Aide publique au développement (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la mise en place et au fonctionnement de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement instituée par la loi du 4 août 2021.

Discussion générale

Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI ; MM. Rachid Temal et Louis Vogel applaudissent également.) Le niveau inédit de nos efforts en matière de solidarité internationale nous oblige à rendre des comptes. Après plusieurs années de baisse, la France a engagé en 2017 un processus de refondation de sa politique d'aide publique au développement (APD) pour asseoir sa crédibilité diplomatique et répondre aux grands enjeux mondiaux.

Les chiffres de l'APD pour 2022 sont historiques. Avec 15 milliards d'euros, la France est le quatrième bailleur mondial et a dépassé son objectif intermédiaire de 0,55 % du revenu national brut (RNB).

La mission « Aide publique au développement » est cependant mise à contribution comme les autres pour les économies annoncées. Il est d'autant plus crucial que les projets soutenus aient une incidence concrète.

La secrétaire d'État Chrysoula Zacharopoulou est engagée sur le terrain.

Le sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial a mobilisé la communauté internationale sur ce défi du financement, de la lutte contre la pauvreté et de la préservation de la planète. Nous continuons de porter cette ambition grâce au pacte de Paris pour les peuples et la planète, aujourd'hui soutenu par 54 partenaires.

La loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, promulguée le 4 août 2021, a marqué une étape importante. Un conseil présidentiel du développement a fixé en mai 2023 dix objectifs prioritaires précisés par le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) de juillet 2023 pour un changement de paradigme : la politique d'aide publique au développement s'est transformée en stratégie d'investissement solidaire. Ce choc de méthode doit permettre de rendre compte de notre action plus efficace, grâce à un pilotage politique renforcé.

L'efficacité de notre action passera par l'évaluation des effets de notre action.

Une commission indépendante d'évaluation a été prévue par la loi du 4 août 2021, mais n'a pas encore été installée. Beaucoup ont déploré ce retard. Mais n'ayez aucun doute : le Gouvernement a bien la volonté de la mettre en place rapidement.

Notre objectif est de débloquer cette mesure importante de la loi de 2021 et de conforter ses missions : évaluer les projets et les programmes, et non simplement contrôler l'usage des fonds.

Nous sommes disposés à héberger cette commission au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui se porte garant de son indépendance. Il n'en serait pas l'autorité de tutelle, et des moyens humains et financiers supplémentaires lui seraient alloués.

L'évaluation doit être envisagée comme un outil d'amélioration de nos actions.

Nos investissements répondent à des besoins vitaux, mais s'inscrivent aussi dans le temps long, pour que les populations soient mieux armées pour faire face aux conséquences du dérèglement climatique et aient accès à une source d'énergie décarbonée.

Il est crucial que nos concitoyens prennent conscience que nos actions en faveur du climat, de la santé, de l'agriculture partout dans le monde, contribuent également à leur avenir et à celui de leurs enfants. La mise en place rapide de la commission d'évaluation de l'APD est nécessaire. Aussi je vous invite à adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Christian Cambon, rapporteur de la commission des affaires étrangères .  - Cette proposition de loi vise - enfin ! - à mettre en place la commission d'évaluation de l'APD plus de deux ans après sa création théorique par la loi de 2021.

L'Agence française du développement (AFD), son principal opérateur, a vu son budget passer de 6 milliards d'euros en 2009 à 14 milliards en 2020. Il a fallu recruter, et l'aide a été élargie à de nouveaux pays. Elle a prospecté dans le monde entier pour placer ses prêts à des taux proches du marché dans des pays qui n'en avaient pas tous besoin ; mais l'AFD a récemment renforcé ses dons, en se concentrant sur les pays les plus démunis et les besoins vitaux tels que la santé et l'éducation.

De cette expansion ne pouvait résulter qu'une demande accrue de contrôle et d'évaluation.

Il est difficile d'appréhender l'efficacité d'une politique de solidarité internationale : les projets sont menés dans des pays et avec des acteurs dont nous avons par définition une connaissance limitée. À tort ou à raison, nous nous interrogeons parfois sur leur efficacité et leur bien-fondé.

Il existe actuellement trois organismes d'évaluation interne, au ministère des finances, au Quai d'Orsay et au sein de l'AFD. Les évaluations sont menées par des cabinets de conseil sélectionnés sur appels d'offres sous la direction d'une équipe de responsables administratifs des ministères ou de l'AFD.

Outre ces dispositifs, des évaluations externes peuvent être réalisées par l'OCDE, des ONG, la Cour des comptes ou le Parlement.

Les évaluations internes sont bien informées, mais aboutissent parfois à des conclusions stéréotypées ou peu incisives, faute d'indépendance, et ont du mal à faire face à l'éclatement des acteurs. Les évaluateurs externes ne disposent pas toujours des données ou analyses nécessaires pour produire les évaluations les plus pertinentes.

La France n'est pas bien classée en matière de transparence dans ce domaine : l'AFD n'est ainsi qu'au 28e rang sur 50 en matière de transparence des donneurs, selon l'ONG Publish What You Fund.

L'analyse porte souvent plus sur les processus de gestion que sur l'impact final et la pérennité des actions au service de l'influence de notre pays.

C'est pour dépasser toutes ces limites que nous avons créé la commission d'évaluation, sur le modèle de ce qui existe au Royaume-Uni. Cette commission sera indépendante de l'AFD. Un collège de parlementaires, introduit par notre commission, renforce son indépendance et assure la prise en compte de nos préoccupations.

Nous voulions une véritable autorité administrative indépendante (AAI), mais son coût aurait été considérable et elle été aurait une couche de plus dans le millefeuille administratif.

Il fallait bien adosser la commission à une organisation préexistante apte à en assurer le secrétariat. C'est ainsi que l'Assemblée nationale a choisi la Cour des comptes.

Le décret d'application du 6 mai 2022 avait déjà accentué le rôle de cet organisme en faisant siéger deux de ses membres, dont son premier président, au sein de la commission. Cette solution nous éloignait du projet initial d'un organisme sui generis, spécialisé et davantage tourné vers l'évaluation plutôt que le contrôle.

C'est pourquoi, après des péripéties, le président Bourlanges a déposé cette proposition de loi qui la rattache au Quai d'Orsay. C'est le plus simple à mettre en oeuvre, donc le plus susceptible d'assurer une mise en place rapide. Les experts de la commission, indépendants, doivent déposer une déclaration d'intérêts.

N'oublions pas l'apport du Sénat : la présence des parlementaires, autre garantie d'indépendance.

La loi ne pouvant entrer dans un trop grand luxe de détails, nous avons donc demandé à être associés, comme la commission de l'Assemblée nationale, à l'élaboration des décrets précisant l'organisation de la future commission.

M. Rachid Temal.  - Comme la dernière fois ?

M. Christian Cambon, rapporteur.  - Nous espérons qu'une personnalité indépendante sera élue à la tête de la commission et estimons que ce doit être un emploi à temps plein. Enfin, il serait pertinent qu'un représentant de la coopération décentralisée y siège.

M. Rachid Temal.  - Il y a un amendement pour cela !

M. Christian Cambon, rapporteur.  - Ce texte reste très proche de la loi de 2021 adoptée à l'unanimité. C'est pourquoi la commission des affaires étrangères et de la défense l'a adopté conforme.

Mettons fin à un feuilleton qui n'a que trop duré. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Ludovic Haye et Raphaël Daubet applaudissent également.)

M. Olivier Cadic .  - En mai 2021, nous avons voté à la quasi-unanimité une loi qui a porté les crédits de l'APD à 0,55 % du RNB avec l'objectif d'atteindre 0,7 % en 2025.

Notre approche est différente de celle de la Chine, pour qui win win, c'est quand la Chine gagne deux fois... Différente de celle de la Russie, qui confond développement et aide à la personne : Poutine donne en effet 1 000 francs CFA à chaque manifestant pour porter des pancartes anti-françaises et nous chasser de certains pays. À Bangui, un manège a été installé devant la maison de la Russie, belle illustration de sa volonté de faire tourner les Africains en rond...

Climat, biodiversité, paix, éducation, urbanisme, santé, gouvernance, les équipes de l'AFD sont engagées dans plus de 4 000 projets dans 150 pays.

Lors de l'examen des crédits de la mission « Aide publique au développement », plusieurs collègues ont insisté sur la nécessaire amélioration du contrôle.

La France a mis en oeuvre de nombreux projets dont j'ai pu avoir connaissance à travers mes déplacements. L'an dernier, à Antananarivo, j'ai participé à l'inauguration du parcours touristique de la Haute Ville permettant d'assainir des quartiers prioritaires. Ceint de mon écharpe tricolore, j'ai vu la joie des habitants profitant des nouveaux points d'eau. Quelle joie de les entendre crier : « Vive la France ! » Notre APD est un outil essentiel au service de notre stratégie d'influence. Nous devons assumer cette ambition sans naïveté.

La commission d'évaluation de l'APD répond à une demande du Parlement, particulièrement du Sénat. Mais, deux ans après la promulgation de la loi qui la crée, elle n'est toujours pas mise en place. Elle est pourtant nécessaire, car l'évaluation de la politique de l'APD est perfectible.

La France n'est pas la mieux classée pour la transparence, d'autant plus nécessaire que les montants sont passés de 9,5 à près de 15 milliards euros entre 2016 et 2023.

Dans son rapport d'août 2018 sur la modernisation de la politique partenariale, Hervé Berville, rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, plaidait pour que l'évaluation devienne un axe central de l'APD.

Un cadre d'évaluation adéquat est de nature à améliorer l'efficacité de l'action publique. Il faut aussi un dialogue approfondi sur les objectifs stratégiques. L'indépendance de la commission est capitale.

La commission aura deux collèges, l'un constitué de deux députés et deux sénateurs, l'autre de dix personnalités qualifiées. Son président est élu parmi ses membres. Elle peut être saisie par le Parlement.

La commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale avait prévu de la placer auprès de la Cour des comptes, son secrétariat étant assuré par celle-ci. L'article 2 du décret du 6 mai 2022 précise la composition du collège d'experts. Le président devant être élu par ses membres, cela aurait abouti à l'élection du premier président de la Cour des comptes. Cela ne répondait pas à la volonté du législateur de créer un instrument nouveau. Il paraît clair que les résultats de l'APD ne peuvent se mesurer sous le seul prisme financier.

J'ai eu l'occasion d'apprécier l'engagement de Chrysoula Zacharopoulou. Nous aussi, parlementaires, devons mouiller l'écharpe tricolore en inaugurant les projets. Il y va du rayonnement et de l'influence de notre pays.

Cette proposition de loi rattache la commission au ministère de l'Europe et des affaires étrangères et précise ses missions. Le groupe UC s'associe à la position du rapporteur, afin que la mise en place de la commission ne soit pas retardée. (M. Christian Cambon applaudit.)

M. Akli Mellouli .  - (Applaudissements sur les travées du GEST ; MM. Patrice Joly, Rachid Temal et Raphaël Daubet applaudissent également.) La fraternité et la sororité sont des valeurs au coeur de notre engagement républicain. C'est ce qui crée du lien. C'est ce qui permet la solidarité et le partage entre ceux qui ont beaucoup et ceux qui n'ont pas assez.

Les pays de l'OCDE affichent un revenu par habitant 52 fois plus important que les pays les plus pauvres. Le dérèglement climatique a des effets destructeurs, et les problèmes d'accès à l'eau se multiplient.

La France doit continuer à faire rayonner ses valeurs de fraternité et de sororité, avec éthique, équité et transparence. Nous réalisons tous l'importance cruciale de l'APD. Les Nations unies ont ainsi structuré leurs actions en matière de développement solidaire et durable en se fixant des objectifs à horizon 2030.

Deux ans après la loi de programmation, il est nécessaire de tirer un bilan pour gagner en efficience et en transparence.

Je salue l'engagement d'allouer 0,7 % du RNB à l'APD ; malheureusement, il n'est pas tenu. La hausse devait être progressive, de 5 milliards d'ici deux ans, mais le Gouvernement a annoncé 800 millions d'euros d'économies sur ce poste, soit plus de 10 % des aides attribuées chaque année. Cette incohérence écorne l'image de notre pays, d'autant que nous avons organisé, pas plus tard qu'en juin dernier, un sommet ambitieux pour un nouveau pacte financier. Un manquement apparaîtrait comme un renoncement.

Alors que la France a connu de nombreuses difficultés sur la scène internationale, notamment en Afrique, un énième renoncement serait perçu comme un signe de faiblesse par ceux qui aimeraient voir notre pays s'affaisser au niveau d'une puissance moyenne sur le plan géopolitique. C'est pourquoi il faut atteindre l'objectif de 0,7 %.

En Afrique, il est nécessaire de nous projeter vers l'avenir en reconnaissant et en assumant le passé colonial. L'APD peut contribuer à réparer les séquelles laissées par des siècles de domination. Il ne s'agit pas de charité, mais de justice et de reconnaissance.

Écartons le néocolonialisme économique. Il faut privilégier les dons aux prêts, alors que de nombreux pays luttent déjà contre des difficultés financières accrues par le changement climatique. Comme le Cese, je suis favorable à des sources de financement innovantes, telles que les taxes sur les transactions financières ou sur les billets d'avion.

Toute notre politique d'APD doit être réalisée dans une plus grande transparence, avec un meilleur suivi. C'est ce qui a justifié que la commission d'évaluation soit placée sous l'égide de la Cour des comptes dans la loi de 2021.

Il nous est proposé de la placer auprès du Quai d'Orsay ; nous entendons la logique de la proposition de loi, mais il faut garantir l'indépendance de la commission.

Je veux enfin rappeler le travail primordial des collectivités territoriales...

Mme la présidente.  - Cher collègue, il faut conclure.

M. Akli Mellouli.  - Il faudra des assises de la solidarité internationale. Nous voterons ce texte tout en restant vigilants sur sa mise en oeuvre. (Applaudissements sur les travées du GEST ; MM. Robert Wienie Xowie, Rachid Temal et Patrice Joly applaudissent également.)

Mme Michelle Gréaume .  - La commission dont il est question doit évaluer si chaque projet d'APD a réellement amélioré les choses. La loi du 4 août 2021, adoptée dans le consensus parlementaire, a clarifié les rôles des différentes organisations et fixé l'objectif de 0,7 % du RNB dédié à l'APD en 2025.

Mais en mai 2023, le Président de la République a décidé arbitrairement de modifier toutes ces orientations. Le Cicid en a pris acte et a modifié les objectifs de l'APD, alors même qu'ils étaient inscrits dans la loi.

Ces changements ont surtout permis d'assujettir notre APD aux turpitudes de la politique étrangère du président, comme en témoigne la sanction de suspension de l'APD à l'encontre du peuple malien, alors que les pays membres de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) ont levé leurs sanctions.

Le Cicid a décidé de reporter l'objectif de 0,7 % du RNB, soit un manque à gagner de près de 11 milliards d'euros pour la solidarité internationale entre 2025 et 2030.

Le Gouvernement l'a justifié par la nécessité de réduire le déficit. Ce qui était présenté comme une simple pause s'est transformé en un retour en arrière lorsque le ministère des finances publiques a annoncé couper 800 millions d'euros dans le budget de l'APD.

Il y a moins d'un an, le Président de la République accueillait des dizaines de chefs d'État et de gouvernement afin d'appeler à un sursaut international et à un choc des financements publics. Une telle coupe est incompréhensible et incohérente avec notre action diplomatique. Attention à ne pas perdre notre crédibilité à l'international.

Pourquoi la taxe sur les transactions financières reste-t-elle plafonnée à 528 millions d'euros ?

L'an dernier, le programme des Nations unies pour le développement (Pnud) s'alarmait que l'indice de développement humain ait diminué pendant deux années consécutives pour la première fois depuis 32 ans.

Il faut rehausser le taux de la taxe sur les transactions financières de 0,3 à 0,7 % et élargir son assiette pour que davantage d'entreprises en soient redevables. Le pilotage de l'APD doit être démocratisé.

Il est urgent de créer la commission d'évaluation. C'est pourquoi le groupe CRCE-K votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Guy Benarroche applaudit également.)

M. Raphaël Daubet .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Rachid Temal applaudit également.) Deux ans. Deux ans depuis le décret d'application de la loi, et toujours pas de commission d'évaluation. Il était temps de réagir. Nous parlons de 15 milliards d'euros par an, et d'un budget qui a progressé d'un tiers depuis 2017. La situation internationale est préoccupante et, dans le même temps, cette politique publique devient de plus en plus un outil de diplomatie dans un contexte de déclin de notre influence.

Face au narratif de nombreux États hostiles à la France ou à l'Occident, nos actions méritent d'être connues et reconnues.

L'APD est toujours la cible facile des coupes budgétaires : 742 millions d'euros ont ainsi été rabotés sur l'APD par décret le mois dernier - ce qui en fait le premier poste raboté en pourcentage.

La stabilité, la sécurité et la paix sont pourtant liées à l'APD. Cette politique devra faire la démonstration de son utilité et de sa bonne gestion. Il est temps de créer cette commission.

Rapporteur spécial de ces crédits, je sais qu'on ne peut regarder les enjeux sous la seule focale budgétaire.

La Cour des comptes n'a pas à juger de l'opportunité politique des choix réalisés ; toutefois, le RDSE ne croit pas qu'il soit bienvenu de placer cette commission sous l'autorité du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères.

M. Rachid Temal.  - Très bien !

M. Raphaël Daubet.  - Ce ministère sera juge et partie, ce qui n'est pas judicieux. Il faut garantir l'indépendance de la commission.

Il était pourtant facile de rattacher cette commission au Parlement, à qui la Constitution confie la mission de contrôler l'action du Gouvernement. C'est pourquoi nous voterons l'amendement de Michel Canévet.

Autre regret : aucun échange formel n'est prévu entre les collectivités locales et la commission. La coopération décentralisée a des choses à nous apprendre : c'est le sens de l'amendement de Rachid Temal.

Le RDSE fera néanmoins le choix du pragmatisme en votant cette proposition de loi pour qu'enfin cette commission soit créée. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI ; MM. Rachid Temal, Akli Mellouli et Guy Benarroche applaudissent également.)

Mme Marie-Claude Lermytte .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) La France figure parmi les grands contributeurs de l'APD : plus de 15 milliards d'euros en 2022. Cela nous impose une grande responsabilité quant au contrôle de l'emploi de cette aide. La France progresse vers l'objectif de 0,7 % du RNB recommandé par l'ONU.

En temps de crise, il est tentant de réduire l'APD, mais c'est précisément là que le besoin est le plus pressant. Nous défendons une aide fondée sur le partenariat et l'investissement, opérée directement avec la société civile.

L'aide accordée par la France, issue de l'argent du contribuable, doit être contrôlée. Nous devons nous assurer qu'elle ne bénéficie en aucune manière à nos adversaires. Chaque euro compte.

La loi de 2021 prévoyait une commission d'évaluation ad hoc qui remette des rapports au Parlement, lequel vote chaque année les crédits de l'APD. Trois ans plus tard, cette commission n'a toujours pas été réunie.

Aux termes du décret du 6 mai 2022, sa mission s'apparentait de plus en plus à du contrôle budgétaire, avec une présidence confiée dans les faits au premier président de la Cour des comptes. Or l'évaluation de l'APD ne peut être seulement financière.

Les députés nous proposent de préciser les missions de la commission d'évaluation : l'APD doit répondre aux besoins des populations et servir les intérêts de la France. Il serait bien naïf d'agir autrement.

La proposition de loi prévoit le rattachement de la commission au ministère de l'Europe et des affaires étrangères. C'est cohérent.

En commission des affaires étrangères et de la défense, le rapporteur Christian Cambon a proposé une adoption conforme du texte. Nous pensons aussi qu'il faut que la commission d'évaluation se réunisse au plus vite. Aussi le groupe Les Indépendants n'a déposé aucun amendement et votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)

M. Rachid Temal .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Louis Vogel et Mme Patricia Schillinger applaudissent également.) Deux ans, depuis l'adoption de la loi du 4 août 2021, dont j'étais corapporteur avec Hugues Saury.

Or ce que l'on nous propose ce soir, c'est du Gérard Majax : la grande illusion ! (Sourires) On nous parle de commission indépendante, mais le mot « indépendante » ne figure nulle part, ni dans l'intitulé, ni dans les modalités.

Les collectivités, importantes pourvoyeuses de l'APD, n'apparaissent pas dans la loi. On nous dit qu'elles seront dans le décret - mais c'est impossible, si elles ne sont pas dans la loi !

Troisième grande illusion : croire que le Sénat aura son mot à dire. Ce soir, c'est rideau. La proposition de M. Bourlanges doit être acceptée conforme, sans débat.

Les budgets associés à la loi adoptée en 2021 sont déjà entamés, la loi de programmation arrivant après coup. On nous demande de nous concentrer sur les crédits des trois prochaines années. Or 742 millions d'euros viennent d'être supprimés, sans débat au Parlement, et on nous dit que rien ne change ?

La loi identifiait dix-neuf pays prioritaires, dont dix-huit en Afrique. Le Président de la République a réuni son conseil présidentiel du développement pour dire que ce n'était plus le cas et inventer d'autres critères transversaux. Drôle de méthode...

Nous discutons de ce texte très tardivement, en l'absence des ministres concernés.

Le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD ne correspond pas à ce que nous avons voté, mais à la loi précédente. Qu'à cela ne tienne, on continue, la musique est trop belle ! Je pourrais aussi citer les rapports budgétaires non reçus...

On nous a demandé de ne pas déposer d'amendements sur le texte, car il fallait agir vite. Mais en deux ans, il s'est passé des choses ! Le Gouvernement a imposé la Cour des comptes comme organisme de rattachement de la commission. Le décret du 6 mai 2022 n'a jamais été appliqué. Et il faudrait accélérer ?

On nous demande d'accepter une commission d'évaluation qui n'est en rien indépendante, qui serait placée sous l'autorité du ministère qu'elle devra évaluer. Au passage, pas un mot sur Bercy dans le texte... C'est extraordinaire ! Même McKinsey n'y aurait pas pensé ! On s'autoévalue, en disant que c'est indépendant ! Cela ne fonctionne pas.

Madame la ministre, dans votre courrier au président Larcher, vous annoncez une CMP sur cette proposition de loi en mai. C'est donc qu'il n'y a pas péril en la demeure, et que nous pouvons discuter et adopter des amendements.

Plutôt que la Cour des comptes, nous proposerons ainsi que la commission soit rattachée à France Stratégie, organisme placé auprès du Premier ministre.

Le texte évoque la « pertinence » des évaluations. Nous proposerons de supprimer ce terme.

Notre troisième amendement, inspiré par les associations d'élus, prévoit que les collectivités locales, qui financent aussi l'APD, soient membres du collège des élus.

M. Philippe Grosvalet.  - Évidemment !

M. Rachid Temal.  - La loi de 2021 était déjà dépassée à sa naissance. Adoptons nos amendements, puis un texte définitif en mai. Nous pourrons ensuite travailler à une nouvelle loi. Nous souhaitons qu'il y ait un débat libre et éclairé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du RDSE et du GEST)

M. Jean-Luc Ruelle .  - Au coeur de l'été 2021, le Parlement votait à une rare unanimité la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.

Ce texte rénove en profondeur le cadre de la politique française de l'APD et sa philosophie. Il fixe pour objectif d'y consacrer 0,7 % du RNB d'ici à 2025, renforce les partenariats avec dix-neuf pays prioritaires et revoit le pilotage de l'APD.

Plus de deux ans après ce satisfecit général, subsistent des ombres au tableau. Première carence : rien sur l'instauration des conseils locaux de développement créés au sein des ambassades, leur fréquence, leur composition. Dans certaines ambassades, aucun conseil ne s'est tenu depuis la promulgation de la loi, comme au Sénégal ou au Bénin. Dans d'autres, les conseillers des Français de l'étranger n'ont pas été invités. Ce sont pourtant ceux qui connaissent le mieux les besoins locaux ; leur expertise est précieuse. Je regrette qu'aucun texte réglementaire n'explicite le fonctionnement des conseils locaux de développement.

Deuxième carence, la non-installation de la commission d'évaluation, apport fondamental de la loi du 4 août 2021, inspirée de l'Independent Commission for Aid Impact britannique.

Une évaluation concrète de l'efficience, de l'efficacité et de l'impact des projets d'APD est nécessaire. Il faut passer d'une évaluation comptable à une démarche fondée sur la performance et le pilotage par les résultats : combien de kilomètres de route construits, combien de malades du paludisme soignés, combien de classes ouvertes, combien de femmes ayant eu accès à des protections hygiéniques.

Cette commission n'est donc nullement un énième comité Théodule, mais un outil pertinent de pilotage et de contrôle. Sa mise en place est urgente. La proposition de loi corrige les blocages qui l'ont retardée. Le rattachement initial auprès de la Cour des comptes et le décret du 6 mai 2022 avaient placé les magistrats financiers au coeur du dispositif, donnant la prééminence à l'évaluation budgétaire et financière, loin de l'esprit du législateur. Son placement auprès du ministère de l'Europe et des affaires étrangères évitera ce glissement comptable.

Le texte précise les missions assignées à la commission : évaluation des projets depuis la conception jusqu'à l'application, appréciation des résultats au regard des orientations en matière de politique extérieure et de coopération et des intérêts de la France à l'étranger. Ces clarifications sont de bon aloi.

J'appelle votre attention sur deux points d'importance. Le premier est le détournement des flux d'APD. La Banque mondiale a évalué ce phénomène, dans les 22 pays qu'elle aide le plus, à 5 % des flux. Ces fuites renforcent des régimes corrompus et appauvrissent encore davantage les populations. Saluons à cet égard le mécanisme de contrôle mis en place par l'AFD en Côte d'Ivoire.

Le Président de la République a rappelé la nécessité pour l'AFD de travailler en bonne intelligence avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères pour déployer des partenariats stratégiques. La commission d'évaluation s'inscrit dans cet objectif. Elle facilitera les relations entre l'AFD et le ministère, auquel son rattachement s'impose.

Je souscris entièrement aux dispositions de cette proposition de loi, que je voterai sans réserve.

M. Christian Cambon, rapporteur.  - Merci.

Mme Nicole Duranton .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du groupe UC) Cette proposition de loi précise et complète la loi du 4 août 2021.

En 2022, la France, quatrième bailleur mondial, a consacré 15,2 milliards d'euros à l'APD. Notre effort de solidarité se concentre sur dix-neuf pays dits prioritaires, essentiellement africains. En 2020, 39 % de notre APD bilatérale allait vers l'Afrique, soit 3,6 milliards d'euros.

Ces montants appellent une plus grande transparence, d'où la création d'une commission d'évaluation dédiée.

L'évaluation ne se fera pas uniquement à l'aune de critères financiers, mais prendra aussi en compte le respect des objectifs fixés par le conseil présidentiel de développement. Il s'agira de scruter l'avancée des projets d'APD, en posant des questions concrètes : les droits humains sont-ils protégés au Brésil ? L'accès à la santé a-t-il été garanti au Liban ? Combien de femmes auront-elles bénéficié du plan de lutte contre les violences gynécologiques et obstétricales au Sénégal ?

L'AFD est devenue une véritable plateforme pour le développement. Je salue son travail. Celles et ceux qui y travaillent traduisent en action notre politique de développement dans les domaines de la santé, de l'environnement ou de l'éducation, entre autres. La commission d'évaluation rendra justice à leurs efforts.

Elle nous permettra, à nous parlementaires, de prendre part au travail d'évaluation. Quatre parlementaires y siégeront, gage d'une meilleure compréhension de l'APD, notamment lors de l'examen des projets de loi de finances.

Le Gouvernement prévoit de consacrer plus de 6,37 milliards d'euros à l'APD en crédits de paiement dès le budget 2025, somme à la hauteur du travail mené et de celui qui reste à accomplir.

Accompagner les pays les plus fragiles, c'est assurer notre propre sécurité. Les ressources allouées à nos politiques de solidarité internationale servent à la fois un objectif de développement et un objectif de diplomatie. L'APD contribue à des relations bilatérales saines, et partant, à la stabilité mondiale.

Cependant, notre politique de développement reste mal connue du grand public.

La commission d'évaluation n'est toujours pas instituée, en raison de la confusion créée par le décret du 6 mai 2022 qui réservait deux places sur dix aux magistrats de la Cour des comptes, et aurait conduit son Premier président à en être naturellement élu président. Or tel n'était pas le chemin tracé par le législateur.

Cette proposition de loi corrige la surinterprétation de la loi d'août 2021 induite par le décret de mai 2022. Il met fin au blocage et limite tout risque de confusion en rattachant la commission au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui ne sera toutefois en aucun cas sa tutelle. Au contraire, il garantira l'indépendance de ses travaux. Il gérera son secrétariat et s'assurera de l'absence de conflits d'intérêts.

Le groupe RDPI votera en majorité pour ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Discussion des articles

Mme la présidente.  - Amendement n°8 rectifié, présenté par MM. Canévet, Delcros, Cambier, Bonneau, Henno, Bonnecarrère et Longeot, Mme N. Goulet, MM. Courtial, Mizzon et Menonville, Mmes Billon et Romagny, M. Folliot, Mmes Jacquemet, Havet et Gatel, MM. Parigi et Kern, Mmes O. Richard et Herzog et M. Bleunven.

Rédiger ainsi cet article :

L'article 12 de la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales est ainsi rédigé :

« Art. 12. - I. - Il est institué une commission d'évaluation de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales. Cette commission conduit des évaluations portant sur la politique de développement, notamment sur son efficacité et son impact. Elle contribue a? la redevabilité de cette politique et a? la transparence sur les résultats atteints ainsi qu'a? l'information du public. Le secrétariat de la commission est assure? par les commissions permanentes chargées des affaires étrangères de l'Assemblée nationale et du Sénat.

« II. - La commission est constituée de quatre députés et de quatre sénateurs désignés par les commissions permanentes chargées des affaires étrangères et des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat de manière a? assurer une représentation pluraliste, et de quatre personnalités désignées en raison de leurs compétences en matière d'évaluation et de développement, nommées par les présidents de chaque assemblée a? raison de deux membres chacun.

« III. - Les groupes d'amitié de l'Assemblée nationale et du Sénat contribuent aux travaux de la commission, en évaluant de manière annuelle la politique de développement de la France, notamment sur son efficacité et son impact, dans les pays qui les concernent.

« IV. - La commission arrête de manière indépendante son programme de travail. L'État et les autres personnes publiques conduisant des actions en faveur du développement sont tenus de répondre a? ses demandes d'information et de lui apporter leur concours dans l'exercice de ses missions.

« V. - La commission remet au Parlement, une fois par an, un rapport faisant état de ses travaux, conclusions et recommandations. Elle peut être directement saisie de demandes d'évaluation par le Parlement. Elle lui adresse ses rapports d'évaluation.

« VI. - Le Conseil national du développement et de la solidarité internationale est destinataire du rapport d'évaluation de la commission d'évaluation de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales et en tient compte dans l'élaboration des objectifs, orientations et moyens de la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales.

« VII. - La commission coopère, si elle le juge utile, avec les institutions et organismes d'évaluation des pays bénéficiaires intervenant dans le domaine du développement. »

M. Michel Canévet.  - Le rôle du Parlement est d'assurer le contrôle de l'action publique, selon la Constitution. Les actions de contrôle doivent donc être menées par le Parlement. J'avais déjà proposé cet amendement en 2021, sans succès. Deux ans et demi après, il ne s'est rigoureusement rien passé. Remettons donc l'ouvrage sur le métier.

Cet amendement confie à quatre députés, quatre sénateurs et quatre personnalités qualifiées nommées par les présidents des deux assemblées le contrôle réel de l'action menée en matière d'APD. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, le ministère de l'économie et des finances et l'AFD ont chacun en leur sein un outil d'évaluation, il n'est donc pas pertinent de charger le ministère des affaires étrangères de s'autoévaluer.

Mme la présidente.  - Je précise que j'ai été saisie d'une demande de scrutin public par le groupe Les Républicains sur cet amendement.

M. Rachid Temal.  - Eh bien ! Ils ont peur ?

M. Christian Cambon, rapporteur.  - Je remercie M. Canévet pour son imagination, mais cet amendement se heurte à des difficultés pratiques. Confier à huit parlementaires l'évaluation de 15 milliards d'euros, en plus de leurs autres tâches, irait au-delà de leurs possibilités. Le collège d'experts que nous proposons serait chargé d'expertiser les dossiers, le collège des parlementaires n'intervenant qu'en seconde ligne, en évaluation. Par ailleurs, il n'y a pas lieu d'empiéter sur le travail des commissions permanentes. Le Parlement doit garder un certain recul.

Les groupes interparlementaires d'amitié n'ont aucun pouvoir de contrôle ou d'évaluation. Une telle extension de leur rôle s'apparente à un diverticule constitutionnel qui ne correspond en rien à l'esprit de la loi.

Le seul organe de ce type qui existe est la délégation parlementaire au renseignement ; ce droit d'héberger un secrétariat a trouvé son origine dans une loi organique, ce qui n'est pas le cas ici.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée.  - J'abonde dans le sens du rapporteur, il ne me paraît pas judicieux de faire de cette commission une instance strictement parlementaire.

L'esprit initial du législateur était d'avoir une commission composée à la fois de parlementaires et de personnalités qualifiées, en fonction des ministères concernés. Votre amendement irait à rebours de l'esprit de la loi de 2021. Avis défavorable.

M. Rachid Temal.  - Le groupe Les Républicains nous empêche de débattre et, en plus, bloque les votes en demandant un scrutin public !

L'amendement de M. Canévet prévoit bien des personnalités qualifiées. La commission indépendante le sera d'autant plus si elle est rattachée au Parlement. Nous allons au bout de la logique.

Les parlementaires seront assistés d'autres personnes. Je ne vois pas de raison de ne pas voter cet amendement, sinon qu'il faut un vote conforme... Nous voterons bien sûr pour.

M. Michel Canévet.  - Les propos du rapporteur m'étonnent. Il ne faudrait pas que le Parlement se saisisse du contrôle et de l'évaluation des politiques gouvernementales ? Cela relève pourtant de sa mission constitutionnelle !

Les commissions compétentes au sein des deux chambres continueront à jouer leur rôle. Et nous disposons à travers les groupes d'amitié d'une expertise précieuse, sur laquelle nous pouvons nous appuyer. C'est au Parlement qu'il appartient de mener ce contrôle.

Rattacher la commission au ministère de l'Europe et des affaires étrangères ne va pas dans le bon sens.

Des crédits sont prévus pour que l'on puisse faire appel à des experts indépendants, les parlementaires ne feront donc pas tout mais orienteront l'évaluation. Cet amendement est cohérent avec ce que nous voulons faire. (M. Rachid Temal acquiesce.)

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°8 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°165 :

Nombre de votants 286
Nombre de suffrages exprimés 285
Pour l'adoption 114
Contre 171

L'amendement n°8 rectifié n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°1, présenté par M. Temal et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 3 

Remplacer les mots : 

du ministère des affaires étrangères 

par les mots : 

de France stratégie

M. Rachid Temal.  - Le rapporteur voulait une commission d'évaluation la plus autonome possible. Plutôt qu'une autoévaluation par le ministère lui-même, nous proposons que France Stratégie, organisme autonome rattaché au Premier ministre, porte administrativement la commission d'évaluation.

Mme la présidente.  - Amendement n°2, présenté par M. Temal et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéas 3 et 6

Après le mot :

ministère

insérer les mots :

de l'Europe et 

M. Rachid Temal.  - Précisons l'intitulé correct du ministère concerné. Ce dossier a été traité avec amateurisme, manifestement.

M. Christian Cambon, rapporteur.  - Dans cette affaire, prétendre que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères serait à fois le contrôleur et le contrôlé est une erreur et une offense. Le ministère veut au contraire renforcer son contrôle sur l'AFD, bras séculier de l'APD.

Vous voulez rattacher la commission à un organisme placé sous l'autorité du Premier ministre, or je rappelle que le Cicid, présidé par ce même Premier ministre, s'éloigne des orientations fixées par le Parlement...

M. Rachid Temal.  - Rien à voir.

M. Christian Cambon, rapporteur.  - Confier l'évaluation aux services du Premier ministre est une très mauvaise stratégie. La proposition de domicilier la commission d'évaluation chez France Stratégie ne correspond pas aux attentes du législateur de 2021. Avis défavorable.

Avis défavorable également à l'amendement n°2. L'intitulé du ministère est souvent imprécis dans la loi car il change souvent. Le décret rectifie ce type d'erreur. (Protestations sur les travées du groupe SER)

Mme Marie Lebec, ministre déléguée.  - L'enjeu est de savoir si, placé sous la tutelle du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, la commission serait ou non indépendante. On ne parle que d'un hébergement, donc d'une indépendance de fait. Le ministère aura un simple rôle de secrétariat administratif.

En outre, l'article 12 de la loi du 4 août 2021, dont vous étiez corapporteur, monsieur Temal, dispose que la commission est composée d'un collège de parlementaires, dont nul ne doute qu'ils sont indépendants, et d'un collège d'experts indépendants. Tous sont donc indépendants. Avis défavorable aux deux amendements.

M. Rachid Temal.  - Madame la ministre, c'est vous qui n'avez pas su mettre en application la loi votée par le Parlement à la quasi-unanimité. N'inversez pas la charge de la preuve !

Cher Christian Cambon, on nous dit que l'hébergement au ministère ne pose aucun problème - mais s'agissant de France Stratégie, cela poserait problème ? Soyez cohérent !

Personne ne croira que cette commission - qui n'est pas indépendante, je le répète - va juger de l'emploi des crédits d'un ministère qui a la tutelle sur ses agents ! C'est une fable.

Nous assistons à l'enterrement de première classe de cette commission d'évaluation et à une tentative de bâillonnement du Parlement pour obtenir un vote conforme.

L'amendement n°1 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°2.

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par M. Temal et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 5 

Remplacer les mots : 

la pertinence des 

par le mot : 

les

M. Rachid Temal.  - Le terme « pertinence » dénature le rôle de la commission. Il ne figurait pas dans la loi de 2021, car nous ne voulions justement pas d'un tel jugement. Nous voulions savoir si les projets étaient conformes à la loi et mis en place sur le terrain.

En jugeant de la pertinence des projets, cette commission ne ferait plus d'évaluation : elle prendrait politiquement la main sur l'APD.

M. Christian Cambon, rapporteur.  - Ce terme a donné lieu à nombre d'exégèses. Je relis le texte : la commission évalue « la pertinence des projets et programmes d'aide publique au développement au regard des ambitions et des objectifs prévus par la loi et elle en examine les résultats pour apprécier leur efficacité, tant sur le plan financier que vis-à-vis des priorités de la politique extérieure et de coopération ainsi que des intérêts à l'étranger de la France. »

Il s'agit de vérifier que les projets sont en ligne avec les objectifs de la loi du 4 août 2021, et d'éviter que la commission ne se borne à un contrôle financier. L'évaluation se fait au regard des objectifs de la politique d'aide au développement. Avis défavorable.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée.  - L'examen de la pertinence des projets se fait au regard des objectifs de la loi. Monsieur le sénateur, vous avez participé à la revue de l'APD par l'OCDE : l'analyse de la pertinence fait partie des six grands critères d'évaluation de l'OCDE, qui sont des standards internationaux. Avis défavorable.

M. Rachid Temal.  - En effet, j'ai participé à ces travaux. La phrase est : « elle évalue la pertinence des projets et les programmes d'aide ». Sans « la pertinence », la phrase n'a pas le même sens. Ne faites pas semblant.

L'amendement n°3 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par M. Temal et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Après l'alinéa 6

Insérer un alinéa ainsi rédigé : 

... ° Le cinquième alinéa du III est ainsi rédigé : « La fonction de président de la commission est assurée alternativement, pour deux ans, par un député et un sénateur. » ;

M. Rachid Temal.  - Pour assurer l'indépendance de la commission, nous proposons qu'elle soit présidée par un parlementaire, avec une alternance entre députés et sénateurs, tous les deux ans.

M. Christian Cambon, rapporteur.  - Je le déconseille fortement une présidence par un parlementaire, car dans notre esprit, il faut être à temps plein pour examiner 13 milliards d'euros de crédits. C'est dix fois plus que le travail des présidents de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui était déjà considérable. Nous veillerons à ce que cela soit précisé dans le décret. Avis défavorable.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée.  - Avis défavorable. Le décret précisera l'organisation de la commission, notamment l'élection de son président. Les parlementaires sont associés à la rédaction du décret, afin d'éviter ce qui s'est passé lors de la promulgation de la loi d'août 2021.

M. Rachid Temal.  - Merci d'annoncer que les parlementaires sont associés à la rédaction du décret, mais seul le rapporteur semble l'être...

La loi ne prévoyant ni rémunération ni dédommagement, comment pourrez-vous le prévoir par décret ? Vous avez quatre heures !

J'aimerais qu'on me réponde.

L'amendement n°5 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°6, présenté par M. Temal et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Alinéa 7

Rédiger ainsi cet alinéa :

3° À l'avant-dernier alinéa du III, les mots : « au premier président de la Cour des comptes » sont remplacés par les mots : « à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ».

M. Rachid Temal.  - Nous ne pouvons accepter que les déclarations d'intérêts des personnalités qualifiées soient remises au ministère, alors qu'il existe une Haute Autorité de référence en la matière. Remettre sa déclaration au ministère que l'on est chargé de contrôler, c'est un peu léger... Mon amendement muscle le dispositif.

M. Christian Cambon, rapporteur.  - L'article L. 122-2 du code général de la fonction publique prévoit que certains agents publics déposent une déclaration d'intérêts auprès de leur autorité de rattachement qui, en cas de doute, saisit la HATVP.

Nous ne parlons que du collège des experts, puisque les parlementaires remettent leur déclaration à la HATVP.

La loi de 2013 relative à la transparence de la vie publique prévoit une liste exhaustive des personnalités soumises à déclaration d'intérêts. Les experts ne sont pas concernés. Il n'y a pas lieu de tordre le cou au droit de la fonction publique. Avis défavorable.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée.  - Même avis pour les mêmes raisons.

M. Michel Canévet.  - Les propos du rapporteur m'étonnent : les experts nommés dans cette commission seront-ils donc tous des fonctionnaires du ministère ?

M. Rachid Temal.  - Exactement !

M. Michel Canévet.  - Je n'en reviens pas... Il n'y a donc pas d'indépendance ! Quel est le but du rapporteur ?

M. Rachid Temal.  - Le rapporteur n'a pas répondu à ma question sur la base légale de la rémunération.

Il nous répond sur les fonctionnaires, alors que nous voulions des experts internationaux ! C'est de la poudre de perlimpinpin ! Toutes vos réponses prouvent qu'il n'y a pas d'indépendance.

M. Christian Cambon, rapporteur.  - La commission ne sera pas composée uniquement de fonctionnaires, mais le même droit s'applique aux experts privés, puisqu'ils seront rattachés au ministère, en tant que membres de la commission. C'est constant, nous l'avons vérifié. (M. Rachid Temal le conteste.)

L'amendement n°6 n'est pas adopté.

Mme la présidente.  - Amendement n°7, présenté par M. Temal et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

...° Il est ajouté un paragraphe ainsi rédigé :

« .... La commission coopère avec les collectivités territoriales, les organisations non gouvernementales, les universités, les centres de recherche et les groupes de réflexion ayant une expertise en matière d'évaluation de l'aide publique au développement. »

M. Rachid Temal.  - Monsieur le rapporteur, le texte que vous avez cité tout à l'heure ne concernait que les fonctionnaires.

Nous proposons d'ajouter, dans le collège des experts, des représentants des collectivités territoriales, qui contribuent largement au financement de l'APD. Le texte de loi fera-t-il, oui ou non, référence aux collectivités ? Un décret ne suffira pas. Arrêtez donc vos tours de passe-passe entre loi et décret.

M. Christian Cambon, rapporteur.  - Il est bien évidemment hors de question de se priver des collectivités territoriales, mais il n'est pas nécessaire de l'inscrire dans la loi. Le champ des experts doit être le plus ouvert possible. Je pense à la suggestion de Jean-Luc Ruelle sur les comités locaux de développement, dont le rôle auprès de chaque ambassadeur est de veiller la mise en oeuvre de l'APD.

Laissons-nous la liberté, par décret, mais aussi par la pratique, de faire appel à toutes les expertises, y compris celles qui ne sont pas citées par la loi. Avis défavorable à cet amendement qui affaiblirait la commission. (M. Rachid Témal en rit.)

Mme Marie Lebec, ministre déléguée.  - Avis défavorable également. La composition de la commission permet d'assurer le lien avec les différents volets des investissements solidaires et durables.

Le Gouvernement souhaite que la commission soit diverse et représentative. C'est ainsi que le monde universitaire sera associé via une personnalité qualifiée issue du ministère chargé de la recherche.

Deux instances de concertation avec les élus locaux et la société civile existent déjà : la Commission nationale de la coopération décentralisée et le Conseil national pour le développement et la solidarité internationale dans lequel les parlementaires sont représentés.

M. Rachid Temal.  - Tout cela est bien compliqué pour ma faible intelligence. Nous parlons d'évaluation, pas de coordination. On ne peut pas tout mélanger, sinon c'est le mistigri... On parle soit d'évaluation, soit d'autre chose. Vous faites donc le choix de refuser les collectivités.

Nous détaillons toujours la composition des organismes. Pourquoi ne pas le faire ici ? Pourquoi ne reconnaissez-vous pas clairement que les collectivités vont passer à l'as ? Tout ceci est ubuesque.

M. Christian Cambon, rapporteur.  - Il n'a jamais été question de se priver des collectivités territoriales !

L'amendement n°7 n'est pas adopté.

M. Rachid Temal.  - Nous parlons de plus de 15 milliards d'euros annuels. Et pourtant, le Sénat décide de ne pas déposer d'amendement et d'accepter la version de M. Bourlanges, dans son duel fratricide et public avec M. Moscovici. Ni évaluation ni navette.

Nous nous opposerons à ce texte.

La proposition de loi dénature la commission d'évaluation prévue par la loi de 2021. Comme il n'y a pas de pilotage politique de l'APD, il n'y aura pas non plus d'évaluation.

Je ne suis pas certain que le texte aille jusqu'au bout, car il pose plusieurs problèmes juridiques : pas d'indépendance, pas de transparence et pas de travail avec le Parlement.

À la demande du groupe SER, l'article unique est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°171 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 338
Pour l'adoption 273
Contre   65

L'article unique est adopté.

En conséquence, la proposition de loi est adoptée définitivement.