Saisie et confiscation des avoirs criminels (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels.

Discussion générale

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Je suis heureux de pouvoir réaffirmer ma volonté de frapper toujours plus fort les délinquants au portefeuille. Cette proposition de loi renforce nos capacités de saisie et de confiscation, car nul ne doit tirer profit de son crime. Je soutiens ce texte avec force.

Nous avions déjà renforcé notre arsenal avec la loi Warsmann de 2010, qui a rénové l'approche judiciaire, donné une nouvelle dynamique aux enquêtes et permis aux investigations de devenir patrimoniales.

Les possibilités de saisie au stade de l'enquête ont été étendues à tous les biens confiscables afin que les juridictions de jugement puissent confisquer l'ensemble des avoirs criminels.

L'État s'est doté d'un dispositif pour gérer les biens saisis et confisqués, avec la création de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), bras armé de l'État pour aller chercher réparation, qui s'est révélée d'une efficacité redoutable. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 2011, 109 millions d'euros étaient saisis ; en 2023, 1,44 milliard d'euros, une multiplication par dix.

L'augmentation des saisies et des confiscations est un axe fort de ma politique pénale. La mobilisation de mon ministère n'a jamais fléchi.

Chaque année, policiers, gendarmes, douaniers, procureurs, juges font preuve d'un engagement sans faille. La confiscation du patrimoine des criminels est un levier incontestable de la répression. En 2020, le montant des confiscations s'élevait à 86 millions d'euros. En 2023, il atteignait 175,5 millions d'euros, soit une hausse de 105 %.

J'ai renforcé les capacités d'action de l'Agrasc, qui rayonne désormais sur l'ensemble du territoire national, avec huit antennes régionales. L'Agrasc dispense des conseils aux enquêteurs et magistrats. Les scellés sont mieux gérés, les décisions de confiscation mieux exécutées.

Surtout, nous avons renforcé ses moyens humains. Ma politique au ministère de la justice est constante : si l'on veut des résultats, il faut des moyens, et quand on a mis des moyens, il faut des résultats. Les effectifs de l'Agrasc sont passés de 45 agents en 2020 à plus de 85 en 2023.

La confiscation est aussi un levier efficace d'indemnisation et de réparation. Les biens immobiliers confisqués peuvent désormais connaître une réaffectation sociale dans des programmes d'intérêt public. Grâce à la loi du 8 avril 2021, des associations, fondations ou foncières solidaires peuvent se voir attribuer des immeubles confisqués. C'est ainsi qu'il y a un an, j'ai remis les clés d'un immeuble de Coudekerque-Branche à l'association Habitat et Humanisme.

Ce dispositif a été pensé dans une logique réparatrice, au service des victimes et des plus démunis. C'est par ce type d'action juste que nous retisserons le lien de confiance entre l'institution judiciaire et nos concitoyens. Nous nous inspirons des dispositions italiennes anti-mafia, pour une action au plus près des besoins des communes. En 2022, une villa a été remise à une association de lutte contre les violences conjugales ; un immeuble confisqué sera converti en logements sociaux ; un logement a été réaffecté à l'accueil de réfugiés ukrainiens.

La loi du 4 août 2021 a prévu la restitution des biens mal acquis aux populations spoliées. Désormais, le produit des biens confisqués à des dirigeants étrangers peut être affecté au financement d'actions de coopération et de développement.

Nous avons mis en place un cercle vertueux et les avancées sont incontestables. Mais il faut frapper encore plus vite et plus fort le patrimoine des criminels et des délinquants. Après une décennie de progrès, des lacunes doivent encore être comblées. Plusieurs préconisations du rapport Warsmann-Saint-Martin ont été mises en oeuvre. Pour que le crime ne profite plus, il faut renforcer notre législation. C'est tout l'objet de cette proposition de loi. Il faut saisir plus et confisquer mieux le produit des crimes et les profits des délinquants. Cet objectif nous rassemble.

L'article 1er prévoit d'accélérer la vente des biens saisis avant jugement. La commission des lois, dont je salue le travail, a étendu la procédure simplifiée de recours à l'ensemble des saisies ainsi qu'aux décisions de non-restitution des biens. Elle a prévu que la vente avant jugement des biens saisis pourra intervenir plus largement, notamment pour les biens dont la valeur se déprécie rapidement ou qui nécessitent d'importants frais d'entretien. L'affectation sociale des biens saisis a été étendue au profit des services judiciaires et de police judiciaire. La procédure de convention judiciaire d'intérêt public a été enrichie. Les juridictions de jugement ne devront plus motiver la peine de confiscation.

L'article 2 vise à améliorer l'indemnisation des victimes. Les parties civiles pourront obtenir le paiement de leurs dommages et intérêts sur les biens dévolus à l'État et ceux ayant fait l'objet d'une décision de non-restitution. Les officiers de police judiciaire pourront procéder à une saisie élargie des patrimoines, grâce à l'apport de la commission.

L'article 3 renforce l'efficacité des saisies en ne permettant plus que des proches des délinquants ou des criminels continuent de profiter de biens saisis par la justice.

L'article 4 élargit le mécanisme de restitution des biens mal acquis aux sommes saisies et confisquées sur les comptes bancaires.

Le ministère de la justice s'engage totalement dans la lutte contre la criminalité et la délinquance. Allons plus loin, pour que le crime ne paie pas, pour que le crime ne paie plus ! (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe CRCE-K ; MM. Olivier Cadic et Louis Vogel applaudissent également.)

Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Louis Vogel applaudit également.) Appréhender le patrimoine des délinquants et démontrer que le crime ne paie pas, voilà un sujet majeur dans la lutte contre la délinquance et la criminalité.

La principale motivation d'un certain nombre d'infractions est l'appât du gain. Parfois, le risque de l'emprisonnement est assumé, dans la mesure où le gain financier est assuré. Il est donc important de pouvoir saisir le patrimoine des délinquants.

À l'initiative du député Jean-Luc Warsmann, une proposition de loi avait été votée en 2010. En 2019, le Premier ministre de l'époque lui avait confié, ainsi qu'à M. Saint-Martin, un rapport qui a abouti à 37 propositions. Toutes n'étaient pas de niveau législatif.

La procédure de saisie et de confiscation des avoirs criminels commence durant l'enquête ou l'instruction, où déjà, une partie du patrimoine peut être saisie, qu'il s'agisse de l'instrument de l'infraction, ou d'un patrimoine plus large.

Parfois, ce patrimoine a besoin d'être valorisé. Par exemple, un véhicule saisi se déprécie au fil des années alors que les frais de gardiennage augmentent. L'État doit avoir un intérêt à procéder aux saisies. En outre, dans l'hypothèse où le bien n'est pas confisqué, le produit d'une éventuelle vente doit pouvoir être remis à la personne qui n'est finalement pas condamnée.

L'Agrasc a été créée par la loi de 2010. Elle est chargée de la dynamisation des biens saisis. À la toute fin, la confiscation - ou non - des biens saisis est décidée.

La vente se fait au profit de l'État.

Premier enjeu : les services d'enquête et les magistrats doivent s'emparer de cet outil. Aujourd'hui, seulement 30 % des biens saisis sont confisqués. Il y a là une marge de progrès.

Deuxième enjeu : la fluidité de la chaîne entre la saisie et la confiscation, pour que le patrimoine soit mieux valorisé.

L'Agrasc a été déclinée en antennes territoriales, ce qui a considérablement accru ses résultats, grâce à des liens plus étroits avec les services d'enquête et les magistrats.

Mais il reste des progrès à faire. Ce texte en est l'illustration.

Sénat, Assemblée nationale, Gouvernement : nous souhaitons tous une amélioration, même si nous pouvons avoir des divergences techniques.

Les améliorations législatives sont nécessaires, mais il faut poursuivre les efforts dans d'autres domaines : formation des services d'enquête et des magistrats à ces procédures ; augmentation des effectifs de certaines juridictions ; enfin, la procédure pénale numérique (PPN) doit rendre possible le suivi des avoirs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Louis Vogel applaudit également.)

M. Guy Benarroche .  - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.) Le crime ne paie pas, ou ne le devrait pas. Quel que soit le type de délinquance, les délinquants détestent être frappés au portefeuille. Pour être vraiment dissuasive, toute peine doit s'accompagner d'une confiscation, selon le député Warsmann.

La confiscation est une peine complémentaire de plein droit au-delà d'un an d'emprisonnement, sauf pour les délits de presse ; elle peut porter sur l'ensemble des biens qui ont un lien avec un crime ou un délit - que ceux-ci aient servi à commettre l'infraction ou qu'ils en soient le produit direct ou indirect.

Le sujet est d'actualité, alors que les travaux de la commission d'enquête sur le narcotrafic sont en cours. Nous légiférons donc sans attendre ses conclusions, c'est dommage.

Les pistes de cette proposition de loi sont néanmoins très intéressantes. Les avoirs criminels ne sont pas systématiquement identifiés, et seulement 30 % des saisies sont confisquées.

En 2011, 109 millions d'euros étaient saisis ; contre 761 millions d'euros -  dont 27 millions à Marseille  - en 2022, soit sept fois plus.

L'Agrasc est un succès, mais des marges de progression, réelles, existent : l'Office antistupéfiants (Ofast) estime à 3 milliards d'euros le chiffre d'affaires annuel du trafic de drogue, mais c'est sans doute davantage.

L'Agrasc peut procéder à la saisie, mais aussi à la vente des biens, comme le décrivait un article de La Provence. On vend le bling-bling des voyous, comme l'indiquait au journal Audrey Jouaneton, magistrat coordinateur des antennes de Marseille et de Lyon. L'argent mal acquis enrichit l'État. C'est un juste retour des choses.

La liste des personnes morales pouvant bénéficier des biens confisqués s'est étoffée, nous le saluons : les collectivités territoriales, mais aussi, grâce à la commission, les services d'enquête, les services judiciaires, l'Office français de la biodiversité (OFB) ou encore la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC).

Je me suis déjà opposé à des mesures qui, sous couvert de pragmatisme, privaient les justiciables de leurs droits de contestation. J'adhère d'autant plus à l'article 1er que celui-ci répond aux difficultés actuelles : la contestation des saisies peut représenter 40 % des audiences devant la chambre de l'instruction.

Nous sommes favorables à la simplification des procédures qui enrayent parfois la machine, sans pour autant obérer le droit des justiciables.

Nous nous associons aux améliorations apportées aux modalités d'attribution des biens confisqués. Allons au-delà du tout prison.

Le GEST votera ce texte, qui consolide les moyens de sanctionner de manière efficace et différente. (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. Ian Brossat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) La saisie et la confiscation ont souvent joué un rôle secondaire à côté des peines principales que sont l'emprisonnement et l'amende.

En Italie, la loi Pio La Torre a créé en 1982 le premier dispositif de confiscation des biens criminels. Le député communiste sicilien paiera de sa vie sa lutte contre la mafia.

En France, il a fallu attendre 2010 et la loi Warsmann créant l'Agrasc.

En 2018, à l'occasion de l'examen de la loi Elan, un amendement de Stéphane Peu, député de Seine-Saint-Denis, a permis la confiscation des biens des marchands de sommeil.

En 2021, deux textes complètent cet arsenal en facilitant la saisie et l'affectation sociale des biens immobiliers confisqués et en instituant un mécanisme de restitution des biens mal acquis via l'aide au développement.

Depuis quatorze ans, la confiscation des avoirs criminels s'est donc développée.

On peut se satisfaire grandement de l'action de l'Agrasc depuis dix ans, mais des axes d'amélioration demeurent. Ainsi le trafic d'armes, la cybercriminalité, la criminalité environnementale et le trafic de drogues peuvent encore rapporter gros.

Les gains du narcotrafic sont de 3 milliards d'euros par an dans notre pays, selon le directeur général de la police nationale (DGPN) auditionné par la commission d'enquête sur le narcotrafic. Or les dégâts de ces activités sont désastreux. Les règlements de compte laissent trop de familles endeuillées.

Avec des collègues de quatre groupes, nous avons déposé un amendement transpartisan prévoyant une automaticité de la confiscation des biens dont on ne peut justifier l'origine pour les personnes condamnées à plus de cinq ans de prison.

Les sanctions existantes ne sont pas assez dissuasives. Trop de jeunes rêvent encore devant la fortune des criminels.

Nous demeurons loin des résultats de l'Italie, qui a confisqué 11 milliards d'euros à la mafia ces 20 dernières années. Pour la seule année 2019, 947 biens criminels ont été mis au service de l'économie sociale et solidaire (ESS) par l'intermédiaire de 505 associations ou organismes HLM, de 26 fondations ou de 27 écoles, entre autres.

Mettre les biens criminels au service de l'intérêt général, c'est montrer que les systèmes mafieux ne l'emportent pas sur le bien commun.

Mais il faut que l'ensemble des acteurs de la justice s'emparent des peines de confiscation, malheureusement encore trop chronophages et trop techniques.

Nous voterons ce texte avec enthousiasme et présenterons plusieurs amendements pour l'améliorer. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER ; M. Guy Benarroche applaudit également.)

Mme Nathalie Delattre .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.) Ce texte est relativement technique ; pourtant, il est assez simple et empreint de bon sens.

Nemo ex delicto consequatur emolumentum : nul ne doit tirer profit de son délit.

Pour y parvenir, il revient au législateur de rendre plus efficace l'application des mécanismes de saisie et de confiscation des avoirs criminels. Il y a quinze ans, la loi Warsmann a marqué un tournant, permettant de prononcer des sanctions patrimoniales significatives. Comme pour toute loi, il est bon d'y revenir quelques années plus tard pour ajuster ce qui peut l'être.

En 2019, Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann ont rendu un rapport éclairant. Je salue leur travail.

Il est impératif que nous disposions d'une connaissance suffisante du sujet pour légiférer. Nous regrettons souvent le manque d'études d'impact ou de bilans chiffrés. Le président Larcher l'a évoqué lors de son discours d'ouverture de la septième édition de la Journée des entreprises, le 21 mars dernier.

Le rapport Warsmann-Saint-Martin met en lumière un paradoxe : le cadre législatif est abouti, mais il est insuffisamment utilisé. Il est performant, mais les acteurs de la justice y recourent trop rarement au-delà de la criminalité organisée.

Sur la délinquance de moyenne intensité, il existe une marge de progrès, pour que les mécanismes de saisie et de confiscation cessent d'être considérés comme complexes et chronophages.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.  - C'est vrai.

Mme Nathalie Delattre.  - La proposition de loi reprend plusieurs propositions du rapport. Je salue les travaux précieux de la rapporteure.

Tout ce qui est de nature à faciliter la vie des enquêteurs est louable.

Toutes les décisions de saisie et confiscation doivent être systématiquement transmises à l'Agrasc, pour une meilleure efficacité.

Nous saluons les dispositions de l'article 3 et les améliorations apportées par le rapporteur. La confiscation systématique des objets ayant servi à l'infraction, ou qui en sont le fruit, est une très bonne mesure.

Je me réjouis de l'adoption en commission de mon amendement visant à affecter les biens immobiliers saisis et confisqués aux services d'enquête, aux services judiciaires, à l'OFB ou à la DGSCGC, notamment.

Nous avons déposé des amendements pour encore améliorer ce texte. Néanmoins, cette proposition de loi participe de la réaffirmation du pacte républicain. Le RDSE la votera. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Patricia Schillinger .  - (Applaudissements sur quelques travées du RDSE.) La semaine dernière, j'intervenais sur la justice patrimoniale au sein de la famille. Le crime ne doit pas payer, là non plus.

Nul ne doit tirer profit de son délit, prévoit le droit romain.

Les confiscations sont des leviers puissants de la lutte contre la délinquance et la criminalité. Les auteurs d'actes craignent plus qu'on s'en prenne à leur portefeuille qu'à leur liberté.

Je salue le travail de Jean-Luc Warsmann à qui l'on doit la loi du 9 juillet 2010. C'est en grande partie sur son texte que repose notre système de saisie et confiscation, puisqu'il a créé l'Agrasc, qui joue un rôle essentiel.

Le montant des saisies est en constante progression, en hausse de 87 % en 2023 par rapport à 2022, pour un montant de 1,4 milliard d'euros. Les confiscations représentent 175,5 millions d'euros.

D'importantes marges de progression subsistent néanmoins. Seuls 30 % des biens saisis sont effectivement confisqués.

Le texte met en oeuvre certaines recommandations législatives du rapport Warsmann-Saint-Martin. Certaines de ses propositions sont déjà satisfaites, notamment la réaffectation des biens.

Cette proposition de loi améliore le fonctionnement de l'Agrasc, élargit les possibilités d'affectation des biens saisis et confisqués et aménage les procédures pénales de saisie et confiscation.

Aux termes de l'article 3, les juges auront désormais l'obligation de confisquer les biens qui sont l'objet, le produit ou l'instrument de l'infraction.

Le texte a été substantiellement enrichi à l'Assemblée nationale.

Il est sage de pallier l'absence d'information dont l'Agrasc peut souffrir, et qui engendre d'importants frais de gestion.

Un amendement du Gouvernement a ajouté les collectivités territoriales à la liste des personnes morales bénéficiaires. Cela méritait d'être signalé au Sénat, maison des collectivités.

Je salue l'esprit constructif de la rapporteure, dont le travail a permis des modifications visant à l'appropriation des outils par les différents acteurs.

Alors que la proposition de loi précise que la confiscation vaut titre d'expulsion, un amendement à l'Assemblée nationale a étendu la portée de l'expulsion non seulement à la personne condamnée, mais aussi à tous les occupants de son chef.

La rapporteure a toutefois précisé les choses : cela ne doit pas viser des locataires légitimes de bonne foi, étrangers à toute infraction.

Cette proposition de loi renforce l'efficacité de notre justice. Cet objectif doit nous rassembler. Aussi, le RDPI votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du GEST)

M. Jérôme Durain .  - Le 8 novembre dernier, le Sénat a lancé une commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures pour y remédier, que je préside. Lors des dizaines d'auditions que nous avons menées, plusieurs moments m'ont marqué.

Plusieurs témoignages l'ont montré : la prison n'est plus une menace suffisante pour les criminels. Les policiers répètent que le seul moment où ils les voient pleurer, c'est quand on leur confisque leur voiture, leur appartement ou leur compte en banque. Après l'opération Place nette XXL à Marseille, les dealers ont multiplié les commentaires bravaches depuis leur cellule. Ils continuent de gérer leurs affaires depuis la prison.

Mais il existe des moyens de leur faire mal. Il faut les frapper au portefeuille, car la prison est perçue comme une période de formation continue... En revanche, les saisies et les confiscations représentent une véritable remise en cause de la pyramide des valeurs sur laquelle repose leur monde.

Nombre de narcotrafiquants font preuve de provocation, comme le montre le livre de Fabrice Arfi, D'argent et de sang, qui porte sur l'arnaque du siècle, la fraude à la TVA. Les acteurs de ce psychodrame n'ont pas peur d'aller en prison, mais ils craignent de perdre les fruits de leur labeur illégal : c'est tout l'enjeu de cette proposition de loi.

Pour reprendre un titre célèbre du rap français, évitons que seul le crime paie.

Notre pays ne part pas de rien. L'Agrasc a revendiqué plus de 1,4 milliard d'euros de saisies en 2023. Le montant des confiscations a atteint 175,5 millions d'euros. Malheureusement, au jeu du chat et de la souris, celle-ci garde toujours un temps d'avance...

La proposition de loi que nous examinons contient plusieurs mesures techniques susceptibles de lever les craintes des magistrats.

Un consensus a émergé au cours des auditions de la rapporteure sur la nécessité d'une meilleure identification des avoirs. M. Darmanin entend judiciariser les personnes, puis les interpeller. Cela sera-t-il rendu possible par la réforme de la police judiciaire, contestée par beaucoup ?

En mai, le rapport de la commission d'enquête dégagera des pistes.

Le groupe socialiste a repris des amendements rédigés par Transparency International et Crim'HALT, car il faut entendre les propositions de la société civile.

Nous sommes pressés d'entendre les avis de la rapporteure et du Gouvernement sur notre amendement rendant obligatoire la confiscation de biens en cas de délit ou de crime puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

Mme Catherine Di Folco .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La France a été pionnière dans la législation antiblanchiment, dès les années 1990, en affirmant la confiscation des avoirs criminels comme un objectif de politique publique.

Le crime ne doit payer sous aucun prétexte.

Venue de l'Assemblée nationale, la proposition de loi s'ajoute à la liste des travaux réalisés par Jean-Luc Warsmann et Laurent Saint-Martin.

Il est insupportable de constater que seuls 30 % des biens saisis finissent par être confisqués par une juridiction de jugement.

Le chiffre d'affaires annuel du trafic de drogue en France est estimé à 3 milliards d'euros.

Si la majorité des dispositions du texte peuvent paraître techniques, elles répondent à des impératifs simples et indispensables. Le produit du crime doit servir avant tout l'intérêt général.

Je salue l'action de la police, de la gendarmerie, des douanes, des magistrats et de l'Agrasc. Pour l'année 2023, le montant des saisies réalisées dépasse 1,4 milliard d'euros : c'est bienvenu pour nos finances publiques dégradées.

Cela dit, des marges de progression demeurent ; elles doivent être franchies rapidement.

Nous souscrivons à la modification apportée par la commission à l'article 1er bis C, qui vise à recentrer les notifications à l'Agrasc aux seules décisions de saisie et de confiscation relevant de sa compétence, afin d'éviter de la noyer.

Nous permettrons aussi aux officiers de police judiciaire (OPJ) de procéder à certaines saisies spéciales nouvelles. Notre lutte contre la délinquance ne doit pas faiblir.

Le groupe Les Républicains est satisfait des modifications apportées au texte par notre rapporteur.

Je ne doute pas qu'il votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Louis Vogel applaudit également.)

M. Louis Vogel .  - Le crime organisé est particulièrement rémunérateur dans notre pays. Avec 5 millions de consommateurs réguliers de cannabis et 600 000 de cocaïne, les stupéfiants rapportent environ 3 milliards d'euros chaque année aux trafiquants.

Dans ces conditions, la ponction financière est la meilleure des sanctions. Pas un centime ne doit rester à ceux qui volent, extorquent et dealent ! Il ne doit pas y avoir d'infraction lucrative.

Or les chiffres ne sont pas satisfaisants. Malgré la création de l'Agrasc en 2010 et la loi de 2021, seuls 30 % des biens concernés sont finalement confisqués ! Nous devons aller plus loin.

Le texte que nous examinons vise d'abord à mieux identifier ces avoirs pour mieux les saisir. Les gendarmes et les policiers pourront réaliser des enquêtes patrimoniales destinées à priver les malfaiteurs de tout profit.

La proposition de loi tend aussi à améliorer l'emploi de ces avoirs criminels ; de nouveaux organismes, tel l'OFB, en bénéficieront.

Nous sommes favorables à la possibilité ouverte aux collectivités territoriales de bénéficier d'un bien confisqué.

La confiscation vaudra désormais titre d'exclusion de la personne concernée et de tous les occupants de son chef. Cela accélérera les procédures.

Le texte corrige également certaines anomalies. En effet, le droit actuel ne permet la restitution des biens mal acquis que lorsqu'ils font préalablement l'objet d'une cession. Cela empêchait précisément la restitution des sommes d'argent saisies.

De même, les biens saisis ne donnent pas tous lieu à confiscation ; certains d'entre eux sont restitués, tandis que d'autres restent dans les limbes. Donner une destination à ces catégories de biens était important.

La rapporteure a introduit la possibilité pour les OPJ de saisir plus rapidement les biens afin qu'ils ne disparaissent pas avant leur saisie.

Cela dit, il n'est pas facile de mettre en oeuvre un mécanisme parfait de confiscation des biens.

Ce texte, très avancé, pourrait servir de modèle à l'Union européenne et adosser la culture judiciaire française au droit européen : la question de la confiscation se pose avec les avoirs russes gelés. Le groupe Les Indépendants votera ce texte.

M. Paul Toussaint Parigi .  - Pour qu'un châtiment produise l'effet voulu, il suffit qu'il dépasse l'avantage résultant du délit. Comme le rappelait Beccaria, l'efficacité d'une sanction tient pour grande partie à son caractère dissuasif.

Or les délinquants redoutent surtout d'être privés du fruit de leur crime. La loi Warsmann a sanctuarisé en 2010 un cadre procédural spécifique.

La privation de liberté ne suffisant pas, il fallait instaurer une culture de confiscation des avoirs criminels. Le champ des biens susceptibles d'être saisis a été élargi et l'Agrasc a été créée ; depuis lors, le nombre des saisies réalisées atteste de sa réussite : la valeur des biens est passée de 109 millions d'euros en 2011 à 1,4 milliard en 2023 ; celle des actifs a explosé, de 700 000 euros à 175 millions d'euros en 2023.

Nous demeurons cependant loin de l'Italie, qui a confisqué 11 milliards d'euros à la mafia en vingt ans.

Il nous est proposé de faire un nouveau pas. À l'heure où certains magistrats réclament un plan Marshall pour la lutte contre les réseaux criminels, ce texte rappelle combien la confiscation peut être essentielle pour priver ces derniers de leurs moyens.

Alors que le 6 décembre s'ouvrait le procès de la mafia nigériane qui sévit à Marseille, il faut se doter des armes pour combattre la grande criminalité internationale. Nous devons donc compléter le cadre procédural de 2010 afin de donner force de loi au principe selon lequel nul ne doit tirer profit de son délit.

Le texte améliorera entre autres la gestion des biens saisis, permettra de maîtriser les frais de justice et de simplifier l'indemnisation des victimes. Donnons-lui une véritable ampleur symbolique pour que la confiscation devienne la pierre d'angle de la lutte contre les organisations criminelles : j'ai donc proposé de la rendre obligatoire. Je me réjouis que d'autres groupes aient fait la même proposition et espère une adoption transpartisane.

Ce texte apporte des avancées attendues par les acteurs concernés et l'Agrasc, donnant plus d'efficacité à la sanction pénale. Le groupe UC le votera.

Mme Karine Daniel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je m'inscris dans le même état d'esprit positif que Jérôme Durain, président de la commission d'enquête sur le narcotrafic, dont je suis membre.

Si tous, nous nous accordons à mettre les confiscations au coeur de la lutte contre la délinquance, je souhaite intervenir sur les moyens de la police judiciaire. Le rapport de Nadine Bellurot et Jérôme Durain et celui de Muriel Jourda corroborent le constat selon lequel il reste possible de faire mieux.

Une meilleure identification des avoirs criminels dans le cadre des saisies est nécessaire. Or les moyens manquent cruellement, car les services peinent à recruter.

Les effectifs dédiés au traitement des contentieux économiques et financiers sont insuffisants et leur champ d'action est en souffrance au sein de la police judiciaire.

Des équipes dédiées doivent être créées et la police judiciaire doit être réformée en conséquence. Un rééquilibrage des moyens entre voie publique et investigation est indispensable.

Rappelons la nécessité d'inscrire la filière d'investigation dans le long terme, en faisant appel à de nouveaux outils technologiques.

Bruno Le Maire, auditionné par notre commission d'enquête, a montré l'ampleur du sujet : un chiffre d'affaires, sous-estimé selon lui à 3,5 milliards d'euros et 664 tonnes de drogues saisies depuis 2017... La question des moyens véritables des services et de la capacité de la France à s'emparer du sujet est cruciale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 27 mars 2024, à 15 heures.

La séance est levée à minuit cinquante-cinq.

Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 27 mars 2024

Séance publique

À 15 heures, à 16 h 30 et le soir

Présidence : M. Mathieu Darnaud, vice-président, M. Pierre Ouzoulias, vice-président.

Secrétaires : Mme Sonia de La Provôté, M. Mickaël Vallet.

1. Questions d'actualité

2. Suite de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels (texte de la commission, n°446 rect., 2023-2024)

3. Examen, sous réserve de sa recevabilité, d'une demande de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport tendant à obtenir du Sénat, en application de l'article 5 ter de l'ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires qu'il lui confère, pour une durée de six mois, les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête pour une mission d'information sur les modalités de constitution d'une société commerciale par la Ligue de football professionnel en application des articles L. 333-1 et suivants du code du sport introduits par la loi n°2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France.

4. Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement (texte de la commission, n°429, 2023-2024)

5. Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant diverses mesures relatives au grand âge et à l'autonomie (texte de la commission, n°412, 2023-2024)

6. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, créant l'homicide routier et visant à lutter contre la violence routière (texte de la commission, n°443, 2023-2024)