Transformation des bureaux en logements (Procédure accélérée)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à faciliter la transformation des bureaux en logements.

Discussion générale

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement .  - Nous poursuivons ce fameux « puzzle » avec ce texte visant à faciliter la transformation des bâtiments existants en logements, partout où les élus le jugeront pertinent. L'important est de l'achever, pour avoir l'image complète.

Je salue les rapporteurs Martine Berthet et Stéphane Sautarel, dont les amendements ont enrichi le texte. Je tiens à citer le député Romain Daubié, auteur de ce texte utile et pragmatique, sur lequel j'espère un consensus large.

Les nouvelles organisations du travail depuis la crise sanitaire ont vidé les bureaux, notamment en périphérie de grandes métropoles : le taux de vacance atteint 10 % en Île-de-France, 5 % dans plusieurs autres métropoles. Or les besoins de logement s'y concentrent. Comment se satisfaire que des bureaux soient vides et que des salariés dorment dans leur voiture ?

Cinq ans après le pacte Denormandie qui visait, en 2018, à transformer 500 000 m² de bureaux en logements, 400 000 m² l'ont été. La foncière de transformation immobilière, dotée de 1,5 million d'euros, a permis des dizaines d'opérations, dont des logements pour les étudiants.

Mais il nous faut passer à la vitesse supérieure, face à la croissance structurelle de la vacance de bureaux dans certaines zones. C'est l'objet de ce texte, qui simplifie les procédures et améliore les financements de ces opérations.

La simplification est une priorité. Cela se traduit par des mesures réglementaires - j'ai présenté ce matin en conseil des ministres un décret créant le certificat de projet - et par des mesures législatives, dont plusieurs figurent dans le futur projet de loi pour le logement abordable.

L'article 1er du présent texte permet de déroger aux zonages fixés dans les PLU pour transformer un bâtiment en logement. Votre commission a étendu les dérogations en matière de permis de construire, mais aussi de bâtiments, au-delà des seuls bureaux. La dérogation restera à la main des élus, mais permettra de gagner six à douze mois en évitant de lourdes révisions de PLU.

Les articles 6 et 7 faciliteront la transformation de bureaux en logements dans les copropriétés, avec des assouplissements pragmatiques pour adapter la démocratie des copropriétaires à la prise de décisions d'intérêt général.

L'article 4, article clé, pérennise et élargit une innovation créée pour les jeux Olympiques : le permis de construire à multidestination, grâce auquel le Village des athlètes et le Village des médias se transformeront, dès la fin des Jeux, en centaines de logements de qualité et abordables. Le texte duplique cette procédure innovante, selon le voeu du Président de la République, comme nous l'avons fait dans la loi Habitat dégradé.

Soucieuse du contrôle par les élus locaux au moment du changement de destination, l'Assemblée nationale a prévu une information du maire. Sans doute faut-il aller plus loin, en veillant au besoin de visibilité des investisseurs : je proposerai de porter de 10 à 20 ans la durée minimale et de 20 à 50 ans la durée maximale pour la reconversion en logements, ce qui permettra de l'appliquer, par exemple, à de nombreux bureaux franciliens construits dans les années 1990.

Faisons confiance aux porteurs de projet, ne bridons pas l'initiative.

Je souhaite redynamiser la production de logements étudiants, qui me tient à coeur, et réunirai prochainement les acteurs. Sans attendre, le présent texte facilitera les procédures des Crous via le recours à la conception-réalisation. Il permettra également aux projets de logements étudiants de bénéficier des bonus de constructibilité dérogatoires, aujourd'hui réservés aux logements sociaux. La commission l'a élargi à toutes les résidences étudiantes.

Je me réjouis de la volonté du Sénat de faciliter les dérogations et la constructibilité, dans la continuité de la mission d'information conduite par Mmes Estrosi Sassone, Gacquerre et Artigalas. L'ampleur de la dérogation envisagée nécessite toutefois un débat plus large dans le projet de loi à venir, en actant un premier pas avec les Crous.

La proposition de loi facilite aussi le financement des projets de transformation. Les freins sont connus : complexité des procédures, freins techniques, coût des opérations.

L'Assemblée nationale a étendu le projet urbain partenarial afin qu'élus locaux et porteurs de projet s'accordent sur les équipements à financer. Je sais que les petites collectivités ont plus de difficulté à se saisir de ces outils partenariaux.

L'article 2, relatif à la taxe d'aménagement, apporte une réponse utile - même s'il faudra revenir sur le sujet fiscal en loi de finances. En contrepartie, les porteurs de projet bénéficieront d'une exonération de la taxe sur les bureaux vacants qui s'applique en régions Île-de-France et Paca, les plus dotées en bureaux. Cela permettra aux porteurs de projet d'équilibrer leurs opérations malgré le surcroît de taxe d'aménagement.

Nous avons ici la preuve qu'une vision large pour le logement peut être portée par des textes courts et pragmatiques.

Ce texte est une étape du choc d'offre. À mon tour de citer Michel Audiard : « Il n'y a pas que les aigles qui atteignent les sommets, les escargots aussi, mais ils en bavent ! ». (Rires) Si les 5 millions de mètres carrés de bureaux vacants d'Île-de-France étaient transformés, ce serait près de 70 000 logements sur le marché !

Ce texte est une brique de décentralisation. Zéro contrainte nouvelle pour les élus locaux, plus de pouvoirs, de souplesse, de moyens.

Ce sont des mesures pragmatiques pour libérer les porteurs de projet et apporter des solutions. (M. Bernard Buis applaudit.)

Mme Martine Berthet, rapporteure de la commission des affaires économiques .  - (Applaudissements au banc des commissions) Le calendrier législatif est curieux : nous allons examiner cette proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale le 7 mars dernier, à la veille d'un projet de loi sur le logement abordable.

Ce texte, technique voire « de niche », renforce les outils dont disposent les maires pour « faire du logement » en se focalisant sur des bâtiments réversibles. Ainsi, les permis pourront déroger au PLU au cas par cas. La transformation pourra déroger aux règles de la copropriété.

Il ouvre la possibilité de recourir aux projets urbains partenariaux (PUP) qui font participer les porteurs de projet aux coûts des équipements publics afférents.

Pour les constructions nouvelles, il crée un permis de construire multi-destinations, sur le modèle du permis à double état créé pour les jeux Olympiques.

Il comporte aussi des mesures ponctuelles en faveur des résidences étudiantes -  conception-réalisation, bonus de constructibilité.

La réversibilité des bâtiments est un enjeu majeur pour la ville de demain alors que le ZAN impose d'accélérer le recyclage urbain. Depuis la loi Climat et résilience de 2021, tous les bâtiments doivent faire l'objet d'une étude de réversibilité. Le permis à destinations multiples en est l'aboutissement logique.

Dans l'immédiat, il s'agit d'accélérer la valorisation du stock de bâtiments existants, dans un contexte de crise du logement. Rien qu'en Île-de-France, 4,4 millions de mètres carrés de bureaux sont vacants, dont un quart structurellement. En cause, l'essor du numérique, les nouvelles méthodes de travail en entreprise, le ralentissement de la croissance des emplois de bureaux. Quel gisement ! Même si tous les bureaux ne pourront être transformés, pour des raisons techniques et de coût, ce texte lève plusieurs obstacles juridiques.

Notre commission a cherché à le rendre plus opérant et à améliorer l'équilibre économique des opérations, tout en veillant à la coconstruction avec les élus. Nous avons accéléré les procédures et étendu le champ à la transformation en logement de tout type de bâtiment -  hôtels, bâtiments d'enseignement, garages s'y prêtent particulièrement bien. Dans les vieilles zones commerciales d'entrée de ville, un million de logements pourraient être créés. Par cohérence, nous avons modifié l'intitulé de la proposition de loi.

Le texte assouplit également les règles de majorité des copropriétés ; la commission y a inclus les locaux commerciaux.

Pour encourager les promoteurs, nous sécurisons l'utilisation des dérogations permises en prévoyant explicitement les cas d'extension ou de surélévation. Les bâtiments pourront avoir un usage mixte, avec des commerces en pied d'immeuble ou une part de locaux tertiaires.

Si nous avons rationalisé les procédures dérogatoires en matière d'urbanisme, aux articles 1?? et 4, afin de les rendre plus opérationnelles et plus conformes à la répartition actuelle des compétences, nous avons toujours conservé l'avis de la commune. Nous n'avons pas rendu les dérogations au PLU de droit, alors que le maire peut déjà les accorder au cas par cas.

Chat échaudé craint l'eau froide : ne sachant pas de quoi les décrets seront faits, nous fixons la durée de validité du permis à destination multiple à dix ans, avec possibilité de prorogation. Le maire pourra exiger que soit indiquée la première destination du projet.

Enfin, la commission a supprimé la servitude de résidence principale pour trois ans, inapplicable en pratique.

Ce texte ne résoudra pas toutes les difficultés, mais apportera des solutions. J'espère son adoption dans les meilleurs délais. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)

M. Stéphane Sautarel, rapporteur pour avis de la commission des finances .  - (Applaudissements sur le banc des commissions ; M. Jean-Baptiste Blanc applaudit également.) La crise du logement n'appelle pas une réponse unique. Alors que les surfaces de bureau se libèrent, les autorisations de logement neuf chutent de 20 %.

Les articles 2 ,3 et 3 bis B assujettissent à la taxe d'aménagement les opérations de transformation qui, même si elles ne créent pas de surfaces nouvelles, feront tout de même venir des populations nouvelles, d'où des besoins nouveaux - écoles, crèches, etc.

À l'article 2, la commission des finances a cherché le juste équilibre entre la nécessité de réduire l'impact de la taxe sur l'équilibre économique des projets tout en préservant l'apport de ressources aux collectivités du bloc communal. Ainsi, l'assujettissement facultatif devient de droit, avec possibilité pour les collectivités d'exonérer les opérations. Toutes les transformations sont assujetties, quelle que soit leur destination d'origine. Pour limiter le coût pour les porteurs de projet, nous proposons de n'instituer que la part communale de la taxe, avec un abattement de 50 % sur l'assiette.

Les dispositions de l'article 3 ont été réintégrées à l'article 2.

Quant au reversement par l'EPCI d'une partie du produit aux communes, il existe déjà : nous avons donc supprimé l'article 3 bis B.

L'article 3 biA exonère les bureaux faisant l'objet d'une transformation en logements de la taxe sur les bureaux vacants. C'est une bonne mesure ; nous l'avons étendue aux transformations de locaux autres que des bureaux, pour éviter de favoriser la transformation en meublés de tourisme.

Enfin, une amende est prévue en cas de non-réalisation du projet.

Ces mesures ne résoudront pas la crise du logement dans son ensemble, et ne relèvent pas d'un objectif de rendement, mais elles rappellent que la transformation du modèle de développement urbain ne se fera pas sans les maires. Ces opérations s'inscrivent pleinement dans l'objectif ZAN, sur lequel nous travaillons avec Jean-Baptiste Blanc. Le ZAN ne doit pas rester une contrainte réglementaire, mais doit reposer sur des mécanismes récompensant les maires.

Je vous remercie, monsieur le ministre, pour la qualité de nos échanges et pour votre écoute. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions)

La séance est suspendue quelques instants.

M. Vincent Louault .  - Les Indépendants voteront, bien entendu, ce texte. J'ai promis de parler moins de trente secondes, aussi dirai-je seulement : tout ce qui renforce les maires est bienvenu ! (Sourires sur de nombreuses travées ; applaudissements sur plusieurs travées du groupe UC ; Mme Martine Berthet applaudit également.)

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué.  - Record à battre !

Mme Amel Gacquerre .  - Nous traversons une crise du logement sans précédent. Pas un jour ne se passe sans que la pénurie de logements et le mal-logement ne soient dénoncés.

De fait, la construction neuve recule de 22 % sur un an, le parcours locatif est bloqué, la perspective d'accéder à la propriété s'éloigne pour beaucoup. Les conséquences économiques et sociales de cette crise sont graves : récemment, un grand groupe immobilier a annoncé un plan social - sans parler des petites entreprises qui mettent la clé sous la porte.

C'est dans ce contexte que nous examinons le troisième texte sur le logement en deux mois.

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué.  - Et ce n'est pas fini !

Mme Amel Gacquerre.  - Nous nous accordons pourtant sur la nécessité de mettre un terme à l'inflation législative. Il aurait été plus judicieux d'adopter une grande loi offrant des perspectives de long terme aux acteurs. Les boîtes à outils auraient trouvé toute leur place dans la feuille de route ainsi tracée...

Le choc d'offre annoncé est bienvenu, mais il faut aussi relancer la demande. Impossible, donc, de faire l'impasse sur le volet fiscal et budgétaire.

Ce texte technique, énième boîte à outils, est appréciable dans la mesure où il sécurise les élus dans les procédures de changement d'usage et simplifie les règles d'urbanisme. Les règlements des PLU et PLUi empêchent parfois des opérations de transformation, et certains zonages ne sont plus adaptés à l'évolution de l'environnement urbain. Ce texte lève opportunément les obstacles en la matière.

La reconversion de bureaux en logements relève du bon sens. Elle sert aussi l'objectif de lutte contre l'étalement urbain et suscite moins de recours que la construction - ce qui sécurise aussi les maires.

Je félicite Mme Berthet pour les enrichissements qu'elle a apportés au texte. L'avoir étendu à l'ensemble des bâtiments est une excellente chose : locaux commerciaux, mais aussi bâtiments industriels et agricoles.

Je salue aussi le travail du rapporteur pour avis sur le volet fiscal : l'assujettissement de droit à la taxe d'aménagement permettra sa perception dès 2025, les autorités locales pouvant y renoncer.

Le groupe UC votera cette proposition de loi, dont j'espère qu'elle sera suivie d'effets. Toutefois, deux freins substantiels demeurent : le coût de la transformation demeure bien plus élevé que celui de la construction et le rendement annuel de l'immobilier de bureau reste deux à trois fois plus élevé que celui de l'habitation. Sans incitation, je redoute des résultats très limités.

Dans quelques semaines, nous examinerons le projet de loi visant à débloquer l'offre de logements abordables. Sophie Primas, corapporteure, et moi-même sommes déjà à l'oeuvre, car la tâche est immense. Nous savons, monsieur le ministre, pouvoir compter sur votre écoute. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Antoinette Guhl .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Le 6 février 2014, la presse titre : « Les écologistes parisiens font une proposition choc : recycler les bureaux vacants en logements ». C'était, en effet, notre proposition de campagne dès 2014. L'idée était simple : passer d'une production excessive de bureaux à une utilisation plus efficace des ressources en logements - et, à l'époque, nous étions bien loin des conséquences du covid sur le télétravail et de la guerre en Ukraine sur les coûts de l'énergie.

Les bureaux vacants posent un problème social, alors que 14 millions de Français sont fragilisés en matière de logement. Éclairés, chauffés, climatisés, ils représentent un gaspillage écologique annuel équivalent à 750 000 vols Paris-New York. En Île-de-France, il y a plus de 4 millions de mètres carrés de bureaux vacants : nul besoin de tours Triangle ou de constructions comme le nouveau siège de l'Agence française de développement à la gare d'Austerlitz... Ces projets sont économiquement hors sol et écologiquement hors d'âge !

Avec Mme Estrosi Sassone, nous avons visité le site de l'îlot Saint-Germain, où la transformation de bureaux a permis la création de 350 logements sociaux, mais aussi d'un gymnase et d'une crèche - car il faut aussi répondre aux besoins des habitants en commerces et équipements. Les communes doivent avoir les moyens financiers d'y faire face.

Transformer, résolument oui, mais pas n'importe comment ni pour n'importe qui. Pour nous, écologistes, ces opérations doivent bénéficier avant tout aux plus démunis, aux Dalo, aux demandeurs de logement social et aux étudiants.

Le maire doit garder la main sur la décision. Cette réforme ne doit pas non plus enrichir les 3,5 % de ménages possédant la moitié des logements en location, ni les résidences étudiantes, senior ou de coliving privées, qui favorisent la spéculation sans résoudre la crise du logement.

Selon Oxfam, trois niches fiscales, dont le Censi-Bouvard, ont privé l'État ces dernières années de 11 milliards d'euros, soit le coût de 70 500 logements sociaux...

Nous voterons ce texte, mais estimons que ces petites lois ne résoudront pas la crise structurelle du logement. Ce n'est pas ainsi que nous répondons aux 4 millions de mal-logés et aux 2 millions de personnes en attente d'un logement social. Derrière ces chiffres, il y a des femmes, des hommes et des enfants : ce sont eux qui doivent guider nos travaux. (Applaudissements sur les travées du GEST)

Mme Marianne Margaté .  - Après avoir débattu de la responsabilité des meublés du tourisme dans la crise du logement, nous abordons le problème par un autre bout : la vacance des bureaux.

En Île-de-France, 4,4 millions de m2 de bureaux sont aujourd'hui vacants, contre 2,6 millions en 2019. Cela représente 50 000 logements sociaux potentiels, si l'on prend pour référence un projet qui a vu la transformation de 6 000 m2 en 70 logements à Pantin.

Mais faciliter ces transformations garantira-t-il la réalisation d'opérations coûteuses ? Les promoteurs construisent des bureaux pour s'assurer un portefeuille d'actifs stables. La petite modification de la taxe d'aménagement ne sera pas suffisante, même si elle sera accueillie positivement par collectivités qui en bénéficieront. Il faut cesser de servir la finance au détriment du droit au logement !

L'État devra être au rendez-vous pour assurer les projets de conversion dont nous avons besoin. Cette proposition de loi nous invite à réfléchir aussi à la rationalisation de l'usage du foncier dans la perspective du ZAN. Malheureusement, le foncier reste soumis aux règles du marché et à la spéculation, et ceux qui travaillent pour l'intérêt général ont de moins en moins les moyens de bâtir.

Nous devons redonner du pouvoir aux collectivités pour que les projets soient en phase avec les besoins des territoires, y compris dans le tertiaire. Une partie de l'offre tertiaire actuelle n'est pas en adéquation avec la demande, notamment du fait de loyers exorbitants - ce qui explique le caractère éphémère de certaines activités.

De même, la demande de logements décents augmente, alors qu'aucun financement ne se dégage pour construire du logement accessible.

Grâce à ce texte, les bureaux seront transformés en logements : mais lesquels ? De luxe ? Je ne le souhaite pas. Soutenons plutôt leur transformation en logements sociaux. Les bureaux chers ne doivent pas devenir des logements chers. Et remplacer des bureaux vacants par des logements vacants n'aurait que peu d'intérêt pour résoudre la crise du logement, à laquelle ce texte s'attaque timidement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

M. Ahmed Laouedj .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Les confinements successifs, la mise à l'arrêt de secteurs entiers, le télétravail, la fermeture de certaines écoles ont modifié nos modes de vie. Les entreprises ont digitalisé leurs tâches, laissant vacants nombre de bureaux.

Le RDSE aborde positivement ce texte, qui doit servir de levier d'action pour mobiliser les réservoirs fonciers. La possibilité de déroger au PLU et de soumettre les bâtiments convertis à la taxe d'aménagement même sans construction de surface de plancher supplémentaire facilitera les projets d'aménagement.

Pour les zones urbaines, dont je suis issu et que je représente, il est essentiel de lever certaines contraintes réglementaires et administratives et de dégager plus de moyens pour répondre à la demande croissante de logements.

Bien que nous accueillions cette proposition de loi avec satisfaction, nous craignons sa future dévitalisation. Nous regrettons qu'elle ne permette pas la création de plus de logements sociaux. L'augmentation du stock de logements disponibles ne se fera pas au service des plus précaires.

Le Gouvernement s'apprête à présenter un projet de loi à rebours du texte que nous examinons ce soir. Pourtant, les problèmes sont aigus, notamment en Seine-Saint-Denis : 56 000 demandes pour 150 logements à attribuer à Saint-Denis ! Ce n'est pas acceptable. À Noisy-le-Grand, une personne qui perçoit 1 700 euros par mois ne peut prétendre à un logement social, alors qu'elle n'a souvent pas les moyens de verser les trois mois de caution nécessaires pour se loger dans le parc privé.

Fini les rustines, monsieur le ministre ! Il faut agir pour le long terme.

Votre projet de loi qui s'annonce détricote la loi SRU et menace les objectifs de mixité sociale. Nous doutons de l'opportunité de transformer des logements privés en logements sociaux dans les communes récalcitrantes - celles-là mêmes dont les maires auront un droit de veto dans les commissions d'attributions, sans que la question de leur légitimité ne soit posée.

Malgré ces observations qui témoignent d'une vigilance accrue du groupe RDSE sur votre projet de loi, nous voterons cette proposition de loi comme une première étape avant une réponse plus structurelle. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Bernard Buis .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce texte apporte une réponse complémentaire à la crise du logement qui sévit dans notre pays. Sans la résoudre à lui seul, il apportera des outils supplémentaires. La transformation de bureaux vacants en logements, souvent évoquée, s'est jusqu'ici rarement concrétisée.

Le logement est une préoccupation quotidienne et une charge financière majeure pour nos concitoyens. La crise du secteur n'est pas nouvelle, mais a des répercussions sociales et économiques profondes.

Nous observons la convergence de plusieurs dynamiques : essor du télétravail, creusement du déficit de logements, vieillissement accéléré des bâtiments, obsolescence des passoires thermiques, conditions financières favorables au résidentiel. La pandémie a remis en lumière cette problématique : plus de 4,4 millions de m2 de bureaux vacants, rien qu'en Île-de-France !

Cette proposition de loi redynamisera utilement le marché en offrant à toutes les collectivités de nouveaux outils pour répondre rapidement et efficacement aux problèmes du logement abordable dans des terrains déjà urbanisés.

Alors que le coût du logement a été multiplié par 2,6 en quarante ans, la procrastination n'est plus une option. Sous l'impulsion du Président de la République, beaucoup a déjà été fait pour le logement depuis 2017. Mais il nous faut apporter de nouveaux outils aux élus locaux.

Ainsi, l'article 1er ouvre la voie au changement de destination du bâtiment, même si le PLU ne l'autorise pas. L'article 2 autorise les maires à assujettir les opérations à la taxe d'aménagement. Quant à l'article 4, il permet la création d'un permis de construire à destinations multiples : nous proposerons que la durée de validité de ce permis soit de vingt ans avec possibilités de prolongation, pour plus de souplesse. L'article 6 permettra à de nombreux copropriétaires de convertir plus simplement leurs bureaux en logements.

Enfin, selon un rapport d'information de Laurent Lafon de juillet 2021, il manquerait 250 000 logements étudiants en France. Ceux qui ont un enfant étudiant à Paris savent combien il leur est difficile de se loger. Combien de jeunes renoncent à leurs études ? Combien dorment dans des situations précaires ? Il faut y mettre un terme.

À ce titre, le texte permet aux Crous de recourir au marché de conception-réalisation et prévoit une majoration des volumes constructibles dans les PLU. Nous proposerons d'accorder aux seules résidences universitaires des Crous le bonus de constructibilité accordé aux logements sociaux, comme l'ont fait nos collègues députés.

La crise du logement a de multiples causes ; loin de les résoudre toutes, ce texte contribue tout de même un peu à leur résolution en proposant une nouvelle boîte à outils bienvenue. Aussi nous le voterons sans hésitation. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Christian Redon-Sarrazy .  - Le logement est en crise, nous le constatons partout. L'absence de politique en la matière depuis 2017 (M. Guillaume Kasbarian le conteste) n'a fait que l'accentuer.

Pourtant, il serait difficile de ne pas soutenir un texte qui permet de construire des logements et de lutter contre l'étalement urbain, en cohérence avec les objectifs du ZAN.

Même si nous y sommes favorables, ce texte soulève de nombreuses questions : compétences des collectivités territoriales, urbanisme, logement étudiant, fiscalité...

Quid de l'ingénierie à disposition des communes pour réaliser de telles opérations de transformation ? La possibilité de déroger au PLU concerne tous les bâtiments publics en déshérence -  anciennes postes, écoles, trésoreries. Mais qui va étudier le potentiel d'un bâtiment et évaluer les coûts ? Si le texte prévoit des dérogations à la réglementation urbanistique, rien n'est prévu pour la réglementation technique.

Multiplication des dérogations, mais aucune impulsion politique pour encourager les maires ! Ni aucune aide à l'ingénierie pour les communes rurales. L'État doit s'engager, pourquoi pas via l'ANCT ?

Ce texte manque de propositions pour faire converger les règles applicables aux logements et aux bureaux, notamment en matière d'incendie, de façon à faciliter la mixité fonctionnelle et l'évolution de l'usage du bâtiment.

Quid de l'inventaire des locaux vacants dans chaque commune ? Les maires ne connaissent pas toujours ce patrimoine. Comment alors les aider ? Les maires doivent avoir accès à des statistiques complètes sur l'état des bâtiments, leur statut et leur propriétaire.

Le texte ne traite pas la question du rendement des futurs logements. La répartition territoriale des opérations de transformation est inégale. Comment les favoriser, y compris là où c'est le moins rentable ?

Quel est le public visé ? Attachés à la loi SRU, nous avons déposé un amendement tendant à n'autoriser les dérogations au PLU que si 30 % de logements sociaux sont prévus.

Nous saluons la volonté de mobiliser le bâti public non utilisé, mais quelle est la volonté de l'État pour flécher ces opérations vers du logement abordable ? Rien n'est prévu.

Voilà plusieurs années que nous avons des propositions en ce sens, sans jamais avoir été écoutés par le Gouvernement. Nous nous réjouissons que ce texte, à tout le moins, permette l'échange.

Mme Dominique Estrosi Sassone .  - Nous aimerions effeuiller les pétales d'une marguerite imaginaire qui serait la stratégie du Gouvernement en matière de logement, mais c'est plutôt la tactique du salami à laquelle nous assistons. Ainsi, de puzzle en boîte à outils, le Gouvernement nous demande de traiter en silo, et sans vision d'ensemble, la crise du logement.

Je ne conteste pas l'utilité de ce texte et salue le travail des rapporteurs Martine Berthet et Stéphane Sautarel, qui ont cherché à en atténuer les défauts et à en étendre la portée.

Environ 4,5 millions de m² de bureaux sont vides en Île-de-France, dont un quart de manière structurelle. Ainsi une dizaine de milliers de logements seraient bons à prendre ! Mais, malgré les efforts de nos deux commissions, ce ne sera qu'un petit pas dans la bonne direction. Je regrette que le Gouvernement n'ait pas eu l'ambition d'englober les 55 000 hectares des 243 zones commerciales identifiées par la Banque des territoires qui, après restructuration, pourraient représenter un million de logements.

Cette proposition de loi est l'un des volets de votre politique de l'offre, mais à quel horizon produira-t-elle ses effets ? Sur les dix dernières années, la reconversion de bureaux a produit 2 000 logements par an. Le choc d'offre, annoncé en 2017, a fait long feu.

Ces bureaux sont propices à la création de résidences étudiantes, mais le Gouvernement est bien loin de l'objectif des 60 000 logements étudiants promis par Emmanuel Macron en 2017.

En réalité, les résultats de cette politique de l'offre n'apparaîtront que dans plusieurs années : ils ne sont pas le remède la crise sociale que nous traversons.

Nous soutiendrons toute mesure qui accroîtra l'offre et simplifiera la vie de la filière, mais cette politique d'offre ne peut répondre, à elle seule, aux besoins. Pour des effets plus immédiats, nous avons besoin d'une relance de la demande, car le déficit de demande nourrit le déficit d'offre et non l'inverse.

En France, la promotion privée n'est pas confrontée à une crise de surproduction, c'est tout l'inverse ; elle ne produit que les logements qu'elle a déjà vendus ; et elle n'en vend presque plus.

Las, en pleine crise du logement, le Gouvernement a réduit son appui au secteur. En 2008 ou en 1993, Nicolas Sarkozy et Édouard Balladur avaient fait l'inverse. Les bailleurs sociaux n'ont jamais aussi peu produit qu'en 2023.

L'Allemagne relance massivement le logement (Mle ministre en doute). Une autre politique est donc possible, même avec les difficultés financières que nous connaissons, car les dépenses ont un effet positif sur l'économie et les recettes fiscales.

À l'opposé de ces petites lois technicistes et pointillistes, nous appelons à une refondation de la politique du logement : le logement doit être le creuset du projet national, et non le moteur de l'archipellisation du vivre ensemble où nous vivrions face à face, puis les uns contre les autres, jalousant un logement social ou un pavillon.

La transformation de bureaux en logements peut donner l'occasion, en bâtissant la ville sur la ville, de créer de nouveaux quartiers tout en réussissant la transition écologique.

Notre groupe soutiendra ce texte, tel qu'il est issu du travail de nos deux commissions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Florence Blatrix Contat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Dans un marché bloqué, cette proposition de loi pourrait accroître l'offre de logements dans certains territoires. Télétravail, déficit structurel de logements, obsolescence des bâtiments face au défi climatique se conjuguent.

Nous saluons les dispositions innovantes de cette proposition de loi, comme le permis de construire réversible, mais soyons vigilants face aux conséquences de ces transformations pour les communes, avec des investissements significatifs à consentir en services de proximité dans des zones souvent très peu résidentielles.

Les communes doivent donc garder la main sur les dérogations au PLU et, surtout, avoir les moyens de ces équipements. En ce sens, l'assujettissement des opérations à la taxe d'aménagement est crucial. Nous saluons la transformation par le rapporteur de l'assujettissement facultatif en assujettissement de droit, qui supprime la nécessité d'une délibération tout en permettant aux communes d'y renoncer.

Nous saluons aussi l'extension à tous types de locaux.

Cependant, l'abattement général de 50 % nous interroge, car les collectivités supporteront bien de nouveaux coûts, dans un contexte financier dégradé. Nous proposons de rétablir l'intégralité de l'assiette.

Nous regrettons également la suppression de la part de la TVA affectée aux départements, alors qu'ils alertent sur leur dégradation financière et que l'économie des projets ne sera pas significativement modifiée. Nous proposons donc de la rétablir.

Finalement, nous regrettons l'absence d'une réforme d'ensemble de cette taxe, alors que le ZAN conduit à de nombreuses tensions.

Cette proposition de loi est un début de réponse à la crise du logement et favorise la transition écologique : nous la voterons.

M. Jean-Baptiste Blanc .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Bien que cette proposition de loi soit une initiative louable, elle est loin d'être suffisante. Le besoin de logements est sans précédent. La transformation de bureaux vacants n'y suffira pas.

Monsieur le ministre, nous sommes tous impatients de discuter dans les prochains jours de votre futur projet de loi... En attendant, il est urgent de trouver des outils opérationnels, de financement, de fiscalité et - j'ajouterai - d'ingénierie.

La commission a notablement sécurisé ce texte - j'en remercie les rapporteurs. Ainsi, la dérogation au zonage du PLU prévue par l'article 1er est essentielle, comme l'assujettissement à la taxe d'aménagement pour sa part communale prévue à l'article 2. En effet, les communes ont besoin de flexibilité et doivent être soutenues par un cadre législatif et réglementaire clair et des ressources adéquates.

L'élargissement à tous types de locaux va dans le bon sens - peut-être faut-il y ajouter des mesures financières et techniques.

Monsieur le ministre, vous avez mentionné la doctrine de rattachement des mesures fiscales à la loi de finances. Je partage votre frustration, alors que des incitations fiscales sont indispensables. C'est pour cela qu'il faut faire droit aux propositions de Stéphane Sautarel.

Je proposerai un amendement portant l'abattement de 50 % à 75 % pour 100 000 m2 de résidences, sachant que les coûts de transformation sont de 10 à 15 % plus élevés qu'une construction classique.

C'est aussi une nécessité écologique : le secteur du bâtiment représente 17 % des émissions de gaz à effet de serre. Or éviter la démolition-reconstruction réduira les émissions et limitera l'étalement urbain, en construisant la ville sur la ville.

Bien qu'utile, cette proposition de loi demeure partielle. Au-delà d'ajustements à la marge, nous attendons une réforme générale de la politique du logement. Le groupe de suivi et la mission d'information sur le financement du ZAN y prendront toute leur part avec des propositions dès septembre.

En attendant, il faut soutenir les communes dans cette mission de transformation des bureaux en logements. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué.  - J'apporterai trois réponses de fond et une de méthode. Premièrement, nous avons identifié 74 zones commerciales présentant un potentiel de 25 000 logements. Nous avons lancé l'initiative à Avignon, pour pas moins de 900 logements. À Saint-Malo, où j'étais avec Françoise Gatel, l'État investit 500 000 euros dans le quartier de la Découverte. J'entends votre appel à aller plus loin, madame Estrosi Sassone.

Deuxièmement, les opérations de conversion sont chères et complexes. Mais aujourd'hui, la baisse du prix du mètre carré de bureaux rend leur conversion en logements plus intéressante. Le modèle économique s'en trouve facilité ; le marché la facilitera également.

Troisièmement, madame Estrosi Sassone, je suis sensible au benchmark international, mais tous les pays européens sont en difficulté du fait des taux d'intérêt. Et non, l'Allemagne ne construit pas plus...

Mme Dominique Estrosi Sassone.  - Son gouvernement dépense plus !

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué.  - Certes, mais cela ne se ressent pas dans le nombre de constructions : la France construit 6 logements neufs pour 1 000 habitants, contre 3,5 pour l'Allemagne, 1,9 pour l'Espagne, 1,3 pour l'Italie.

Sur la méthode, je n'ai jamais prétendu que la proposition de loi résoudra, par magie, la crise du logement. Puzzle ou marguerite, l'important est d'avoir, à la fin, toutes les fleurs du bouquet ! (Sourires)

Mme Dominique Estrosi Sassone.  - On verra, on verra... (Sourires)

M. Guillaume Kasbarian, ministre délégué.  - Nous avons parlé des squats, des meublés touristiques, des copropriétés dégradées, nous parlerons bientôt de la rénovation et du logement abordable... Cette dizaine de textes finit par constituer un bouquet important. (Nouveaux sourires)

Cette méthode a plusieurs vertus. La première, de vous permettre à chaque discussion générale de vous plaindre d'un texte incomplet... (Sourires)

Plus sérieusement, c'est d'obtenir des textes précis, courts et votables - n'oublions pas la majorité relative à l'Assemblée nationale. Un trop gros bouquet risquerait de faner (mêmes mouvements), le temps de la procédure parlementaire. Dernière vertu, permettre la coconstruction avec les parlementaires, que nous écoutons et dont nous faisons prospérer les bonnes idées. Si nous les avions remplacées par un grand projet de loi, nous aurions subi des critiques, à juste titre.

À la fin des fins, madame Estrosi Sassone, nous aurons un beau bouquet législatif. Je l'appelle de mes voeux, et vous dis : à demain ! (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 22 mai 2024, à 15 heures.

La séance est levée à minuit quarante-cinq.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 22 mai 2024

Séance publique

À 15 heures, à 16 h 30 et le soir

Présidence : M. Gérard Larcher, président M. Loïc Hervé, vice-président, M. Pierre Ouzoulias, vice-président.

Secrétaires : Mme Catherine Di Folco, Mme Patricia Schillinger.

1. Questions d'actualité

2. Suite de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à faciliter la transformation des bureaux en logements (texte de la commission, n°598, 2023-2024)

3. Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif à l'apprentissage transfrontalier (procédure accélérée) (texte de la commission, n°600, 2023-2024)

4. Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille (texte de la commission, n°592, 2023-2024)

5. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à prévenir les ingérences étrangères en France (texte de la commission, n°596, 2023-2024)