Ingérences étrangères en France (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France.

Mme Agnès Canayer, rapporteur pour le Sénat de la CMP .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je me réjouis de l'accord trouvé en CMP sur cette proposition de loi dont le parcours législatif aura été particulièrement rapide. C'est heureux, au regard des lacunes de notre droit que ce texte vient compléter.

Les objectifs sont largement partagés, et le texte issu de la CMP est équilibré et raisonnable.

Le Sénat avait repris les recommandations du rapport de la délégation parlementaire au renseignement : création d'un registre des activités d'influence étrangère sur le modèle du Foreign Agents Registration Act (Fara) américain, amélioration de l'information du Parlement, expérimentation de l'extension à deux nouvelles finalités de la technique dite de l'algorithme, élargissement aux ingérences étrangères du gel des avoirs.

Nous avons trouvé un compromis sur les trois points de divergence avec l'Assemblée nationale.

D'abord, nous voulions autonomiser le nouveau registre par rapport au registre relatif aux conflits d'intérêts et reporter son entrée en vigueur au 31 décembre 2025, pour laisser aux acteurs le temps de s'adapter. Les députés ont entendu nos arguments sur l'étanchéité des registres et nous nous sommes entendus pour l'appliquer au 1er juillet 2025.

Ensuite, nous avions limité à des finalités préventives les mesures de gel des avoirs, par crainte d'une censure constitutionnelle. Nous avons maintenu cette restriction en acceptant un élargissement du champ des comportements visés.

Enfin, la CMP a conservé les apports du Sénat : contrôle des mobilités public-privé par la HATVP étendu aux risques d'influence étrangère pour les anciens membres du Gouvernement et anciens exécutifs locaux et instauration d'un débat annuel au Parlement sur l'intelligence économique, mesure issue d'un amendement de Jean-Baptiste Lemoyne, sous-amendé par Sophie Primas, qui traduisait une recommandation de la mission sénatoriale sur l'intelligence économique.

Je vous invite à adopter ce texte de compromis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDPI ; M. Claude Malhuret applaudit également.)

Mme Prisca Thevenot, ministre déléguée chargée du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement .  - Veuillez excuser Jean-Noël Barrot, retenu par des engagements diplomatiques.

Je salue le travail mené par le Parlement, singulièrement le Sénat, sur la lutte contre les ingérences étrangères. Je remercie en particulier Mme Canayer et M. Malhuret. Je me félicite aussi des travaux de votre commission d'enquête, présidée par Dominique de Legge et dont Rachid Temal est rapporteur.

La manipulation de l'information menace nos démocraties. Les citoyens sont noyés de fausses informations qui se propagent à toute vitesse. La prime à la radicalité en sort gagnante. Les adversaires de la démocratie ont compris que ces fausses informations sont des armes et n'hésitent pas à les utiliser pour influencer les processus électoraux. Il est essentiel d'agir contre ces ingérences.

Le Gouvernement s'y emploie depuis des années. Dès 2018, nous avons fait adopter une loi contre la manipulation d'informations qui élargit les pouvoirs de modération de l'Arcom. Créée en 2021, Viginum a permis de mettre au jour l'opération russe Portal Kombat et d'identifier plus de deux cents sites internet créés pour diffuser de fausses informations avant les élections européennes. À l'échelle européenne, le règlement DSA a été voté, ainsi que l'IA Act, qui impose aux logiciels de deepfakes d'identifier les contenus artificiellement générés ou manipulés.

Ce texte va plus loin encore pour renforcer la protection de nos concitoyens. L'article 1er crée un répertoire destiné à retracer les activités d'influence menées pour le compte d'un État étranger, sous l'autorité de la HATVP. L'article 4 permet à nos services de renseignement de mobiliser des outils algorithmiques au service de la défense nationale, de la prévention des ingérences étrangères et de l'exécution des engagements de la France. Le Gouvernement salue le doublement par le Sénat des peines en cas d'atteinte aux biens ou aux personnes commises pour le compte d'une puissance étrangère.

Le Gouvernement a déposé des amendements rédactionnels, que, j'espère, vous approuverez, ainsi que l'ensemble du texte. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Claude Malhuret applaudit également.)

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois.  - Je demande une brève suspension pour permettre à la commission d'examiner les amendements du Gouvernement.

La séance, suspendue à 18 h 10, reprend à 18 h 20.

Discussion du texte élaboré par la CMP

M. le président.  - En application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, il statue sur les éventuels amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement, puis, par un seul vote, sur l'ensemble du texte.

Article 1er

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié, présenté par le Gouvernement.

I.  -  Alinéa 45, deuxième phrase

Remplacer les mots :

du I

par les mots :

de la présente section

II.  -  Alinéa 66

Remplacer la deuxième occurrence de la référence :

18-17

par la référence :

18-16

L'amendement rédactionnel n°1 rectifié, accepté par la commission, est adopté.

Article 1er bis A

Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 4

Remplacer les mots :

au même article 18-12-1

par les mots :

au I bis de l'article 18-13

L'amendement rédactionnel n°2, accepté par la commission, est adopté.

Article 4

M. le président.  - Amendement n°4, présenté par le Gouvernement.

Compléter cet article par huit alinéas ainsi rédigés : 

4° A l'article L. 562-5, après les mots : « L. 562-2, », sont insérés les mots : « L. 562-2-1, » ;

5° A l'article L. 562-7, après les mots : « L. 562-2, », sont insérés les mots : « L. 562-2-1 » ;

6° Au premier alinéa de l'article L. 562-8, après les mots : « L. 562-2, », sont insérés les mots : « L. 562-2-1, » ;

7° Au premier alinéa de l'article L. 562-9, après les mots : « L. 562-2 », sont insérés les mots : «, L. 562-2-1 » ;

8° Le premier alinéa de l'article L. 562-11 est ainsi modifié :

a) Les mots : « de l'article » sont remplacés par les mots : « des articles » ;

b) Après les mots : « L. 562-2 », sont insérés les mots : « et L. 562-2-1 ». 

II.- Au deuxième alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, après le mot : « terrorisme », sont insérés les mots : « ou des actes d'ingérence ».

L'amendement de coordination n°4, accepté par la commission, est adopté.

Article 5 (Pour coordination)

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par le Gouvernement.

Alinéa 1

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

I.  -  La deuxième ligne du tableau du deuxième alinéa du I de l'article L. 775-37 du code monétaire et financier est remplacée par trois lignes ainsi rédigées :

« 

L. 562-1

la loi n°       du       visant à prévenir les ingérences étrangères en France

L. 562-2

l'ordonnance n° 2016-1575 du 24 novembre 2016

L. 562-2-1

la loi n°       du       visant à prévenir les ingérences étrangères en France

».

L'amendement de coordination n°3, accepté par la commission, est adopté.

Vote sur l'ensemble

M. Pascal Savoldelli .  - Ce texte marque un tournant dans la lutte contre les influences extérieures qui s'immiscent insidieusement dans les rouages de nos institutions. Mais il pâtit d'une lacune béante : rien sur l'influence, non moins pernicieuse, des multinationales, le plus souvent américaines, qui, prédatrices insatiables, infléchissent les lois et règlements à leur avantage.

L'article 1er, créant un répertoire des représentants d'intérêts agissant pour le compte de mandants étrangers, est fondé, mais sa mise en oeuvre doit être à la hauteur de nos attentes. La loi Sapin II a montré que la multiplication des obligations déclaratives conduisait à privilégier la quantité à la qualité. En outre, de nombreuses actions de l'initiative des décideurs publics eux-mêmes, sollicitées par des parlementaires ou des conseillers ministériels. Il aurait donc été judicieux d'étendre l'obligation de reporting aux décideurs publics.

Il conviendrait aussi de mettre en place un registre des lobbyistes au sein des cabinets ministériels, des autorités administratives indépendantes et de certaines directions d'administration centrale, pour avoir une vision plus large des influences étrangères sur nos décisions publiques.

Quid des moyens de la HATVP ? Leur légère augmentation doit correspondre à un renforcement réel de ses capacités d'action. Vice-président de la commission des finances, je serai particulièrement vigilant sur ce point lors du prochain projet de loi de finances. Pour que cette instance soit véritablement efficace, ne devrions-nous pas lui conférer des pouvoirs d'enquête étendus et la rendre moins dépendante d'autres organes ?

Enfin, l'article 3 ouvre la porte à l'utilisation d'algorithmes par les services de renseignement en matière d'ingérences étrangères. Cette normalisation de la surveillance numérique est une menace pour nos libertés fondamentales. Si ces pratiques sont acceptées au nom de la lutte contre le terrorisme ou de la sécurité nationale, elles risquent d'être étendues progressivement à d'autres domaines, sans que nous en mesurions les conséquences.

Il est essentiel d'engager la responsabilité humaine derrière l'algorithme. Quels seront les biais discriminants de ces techniques et qui en aura l'usage ? L'utilisation de dispositifs exceptionnels sans contre-pouvoir peut attenter gravement aux libertés. Je regrette qu'aucun de nos amendements visant à contrôler ces pratiques n'ait été retenu.

Le groupe CRCE-K votera une nouvelle fois contre cette proposition de loi. Nous devons mettre en place des mesures de transparence et de contrôle adaptées, sans sacrifier nos principes fondamentaux. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

M. Raphaël Daubet .  - Je me félicite de l'accord en CMP sur ce texte important pour notre démocratie.

Nous faisons face à un phénomène aiguisé et insaisissable. Les ingérences économiques et politiques comme l'espionnage industriel et scientifique prospèrent alors que les réseaux sociaux et l'hyper-communication créent les conditions d'une multiplication des cyberattaques et manoeuvres destinées à influencer l'opinion.

Un nouveau champ de bataille est apparu, nous faisant redécouvrir une réalité vieille comme le monde. Car ces malveillances s'appuient sur le même ressort que la propagande ou les campagnes de désinformation que le monde a toujours connues : diviser pour mieux régner. L'affiche rouge de 1944 n'est pas si éloignée des « mains rouges » de 2024.

Nous avions créé des espaces de paix au sein de nos démocraties. Mais ces espaces ne sont plus protecteurs, et les agressions extérieures deviennent un fait courant. Or un destin soumis à des ingérences étrangères cesse d'être totalement entre nos mains.

Ce texte marque un premier pas vers une meilleure protection, en renforçant nos exigences de transparence et nos moyens d'action. Il nous faudra, demain, créer des espaces de paix nouveaux, y compris dans les horizons numériques. Notre commission d'enquête apportera un éclairage complémentaire et permettra d'enrichir notre arsenal législatif.

Légiférer, oui, mais je ne suis pas sourd aux mises en garde de certains. Jusqu'où pouvons-nous aller sans empiéter sur les libertés fondamentales ? Nous prônons la prudence, mais en l'espèce, l'expérimentation de la technique de l'algorithme nous paraît acceptable. La transparence passera par la constitution d'un répertoire tenu par la HATVP - mesure bienvenue. Je souscris à la volonté de donner plus de temps à la HATVP pour la mettre en oeuvre.

Annick Girardin nous a alertés sur la vulnérabilité particulière de nos outre-mer. Ils sont insuffisamment sécurisés, alors qu'ils sont une porte d'entrée sur l'ensemble des réseaux publics français. Les récents événements en Nouvelle-Calédonie, à Mayotte ou en Polynésie française nous rappellent que les ingérences étrangères tirent leur force de nos propres faiblesses. La moindre faute politique, la moindre erreur d'appréciation, le moindre mouvement social offre à nos adversaires une occasion de nous déstabiliser. C'est dire l'ampleur de notre responsabilité. (M. Rachid Temal applaudit.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Dépôt du texte en mars, adoption définitive en juin : l'affaire a été rondement menée.

Les réponses apportées sont attendues, dans un monde marqué par le retour de velléités impériales - russes, chinoises, turques - et un passage de la compétition à la confrontation. Les ingérences prennent diverses formes : désinformation, manipulation, opérations comme la macabre mise en scène des cercueils au pied de la Tour Eiffel, après celle des « mains rouges ». Elles peuvent être low cost ou hypersophistiquées. Pour ces États qui cherchent à battre en brèche le multilatéralisme et ses valeurs, tous les coups sont permis. Face à une menace protéiforme - classique, cyber, hybride -, nous devons nous armer et nous protéger.

La délégation parlementaire au renseignement appelait à une riposte démocratique. Cette proposition de loi en est l'illustration : registre d'activités d'influence étrangère, meilleure information du Parlement, extension de la technique de l'algorithme, gel des avoirs. Le signal est clair : qui s'y frotte s'y pique !

Sur le volet économique, nos alliés n'agissent pas toujours comme des amis. La guerre juridique ou l'extraterritorialité pratiquée notamment par les États-Unis en sont la preuve. Je me félicite que le texte reprenne certaines recommandations de la mission d'information sur l'intelligence économique menée avec Marie-Noëlle Lienemann : ainsi de l'article 2 bis, issu d'un amendement que nous avons porté avec Franck Montaugé, qui prévoit un débat au Parlement sur le contrôle des investissements étrangers en France. La première édition s'est tenue ici la semaine dernière ; le Gouvernement s'est engagé à ce qu'il ait lieu chaque année. Il s'est engagé aussi à suivre dans la durée les engagements pris par les investisseurs.

Nous passons d'une vision purement défensive à une vision offensive de l'intelligence économique, concept que nous inscrivons dans la loi. Nous devons embarquer les collectivités locales, les partenaires sociaux, les entreprises, les citoyens.

Le RDPI votera les conclusions de la CMP et sera attentif aux travaux futurs sur le sujet. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP ; Mme Dominique Vérien applaudit également.)

M. Rachid Temal .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Ce texte démontre, s'il le fallait, la capacité du Parlement à bien légiférer. Les travaux de la délégation parlementaire au renseignement, puis cette proposition de loi, largement bonifiée par le Sénat, en sont la preuve.

Le monde de 1945 a volé en éclats. Il n'y a plus de blocs, chacun concurrence chacun, au niveau international comme au niveau régional. Un État, aussi petit soit-il, peut concurrencer une puissance nucléaire comme la France. Cela change radicalement les relations interétatiques.

Les nouvelles technologies d'aujourd'hui et de demain, avec l'IA générative, modifieront notre rapport à la vérité.

Cette proposition de loi est une première étape. Nous sommes d'accord sur le répertoire, mais il faut entendre la HATVP. Aura-t-elle la capacité financière de mettre en oeuvre les dispositifs prévus ? Le Gouvernement devra y pourvoir.

L'intégration des instituts culturels est bienvenue, une grande puissance asiatique étant particulièrement mobilisée dans ce domaine.

Le rapport est une bonne chose, mais je regrette que le débat au Parlement ne soit pas obligatoire.

S'agissant des algorithmes, je partage la vigilance affichée. La meilleure réponse est toujours la démocratie.

Notre commission d'enquête, dont je suis rapporteur, souligne l'importance de l'enjeu. Nos alliés sont enclins à défendre leurs propres intérêts. Cela soulève la question de la capacité de la France à avoir de l'influence et à déployer son propre narratif. Une société fracturée, pessimiste, est un terreau fertile pour les ingérences. Nous l'avons vu en Nouvelle-Calédonie : ce n'est pas le groupe de Bakou qui a créé les difficultés, mais sa capacité à raconter un narratif. Idem sur le continent africain, au Mali notamment.

Il faudra une vision globale ; ce sera une prochaine étape. Sortons de la naïveté, pour créer un programme national. La société civile, de l'université jusqu'aux gamins, doit comprendre ce que sont les ingérences, pour pouvoir les combattre.

La commission rendra ses conclusions début juillet. J'espère que nous serons prochainement appelés à légiférer de nouveau. En attendant, nous voterons les conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. François-Noël Buffet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La délégation parlementaire au renseignement produit chaque année un rapport sur un thème donné. En 2015, ses travaux ont donné lieu à la loi sur le renseignement, qui a donné à nos services les moyens pour mettre en oeuvre les techniques de renseignement. En 2018, elle soulignait déjà l'importance du renseignement d'intérêt économique comme enjeu de puissance.

La situation internationale change, plusieurs puissances étrangères cherchent à déstabiliser les intérêts français, en Afrique ou dans nos outre-mer. La guerre est de retour sur le territoire européen, en Ukraine, avec des conséquences certaines. D'où la nécessité pour nos services de détenir les moyens suffisants pour lutter contre les ingérences, qui se manifestent tous les jours.

La CMP est parvenue rapidement à un accord. Quelques points de discussion subsistaient, notamment sur la date de mise en oeuvre du registre, ou sur le rôle de la HATVP - que le Sénat avait défendu unanimement ; ses moyens seront renforcés, il faut s'en réjouir.

Nous avons montré que le Parlement savait travailler vite : dépôt en mars, vote en juin. Nous aimerions qu'il en aille ainsi plus souvent !

Nous aurons à examiner, à l'automne ou début 2025, un autre texte sur le renseignement, car il faut continuer à adapter nos moyens techniques et juridiques à l'évolution de la menace. Nous avons besoin d'outils pour lutter contre la volonté de déstabiliser la France. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - L'Union européenne est un projet de paix, bâti sur un continent dévasté par deux guerres mondiales. La France et ses partenaires ont choisi le commerce et les échanges pour repousser les conflits - sans voir que la compétition entre États se poursuivait.

Nos adversaires ne franchissent pas le seuil qui les exposerait à des représailles, mais déploient tout un spectre d'actions hostiles, entre guerre et paix. La Russie, la Chine et l'Iran sont coutumiers des stratégies indirectes. La France, patrie des droits de l'homme, membre permanent du conseil de sécurité de l'ONU, est une cible de choix. Or elle est démunie sur le théâtre de la néo-guerre informationnelle. Elle a attendu 2018, après les ingérences dans la présidentielle de 2017, pour renforcer la lutte contre la manipulation de l'information. La création de Viginum est plus récente encore.

En démocratie, la souveraineté nationale appartient au peuple, qui est donc très exposé aux actions d'influence. Nous l'avons vu avec l'Ukraine, le conflit à Gaza ou les émeutes en Nouvelle-Calédonie. Après l'interdiction de Russia Today et de Sputnik, voilà Euromore : l'hydre renaît toujours.

La plus grande transparence qu'imposent les obligations déclaratives permettra de détecter les stratégies mises en oeuvre par les puissances étrangères, et le cas échéant de les entraver.

Pendant quatre ans, nos services de renseignement pourront mettre en oeuvre des traitements automatisés de données. Les menaces pesant sur notre défense nationale seront ainsi mieux détectées.

La CMP a conservé plusieurs apports du Sénat, je m'en félicite. Le gel des avoirs compte parmi les meilleures réponses aux ingérences.

L'influence qui se transforme en ingérence doit être punie. Ce texte est une première étape nécessaire. Le volet économique reste à traiter. Je regrette l'absence d'un cloud français ou européen souverain : utiliser celui de nos alliés est un pis-aller. Grâce à Jean-Baptiste Lemoyne, nous débattrons chaque année des investissements étrangers en France.

La France était en retard, mais nous serons plus attentifs et intransigeants pour mieux protéger nos citoyens et notre souveraineté. Le Royaume-Uni, l'Australie et le Canada légifèrent en ce sens. La loi américaine contre les ingérences étrangères date, elle, de 1938 !

Alors que nous entrons dans une période de confrontation accrue, le meilleur bouclier reste les forces morales au sein d'une démocratie vigoureuse. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

Mme Nathalie Goulet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.) À ce stade de la discussion, tout a déjà été dit. Le registre ? Très bien. L'algorithme ? Très bien. Le gel des avoirs ? Encore mieux. Le dispositif pénal ? Parfait ! (Sourires)

Quand on veut aller vite, on peut, madame la ministre. Dommage que vous ne manifestiez pas le même allant sur le texte relatif aux cabinets de conseil, tout aussi nécessaire ! Imputer ingérences et influences uniquement à l'étranger, c'est faire fi des sujets franco-français : lobbies, cabinets de conseil. Après notre récent débat musclé, j'espère que la navette se poursuivra. Vous ne pouvez pas à la fois plaider pour plus de transparence dans le présent texte et conserver tant d'opacité pour les cabinets de conseil. Le pantouflage et le rétro-pantouflage sont aussi vecteurs d'influence et d'ingérence. Il faudra y remédier.

Dix ans après la loi Sapin - qui faisait suite au scandale Cahuzac, selon la logique « un scandale, une loi » - il est temps d'évaluer ses dispositions relatives aux lanceurs d'alerte ou aux aviseurs en matière fiscale. Relions les maillons !

Limiter les ingérences et influences au numérique est bien trop réducteur. Parlons aussi de la lutte contre l'islam radical (M. Roger Karoutchi acquiesce), y compris pour le financement du terrorisme. Parlons des collectes de fonds sur le territoire national, ouvrant droit à déductions fiscales, au profit d'écoles oulémas fréristes en Mauritanie, dont les élèves fomentent des attentats contre nos soldats en Afrique... Soyons cohérents ! Ce texte ne traite qu'une partie du problème.

Le groupe UC votera le texte issu de la CMP, tout en appelant à la vigilance sur les ingérences franco-françaises et les questions de transparence. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, du RDSE et RDPI)

M. Jacques Fernique .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Je remplace Mélanie Vogel, empêchée.

Quand La Fontaine écrivit la fable du lièvre et de la tortue, il ne pensait certainement pas aux ingérences étrangères. Méditons néanmoins sa morale. Les stratégies malveillantes de puissances étrangères commencent par l'influence, la diffusion d'informations dans les médias, des investissements massifs dans des infrastructures essentielles - les ports maritimes du Havre et de Marseille appartiennent ainsi à une entreprise d'État chinoise. Puis vient l'ingérence : le Qatargate, qui a impliqué des eurodéputés, les prêts du Rassemblement national auprès de banques russes.

Si la nécessité de lutter contre l'ingérence étrangère fait consensus, il aurait fallu une réponse globale, des mesures ciblées et efficaces, un projet de loi accompagné de son étude d'impact. Le Gouvernement n'a manifestement pas mesuré l'importance du problème. L'adoption à la va-vite d'une proposition de loi ne peut qu'apporter une réponse incomplète.

Certes, le texte comporte des avancées. Si nous saluons la création d'un répertoire des activités d'influence menées pour le compte d'un acteur étranger, ou le pouvoir de sanction de l'HATVP en cas de manquement aux obligations déclaratives, nous déplorons que ces obligations restent incomplètes. Il aurait fallu obtenir que les lobbyistes détaillent les financements perçus, comme au Parlement européen.

Nous saluons le maintien par la CMP du gel des avoirs des personnes responsables de faits d'ingérence.

Cette proposition de loi a deux défauts. D'abord, en élargissant le recours au traitement algorithmique, elle restreint les libertés publiques, car cette technique, à l'efficacité incertaine, relève de la surveillance de masse. Comment éviter que les données collectées ne soient vendues ? Ne seront-elles pas vulnérables à une cyberattaque ?

Elle est, en outre, incomplète. Pas un mot sur les postes de police chinois sur notre territoire, sur les imitations des publications de presse qui érodent la confiance dans les médias, sur le financement de la vie politique, quand l'extrême droite accueille à bras ouverts les financements étrangers. À quand une banque de la démocratie ?

Le GEST votera ce texte, qui comprend des mesures que nous appelons de nos voeux depuis longtemps. Il est grand temps que le Gouvernement prenne le risque d'ingérence étrangère à bras-le-corps. Comme la course de la fable, ce combat ne se gagnera pas par quelques sauts tardifs, mais grâce à un effort tenace et durable. (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Christophe Chaillou applaudit également.)

La proposition de loi, modifiée, est adoptée.

La séance est suspendue quelques instants.