministre au CHU de Dijon : dans des services de pédiatrie et psychiatrie, nous avons échangé avec les professionnels sur les réponses à apporter à la diversité des situations, du jeune qui a besoin de décompenser quelques heures aux cas nécessitant une prise en charge lourde.

Les causes des troubles sont nombreuses : covid, réseaux sociaux, harcèlement, isolement, violences en tout genre, addiction aux écrans... La santé mentale des jeunes est un enjeu sociétal majeur.

Vous avez tous rappelé les chiffres et insisté sur le manque de maisons des adolescents, de soignants, de professeurs des universités - praticiens hospitaliers (PU-PH), d'internes, d'IPA et de CMPP. De fait, l'offre de soins reste insuffisante.

La feuille de route en santé mentale, lancée par Agnès Buzyn, a ouvert la voie. Les engagements pris lors des assises de la santé mentale et de la psychiatrie s'étendent jusqu'en 2026. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 apporte de nouvelles réponses, ainsi que des moyens.

Mais nous devons aller plus loin, notamment en mettant en place une politique de prévention ambitieuse. Mmes Darcos, Souyris et Delattre m'ont interpellée sur le milieu scolaire. Des enfants de 3 ans ont parfois déjà une addiction aux écrans...

Je travaillerai avec la ministre de l'éducation nationale sur l'évolution de la médecine scolaire. C'est notre premier outil de prévention, qui permet de toucher l'ensemble des élèves, mais aussi d'avoir un contact avec leurs parents. MonParcoursPsy est une première réponse pour les étudiants, avec huit consultations.

Plus largement, nous devons renforcer l'attractivité de ces métiers. À quoi bon un numerus apertus si les étudiants ne choisissent pas la psychiatrie ? Le nombre de PU-PH en psychiatrie a été augmenté, mais il n'y en a pas partout sur le territoire. Nous devons adapter nos outils, comme les projets territoriaux de santé.

Grâce au Ségur de la santé, nous augmentons le paiement des gardes le week-end.

Vous déplorez l'absence d'un ministre de la famille, mais on critique souvent les gouvernements pléthoriques... Je m'engage à ce que la santé soit le pivot de mon ministère, des 1 000 premiers jours aux tout derniers jours, en incluant le handicap, le vieillissement ou la santé au travail. Ma feuille de route prendra en compte des éléments adaptés aux bassins de vie, notamment en outre-mer.

Il faut travailler avec tous les acteurs publics et privés, le médico-social et les éducateurs, les familles et les aidants. Nous pouvons commencer par un CNR tout en nous appuyant sur les travaux existants, comme ceux de la Fédération hospitalière de France. Mais il faut aboutir à des actions concrètes, dans l'écoute et le dialogue.

Je remercie Mme Delattre et émets un avis de sagesse sur sa proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et du groupe Les Républicains)

Mme la présidente. - Sagesse bienveillante ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. - Très bienveillante !

À la demande du RDSE, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°111 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 339
Pour l'adoption 339
Contre     0

La proposition de résolution est adoptée.

(Applaudissements)

La séance est suspendue à 19 h 15.

Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président

La séance reprend à 21 heures.

Violences associées au football, dans et hors des stades

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les violences associées au football dans et hors des stades, à la demande du groupe UC.

M. Pierre-Antoine Levi, pour le groupe UC .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Je me réjouis de l'inscription de ce débat à notre ordre du jour, sur l'initiative du groupe UC, d'autant qu'il coïncide avec l'officialisation du sport dans le nom de notre commission.

En tant que parlementaire mais aussi et surtout que citoyen passionné par le football, je suis alarmé de la recrudescence de la violence dans nos stades - parfois meurtrière, comme à Nantes en décembre dernier. Ces actes menacent la sécurité de nos concitoyens et ternissent l'image du sport.

Des événements dramatiques ont choqué, comme l'attaque du bus de l'Olympique Lyonnais à Marseille et la blessure de l'entraîneur Fabio Grosso. Des incidents similaires se sont produits à Nice, Saint-Étienne, Paris, Montpellier, Ajaccio. Ce ne sont pas des débordements isolés, mais le symptôme d'un mal profond qui ronge notre football.

Le Gouvernement doit prendre des mesures immédiates et efficaces. La seule interdiction des déplacements des supporters lors des matchs à risque n'est pas la solution. Il faut une meilleure collaboration entre les acteurs - clubs, forces de l'ordre, autorités locales -, qui doivent cesser de se renvoyer le ballon... (Sourires) Rappelons-nous l'imbroglio entre la préfecture et la Ligue de football professionnel (LFP) lors de l'arrêt du match OM-OL.

Vous avez réuni l'instance nationale du supportérisme il y a quelques semaines, mais pour quel résultat ?

Je ne veux pas stigmatiser les clubs de supporters, qui jouent un rôle très positif dans l'animation des stades, dans la vie des clubs, et parfois dans l'action sociale auprès des jeunes. Ils sont l'âme du football, des partenaires clés contre la violence.

Pour transformer radicalement la culture du football français, nous devons promouvoir un environnement sportif sûr et respectueux, ce qui suppose des initiatives éducatives fortes, des programmes de sensibilisation ciblés et des sanctions plus sévères.

Agissez avec fermeté et sans langue de bois. Le football, source de joie et de fierté nationale, doit rester un sport populaire, social et fédérateur. À Marseille, Saint-Étienne, Sochaux, les matchs sont des moments de communion, mais aussi de défoulement canalisé. S'il ne faut pas tolérer les insultes sexistes ou racistes, il ne faut pas non plus se résigner à des stades aseptisés, à l'ambiance fade et à l'accès limité par des barrières financières.

J'espère que de nos débats émergeront de nouvelles solutions, pour que le football français reste un symbole de fraternité, de passion et de paix. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Didier Rambaud applaudit également.)

M. Claude Kern, pour le groupe UC .  - Ultras, hooligans, supporters, autant de vocables désignant des personnes vivant leur passion de manière différente. Ce type de violence a toujours existé. Mais la délocalisation des actions violentes entache la capacité de notre pays à organiser de grandes manifestations, au moment où des millions de visiteurs vont assister en France à ces compétitions.

Depuis les années quatre-vingt-dix, nous disposons d'un cadre légal étoffé, qui combine approches répressive, avec des infractions pénales spécifiques, et préventive, avec la reconnaissance des supporters comme acteurs responsables.

Or les violences s'accroissent de manière inédite, au point que vous avez proposé un moratoire sur les déplacements de supporters en cas de risque réel et sérieux. Des mesures concrètes vont-elles être mises en oeuvre sans délai ? Il faut une ligne claire, afin de sortir de l'impasse des interdictions de déplacement, plus faciles mais moins efficaces que leur encadrement.

La multiplication des arrêtés est contreproductive. Quelle est votre position sur ce sujet ? Quid de l'individualisation des peines ? La France s'est focalisée sur les interdictions collectives, moins sur les interdictions individuelles : on ne compte que 218 personnes interdites de stade, contre 1 600 en Angleterre et 1 300 en Allemagne.

Côté organisationnel, il faut que les pouvoirs publics puissent encadrer les foules. Ne négligeons pas l'impact des réseaux sociaux.

Lors de l'examen de la loi sur les jeux Olympiques et Paralympiques (JOP), dont j'étais rapporteur, nous avons tenu à renforcer le caractère dissuasif des dispositions visant à lutter contre les violences, tout en respectant le principe de proportionnalité des peines.

Nous avons fait suite à la recommandation n°1 du rapport des présidents Buffet et Lafon de juillet d'imposer une billetterie infalsifiable pour les grands événements sportifs. Madame la ministre, merci pour votre écoute, qui a abouti à la pérennisation de cette expérimentation.

Nous proposions également de sanctionner plus sévèrement les primo-délinquants isolés qui tentent de s'introduire dans les stades. Mais le sujet ne fait pas consensus. Je le regrette, face à l'augmentation des violences dans le sport au sens large. Ne baissons pas la garde, à quelques mois des JOP. Nous voulons des résultats plus probants et que l'État puisse identifier, interpeller et sanctionner. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse, des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques .  - Merci, monsieur le président de la commission de l'éducation, de la culture, de la communication et du sport, pour ce changement de nom. Je remercie le groupe UC de cette initiative sur un sujet majeur. Je me suis engagée à ne rien éluder des enjeux et à rassembler les acteurs autour d'une cause commune : faire vivre la passion du supportérisme en nous appuyant sur un dialogue franc et permanent, lutter inlassablement contre toutes les dérives.

Il était important pour moi de débattre sans ambages de ce sujet, pour que le sport nous offre ce qu'il a de plus beau en 2024.

On le sait, les derniers mois de 2023 ont été marqués par des incidents aussi graves qu'intolérables. Football professionnel et amateur sont touchés. Les violences s'exercent désormais aussi hors des stades. Le 2 décembre, un supporter est mort à Nantes, dans des circonstances sur lesquelles la justice doit encore faire toute la lumière.

Pour autant, gare à ne pas caricaturer le football ou ses supporters. Nous ne devons pas faire d'amalgame entre le supportérisme, y compris la mouvance ultra, et les violences d'une minorité de délinquants qui trouvent dans le sport un prétexte pour se défouler. La haine des autres n'est pas l'amour du maillot.

Cette violence n'est pas propre qu'à la France. Plusieurs pays européens sont touchés, comme les Pays-Bas, l'Italie ou l'Allemagne.

Enfin, il faut prendre du recul et rappeler les progrès sur le temps long : il y a trente ans, chaque week-end était le théâtre de graves incidents. Ramenons ces violences aux 12,9 millions de spectateurs...

Pour ne pas caricaturer, il faut d'abord comprendre, pour ne pas céder au fatalisme, et donc à l'inaction. Il faut dresser un diagnostic précis. C'est ce que nous faisons au sein de l'Instance nationale du supportérisme (INS), depuis 2016, malgré l'impact du covid. Mais nous avons rebondi et relancé les travaux dès l'été 2022. À l'automne dernier, nous avons organisé la Coupe du monde de rugby, troisième plus grande compétition sportive au monde.

M. Philippe Folliot.  - Très bien !

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - J'ai remis tous les acteurs autour de la table : État, fédération, Ligue, clubs, groupes de supporters, élus, lors de la séance plénière de l'INS du 18 décembre.

Nous voulons une démarche globale et collective, phasée. Nous l'annoncerons prochainement avec Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti, devant les acteurs concernés. Certains arbitrages de ce plan d'action sont encore en cours, mais je reviendrai sur les grands axes.

D'abord, nous appuyer sur les dispositifs juridiques existants, renforcés par la loi du 19 mai 2023 : encadrement des interdictions administratives de stade, interdiction judiciaire systématique pour un certain nombre d'infractions, création de deux infractions nouvelles, dont le délit d'intrusion sur le terrain, après les incidents au Stade de France en 2022. Suivant la recommandation de l'excellent rapport sénatorial, nous imposons une billetterie nominative infalsifiable pour les événements les plus importants.

Ensuite, repréciser le rôle et les compétences de chaque acteur afin de mieux préparer chaque rencontre. Enfin, mobiliser tous les acteurs pour éviter les trous dans la raquette ou les passagers clandestins. On ne peut se contenter de critiquer, il faut prendre part à l'effort collectif.

Nous devons embarquer le sport professionnel sans négliger le sport amateur, et associer les associations de supporters en leur donnant une vraie représentation nationale.

Le sport est un espace où la violence ne saurait avoir sa place - ni dans les stades, ni dans les tribunes, ni dans les vestiaires. Je combattrai ces violences pied à pied. L'hydre repousse sans cesse -  mais à la fin de l'histoire, l'hydre est vaincue. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE et sur quelques travées du groupe UC ; M. Jean-Jacques Lozach applaudit également.)

M. Pierre Jean Rochette .  - Bagarres, envahissements, caillassages... Autant d'exemples de violences que nous ne voulons plus voir. Nous devons envoyer un message de fermeté. Chacun doit pouvoir se rendre à un match en famille. Il faut éradiquer ce climat de violence. Néanmoins, Stéphanois, je refuse le durcissement des règles au détriment des festivités.

M. Philippe Folliot et M. Stéphane Piednoir.  - Allez les Verts !

M. Pierre Jean Rochette.  - Les supporters sont le douzième homme, ils soutiennent bruyamment leur club. C'est aussi cela, les valeurs du sport ! Interdire les fumigènes n'est pas une bonne solution, pas plus que de sanctionner les clubs pour leur utilisation : ils font partie du spectacle. Grâce aux Magic Fans et aux Green Angels, le spectacle n'est pas que sur la pelouse ! Le mythe d'un club tient aussi à son public - à Saint-Étienne, le meilleur public de France !

Mme Cécile Cukierman.  - Cela ne se discute pas !

M. Pierre Jean Rochette.  - Madame la ministre, nous vous attendons pour un match de foot chez nous - vous n'êtes venue que pour le rugby. (Sourires) Quand le club traverse une mauvaise passe, seuls les ultras restent fidèles. Laissons-les exprimer librement leur attachement à leur identité locale. C'est aussi cela, le piment du sport.

Madame la ministre, quelle est la feuille de route de votre ministère pour empêcher ces violences et débordements intolérables sans nuire à l'esprit festif et sportif du football ?

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Vous qui venez de ce territoire de passion, de ce chaudron d'ambiance où le football se vit à plein, vous savez combien il ne faut pas faire d'amalgame entre un supportérisme exacerbé et des violences que rien ne justifie. Les auteurs de violences n'ont rien de supporters et profitent des matchs uniquement pour exprimer leur haine : les agressions physiques, les injures homophobes ou les cris de singe n'ont rien de sportif.

Nous agissons pour donner une place au supportérisme dans le respect des lois de la République. Nous avons construit cette réponse dans le cadre d'un dialogue avec les associations de supporters au sein de l'INS, et pris plusieurs initiatives concrètes : tribunes debout, référents supporters, policiers référents supporters visiteurs, usage encadré de la pyrotechnie. Avec Gérald Darmanin, nous avons publié un décret et demandé aux préfets de s'emparer du sujet dans une instruction d'octobre 2023.

Nous voulons un supportérisme total, y compris pendant les JOP, mais aussi respectueux des autres et des valeurs du sport.

M. Jean Hingray .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je vous parlerai de mon département des Vosges, que vous pourrez retrouver le 3 février à 18 heures dans un reportage sur Public Sénat, France 3 et Canal+. Y sont évoqués les clubs de Moriville, Nomexy, Épinal et Mirecourt. Bruno Herbst, président du District, y pose quelques questions simples.

Que comptez-vous faire pour sauvegarder les attributions des droits télévisuels, cruciaux pour nos clubs amateurs ? Pour former les dirigeants et bénévoles des clubs amateurs ? Comptez-vous imposer aux clubs de signer des chartes éthiques, sur le respect de la laïcité ? Rendre ces chartes obligatoires ? Allez-vous faire un spot publicitaire avec des joueurs professionnels contre les violences dans le football, comme en 2014 contre le racisme ?

Vous nous retrouverez lors des assises du football.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Merci pour votre implication sur ce sujet. Je souscris à ce que vous dites. La valeur de notre championnat dépend des valeurs des supporters.

La manière dont nous préparons les rencontres de football en préfecture avec les directeurs sûreté et sécurité des clubs, les référents supporters et les policiers référents supporters visiteurs, est cruciale. Quand nous dialoguons, que nous anticipons, nous trouvons presque toujours des solutions pour encadrer les déplacements de supporters plutôt que de les interdire, ce qui est bien plus constructif.

Nous nous appuyons aussi sur la division nationale de la lutte contre le hooliganisme (DNLH) pour identifier les matchs à risque. Nous tenons aussi compte du risque associé à la consommation de stupéfiants.

La formation des stadiers est parfois insuffisante pour faire face aux débordements en tribune. Nous y travaillons avec la LFP.

M. Thomas Dossus .  - Merci au groupe UC pour ce débat. Le début de la saison de Ligue 1 a été émaillé de nombreuses violences : caillassage du bus de l'OL, rixe mortelle à Nantes, actes racistes de supporters lyonnais... Nul ne peut minimiser la gravité de la situation. Il n'y a pas de football populaire sans supporters, mais le football surmobilise la police chaque week-end et cette approche sécuritaire est insuffisante. En outre, les contentieux sur les interdictions préfectorales sont source de désordres pour les supporters eux-mêmes.

À moyen terme, la solution passera par le renforcement du dialogue et de la confiance. Le 18 décembre, vous avez réactivé l'INS, qu'il serait peut-être judicieux de décliner localement ; envisagez-vous des instances locales au plus près des territoires ?

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Je partage votre idéal que les déplacements de supporters puissent avoir lieu le plus souvent possible : l'interdiction est toujours une défaite pour le sport - il faut n'y recourir qu'en dernière hypothèse. Elle est parfois nécessaire, pour des raisons structurelles ou conjoncturelles établies par la DNLH. En Ligue 1, la moitié des rencontres a été classée à risque. Des violences ont eu lieu, en dépit des mesures d'encadrement.

La démarche collective locale a pour lieu naturel les préfectures ; c'est très attendu par les supporters. La période de moratoire en décembre ne doit pas nous empêcher de reprendre ces démarches le plus vite possible.

M. Gérard Lahellec .  - Bien subtil est l'exercice de conciliation entre attractivité populaire et besoin légitime de sécurité. Nous pourrions être tentés de légiférer pour renforcer les sanctions ou de jouer sur le prix des places pour modifier la sociologie des supporters comme le font les Anglo-Saxons. Mais le football doit rester un sport populaire.

Ayant le privilège de côtoyer le Kop rouge de « En avant Guingamp ! », je sais pourquoi notre commune de 7 800 habitants dispose d'un stade de 17 000 places. Petit club, mais deux fois champion de France ! Le Kop rouge, c'est « l'âme du stade ».

Les associations de supporters jouent un rôle stabilisateur fondamental. Madame la ministre, pouvez-vous nous assurer que les mesures contre les violences préserveront le caractère populaire du football français ?

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Je suis comme vous attachée à un football populaire, qui rassemble une ville, un territoire, un pays autour des valeurs de solidarité et de respect.

Pour cela, le foot doit être un modèle, notamment pour notre jeunesse, avec 2,2 millions de licenciés dans 13 000 clubs amateurs. Optimiste, je crois qu'il y a un chemin pour conjuguer une ambiance totale et un public familial. Il faut qu'un papa, une maman, n'ait plus peur d'emmener son enfant au stade.

M. Ahmed Laouedj .  - La violence dans le sport est présente à tous les niveaux ; elle prend des formes diverses - insultes, violences physiques, harcèlement ; elle peut venir des spectateurs comme des coéquipiers, des entraîneurs, des officiels ; elle a lieu sur le terrain, dans les vestiaires ou en dehors du stade. Cette violence dénature le sport. Imitations de singe et saluts nazis ont ainsi été observés dans les gradins... Bordeaux a dénoncé des insultes racistes contre son gardien lors d'un match contre Bastia.

Des mesures ont été prises, mais elles sont insuffisantes. Certains experts considèrent que des sanctions plus fortes doivent être prises. Qu'en pensez-vous ?

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Vous avez parfaitement raison, il n'y a aucune place pour la violence ou les discriminations dans le sport, pas plus que dans toute notre société. Tolérance zéro ! Il faut une formation de tous les acteurs, à commencer par les éducateurs sportifs. J'ai souhaité que 100 % d'entre eux soient formés.

Les sanctions disciplinaires ou pénales doivent être renforcées, avec la participation des clubs. La peine complémentaire d'interdiction judiciaire de stade (IJS), créée par la loi du 19 mai 2023, doit être appliquée en cas de comportements racistes ou homophobes. Le parquet de Marseille a requis trois mois de prison ferme et trois ans d'interdiction de stade pour des cris de singes de prétendus supporters lyonnais.

Avec le garde des sceaux, nous sommes mobilisés pour apporter une réponse pénale ferme aux actes racistes et anti-LGBT+.

M. Didier Rambaud .  - Le sport permet de transmettre des valeurs, mais il y a fort à faire en matière de respect dans le football. À l'ère des réseaux sociaux, on pourrait se dire que la violence dans le football est plus visible, mais elle connaît une véritable recrudescence. La DNLH observe ce phénomène et l'étudie, dessinant une tendance alarmante : hausse globale de 15 % des violences sur la saison 2022-2023 - pyrotechnie, attaque de bus, mort d'un supporter nantais... Cette gangrène impacte le foot amateur, et même les petits clubs en milieu rural !

Vous avez relancé l'INS en 2022, madame la ministre. Quelles sont ses perspectives de travail ?

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Effectivement, nous avons relancé cette instance, créée en 2016. Encadrement de la pyrotechnie, policiers référents, expérimentation des tribunes debout : nous avons avancé. Nous avons préparé une initiative globale autour de la préparation des déplacements et de l'individualisation des sanctions. Nous travaillons également à l'effectivité des interdictions - la loi nous autorise à aller jusqu'à cinq ans, c'est huit ans en Allemagne, dix ans au Royaume-Uni.

Nous avons voulu améliorer certaines modalités des interdictions administratives de stade (IAS), en matière de pointage et d'articulation avec les IJS.

Nous ferons plein usage de ce que les textes nous autorisent à faire.

M. Jean-Jacques Lozach .  - Les exactions commises dans le football professionnel ou amateur ne sont pas des moyens d'action ou d'expression acceptables. Ces actes doivent être combattus, pour des tribunes pacifiées.

Mais depuis quarante ans prévaut une politique répressive, de restriction des libertés et d'application du principe de précaution. Nos politiques sportives doivent évoluer vers une approche plus partenariale. Le dialogue au sein de l'INS doit s'intensifier et les supporters doivent devenir des acteurs incontournables du football. Ils ont vocation à siéger au sein des conseils d'administration des clubs, avec comme contrepartie la diminution de la radicalité et de la violence.

Des actions de prévention pédagogique et sociale sont-elles suffisamment mises en oeuvre ? Doit-on assouplir le droit ? Les travaux d'intérêt collectif pour les supporters déviants pourraient être une alternative aux sanctions pénales. Comment clarifier le rôle des associations de supporters ?

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Vous apportez toutes les réponses dans vos questions. (Mme Laurence Harribey s'en amuse.)

Nous ne devons avoir qu'un seul but : faire émerger une réponse française à la violence. Notre réponse ne sera pas celle des Grecs ou des Turcs, ni même des Anglais, même si nous avons beaucoup à apprendre d'eux - un déplacement est programmé avec le garde des sceaux.

Merci pour vos propositions, que je fais miennes.

M. François Bonhomme .  - En 2022-2023, les interpellations ont augmenté de 15 % ; les pouvoirs publics et les organisateurs ont du mal à faire face. L'utilisation de matériels pyrotechniques - interdits et dangereux pour le public comme pour les joueurs - est souvent en cause. Si les sanctions peuvent être dures pour les clubs, ne devrions-nous pas renforcer celles contre les personnes qui les utilisent ? Comment se fait-il que des pétards de stade puissent être commandés en quelques clics sur internet ? Ne devrions-nous pas interdire leur commercialisation ?

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - En application de la loi du 2 mars 2022, nous avons créé un régime expérimental autorisant la pyrotechnie. Mais il est contourné, avec une augmentation de l'usage illégal de la pyrotechnie. J'ai interpellé les supporters à ce sujet en leur demandant d'évoluer.

M. François Bonhomme.  - Cela ne suffira probablement pas. Combien y a-t-il eu de condamnations dans et autour des stades ? La Belgique a renforcé son arsenal. Assez de pleurnicheries et de lamentations, passons aux sanctions !

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Il y a une progression de 15 % des interpellations, mais aussi des IAS, qui sont passées de 63 à 148, et une légère contraction des IJS, de 226 à 215. Les interdictions commerciales de stade seront la preuve que les clubs eux-mêmes prennent la responsabilité d'écarter ces supporters déviants.

M. Pierre-Antoine Levi .  - Quelle est l'efficacité de mesures telles que l'interdiction de déplacement des supporters ? Les incidents violents continuent de se produire. Constituent-elles une solution ou un pansement sur une plaie plus profonde ?

Le président du Stade Lavallois...

M. Stéphane Piednoir.  - Excellent club !

M. Pierre-Antoine Levi.  - ... appelle à disperser les supporters dans les stades plutôt qu'à les parquer. Qu'en pensez-vous ?

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Dans les derniers mois de 2023, nous avons connu un enchaînement d'incidents particulièrement graves. Il fallait donc taper du poing sur la table.

Nous avons décidé de durcir les interdictions de déplacement de supporters. Au global, cela nous a conduits, pour les matchs les plus à risque, à interdire moins de 50 % des matchs de Ligue 1, un match de Ligue 2, 3 matchs sur 46 de la Coupe de France, et un match européen, le Lens-Séville. Certes, notre décision n'a pas été entièrement validée par le juge, mais je préfère la casse juridique à la casse humaine. Le message est passé et le dialogue a été relancé.

Ce moratoire a pris fin ; nous ne souhaitons pas maintenir la fermeture des parcages, sauf pour les matchs particulièrement à risque.

M. Pierre-Antoine Levi.  - Vous n'avez pas répondu sur la proposition du président du Stade Lavallois.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Le problème, c'est que les supporters aiment bien être ensemble.

Une voix à droite.  - Surtout les Marseillais et les Parisiens !

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Nous allons mettre cette proposition à l'étude et je reviendrai vers vous.

Mme Laurence Harribey .  - Madame la ministre, vous parlez d'un électrochoc à propos de la mort d'un supporter nantais. Vous l'aviez bien dit à l'INS le 18 décembre, où je représente le Sénat. Je peux témoigner de la gravité de tous les propos.

Vous avez multiplié les interdictions de déplacements, parfois de façon limite dans le temps, ce qui a perturbé les clubs et les associations de supporters. Le Conseil d'État a désavoué votre approche punitive collective, qui met en difficulté les acteurs. Une approche individuelle ne serait-elle pas plus appropriée ?

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Merci pour votre précieuse implication au sein de l'INS. Nous avons progressé dans la manière dont ce moratoire s'est déroulé - je pense au Brest-Montpellier. Mais rien ne vaut le traitement en amont des risques.

Ces mesures d'interdiction doivent demeurer dans notre arsenal, même s'il faut n'y recourir qu'en dernière intention.

À l'avenir, nous travaillerons avec la DNLH pour bien réguler les choses, comme l'implication plus forte des directeurs de la sûreté et de la sécurité en préfecture avec les référents-supporters visiteurs.

Je partage comme vous la nécessité d'individualiser le plus possible les sanctions.

Mme Laurence Harribey.  - Les interdictions doivent devenir l'exception et non la règle. Notre groupe organisera un colloque en mars sur le supportérisme pour proposer des solutions comme le renfort du rôle des groupes de supporters, le déplacement des supporters en train comme en Allemagne, ou l'accélération du temps disciplinaire pour généraliser les interdictions commerciales. Nous serons à vos côtés pour faire progresser la situation.

M. Jean-Raymond Hugonet .  - Avec 4 milliards de fans dans le monde dont 12 millions dans notre pays, le football est de loin le sport le plus populaire. Un stade de 80 000 places est un échantillon extrêmement représentatif de notre société. Il n'est pas étonnant qu'il souffre des mêmes maux.

Ces maux, les gouvernants sont incapables de les enrayer, par lâcheté ou incompétence. Les rapports foisonnent, mais ce qui manque, c'est une vision, du courage et une volonté à la hauteur des enjeux. Plutôt que de chercher honteusement à attirer le siège de la Fifa à coups d'exonérations fiscales, plutôt que d'accuser les supporters de Liverpool des violences aux abords du Stade de France ;...

M. François Bonhomme.  - Merci Darmanin !

M. Jean-Raymond Hugonet.  - ... il serait préférable de méditer ce que disait Albert Camus en 1957, recevant son Prix Nobel : « Ce que je sais de la morale, c'est au football que je le dois. »

Malgré l'individualisme exacerbé et l'argent facile, le football reste un vecteur intergénérationnel de valeurs fondamentales. « Ce n'est pas une question de vie ou de mort, c'est bien plus que cela », disait Bill Shankly, longtemps entraîneur du Liverpool FC. C'est un ciment solide ou une dynamite : comment manier la truelle en écartant le détonateur ?

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Merci de votre interpellation constructive. Je partage plusieurs de vos remarques et j'apprécie votre challenge.

N'oublions pas que le football, c'est 2,2 millions de licenciés et 13 000 clubs. C'est le troisième lieu d'éducation dans notre pays après la famille et l'école.

Les événements violents récents doivent nous inviter à réagir fermement, pour préserver cette dimension éducative.

M. Jean-Raymond Hugonet.  - Je suis à votre disposition pour y travailler. Le football est beaucoup plus important qu'on ne le croit : c'est un symbole pour notre société.

M. Adel Ziane .  - Ce soir, nous sommes entre amoureux du football.

Les violences que nous déplorons ne sont pas une fatalité. Elles révèlent les fractures de notre société. D'autres nations, comme l'Angleterre dans les années soixante-dix et quatre-vingt, ont subi ces violences, ce qui a entraîné la mise au ban des clubs anglais des compétitions européennes.

Les Anglais ont pris le sujet à bras-le-corps, avec des interdictions individuelles d'accès au stade, mais aussi des prix prohibitifs aboutissant à une gentrification des stades.

La France doit trouver une politique cohérente pour éviter les interdictions de déplacement la veille pour le lendemain. N'oublions pas que les violences concernent aussi le football amateur. Les agressions physiques ou verbales y sont nombreuses, sans moyens suffisants pour les combattre. Comment enrayer la spirale de violence dans le monde amateur et rétablir le caractère amical et fair-play des rencontres ?

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Éducateurs et parents, chacun doit être dans son rôle. Un éducateur ne doit pas avoir une emprise totale sur les enfants, ni un parent s'improviser coach sportif, à moins d'en avoir la compétence.

De même, il y a des étapes pour devenir un champion. La jalousie, l'agressivité sont des mauvais accélérateurs de carrière, qui ne prospèrent jamais. Les meilleurs champions sont des coeurs nobles, des personnes éduquées et fortifiées par un entourage qui a su prendre soin d'eux par-dessus tout.

M. Didier Mandelli .  - En application des règlements généraux de la Ligue de football et des fédérations, le club organisateur et le club invité sont soumis aux mêmes règles. Ils sont responsables de leurs supporters. Le moindre incident met en jeu la responsabilité des clubs.

C'est intenable : qui peut prévoir une injure isolée ? Le Conseil d'État, en 2017, poussait à la prise en compte des cas individuels. En pratique, les sanctions contre les clubs sont lourdes et injustifiées, et l'obligation de résultat dédouane la fédération et les ligues de toute responsabilité.

Lors de l'examen de la loi Démocratisation du sport, le Gouvernement s'était déclaré favorable à une obligation de moyens. Est-ce votre position ?

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Nous devons prévenir toutes les formes de dérives.

Le club qui reçoit organise la manifestation sportive. Le règlement disciplinaire implique une obligation de résultat pour la sécurité des rencontres.

Nous en avons beaucoup parlé à l'INS : notre objectif n'est pas de demander in abstracto un durcissement des sanctions disciplinaires de la Ligue, mais qu'elles soient liées aux éventuels manquements du club, peu importe la gravité médiatique des faits.

Il faut une obligation de moyens, et l'obligation de résultat suivra. N'exigeons pas une obligation de résultat déconnectée.

Mme Laurence Harribey.  - Très juste !

M. Didier Mandelli.  - Je souhaite que cette obligation de moyens soit mise en oeuvre. Certains clubs font des efforts, qu'il faut accompagner, d'autres n'en font pas.

M. Michel Savin .  - En France, les trois quarts des arrêtés d'interdiction administrative de stade sont annulés par les tribunaux. L'application de ces arrêtés reste aléatoire. Nous comptons seulement 218 interdits de stade, cinq à six fois moins que l'Angleterre ou l'Allemagne.

Les magistrats manquent de connaissances sur les enjeux auxquels les clubs sont confrontés.

Selon l'article R. 332-2 du code du sport, « le préfet auquel les informations ont été transmises les communique, à l'exclusion du domicile, aux fédérations sportives agréées, associations sportives et sociétés sportives qui sont concernées par la peine complémentaire prononcée. Les fédérations les transmettent sans délai aux ligues professionnelles intéressées. »

Or de nombreux clubs ne reçoivent pas les informations en temps et en heure, les privant d'une possibilité de prendre des mesures.

Ne faut-il pas former spécifiquement les magistrats aux situations auxquelles les clubs sont confrontés ? Et simplifier l'envoi par le préfet du fichier d'interdiction de stade à la Ligue, qui le transmettrait aux clubs ?

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Vous avez raison de mettre le doigt sur l'utilisation par notre système judiciaire des instruments juridiques prévus. Nous travaillons à la constitution d'un réseau de référents magistrats du sport et voulons développer les visites de stades pour les magistrats.

Par ailleurs, les IAS sont mieux proportionnées, et les critères ont été mieux définis. La notion de comportement d'ensemble a été précisée, de même que la menace, qui doit être « grave pour l'ordre public ». La durée maximale a été réduite de 24 à 12 mois, sauf récidive. C'est essentiel pour la crédibilité de notre dispositif.

M. Michel Savin.  - Les présidents de club attendent une réponse claire. Lorsqu'ils déposent des plaintes, il faut que les tribunaux les suivent. Sinon, ils se retrouveront comme les maires aujourd'hui : découragés.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Vous avez raison. Je travaillerai avec le garde des sceaux pour qu'il adresse une instruction en ce sens aux parquets.

M. Francis Szpiner .  - Le plus important, c'est le football amateur, car, si le football professionnel existe, c'est grâce à lui. Or c'est là, loin des caméras, qu'il y a le plus de violences, de propos homophobes.

Chaque club sportif amateur ne devrait-il pas être soumis à une charte de respect des valeurs de la République, interdisant l'homophobie et le racisme - qui ne sont pas des opinions, mais des délits ?

Du banc où je siège, je crois à la responsabilité individuelle. À un certain âge, on doit savoir que les cris de singe sont inacceptables. Il faut prendre le mal à la racine.

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - En effet, l'élimination de la violence dans le football amateur est un enjeu crucial.

Je constate une vraie dynamique au sein de la Fédération française de football (FFF), qui a présenté le 19 octobre un plan avec de nombreux engagements : 100 % des formateurs et 75 % des licenciés seront sensibilisés en trois ans.

Une sanction immédiate doit être prise sur tous les plans avec constitution systématique de la FFF comme partie civile en cas de procédure pénale.

Lors de mes échanges avec la Ligue d'Île-de-France, je sens que cette démarche de charte progresse. Nous devons faire du football un sport protecteur de nos enfants.

M. Francis Szpiner.  - Notre pays souffre d'un déficit général d'autorité. Il faut rétablir l'autorité de l'État, y compris dans le sport.

Quand vous pénalisez collectivement des supporters, c'est une erreur : chacun doit être sanctionné individuellement.

M. Claude Kern.  - Tout à fait !

M. Francis Szpiner.  - Le chiffre de 200 et quelques est ridicule. N'ayez pas peur de réprimer !

Mme Marie Mercier .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Vous êtes aussi ministre de la jeunesse. Lors d'un match à la Beaujoire, un père de famille de 39 ans a voulu protéger son petit garçon de 6 ans qui portait un maillot de l'OM - il a été victime d'un infarctus.

Lors d'un autre match, l'OM avait invité un petit enfant malade : mais il a été agressé avec sa famille, et la fête s'est transformée en cauchemar.

Nos jeunes sont témoins et, de plus en plus, victimes de comportements inadmissibles. Quelle image, quel exemple !

Le foot est un sport olympique : comment, à l'approche des JOP, le Gouvernement peut-il porter une parole forte pour que le sport reste synonyme de courage et de grandeur ?

Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre.  - Je suis particulièrement touchée par votre intervention. La place de nos enfants dans le football, c'est l'ambition ultime. Qu'un papa, une maman ait envie d'emmener ses enfants au stade sera le test de notre réussite.

À Ajaccio, les auteurs ont été interpellés. J'ai pu échanger avec le petit Kenzo et ses parents ; je souhaite qu'il ait envie de revenir dans une enceinte sportive. Ce sera fait au moment des JOP grâce à la billetterie populaire de l'État, qui distribuera 200 000 billets.

Mme Marie Mercier.  - Vous êtes à la tête d'un ministère extraordinaire pour nos enfants. Éduquer, c'est educare, prendre les enfants par la main avec des principes solides pour en faire des femmes et des hommes solides.

M. Laurent Lafon, pour le groupe Union Centriste .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je remercie Pierre-Antoine Levi d'avoir proposé l'organisation de ce débat.

L'ampleur des violences, leur répétition et l'absence de réponse efficace justifient que nous nous emparions du sujet. Je tire de nos débats quatre conclusions.

Alors que la France s'inscrit dans une stratégie d'accueil de grands événements sportifs, nous ne pouvons laisser se multiplier les violences dans les stades et autour. Il serait paradoxal d'investir dans le sport tout en subissant ces actes inacceptables nuisant à l'image du sport et qui sont contraires à ses valeurs.

Même si les autres sports ne sont pas épargnés, il y a un problème spécifique au football. Mais les instances du football n'en ont pas pris la juste mesure et se renvoient le ballon, comme l'a dit M. Levi. Résultat : 70 % des Français ont une mauvaise image des supporters de football.

La violence dans le football n'est pas une fatalité : on le voit avec le football anglais, qui a jugulé le problème du hooliganisme. Nous avons des enseignements à tirer de cette expérience anglaise.

La réponse ne peut venir des seules instances du football. Les pouvoirs publics ont une responsabilité, avec les interdictions de supporters lors des matchs à risque.

Il y a eu des avancées dans le cadre du projet de loi JOP, comme la billetterie infalsifiable et le renforcement des sanctions pour les primo-délinquants.

Des pistes complémentaires peuvent être étudiées. D'abord, il faut renforcer le dialogue avec les associations de supporters, qui se sont structurées. Certes le Conseil national du supportérisme existe, mais il n'a jamais fonctionné de manière satisfaisante, même si vous avez souhaité le réactiver.

Il faut aussi accroître les sanctions individuelles, marginales en France par comparaison avec l'Allemagne et l'Angleterre, mieux préparer en amont les matchs à risque et impliquer la justice pour des sanctions rapides.

Vous nous avez annoncé un plan d'action avec Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti : nous l'attendons avec impatience. J'espère que nos débats alimenteront votre réflexion. (Applaudissements sur de nombreuses travées)

Prochaine séance demain, jeudi 18 janvier 2024, à 10 h 30.

La séance est levée à 22 h 30.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 18 janvier 2024

Séance publique

À 10 h 30 et à 14 h 30

Présidence : M. Dominique Théophile, vice-président, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente

Secrétaires : M. Philippe Tabarot, Mme Véronique Guillotin

1. Questions orales

2Débat sur la mise en application de la loi du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer l'accompagnement des élus locaux, à la demande du groupe CRCE-K.