Disponible au format PDF Acrobat


Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Sécurité des élus locaux et protection des maires (Conclusions de la CMP)

Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour le Sénat de la CMP

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité

Discussion du texte élaboré par la CMP

Article 5

Article 14

Vote sur l'ensemble

M. Éric Bocquet

Mme Maryse Carrère

M. Thani Mohamed Soilihi

Mme Marie-Pierre de La Gontrie

M. Mathieu Darnaud

M. Christopher Szczurek

M. Vincent Louault

Mme Isabelle Florennes

M. Guy Benarroche

Modifications du code général de la propriété des personnes publiques relatives à la Polynésie française (Procédure accélérée)

Discussion générale

M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois

Mme Maryse Carrère

Mme Nicole Duranton

M. Pierre-Alain Roiron

Mme Catherine Di Folco

M. Vincent Louault

Mme Lana Tetuanui

M. Guy Benarroche

Mme Evelyne Corbière Naminzo

Discussion des articles

Avant l'article unique

Convention internationale (Procédure simplifiée)

Convention entre la République française et le Grand-duché de Luxembourg (Procédure accélérée)

Discussion générale

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l'Europe

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur de la commission des finances

M. Thani Mohamed Soilihi

M. Michaël Weber

M. Jean-François Husson

M. Pierre Jean Rochette

M. Vincent Capo-Canellas

Mme Ghislaine Senée

Mme Silvana Silvani

Mme Véronique Guillotin

Mme Micheline Jacques

Discussion de l'article unique

M. Éric Bocquet

M. Jean-François Husson

Mme Véronique Guillotin

Mme Silvana Silvani

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur de la commission des finances

M. Michaël Weber

Convention France-Moldavie (Procédure accélérée)

Discussion générale

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l'Europe

M. Michel Canévet, rapporteur de la commission des finances

M. Rémi Féraud

M. Marc Laménie

M. Pierre Jean Rochette

M. Olivier Cadic

Mme Ghislaine Senée

M. Éric Bocquet

Mme Véronique Guillotin

M. Thani Mohamed Soilihi

Dispositions législatives relatives à la santé (Procédure accélérée)

Discussion générale

Mme Fadila Khattabi, ministre déléguée chargée des personnes âgées et des personnes handicapées

Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteur de la commission des affaires sociales

Mme Micheline Jacques

M. Vincent Louault

Mme Lana Tetuanui

Mme Anne Souyris

Mme Evelyne Corbière Naminzo

Mme Véronique Guillotin

M. Thani Mohamed Soilihi

M. Jean-Luc Fichet

Ordre du jour du mardi 19 mars 2024




SÉANCE

du jeudi 14 mars 2024

72e séance de la session ordinaire 2023-2024

Présidence de M. Loïc Hervé, vice-président

Secrétaires : M. Jean-Michel Arnaud, Mme Catherine Conconne.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Sécurité des élus locaux et protection des maires (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour le Sénat de la CMP .  - Cette proposition de loi, votée à l'unanimité du Sénat en octobre dernier, a trouvé une large majorité transpartisane en CMP. Nous pouvons être fiers du travail accompli. Les violences à l'encontre des élus sont insupportables. Rendons hommage au dévouement des maires, vigies de la République.

Pourtant, la protection que leur offre la République est largement perfectible. Déposée le 28 mai dernier, peu après la démission du maire de Saint-Brevin-les-Pins et avant que le Gouvernement prenne conscience de l'urgence à agir, la proposition de loi de François-Noël Buffet entend répondre aux attentes des élus : reconnaissance de leur travail, urgence de leur protection, face à des menaces croissantes.

Travaillé avec les associations d'élus locaux et des sénateurs de tous les groupes, le texte initial comportait des mesures utiles, inspirées de travaux parlementaires antérieurs.

Toutes les dispositions adoptées au Sénat ont été reprises par l'Assemblée nationale. Les députés ont ajouté des dispositions bienvenues, comme le fait de conférer le caractère de dépenses obligatoires aux dépenses liées à la protection fonctionnelle des élus, ou la prise en compte des anciens élus victimes de violences.

Quelques regrets toutefois. Nous aurions souhaité aller plus loin sur le périmètre de la protection fonctionnelle, qu'il conviendrait d'élargir à l'ensemble des élus, et sur la couverture assurantielle des élus et biens nécessaires à l'exercice de leur mandat. Nous serons attentifs à la traduction des engagements pris par la ministre devant le Sénat sur ces sujets, ainsi qu'aux décrets d'application.

À l'article 2 bis, allongeant les délais de prescription en cas d'injure et de diffamation publiques, nous avions souhaité rétablir la rédaction du Sénat, qui avait été votée à l'unanimité, avec l'accord de la ministre.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.  - C'est vrai.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur.  - Les députés s'y sont opposés. Je ne sais si c'est une maladresse, c'est à tout le moins un manque de courage. Il faudra impérativement, à l'avenir, renforcer la protection des élus et des personnes dépositaires de l'autorité publique face à la multiplication des injures sur les réseaux sociaux.

Cette proposition de loi apportera des réponses concrètes aux difficultés des maires. J'espère un vote unanime, comme il est de coutume au Sénat quand il s'agit de protéger les élus locaux. (Applaudissements)

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - Je remercie solennellement le Sénat, et l'Assemblée nationale, pour le travail réalisé. Je suis ravie des conclusions de la CMP. Le Gouvernement y est favorable et considère cette proposition de loi comme une pierre angulaire de la lutte contre ce fléau, au même titre que le plan national de lutte contre les violences envers les élus.

S'en prendre à un élu, c'est s'en prendre à la République. Il fallait trouver un consensus partisan, c'est le cas.

La proposition de loi comporte des avancées majeures qui viendront compléter le dispositif annoncé par le Gouvernement à la suite des événements de Saint-Brevin-les-Pins. Celui-ci repose sur un « pack sécurité », avec la création d'un réseau de 3 400 référents dans les brigades de gendarmerie et les commissariats ; le renforcement du dispositif « Alarme élu » ; des sessions de sensibilisation à la gestion des incivilités et à la désescalade de la violence ; la mobilisation de la plateforme Pharos, qui a permis de retirer les vidéos de Papacito visant le maire de Montjoi ; la démarche « d'aller vers » des forces de l'ordre pour permettre aux élus de déposer plainte là où ils le souhaitent.

J'ai également créé un centre d'analyse et de lutte contre les atteintes aux élus, qui coordonne l'action des parties prenantes, afin de mieux comprendre le phénomène et examiner les situations individuelles.

Ces réformes doivent répondre à l'urgence. Votre proposition de loi, elle, apporte des solutions à long terme et témoigne de notre soutien total envers les élus locaux, découragés face à la violence grandissante de notre société et au sentiment d'impunité des auteurs.

Ce renoncement, nous le combattons. La République doit apporter une réponse commune pour mieux protéger ses élus. Ce texte n'est qu'une première étape, car le mal a des racines profondes. Je me félicite à cet égard de nos récents travaux sur le statut de l'élu.

Le mandat de maire est le plus beau. Nous devons le protéger, de même que tous les élus, locaux ou nationaux. J'ai une pensée pour le président Patriat, dont le domicile a été vandalisé cette semaine. (Mme Catherine Di Folco acquiesce.) Ces actes inacceptables doivent être systématiquement et durement punis.

En alourdissant les sanctions, la proposition de loi vient compléter les mesures prises récemment pour mobiliser les parquets. La circulaire diffusée cet été demande aux procureurs un traitement priorisé des procédures concernant les atteintes sur les élus et une réponse pénale systématique, ferme et rapide. Il s'agit de privilégier la voie du déferrement, afin de permettre le prononcé d'une mesure de sûreté.

On observe déjà une légère amélioration de la réponse pénale, avec un nombre de déférés en hausse de 4 points, et de convocations judiciaires de 8 points. Nous devons faire encore mieux, encore plus vite.

Le plan national de lutte contre les violences aux élus s'articule autour de quatre axes : la protection juridique, la sécurité physique des élus, la réponse judiciaire et les relations entre les maires et les parquets. Nous mettons en place une aide psychologique, encourageons le déploiement de la vidéosurveillance - mais il faut passer par la loi pour renforcer la protection fonctionnelle, améliorer sa prise en charge financière, alourdir les sanctions pénales.

Nous pouvons aller plus loin. Je pense à l'article 2 bis, supprimé en CMP. Nous devons trouver les solutions les plus consensuelles. Je m'engage à continuer à y travailler. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE, du GEST, ainsi que des groupes UC et INDEP)

Discussion du texte élaboré par la CMP

M. le président.  - En application de l'article 42, alinéa 12, du Règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la CMP, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement. En conséquence, le vote sur les amendements et sur les articles est réservé.

Article 5

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé : 

Au second alinéa du I et au 2° du II de l'article L. 2335-1 du code général des collectivités territoriales, les mots : « au dernier » sont remplacés par les mots : « à l'avant-dernier ».

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Coordination.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur.  - Avis favorable.

Article 14

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 12

Supprimer les mots :

élus dans la circonscription où est située la commune

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Rédactionnel.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur.  - Avis favorable.

Vote sur l'ensemble

M. Éric Bocquet .  - Le 21 décembre dernier, la vue du mot « maire » inscrit sur l'insigne bleu blanc rouge accroché au revers de la veste d'André Mondange, maire de Péage-de-Roussillon, a suffi pour qu'un groupe d'extrême droite l'agresse violemment.

En 2022, 2 265 signalements pour violence verbale ou physique contre des élus ont été recensés par le ministère de l'intérieur, soit une hausse de 32 % en un an. Leurs familles aussi sont touchées : en 2020, le fils de 14 ans de la maire de Chevilly a été agressé, un mois après des dégradations sur son véhicule et des tirs de mortier sur son domicile. Ces faits ne sont pas isolés : notre collègue François Patriat a vu sa maison dégradée ; le maire de Hantay, Jacques Montois, a fait l'objet de menaces de mort.

Nos 520 000 élus locaux incarnent les valeurs de la République. Nous devons les protéger, alors que la crise de l'engagement s'installe. En 2023, 3 % des maires élus en 2020 avaient démissionné. Les violences ne peuvent qu'accentuer la chute des vocations.

La proposition de loi renforce le volet répressif et améliore la prise en charge des élus victimes. Toutefois, elle devra aussi s'accompagner d'un réinvestissement de l'État sur tout le territoire. Depuis dix ans, la baisse continue des dotations versées aux communes ne leur permet plus de répondre aux besoins de leurs habitants. Les élus locaux, devenus uniques interlocuteurs des citoyens, sont de plus en plus sollicités. Il convient de les protéger dans l'exercice de leur mandat et de garantir en même temps aux collectivités les moyens d'agir, car l'échelon communal est essentiel pour l'équilibre de notre République.

Nos premiers travaux sur le statut de l'élu local devront permettre aux élus locaux d'exercer leur mandat dans les meilleures conditions. La réponse répressive ne suffira pas, il faut réinvestir tous les territoires par des services publics fonctionnels et accessibles à tous.

Nos élus locaux ne peuvent pas être les urgentistes de la République, ne les laissons pas seuls ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du GEST)

Mme Maryse Carrère .  - Un chiffre : 1 424. C'est le nombre de démissions de maires depuis 2020. Cela confirme le sentiment d'abandon et d'injustice qu'éprouvent les élus locaux, qui va de pair avec l'accroissement des violences et agressions à leur égard.

Les drames de Signes, de Montjoi, de Saint-Brevin-les-Pins, de L'Haÿ-les-Roses ne sont que les exemples les plus médiatisés de ces violences ahurissantes. À travers l'agression de ces élus, c'est la République qui est attaquée. Je salue la prise de conscience qui a suivi ces drames et le travail de notre assemblée, notamment de la commission des lois et de son président, pour accompagner ces élus.

Des précédents existent, notamment la loi Engagement et proximité, qui imposait de souscrire une assurance pour couvrir les coûts liés à la protection fonctionnelle, ou la loi permettant aux associations d'élus de se constituer partie civile, à l'initiative de Nathalie Delattre. Le présent texte reprend des recommandations de notre mission d'information sur l'avenir du maire et de la commune, dont le renforcement de la protection fonctionnelle et l'amélioration du dispositif judiciaire.

L'alignement des peines sur le régime existant pour les dépositaires de l'autorité publique, l'institution d'une peine de travail d'intérêt général en cas d'injure publique ou encore la circonstance aggravante en cas d'atteinte à la vie privée et familiale répondent aux demandes des élus.

Les articles 3 et 8 améliorent l'application et le financement de la protection fonctionnelle et l'élargissent aux conseillers régionaux et départementaux ainsi qu'aux candidats aux élections.

Les articles 11 à 14 visent une meilleure prise en compte des réalités du mandat par l'appareil judiciaire, avec une collaboration dans le cadre des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance.

Cette proposition de loi contribuera à une meilleure sécurisation des élus locaux, sans lesquels la République ne peut fonctionner. Il est de notre devoir de leur assurer cette protection, ainsi qu'à leurs proches.

Le RDSE votera en faveur de cette proposition de loi, à l'unanimité. (M. Mathieu Darnaud applaudit.)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Les maires, ici et en outre-mer, sont confrontés à une hausse inquiétante des violences à leur encontre. À mon tour, j'ai une pensée pour le président Patriat.

La CMP est parvenue à un accord, après un travail de coconstruction entre les deux assemblées et le Gouvernement. La navette a amélioré le texte tout en préservant ses grands équilibres et en maintenant les apports du Sénat. Les sanctions encourues par les auteurs d'agressions envers des élus seront renforcées : peine de travail d'intérêt général en cas d'injure publique, circonstance aggravante en cas de harcèlement.

La protection fonctionnelle sera automatiquement octroyée aux maires et adjoints, actuels ou passés, qui en feront la demande, et sera élargie aux candidats aux élections ; les frais de sécurisation engagés par ces derniers en cas de menace seront remboursés par l'État.

Plusieurs demandes de rapports ont été introduites, sur l'élargissement de la protection fonctionnelle à l'ensemble des élus, sur les résultats statistiques des actions menées, sur le coût des contrats d'assurance pour les communes.

À l'article 2 bis, le Sénat avait allongé de trois mois à un an les délais de prescription des délits d'injure et de diffamation publiques. L'Assemblée nationale a souhaité, quant à elle, en restreindre l'application - oubliant que le caractère éphémère de la presse papier ne vaut plus avec internet. C'était l'objet de notre rapport d'information, commis avec François Pillet en 2016, sur « L'équilibre de la loi du 29 juillet 1881 à l'épreuve d'Internet », et des amendements déposés avec Alain Richard au projet de loi Égalité et citoyenneté. Je regrette donc que la CMP n'ait pas retenu la version du Sénat.

Pour autant, le RDPI votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP et du GEST)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) En 2022, 2 265 faits de violences verbales et physiques contre des élus ont été recensés, soit une hausse de 32 % en un an. Ces chiffres sont inquiétants pour la démocratie. Tous les corps de la société sont touchés par la banalisation des incivilités : journalistes, enseignants, sapeurs-pompiers, médecins, mais aussi les élus.

Chaque fois qu'un élu est attaqué, nous lui témoignons notre soutien, nous clamons notre indignation sans que les sources de cette violence ne se tarissent ni que notre législation parvienne à l'endiguer.

Les maires et élus municipaux sont en première ligne face à un mécontentement qui se mue de plus en plus en violence. Notre droit doit évoluer pour les protéger.

Les objectifs de la proposition de loi ont été partiellement atteints. Nous saluons l'aggravation des peines encourues, l'octroi automatique de la protection fonctionnelle ou le dépaysement des affaires, mesures de bon sens. Nous regrettons cependant que l'extension de la protection fonctionnelle à tous les élus, notamment d'opposition, n'ait pas été retenue. Il y aura un rapport, très bien - mais pourquoi attendre ?

Les revirements de l'Assemblée nationale sur l'allongement des délais de prescription nous ont mis dans une situation délicate. Il faudra y revenir, car cette mesure était attendue par les élus.

Avec ce texte, nous adressons un message à ceux qui incarnent la République. Nous sommes tous engagés et mobilisés à leurs côtés. Ils subissent depuis trop longtemps le manque de reconnaissance, la montée des violences et la complexification de l'action publique.

Ce texte est une première marche, sur laquelle le Gouvernement devra prendre appui. Le groupe SER votera pour. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, INDEP et du GEST)

M. Mathieu Darnaud .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP) Soigner le mal des maires, c'était l'objectif que nous nous étions fixé avec Maryse Carrère. Notre rapport apportait des réponses pragmatiques, qui ont inspiré cette proposition de loi - je salue le président Buffet et le rapporteur.

Sur ce sujet, le Sénat s'est montré réactif. Dès 2019, à la suite du décès du maire de Signes, la commission des lois s'était donnée pour priorité de répondre aux violences envers les élus. Elle y a travaillé dans la loi Engagement et proximité, la proposition de loi de Nathalie Delattre, et désormais avec cette proposition de loi.

Notre rapporteur l'a dit, nous aurions souhaité aller plus loin, et il faudra poursuivre la réflexion. Il y va de notre capacité à réinviter nos concitoyens dans la vie démocratique locale - ce qui suppose des conditions satisfaisantes d'exercice du mandat local. Il faudra revenir sur l'allongement du délai de prescription, travailler concrètement sur les attaques répétées dont sont victimes les élus, notamment sur les réseaux sociaux, et qui sont une source majeure de démotivation.

Dans la Somme, le procureur de la République a dédié des moyens au lien avec les élus locaux victimes d'agressions, pour assurer un suivi dans la durée.

Il faut encore et toujours renforcer la protection fonctionnelle et les moyens à disposition des élus locaux pour se défendre.

Madame la ministre, il faudra donner rapidement suite à la proposition de loi de Françoise Gatel sur le statut de l'élu, votée ici à l'unanimité. Nous attendons des signes forts du Gouvernement.

Ce texte est un point de départ. Je sais pouvoir compter sur la détermination du président Buffet. C'est avec enthousiasme que le groupe Les Républicains le votera. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, SER, du RDSE, du RDPI et du GEST)

M. Laurent Somon.  - Excellent !

M. Christopher Szczurek .  - Comme vous, j'ai mesuré sur le terrain l'agressivité subie par les élus. Les chiffres ont été rappelés. Depuis la crise sanitaire et les émeutes de l'été dernier, les élus locaux font face à une flambée de violence. Selon le rapport de Philippe Bas, en 2019, 92 % d'entre eux avaient enduré des incivilités, des injures ou des agressions physiques. Les chiffres de 2023 sont en hausse de 15 % par rapport à 2022.

Nombre de mes collègues députés, conseillers régionaux, départementaux ou municipaux ont fait les frais de cet ensauvagement. Toute violence, verbale ou physique, contre un représentant du peuple, quelle que soit son appartenance politique, est insupportable, et nous déplorons que l'oecuménisme n'ait pas toujours cours...

L'élargissement de la protection fonctionnelle et son inscription en dépenses obligatoires sont des avancées, mais nous aurions souhaité qu'elle soit étendue à tous les élus ainsi qu'aux collaborateurs. La protection des candidats aux élections locales va dans le bon sens, tout comme le renforcement des sanctions pénales contre les auteurs de violences. Ici comme ailleurs, il faut appliquer une tolérance zéro.

Nous serons attentifs à la publication des décrets d'application et à la traduction pénale des mesures adoptées.

La sécurité des élus locaux est un principe non négociable. Avec ses 500 000 élus locaux, garants et défenseurs de notre identité républicaine, la France jouit d'une armature démocratique à nulle autre pareille. Nous devons les protéger de l'incivilité, de l'insécurité.

Ce texte n'est que l'amorce du réarmement pénal contre l'insécurité. Nous serons toujours au rendez-vous de la sérénité et de la sécurité de nos compatriot.es. Nous voterons ce texte. (M. Aymeric Durox applaudit.)

M. Vincent Louault .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Nous avons adopté à l'unanimité la semaine dernière un texte essentiel pour améliorer le mandat des élus locaux.

La présente proposition de loi est attendue de longue date. En pleine crise de l'engagement, il est crucial de protéger les élus dans l'exercice de leur mandat, alors que violences, injures et incivilités se multiplient.

Selon le ministre de l'intérieur, 2 265 plaintes ont été recensées en 2022, soit une progression de 32 %.

La parole s'est libérée. Le ministre de l'intérieur et le garde des sceaux sont montés au créneau et ont donné des consignes fortes. En pleine crise démocratique, il faut couper court à toute violence.

Nous nous réjouissons que la CMP ait été conclusive, mais regrettons le rejet de l'allongement des délais de prescription pour injure et diffamation publiques envers une personne dépositaire de l'autorité publique. Le texte de la CMP reprend toutefois largement les apports du Sénat. Saluons ce travail collectif, pour un résultat concret et ambitieux.

Madame la ministre, vous devrez poursuivre l'effort de protection des élus locaux, qui ne ménagent pas leur peine au service de leur territoire. Ils peuvent compter sur notre mobilisation. Accompagnons-les au plus près de leur mandat en nous assurant que les services judiciaires et administratifs font tout pour les protéger. Pour dissuader les fauteurs de troubles et de violences, il faut punir plus fort, et systématiquement.

Nous soutenons ce texte avec force. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC)

Mme Isabelle Florennes .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je salue tous les élus victimes d'agression, avec une pensée particulière pour le maire de Signes, mortellement blessé par un conducteur qui jetait des gravats sur le bord d'une route. Que ce texte lui soit dédié.

Ce texte a été adopté à l'unanimité à l'Assemblée nationale, même si certains le trouvaient ou trop répressif ou trop laxiste. J'espère une même unanimité au Sénat.

Je salue l'aggravation des peines en cas d'agression d'un élu ou d'un ancien élu, l'extension de la protection aux candidats, l'élargissement du bénéfice de la protection fonctionnelle et le droit à l'assurance pour les permanences des élus et des candidats.

Nous apportons ainsi une réponse circonscrite à ces actes de violence. Circonscrite, car ce texte fait partie d'un tout, avec le statut de l'élu et de la loi Engagement et proximité de 2019.

Cela suffira-t-il à répondre au malaise des élus locaux ? Voyez les démissions : 1 300 depuis juin 2020, soit 450 par an, contre 350 par an entre 2014 et 2020, soit une hausse de 30 %. En mars 2020, 106 communes s'étaient retrouvées sans candidat déclaré, 70 % de plus qu'en 2014. Les raisons sont multiples et complexes : repli sur soi, peur de s'engager, dégradation du débat public, entre autres.

Quelle est notre conception de la condition d'élu ? Peut-on imaginer que cela devienne un métier, avec un diplôme, des formations ? La suspicion à l'égard des élus, considérés comme des privilégiés, est désormais telle que nous avons peur d'aborder cette question.

Toute évolution législative devra s'accompagner d'un changement de culture des acteurs de la justice et de l'État.

Je remercie l'auteur de ce texte, François-Noël Buffet, et les rapporteures Violette Spillebout et Catherine Di Folco.

Le groupe UC votera résolument en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains ainsi que du GEST)

M. Guy Benarroche .  - Le GEST apporte tout son soutien à François Patriat.

La semaine dernière, nous avons avancé sur le statut de l'élu. Il y a un besoin de renouveau de la démocratie locale, qui doit susciter l'envie de s'engager. La crise de confiance et la crise de l'engagement sont profondément liées.

Les écologistes ont toujours soutenu les réflexions en ce sens et proposé des solutions pour faire baisser les tensions. La relation entre élus et citoyens a parfois pris des dimensions violentes inacceptables.

Le GEST soutient l'action des élus locaux et s'associe à toutes les propositions d'amélioration de l'exercice de leur mandat - je pense au groupe de travail sur la décentralisation voulu par le président Larcher. Nous nous associons à la demande d'un réel statut de l'élu, plus protecteur. Il faut aussi améliorer la parité et la diversité des profils.

Nous accueillons très favorablement ce texte, même s'il ne va pas assez loin, et saluons le travail de Catherine Di Folco, mais également de Marie-Pierre de La Gontrie.

Nous nous réjouissons aussi de la meilleure compensation des coûts d'assurance, car les budgets de nos collectivités sont en souffrance : inflation, non-compensation, lisibilité pluriannuelle limitée...

Les périodes de campagne étant propices au déclenchement des violences, il est bienvenu que la protection fonctionnelle soit étendue aux candidats déclarés.

Nous saluons la facilitation des relations avec les acteurs judiciaires et le dépaysement d'office des affaires impliquant un élu.

Nous sommes attentifs à ce que ces mesures ne soit pas perçues comme inéquitables par nos concitoyens. Le message est clair : les violences à l'égard des élus sont intolérables. Mais les élus ne sont pas des citoyens à part. La justice, qui mérite d'être renforcée, ne doit pas être à deux vitesses. S'il est essentiel d'encourager et d'accompagner les dépôts de plaintes des élus, cela doit valoir pour toutes les plaintes.

Ces violences traduisent une déconnexion entre la politique et les citoyens et la fin de la croyance en une gouvernance pour l'intérêt commun. La réponse se trouve probablement dans le développement plus large de la démocratie locale : référendums citoyens, budgets citoyens, applications citoyennes...

Le GEST votera cette proposition de loi, malgré ses limites. (Applaudissements sur les travées du GEST, du RDSE et des groupes CECRE-K, SER et UC)

La proposition de loi est définitivement adoptée.

(Applaudissements)

Modifications du code général de la propriété des personnes publiques relatives à la Polynésie française (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi ratifiant l'ordonnance du 24 mai 2023 modifiant les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques relatives à la Polynésie française. La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics .  - Ce projet de loi de ratification de l'ordonnance du 24 mai 2023 vise à rendre le droit plus lisible et mieux applicable en Polynésie. Je remercie Thani Mohamed Soilihi et Teva Rohfritsch.

Depuis 1977, la Polynésie française est propriétaire de son domaine à la suite du transfert du domaine maritime par l'État - à l'exception des zones nécessaires à l'exercice de sa souveraineté. L'État et ses établissements publics détiennent un important patrimoine public - tribunaux, aéroports, écoles... -, ainsi qu'un domaine privé.

La loi organique du 5 juillet 2019 a donné à l'État compétence en matière d'établissement des règles relatives à son domaine privé et au domaine privé et public de ses établissements publics en Polynésie française, sur le modèle de ce qui se pratiquait dans les autres collectivités d'outre-mer.

Cette évolution positive méritait d'être suivie de la mise en cohérence du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P). Nous devons à la Polynésie un droit applicable et de qualité.

C'est l'objet de cette ordonnance du 24 mai 2023, qui s'inscrit dans le prolongement de la démarche de codification du droit domanial applicable outre-mer, entreprise par l'ordonnance du 28 septembre 2016.

Cependant, les règles relatives au domaine privé de l'État en Polynésie française n'avaient pu être codifiées, en raison d'un avis du Conseil d'État de 2016 interprétant strictement la compétence de l'État sur son seul domaine public et celui de ses établissements publics.

Une nouvelle répartition des compétences opérée par la loi organique du 5 juillet 2019 a ainsi été consacrée. La cohérence et la lisibilité du droit domanial applicable en Polynésie s'en sont trouvées renforcées.

L'article 74-1 de la Constitution habilite le Gouvernement à étendre par ordonnance aux collectivités territoriales régies par l'article 74 et en Nouvelle-Calédonie les mesures prévues pour l'Hexagone.

Cette ordonnance ne remet absolument pas en cause les compétences de la collectivité. Elle a pu susciter les questions des Polynésiens, mais le travail de concertation et de dialogue mené par Teva Rohfritsch et Lana Tetuanui a levé les doutes.

L'assemblée de Polynésie avait émis un avis favorable sur l'ordonnance de 2019. Le dialogue va se poursuivre, sous l'égide de la ministre des outre-mer, actuellement en Guyane.

Ce texte, qui finalise la mise à jour du CG3P, est le fruit d'un important travail de la direction interministérielle de l'immobilier de l'État et notamment de Pierre Brun, administrateur des finances publiques.

Cette ordonnance harmonise les règles domaniales de l'État en Polynésie française, en conformité avec le droit polynésien. Je vous invite donc à adopter ce projet de loi de ratification.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois .  - Prise sur le fondement de l'article 74-1 de la Constitution, l'ordonnance du 24 mai 2023 modifie le livre du CG3P consacré à la Polynésie française. La commission des lois a approuvé ce projet de loi de ratification, sans modification.

La multiplicité des régimes et des catégories de domaines rendait le droit domanial en Polynésie peu lisible. La collectivité dispose d'une compétence normative de principe, tandis que l'État ne peut agir que dans un périmètre de compétences défini par la loi statutaire de 2004.

Depuis 1977, la Polynésie est propriétaire de son propre domaine. L'État lui a transféré l'entièreté du domaine maritime, sauf ce qui a trait à la marine nationale. L'État et ses établissements publics conservent la propriété d'un vaste domaine public et d'un domaine privé.

Jusqu'en 2019, seul le domaine public figurait dans les compétences de l'État, qui n'était a contrario pas compétent pour établir les règles relatives à son domaine privé. Cette singulière répartition des compétences relevait davantage d'une omission que d'un choix délibéré. La Polynésie n'a jamais légiféré sur le domaine privé de l'État. En pratique, celui-ci demeurait donc régi par l'ancien code du domaine de l'État, maintenu en vigueur à titre dérogatoire, le législateur ordinaire étant incompétent pour légiférer sur le domaine privé de l'État en Polynésie française.

Première amélioration, la loi organique de 2019 a étendu la compétence de l'État en Polynésie à son domaine privé et au domaine public et privé de ses établissements publics. Mais le CG3P devait être mis en cohérence. D'où, quatre ans plus tard, cette ordonnance.

La commission des lois déplore la lenteur de cette réforme. Pendant vingt ans, près de 15 km2 ont été régis par des dispositions obsolètes depuis 2006. C'est emblématique des difficultés juridiques des collectivités ultramarines : le droit y est peu lisible, peu accessible et doit prendre en compte les spécificités locales, dont on ne saurait faire fi.

Il a ainsi fallu identifier les dispositions relevant spécifiquement de la Polynésie française. Le statut de 2004 prévoit en effet que celle-ci dispose d'un droit de préemption immobilière et est compétente sur les biens vacants et sans maître, par exemple. L'ordonnance exclut donc l'application par l'État de ces procédures qui risqueraient d'empiéter sur les compétences propres du pays. La commission des lois a veillé scrupuleusement au respect des compétences de la Polynésie française.

La commission regrette que l'assemblée de Polynésie n'ait pu émettre un avis sur l'ordonnance, ayant été saisie par le Gouvernement en avril 2023, en pleine période électorale - mais son avis est réputé favorable.

Je me suis attaché à recueillir les observations des représentants polynésiens et ai accordé la plus grande considération à leurs réserves. La commission des lois a conclu que cette ordonnance n'empiétait pas sur les compétences de la Polynésie française.

Ainsi, en matière d'acquisition de biens culturels maritimes, l'ordonnance se contente de mettre en cohérence le CG3P avec le code du patrimoine métropolitain et celui de la Polynésie française.

Je regrette que l'amendement d'Agnès Canayer sur l'entretien des chemins privés ruraux en Polynésie ait été déclaré irrecevable. J'espère qu'un prochain véhicule législatif nous permettra d'avancer.

La commission des lois vous invite à adopter ce projet de loi de ratification, sans modification. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du GEST et des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

Mme Maryse Carrère .  - Je salue le riche travail du Parlement qui a scellé, avec la loi organique de 2019, un pacte de confiance entre l'Hexagone et les collectivités d'outre-mer, sous l'égide d'Annick Girardin, alors ministre des outre-mer.

Cette ordonnance, très attendue des Polynésiens, clarifie le régime de droit domanial applicable dans les 118 îles volcaniques et coralliennes de ce magnifique territoire français.

Cette ordonnance met fin au régime de spécificité législative applicable jusqu'ici, une clarification nécessaire pour un territoire dont la superficie est comparable à celle de l'Europe. La multiplicité des régimes applicables rendait le droit patrimonial illisible.

Le RDSE appelle à la prudence afin de ne pas dénaturer le rapport culturel et sacré des Polynésiens avec leur terre.

Nous appelons le Gouvernement à se saisir à nouveau du projet de codification du régime de la propriété publique en Polynésie, abandonné en 2011.

Souvenons-nous du rapport de Nathalie Delattre tendant à améliorer la lisibilité du droit applicable aux collectivités territoriales : ce projet de loi poursuit la même exigence. Nous le voterons unanimement.

Mme Nicole Duranton .  - (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.) Ce projet de loi de ratification est marqué du sceau de la clarification et de la cohérence. Je salue l'excellent travail du rapporteur Thani Mohamed Soilihi.

Avant 2019, le droit domanial applicable en Polynésie française était illisible. La loi organique de 2019 visait à y remédier. Cette évolution positive restait cependant incomplète, en l'absence de mise en cohérence du CG3P. Ce sera chose faite avec la ratification de cette ordonnance, qui améliore la lisibilité du droit domanial sans empiéter sur les compétences de la collectivité.

Je sais que les élus polynésiens se sont interrogés, notamment sur la notion de bien culturel maritime situé dans le domaine public maritime. Je remercie Teva Rohfritsch pour son travail de clarification, mais aussi Lana Tetuanui. Tous deux font un travail remarquable. La notion de gisement ne concerne pas les ressources naturelles présentes dans les fonds marins polynésiens, qui relèvent quasi exclusivement de la Polynésie française.

L'assemblée de la Polynésie française avait émis un avis favorable à la loi organique de 2019. Son avis sur cette ordonnance est également réputé favorable. Néanmoins, son président a été auditionné.

Un comité interministériel des outre-mer (Ciom) dédié aux collectivités du Pacifique devait se tenir avant le remaniement. MM. Teva Rohfritsch et Mikaele Kulimoetoke attendent qu'un nouveau rendez-vous soit fixé par Mme Guévenoux.

Le groupe RDPI votera ce texte. (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.)

M. Pierre-Alain Roiron .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Nous connaissons tous les atouts et la grandeur du territoire polynésien. L'article 74 de la Constitution lui confère un statut d'autonomie, dans le respect de l'identité polynésienne.

L'ensemble des changements apportés par le CG3P résulte de la loi organique de 2019, mise à jour du statut de 2004. Nous parachevons ce travail. Deux enjeux : la simplification juridique et le respect des spécificités locales.

S'agissant de la simplification, les dispositions visent à améliorer la lisibilité de la répartition des compétences. En effet, l'État n'avait pas de compétence normative dans son propre domaine, ce qui constituait un frein : il ne pouvait pas céder d'immeubles, alors que son domaine privé représente 12,5 km2.

L'ordonnance réforme le CG3P et prévoit que les dispositions du code sont applicables de plein droit au domaine privé et public de l'État et de ses établissements publics. Elle introduit également des articles définissant les règles de droit commun concernant l'acquisition, la gestion et la cession des biens du domaine de l'État.

Cela permettra une meilleure gestion des terrains publics et favorisera la construction de logements sociaux, grâce à la vente de terrains de l'État à des prix réduits.

Nous partageons l'avis du rapporteur qui minimise l'impact des dispositions ayant trait à l'acquisition de biens culturels maritimes.

Nous espérons que le développement économique et social de l'archipel sera favorisé. Nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST et du RDSE)

Mme Catherine Di Folco .  - Ce texte s'inscrit dans la continuité des travaux parlementaires touchant à la Polynésie française, en particulier des ajustements au statut de cette collectivité opérés par la loi organique de 2019.

Juridiquement complexe, la question du domaine public revêt une acuité particulière dans les collectivités françaises du Pacifique, où s'appliquent des règles souvent dérogatoires au droit commun.

En Polynésie française, l'actuelle répartition résulte du transfert graduel, à partir de 1977, de tronçons du domaine public de l'État à la collectivité. La cohabitation des domaines de l'État, de la collectivité et des communes a été consacrée par la loi organique du 27 février 2004.

Le droit applicable à la domanialité de l'État n'est toutefois pas dénué d'ambiguïtés, faute de définition détaillée. Jusqu'en 2019, la loi organique ne mentionnait pas parmi les compétences de l'État la gestion de son domaine privé. Cette omission revenait à en confier cette gestion à la Polynésie française. Bien qu'elle n'en ait pas fait usage, cet état du droit a entraîné une complexité inutile et nuit à la sécurité juridique du domaine privé de l'État.

Depuis la loi organique de 2019, l'applicabilité de plein droit des dispositions nationales relatives aux domaines public et privé de l'État est la norme. Reste que cette clarification appelait une traduction dans la loi ordinaire, en particulier au livre VI de la cinquième partie du CG3P.

L'ordonnance du 24 mai 2023 tire les conséquences de la loi organique et procède à un certain nombre de clarifications et simplifications du code. Je salue le travail de notre rapporteur, Thani Mohamed Soilihi, s'agissant notamment du domaine public maritime.

Quatre années auront séparé la loi organique de l'ordonnance. Et le délai entre l'ordonnance et le début de l'examen du projet de loi de ratification ne laisse que neuf mois avant la caducité de l'ordonnance...

Le groupe Les Républicains votera ce projet de loi. (Applaudissements sur de nombreuses travées)

M. Vincent Louault .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Pierre-Alain Roiron applaudit également.) La loi organique de 2019 a comblé une lacune en mentionnant explicitement la compétence de l'État sur son domaine privé en Polynésie française. Restait à actualiser les dispositions du CG3P applicables dans ce territoire. C'est l'objet de cette ordonnance, dont nous approuvons la ratification.

Il aura fallu vingt ans pour que le problème soit résolu... Je remercie M. Brun, de la direction de l'immobilier de l'État, d'avoir clos ce dossier avant son départ en retraite. Parce qu'il est urgent d'améliorer la lisibilité du droit applicable en Polynésie française, le groupe INDEP votera le projet de loi. (Applaudissements sur de nombreuses travées ; on apprécie la concision de l'orateur.)

Mme Lana Tetuanui .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Mes chers collèges, ia ora na !

Ce projet de loi ratifiant l'ordonnance du 24 mai 2023 étend à notre territoire des dispositifs en vigueur en métropole au bénéfice de la gestion domaniale de l'État, dans un esprit de meilleure lisibilité du droit.

À l'origine, il appartenait à la Polynésie française de fixer les règles relatives au domaine privé de toutes les collectivités publiques. L'État a préféré reprendre cette compétence pour son propre domaine, mais encore fallait-il que les dispositions utiles soient étendues à la Polynésie. La loi organique de 2019 a ainsi réformé l'application du droit domanial de l'État en Polynésie.

Après analyse, il a été noté que la rédaction de l'ordonnance diffère de celle du projet de ratification. Il est prévu, au deuxième alinéa de l'article 2, de ne pas étendre à la Polynésie les articles relatifs à certaines modalités d'acquisition : dation en paiement, droit de préemption, successions en déshérence, entre autres. Cette disposition a été prise à juste titre, la Polynésie française étant compétente en la matière.

Néanmoins, le dernier alinéa, qui prévoit l'acquisition de biens culturels maritimes par l'État en tant qu'ils sont situés dans son domaine public maritime, appelle une certaine réserve.

D'une part, le domaine public maritime de l'État en Polynésie doit être clairement identifié, sous réserve des emprises de la défense nationale.

D'autre part, il convient de rappeler la compétence de la Polynésie française en matière de culture, telle qu'elle résulte des articles 13 et 14 de la loi organique statutaire. Or il semble que le dernier alinéa de l'article 2 vise les biens culturels maritimes au sens de l'article L. 532-1 du code du patrimoine : « Constituent des biens culturels maritimes les gisements, épaves, vestiges ou généralement tout bien présentant un intérêt préhistorique, archéologique ou historique qui sont situés dans le domaine public maritime ou au fond de la mer dans la zone contiguë ».

Or si l'intérêt préhistorique, archéologique ou historique ne soulève pas de difficultés d'interprétation, il en va autrement d'un gisement au sens géologique. Pour éviter toute ambiguïté, j'ai déposé un amendement pour abroger l'article L. 5621-2 du CG3P qui autorise l'acquisition par l'État de biens culturels maritimes situés dans son domaine public maritime. Le président de l'Assemblée de la Polynésie française, Antony Géros, a déclaré le soutenir dans un courrier adressé à la ministre des outre-mer et au président Buffet.

Cette ordonnance est emblématique des difficultés juridiques auxquelles sont confrontées les collectivités ultramarines et de la difficile appréhension par l'État du droit applicable outre-mer, souvent peu lisible. Il nous appartient d'être toujours vigilants, pour sécuriser les situations dans le respect des identités foncières et des évolutions institutionnelles propres à chaque collectivité.

Je remercie le rapporteur pour son excellent travail. Sous réserve de l'adoption de notre amendement, le groupe centriste votera le projet de loi de ratification. (Applaudissements sur de nombreuses travées)

M. Michel Canévet.  - Bravo !

M. Guy Benarroche .  - Le Sénat porte une attention singulière aux situations des différents territoires de la République.

Le statut de la Polynésie française lui confère une autonomie renforcée et le pouvoir d'édicter des normes relevant du domaine de la loi. L'État conserve des compétences d'attribution, limitativement énumérées, mais la collectivité de Polynésie détient la compétence normative de droit commun.

Jusqu'en 2019, l'État disposait d'une compétence expresse sur son seul domaine public - situation inhabituelle au regard des règles en vigueur dans les autres collectivités d'outre-mer, même si la Polynésie n'a jamais usé de sa compétence par défaut sur le domaine privé de l'État.

La loi organique de 2019 a précisé que l'État est compétent pour fixer les règles relatives à son domaine privé et à celui de ses établissements publics. Ce principe a été approuvé par l'Assemblée de la Polynésie française dans un avis de novembre 2018. Pour qu'il produise ses pleins effets, une mise en cohérence du livre VI de la cinquième partie du CG3P était nécessaire. L'ordonnance y procède.

Nous regrettons le délai nécessaire à l'écriture de cette ordonnance, et déplorons davantage encore le manque d'égard du Gouvernement vis-à-vis de la collectivité de Polynésie, saisie du projet en pleines élections territoriales. Heureusement, notre assemblée a joué son rôle en échangeant avec les acteurs locaux, qui ont été entendus.

J'en profite pour rappeler l'État à son devoir : soixante ans après les premiers essais nucléaires dans le Pacifique, les questions de réparation et de compensation des dommages causés ne sont toujours pas résolues. Près de 170 000 personnes ont été exposées à des radiations, et les avancées de 2010 ne sont pas à la hauteur de la triste réalité.

Le GEST votera ce projet de loi, synonyme de clarification et de sécurisation.

Mme Evelyne Corbière Naminzo .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) La complexité du droit domanial outre-mer est largement documentée. Dès 2015, le Sénat avait alerté sur le morcellement de ce droit et l'éparpillement des normes applicables dans un grand nombre de textes.

Les compétences de l'État en Polynésie sont régies par le principe d'attribution : la compétence de principe appartient à la Polynésie.

La loi organique du 27 février 2004 prévoit que l'État est compétent pour fixer les règles relatives à son domaine public. Une lecture stricte de cette disposition pouvait laisser entendre qu'il ne l'était pas pour fixer celles relatives à son domaine privé.

Afin de dissiper toute ambiguïté, la loi organique de 2019 a conféré explicitement à l'État la compétence relative à ses domaines. L'Assemblée de la Polynésie française avait émis un avis favorable à cette évolution.

L'ordonnance soumise à notre ratification est la traduction de cette clarification, qui ne doit pas empêcher la prise en compte des spécificités locales ni du statut particulier de la collectivité.

Par ailleurs, la question du domaine public maritime de l'État, soulevée par Lana Tetuanui, nous interroge. Le sujet est particulièrement sensible, la Polynésie étant constituée de 118 îles, réparties en cinq archipels couvrant une superficie comparable à l'Europe.

Si la quasi-totalité du domaine public maritime en Polynésie appartient à la collectivité, celui de l'État se limitant à quelques installations portuaires de la marine, il ne faudrait pas que, sous couvert de clarification, ce dernier puisse empiéter sur les compétences de la collectivité. Comment s'assurer qu'il n'y ait aucun risque d'intrusion de l'État dans l'exploitation des ressources des sous-sols marins ?

Nous réservons notre vote en fonction des clarifications qui seront apportées sur ce point. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et UC)

Mme Lana Tetuanui.  - Merci !

Discussion des articles

Avant l'article unique

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié bis, présenté par Mmes Tetuanui et Gatel, MM. Bonnecarrère, Delahaye, Henno et Laugier, Mmes O. Richard et Billon et M. Cambier.

Avant l'article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article L. 5621-2 du code ge?ne?ral de la proprie?te? des personnes publiques est abroge?.

Mme Lana Tetuanui.  - Cet amendement, que j'ai annoncé dans la discussion générale, abroge l'article L. 5621-2 du CG3P.

Nous émettons de très vives réserves sur la notion de gisement. Pouvons-nous obtenir la liste des éléments du domaine public maritime de l'État en Polynésie, hormis Mururoa et Fangataufa où se sont déroulés les essais nucléaires ? Quelle est votre interprétation de la notion de gisement ? Au sens géologique, un gisement est une disposition de couches de minéraux dans le sous-sol - cela relève entièrement de la compétence de la Polynésie française.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - Après avoir analysé avec la plus grande attention les réserves de Mme Tetuanui, j'ai acquis la certitude que l'ordonnance n'entraîne aucun risque d'empiètement sur les compétences de la Polynésie.

La compétence de la Polynésie en matière culturelle n'est pas menacée par l'article concerné du CG3P. L'ordonnance précise que seuls les biens situés dans le domaine public maritime de l'État sont concernés. Le code du patrimoine polynésien prévoit explicitement que la collectivité peut revendiquer des biens maritimes, à l'exception de ceux relevant du domaine public maritime de l'État, très restreint.

La notion de gisement dans le code du patrimoine diffère de celle du code minier. Les gisements miniers et l'ensemble des ressources naturelles, biologiques ou non, sont exclus du dispositif.

Des dispositions identiques s'appliquent à la Nouvelle-Calédonie depuis 2016, sans qu'aucun empiètement en ait résulté.

Je vous demande donc de retirer votre amendement. À défaut, l'avis sera défavorable.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué.  - J'entends les craintes de Mme Tetuanui, mais je souscris aux arguments du rapporteur.

La compétence de l'État issue de l'article dont l'abrogation est proposée respecte parfaitement celle de la collectivité telle que définie par la loi organique de 2004. Elle n'empiète pas sur les compétences de la collectivité pour légiférer sur le domaine public maritime. L'État ne pourra exercer son droit que sur le domaine public maritime qu'il a conservé, tout à fait résiduel.

L'abrogation de cette disposition serait contraire au code du patrimoine et complexifierait le droit. Le code du patrimoine polynésien reconnaît l'existence de biens relevant du domaine maritime de l'État.

Retrait, sinon avis défavorable.

Mme Lana Tetuanui.  - Monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, je vous prends au mot.

Le récit de l'histoire de la Polynésie prendrait des heures, voire des jours. Le nucléaire, le foncier, le domaine public, tout cela parle aux Polynésiens. Nous touchons à leur coeur, leur âme, leurs tripes.

Je suis pour la paix des ménages et retire mon amendement, mais prenez garde ! Les paroles s'envolent, les écrits restent. Or ce qui est dit ici est retranscrit au procès-verbal. C'est nous qui allons rentrer, à 20 000 km d'ici, et devrons expliquer ce qui s'est décidé. (Applaudissements)

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur.  - J'accorde, pour ainsi dire naturellement, un grand intérêt à ces sujets. Oui, ici, les paroles deviennent des écrits : les assurances qui vous ont été données seront consignées au procès-verbal. Pour avoir approfondi l'examen de cette question, je n'ai aucun doute. Merci de retirer votre amendement.

L'amendement n°1 rectifié bis est retiré.

L'article unique est adopté. En conséquence, le projet de loi est adopté.

M. le président.  - La commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement est parvenue à l'adoption d'un texte commun.

La séance est suspendue à midi trente-cinq.

Présidence de Mme Sophie Primas, vice-présidente

La séance reprend à 14 h 30.

Convention internationale (Procédure simplifiée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Canada relatif au déploiement d'agents de sûreté en vol.

Le projet de loi est définitivement adopté.

Convention entre la République française et le Grand-duché de Luxembourg (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-duché de Luxembourg en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et la fortune.

Discussion générale

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l'Europe .  - La France a été l'un des moteurs des travaux de l'OCDE en matière de lutte contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert des bénéfices, dite BEPS, ayant conduit en 2016 à l'adoption d'une convention multilatérale.

Le 20 mars, la convention fiscale franco-luxembourgeoise de 1958 a été révisée pour en tenir compte. C'est la première fois que nous dérogions au principe de lex loci laboris : les travailleurs frontaliers demeurent soumis à l'impôt au Luxembourg, même pour les jours télétravaillés, tant que ceux-ci demeurent en deçà d'un plafond de 29 jours.

Mais le covid et le développement du télétravail ont changé la donne. Pendant le covid, considéré comme une force majeure, des accords amiables y dérogeaient jusqu'en juin 2022, mais il fallait revoir les règles. En effet, dans la perspective d'un retour à la normale, le plafond de 29 jours est apparu obsolète pour ceux des 122 000 transfrontaliers qui sont concernés par le télétravail.

Les autorités françaises et luxembourgeoises ont donc conclu un accord le 19 octobre 2021 pour relever le plafond de 29 à 34 jours par an. L'avenant signé en 2022, soumis aujourd'hui à votre approbation, entérine cette disposition. Au-delà des 34 jours, la totalité des jours de télétravail seront imposés là où le travail se réalise physiquement.

Ce relèvement améliorera la qualité de vie des transfrontaliers grâce à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. En outre, les déplacements quotidiens seront réduits : l'impact en matière de protection de l'environnement n'est pas négligeable. Ce forfait de 34 jours a par ailleurs été étendu à la fonction publique.

Nous prévoyons ainsi une règle d'imposition claire, répondant aux attentes de nos compatriotes travaillant au Luxembourg.

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE) En application de l'article 53 de la Constitution, il appartient au Parlement d'approuver ou de ratifier les conventions fiscales. Le Sénat est la première chambre saisie de ce projet de loi, porteur de l'avenant du 7 novembre 2022 à la convention franco-luxembourgeoise du 20 mars 2018.

Cette dernière a remplacé la précédente, qui datait de 1958, afin de tenir compte des dernières avancées de l'OCDE : une définition modernisée de la résidence fiscale, une clause anti-abus et une définition de l'établissement stable avaient été incluses.

Le Luxembourg est particulièrement dépendant de la main-d'oeuvre transfrontalière. Près de 121 000 - ou peut-être 122 000, monsieur le ministre... - Français travaillent au Luxembourg. Ils résident principalement en Moselle et en Meurthe-et-Moselle.

La convention prévoyait un forfait de 29 jours. Concrètement, un Français qui travaille au Luxembourg y est en principe imposé ; mais au-delà de 29 jours télétravaillés, l'activité est imposée dans le pays de résidence au premier jour. Une convention amiable, signée le 16 juillet 2020, en règle les modalités.

La perte fiscale pour la France, en deçà de 29 jours, est estimée de 30 à 60 millions d'euros par an. Cette perte pourrait être compensée par la TVA acquittée en France par les télétravailleurs, à l'occasion de leurs achats. En dépit de ce manque à gagner fiscal, les deux gouvernements se sont mis d'accord pour étendre ce forfait de télétravail.

S'il est vrai que la portée de cet avenant est limitée, il n'en est pas moins attendu par les travailleurs transfrontaliers et par le Luxembourg. Le forfait passe à 34 jours à la demande du Luxembourg, afin qu'il soit cohérent avec ce que prévoient ses conventions avec la Belgique et l'Allemagne. Les travailleurs transfrontaliers sont ainsi sur un pied d'égalité, quel que soit leur pays d'origine.

L'avenant est étendu aux contribuables percevant des rémunérations publiques. Le principe général est que les rémunérations publiques sont imposées dans l'état de source : concrètement, un Français travaillant au Luxembourg pour l'ambassade de France est imposé en France. Par exception, la convention stipule que les rémunérations publiques sont imposées dans l'état d'exercice de l'activité lorsque le contribuable est résident de cet état et dispose de sa seule nationalité : lorsqu'un Luxembourgeois travaille au Luxembourg pour l'ambassade de France, il est imposé au Luxembourg. Or le télétravail peut faire basculer un contribuable d'une hypothèse à l'autre : un Français qui travaille pour la ville de Luxembourg est imposé au Luxembourg en présentiel et en France en télétravail. Pour remédier à cette situation, l'avenant permet de prévoir qu'en deçà du seuil de 34 jours de télétravail, les revenus sont imposés dans l'État de source. Nous alignons ainsi le régime des employés du public sur celui des employés du privé.

Ces règles sont cependant un cadre provisoire. C'est un compromis équilibré qui allie protection des travailleurs transfrontaliers et le respect des deniers publics, mais il serait opportun à l'avenir de rehausser le forfait de télétravail - les travailleurs transfrontaliers y sont très favorables -, mais aussi d'envisager une meilleure répartition des recettes fiscales entre la France et le Luxembourg.

L'avenant du 27 juin 2023 à la convention franco-suisse de 1966 prévoit ainsi un forfait de télétravail de 40 % - soit deux jours par semaine - au cours duquel s'applique le principe d'imposition de l'État qui accueille l'activité. L'État qui dispose du droit d'imposer reverse en contrepartie une partie de l'impôt à l'État de résidence.

Les Mosellans en rêvent !

En attendant, la commission des finances vous propose d'adopter ce projet de loi sans modification.

Autorisez-moi une parenthèse : les Français qui travaillent au Luxembourg et sont élus en France ne disposent d'aucun des droits accordés aux élus qui travaillent en France, tels que des crédits d'heures ou les autorisations d'absence. Lors de l'examen de la proposition de loi portant statut de l'élu, j'ai demandé à Mme Faure de s'assurer que le sujet serait abordé lors de la prochaine commission intergouvernementale franco-luxembourgeoise.

Dans des communes proches du Luxembourg, 90 % des habitants y travaillent. J'en connais même une, où seuls le secrétaire de mairie et l'instituteur n'y travaillent pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Le monde du travail a connu une transformation sans précédent, accélérée par la crise sanitaire. Le télétravail, autrefois un privilège ou une exception, s'est imposé comme un élément central de notre quotidien professionnel. Le travail à distance est non seulement viable, mais il apporte aussi de nombreux bienfaits aux employés comme aux entreprises.

Son adoption massive et sa pérennisation soulèvent toutefois des questions, notamment de fiscalité. La modification de la convention fiscale avec le Luxembourg intervient dans ce contexte.

Avec le passage de 29 à 34 jours pour le forfait de télétravail, nous reconnaissons l'évolution du monde du travail. Le cadre législatif doit évoluer avec les réalités du monde professionnel. En étendant cette flexibilité aux fonctionnaires transfrontaliers, nous donnons les mêmes droits à tous les travailleurs.

En prévoyant une nouvelle discussion d'ici fin 2024, l'avenant consacre une évolution continue en fonction des besoins. Cela témoigne d'une volonté de rester attentif et réactif face au changement. La convention restera ainsi pertinente et bénéfique. Aussi, le groupe RDPI soutient-il ce projet de loi.

M. Michaël Weber .  - L'avenant que nous examinons accorde davantage de souplesse aux travailleurs transfrontaliers. C'est louable. On se réjouit de rehausser le seuil de télétravail sans changement d'imposition de 29 à 34 jours.

Mais cette mesure est au mieux transitoire. La convention, en l'état, ne gratifie le contribuable que de moins d'une journée par semaine de travail à distance et le nécessaire partage de la ressource fiscale n'est pas réglé.

Cette question est cruciale : près de la moitié de la population active luxembourgeoise est composée de frontaliers. Avec des axes routiers et ferroviaires saturés, on peut comprendre leur réticence à perdre trois heures par jour dans les embouteillages. Avec l'explosion de l'immobilier, les Luxembourgeois eux-mêmes sont nombreux à élire résidence dans les communes près de la frontière. Si le Luxembourg veut maintenir son niveau de développement économique actuel, il lui faudra plus de 9 000 travailleurs supplémentaires d'ici 2030.

Le recours au télétravail est indispensable. Alors pourquoi ce seuil de 30 jours plutôt que d'une cinquantaine ? Parce que ce plafond est celui des conventions signées avec la Belgique et l'Allemagne.

Le Grand-duché veut placer les télétravailleurs sur un pied d'égalité. Mais dès lors, pourquoi ne pas harmoniser la rétrocession fiscale accordée aux communes belges - l'accord Junker-Reynders -, mais pas aux communes françaises et allemandes ? C'est pourtant indispensable au vu des coûts importants des services publics sans rentrée fiscale. Le canton de Genève reverse ainsi une partie des recettes à l'Ain et à la Haute-Savoie.

À Villerupt, où 70 % de la population travaille au Luxembourg, l'investissement public est paralysé. Peut-on se contenter d'un prétendu codéveloppement alors que les inégalités sont criantes ?

Nous devons éviter tout frein administratif au télétravail. Inspirons-nous de l'accord avec la Suisse, où le plafond atteint deux jours par semaine.

Pour parachever cette démarche, il faut compenser la perte pour le Trésor public français. Ainsi, les négociations avec la Suisse ont fixé une compensation à 40 % du montant des impôts dus sur ces rémunérations.

Il faut plus d'harmonisation à l'échelle de la grande région si l'on veut traiter toutes les entités, qui sont devenues interdépendantes, sur un pied d'égalité. Il faut une volonté politique de s'accorder et de décider en commun et non au cas par cas, en fonction de conventions à géométrie variable.

M. Jean-François Husson .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Marie Mizzon et Mme Véronique Guillotin applaudissent également.) Si les effets du télétravail sont encore incertains, cet avenant est très attendu par les plus de 120 000 travailleurs transfrontaliers. Le recours accru au télétravail désengorge les infrastructures de transport et améliore la qualité de vie de ces travailleurs.

C'est la deuxième modification de la convention entrée en vigueur en 2019. Nous avions déjà examiné en 2020 un avenant sur les modalités d'imposition des revenus. Cet avenant comporte une clause de revoyure qui laisse entrevoir une nouvelle modification. Ces modifications successives révèlent un vrai problème de méthode dans la négociation des conventions fiscales avec le Luxembourg : il faudrait mieux prendre en compte les spécificités de notre relation avec ce pays.

Certes, les avancées du groupe de travail Beps - que nous avions saluées au sein de la commission des finances - doivent nous inspirer, mais il faut mieux anticiper les difficultés locales de mise en oeuvre.

Tous les acteurs de la coopération transfrontalière doivent être consultés, au-delà du domaine fiscal. Elle doit englober la santé, les transports, la sécurité... Nous devons cesser d'appréhender ces sujets un par un et d'un point de vue uniquement technique.

En décembre 2023, le Sénat a adopté un avenant au protocole d'accord franco-luxembourgeois et à la convention bilatérale en matière de transport : c'était il y a trois mois seulement ! Je déplore cet examen en silo.

En second lieu, le cadre de la coopération transfrontalière est perfectible. Il existe une mosaïque d'outils : groupements européens de coopération transfrontalière, EPCI, syndicats mixtes, pôles métropolitains transfrontaliers, dont les compétences sont mal définies.

L'impulsion être intergouvernementale. Les sujets transfrontaliers relèvent de négociations d'État à État : c'est ainsi que nous avancerons.

Mais je regrette que ces rencontres entre les ministres interviennent en aval des difficultés. La commission intergouvernementale pourrait être le point de départ d'une véritable révolution de nos méthodes bilatérales. Il faut des échanges bilatéraux, au niveau ministériel - voire entre les deux Premiers ministres. Cessons de recourir à des groupes de travail trop cloisonnés.

Nous devons travailler ensemble pour définir un cap clair au niveau politique et rénover les méthodes de travail. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE)

M. Pierre Jean Rochette .  - La France fournit le plus grand nombre de travailleurs transfrontaliers au Luxembourg, loin devant la Belgique et l'Allemagne.

Cette situation nous rappelle le grand décalage de compétitivité entre nos deux pays. C'est évidemment la principale raison pour laquelle nos compatriotes choisissent de travailler chez un voisin où le salaire moyen et le PIB par habitant sont plus élevés.

L'intégration européenne facilite ce choix, mais l'imposition des travailleurs relève des conventions fiscales bilatérales. Celle de 2018 avait fait évoluer les choses. Elle a été amendée en 2019 pour mieux prendre en compte le télétravail.

Avec ce projet de loi, le plafond du nombre de jours télétravaillés serait relevé de 29 à 34 jours : cela apportera sécurité et confort à toutes les personnes concernées. Si zone grise il y a, mieux vaut pour les transfrontaliers qu'elle se situe autour de 34 jours plutôt que 29. De plus, les autorités luxembourgeoises demandent le relèvement du plafond - on les comprend, puisque cela leur assure des recettes fiscales supplémentaires. Mais nos compatriotes y trouvent aussi leur compte : ainsi, les intérêts de nos deux pays convergent.

Le plafond de 34 jours rappelle celui des conventions signées avec l'Allemagne et la Belgique.

Le groupe Les Indépendants votera bien évidemment ce projet de loi.

M. Vincent Capo-Canellas .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le Luxembourg est un partenaire économique important pour la France : en 2022, notre pays est son troisième fournisseur et son deuxième client. Les échanges s'élevaient à 16,3 milliards d'euros en 2021.

La convention de 2018 visait à mieux prendre en compte les avancées conclues à l'OCDE. Depuis, le Luxembourg s'est mobilisé en matière de lutte contre l'évasion et la fraude fiscales : c'est un partenaire essentiel.

Cela dit, la situation des travailleurs transfrontaliers posait problème. Après une première modification intervenue en 2019, ce second avenant y revient. La crise sanitaire a bouleversé l'organisation du travail, avec le développement du télétravail. Le Luxembourg est particulièrement dépendant des travailleurs transfrontaliers - 121 000 Français.

Il est proposé de porter le forfait de télétravail annuel de 29 à 34 jours, à l'instar de ce que comportent les accords conclus entre le Grand-duché et l'Allemagne et la Belgique. Il en résulterait une perte fiscale de 30 à 60 millions d'euros annuels.

Cet avenant vise aussi à étendre le bénéfice de ces mesures aux personnes recevant des rémunérations publiques.

L'avenant ne bouleverse pas les grands équilibres des règles, mais la clause de revoyure prévue en fin d'année permettra d'en évaluer l'efficacité.

Notons les progrès, mais il reste encore du chemin à parcourir. Je salue le travail de Jean-Marie Mizzon, qui a noté tout l'intérêt d'un avenant de 2023 à la convention fiscale franco-suisse, qui pourrait servir de base à un nouveau régime d'imposition.

Les travailleurs transfrontaliers restent un sujet de préoccupation. Dans la majorité des cas, ce sont des personnes résidant en France et travaillant au Luxembourg. Ils occasionnent des dépenses élevées pour les services publics sans juste retour fiscal. Cela pose un réel problème. Ce premier pas est intéressant, mais insuffisant ; nous prônons des mesures de plus grande ampleur.

L'évitement fiscal est d'autant plus condamnable que ces entreprises utilisent souvent grandement les infrastructures publiques. À sa quasi-unanimité, le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Ghislaine Senée .  - Voici un nouvel avenant à la jeune convention fiscale entre la France et le Luxembourg, qui concerne principalement les travailleurs transfrontaliers.

Cette convention de 2018, presque visionnaire, organisait le télétravail deux ans avant le covid ! Il faut dire qu'il est particulièrement nécessaire dans une zone géographique où les transports publics sont lacunaires. Les écologistes préfèrent toujours le télétravail aux déplacements supplémentaires.

Nous voterons donc cette convention attendue localement, malheureusement temporaire : les travailleurs et travailleuses transfrontaliers ont besoin d'une convention pérenne. Nous regrettons la faiblesse de l'étude d'impact.

Le rapporteur a évalué à 60 millions d'euros la perte pour la France : ce n'est pas neutre alors que le Gouvernement annonce des coups de rabots dans les finances publiques.

Nous sommes attachés à l'évaluation dans le temps de ces conventions, à une cohérence vis-à-vis de tous les pays frontaliers et à la nécessité d'un contrôle réel de l'effectivité de cette convention. (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Silvana Silvani .  - (M. Éric Bocquet applaudit.) Passer de 29 à 34 jours la non-imposition des travailleurs français au Luxembourg ne fait pas un projet politique.

Cet accommodement représente une perte de recettes fiscales pour la France de 40 à 70 millions d'euros. Nous parlons d'un avenant qui ignore les LuxLeaks et OpenLux, alors que l'urgence, c'est l'évasion fiscale du Luxembourg. Où en sommes-nous de l'imposition des multinationales ? Où en sommes-nous des 100 milliards d'actifs détenus par des Français dans ce paradis fiscal ?

En 2020, derrière les îles Vierges britanniques, le Luxembourg est le cinquième territoire pour la dissimulation d'actifs, avec 48,8 milliards d'euros.

Lundi, le Gouvernement annonce la prolongation du moratoire sur l'application de la convention pour les foyers à revenu mixte, pour la troisième année consécutive : du provisoire qui dure, une raison de plus pour une révision de la convention qui ne viendra pas.

Mon département, la Meurthe-et-Moselle, représente 9 % des salariés au Luxembourg. Le télétravail serait une bénédiction pour une moitié d'entre eux, mais la perte de recettes fiscales est mal évaluée, à 60 millions d'euros. Il est intéressant d'être imposé au Luxembourg... Et la clause de revoyure accroîtra encore le nombre de jours non imposés en France : le patronat luxembourgeois réclame 96 jours !

Mais la vérité, c'est que le Luxembourg ne peut se passer de nos travailleuses et de nos travailleurs, dont des cadres surdiplômés qui vont chercher un eldorado financier au Luxembourg, où les salaires sont trois fois plus élevés que dans notre pays.

Cet avenant se fait au détriment des services publics français, qui, en Meurthe-et-Moselle, accueillent, nourrissent, soignent tous les citoyens. Quid de la contribution du Luxembourg à ces services publics ? Cantines, espaces de travail partagé, fibre : la question de la contribution du Grand-Duché doit être clairement posée.

Les collectivités subissent la désorganisation du travail transfrontalier sans retombées. Nous demandons une répartition des efforts pour que les travailleurs et travailleuses soient également des citoyens et des citoyennes, pas uniquement de passage. Nous voterons donc contre cet avenant, qui entérine une situation au détriment de nos collectivités. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Mme Véronique Guillotin .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) En 2018, 90 000 Français travaillaient au Luxembourg : ils sont aujourd'hui plus de 120 000, nombre qui pourrait doubler d'ici 2050, à rapporter aux 660 000 habitants du pays.

Ce dynamisme impose de revoir la copie initiale. C'est ainsi le troisième accord en cinq ans. Celui-ci porte à 34 jours le forfait de télétravail, sur les revenus perçus depuis le 1er janvier 2023. Or la crise sanitaire a renforcé le télétravail et les réseaux de transport sont engorgés : cette mesure est donc primordiale. Nous avons adopté un avenant en décembre dernier, avec 440 millions d'euros pour le ferroviaire, mais les 24 000 places de train prévues en 2030 ne régleront pas le problème.

Toutefois, cet avenant est transitoire : il faudra une solution pérenne. Une rencontre est déjà prévue.

Être voisin du Luxembourg représente une chance pour 120 000 Français, mais aussi des spécificités. Je salue le travail des acteurs locaux et de l'État, ainsi que les propositions pour la future CIG.

Mais j'insiste : pour un vrai bassin de vie transfrontalier, le Gouvernement doit s'engager plus avant dans la relation bilatérale. Il nous faut une voix qui parle d'État à État -  Jean-François Husson l'a dit.

Mardi, le groupe santé, auquel j'appartiens, formulait des propositions ambitieuses, tant les difficultés d'accès aux soins sont inquiétantes. Les élus du territoire plaident pour des propositions concrètes. À quelques mois des élections européennes, quid d'un institut transfrontalier de formation ou du cofinancement de crèches ?

Monsieur le ministre, les demandes sont fortes. Dans l'attente, le RDSE votera cet avenant. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Jean-François Husson applaudit également.)

Mme Micheline Jacques .  - J'interviens à la demande de Catherine Belrhiti, sénatrice de la Moselle, empêchée aujourd'hui.

Nous nous réunissons pour la deuxième fois en trois mois afin d'évoquer nos relations avec le Luxembourg. Ce ne sera sans doute pas la dernière...

Cet avenant est lié au renforcement du transport transfrontalier examiné en décembre pour accompagner le mouvement des Français de Moselle et de Meurthe-et-Moselle travaillant de l'autre côté de la frontière. Ainsi, au dernier trimestre 2022, plus de la moitié des travailleurs transfrontaliers au Luxembourg étaient français -  une chance pour notre territoire.

Ce texte étend le forfait de télétravail à 34 jours, pour offrir plus de flexibilité à nos travailleurs. En effet, la multiplication des obligations déclaratives pour les employeurs au-delà de ce seuil constitue un frein pour les entreprises. Résultat : moins de télétravail. De même, l'extension aux contribuables percevant des rémunérations publiques est justifiée.

Cette mesure créera un cercle vertueux, réduisant la congestion de nos axes de transport, mais elle n'est pas complètement satisfaisante. Ainsi, la compensation des recettes fiscales perdues par la TVA liée à la consommation locale liée au télétravail n'est pas documentée, et l'absence de contrôle du télétravail rend le chiffrage impossible.

La clause de revoyure prévoit une nouvelle négociation d'ici la fin 2024, qui modifiera de nouveau l'équilibre. Cela mériterait de s'inspirer des relations avec d'autres pays, comme la Suisse, avec une compensation financière aux départements limitrophes. En effet, vu le coût de l'entretien de nos infrastructures, ce serait juste. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC ; M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Le nombre de télétravailleurs devrait doubler d'ici à 2050.

Le rapporteur a soulevé le cas des élus français travaillant au Luxembourg, qui ne disposent pas des mêmes facilités que les élus travaillant en France. La CIG doit se saisir de cette question, qui ne me semble pas insurmontable.

Monsieur Weber, la position du Luxembourg, refusant tout mécanisme de rétrocession fiscale, est dure, mais des progrès ont eu lieu pour le financement des infrastructures routières et ferroviaires à hauteur de 460 millions d'euros.

Pour répondre à Jean-François Husson, je suggérerai au Premier ministre de présider la CIG en décembre 2024.

S'agissant des réflexions de Véronique Guillotin, je souhaite un comité interministériel transfrontalier. Les mêmes problèmes de santé et de garde d'enfants se posent des deux côtés de la frontière. C'est au Sénat, d'ailleurs, que nous avons fait avancer ce projet lancé par Laurence Boone.

Discussion de l'article unique

M. Éric Bocquet .  - Silvana Silvani a indiqué que nous voterons contre ce projet de loi. Pourquoi, s'il s'agit d'un texte technique ? Parce que le Luxembourg n'est pas n'importe quel État.

Ce 25 janvier, j'ai écrit à Bruno Le Maire au sujet d'OpenLux. Les Français, au premier rang, détiennent 17 000 des 55 000 sociétés offshore dénoncées -  détenant des actifs pour 6 500 milliards. Quand je l'avais sollicité le 15 février 2021, Bruno Le Maire m'avait répondu que les services de l'État y accordaient la plus grande attention...

Quel est l'état des lieux ? Quels montants ont-ils été recouvrés ? Ces sociétés sont-elles toujours actives ? J'attends toujours la réponse à mon courrier du 25 janvier.

M. Jean-François Husson .  - J'appelle l'attention du Sénat sur l'importance de ce vote. Nous parlons d'une amélioration des conditions de vie des transfrontaliers qui travaillent au Luxembourg. En votant contre, vous allez à l'encontre des intérêts de ces hommes et femmes. Cela serait difficile, ensuite, d'être compris de nos concitoyens.

Monsieur Bocquet, vous avez raison, le sujet que vous abordez mérite une réponse de Bruno Le Maire, qui est, il est vrai, très occupé... (Sourires)

Mme Véronique Guillotin .  - Notre groupe votera unanimement ce texte, qui est attendu. La commune de Villerupt, où je vis et qui compte de nombreux travailleurs transfrontaliers, ne comprendrait pas un rejet de cette mesure.

Mme Silvana Silvani .  - Il ne s'agit pas d'aller à l'encontre de la volonté des travailleurs et travailleuses transfrontaliers. Je viens du même département, toutefois je n'y ai pas entendu une telle volonté unanime.

J'ai bien entendu les difficultés des élus, mais un détail ne doit pas masquer le fond. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur de la commission des finances .  - Quelle est l'ambition de cette convention ? Simplement, de répondre à l'attente des transfrontaliers.

M. Jean-François Husson.  - Très bien !

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur.  - La relation avec le Luxembourg, que d'aucuns considèrent être un paradis fiscal, est un autre sujet. Cette convention n'enlève rien à personne. Elle est un progrès, elle doit certes être encore améliorée.

Comme l'a rappelé le ministre, que vous le vouliez ou non, le Luxembourg est un État souverain. (Applaudissements sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Michaël Weber .  - Les travailleurs transfrontaliers réclament ces dispositions. Il faut distinguer nos exigences, avec celles des élus, et les réponses attendues par ces travailleurs transfrontaliers. Une adoption unanime serait un signe pour obtenir davantage d'avancées du Luxembourg. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-François Husson.  - Une rupture à gauche !

L'article unique est adopté. En conséquence, le projet de loi est adopté.

(Mme Véronique Guillotin et M. Jean-François Husson applaudissent.)

Convention France-Moldavie (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et pour la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales.

Discussion générale

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l'Europe .  - Avec 126 conventions en vigueur, la France dispose de l'un des réseaux de conventions fiscales les plus étendus au monde. Cette action bilatérale va de pair avec notre action multilatérale sur la fiscalité et la transparence.

La convention que nous examinons a été signée le 15 juin 2022. Depuis la dénonciation par la Moldavie, en 1998, de l'accord franco-soviétique du 4 octobre 1985, aucune convention fiscale ne lie la France et la Moldavie.

Cela engendre de l'insécurité juridique pour les contribuables, qui risquent une double imposition. L'adoption d'une première convention avait été interrompue après l'adoption, par la Moldavie, d'un taux d'imposition sur les sociétés de 0 %. Le projet a repris à l'été 2019. La France a obtenu plusieurs concessions des autorités moldaves, dont la limitation des retenues à la source sur les intérêts et redevances et le renoncement à taxer nos prestataires de services davantage que les autres entreprises.

La convention comprend une clause anti-abus générale, des éléments de coopération fiscale et d'échanges de renseignements.

Nous traitons la question du revenu des mannequins, artistes et sportifs. Les volontaires internationaux en entreprise auront un traitement favorable et les investissements français en Moldavie seront favorisés, la France étant le quatrième investisseur dans le pays, avec 240 entreprises présentes dont Lactalis, Orange et Lafarge.

Ce cadre juridique clair sera propice à la multiplication des échanges commerciaux annuels, passés en un an de 131 millions d'euros à 155 millions.

La convention a été signée lors de la première visite d'État d'un président français dans ce pays depuis son indépendance. Elle s'inscrit dans le cadre de la nouvelle feuille de route économique bilatérale.

C'est une manifestation concrète de notre souhait d'approfondir nos relations avec la Moldavie. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Michel Canévet, rapporteur de la commission des finances .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Enfin !

Je salue l'implication de Véronique Guillotin, présidente du groupe interparlementaire d'amitié France-Moldavie, et d'Olivier Cadic, sénateur représentant les Français de l'étranger (Mme Olivia Richard renchérit), qui ont oeuvré pour finaliser cette convention qui a été signée le 15 juin 2022 en Moldavie, ratifiée le mois suivant par le Parlement moldave. Mais il aura fallu attendre ce début d'année pour que l'Assemblée nationale soit saisie...

Cette convention évitera la double imposition des contribuables. En effet, depuis la dénonciation de la convention de 1985, aucune n'était en vigueur. Mais depuis l'élection de la présidente Maia Sandu, proeuropéenne, la Moldavie est candidate à l'Union européenne et les échanges commerciaux se sont développés. L'Agence française de développement (AFD) y possède désormais une antenne.

La convention fiscale intègre les standards de l'OCDE, notamment la clause générale anti-abus et des mécanismes contre la double imposition.

Au cours des négociations, nous avons obtenu la baisse du taux de retenue à la source à 10 % pour les dividendes et 5 % pour les intérêts et redevances. Cette convention sécurise les particuliers et les entreprises en posant un cadre clair. Contrairement à la convention France-Grèce ou France-Danemark, elle ne vient pas remédier à des situations particulières.

La Moldavie n'est que le 113e client de la France, mais la croissance des échanges entre nos deux pays est à deux chiffres. Le contexte géopolitique encourage à soutenir la démarche d'intégration européenne de la Moldavie. La commission des finances vous invite à adopter cette convention fiscale. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Rémi Féraud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette convention intervient vingt-cinq ans après la suspension du dernier accord fiscal avec la Moldavie, en 1998. Depuis, les deux États appliquent leur droit interne, ce qui entraîne une double imposition et un risque accru de fraude. Les ressortissants français y sont rares, mais les entreprises françaises sont de plus en plus nombreuses à s'implanter. Leur chiffre d'affaires progresse de 15 % par an. Comme le rapporteur, je dis : enfin !

Cependant, je déplore la légèreté de l'étude d'impact, comme souvent pour les conventions fiscales. De même, le suivi post-adoption est insuffisant. Quelles sont les intentions du Gouvernement en la matière ? Des progrès sont attendus par le Parlement.

Cette convention a tardé à voir le jour, mais la réintroduction par la Moldavie d'un impôt sur les sociétés et l'adhésion aux standards de l'OCDE ont relancé les négociations en 2019.

La convention a été signée il y a deux ans, mais il aura fallu attendre longtemps pour l'examiner, alors que la Moldavie a un accord avec l'Union européenne depuis 2014 et que son Parlement l'a ratifiée il y a des mois.

La Moldavie est très francophile ; l'Alliance française de Moldavie est une des plus importantes d'Europe. Nous devons soutenir ce pays qui a entamé un virage important avec sa présidente Maia Sandu. Il fait l'apprentissage de la démocratie et lutte avec détermination contre la corruption. Le rapprochement avec l'Europe est notable depuis sa candidature à l'adhésion à l'Union européenne en juin 2022.

Au lendemain du vote favorable de l'Assemblée nationale et du Sénat au soutien à l'Ukraine, une semaine après la visite de la Présidente moldave à Paris, l'adoption de cette convention est un symbole. Le groupe SER votera ce projet de loi de ratification.

M. Marc Laménie .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce projet de loi d'approbation de la convention fiscale bilatérale avec la Moldavie a été adopté à l'Assemblée nationale le 25 janvier dernier. Les conventions fiscales restent mal connues, alors que la France en a conclu pas moins de 126.

Je salue le travail de la commission des finances et le document qu'elle met à notre disposition, agrémenté d'une carte. La République de Moldavie est bordée à l'ouest par la Roumanie et à l'est par l'Ukraine. Elle compte 2,6 millions d'habitants, pour 34 843 km2. Son PIB est de 14,4 milliards de dollars en 2022. Les échanges avec la Moldavie peuvent sembler modestes, mais les exportations françaises représentent tout de même 105 millions d'euros, les importations, 71 millions. C'est le cent treizième client de la France.

Je salue l'engagement des sénateurs représentant les Français de l'étranger et du groupe interparlementaire d'amitié, ainsi que l'importance des liens en matière d'enseignement.

La Moldavie était l'un des rares pays européens à ne pas avoir signé de convention fiscale bilatérale avec la France. Or plusieurs entreprises françaises importantes sont implantées en Moldavie.

Cette convention est alignée sur les derniers standards de l'OCDE et sur la pratique française. Elle a pour objectif la simplification de la situation fiscale des particuliers - 65 ressortissants français en Moldavie, 90 000 ressortissants moldaves en France - mais aussi des entreprises. Ce projet de loi offrira une sécurité juridique à chacun. Aussi, le groupe Les Républicains votera pour. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Pierre Jean Rochette .  - Les conventions fiscales constituent un puissant levier de notre diplomatie économique. Renforcer le réseau de ces conventions, c'est renforcer notre influence dans le monde.

L'actualité confère à cette convention avec la Moldavie une tonalité particulière. C'est d'abord une question d'histoire. Cela fait des décennies que plus aucune convention fiscale ne lie nos deux pays, la Moldavie ayant dénoncé en 1998 la convention fiscale franco-soviétique de 1985. En 2006 puis en 2012, des négociations ont été entamées, mais il a fallu attendre 2019 pour qu'elles aboutissent à un accord alignant nos relations fiscales sur les derniers standards de l'OCDE.

Depuis l'élection de Maia Sandu à la présidence en 2020, la Moldavie n'a cessé de renforcer ses liens avec l'Occident. Elle fait désormais partie des pays officiellement candidats à l'Union, même s'il lui reste encore du chemin à parcourir. Nous aurions tort de la décevoir.

L'avenir de la Moldavie tient aussi à sa géographie, entre la Roumanie et l'Ukraine. Une grande majorité des Moldaves refuse de vivre sous la férule de Vladimir Poutine. La situation en Transnistrie est un facteur de déstabilisation géopolitique, tant pour la Moldavie que pour l'Europe. Le rapporteur a précisé, en commission, que la convention fiscale ne s'appliquerait pas à la Transnistrie jusqu'au plein retour de cette région sous l'autorité moldave.

Notre groupe est très favorable à l'adoption de cette convention, qui est un outil diplomatique à la main de la France et un pas de plus pour la Moldavie vers l'Union européenne. J'espère une adoption rapide, sachant que les négociations ont débuté en 2019...

Alors que Maia Sandu remettra en jeu son mandat dans quelques mois, il est important de donner des gages pour renforcer nos relations bilatérales avec la Moldavie. (Mme Véronique Guillotin applaudit.)

M. Olivier Cadic .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je salue la qualité du rapport de Michel Canévet. Cette convention fiscale est d'une importante géopolitique et géostratégique majeure. Son objet est d'éviter la double imposition.

Lors de ma visite en Moldavie, en septembre 2018, j'avais été alerté par Pascal Le Deunff, ambassadeur de France, Benoît Mayrand, conseiller des Français de l'étranger, et Emmanuel Skoulios, président de la chambre de commerce France-Moldavie, sur l'absence de convention fiscale entre nos deux pays. Sitôt revenu de Chisinau, j'ai alerté le ministre de l'économie sur une situation ubuesque obligeant les entreprises à passer par des filiales aux Pays-Bas ou en Roumanie pour éviter la double imposition...

Il aura fallu les conséquences de la guerre en Ukraine pour accélérer des négociations que Bercy ne jugeait pas prioritaires. Comme le disait Jean Monnet, les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité, et ne voient la nécessité que dans la crise.

Catherine Colonna et son homologue moldave Nicu Popescu ont signé cette convention en 2022, couronnant quatre années d'efforts. C'est un progrès pour le développement de nos liens commerciaux et un facteur de convergence de la Moldavie vers les normes européennes.

L'accord est gagnant-gagnant. Pour la France, d'abord, car le risque de double imposition met à mal les échanges commerciaux. Désormais, le mécanisme sera clair, au bénéfice des particuliers comme des 240 entreprises françaises installées en Moldavie. Bénéfique pour le Trésor public français aussi, via un partage des recettes fiscales plus favorable.

L'accord est aussi gagnant pour la Moldavie. Après l'agression russe en Ukraine, la France a tout de suite soutenu la Moldavie, financièrement et dans sa démarche d'adhésion à l'Union européenne.

Avec ce projet de loi, nous ferons plus que combler un vide conventionnel. Nous enverrons un signal fort à ce pays frontalier de l'Ukraine qui a épousé les valeurs libérales et pro-européennes.

L'attente est grande en Moldavie. Benoît Mayrand, Emmanuel Skoulios et notre ambassadeur Graham Paul ne ménagent pas leurs efforts ; j'espère que ceux-ci seront récompensés.

Le groupe UC se prononcera en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

Mme Ghislaine Senée .  - Depuis son retrait de la convention franco-soviétique en 1998, nos deux pays n'étaient liés par aucune convention fiscale. Cette convention représente un jalon dans le processus d'intégration européenne de ce jeune État menacé par l'impérialisme russe. En faisant le choix de l'Europe, la Moldavie opte pour les valeurs démocratiques, l'État de droit et la coopération régionale. Cette aspiration coïncide avec notre vision d'une Europe unie et solidaire.

La convention négociée par le Gouvernement vise à simplifier les échanges commerciaux, mais aussi à renforcer les liens linguistiques et culturels entre la France et la Moldavie, où la langue française reste enseignée. En cette année d'élections européennes, elle représente un signal politique fort en faveur de l'adhésion de la Moldavie à l'Union.

L'étude d'impact du Gouvernement ne nous éclaire pas réellement sur les conséquences de cette convention sur nos recettes fiscales. Dans le contexte actuel d'austérité budgétaire, nous avons besoin d'une évaluation fine des conséquences économiques et budgétaires des conventions internationales.

Les mesures contre l'évasion et la fraude fiscales ne nous semblent pas suffisantes. L'évasion fiscale prive les États de ressources pour financer les services publics et lutter contre les inégalités : nous ne pouvons nous satisfaire de mesures symboliques ou superficielles.

Cela dit, cette convention est un acte important pour les relations franco-moldaves. Aussi, le GEST la votera.

M. Éric Bocquet .  - Ce projet de convention fiscale est sous-tendu par la perspective d'une adhésion de la Moldavie à l'Union, au pas de charge, légitimée par la guerre en Ukraine - mais qui n'est pas de nature à favoriser un processus de paix dans la région. Dépôt de la candidature le 3 mars 2022, statut de candidat accordé le 23 juin, ouverture des négociations d'adhésion en décembre. Outre des réformes sur l'État de droit et la justice, il lui faudra aussi réformer son secteur économique et financier. L'accord d'association est à ce titre un cheval de Troie libéral. À 46,29 euros, le salaire minimum mensuel en Moldavie est le plus bas d'Europe, 34 fois plus bas qu'au Luxembourg, et sept fois plus bas que le Smic bulgare, le plus faible de l'Union.

La stabilisation repose sur le rapprochement avec les structures européennes sur la base des acquis communautaires. La relance économique passe par une politique de rigueur imposée par le FMI.

La corruption sévit. En 2014, les trois principaux oligarques, Vlad Filat, Vladimir Plahotniuc et Ilan Shor ont été accusés du « casse du siècle » : à eux trois, ils ont dérobé, en 2014, 12 % du PIB du pays.

Bref, l'intérêt majeur de nouer une convention fiscale avec la Moldavie est d'envoyer un signal en vue de son adhésion.

La Moldavie représente 0,018 % de nos exportations et nous y dénombrons 60 ressortissants. Son taux d'imposition des sociétés est de 12 % - la moitié du nôtre.

Ces asymétries ont conduit la France à balayer les volontés de la Moldavie sur l'établissement stable pour les services numériques, sur les prix de transfert ou les retenues à la source sur les dividendes.

Nous voterons contre ce projet de loi avant tout symbolique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Mme Véronique Guillotin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Olivier Cadic applaudit également.) La Moldavie est petite par la taille mais grande par son importance. Elle est l'un des pays les plus pauvres d'Europe. Son Gouvernement, dirigé depuis fin 2020 par Maia Sandu, a à coeur de se rapprocher de l'Union européenne.

Le présent texte s'inscrit dans cette volonté : favoriser la prospérité et l'État de droit. Cette convention est inspirée du standard de l'OCDE pour éliminer le risque de double imposition et prévenir la fraude fiscale.

L'accord ne s'applique pas à la Transnistrie. On pourrait s'interroger sur son application dans la région autonome de Gagaouzie, dont la situation est moins connue mais également préoccupante.

Cette convention prévoit des clauses standards. Elle ne couvre pas l'impôt sur la fortune, inexistant en Moldavie. Elle concerne aussi les biens immobiliers, les transports internationaux ou encore les rémunérations des artistes, sportifs et mannequins. Une attention particulière a été portée au transfert de données à caractère personnel.

L'élection présidentielle de l'automne aura des conséquences majeures ; elle s'accompagnera d'un référendum sur une future adhésion à l'Union européenne. Présidente du groupe d'amitié France-Moldavie, j'ai mesuré, lors de mes déplacements, les défis à relever, mais aussi la volonté des dirigeants. Les tentatives de déstabilisation se confirment ces derniers jours, avec la demande des autorités de Transnistrie d'une « protection » de la Russie et l'ouverture de bureaux de vote pour la présidentielle russe au-delà des limites fixées par les autorités moldaves.

En 2022, les État membres de l'Union européenne ont accordé à la Moldavie le statut de candidat : c'est un moyen en soi de moderniser les institutions du pays.

Je salue le travail du rapporteur et l'engagement de longue date d'Olivier Cadic.

Les membres du RDSE approuveront bien sûr cette convention fiscale, qui envoie un signal fort à ce pays aspirant à épouser les valeurs européennes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Rémi Féraud applaudit également.)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Dernier intervenant, je ne serai guère original... (Sourires)

Face à la complexité croissante de notre monde globalisé, l'harmonisation fiscale est impérative. Cette convention répond à cette nécessité, en établissant un cadre bilatéral pour éliminer les doubles impositions qui freinent le développement économique et découragent l'investissement international. Elle facilitera les relations bilatérales et aidera nos entreprises à se lancer dans de nouveaux marchés, grâce à une clarté fiscale accrue. Elle préviendra aussi les abus, notamment la fraude et l'évasion fiscales, en intégrant les avancées du standard Beps.

Nos échanges commerciaux avec la Moldavie sont passés de 115 millions d'euros en 2019 à plus de 150 millions en 2022 ; nos exportations ont augmenté de 22 % au premier semestre 2022. Cette dynamique positive, bien qu'encore modeste en valeur absolue, est un indicateur du potentiel du marché moldave pour les entreprises françaises.

L'importance de cette convention ne se limite pas à la fiscalité. C'est un élément clé de notre relation de confiance avec la Moldavie, pays désormais candidat à l'adhésion à l'Union européenne. Nous renforcerons ainsi nos liens culturels, voire politiques.

Le groupe RDPI votera cette convention, qui permettra plus de justice fiscale, stimulera le développement de notre relation économique, et favorisera l'intégration de la Moldavie dans l'espace européen.

À défaut d'être original, j'ai été bref ! (Sourires et applaudissements)

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué.  - Je remercie le rapporteur pour son travail, ainsi que Mme Guillotin et M. Cadic.

Monsieur Féraud, madame Senée, ce n'est pas la Cour des comptes qui est le juge des études d'impact, mais le Conseil d'État, qui peut repousser un texte s'il la juge insuffisante. On peut toujours faire mieux, mais celle-ci n'est pas si mal...

Je salue le travail réalisé par les commissions du Sénat pour permettre à chacun de saisir rapidement l'essentiel sur les sujets abordés, comme l'a dit Marc Laménie.

Je redis notre soutien à la Moldavie, soumise à de fortes pressions et à d'incessantes manoeuvres de déstabilisation, dans le chemin exigeant vers l'adhésion à l'Union européenne. (Applaudissements sur toutes les travées à l'exception de celles du groupe CRCE-K)

L'article unique est adopté. En conséquence, le projet de loi est définitivement adopté.

(Applaudissements sur de très nombreuses travées)

La séance est suspendue quelques instants.

Dispositions législatives relatives à la santé (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi ratifiant l'ordonnance du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé.

Discussion générale

Mme Fadila Khattabi, ministre déléguée chargée des personnes âgées et des personnes handicapées .  - Ce texte, d'apparence technique, aura des effets concrets, essentiels pour pérenniser des évolutions récentes de notre droit dans les collectivités du Pacifique.

Le 19 avril dernier, le Gouvernement a étendu et adapté par ordonnance plusieurs dispositions en matière de santé aux Polynésiens, Calédoniens, Wallisiens et Futuniens, sur le fondement de l'article 74-1 de la Constitution. Contrepartie de cette habilitation permanente : les ordonnances prises sur ce fondement doivent être obligatoirement ratifiées par le Parlement, sous peine de caducité après dix-huit mois.

Le premier objet de l'ordonnance était de rattraper un retard en matière d'applicabilité des lois bioéthiques, en intégrant des dispositions votées depuis 2012. L'ordonnance d'avril 2023 a rendu applicables dans les trois collectivités du Pacifique les dispositions en matière de recherche impliquant la personne humaine (RIPH), afin de garantir la sécurité et la bonne information du participant. Sont notamment visées les dispositions relatives au comité de protection des personnes.

L'ordonnance étend aussi les dispositions de la loi du 3 mars 2022, qui allonge le délai de recours à l'IVG de douze à quatorze semaines et supprime le délai de réflexion. Alors que vous avez gravé dans la Constitution la liberté de recourir à l'IVG, l'unification des règles de recours sécurisera l'effectivité du droit des femmes à disposer de leur corps dans tous les territoires de la République.

L'ordonnance étend également des dispositions de la loi Rist 1 concernant les compétences des sages-femmes en matière de dépistage et de traitement des infections sexuellement transmissibles (IST), pour Wallis-et-Futuna, ainsi que des dispositions de la loi Santé de 2016, relatives au secret de la prescription de la contraception aux mineurs pour la Polynésie française. Là encore, il s'agit de sécuriser des mesures législatives importantes pour l'accès à la santé et la prévention.

Je ne doute pas que vous partagiez les objectifs poursuivis. Je salue le travail de la rapporteure et vous invite à voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Ce projet de loi vise à ratifier l'ordonnance du 19 avril 2023 portant extension et adaptation aux trois collectivités du Pacifique de diverses dispositions législatives relatives à la santé.

Son premier objet est de rendre applicables certains volets des récentes lois de bioéthique en matière de RIPH. Cela représente une mise à jour de plus de dix ans.

L'ordonnance étend également à ces territoires l'allongement des délais de recours à l'IVG et la suppression du délai minimal de réflexion.

D'autres extensions et adaptations concernent certains territoires seulement : Wallis et Futuna pour les compétences des sages-femmes en matière d'IST ; la Polynésie française pour le secret de la prescription de la contraception aux mineurs.

L'ordonnance a été prise sur le fondement de l'article 74-1 de la Constitution, lequel permet au Gouvernement d'étendre, avec les adaptations nécessaires, des dispositions en vigueur dans l'Hexagone, dans les seules matières de la compétence de l'État, après consultation des assemblées des collectivités. Mais l'ordonnance doit être ratifiée dans les dix-huit mois, sous peine de caducité.

En commission, j'ai rappelé l'importance juridique et politique de ce texte. L'intitulé de l'ordonnance est trompeur : les mesures ne relèvent pas de la santé - sans compter que la compétence santé relève du pays en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Ainsi, la RIPH relève de la compétence recherche, assumée par l'État, et l'IVG de la garantie des libertés publiques, donc de l'État. Aucun empiétement de l'État sur une compétence dévolue n'a été soulevé par les territoires.

Deuxième question : la pertinence des dispositions au regard des réalités locales. Les auditions ont été très instructives, à défaut d'étude d'impact. Seul l'avis du Congrès de la Nouvelle-Calédonie a été reçu. Je relaie les regrets des territoires quant aux modalités de leur saisine sur des sujets aussi techniques ou sensibles.

En Polynésie comme en Nouvelle-Calédonie, l'actualisation du droit en matière de RIPH était une demande forte, pour permettre l'intégration de patients de ces territoires dans des recherches cliniques. Pour Wallis-et-Futuna, l'extension a été faite à la demande de l'agence de santé, mais elle reste théorique, étant donné la faiblesse de l'offre de soins.

L'allongement du délai de recours à l'IVG n'a, lui, été demandé par aucun des trois territoires. Le sujet y est sensible, le poids de la religion étant plus important que dans l'Hexagone.

Le Gouvernement a étendu le délai de recours à quatorze semaines sans se soucier de son application effective. Et ce, alors que l'organisation des soins et les compétences des professionnels de santé relèvent du pays en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, de même que la prise en charge par l'assurance maladie. Des questions concrètes demeurent sans réponse : formation des sages-femmes à l'IVG instrumentale, disponibilité et responsabilité des professionnels de santé, accès aux centres pratiquant l'IVG... Bref, le Gouvernement s'est donné bonne conscience sans se préoccuper de l'accessibilité du droit.

Faut-il adopter ce texte ? La réponse est plus délicate qu'il n'y paraît. Sur la forme, une ratification n'offre que peu de marges de modification. L'ordonnance du 19 avril 2023 a changé le droit lors de sa publication.

Sur le fond, si les dispositions relatives à la RIPH ont été adoptées sans désaccord insurmontable par le Sénat et l'Assemblée nationale, il n'en va pas de même de la loi du 2 mars 2022 relative à l'avortement, rejetée par trois fois par le Sénat.

La majorité sénatoriale avait argué du faible taux d'IVG réalisées dans les deux dernières semaines du délai de douze semaines : 5 %. Elle avait souligné aussi que les professionnels de santé considèrent cet acte comme d'autant moins anodin qu'il est pratiqué tardivement.

J'adhère à ces arguments à titre personnel. On ne peut traiter ce sujet à la légère, alors que la période des douze à quatorze semaines est celle du passage de l'embryon au foetus. Il n'y a eu aucune évaluation du besoin ou la capacité des collectivités à mettre en oeuvre la mesure. Je considère donc qu'étendre par ordonnance le délai n'était pas opportun.

À défaut d'une validation politique, la commission a fait le choix d'une validation juridique et, sous ces réserves, a pris acte de l'évolution du droit, ouvrant la voie à la ratification.

Deux regrets, toutefois. D'abord, les modalités d'extension ne satisfont pas pleinement aux principes de sécurité juridique et d'accessibilité du droit. Ensuite, des demandes de modification ont été transmises par la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française depuis plusieurs semaines : or, alors même que j'ai sollicité leur expertise par le ministère, aucun amendement n'a été déposé pour compléter l'ordonnance. Les modifications interviendront sans doute à l'Assemblée, obligeant à une deuxième lecture au Sénat : que de temps perdu...

Les territoires d'outre-mer sont confrontés à des difficultés particulières d'accès aux soins, du fait notamment de la multi-insularité. Les indicateurs de santé publique y sont souvent préoccupants, et les pathologies particulières méritent des travaux parlementaires plus poussés. C'est un enjeu de santé publique comme d'égalité des citoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)

Mme Micheline Jacques .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP) Certaines des dispositions dont la ratification nous est soumise permettent de rattraper en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et à Wallis et Futuna un retard qui atteint parfois dix ans.

Celles relatives à la RIPH répondent à une demande claire, notamment de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française. Les populations de ces territoires doivent pouvoir accéder elles aussi à des traitements innovants. Traitements contre le cancer, recherches sur des pathologies régionales comme l'arbovirose : l'alignement sur le droit en vigueur est plus que bienvenu. Reste que l'élargissement sera ineffectif à Wallis et Futuna, compte tenu de l'insuffisance de l'offre de soins.

Sur l'IVG, l'ordonnance porte le délai de recours de douze à quatorze semaines dans ces territoires. Ce point n'a fait l'objet d'aucune demande de ceux-ci, non plus que de leurs professionnels de santé. Le Sénat s'est opposé à plusieurs reprises à cet allongement. Cela dit, compte tenu des avis favorables formulés par les assemblées locales, la majorité du groupe Les Républicains ne s'opposera pas à cette évolution.

Mais la question de l'effectivité de l'accès à l'IVG reste entière. Là est le véritable enjeu. Combler le fossé entre le droit et son application doit être une priorité.

Je regrette que la transmission des avis des assemblées locales n'ait pas eu lieu dans de bonnes conditions et que les contraintes de temps n'aient pas permis à ces assemblées de mener des analyses approfondies.

Enfin, l'écriture des ordonnances devra respecter à l'avenir les principes d'accessibilité et d'intelligibilité du droit.

La majorité du groupe Les Républicains votera pour le projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDPI)

M. Vincent Louault .  - Je salue le travail de pédagogie de Marie-Do Aeschlimann pour rendre claire une procédure plutôt obscure.

Cette ordonnance touche à la santé, mais aussi à la recherche et aux libertés publiques. Elle traite de sujets majeurs, notamment bioéthiques.

Tous les Français doivent pouvoir accéder aux essais thérapeutiques. Malheureusement, ce principe restera sans effet à Wallis et Futuna, du fait de l'offre de soins.

L'ordonnance étend les dispositions relatives à l'IVG de la loi de mars 2022 aux trois collectivités du Pacifique. Il serait inacceptable que toutes les Françaises ne disposent pas de la même liberté dans ce domaine. Les mesures relatives au rôle étendu des sages-femmes font l'objet de la même extension.

Le groupe Les Indépendants votera ce texte, mais il faut renforcer l'accès effectif aux soins dans ces territoires, dont la situation sanitaire est parfois particulièrement préoccupante. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)

Mme Lana Tetuanui .  - (Mme Micheline Jacques applaudit.) Avant tout, je salue l'excellent travail de la rapporteure.

Délais non respectés, avis des assemblées locales non pris en compte : sur la forme, il y a beaucoup à redire, surtout sur des sujets aussi complexes, qui touchent à la culture, aux us et coutumes de nos territoires. J'aimerais que l'on cesse de travailler ainsi, car j'ai impression d'un travail bâclé.

En ce qui concerne les RIPH, l'ordonnance du 19 avril 2023 tend à l'application des règlements européens sur les essais cliniques, dans le respect de notre statut européen de pays et territoires d'outre-mer.

En matière d'IVG, les femmes de Wallis et Futuna bénéficieront de l'allongement du délai de recours à quatorze semaines et de la suppression du délai minimal de réflexion. Les sages-femmes pourront réaliser des IVG instrumentales et les infirmières intervenir en matière de dépistage et de traitement des IST.

Pour la Polynésie française, les mêmes avancées sont prévues en matière d'IVG, mais aussi une extension du secret de la prescription de contraceptifs aux mineurs et une meilleure protection des données des malades.

À titre personnel, j'ai voté contre l'inscription du droit à l'avortement dans la Constitution, et je l'assume.

Je rappelle que la compétence du droit des personnes appartient à l'État, mais celle de la santé, à la Polynésie. Améliorer la protection des femmes est une bonne chose, mais encore faut-il que les moyens suivent.

Malgré ces réserves, le groupe UC votera le projet de loi de ratification. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

Mme Anne Souyris .  - Les écologistes voteront ce projet de loi, qui étend aux collectivités du Pacifique des droits en vigueur dans l'Hexagone.

L'extension de la possibilité d'accéder aux recherches cliniques est fortement attendue dans ces territoires, pour garantir les mêmes droits à tous nos concitoyens et favoriser des recherches sur des enjeux régionaux.

De même, l'extension du délai de quatorze semaines pour le recours à l'IVG est une bonne nouvelle pour la santé et les droits des femmes.

Reste la forme. Allons-nous continuer à adopter ce type de textes seulement tous les dix ans ? Est-il normal d'avoir dû attendre douze ans pour que ces territoires bénéficient des avancées en matière de RIPH ? Peut-on évaluer les pertes de chances pour des personnes atteintes d'un cancer en échec thérapeutique ?

Nous posons solennellement la question : y a-t-il des citoyennes et des citoyens de seconde zone, sommes-nous dans une République indivisible ou à deux vitesses ?

Toutes et tous doivent disposer des mêmes droits sur l'ensemble du territoire, dans le respect de l'autonomie des collectivités d'outre-mer. Un juste équilibre doit être trouvé entre l'universalité des droits et la reconnaissance spécifique des contextes locaux.

Nous appelons de nos voeux une méthode plus collaborative et des échanges plus en amont. La consultation a joué un rôle trop modeste, du fait notamment des conditions de saisine des autorités locales. Seul l'avis de la Nouvelle-Calédonie a été reçu par le Gouvernement. Celui de Wallis-et-Futuna, pourtant transmis, n'a jamais été reçu... Cette concertation bâclée est une marque de mépris.

L'État doit soutenir davantage les politiques et les infrastructures de santé locales en lien avec les collectivités, notamment pour garantir l'accès à l'IVG.

Mme Evelyne Corbière Naminzo .  - Je dénonce le recours aux ordonnances, détournement des prérogatives du Parlement, qui évite aussi d'avoir à consulter les élus et syndicats.

Alors que nous venons d'inscrire l'avortement dans la Constitution, les femmes kanakes, polynésiennes, wallisiennes et futuniennes ont dû attendre plusieurs années pour avoir accès aux mêmes droits que les autres Françaises - accès d'urgence à la contraception, délai de recours à l'IVG...

Le temps qu'il a fallu au Gouvernement pour étendre à ces territoires le délai de quatorze semaines ou l'extension des compétences des sages-femmes en dit long sur le mépris qu'il leur porte. Pour nous, il ne peut pas y avoir de territoire de seconde zone !

La rapporteure a évoqué la prégnance de la religion. Mais la religion n'est pas un contraceptif. Les femmes se cachent davantage pour avorter, voilà tout.

Je tiens à relayer les critiques formulées par mon collègue Robert Wienie Xowie sur le manque de lisibilité, d'intelligibilité et d'accessibilité de l'ordonnance. Le Congrès de Nouvelle-Calédonie a rendu un avis favorable sur le texte, mais dénoncé certains risques juridiques, notamment liés aux compteurs Lifou, qui ne permettent pas d'identifier clairement les dispositions ayant vocation à s'appliquer sur ce territoire.

Malgré nos critiques nombreuses sur la procédure suivie, les avancées pour la santé, notamment des femmes, nous conduiront à voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Mme Véronique Guillotin .  - Je salue l'excellent travail de la rapporteure. Si la République est indivisible, elle doit s'adapter aux particularités, ce que l'article 74-1 de la Constitution prévoit.

Sur la forme, nous déplorons que seul l'avis de Nouvelle-Calédonie ait été reçu dans les délais impartis.

Un des objectifs de l'ordonnance était de rattraper le retard en matière de bioéthique, notamment sur les recherches cliniques. Ces adaptations étaient attendues par les trois collectivités du Pacifique.

Il s'agit aussi d'étendre les dispositions de la loi Santé de 2016 sur le secret du recours à la contraception par les personnes mineures. Réduire le risque de grossesse non planifiée est essentiel.

Sur le droit à l'avortement, nous nous réjouissons de l'extension à ces territoires du délai de quatorze semaines. L'accès à ce droit reste cependant fragile, surtout à Wallis et Futuna. N'oublions pas qu'il a fallu vingt-six ans pour que la loi Veil soit appliquée en Polynésie française...

Le RDSE votera ce projet de loi.

M. Thani Mohamed Soilihi .  - À mon tour, je salue le travail de la rapporteure. Mes collègues ayant souligné les aspects négatifs entourant ce projet de loi, je me concentrerai sur les positifs... (Sourires)

Ni tout à fait le même ni tout à fait un autre, le droit de la France outre-mer est un droit d'avenir, qui donne corps à la notion de République plurielle.

La République accorde aux citoyens du Pacifique les divers régimes auxquels ils aspirent dans la liberté, l'égalité et la fraternité qui nous lient ensemble.

Ce texte autorise la ratification de l'ordonnance du 19 avril 2023, qui étend aux trois territoires concernés les mesures bioéthiques prises depuis 2012, l'allongement du délai de recours à l'IVG à quatorze semaines et les dispositions de la loi Rist 1 en matière d'extension des compétences des sages-femmes ou de contraception des personnes mineures. L'égalité de traitement de nos concitoyens du Pacifique sera ainsi assurée.

Mais il ne suffit pas de déclarer des droits ; il faut aussi donner les moyens aux services compétents de les rendre effectifs. Voyez, je retiens aussi un aspect négatif... (Sourires) Nous resterons vigilants sur ce point.

La Constitution prévoit que la ratification de l'ordonnance intervient dans les dix-huit mois suivant sa publication, à peine de caducité. Le RDPI votera ce texte pour assurer les mêmes droits à tous les citoyens français.

M. Jean-Luc Fichet .  - Nous examinons le projet de loi de ratification de l'ordonnance du 19 avril 2023, qui rend applicable aux trois collectivités du Pacifique diverses dispositions touchant à la santé.

En matière de RIPH, l'ordonnance modifie le code de la santé publique pour intégrer les dispositions de la loi de bioéthique, ainsi que celles du droit européen.

En ce qui concerne l'IVG, elle rend applicables les mesures issues de la loi du 2 mars 2022 : allongement du délai de recours, suppression du délai de réflexion de deux jours, possibilité pour les sages-femmes de pratiquer des IVG instrumentales. Je me réjouis de la généralisation de ces dispositions, quelques jours après la constitutionnalisation de l'IVG.

Madame la ministre, disposez-vous de données sur l'effectivité de l'accès à ce droit pour les Françaises de ces collectivités ? Sur la qualité de la prise en charge des patients atteints d'affections de longue durée ?

Je salue la possibilité élargie offerte aux professionnels de santé de déroger à l'obligation d'autorisation parentale pour des actions relatives à la santé sexuelle et reproductive des mineurs. Avez-vous des données sur les moyens des professionnels de santé dans ces territoires ?

En dépit de nos inquiétudes sur l'état du système de santé, qui concernent au demeurant tout le pays, nous voterons le projet de loi.

Mme Fadila Khattabi, ministre déléguée.  - Je rappelle qu'un travail a été mené avec les assemblées des collectivités concernées, au terme duquel un accord de principe est intervenu. Des demandes d'ajout tardives ont été formulées : elles pourront être prises en compte dans la suite de la navette.

À la demande du groupe Les Républicains, l'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°156 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 337
Pour l'adoption 335
Contre     2

L'article unique est adopté. En conséquence, le projet de loi est adopté.

Prochaine séance, mardi 19 mars 2024, à 9 h 30.

La séance est levée à 17 h 25.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mardi 19 mars 2024

Séance publique

À 9 h 30, à 14 h 30 et le soir

Présidence : Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente, Mme Sylvie Robert, vice-présidente, Mme Sophie Primas, vice-présidente

Secrétaires : M. Philippe Tabarot, Mme Véronique Guillotin

1. Questions orales

2. Proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles, présentée par M. Philippe Mouiller et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°423, 2023-2024) (demande du groupe Les Républicains)

3. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à pérenniser les jardins d'enfants gérés par une collectivité publique ou bénéficiant de financements publics (texte de la commission, n°419, 2023-2024) (demande du groupe Les Républicains)

4. Proposition de loi rendant obligatoires les « tests PME » et créant un dispositif « Impact Entreprises », présentée par M. Olivier Rietmann (texte de la commission, n°421, 2023-2024) (demande de la délégation aux entreprises)

5. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 21 et 22 mars 2024