Financement des entreprises de l'industrie de défense française

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative au financement des entreprises de l'industrie de défense française, présentée par M. Pascal Allizard et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

M. Pascal Allizard, auteur de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Olivier Cigolotti applaudit également.) Je remercie les commissions des finances et des affaires étrangères et leurs rapporteurs pour leurs travaux, qui confirment les conclusions des rapporteurs spéciaux du programme 144. Les amendements adoptés en commission garantissent que le dispositif envisagé ne portera pas atteinte au financement du logement social ou de l'environnement.

À l'époque de la supposée « fin de l'histoire » et de la « mondialisation heureuse », certains États réimposent des relations internationales fondées sur les rapports de force, s'appuyant sur des narratifs nationalistes voire belliqueux. Pour les Européens habitués aux dividendes de la paix, c'est la douche froide, et le retour brutal aux tensions, à la guerre dans leur environnement proche.

Si vis pacem, para bellum : cette devise romaine est celle de l'École de guerre. L'outil militaire et industriel doit être en mesure de faire face à toute menace sur la paix, mais ce n'est pas le cas aujourd'hui dans les pays occidentaux, États-Unis compris. En face, les Russes font ce qu'ils maîtrisent le mieux : une guerre hybride, de saturation et d'attrition.

Notre voisin britannique a désormais les plus grandes difficultés à maintenir les capacités de son armée, alors que les États-Unis pourraient remettre en cause leur soutien à l'Europe après les élections de cet automne.

Vous connaissez la contribution du Sénat à la loi de programmation militaire 2024-2030 et son contrôle scrupuleux sur l'exécution de celle-ci. Mais qui dit économie de guerre et souveraineté, dit nécessité de disposer d'une industrie de défense autonome. La France peut s'enorgueillir d'avoir su conserver un modèle complet d'armée et une base industrielle et technologique de défense (BITD) alliant grands groupes, PME et start-up - 4 000 entreprises. Mais ce secteur, l'un des derniers écosystèmes industriels français, est menacé.

Se pose en effet la question du financement de ces entreprises. L'État a longtemps été dans le déni, utilisant la défense comme variable d'ajustement. Sous la pression des bouleversements géopolitiques et devant le risque de prédation étrangère sur des pépites technologiques, il a mis en place des outils de financement public de la BITD : dispositifs Rapid (régime d'appui à l'innovation dual), Astrid (Accompagnement spécifique des travaux de recherches et d'innovation Défense), Definvest ou le Fonds innovation défense (FID).

Concernant les financements privés, c'est au Sénat, en 2020, que le délégué général pour l'armement (DGA) a finalement admis, du bout des lèvres, une frilosité bancaire vis-à-vis des industriels de la défense. Auditions, rapports du Sénat et de l'Assemblée nationale ont objectivé le phénomène et le Gouvernement suit désormais le sujet.

Les difficultés d'accès aux financements représentent une menace directe pour notre souveraineté. Les refus explicites de financement ou d'ouverture de compte en raison d'une appartenance au secteur de la défense ont été signalés. Les établissements bancaires n'ont pas obligation de motiver leur refus, et des entreprises refusent de communiquer, pour ne pas divulguer d'informations. Des groupes bancaires ont exclu de soutenir les entreprises du secteur de la défense, ou le commerce d'armes « controversées », notion fourre-tout utilisée par des ONG. La Banque européenne d'investissement (BEI) a également exclu les munitions, armes et équipements militaires de son champ de financement, sans base textuelle.

Les difficultés se concentrent sur les PME et ETI, plus fragiles, qui manquent de fonds propres et d'experts export ou compliance, notamment les pure players défense. À l'aune de la crise sanitaire, les grands groupes ont pris conscience des risques de défaillance de leurs sous-traitants par manque de financements.

Les banques arguent d'un contexte réglementaire complexe. Elles font face à un risque juridique lié à l'application ou à la surinterprétation des règles ESG (environnementales, sociales et de gouvernance) et à un risque réputationnel entretenu par d'agressifs lobbies pour des raisons prétendument éthiques.

Le financement de l'export est particulièrement difficile, même avec une licence d'exportation.

Les travaux parlementaires objectivent le phénomène et appellent l'État à agir pour faire dialoguer ces deux mondes de la finance et de la défense.

Nous avions prévu un dispositif dans la loi de programmation militaire (LPM), qui a été censuré par le Conseil constitutionnel, puis réitéré dans la loi de finances initiale pour 2024 ; là encore, censure. Notre proposition de loi reprend donc ce dispositif déjà voté par le Sénat, à quelques amendements du rapporteur près.

La BITD n'a pas pour finalité de vendre des armes, mais d'assurer l'autonomie stratégique de la France. Il y va de la résilience de la nation dans l'adversité. C'est pourquoi je vous invite à adopter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

M. Dominique de Legge, rapporteur de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nous approuvions il y a quelques mois la LPM, après avoir longuement débattu de la nécessité de soutenir les entreprises de la BITD. Le ministre des armées avait soutenu les dispositions proposées par le Sénat pour mieux financer ces entreprises, qui faisaient suite aux travaux de Pascal Allizard, Gisèle Jourda et Yannick Vaugrenard.

Je salue Pascal Allizard et le président Perrin, également rapporteur pour avis. Nous avons travaillé ensemble pour enrichir le texte. Ils alertent depuis de nombreuses années sur les difficultés des entreprises du secteur. Il semble qu'ils commencent à être entendus.

Le premier problème de ces entreprises est celui de l'accès au crédit. Les acteurs auditionnés se sont accordés à dire que les choses vont mieux qu'il y a deux ans. La direction générale de l'armement a ainsi établi un réseau de référents défense dans les banques.

Pour autant, aller mieux, ce n'est pas aller bien, et certaines entreprises font encore face à la frilosité des banques, qui craignent pour leur image ou imposent des exigences de conformité excessives.

Le second enjeu est l'accompagnement à l'export. Les contrats sont complexes et les banques parfois réticentes. Des outils ont été mis en place et sont gérés par Bpifrance Assurance Export. Le secteur militaire représente 40 % des crédits export garantis, qui s'élevaient à 65 milliards d'euros fin 2022.

Le troisième enjeu porte sur les fonds propres. Le capital investissement est quasiment inexistant dans le secteur de la défense, en France et en Europe. Faute d'un volume d'investissement suffisant, les entreprises de la BITD renoncent à leurs projets ou se tournent vers des financements extra-européens.

Alors qu'aucune réglementation ESG française ou européenne n'exclut la défense, les fonds d'investissement se sont auto-exclus. Le signal envoyé par les institutions européennes est négatif : ainsi le fonds européen d'investissement de la BEI interdit de financer les munitions, les armes, les équipements militaires ou policiers. Si la France a obtenu un mécanisme de fonds propres, celui-ci est réservé aux entreprises dont moins de 50 % du chiffre d'affaires est lié à la défense. Cette attitude est d'autant plus inexplicable que Thierry Breton parle de consacrer 100 milliards d'euros à la défense et que Mme von der Leyen affirme qu'il s'agit de l'enjeu des prochaines années !

La France se heurte également aux réticences de certains partenaires, l'Allemagne notamment. J'espère néanmoins qu'elle continuera son action pour assouplir la doctrine d'intervention de la BEI.

La proposition de loi apporte une réponse en prévoyant de flécher une part des encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire (LDDS), non centralisés auprès de la Caisse des dépôts, vers le financement des entreprises de l'industrie de défense - les fonds affectés au logement social ne sont donc pas concernés.

Ces dispositions ont été votées au Sénat à deux reprises, dans la LPM puis dans la loi de finances pour 2024, et censurées par le Conseil constitutionnel en tant que cavaliers. D'où ce véhicule législatif propre. Je ne doute pas du plein soutien du Gouvernement, sachant qu'il y a deux mois à peine, elles avaient été reprises dans le projet de loi de finances sur lequel il a engagé sa responsabilité.

Nous avons réécrit l'article 1er pour ne pas empiéter sur le financement de la transition écologique et de l'économie sociale et solidaire. Nous avons ensuite précisé les missions de Bpifrance, le contexte géopolitique ayant évolué depuis sa création en 2005.

Nous avons complété le rapport prévu à l'article 2 pour évaluer les besoins de financement de la BITD et envisager de nouveaux outils - garanties et assurances à l'export, outils de renforcement des fonds propres ou encore plan d'épargne dédié. Enfin, au regard de l'importance de la réglementation européenne sur les critères ESG, le Gouvernement devra présenter les actions qu'il mène au niveau de la BEI. 

Je vous invite à voter la proposition de loi, qui envoie un signal politique clair aux acteurs financiers et institutionnels en faveur du soutien à notre industrie de défense. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Claude Raynal applaudit également.)

M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je souhaite la bienvenue aux élèves de la 31e promotion de l'École de guerre, parmi lesquels figurent un Ukrainien, un Américain et un Omanais.

La commission des affaires étrangères et de la défense est favorable à ce texte, qui émane de ses travaux. Nous avions proposé dans la LPM de créer un nouveau livret d'épargne ; en CMP, ce dispositif a pris la forme d'un fléchage d'une partie des encours de l'épargne réglementée. Revenu par amendement au PLF, il avait été retenu dans le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité. Or le Conseil constitutionnel y a vu, par deux fois, un cavalier - quand bien même la LPM comprenait un chapitre consacré à l'économie de guerre. Cela laisse songeur, mais soit...

L'écosystème de financement est faible, car les investisseurs sont timorés. Les entreprises rencontrent des difficultés d'accès au crédit. Cette frilosité bancaire est attestée par la DGA depuis 2020, par les industriels, par deux rapports parlementaires et par la Cour des comptes.

Comment y remédier ? Soit par un produit d'épargne réglementée, soit par un produit spécifique, moins liquide et plus risqué.

La première solution, celle du livret A, a été validée deux fois par le Parlement. C'est la plus à même de répondre au problème de conformité excessive aux critères ESG. Comme l'a souligné le rapporteur de Legge, aucune taxonomie, aucun écolabel ne mentionne la défense. C'est donc à cause d'un halo négatif que le monde de la finance rechigne à y investir. Dans un contexte géopolitique qui se dégrade, cet implicite négatif sape l'effort de redressement de notre outil de défense. Faire de la BITD une priorité dans l'allocation de l'épargne préférée des Français serait un signal fort à l'attention des acteurs de la finance.

S'agissant de l'apport en fonds propres, il faut faire évoluer la doctrine de la BEI afin d'entraîner la communauté des investisseurs.

Ce texte a suscité des craintes injustifiées. Le logement social n'est nullement menacé, puisque les encours visés sont ceux qui ne sont pas centralisés à cette fin à la Caisse des dépôts.

Il n'y a pas davantage de risque de décollecte lié à une hypothétique réticence des épargnants. L'objet du texte est précisément de banaliser l'investissement dans la défense.

L'heure est grave. On nous parle d'économie de guerre : donnons à la BITD les moyens de se développer, faisons de la défense et de la sécurité une priorité. La commission des affaires étrangères et de la défense soutient fermement cette initiative. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation .  - Cette proposition de loi vise à améliorer le financement des entreprises de l'industrie la défense française en fléchant vers elles une partie des encours du livret A et du LDDS. Si nous partageons l'objectif, l'instrument ne semble pas le plus approprié.

Le Gouvernement est très attentif aux besoins de financement du secteur de la défense. Depuis 2020, parlementaires et industriels interpellent sur les difficultés des entreprises de la BITD, en particulier les PME et ETI. Face à ces alertes, l'État s'est mobilisé. En septembre dernier, des référents défense ont été mis en place pour pallier les problèmes d'accès au crédit. La direction générale du Trésor a établi un diagnostic des freins existants. Ses conclusions sont éclairantes. Dans la plupart des cas, les difficultés des entreprises de la BITD pour obtenir un crédit ne sont pas liées à leur appartenance au secteur de la défense, mais à des raisons économiques.

En revanche, ces entreprises ont de vraies difficultés pour accéder au financement en fonds propres - mal chronique de l'économie française. Le capital investissement français est trop peu présent dans le secteur. Les banques suivent les PME qui ont des projets mais les capitaux sont indisponibles. Or pour passer en mode économie de guerre, il faudra plus de capitaux.

Les investisseurs connaissent mal le secteur et surestiment les risques réputationnels liés à cette industrie. Certains font en outre une interprétation extensive des critères ESG, alors qu'aucune réglementation n'exclut le secteur de la défense. Le Gouvernement y est vigilant, et a notamment obtenu que les matériels de guerre soumis au contrôle export ne soient pas soumis à la directive Devoir de vigilance.

Flécher les encours du livret A ou du LDDS ne réglerait pas le problème, ces dépôts, disponibles à tout moment, ne pouvant être immobilisés dans des investissements en fonds propres.

En outre, le bilan des banques est fongible : elles ne peuvent pas affecter directement un dépôt à un usage spécifique. Le secteur de la défense est très spécifique, il faut donc des dispositifs sur mesure.

Toutefois, le Gouvernement approuve votre volonté d'envoyer un signal fort sur les besoins de financement des PME de la défense, et le rapport prévu à l'article 2 est légitime.

En revanche, l'article 1er ne nous semble pas permettre de mieux financer les PME de la BITD, et menacerait l'équilibre de l'épargne réglementée. C'est pourquoi le Gouvernement adoptera une position de sagesse sur ce texte et espère qu'un travail collaboratif au cours de l'année permettra de l'améliorer.

Le ministre de l'économie réunira à l'été, avec le ministre des armées, les acteurs, les investisseurs et les industriels pour un événement majeur sur le financement du secteur de la défense. Il s'agira de lever les préventions des gestionnaires de fonds et de lancer un forum permanent entre acteurs financiers et industriels de la défense. La Caisse des dépôts et Bpifrance auront un rôle à jouer.

Nous poursuivrons aussi l'action entreprise depuis 2017 à la BEI pour qu'elle finance davantage l'effort de souveraineté européen. Le fonds exceptionnel d'investissement (FEI), bras armé de la BEI, a ainsi lancé un mécanisme de fonds propres doté de 175 millions d'euros, même s'il demeure limité. Il faudra faire évoluer la politique de prêts de la BEI, ce qui exige un consensus des États actionnaires. L'arrivée d'une nouvelle présidente sera l'occasion de demander l'assouplissement des critères.

Enfin, le Gouvernement entend mener une revue des dispositifs publics existants pour canaliser les investissements vers ce secteur.

Soyez assurés que, d'ici à l'été, nous aurons engagé ces travaux. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Thomas Dossus .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Ce texte n'est pas nouveau, mais sa genèse en dit long sur les intentions de ses auteurs. Introduit d'abord dans la LPM puis dans le PLF, il a été retoqué par deux fois comme cavalier législatif. Cela révèle une volonté de passer en douce, par effraction, pour faire main basse sur l'épargne populaire des Français.

Nous assistons bien à une tentative de flibusterie sur l'épargne réglementée. Vous voulez financer les marchands de canons avec les livrets censés financer le logement social et le développement durable !

L'industrie de la défense est-elle au bord du gouffre ? La LPM prévoit un effort sans précédent de 413 milliards d'euros pour les armées. L'État a aussi des participations dans la BITD, de même que Bpifrance et la Caisse des dépôts. Il existe de nombreux fonds d'investissement, publics et privés, ainsi que des fonds dédiés comme Rapid, Astrid ou le FID. Notons enfin la création de l'Agence de l'innovation de défense (AID). Le résultat ? Un résultat inégalé à l'export, de 27 milliards d'euros en 2022 !

Le secteur de la défense, privatisé et financiarisé, demeure biberonné par la commande publique, à travers la DGA.

Malgré ce soutien massif, il subsiste un problème de financement, dans le passage du stade de start-up à celui d'ETI. L'investissement privé fait défaut car la défense ne rentre pas dans les critères ESG. C'est donc avant tout un problème d'image, à régler avec les banques. Pourquoi serait-ce à l'épargne réglementée des Français de compenser les réticences des banques et investisseurs privés ?

On vante les technologies duales, mais si, dans les années 1950, la défense représentait 60 % de l'innovation, aujourd'hui, elle n'en représente que 20 %. Ce sont, à l'inverse, les technologies civiles qui irriguent la défense, avec l'IA par exemple. Arguer d'un besoin vital de soutenir l'innovation défense est faux.

Le livret d'épargne a été créé en 1818, pour la reconstruction après les ravages causés par les guerres napoléoniennes - à l'époque, le boucher de l'Europe était français. Il s'agit historiquement d'un outil financier créé pour la paix.

Mieux vaudrait recentraliser les encours pour soutenir le logement social. Dans le contexte actuel de crise du logement, c'est plus urgent qu'un fléchage vers les marchands de canons !

Plus grave encore est la tentative de détournement du LDDS, le livret de la transition écologique - une arnaque pure et simple, qui joue sur l'ignorance de la population. Nous proposerons au moins de renommer ce livret, pour éviter une tromperie sur la marchandise...

Nous proposerons aussi une clause de revoyure dans deux ans. Les motivations invoquées sont un peu confuses : s'il s'agit de soutenir l'effort de guerre ukrainien, une clause de revoyure s'impose.

Pour nous, l'épargne réglementée ne doit servir qu'à loger les Français et à faire face à la crise climatique ! Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Pascal Savoldelli .  - Dès le 13 juillet 2022, le Président de la République a parlé d'économie de guerre. Les droites, à l'Assemblée nationale et au Sénat, s'efforcent de mobiliser l'épargne des Français dans cette perspective.

Les précédents historiques ne manquent pas : songez aux emprunts patriotiques ou aux bons de la défense nationale par lesquels, avant et pendant la Première Guerre mondiale, les gouvernements ont concédé des avantages considérables aux investisseurs. « Les capitaux ne sortent pas des coffres-forts, mais des plus humbles maisons, des plus petits porte-monnaie, et nous connaissons là nos clients », disait le ministre des finances en 1915 - propos qui ressemble plus à celui d'un marchand de canons...

Le député Christophe Plassard n'a pas dit autre chose, en expliquant qu'une économie de guerre supposait la mobilisation des forces morales de la Nation. Nous, pacifistes, pensons qu'on ne fait pas la paix en investissant dans la guerre. Notre industrie doit être au service de nos besoins de défense et de dissuasion, pas d'une guerre internationale.

Le projet guerrier qui sous-tend la spéculation sur les ventes d'armes nous conduit à être le troisième exportateur d'armes, pour 49,9 milliards d'euros entre 2000 et 2022. Nous proposons de réduire la part du chiffre d'affaires à l'export de nos entreprises de défense à 30 %.

La souveraineté ne se décrète pas ; elle se construit par un projet politique cohérent. C'est pourquoi nous proposons un pôle public de l'armement. Bpifrance doit renforcer ses participations minoritaires et même majoritaires dans les industries de défense. Il n'est pas acceptable que, sur 24 milliards d'euros d'achats du ministère des armées en 2021, seuls 11,74 aient bénéficié à l'industrie -  et pas plus de 538 millions aux PME et microentreprises.

L'argument de la frilosité des banques n'a jamais été démontré, non plus que l'impossibilité de mobiliser les fonds non centralisés pour le financement des industries de défense.

Nous défendons une épargne populaire pour le logement et la politique de la ville, centralisée à la Caisse des dépôts. Les missions d'intérêt général doivent être sorties du secteur marchand. Qui peut dire ce qu'ont financé les 622 milliards d'euros de prêts aux PME sur les encours non centralisés ? Cette opacité est incompatible avec l'intérêt général.

Nous assistons à un concours Lépine du produit d'épargne : plan avenir climat, PER européen, détournement de l'épargne populaire du financement de la transition écologique et de l'économie sociale et solidaire. Ce projet dangereux est fustigé par le gouverneur de la Banque de France lui-même. En responsabilité, nous voterons contre la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

M. Jean-Noël Guérini .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.) Après bien des péripéties, nous débattons à nouveau du financement de l'industrie française de défense.

Lors de l'examen des conclusions de la CMP sur la loi de programmation militaire, j'avais exprimé mes réticences sur le fléchage du livret A, discutable dans un contexte de crise du logement. Je n'ai pas changé d'avis, mais assoupli ma position en signant la proposition de loi de Pascal Allizard, avec pour ligne de conduite la seule promotion d'un lien fort entre la Nation et ses armées. Nietzsche ne disait-il pas : « atteindre son idéal, c'est le dépasser même coupé » ? Plutôt que rien, je préfère un peu - car ce un peu permettra peut-être le mieux, un véritable livret de souveraineté de défense.

Le contexte international a évolué fortement avec le retour de la guerre en Europe ; la paix par le droit n'est plus qu'un voeu pieux. Un relatif consensus s'était établi pour constater que notre outil de défense était adapté à des temps de paix, mais qu'une économie de guerre suppose pour les entreprises de la BITD de disposer de fonds supplémentaires, en complément du réel effort budgétaire.

L'agression russe doit bousculer notre naïveté, aussi légendaire que nos inerties coupables. Il faut des financements pérennes pour rendre crédibles nos positions de fermeté.

J'assume donc d'avoir cosigné cette proposition de loi, car les PME de la BITD connaissent des difficultés d'accès au crédit, liées notamment à l'éthique de la fabrication des armes et à ce que Pierre-Louis Boyer qualifie de piège contemporain de l'efficience morale. Cette vision morale peut se comprendre, mais est-elle soutenable face à la montée des périls ?

François Mitterrand regrettait que les missiles soient à l'est et les pacifistes, à l'ouest. Devons-nous nous contenter d'être des professeurs de morale ?

Donnons à un secteur pourvoyeur d'emplois les moyens d'assurer notre sécurité et aux épargnants français la possibilité de contribuer au combat pour la défense de nos valeurs. L'argent est le nerf de la guerre : les dirigeants cyniques et sans scrupule ne s'y trompent pas.

Le RDSE votera ce texte à l'unanimité, moins une abstention. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; MM. Pierre Jean Rochette, Dominique de Legge, Pascal Allizard et Alain Chatillon applaudissent également.)

M. Ludovic Haye .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Depuis dix ans, la France voit se multiplier les PME et start-up dans le secteur de la défense : la BITD représente 2 000 entreprises et 30 milliards d'euros de chiffre d'affaires. La création de l'Agence de l'innovation défense n'est pas étrangère à l'émergence de ces nouveaux fleurons.

Ces pépites technologiques françaises suscitent un fort intérêt chez les investisseurs étrangers, mais certaines rencontrent des difficultés de financement. L'État peut intervenir pour assurer leur sécurité financière en leur accordant un contrat avec l'armée, comme pour Preligens. D'autres entreprises, toutefois, sont déjà passées sous pavillon étranger - je pense à Latécoère, Photonis ou Segault. Preuve de certaines fragilités françaises en matière de financement et de protection des entreprises.

À l'occasion de la LPM 2024-2030, le Parlement a souhaité pallier cette anomalie en créant un livret d'épargne souveraineté. Bien que de petite taille en comparaison d'autres industries, le secteur de la défense concentre un savoir-faire et un faire-savoir uniques dont la France tire une grande partie de sa puissance militaire. Dans le cadre de l'examen de la LPM, la Chambre haute avait alerté sur la nécessité de soutenir notre BITD. Le ministre des armées, Sébastien Lecornu, avait exprimé son soutien aux propositions de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour améliorer le financement de ces entreprises, en particulier des PME.

Cette proposition de loi s'inscrit dans ce contexte. Ce n'est pas la première fois que le Sénat est amené à examiner ces dispositions : nous les avons adoptées à deux reprises. C'est grâce aux alertes constructives de notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées que la question a été soulevée à l'occasion de la LPM ; le Gouvernement a ensuite repris la disposition dans le projet de loi de finances pour 2024.

L'objectif de cette proposition de loi est clair : apporter une première réponse aux difficultés de financement des entreprises de défense françaises - difficultés qui, le plus souvent, ne sont pas propres à ce secteur, mais communes à toutes les petites entreprises.

Leurs besoins de financement sont principalement de trois ordres. Les fonds propres, d'abord, alors que le capital investissement dans la défense est quasiment inexistant en France et en Europe. L'accès au crédit, ensuite, conditionné par la fragilité ou la robustesse de l'entreprise, mais aussi par l'image qu'est susceptible de renvoyer le monde de l'armement - même si les choses s'améliorent à cet égard. Des efforts ont été entrepris pour rapprocher l'industrie de défense et le monde bancaire, notamment à travers les référents « défense » au sein des grands établissements bancaires. L'accompagnement à l'export, enfin, même si plusieurs outils ont été mis en place à travers Bpifrance Assurance Export, qui bénéficient plus particulièrement aux entreprises de la défense.

Ce texte nous paraît extrêmement utile pour envoyer un signal clair de soutien aux entreprises de défense, dans le contexte international tendu que nous connaissons. Cette action a été anticipée dès 2017, puisque nous aurons doublé en dix ans le budget de notre défense.

Une BITD forte assure à nos armées la capacité de défendre nos intérêts partout où la France se doit d'intervenir, en toute indépendance. Soutenons donc nos TPE et PME de défense, afin d'éviter que certaines ne passent sous contrôle étranger.

« Lorsque les armes parlent, les lois se taisent », disait Cicéron. Pour donner à notre industrie de défense les moyens d'assurer notre sécurité et notre liberté, le RDPI votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Olivier Cigolotti, Philippe Folliot, Cédric Perrin et Dominique de Legge applaudissent également.)

M. Thierry Cozic .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette proposition de loi touche à des enjeux majeurs : nos priorités nationales et nos valeurs démocratiques. La France est confrontée à des défis sécuritaires de taille. Le retour de la guerre en Europe et au Moyen-Orient menace notre souveraineté et appelle au renforcement de nos capacités de défense.

Il est regrettable que notre industrie ne soit pas en mesure de répondre à ce besoin de réarmement. La France ne consacre que 1,9 % de son PIB à son effort de défense, en dessous de l'objectif de l'Otan. Si la fin des dividendes de la paix nous presse d'agir, elle ne doit pas faire oublier que cette situation est le résultat de choix politiques antérieurs.

Malgré la nécessité de nous réarmer, je m'interroge sur l'outil de financement proposé, qui soulève des préoccupations légitimes. Au reste, il semble que le Gouvernement ne partage pas les visées de ce texte : Bruno Le Maire a déclaré que le livret A, pour lui, c'était le logement social. Une fois n'est pas coutume, je suis d'accord avec lui... Détourner le livret A de ses enjeux sans débat démocratique réel abîmerait encore un peu plus la confiance des Français envers leurs représentants.

L'économie de guerre est une formule : au-delà des mots, une telle mobilisation suppose une certaine onction démocratique, tant elle réorienterait les priorités nationales pour les mois et années à venir. Or notre pays connaît une crise du logement qui ne cesse de s'aggraver, avec près de 4 millions de mal-logés et 330 000 personnes sans domicile. Dans le même temps, le Gouvernement, condamné pour inaction climatique, rabote 2 milliards d'euros sur le budget de l'écologie.

Si la sécurité et la défense de notre pays sont indéniablement des priorités, elles ne peuvent prendre le pas sur des urgences nationales.

Par ailleurs, je m'interroge sur l'efficience du dispositif proposé. La Fédération bancaire française explique que l'industrie de l'armement ne fait pas l'objet d'une stigmatisation particulière et que ses difficultés tiennent plus aux normes imposées au financement de ses activités. Dès lors, on peine à comprendre en quoi agir sur le volume changerait quoi que ce soit.

Enfin, les investissements en faveur du secteur de la défense sont déjà en hausse. Le ministre des armées a annoncé un doublement des dépenses du secteur de la défense d'ici 2030 à travers la loi de programmation militaire, dont l'enveloppe globale s'élève à 400 milliards d'euros.

Nous avons déposé un amendement tendant à créer un livret d'épargne souveraineté, dispositif plus volontariste et démocratique. Sur un sujet aussi sensible, nous avons besoin d'une approche équilibrée, réaliste et respectueuse de nos principes. Le groupe SER déterminera son vote en fonction du sort réservé à ses amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Marta de Cidrac .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La France fait partie des pays dont le taux d'épargne est le plus élevé : 17,2 % du revenu disponible. L'épargne réglementée dépasse les 926 milliards d'euros.

Il y a là une vraie spécificité française, dont nous pouvons être fiers. Mais la mobilité et la performance de ces placements majoritairement prudents - épargne réglementée, fonds euros - interrogent. S'il ne nous appartient pas de changer le comportement de nos compatriotes, nous pouvons agir sur la mobilité des outils.

Cette épargne est un atout qui doit être mis au service de notre souveraineté. Certains gestionnaires d'actifs convoitent d'ailleurs cette manne. Et des pays comme la Russie, la Chine, l'Arabie saoudite ou la Norvège disposent de fonds souverains offensifs dont ils usent comme instruments de puissance.

Nous devons faire de cette spécificité française une force pour les PME de notre secteur de la défense. Nos fleurons industriels ne manquent pas de fonds propres, mais les PME et ETI de notre BITD, oui. Or elles détiennent souvent des compétences uniques au monde. Améliorer leur financement est un enjeu économique et de souveraineté, car elles sont exposées à des rachats hostiles et des prises de participations étrangères. Je pense à Photonis, longtemps sous la menace d'un groupe américain. Le dispositif de contrôle des investissements étrangers a déjà été pris en défaut. Et, souvent, le blocage de Bercy est la conséquence indirecte de difficultés à croître au même rythme que la concurrence étrangère.

C'est de l'équipement de nos armées qu'il s'agit en définitive. La France a choisi la voie étroite, mais courageuse, de l'indépendance : cela suppose de soutenir coûte que coûte notre BITD. Si nous étions contraints d'acheter à l'étranger, nous perdrions en indépendance et en autonomie stratégique.

Je me réjouis de l'initiative de Pascal Allizard, qui contribuera à renforcer notre BITD.

Avec le retour de la guerre à nos frontières, l'Union européenne relance la question de la défense européenne. L'Edirpa est déjà dotée de 300 millions d'euros, et on évoque 100 milliards d'euros supplémentaires pour la défense européenne : c'est un soutien dont notre tissu de PME pourrait profiter. Ces financements devraient bénéficier à des entreprises 100 % européennes, mais rien n'est dit sur une éventuelle préférence communautaire.

Restons prudents et fidèles à notre stratégie d'indépendance, en votant sans ambiguïté cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

M. le président. - M. Stéphane Ravier, inscrit dans cette discussion, n'est pas présent. (On s'en félicite sur diverses travées.)

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Il y a une semaine, le Président de la République annonçait que l'envoi de troupes sur le sol ukrainien ne pouvait être exclu. Depuis, les exégèses se multiplient. L'exécutif a atteint son objectif : l'ambiguïté stratégique bat son plein. Une telle ambiguïté peut être lourde de conséquences, mais n'oublions pas que c'est Poutine seul qui est le responsable de la guerre d'agression en Ukraine.

Pour entretenir cette ambiguïté, mieux vaut avoir des arguments solides. C'est pourquoi nous sommes très nombreux à soutenir le réarmement du pays. Nous l'avons exprimé sans ambiguïté par le vote très large de la LPM. Avec plus de 400 milliards d'euros de dépenses pour 2024-2030, l'effort prévu est sans précédent.

Le contexte international nous y oblige : alors qu'une nouvelle aide des États-Unis est bloquée par le Congrès, les Européens prennent conscience qu'ils pourraient bientôt être les seuls à soutenir l'Ukraine.

En ce super Tuesday, Trump est en passe de devenir le candidat officiel du parti républicain. Mais il a déjà recommencé à faire de la géopolitique à coups de tweets, annonçant la fin du soutien américain à l'Europe face à la Russie. Les Européens se rappellent que, pour maîtriser leur destin, il faut que leurs nations se réarment.

Économie de guerre : cette expression implique que la puissance publique intervienne dans l'économie pour indiquer les priorités stratégiques nécessaires au réarmement. Notre commissaire européen, Thierry Breton, y a déjà recouru, et il en connaît parfaitement la portée.

C'est aussi le titre que notre collègue député Christophe Plassard, dont je salue la présence en tribune, a utilisé pour son rapport d'information, dans lequel il recommande notamment de mobiliser l'épargne privée pour massifier les financements de l'industrie de la défense.

L'idée a prospéré et le Gouvernement l'a reprise dans le projet de loi de finances pour 2024. Mais, chaque fois qu'elle a été adoptée dans un texte de loi, cette mesure a été censurée par le Conseil constitutionnel, comme cavalier. Aussi, je me réjouis que nous examinions un véhicule législatif ad hoc.

La mobilisation de l'épargne des Français doit devenir un outil de politique publique en phase avec nos objectifs stratégiques. C'est dans cet esprit que j'ai fait adopter par notre assemblée ma proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises.

La surépargne covid n'a pas disparu : les encours du livret A et du LDDS avoisinent les 550 milliards d'euros, une manne considérable.

La création d'un livret spécifiquement consacré au financement des entreprises de défense aurait le mérite de la clarté et de la transparence. Cependant, compte tenu de l'urgence de la situation, la solution la plus efficace à court terme doit être privilégiée. Mobiliser une part de l'enveloppe déjà prévue pour le financement des entreprises nous paraît donc pertinent.

Le groupe INDEP votera donc cette proposition de loi. Je défendrai deux amendements visant à accélérer le passage à une économie de guerre. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Dominique de Legge applaudit également.)

M. Michel Canévet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Nous venons de voter une loi de programmation militaire qui prévoit des moyens accrus, alors que les conflits géopolitiques se multiplient. Au niveau de l'Union européenne, on observe une prise de conscience de la nécessité de renforcer notre défense, rappelée par Thierry Breton devant l'Assemblée nationale et le Sénat. C'est vrai en matière de dissuasion comme pour tenir nos engagements en matière de fourniture d'armes.

Le paradoxe est que les critères dits ESG prennent une importance croissante. Leur prise en compte empêche un certain nombre d'acteurs financiers d'accompagner les projets de développement de la BITD. Concrètement, il faut trouver des outils : je salue donc la proposition de loi de Pascal Allizard, même si le recours à l'épargne réglementée n'est sans doute pas la meilleure solution.

Nous avons besoin d'un financement durable. Je salue donc l'initiative de Dominique de Legge et la réponse anticipée de la ministre à ce sujet. Le Gouvernement a déjà beaucoup fait, avec Bpifrance notamment, mais il reste à faire, d'autant que l'effort de recherche en matière de défense profite aussi au secteur civil, maritime notamment.

Quels moyens de financement pour accompagner la BITD ? L'assurance vie, qui a enregistré une collecte record de 16 milliards d'euros en janvier dernier, est une piste à laquelle le Gouvernement doit réfléchir. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Dominique de Legge applaudit également.)

M. Rachid Temal .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je remercie Pascal Allizard pour sa proposition de loi, qui ouvre un débat intéressant. J'organiserai mon propos autour de trois principes : nécessité, cohérence, pédagogie.

Nécessité : pour que la France conserve son rang et son autonomie stratégique, nous devons soutenir notre BITD. Nous voyons que la parenthèse heureuse se referme, que la guerre redevient une forme de norme. Il faut une BITD puissante pour aller jusqu'au bout de la LPM, soutenir l'emploi, donner à nos armées les moyens de leurs combats, exporter et répondre à la concurrence, y compris de nos alliés.

Cohérence : dans la continuité des travaux de nos anciens collègues Michel Boutant et Yannick Vaugrenard et de notre collègue Gisèle Jourda, le groupe SER a déposé une proposition de loi sur le financement de la BITD, visant à créer un livret d'épargne défense souveraineté. Nous présenterons des amendements en ce sens. Cette solution a l'avantage de la clarté et de la transparence : les Français sauront qu'en plaçant 1 euro, 10 euros ou davantage selon leurs moyens sur ce livret, ils protégeront à la fois leur avenir et leur pays.

Pédagogie : nous souhaitons que cette proposition de livret spécifique soit intégrée à la réflexion à venir.

Après que mon ami Jean-Noël Guérini a cité Mitterrand, je ferai référence à Jaurès, dans L'Armée nouvelle : on peut être pacifiste, disait-il, tout en sachant qu'il faut parfois combattre pour défendre la paix. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du RDSE)

M. Jean-Noël Guérini.  - C'est vrai !

M. Marc Laménie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue le travail des rapporteurs et de l'auteur de la proposition de loi, sur le sujet sensible du financement de notre industrie de défense.

En commission, Pascal Allizard a rappelé qu'il s'agissait d'une réflexion de longue haleine, menée depuis quatre ans. Dominique de Legge, dans son rapport de grande qualité, fait état de nombreuses auditions : direction générale du Trésor, DGA, Bpifrance, Fédération bancaire française, représentants des entreprises. Je salue la connaissance du sujet qu'ont le rapporteur et certains autres collègues. Comme j'ai l'habitude de le dire modestement, on en apprend tous les jours !

Le président Cédric Perrin m'a répondu en commission que 4 000 entreprises et 200 000 emplois directs étaient concernés - 400 000 emplois au total.

La proposition de loi oriente une partie des encours non centralisés du livret A et du LDDS vers les entreprises de l'industrie française de défense. Elle va dans le bon sens, en soutenant l'économie de notre pays, le savoir-faire de ces entreprises et nos exportations. Mon groupe la votera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées du groupe UC)

M. Olivier Cigolotti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La capacité de la France à défendre ses intérêts en toute indépendance suppose une BITD forte. Alors qu'elle représente 4 000 entreprises et 30 milliards d'euros de chiffre d'affaires, celle-ci fait face à des difficultés de financement qui entravent son développement. Plus de 200 000 emplois de haute technicité et non délocalisables sont concernés.

Malgré les contraintes budgétaires, la France a fait le choix de préserver un modèle d'armée complet. Une filière industrielle résiliente est nécessaire à ce modèle.

Toutefois, les difficultés s'accumulent en matière d'accès au financement. Elles sont au coeur des inquiétudes des armées et des industries, alors que la concurrence mondiale se durcit et que des investisseurs étrangers cherchent à prendre le contrôle de nos entreprises - songeons à Latécoère.

Le Sénat a voté la création d'un livret souveraineté lors de la dernière LPM, la commission mixte paritaire aboutissant à un fléchage partiel du livret A et du LDDS. Mais, saisi par des députés de l'opposition, ...

M. Rachid Temal.  - LFI...

M. Olivier Cigolotti. - ... le Conseil constitutionnel s'est saisi d'office de cette disposition et l'a censurée.

Cette proposition de loi réintroduit ce dispositif qui avait fait consensus. Elle nous paraît nécessaire, pour soutenir une filière d'excellence et de souveraineté. Le groupe UC la votera. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains)

Mme Catherine Belrhiti .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis deux ans, l'Europe connaît à nouveau la guerre sur son sol. La France fournit à l'Ukraine un appui matériel aux effets non négligeables sur son économie.

Cette proposition de loi instaure un outil pour rattraper, au moins en partie, le retard immense que nous avons accumulé. Elle est la meilleure solution en attendant une transition vers un modèle durable d'industrie de défense. Plus que jamais, nos entreprises de défense doivent monter en cadence, au regard du contexte actuel, mais aussi des besoins futurs de notre pays.

Il s'agit de répondre aux difficultés de nos PME et ETI de défense en garantissant leur financement. Transpartisane, cette mesure indispensable a été censurée comme cavalier par le Conseil constitutionnel, au sein de la LPM puis de la loi de finances pour 2024.

Cette proposition de loi prévoit aussi un rapport d'évaluation, évoquant un produit d'épargne spécifique, à la date de remise avancée d'un an sur proposition du rapporteur spécial, pour maintenir l'écosystème sous tension. Plus nous attendrons, plus les effets d'un financement inadapté seront importants.

Ce texte est gage de sagesse, alors que d'aucuns nous entraînent vers une cobelligérance qui nous serait fatale. Il est un complément direct et efficace de la LPM, incitant entreprises, acteurs publics et privés à avancer main dans la main pour préserver notre défense et notre souveraineté face aux nouvelles menaces. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Discussion des articles

Article 1er

M. Akli Mellouli .  - En novembre dernier, Bruno Le Maire réagissait à cette proposition disant : « le livret A, c'est le logement social ». Une fois n'est pas coutume, je partage son avis...

La philosophie première du livret A doit être maintenue, exclusivement tournée vers les besoins sociaux et écologiques, alors que la lutte contre le changement climatique n'est pas la hauteur et que la crise du logement s'aggrave : 4 millions de Français souffrent du mal-logement et 330 000 sont sans domicile. Pas un centime ne doit manquer pour ceux qui peinent à se loger dignement. Quant à la transition écologique, elle nécessite de mobiliser le maximum de moyens.

Je ne nie pas les besoins de financement de certaines entreprises de défense, mais d'autres pistes existent : penchons-nous, par exemple, sur la chaîne de valeur dans ce secteur. Changer la philosophie du livret A, à laquelle les Français sont attachés, n'est pas la solution. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par MM. Dossus et G. Blanc, Mme Senée, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Souyris et M. Vogel.

Supprimer cet article.

M. Thomas Dossus.  - Quelque 12 millions de personnes fragilisées par la crise du logement, 4,2 millions de mal-logés, 2,5 millions de ménages en attente d'un logement social... Voilà l'urgence, l'indignité collective qu'il faut corriger. Pas moins de 39 % des logements ont un diagnostic de performance énergétique (DPE) E ou inférieur : voilà ce qui pèse dans la crise climatique et le budget des Français.

Ponctionner leur épargne pour une industrie qui bénéfice déjà de largesses inégalées de l'État, c'est une flibusterie contre l'épargne populaire ! (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Dominique de Legge, rapporteur.  - L'avis de la commission est évidemment défavorable. D'abord, l'amendement viderait la proposition de loi de son contenu. Ensuite, vous évoquez le logement social, alors que, je le répète, ce texte n'y touche pas.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Je le redis : le fléchage des encours du livret A et du LDDS n'est pas la solution la plus adaptée aux difficultés rencontrées. Sagesse.

L'amendement n°1 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°13, présenté par M. Temal et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Rédiger ainsi cet article :

 I.  -  Le code monétaire et financier est ainsi modifié : 

1° Après la section 7 ter du chapitre Ier du titre II du livre II du code monétaire et financier, est insérée une section 7 ... ainsi rédigée : 

« Section 7 quater

« Livret d'épargne défense souveraineté 

« Art. L. 221-34-5.  -  Le livret d'épargne défense souveraineté est ouvert par les personnes physiques ayant leur domicile fiscal en France. 

« Ce livret peut être proposé par un établissement de crédit ou une entreprise d'investissement qui s'engage à cet effet par convention avec l'État. 

« Une même personne ne peut être titulaire que d'un seul livret. Un livret ne peut avoir qu'un titulaire. 

« Le livret d'épargne défense souveraineté peut recevoir des versements en numéraire à compter de son ouverture dans la limite d'un plafond fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie. 

« Un décret en Conseil d'État détermine les modalités de fonctionnement du livret d'épargne défense souveraineté et notamment ses conditions d'ouverture et ses modalités de gestion. 

« Art. L. 221-34-6  -  Les versements dans un livret d'épargne défense souveraineté sont affectés à l'acquisition de titres financiers contribuant au financement de l'industrie de défense française. 

« Les titres dans lesquels le livret d'épargne défense souveraineté peut être investi, les principes d'allocation de l'épargne auxquels il est soumis et les stratégies d'investissement qu'il peut proposer sont définis par arrêté conjoint du ministre chargé de l'économie et du ministre de la défense. » ; 

2° Le livre VII est ainsi modifié : 

a) Après la sous-section 1 bis de la section 2 du chapitre II du titre IV du livre VII, est insérée une sous-section 1 ... ainsi rédigée :

« Sous-section 1 ter

« Livret d'épargne défense souveraineté 

« Art. L. 742-12-2.  -  Sont applicables en Nouvelle-Calédonie les articles mentionnés dans la colonne de gauche du tableau ci-après, dans leur rédaction indiquée dans la colonne de droite du même tableau :

« 

Articles applicables

Dans leur rédaction issue de

L. 221-34-5 et L. 221- 34-6

La loi n° du relative au financement des entreprises de l'industrie de défense française

 » ; 

b) Après la sous-section 1 bis de la section 2 du chapitre III du titre IV, est insérée une sous-section 1 ... ainsi rédigée : 

« Sous-section 1 ter

« Livret d'épargne défense souveraineté

 » Art. L. 743-12-2.  -  Sont applicables en Polynésie française les articles mentionnés dans la colonne de gauche du tableau ci-après, dans leur rédaction indiquée dans la colonne de droite du même tableau :

« 

Articles applicables

Dans leur rédaction issue de

L. 221-34-5 et L. 221- 34-6

La loi n° du relative au financement des entreprises de l'industrie de défense française

 » ; 

c) Après la sous-section 1 bis de la section 2 du chapitre IV du titre IV est insérée une sous-section 1 ... ainsi rédigée : 

« Sous-section 1 ter

« Livret d'épargne défense souveraineté

 » Art. L. 744-11-2.  -  Sont applicables dans les îles Wallis et Futuna les articles mentionnés dans la colonne de gauche du tableau ci-après, dans leur rédaction indiquée dans la colonne de droite du même tableau :

« 

Articles applicables

Dans leur rédaction issue de 

L. 221-34-5 et L. 221- 34-6

La loi n° du relative au financement des entreprises de l'industrie de défense française

 » ; 

II.  -  Après le 7° quater de l'article 157 du code général des impôts, il est inséré un 7° ... ainsi rédigé : 

« 7° ... Les intérêts des sommes déposées sur les livrets d'épargne défense souveraineté ouverts dans les conditions prévues aux articles L. 221-34-5 et L. 221-34-6 du code monétaire et financier ; ». 

III. - .... - Pour compenser la perte de recettes résultant du II, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

....  -  La perte de recettes résultant pour l'État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

IV.  -  La présente loi entre en vigueur six mois après sa promulgation.

M. Rachid Temal.  - Cet amendement pourrait aider la ministre... Dans la continuité des travaux du Sénat et de ce que nous avons porté collectivement, nous proposons de créer un livret d'épargne défense souveraineté, ce qui aurait le mérite de la transparence.

M. Dominique de Legge, rapporteur.  - Lors de nos auditions, avec Pascal Allizard, nous nous sommes interrogés : faut-il un livret dédié ou non ? Après les auditions, j'ai considéré qu'un livret dédié ne collecterait pas suffisamment d'argent et risquerait de ne pas être commercialisé par les banques. Il nécessiterait de surcroît un engagement sur cinq ans, ce qui sélectionnerait certains épargnants. Enfin, s'agissant d'un produit nouveau, il mettrait un certain temps à être mis en place. Nous proposons donc, dans un souci d'efficacité, d'en rester à la proposition de Pascal Allizard sur le livret A.

Le débat doit avoir lieu, je suis d'accord. Je propose donc que cette piste soit étudiée dans le rapport prévu à l'article 2. Avis défavorable.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - (Mme Olivia Grégoire fait signe qu'elle hésite encore.)

M. Rachid Temal.  - Sagesse ?

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Je remercie le sénateur Temal qui souhaite m'aider. (Sourires) L'idée n'est pas inintéressante, mais je partage l'appréciation du rapporteur. Ma porte reste cependant ouverte pour de futurs échanges. C'est donc un avis défavorable positif, ou une sagesse défavorable... (Sourires)

M. Rachid Temal.  - Il s'agit pourtant de la proposition du Sénat ! Je rappelle que la réforme de la distribution du livret A au 1er janvier 2009 n'a donné lieu à aucune cannibalisation. Les Français doivent savoir qu'ils financent leur défense.

M. Pascal Allizard.  - Bien entendu, je ne suis pas opposé à la création d'un livret spécifique. Lors de la nuit de négociation de la CMP sur la loi de programmation militaire, il nous a été demandé de retirer cet article relatif au livret spécifique et de le remplacer par un fléchage. Puis nous avons connu deux censures successives.

Mais on ne peut pas nous dire à chaque fois : « ce n'est pas le bon véhicule », ou « ce n'est pas le bon moment ». Voilà quatre ans que cela dure : je souhaite que l'on aboutisse ! (Mme Valérie Boyer applaudit.)

M. Thomas Dossus.  - Merci aux sénateurs socialistes pour ce débat. Le rapporteur l'a lui-même avoué : les Français n'investiraient pas suffisamment dans un produit consacré à la défense, mais aujourd'hui on ne leur demande même pas leur avis ! Nous nous abstiendrons sur cet amendement, mais demandons à ce que cette flibusterie cesse. (M. Akli Mellouli applaudit.)

M. Pascal Savoldelli.  - Nous ne voterons pas cet amendement qui comporte un risque d'effet d'éviction par rapport aux deux livrets existants. (M. Rachid Temal le conteste.) On a le droit de le penser, monsieur Temal : les questions de l'écologie et du logement doivent être le moteur des livrets d'épargne sociaux.

La défense de la souveraineté de notre pays en économie de guerre impose de faire de la politique. Il faut y affecter des ressources fiscales, sans dépendre du bon vouloir des épargnants.

La France est le troisième exportateur d'armes : nous ne financerons pas que notre souveraineté, mais aussi la production d'armes...

J'ai quelques doutes sur la sincérité de nos collègues de droite quand ils affirment vouloir défendre le logement social, alors qu'ils ont voté contre la TVA à 5,5 % et qu'ils veulent intégrer le logement intermédiaire dans les critères de la loi SRU.

L'amendement n°13 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par MM. Dossus et G. Blanc, Mme Senée, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Souyris et M. Vogel.

I.  -  Alinéa 4

Remplacer les mots :

livret de développement durable et solidaire

par les mots : 

livret durable et militaire

II.  -  Alinéa 8

Remplacer les mots :

livrets de développement durable et solidaire

par les mots :

livrets durables et militaires

III.  -  Après l'alinéa 9

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

...° À l'article L. 221-27, toutes les occurrences des mots : « livret de développement durable et solidaire » sont remplacées par les mots : « livret durable et militaire ».

M. Thomas Dossus.  - C'est un amendement de transparence. Pour le livret A, nul problème de dénomination relatif au logement. Il n'en est pas de même pour le LDDS. Je ne vois pas en quoi les marchands de canons et les start-up du bombardement sont concernés par le développement durable. C'est une arnaque.

Nous proposons donc un nouveau nom - le livret durable et militaire -, pour informer les Français. (M. Akli Mellouli applaudit.)

M. Dominique de Legge, rapporteur.  - Cela ne correspond pas au dispositif : il serait fâcheux de tromper les Français.

Je rappelle qu'on ne touche pas au logement social. L'encours non centralisé du livret A et du LDDS est constitué de trois enveloppes, une pour les PME, une pour le développement durable et une pour l'économie sociale et solidaire. Le dispositif s'insère au sein de la partie dédiée aux PME. Avis défavorable.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Même avis, pour les mêmes raisons : retrait, sinon avis défavorable.

M. Thomas Dossus.  - Une partie de cette collecte financera l'industrie de la défense. Soit on le précise dans le nom, soit c'est de l'arnaque, avec un risque de dévalorisation du livret le jour où les Français comprendront à quoi sert leur argent.

L'amendement n°2 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°10, présenté par M. Savoldelli et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.

Alinéa 5

Rédiger ainsi cet alinéa :

« 1° Au financement des petites et moyennes entreprises, dont le siège social ou la majorité des débouchés de production sont en France ou dans un État-membres de l'Union européenne ou dans État membre de l'Union européenne ou d'un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu une convention d'assistance administrative avec la France, notamment pour leur création et leur développement ; »

M. Pascal Savoldelli.  - Les entreprises du secteur de la défense doivent être plus contrôlées au regard notamment des investissements étrangers.

Nous proposons de réserver ce financement aux entreprises qui ont leur siège ou la majorité de leurs débouchés en France ou en Europe.

En 2023, pas moins de 23,7 % des investissements étrangers en France ont concerné le secteur de la défense et de la sécurité : c'est un doublement en un an, qui n'est pas de nature à garantir notre souveraineté...

Combien d'entreprises de la BITD appartiennent-elles ou au moins en partie à des capitaux étrangers ? Combien dépendent des commandes d'États tiers ?

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par MM. Dossus et G. Blanc, Mme Senée, MM. Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Souyris et M. Vogel.

Alinéa 5, seconde phrase, au début

Insérer les mots :

À titre expérimental, pour une durée de deux ans,

M. Thomas Dossus.  - Si l'Ukraine tombe, toute l'Europe est menacée par le boucher de Russie. Les soldats ukrainiens et les volontaires internationaux nous défendent aussi. Nous devons les soutenir. Nous produisions 1 000 obus par mois avant le conflit, 2 000 désormais, c'est insuffisant. Nous proposons de préciser que la proposition de loi s'inscrit dans un cadre expérimental de deux ans.

M. le président.  - Amendement n°9, présenté par M. Savoldelli et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.

Alinéa 5, seconde phrase

Remplacer les mots :

est fixée

par les mots :

et la liste des entreprises bénéficiaires sont fixées

Mme Michelle Gréaume.  - Quelque 4 000 PME dont 1 000 stratégiques relèveraient de la BITD. Mais comment les identifier ? Quid des entreprises duales ? La proposition de loi n'apporte aucune réponse, d'où notre proposition de renvoi à un arrêté du ministre.

M. le président.  - Amendement n°4 rectifié, présenté par Mmes Paoli-Gagin et Bourcier, MM. Brault et Chasseing, Mme L. Darcos et MM. V. Louault, A. Marc, Rochette, Verzelen, J.P. Vogel et Wattebled.

Alinéa 5, seconde phrase

Remplacer les mots :

arrêté du ministre chargé de l'économie

par les mots : 

un arrêté conjoint du ministre chargé de l'économie et du ministre chargé des armées

Mme Vanina Paoli-Gagin.  - Certes, Bercy est légitime à définir la part de l'encours dédiée au financement de la BITD, mais le ministre des armées doit aussi avoir son mot à dire.

M. Dominique de Legge, rapporteur.  - À l'amendement n°10, le fléchage prévu ne réglera pas tous les problèmes, mais c'est un signal clair adressé à ces entreprises : avis défavorable.

Retrait, sinon avis défavorable sur l'amendement n°3, en partie satisfait par l'article 2.

Sur l'amendement n°9, l'énumération des entreprises de la BITD nécessiterait un travail considérable. Avis défavorable.

Sur l'amendement n°4 rectifié, sagesse, car l'association du ministère de la défense constituerait un signal fort. Qu'en dit la ministre ?

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Sur les amendements nos10 et 3, même avis que le rapporteur, pour les mêmes raisons.

Sur l'amendement n°9, j'ajoute que l'article R. 221-9 du code monétaire et financier prévoit déjà des dispositions de cet ordre : d'où mon avis défavorable.

Sur l'amendement n°4 rectifié, mon avis est également défavorable : l'épargne réglementée relève du ministère de l'économie.

M. Pascal Savoldelli.  - Mon amendement de repli aurait mérité d'être mieux entendu (M. Roger Karoutchi se montre peu convaincu), puisqu'il a trait à une question de souveraineté. Nous aurions pu nous rassembler sur ce sujet.

Le problème de nos industries, c'est leur carnet de commandes. Qui ramassera la valeur ajoutée ? Ce sont les investisseurs privés !

Prenez vos responsabilités !

L'amendement n°10 n'est pas adopté, non plus que les amendements nos3 et 9.

L'amendement n°4 rectifié est adopté.

M. le président.  - Amendement n°7, présenté par M. Savoldelli et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky.

Après l'alinéa 8

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

 « Par dérogation au 1° du présent article, le financement des entreprises de la base industrielle et technologique de défense est subordonné à l'épuisement d'une procédure de médiation engagée auprès du médiateur national du crédit. » ;

Mme Michelle Gréaume.  - Le rapport de la commission dit bien que les entreprises de la défense se heurtent aux mêmes difficultés que les autres entreprises françaises -  bref, elles n'ont pas de difficultés spécifiques. Plus loin, le rapport souligne que le refus de prêts bancaires pour ces entreprises ne trouve pas son origine dans leur domaine de compétence, mais leur situation économique.

Nous proposons donc de conditionner le bénéfice des fonds du livret A ou du LDDS à l'échec d'une médiation du crédit.

M. Dominique de Legge, rapporteur.  - Vous citez abondamment mon rapport, je vous en remercie. Toutefois, j'y ai aussi insisté sur les difficultés en matière des fonds propres, qui peuvent aboutir à des difficultés de financement. Et certains refus de prêts bancaires sont liés à la nature même de l'entreprise. Faudrait-il que les banques établissent des certificats de non-financement ? Retrait, sinon avis défavorable.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Même avis, pour les mêmes raisons.

Mme Michelle Gréaume.  - La médiation aurait pourtant toute sa place ici.

L'amendement n°7 n'est pas adopté.

L'article 1er, modifié, est adopté.

L'article 1er bis est adopté.

Après l'article 1er bis

M. le président.  - Amendement n°5 rectifié, présenté par Mmes Paoli-Gagin et Bourcier, MM. Brault et Chasseing, Mme L. Darcos et MM. V. Louault, A. Marc, Rochette, J.P. Vogel, Verzelen et Wattebled.

Après l'article 1er bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article L. 3-1 du code de la commande publique, il est inséré un article L. 3-... ainsi rédigé : 

« Art. L. 3-....  -  La commande publique participe au renforcement de la souveraineté nationale, notamment en développant la base industrielle et technologique de défense. »

Mme Vanina Paoli-Gagin.  - Le secteur de l'armement dépend de la commande publique. Mais à l'heure de la néo-guerre et des conflits hybrides, d'autres entreprises contribuent aussi à notre souveraineté. Cet amendement précise donc que la commande publique contribue au renforcement de la souveraineté nationale, notamment en développant la BITD.

M. Dominique de Legge, rapporteur.  - Retrait, sinon avis défavorable, s'agissant d'une déclaration de principe peu opérante.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Le Gouvernement est très attentif aux besoins de financement du secteur de la défense.

La LPM a prévu 413 milliards d'euros de dépenses militaires, dont une bonne partie relève de la commande publique. Le budget des armées représentait 43,9 milliards d'euros en 2023, dont 14,5 milliards pour l'équipement des forces. Pas moins de 26 000 PME et ETI bénéficient de la commande publique du ministère des armées.

Les efforts doivent être poursuivis, certes... Retrait, sinon avis défavorable.

L'amendement n°5 rectifié est retiré.

M. le président.  - Amendement n°17, présenté par Mme G. Jourda, M. Temal, Mmes Carlotti et Conway-Mouret et MM. Darras, P. Joly, Marie, M. Vallet et Vayssouze-Faure.

Après l'article 1er bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l'accès des entreprises françaises de la base industrielle et technologique de défense (BITD) aux financements européens, afin d'envisager des pistes d'amélioration pour accéder aux fonds privés et publics et mettre fin au risque discriminatoire de la mise en oeuvre de la taxonomie européenne.

Mme Gisèle Jourda.  - La taxonomie européenne distingue les activités durables de celles qui ne le sont pas, ce qui est préjudiciable à la BITD. Les banques sont très frileuses lorsqu'il s'agit d'accorder des prêts à ces entreprises. Pourtant, la BITD européenne joue un rôle dans la sûreté et la sécurité de l'Europe en rendant crédible notre capacité d'assurer la paix sur notre continent. Cet amendement demande donc un rapport sur l'accès des entreprises françaises de la BITD aux financements européens.

M. Dominique de Legge, rapporteur.  - Je suis totalement en phase avec Gisèle Jourda (M. Rachid Temal s'en réjouit), d'autant plus que notre réécriture de l'article 2 la satisfait... Retrait ? Sinon avis défavorable.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Même avis, pour les mêmes raisons. Je rappelle toutefois que la défense n'est pas incompatible avec les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).

Mme Gisèle Jourda.  - Ce rapport aurait permis un suivi intéressant, mais je le retire.

L'amendement n°17 est retiré.

Article 2

L'amendement n°14 est retiré.

M. le président.  - Amendement n°12 rectifié ter, présenté par MM. Rochette et Longeot, Mme L. Darcos, MM. Verzelen et A. Marc, Mme N. Delattre et MM. Brault, Chasseing, Wattebled, V. Louault, Daubet et Chevalier.

Après la deuxième phrase

Insérer une phrase ainsi rédigée :

En outre et à titre indicatif, il tiendra compte dans ses conclusions de l'implication des établissements délivrant le livret A et de leur responsabilité quant aux résultats obtenus par le dispositif prévu à l'article 1er.

M. Pierre Jean Rochette.  - Par cet ajout au rapport, nous voulons inciter les banques à s'engager activement dans la réussite de cette proposition de loi.

M. Dominique de Legge, rapporteur.  - Retrait, sinon avis défavorable. Les données que vous réclamez sont déjà disponibles dans le rapport annuel de la Banque de France sur l'épargne réglementée.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Sagesse.

M. Pierre Jean Rochette.  - Non, l'engagement des établissements bancaires n'est pas bien mesuré. Je maintiens l'amendement, ayant bien entendu un avis de sagesse...

L'amendement n°12 rectifié ter n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°19, présenté par M. de Legge, au nom de la commission des finances.

Troisième phrase 

Remplacer les mots :

de la Facilité

par les mots :

du Fonds européen

L'amendement rédactionnel n°19, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'article 2, modifié, est adopté.

Intitulé de la proposition de loi

M. le président.  - Amendement n°15 rectifié, présenté par M. Temal et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi relative au financement des entreprises de la base industrielle et technologique de défense française

M. Rachid Temal.  - Nous proposons de renommer la proposition de loi en cohérence avec l'objet du texte et nos débats.

M. Dominique de Legge, rapporteur.  - Avis favorable, pour marquer notre convergence de vues sur ce point précis. (M. Rachid Temal apprécie.) La rédaction initiale aurait été mieux comprise par l'opinion, mais la vôtre est plus précise.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Après avoir beaucoup réfléchi, beaucoup travaillé, j'ai réussi à convaincre mon ministre de tutelle et le ministre de la défense de transformer un avis de sagesse en avis favorable. (M. Jean-Noël Guérini applaudit ; sourires)

M. Rachid Temal.  - Champagne !

L'amendement n°15 rectifié est adopté.

Vote sur l'ensemble

M. Pascal Savoldelli .  - En deux heures, personne n'a réussi à démontrer que les entreprises de défense avaient des besoins spécifiques. Dont acte. Si c'était le cas, pourquoi ne pas obliger les banques à les financer, plutôt que de prendre l'épargne des Français ? Car la majorité des épargnants français ne veut pas de ce produit.

Nos propositions ont été repoussées, au titre des articles 40 et 45 de la Constitution. Nous avions notamment proposé un nouveau prêt garanti par l'État (PGE), ce qui aurait rassuré les banques.

Nous sommes favorables à la recentralisation de 99 % des encours à la Caisse des dépôts, pour assurer une transparence totale.

Enfin, nous souhaitons limiter à 30 % la part des exportations des entreprises d'armement, pour ne pas alimenter les conflits mondiaux.

L'épargne populaire doit être réservée à des missions d'intérêt général ; en aucun cas, elle ne doit servir à fabriquer des armes. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe CRCE-K)

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - Le groupe INDEP votera ce texte d'intérêt général. Nous sommes favorables au changement de l'intitulé, mais nous aurions pu voter l'amendement de Pascal Savoldelli sur le ciblage des entreprises de défense françaises, cela aurait été plus cohérent.

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères .  - C'est un sujet particulièrement important pour la commission des affaires étrangères. Je ne peux pas laisser dire que les industries de la défense n'ont pas de problèmes de financement : ce midi encore, des dirigeants de PME m'interpellaient.

La BEI pose problème : les chefs d'entreprise doivent certifier que leurs demandes de prêts bancaires ne concernent pas des activités de défense, comme s'il s'agissait de proxénétisme ou de trafic d'enfants ! Axa Banque prétend que la défense contrevient à son éthique...

Je pensais que, malgré les lobbies dont le financement reste à déterminer, la guerre en Ukraine allait provoquer un changement d'état d'esprit. Dans quel pays peut-il y avoir progrès social et développement durable, sinon dans un pays apaisé ? Malheureusement, « si tu veux la paix, prépare la guerre ». (M. Guy Benarroche ironise.)

Dans mon département, je peux vous citer des entreprises à qui on refuse cinq prêts sur six, sans un écrit.

Les entreprises de la défense ont besoin de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Olivier Cigolotti et Jean-François Longeot applaudissent également.)

M. Pascal Allizard, auteur de la proposition de loi .  - Merci à tous les collègues présents, de tous les groupes.

Les entreprises à qui l'on refuse des prêts n'ont jamais d'écrits... Parfois, elles ont des enregistrements audios mais, craignant des mesures de rétorsion, elles n'en font pas la publicité. C'est pourquoi nous n'avons pas de liste.

Attention : on commence aussi à entendre parler de refus d'assurance ; ce sujet devra être traité. De grandes banques, de grandes compagnies d'assurances ont des règles internes de compliance -  je parlerais plutôt de « surcompliance » - qui les empêchent d'assurer les entreprises de défense, pour des questions de risque réputationnel. C'est inacceptable.

Je souhaite que cette proposition de loi soit adoptée : c'est un signal fort. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Olivier Cigolotti et Jean-François Longeot applaudissent également.)

M. Rachid Temal .  - Nous avons eu effectivement un débat de très grande qualité, dans le prolongement de la LPM.

Aujourd'hui, 75 % des armes achetées par les Européens pour l'Ukraine ne sont pas fabriquées en Europe. Cela pose la question de l'industrialisation du continent...

La BEI ne finance pas l'industrie de défense - le Parlement européen vient de voter un texte demandant qu'elle le fasse.

Notre proposition est cohérente et privilégie la pédagogie, mais je tiens compte de la main tendue de la ministre : nous nous abstiendrons.

À la demande du GEST, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n°141 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 278
Pour l'adoption 244
Contre   34

La proposition de loi est adoptée.

(Applaudissements à droite et au centre)

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - Merci pour la qualité de ces débats. Monsieur Allizard, vous avez bien fait de rappeler que lorsqu'on sollicite un prêt, on a droit à une réponse. Une demande écrite appelle une réponse écrite...

M. Cédric Perrin, président de la commission.  - Et motivée !

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée.  - ... ce qui nous permet d'avoir une idée du taux de refus.

Nous travaillerons d'ici à l'été pour avancer sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE)