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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Création d'une commission spéciale

Renforcer l'indépendance des médias et mieux protéger les journalistes

Discussion générale

Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi et rapporteure de la commission de la culture

M. Christophe-André Frassa, en remplacement de Mme Lauriane Josende, rapporteure pour avis de la commission des lois

Mme Rachida Dati, ministre de la culture

M. Max Brisson

Mme Marie-Laure Phinera-Horth

M. Bernard Fialaire

M. Michel Laugier

M. Jérémy Bacchi

Mme Monique de Marco

Mme Colombe Brossel

M. Christopher Szczurek

M. Pierre-Jean Verzelen

M. Cédric Vial

Discussion des articles

Article 1er

M. Olivier Paccaud

M. Adel Ziane

Article 2

Après l'article 2

Article 4

Article 5

M. Pierre-Alain Roiron

Article 6

Après l'article 6

Article 7

Vote sur l'ensemble

Mme Monique de Marco

M. Patrick Kanner

M. Max Brisson

Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi et rapporteure de la commission de la culture

M. Laurent Lafon

Mme Rachida Dati, ministre de la culture

Contribution des Ehpad privés

Discussion générale

M. Jean-Luc Fichet, auteur de la proposition de loi

M. Bruno Belin, rapporteur de la commission des finances

M. Paul Christophe, ministre des solidarités, de l'autonomie et de l'égalité entre les femmes et les hommes

Mise au point au sujet d'un vote

Contribution des Ehpad privés (Suite)

Discussion générale (Suite)

Mme Marie-Laure Phinera-Horth

Mme Maryse Carrère

M. Vincent Capo-Canellas

Mme Cathy Apourceau-Poly

Mme Anne Souyris

Mme Corinne Féret

M. Alain Marc

M. Stéphane Sautarel

Discussion de l'article unique

M. Daniel Salmon

Mme Émilienne Poumirol

M. Jean-Luc Fichet, auteur de la proposition de loi

M. Pierre Jean Rochette

Mme Cathy Apourceau-Poly

M. Bruno Belin, rapporteur de la commission des finances

Sécuriser le mécanisme de purge des nullités (Procédure accélérée)

Explications de vote

Mme Isabelle Florennes, rapporteure de la commission des lois

M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Michel Masset

M. Jean-Michel Arnaud

M. Ian Brossat

Mme Mélanie Vogel

M. Christophe Chaillou

M. Pierre Jean Rochette

Mme Catherine Di Folco

Mme Marie-Laure Phinera-Horth

Gestion des compétences « eau » et « assainissement » (Procédure accélérée)

Discussion générale

M. Jean-Michel Arnaud, auteur de la proposition de loi

M. Alain Marc, rapporteur de la commission des lois

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité, du commerce et de l'artisanat

M. Paul Toussaint Parigi

Mme Cécile Cukierman

M. Akli Mellouli

M. Pierre-Alain Roiron

M. Pierre Jean Rochette

M. Mathieu Darnaud

M. Bernard Buis

M. Jean-Yves Roux

M. Bernard Delcros

M. François Bonhomme

M. Jean-Raymond Hugonet

M. Clément Pernot

Discussion des articles

Article 1er

Mme Anne Ventalon

M. Olivier Paccaud

Mme Marie-Pierre Monier

M. Jean-Jacques Panunzi

Mme Cécile Cukierman

M. Daniel Chasseing

M. Franck Menonville

M. Akli Mellouli

Mme Frédérique Espagnac

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité, du commerce et de l'artisanat

Après l'article 1er

Article 2

Article 3

Après l'article 3

Article 4

Vote sur l'ensemble

M. Jean-Michel Arnaud, auteur de la proposition de loi

Mme Maryse Carrère

M. Loïc Hervé

M. Louis Vogel

M. Stéphane Sautarel

M. Daniel Salmon

Mme Cécile Cukierman

M. Cédric Vial

M. Christophe Chaillou

M. Mathieu Darnaud

Mme Anne-Marie Nédélec

M. Olivier Bitz

M. Alain Marc, rapporteur de la commission des lois

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité, du commerce et de l'artisanat

Modifications de l'ordre du jour

Ordre du jour du mardi 22 octobre 2024




SÉANCE

du jeudi 17 octobre 2024

8e séance de la session ordinaire 2024-2025

Présidence de M. Loïc Hervé, vice-président

Secrétaires : Mme Sonia de La Provôté, Mme Patricia Schillinger.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Création d'une commission spéciale

M. le président.  - Le projet de loi relatif à la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité ayant été déposé au Sénat, le groupe de travail sur ce texte, dont les membres ont été nommés en séance le 5 juin dernier, peut être transformé en commission spéciale, conformément à la décision de la Conférence des Présidents réunie le 10 juin 2024.

Il en est ainsi décidé.

Renforcer l'indépendance des médias et mieux protéger les journalistes

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à renforcer l'indépendance des médias et à mieux protéger les journalistes, présentée par Mme Sylvie Robert et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe SER.

Discussion générale

Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi et rapporteure de la commission de la culture .  - Albert Camus, dans son Hommage à un journaliste exilé, en référence à Eduardo Santos, explique que « la presse libre peut sans doute être bonne ou mauvaise, mais assurément, sans la liberté, elle ne sera jamais autre chose que mauvaise », et qu'il n'y a pas de droit des peuples sans expression de ce droit.

Une presse libre a toujours suscité l'inquiétude des pouvoirs, notamment autoritaires. La France n'échappe pas à la règle. Ainsi, Napoléon Bonaparte rétablit la censure en 1800, et Charles X suspend la liberté de la presse en 1830, entraînant sa chute. C'est l'honneur de notre République d'avoir adopté la loi de 1881 sur la liberté de la presse, jamais remise en cause, toujours adaptée.

La liberté de la presse n'est jamais acquise : les journalistes paient un lourd tribut pour la faire vivre.

Nous sommes à une période charnière. Nous avons suffisamment de recul pour agir, grâce aux nombreux travaux menés ces dernières années, et dans les pas de l'Union européenne, qui a intégré cette question majeure pour nos démocraties.

Ces dernières sont en zone de turbulences, victimes de la désinformation, qui mine notre débat public et appelle une véritable éducation aux médias, mais aussi aux ingérences étrangères et à la polarisation à outrance du débat public.

Il revient au législateur de sauvegarder la liberté de la presse et des médias et de mieux protéger les journalistes ; tel est l'objet de ce texte, qui tire les enseignements des travaux parlementaires sur les médias.

On m'a objecté qu'il arrivait trop tôt par rapport aux conclusions des états généraux de l'information, trop tard par rapport à la situation des médias... Mais il y a urgence ! Les médias souffrent et menacent ruine - chaque année, Michel Laugier, notre rapporteur pour avis, le montre.

Une presse qui s'effondre entraîne avec elle le débat public. La « conversation publique » est dominée par le fracas des déclarations péremptoires et par les ingérences étrangères - je vous renvoie aux travaux angoissants de la commission d'enquête sur la concentration des médias. Les causes sont multiples : dilution des sources fiables dans un flot ininterrompu de faits non vérifiés et de propos haineux ; captation des ressources publicitaires par les grands acteurs du numérique ; segmentation des publics, qui s'enferment dans des « bulles de filtre ».

Cette proposition de loi traduit le refus de baisser les bras.

En attendant une réforme en profondeur la loi de 1986, nous proposons d'inscrire dans la loi la jurisprudence du Conseil d'État du 13 février dernier, qui contraint l'Arcom à faire évoluer ses pratiques.

L'article 2 offre de nouveaux outils au régulateur en cas d'atteintes graves et manifestes à la vie démocratique de la nation.

L'article 3 vise à faire des comités d'éthique et de déontologie issus de la loi Bloche de 2016 un levier efficace pour améliorer la confiance dans l'information.

L'article 4 vise à améliorer la visibilité et le contenu les chartes de déontologie dans la presse écrite.

L'article 5 est délégué à la commission des lois : je remercie Lauriane Josende pour son travail constructif. Madame la ministre, il faudra traiter de manière globale la question du secret des sources, pendante depuis 2016, qui nous met en porte-à-faux vis-à-vis de l'Union européenne.

L'article 6, qui instaure un droit d'agrément des rédactions sur le choix de leur directeur, fait débat, je le sais. Il ne s'agit pourtant pas d'une marque de défiance envers les propriétaires des titres : une entreprise de presse sera d'autant plus performante que la confiance régnera entre les parties prenantes.

L'article 7 traite des droits voisins, sujet cher à David Assouline, dont je salue l'engagement en faveur d'une presse libre et indépendante. Les négociations n'ont progressé qu'à coups d'amendes colossales de l'Autorité de la concurrence - 750 millions d'euros ! Cinq ans après la loi de juillet 2019, il est temps de tirer les enseignements d'une négociation déséquilibrée.

Nous avons examiné cette proposition de loi en une semaine : je remercie les collègues qui ont participé aux seize auditions, menées tambour battant.

Nous avons adopté un amendement de réécriture à l'article 1er pour mentionner explicitement « la liberté éditoriale » dont doivent bénéficier les chaînes de télévision. Nous sommes parvenus à un point d'équilibre, car c'est au législateur et à lui seul de fixer l'interprétation de la loi.

La commission a amélioré les articles 3 et 4 : les comités d'éthique des chaînes seront rendus plus transparents. Nous avons assuré une meilleure diffusion des chartes de déontologie. En revanche, si le chantier de leur généralisation demeure ouvert, le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) n'a pas vocation à opérer un contrôle de conformité.

En commission, nous avons renforcé l'article 7 sur les droits voisins, précisé le contenu du décret et confié à l'Autorité de la concurrence le soin de faire respecter ces dispositions.

Nous devons agir, car le temps médiatique est infiniment bref ; chaque jour, les médias et le débat démocratique ploient un peu plus. Madame la ministre, prendrez-vous des engagements devant notre assemblée ? Nous les attendons, et nous les entendrons avec exigence. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDSE ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. Christophe-André Frassa, en remplacement de Mme Lauriane Josende, rapporteure pour avis de la commission des lois .  - La commission des lois est saisie pour avis, avec délégation au fond de l'article 5. Il s'agissait initialement d'étendre la protection pénale sur le secret des sources aux directeurs de publication et aux collaborateurs des rédactions, de soumettre toute levée du secret des sources au juge des libertés et de la détention (JLD) et d'augmenter le quantum de peines applicable en cas d'atteinte au secret des sources. Ces dispositions de la loi Bloche avaient été censurées par le Conseil constitutionnel.

Le secret des sources, dont la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) fait l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse, découle de la loi du 4 janvier 2010, qui a mis en conformité le droit français avec la jurisprudence de la Cour.

Or l'immunité accordée pour protéger les sources doit être proportionnée par rapport à l'objectif constitutionnel de recherche des auteurs d'infraction et au droit à un procès équitable.

Les conclusions des états généraux de l'information appellent à une clarification des exceptions prévues au secret des sources ; or le règlement européen sur la liberté des médias conduira à des évolutions législatives, car il prévoit de nouvelles procédures de protection.

Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la commission des lois a jugé que l'extension de la protection du secret des sources aux collaborateurs était disproportionnée. Elle s'est opposée au transfert au JLD de la compétence des actes de procédure relatifs au secret des sources. Évitons d'alourdir la procédure pénale que l'on cherche à la simplifier. Enfin, l'alourdissement des peines n'offrirait aucune protection supplémentaire.

Ainsi, ces différents points ne peuvent être conservés.

À l'inverse, l'extension de la protection du secret des sources à tous les journalistes et aux directeurs de publication a paru proportionnée et conforme à la jurisprudence.

Aussi, Lauriane Josende a proposé une nouvelle rédaction de l'article 5.

Des sujets restent en suspens. Madame la Ministre, un projet de loi devra tirer les conséquences du règlement européen, ainsi que de la directive contre les procédures-bâillons du 11 avril 2024.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture .  - Il n'y a pas de démocratie et de débat public équilibré sans pluralisme des idées. L'information est un bien public qu'il faut préserver.

Un sentiment de défiance ou de rejet s'installe chez nos concitoyens, sous l'effet des algorithmes : la désinformation, accentuée par l'intelligence artificielle (IA), mine la confiance.

Face à ce constat, le Président de la République a réuni les états généraux de l'information. De grande qualité, ces travaux ont été colossaux - je salue la mémoire de Christophe Deloire, paix à son âme - et les résultats ont été à la hauteur des attentes de l'ensemble des acteurs : une réflexion de grande qualité ; une feuille de route ambitieuse ; quinze recommandations sur les programmes scolaires, la lutte contre les ingérences étrangères, la labellisation ou encore le partage des recettes publicitaires.

Votre proposition de loi ne traite pas de l'éducation aux médias ; elle aborde la question du modèle économique seulement sous l'angle des droits voisins, ce qui est réducteur - je salue d'ailleurs les travaux de Laurent Esquenet-Goxes sur le sujet.

Avec cette proposition de loi, nous restons au milieu du gué. Nous devons aborder la question dans sa globalité et approfondir l'analyse, par exemple sur le contrôle des concentrations et sur la protection du secret des sources -  l'avis du Conseil d'État sera très utile. Lors de l'examen de la loi de 2010 que j'avais fait adopter, tous les groupes politiques étaient favorables au secret des sources. Mais ne légiférons pas, sachant qu'il faudra remettre l'ouvrage sur le métier dans quelques mois puisque le règlement européen nous impose de revoir notre droit avant le 8 août 2025. Votre texte est à contretemps.

Nous devons avoir une approche globale, en nous appuyant notamment sur les travaux de Violette Spillebout et Jérémie Patrier-Leitus.

Je le répète, l'information est un bien public, qu'il faut préserver ; mais il nous faut apporter une réponse plus complète, transpartisane, qui s'appuie sur tous les travaux en cours, dont les vôtres. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Laurent Lafon applaudit également.)

M. Max Brisson .  - Madame la rapporteure, ce texte, aux intentions louables, arrive trop tôt - avant les conclusions des états généraux de l'information - ou trop tard. Auriez-vous un objectif caché ?

L'article 1er consacre la décision du Conseil d'État selon laquelle le contrôle du pluralisme doit s'appliquer à tous les intervenants - chroniqueurs, animateurs, invités compris. Le juge ne s'est-il pas appuyé sur le droit existant, notamment pour adresser ses recommandations à l'Arcom ? Celle-ci a obtempéré, et la situation s'est apaisée. Pourquoi ouvrir le débat ? Est-il nécessaire de légiférer sur une décision du Conseil d'État ? N'auriez-vous pas un autre but ?

Mme Rachida Dati, ministre.  - Au moins, c'est clair...

M. Max Brisson.  - Tout aussi gênant, l'article 2 renforce le pouvoir de sanction de l'Arcom en introduisant la notion « d'atteinte grave et manifeste à la vie démocratique de la nation ». Mais une autorité administrative indépendante (AAI) est-elle légitime pour en juger ? Dans ma conception de l'État de droit et de la souveraineté nationale, on ne saurait confier le pouvoir de suspendre le droit d'antenne à une interprétation subjective ou à un contexte politique ambiant.

Plusieurs voix à droite.  - Très bien !

M. Max Brisson.  - Le rapport issu des états généraux de l'information ne préconise d'ailleurs pas une telle mesure.

Cet article porte atteinte au principe constitutionnel de la liberté d'entreprendre, qui implique la liberté pour l'employeur de choisir ses collaborateurs. Une telle obligation dissuadera les investissements, alors que le secteur est fragilisé. La clause de conscience et de cession garantit déjà l'autonomie des journalistes vis-à-vis de l'éditeur. Vous faites de la surenchère !

Cette proposition menace la liberté éditoriale des médias audiovisuels, au coeur de la loi de 1986 ; elle est en outre prématurée et ses apports, guère utiles.

Note groupe rejettera les articles 1, 2 et 6 et émettra des réserves sur l'article 7. En revanche, nous attendons que le Gouvernement prenne en compte les recommandations des états généraux et porte une vision plus équilibrée et consensuelle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Michel Laugier applaudit également.)

Mme Marie-Laure Phinera-Horth .  - Je salue le travail de l'auteure de la proposition de loi et de la commission de la culture. Nous partageons le même constat et la même ambition. D'une part, la presse se porte mal, son indépendance n'est pas assurée ; d'autre part, il faut garantir aux journalistes un cadre protecteur.

Je regrette néanmoins que ce texte arrive en séance alors que les états généraux de l'information ont remis leurs conclusions il y a un mois à peine. Les travaux ont duré un an, réuni cinq groupes de travail, 22 assemblées citoyennes, mené plus de 160 auditions et fait quinze recommandations. Au Gouvernement d'en tirer les enseignements et de prendre les mesures qui s'imposent.

Cela dit, nous saluons certaines avancées de cette proposition de loi : à l'article 3, qui donne davantage de visibilité aux comités d'éthique des chaînes de télévision ; à l'article 4, qui améliore le contenu des chartes de déontologie ; à l'article 7, qui crée les conditions d'une négociation plus équilibrée de la rémunération entre éditeurs, agences de presse et plateformes.

Prudence sur d'autres propositions, à l'instar de la sanctuarisation de la jurisprudence du Conseil d'État du 13 février 2024, qui ne nous paraît pas pertinente, d'autant que l'Arcom a démontré ces derniers mois sa capacité à faire respecter les principes d'indépendance et de pluralisme.

Concernant la protection du secret des sources, notre groupe rejoint les conclusions de la commission des lois.

Enfin, l'instauration d'un droit d'agrément des rédactions dans la presse écrite et audiovisuelle pour le choix du directeur de la rédaction soulève des questions économiques et juridiques.

Notre groupe conditionnera son vote à l'adoption des amendements déposés par plusieurs de nos collègues.

M. Bernard Fialaire .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) La multiplication des supports de presse, la diffusion rapide des contenus et l'essor de l'IA invitent à la réflexion.

Alors que seuls 16 % des Français feraient confiance aux journalistes, selon un sondage Ipsos de 2021, il importe d'améliorer le cadre déontologique de la profession. En effet, la confiance du public est plus importante envers les journalistes quand il existe un conseil déontologique. La proposition de loi encadre les chartes déontologiques et renforce leur visibilité, avec une obligation de publicité par l'éditeur.

Je propose d'aller au bout de la logique et de créer un ordre des journalistes, composé de membres de la profession. Cet ordre devra aussi délivrer la carte de presse, qui l'est actuellement uniquement sur critères économiques, dès lors que l'on tire 50 % de ses ressources de cette activité. Or la chute des revenus liés au journalisme ne permet plus, par exemple, à des journalistes d'investigation ou à des producteurs de documentaires d'obtenir la carte de presse. En outre, la commission qui la décerne est composée pour moitié de représentants des employeurs, ce qui est discutable. La reconnaissance du statut de journaliste devrait relever d'un collège de pairs.

Madame la ministre, à l'issue des états généraux de l'information, vous avez annoncé une grande loi sur les médias. Définissons un cadre déontologique qui garantira la confiance dans la presse, la qualité de l'information et la protection des journalistes. Espérant vous avoir convaincue, madame la ministre, je retire mes amendements d'appel. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Michel Laugier .  - « La liberté de la presse présente des inconvénients. Mais moins que l'absence de liberté. » Nous partageons tous ici ces mots de François Mitterrand. Tous, nous défendons la liberté de la presse. Tous, nous défendons les 580 journalistes emprisonnés dans 70 pays. Le Sénat est d'ailleurs la première chambre à avoir transposé la directive sur les droits voisins.

Oui, tous, ici, nous défendons la liberté de la presse, mais aussi toutes les libertés, dont celle des parlementaires de déposer une proposition de loi, et ce même si elle vient à contretemps - avant la décision de l'Arcom de juillet dernier et avant les conclusions des états généraux de l'information, et alors qu'un projet de loi est annoncé pour 2025.

Au-delà du calendrier, et si certaines propositions sont directement inspirées du rapport de notre commission d'enquête de 2022, certains articles suscitent des questionnements.

Il en va ainsi de la liberté éditoriale. L'information n'est pas un bien de consommation comme les autres - c'est un journaliste de formation qui vous l'affirme. L'entreprise de presse a une responsabilité particulière : informer honnêtement. C'est un médium entre ceux qui font l'actualité et les lecteurs ou téléspectateurs. Mais un titre de média ne pourrait-il pas exprimer une sensibilité ? Sa ligne éditoriale peut être libérale, proeuropéenne, conservatrice ou progressiste. Nous devons protéger cette liberté, qui permet à tout lecteur de trouver en kiosque l'éventail des publications, quelles que soient leur ligne éditoriale.

Le législateur est aussi le garant de l'indépendance du régulateur et de sa liberté d'action.

Ce texte souhaite graver dans la loi le contrôle du pluralisme exercé par l'Arcom. Or le Conseil d'État en a précisé les contours dans sa décision du 13 février 2024 : la proposition de loi n'apporterait aucune protection supplémentaire. L'Arcom dispose déjà d'une boîte à outils complète et dissuasive, qu'elle sait mobiliser, on l'a vu récemment. Faisons confiance au régulateur.

Les dispositions sur le droit d'agrément sur la nomination du directeur de la rédaction outrepassent le principe de liberté de la presse et entrent en collision avec le droit de propriété de l'actionnaire. Un patron de presse n'aurait pas le droit de nommer les cadres dirigeants de ses propres entreprises ?

Cela découragerait les financements et contribuerait à la paupérisation de l'information. Pourtant des dispositifs existent déjà : droit de veto, droit de cession, clause de conscience.

Je rappelle l'attachement du groupe UC à l'indépendance de la presse et à la liberté rédactionnelle, qui passent d'abord par la solidité économique du secteur. Nous soutiendrons le texte sous réserve des aménagements que j'ai évoqués. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Jérémy Bacchi .  - Le droit de chacune et chacun d'accéder à une information libre, pluraliste et de qualité est de plus en plus remis en cause : privatisation voulue de l'audiovisuel par l'extrême droite pour donner les clés aux propagandistes du pire ; prise de contrôle de titres, de télévisions, de radios par des milliardaires au service de leurs propres intérêts.

Alors oui, débattre est plus que nécessaire. Merci à Sylvie Robert et au groupe SER d'avoir pris l'initiative de ce texte.

Nous saluons le renforcement des sanctions de l'Arcom pour les rendre plus dissuasives. Mais attention à la suspension sans mise en demeure préalable, qui s'inspire d'une décision du Conseil européen de 2022, très critiquée par la Fédération européenne des journalistes. Qualifier certains propos de « propagandistes » est dangereux. La liberté d'expression est protégée -  que les propos fassent consensus ou non.

Nous regrettons que les aides de l'État et des collectivités territoriales ne soient pas conditionnées. Ce texte s'inscrit en effet dans l'esprit de la loi Bloche qui entend responsabiliser les groupes de médias plutôt que de les contraindre -  ce qui ne vient qu'a posteriori, quand le mal est fait.

Enfin, parmi les conclusions des états généraux de l'information, figure la modernisation des seuils anticoncentration, pour définir un seuil unique que les grands groupes plurimédias ne pourraient pas dépasser.

Nous voterons toutefois ce texte qui aura sans aucun doute des effets positifs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ainsi que sur quelques travées du groupe SER)

Mme Monique de Marco .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) La crise institutionnelle nous impose de repenser notre façon de légiférer. C'est dans cet état d'esprit que j'ai accompagné Sylvie Robert lors de ses auditions. Les professionnels entendus nous ont rappelé les dangers d'un cadre imposé par les actionnaires et évoqué les menaces judiciaires qui pèsent sur eux et sur leurs sources : procédures bâillons, perquisitions, gardes à vue d'intimidation.

Après la révolution internet, plusieurs lois sont devenues obsolètes, ainsi la loi de 1986 n'est plus adaptée aux nouveaux usages.

Les obligations qui pèsent sur les réseaux sociaux sont insuffisantes. La valorisation des contenus journalistiques dans les algorithmes est incontournable. Il est urgent de légiférer, alors qu'une nouvelle révolution de l'intelligence artificielle s'annonce et que des transpositions européennes s'imposeront à nous -  quoiqu'en disent certains ici...

Mes chers collègues, si vous êtes des républicains, vous voterez ces mesures en faveur du pluralisme, de l'indépendance et de l'honnêteté. Sous couvert de liberté d'entreprendre et de liberté d'expression, certains font leur miel de la désinformation : « du pain et des jeux »...

Je ne me résous pas à ce que la liberté de presse soit restreinte. Je ne me résous pas à ce que certains ici défendent des intérêts particuliers. « La liberté de la presse à côté du suffrage universel, c'est la pensée de tous éclairant le gouvernement de tous. Attenter à l'une, c'est attenter à l'autre » disait Victor Hugo. Le rapport des états généraux rappelle que l'inquiétude est grande et que l'information est un bien public, un bien commun qui donne son unité à la cité.

Ce texte arriverait trop tard ou trop tôt ? Ce ne sont que des prétextes pour ne pas le voter.

La Conseil national de la Résistance appelait à « assurer la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l'égard de l'État, des puissances d'argent et des influences étrangères ». Votons ce texte, pour garantir l'indépendance des rédactions, pour mettre les journalistes à l'abri des procédures judiciaires qui veulent les faire taire et pour faire vivre le pluralisme des courants de pensée. (Applaudissements sur les travées du GEST, du CRCE-K et du groupe SER)

Mme Colombe Brossel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Après les Ehpad à but lucratif ou la mixité sociale et scolaire, ce sujet résonne fortement dans la société. Nous poursuivons les travaux de David Assouline, que je salue en tribune.

Alors que de grands groupes vampirisent le paysage médiatique et font infuser leurs idées, le législateur doit réguler cet espace démocratique.

La loi Bloche de 2016 a déjà permis de nombreuses avancées pour plus de pluralisme et de transparence dans les médias. Mais, depuis, la société a changé : certains médias ont disparu, d'autres ont été créés et les réseaux sociaux comme les plateformes ont pris de l'importance.

Je salue le travail de Sylvie Robert, qui a enrichi un texte utile.

L'article 34 de la Constitution prévoit bien qu'il nous appartient de garantir « la liberté, le pluralisme et l'indépendance des médias ».

Pour renforcer notre démocratie, nous avons besoin d'une information de qualité et diversifiée. C'est pourquoi l'article 1er sanctuarise la jurisprudence du Conseil d'État de février dernier. La réécriture de l'article par la rapporteure va dans le bon sens. Nous nous opposerons à sa suppression.

La volonté d'un actionnaire peut faire changer la ligne éditoriale d'un média, du tout au tout, du jour au lendemain. C'est pourquoi l'article 6 prévoit une procédure de validation de la nomination du directeur par la rédaction, nécessaire contrepoids à cette toute-puissance des actionnaires. Cela fera-t-il courir un risque économique au secteur ? Non, car cela fonctionne déjà dans de grands médias. Les droits individuels seraient suffisants ? Nous répondons droits collectifs, régulation et bon fonctionnement d'une rédaction.

Nous devons aller plus loin en matière de droits voisins, sujet sur lequel le Sénat a toujours été à l'avant-garde. Les agences de presse doivent percevoir les droits qui leur reviennent et que les Gafam leur refusent. C'est peu de dire que l'attente est forte au sein de l'écosystème, pour sortir du combat entre le pot de fer et le pot de terre.

L'article 5 étend la protection du secret des sources au directeur de la publication et à l'ensemble des journalistes. La contribution de la commission des lois prouve que des chemins existent pour avancer.

Cette proposition de loi reprend plusieurs des conclusions des états généraux de l'information publiées en juillet.

Fake news, défiance populaire, concentration économique, évolution des usages, développement des plateformes numériques, intelligence artificielle : tels sont les défis que tente de résoudre cette proposition de loi. Je vous invite à la voter avec enthousiasme et gravité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du CRCE-K)

M. Christopher Szczurek .  - Le rôle des médias n'est plus de respecter le pluralisme d'opinion, mais de faire l'opinion : j'admets que cela pose problème. Quand on est systématiquement épargné, on ne voit pas la même chose que lorsque l'on est toujours accablé, croyez-moi.

Les journalistes sont essentiels à la bonne santé intellectuelle d'une nation. Mais leurs droits doivent être assortis de devoirs tout aussi essentiels, que certains bafouent allègrement. Être journaliste ce n'est pas bénéficier d'un totem d'immunité ! On peut être un journaliste d'opinion, mais le respect du contradictoire et la vérification des sources ne sont pas des options.

C8 et CNews sont clairement visées par cette proposition de loi, mais comment qualifier un journaliste qui serait libéral-libertaire ? Pascal Praud est-il de gauche lorsqu'il défend la gestation pour autrui (GPA) ? Cela n'a aucun sens...

Et que dire de l'audiovisuel public qui ne propose que cinquante nuances de gauche ? Ayons pour lui la même capacité d'indignation et les mêmes exigences. Oui, l'audiovisuel public doit être encore plus neutre et impartial, car il est financé par les impôts de tous les Français, qui méritent la juste représentation de toutes les opinions.

Oui au renforcement de l'Arcom, mais à condition qu'elle ne tombe pas dans toutes les turpitudes que je viens d'évoquer.

Je salue la nomination de mon ami et frère d'armes Bruno Bilde au Conseil supérieur de l'Agence France-Presse. (Protestations à gauche) Je sais qu'il fera respecter les dispositions de la loi de 1957, notamment sur l'objectivité de l'information.

Mme Audrey Linkenheld.  - Ce n'est pas rassurant !

M. Christopher Szczurek.  - Certes, cette proposition de loi renforce la protection des sources, mais elle est partiale et très politique, sans garantie pour l'indépendance des journalistes ni le pluralisme d'opinion ; nous nous y opposerons.

M. Pierre-Jean Verzelen .  - Cette proposition de loi part d'un bon sentiment, mais l'enfer est pavé de bonnes intentions.

Certaines mesures vont dans le bon sens - protection des sources, renforcement des droits voisins -, mais la vraie raison d'être du texte est de traduire l'arrêt du Conseil d'État du 13 février qui demande à l'Arcom de prendre en compte les sensibilités politiques de l'ensemble des intervenants, chroniqueurs, animateurs et invités compris. Il s'agit bien sûr de s'attaquer aux médias du groupe Bolloré, dans la droite ligne de la commission d'enquête sur la concentration dans les médias. (MMOlivier Paccaud et Stéphane Sautarel renchérissent.)

Mais le Conseil d'État n'est pas non plus le gardien absolu de la vérité. Pourquoi se mêle-t-il de l'organisation du débat public à la télévision et à la radio ? Ce truc est injouable ! On va mettre le doigt dans un engrenage... Imaginez le salarié de l'Arcom qui, chronomètre à la main, va devoir déterminer si les propos sont de gauche, de droite ou d'ailleurs... Bon courage avec Michel Onfray ou Philippe Caverivière ! C'est lunaire de vouloir mettre ainsi des étiquettes partout... (« Bravo » et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Tout n'est pas motivé par des intentions partisanes ou électorales !

Chacun a le droit de zapper et de changer de chaîne. Moi-même, il m'arrive d'écouter France Inter (rires à droite) et j'espère que d'autres prennent le temps de regarder L'heure des Pros.

Mme Audrey Linkenheld.  - (Brandissant le journal) Nous, on lit Le Figaro !

M. Pierre-Jean Verzelen.  - Je vois une forme de mépris social, voire de mépris de classe, dans la décision de l'Arcom d'exclure CNews et NRJ12 de la TNT. (Applaudissements à droite, protestations indignées à gauche) Qui sont ceux qui savent pour les autres ce qui est beau, bon et bien ? C'est la diversité qui fait la saveur de l'audiovisuel.

Il y a quarante ans, on assistait à la création des radios libres et à l'arrivée de Canal+. Aujourd'hui, le projet politique de certains, c'est le retour à l'ORTF (applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Christopher Szczurek applaudit également.), alors que le vrai sujet de l'indépendance se joue en réalité sur internet et sur les réseaux sociaux.

Une grande majorité du groupe Les Indépendants est hostile à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Cédric Vial .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi touche au coeur même de notre démocratie. En 1986, les enjeux étaient radicalement différents. Les évolutions technologiques et les réseaux sociaux sont passés par là, supprimant bon nombre de filtres. Il faut donc ajuster notre droit, mais avec précaution.

La loi ne se fait pas sur de bonnes intentions, ni sur de mauvaises - que l'exposé des motifs ne cherche d'ailleurs pas à dissimuler, à l'égard d'un certain groupe médiatique... (M. Olivier Paccaud renchérit.)

Le Conseil d'État a imposé davantage de contrôles. La régulation est devenue plus complexe et le bon équilibre est délicat à atteindre. La loi de 1986 peut être complétée pour répondre aux enjeux actuels, dont l'indépendance des journalistes, pour une presse libre et forte.

Autre combat : la lutte contre les fake news, qui sèment méfiance et haine au sein de nos sociétés. Il ne s'agit pas de museler l'information, mais de disposer d'informations vérifiées, fiables et pluralistes.

Ne sombrons pas dans un bavardage législatif. L'Arcom a déjà suffisamment de pouvoirs. (M. Max Brisson le confirme.)

Je valide votre démarche, madame la rapporteure, mais pas vos solutions, qui me semblent à contretemps des états généraux de l'information. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. M. Pierre-Jean Verzelen applaudit également.)

Discussion des articles

Article 1er

M. Olivier Paccaud .  - Vos ambitions sont nobles - mais en ciblant Le JDD, Europe 1 et CNews, vous légiférez ad personam, ce qui est bien moins chevaleresque ! Vous convoquez les grands principes, mais, tout comme le bon journaliste, le bon législateur doit vérifier ses sources : la référence, c'est l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et non l'article 11 !

Votre redéfinition de la liberté d'expression ne peut que ressusciter la censure et elle nie la spécificité de la presse d'opinion.

Oui, il y a toujours eu des noces prodigues entre presse et politique, et heureusement ! Heureusement qu'en 1898 L'Aurore de Clemenceau a publié le J'accuse de Zola. Heureusement que L'Humanité, de Jaurès à Fabien Gay, exprime sa vérité, qui n'est pas la mienne.

M. Pierre Ouzoulias.  - Je suis lecteur de La Croix. (Sourires)

M. Olivier Paccaud.  - Heureusement que CNews est différente de France Télévisions, qu'Europe 1 contrebalance France Inter... Personne n'a le monopole du coeur. Dans une démocratie, le droit au désaccord est fondamental. La tirade de Beaumarchais devenue la devise du Figaro est bien connue. Sans Le JDD, sans CNews, sans Europe 1 notre paysage démocratique perdrait de sa vitalité : un tout petit peu de bleu, à côté du blanc et du rouge, nous fait beaucoup de bien ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Adel Ziane .  - Il n'est jamais trop tôt pour défendre le pluralisme et le cadre républicain et démocratique.

M. Max Brisson.  - Ils ne sont pas menacés.

M. Adel Ziane.  - Quand le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a été créé, on ne comptait que six chaînes de télévision et quelques journaux. Aujourd'hui, ce sont 27 chaînes, plus celles de la TNT. Saluons l'arrêt du Conseil d'État, qui a fait évoluer l'interprétation de la loi Léotard.

L'attribution des fréquences répond à des règles. C8 aurait été la cible d'une prétendue vindicte ? Non, C8 a été sanctionnée pour de la publicité clandestine, des propos discriminatoires, stigmatisants et complotistes, pour des insultes et de la désinformation.

M. Max Brisson.  - Double peine ! Ils ont payé des amendes.

M. Thomas Dossus.  - C'est la récidive !

M. Roger Karoutchi.  - Sur le service public, la désinformation, ce n'est pas mal non plus.

M. Adel Ziane.  - Pour apaiser nos débats, il convient de rappeler que cette sanction est justifiée par des manquements. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Jérémy Bacchi et Mme Mathilde Ollivier applaudissent également.)

M. le président.  - Amendement n°10 rectifié de M. Brisson et alii.

M. Max Brisson.  - MM.  Verzelen et Paccaud ont dit haut et fort ce que nombre d'entre nous pensent sur ces travées.

Rappel des faits : le recours de Reporters sans frontières a conduit à un revirement de jurisprudence du Conseil d'État. Le contrôle s'étend désormais à tous les participants, chroniqueurs et invités compris. En juillet dernier, l'Arcom a pris une délibération équilibrée, qui tient compte de ce revirement de jurisprudence.

Ce nouveau cadre a apaisé les craintes et il n'est pas nécessaire de l'inscrire dans la loi. Supprimons donc cet article inutile et obsessionnel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Pierre-Alain Roiron proteste.)

Mme Sylvie Robert, rapporteure.  - La commission a émis un avis favorable. Je vous le dis calmement - je ne suis pas obsessionnelle : à titre personnel, je le regrette. Il serait préférable que le Parlement fixe sa propre interprétation de la loi de 1986.

L'arrêt du Conseil d'État fait date et il va dans la bonne direction. Nous avions là, sur le plan symbolique, une excellente raison d'adopter cet article 1er que j'avais rendu conforme à la délibération de l'Arcom. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Rachida Dati, ministre.  - Je suis d'accord avec les arguments de M. Brisson. Vous l'avez dit, la décision du Conseil d'État est très claire et d'application directe : à quoi bon l'inscrire dans la loi ? Avis favorable. (Mme Audrey Linkenheld proteste.)

M. Pierre Ouzoulias.  - Votre argumentaire me surprend, mes chers collègues. Vous dénoncez souvent le gouvernement des juges - or vous dites ici que la jurisprudence du Conseil d'État serait équivalente à la loi.

Je vous rappelle que la programmation doit refléter « la diversité de la société française », selon les termes de l'article 3-1 de la loi de 1986, et c'est bien ce qui vous ennuie.

Vous défendez dans cet hémicycle l'action de Vincent Bolloré, qui mène un « combat civilisationnel » - c'est son droit. Il est préjudiciable pour la démocratie qu'il se saisisse de la totalité des médias français : voilà le problème ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER)

M. Olivier Paccaud.  - Il ne possède pas L'Humanité...

M. Max Brisson.  - Nous connaissons l'habileté de notre rapporteure, qui fait dire à la commission le contraire de ce qu'elle a voulu exprimer...

M. Patrick Kanner.  - Un peu de respect !

M. Max Brisson.  - ... et qui lui permet de camoufler le but caché de ce texte, qui apparaît pourtant au grand jour.

M. Thomas Dossus.  - Complotiste !

M. Max Brisson.  - Vous avez des obsessions, je le confirme. (On s'exclame à gauche.)

Mme Sylvie Robert.  - C'est vous qui en avez, monsieur Brisson !

M. Max Brisson.  - Nous défendons la diversité, pas vous. Ayez un peu plus de tolérance à l'égard de ceux qui ne pensent pas comme vous ! (Mme Jacqueline Eustache-Brinio renchérit.)

Mme la rapporteure nous a parlé de symbole. Tout est dit ! Nous ne sommes pas d'accord : on ne légifère pas par symbole. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

À la demande des groupes Les Républicains et SER, l'amendement n°10 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°11 :

Nombre de votants 330
Nombre de suffrages exprimés 328
Pour l'adoption 215
Contre 113

L'amendement n°10 rectifié est adopté et l'article 1er est supprimé.

(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Article 2

M. le président.  - Amendement n°6 rectifié bis de M. Vial et alii.

M. Cédric Vial.  - Il s'agit de supprimer l'article 2 qui complète le régime de sanctions de l'Arcom. Or ses pouvoirs sont suffisants pour faire respecter les principes d'indépendance et de pluralisme de l'information.

Mme Sylvie Robert, rapporteure.  - Avis favorable de la commission, mais je ne suis pas surprise... Réfléchissons tout de même à des mesures permettant de préserver plus rapidement notre souveraineté audiovisuelle, ainsi que le respect des engagements des chaînes. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER)

Mme Rachida Dati, ministre.  - Avis favorable : l'article remet en cause le principe de la mise en demeure préalable ; l'automaticité de la publication de la sanction est une peine en soi.

Mme Mathilde Ollivier.  - Cet article est nécessaire : la multiplication des atteintes décomplexées, débridées de certaines chaînes à leurs obligations le montre. Le nombre de sanctions contre C8 ou CNews a considérablement augmenté depuis 2021. Il aura fallu 47 amendes pour qu'une décision soit enfin prise, mais le mal a été fait. La boîte à outils de l'Arcom n'est pas suffisante. On a connu la droite plus prompte à réclamer l'ordre et l'autorité...

La liberté d'expression, ce ne sont pas les fausses informations, les discriminations ou les humiliations, qui minent notre vie démocratique et notre cohésion nationale. Il faut légiférer ! (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

M. Cédric Vial.  - On peut convenir que l'échelle des sanctions pourrait être revue. Il y a aussi un problème de délais : on peut le regretter, mais c'est la rançon des garanties prévues, comme les droits de la défense, l'indépendance de la personne qui juge... Un ancien ministre de gauche avait fait l'éloge de la rapidité du système judiciaire chinois. Rapide, il l'est incontestablement plus que le nôtre... (On proteste à gauche.)

Le système n'est sans doute pas parfait. (M. Thomas Dossus ironise.) Mais cet article relève plus d'un tir ciblé - l'intervention de Mme Ollivier vient de le prouver - que d'une nouvelle règle de droit.

Sortir de la grille de la TNT n'est pas une sanction. Deux chaînes sortent, deux autres entrent : c'est comme pour la Ligue 1, dont les vingt clubs se renouvellent en partie chaque année...

M. Patrick Kanner.  - D'autant qu'il y en a dix-huit ! (On se gausse à gauche.)

M. Cédric Vial.  - Il y aura peut-être des ajustements à faire, mais cet article n'est pas satisfaisant.

M. Max Brisson.  - La gauche ferait bien d'être un peu plus prudente avec la liberté de la presse... En vérité, nous sommes à fronts renversés ! Votre obsession ciblée vous conduit à remettre en cause un principe que, dans l'histoire, vous avez beaucoup défendu. (Vives dénégations à gauche ; M. Mickaël Vallet s'indigne.)

M. Thomas Dossus.  - Les propos racistes sont interdits !

M. Max Brisson.  - Dans les cas qui le nécessitaient, des amendes ont été prononcées.

Mme Colombe Brossel.  - Au bout de combien de temps ?

M. Yan Chantrel.  - Les chaînes les budgétisent...

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°6 rectifié bis est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°12 :

Nombre de votants 333
Nombre de suffrages exprimés 333
Pour l'adoption 221
Contre 112

L'amendement n°6 rectifié bis est adopté et l'article 2 est supprimé.

Après l'article 2

M. le président.  - Amendement n°12 rectifié de Mme de Marco et alii.

Mme Monique de Marco.  - Cet amendement renforce l'efficacité de la régulation de l'Arcom en prévoyant des délais de procédure réduits pour les cas d'urgence, par exemple en période électorale.

Mme Sylvie Robert, rapporteure.  - Je souscris à votre intention, mais j'ai plusieurs objections à l'amendement. Il manque de précision juridique, notamment sur la notion d'urgence. Il sous-estime le temps nécessaire à l'élaboration de décisions complexes, car touchant à un principe essentiel. Enfin, l'accélération des procédures est aussi une question de moyens. Avis défavorable.

Mme Rachida Dati, ministre.  - Toutes les sanctions prononcées l'ont été dans un délai tout à fait raisonnable eu égard à la nature des affaires. Avis défavorable.

L'amendement n°12 rectifié n'est pas adopté.

L'article 3 est adopté.

Article 4

M. le président.  - Amendement n°13 rectifié de Mme de Marco et alii.

Mme Monique de Marco.  - Alors que des algorithmes des plateformes procèdent en toute opacité à la priorisation de certains contenus, nous proposons d'améliorer la visibilité des contenus journalistiques à travers des chartes déontologiques. Cet amendement reprend la proposition 11 des états généraux de l'information, pour un pluralisme effectif des algorithmes.

Mme Sylvie Robert, rapporteure.  - Je souscris à votre intention de favoriser la transparence et le pluralisme, mais votre amendement vise un article de la loi de 1881 qui ne concerne que la presse écrite. Par ailleurs, une charte déontologique n'aurait pas de caractère contraignant. La suppression des comptes propageant des contenus signalés est déjà une obligation. Enfin, l'amendement est incompatible avec le DSA ; malheureusement, la législation nationale ne peut aller au-delà des obligations que celui-ci prévoit. Avis défavorable.

Mme Rachida Dati, ministre.  - Nous sommes favorables à une visibilité améliorée des contenus journalistiques, mais nous ne pouvons pas aller au-delà des obligations prévues par le règlement. Ce travail doit être mené au niveau européen. Avis défavorable.

L'amendement n°13 rectifié n'est pas adopté.

L'article 4 est adopté.

Article 5

M. Pierre-Alain Roiron .  - Nous regrettons que la commission des lois ait restreint le champ de cet article. La protection qu'il prévoit ne concerne plus les personnes susceptibles d'être impactées par les atteintes au secret des sources. Espérons que la portée de cette protection ne sera pas encore réduite en séance...

M. le président.  - Amendement n°14 rectifié de Mme de Marco et alii.

Mme Monique de Marco.  - L'European Freedom Medias Act rend nécessaires des adaptations législatives en matière de protection du secret des sources avant le 8 août 2025. C'est l'objet de cet article, que nous prévoyons de rétablir dans toute sa portée.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur pour avis.  - Ma chère collègue, j'imagine que, à la lecture du rapport pour avis de Mme Josende, les raisons qui nous ont conduits à amender l'article 5 ne vous ont pas échappé. Oui, le règlement européen appelle une évolution de notre droit, mais dans le respect de la Constitution. Ce problème d'articulation des normes devrait être traité dans un projet de loi. Madame la ministre, ce travail est devant nous. Faute de retrait, avis particulièrement défavorable.

Mme Rachida Dati, ministre.  - En 2009, nous avons, pour la première fois, consacré la protection des sources dans notre droit. J'avais été très loin en la matière.

Nous devons avoir sur cette question un débat exigeant et apaisé, qui tienne compte des états généraux de l'information, des contraintes constitutionnelles et du droit européen. Cet amendement ne permettrait pas un tel débat. Avis défavorable.

L'amendement n°14 rectifié n'est pas adopté.

L'article 5 est adopté.

Article 6

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié quinquies de M. Laugier et alii.

M. Michel Laugier.  - Il va de soi que je ne suis pas un ennemi de l'indépendance de la presse - je pense que nul d'entre nous ne l'est. Mais il nous appartient de fixer les moyens les plus appropriés à sa réalisation. Or les états généraux de l'information ont écarté le droit d'agrément des rédactions pour le choix de leur directeur, instauré par cet article.

Cette mesure affaiblirait économiquement la presse, au moment où elle a besoin d'investisseurs, notamment pour sa transition numérique - je l'ai montré dans mon rapport sur la presse quotidienne régionale. De fait, qui se lancerait dans l'aventure sans possibilité de diriger le titre ?

En outre, l'agrément instaurerait un climat de défiance généralisée. Je n'ignore pas que des tensions peuvent exister, mais cela ne correspond pas au plus grand nombre de situations dont j'ai eu à connaître, depuis sept ans, comme rapporteur pour avis des crédits de la presse. Rédaction et direction ont un intérêt commun : le succès du titre.

Enfin, un tel droit serait-il compatible avec les protections spécifiques accordées aux journalistes, dont la clause de conscience ?

D'autres pistes existent. La commission d'enquête sur la concentration des médias recommande ainsi de moduler les aides à la presse en fonction de critères d'indépendance.

Mme Sylvie Robert, rapporteure.  - La commission est favorable à cet amendement. Je le regrette, même si j'entends les arguments de M. Laugier.

Mon intention n'est nullement d'instaurer de la défiance entre les journalistes et les actionnaires. Il s'agit de rechercher un mécanisme qui crée des conditions de travail apaisées.

L'information préalable a été entérinée par les états généraux de l'information. Qu'en pensez-vous, madame la ministre ?

Continuons à travailler sur ce sujet, sans polarisation binaire et avec intelligence collective.

Mme Rachida Dati, ministre.  - Le droit d'agrément existe dans certains médias. Nous pourrons en rediscuter lors de l'examen du texte reprenant les recommandations des états généraux. Avis favorable.

M. Yan Chantrel.  - Le droit d'agrément reconnu aux membres de la rédaction vise à éviter la remise en cause de la ligne éditoriale après le rachat d'un titre. L'écrasante majorité des journalistes est favorable à cet outil de démocratie interne.

La presse n'est pas un bien comme les autres. Accorder ce droit serait un signe fort en faveur du pluralisme et de la protection de l'indépendance des rédactions.

Votre volonté de supprimer cet article montre que vous n'êtes pas du côté de la défense du pluralisme. Vous donnez plutôt l'impression d'être les petits télégraphistes de Bolloré... N'oubliez pas que cette mesure concerne tous les médias, y compris ceux que vous montrez du doigt !

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°1 rectifié quinquies est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°13 :

Nombre de votants 330
Nombre de suffrages exprimés 330
Pour l'adoption 220
Contre 110

L'amendement n°1 rectifié quinquies est adopté.

L'article 6 est supprimé.

Après l'article 6

M. le président.  - Amendement n°15 rectifié de Mme de Marco et alii.

Mme Monique de Marco.  - Pour garantir la liberté de la presse, la loi reconnaît des droits individuels aux journalistes et leur impose des contraintes déontologiques. Mais ces droits individuels ne sont plus suffisants dans un contexte de précarisation de la profession. Le récent rapport d'évaluation de l'Assemblée nationale sur la loi Bloche le prouve : les jeunes journalistes n'ont d'autre choix que d'accepter des conditions de travail peu propices à leur épanouissement et dans le cadre desquelles la déontologie est un luxe.

Nous reprenons une proposition de Nathalie Goulet : accorder la personnalité juridique aux rédactions pour reconnaître à leurs membres des droits collectifs et défendre leur indépendance éditoriale.

Mme Sylvie Robert, rapporteure  - Je regrette l'avis défavorable émis par la commission. Alors que la défiance d'une partie de la société à l'égard des journalistes est préoccupante, cette mesure proposée par notre collègue centriste est importante - et réclamée de longue date par les intéressés.

Mme Rachida Dati, ministre.  - La rédaction ne peut pas être une entité juridique au sein d'une entreprise. De plus, rien n'empêche les journalistes de s'organiser en association. Enfin, ce type d'amendement affaiblit les formations syndicales. Avis défavorable.

À la demande du groupe, l'amendement n°15 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°14 :

Nombre de votants 330
Nombre de suffrages exprimés 330
Pour l'adoption 110
Contre 220

L'amendement n°15 rectifié n'est pas adopté.

Article 7

M. le président.  - Amendement n°2 rectifié quinquies de M. Laugier et alii.

M. Michel Laugier.  - Nous voulons supprimer la nouvelle définition de la publication de presse proposée par les auteurs, qui souhaitent conforter la place des agences de presse.

Or la définition de la loi du 24 juillet 2019 reprend exactement la directive européenne du 17 avril 2019. Les autres pays européens l'ont eux aussi adoptée ; il serait dangereux de s'en éloigner, à peine de faire peser sur les négociations de forts risques contentieux.

Mme Sylvie Robert, rapporteure.  - Avis favorable de la commission, malheureusement. M. Laugier m'invite à être prudente, je l'entends, mais ces dispositions sont fondées sur la réalité de l'application des droits voisins, notamment pour les agences de presse.

Mme Rachida Dati, ministre.  - L'effectivité des droits voisins des éditeurs de presse doit effectivement être améliorée. Mais la définition figurant dans la loi nous est imposée par la directive ; son élargissement serait contraire au droit européen. Avis favorable.

À la demande des groupes UC et Les Républicains, l'amendement n°2 rectifié quinquies est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°15 :

Nombre de votants 330
Nombre de suffrages exprimés 330
Pour l'adoption 220
Contre 110

L'amendement n°2 rectifié quinquies est adopté.

L'article 7, modifié, est adopté.

Les articles 7 bis et 8 sont successivement adoptés.

Vote sur l'ensemble

Mme Monique de Marco .  - Que reste-t-il du texte initial ? Raboté, dépouillé, réduit, il a été voté à coups de scrutins publics, faute d'un nombre suffisants de sénateurs de la majorité.

Je remercie le groupe SER et Sylvie Robert d'avoir ouvert ce débat.

Madame la ministre, vous avez annoncé un projet de loi ambitieux : nous espérons qu'il reprendra les propositions des états généraux de l'information et l'attendons avec impatience.

Dans l'attente, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)

M. Patrick Kanner .  - La droite sénato-gouvernementale a amoindri ce texte. Nous le regrettons, mais nous voterons malgré tout cette proposition de loi, fruit d'un travail remarquable de Sylvie Robert.

Monsieur Brisson, nous n'avons que moyennement apprécié les attaques ad hominem à l'encontre de Mme Robert. C'est comme si je vous avais accusé d'être le porte-parole de M. Bolloré -  ce que vous n'êtes sûrement pas en la matière.

Peut-être ce texte n'était-il pas parfait, mais vous auriez pu vous en saisir plus que vous ne l'avez fait, madame la ministre. Ces propositions devront être reprises, car il y a un malaise dans la presse nationale.

Comme le dit l'adage sud-américain, peut-être pensiez-vous nous avoir enterrés, mais vous avez oublié que nous étions une graine ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Monique de Marco applaudit également.)

M. Max Brisson .  - Nous allons voter les mesures consensuelles et équilibrées qui demeurent - et qui figuraient dans les conclusions de la commission d'enquête. Avez-vous oublié l'ampleur des débats de l'époque ?

Président Kanner, il n'y avait nulle attaque contre Mme Robert. Voilà bien longtemps que nous nous opposons sur ce sujet.

Si nous votons ce qui reste du texte, c'est parce qu'il correspond à un travail partagé.

Seul point commun avec Mme de Marco ce matin (Mme Monique de Marco s'en amuse.) : puisse le Gouvernement se saisir des conclusions des travaux des états généraux pour proposer un texte équilibré et consensuel - ce qui n'est pas le cas de la proposition de loi de Mme Robert. (Murmures sur les travées du groupe SER et du GEST)

Mme Sylvie Robert, auteure de la proposition de loi et rapporteure de la commission de la culture .  - Je vous remercie d'avoir débattu d'un enjeu absolument essentiel pour notre démocratie.

Je suis peinée que mon texte ait été autant amoindri. Certes, je ne me faisais pas d'illusions sur les articles 2 et 6, mais j'espérais tout de même que l'article 1er, certes symbolique, et qui ne faisait que reprendre la jurisprudence du Conseil d'État, serait adopté. Hélas, le pluralisme n'a pas été défendu sur tous les bancs. C'est très grave ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

Cher Max Brisson, j'ai appris que j'étais obsessionnelle, que j'avais des intentions cachées, que j'étais très habile... Arrêtons avec ces fixations ! Du reste, on se demande de quel côté se trouve l'obsession !

On m'a rétorqué que cette proposition de loi était trop réductrice, mais elle avait le mérite d'ouvrir un débat indispensable. De nombreux documents ont été publiés depuis des années, sans que rien n'avance !

Madame la ministre, avez-vous l'intention de déposer un projet de loi ? L'Europe agit, et la France attend encore. J'espère qu'il y aura une initiative gouvernementale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; Mme Maryse Carrère applaudit également.)

M. Laurent Lafon .  - Je remercie Sylvie Robert avoir permis ce débat, duquel nous ne sortons pas sans rien. (Mme Sylvie Robert en doute.)

On ne peut pas légiférer sans prendre en compte les travaux des états généraux de l'information. J'étais dubitatif sur cette initiative - mais ses propositions sont consensuelles et souhaitées par les acteurs du secteur. Je souhaite qu'un texte gouvernemental en fasse la synthèse, afin d'avancer de façon calme et efficace. Il faut prendre en compte l'ensemble des initiatives parlementaires, celle de Mme Robert mais aussi celles de l'Assemblée nationale.

Cela dit, cette proposition de loi existe désormais. Certaines mesures ont été votées à l'unanimité, pour approfondir la loi Bloche et les droits voisins, entre autres. Elle constitue notre apport à la réflexion globale. Nous auditionnerons prochainement Bruno Patino pour qu'il nous présente les résultats des états généraux.

Mme Rachida Dati, ministre de la culture .  - Je remercie Mme Robert pour cette proposition de loi. La qualifier de réductrice n'est pas une critique, mais un appel à un débat plus large, car l'enjeu est démocratique. La société française est fracturée, on le voit.

Vous vous offusquez d'être traitée d'obsessionnelle, mais j'ai entendu certains ici, à gauche, accuser leurs collègues d'être les télégraphistes d'un groupe médiatique (Mme Sylvie Robert s'en défend) ; ce n'est pas non plus très agréable.

Je suis fière d'avoir consacré le principe de protection des sources des journalistes en 2009, lorsque j'étais garde des sceaux.

Mes services ont commencé à rédiger un projet de loi issu des conclusions des états généraux de l'information. Nous y travaillerons ensemble, je l'espère, mais sans doute pas avant le début 2025. Nous avons tous à y gagner. (M. Pierre-Antoine Levi applaudit.)

La séance est suspendue quelques instants.

Contribution des Ehpad privés

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à mettre à contribution les Ehpad privés à but lucratif réalisant des profits excessifs, présentée par M. Jean-Luc Fichet et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe SER.

Discussion générale

M. Jean-Luc Fichet, auteur de la proposition de loi .  - Cette proposition de loi vise à mettre à contribution les Ehpad privés réalisant des profits excessifs. Je remercie mon groupe politique, ainsi que le rapporteur Bruno Belin, malgré nos divergences d'analyse.

Ce texte est le fruit des remontées du terrain. Les élus locaux et les gestionnaires d'établissements veulent que les superprofits soient encadrés. Il ne s'agit pas d'empêcher les Ehpad à but lucratif de faire des bénéfices, mais ces derniers doivent rester raisonnables.

On annonce une loi Grand Âge depuis 2018, mais rien n'a bougé et je crains que rien ne bouge dans les prochains mois, malgré nos avertissements répétés.

La situation financière est due à l'incurie des gouvernements macronistes qui ont désarmé fiscalement notre pays par leur néfaste politique de l'offre. Rien n'a été fait non plus pour améliorer l'accès à la santé des Français, d'où la multiplication des déserts médicaux, terreau du vote d'extrême droite - nous l'avons constaté cette année.

En tant que gestionnaires de centres communaux d'action sociale (CCAS) ou d'Ehpad, les maires sont face à des situations très difficiles. Dernièrement, seize maires du Finistère et des Côtes-d'Armor ont saisi le tribunal administratif de Rennes pour exiger un véritable financement des Ehpad publics ; ils protestaient ainsi contre l'inaction de l'État.

Nous souhaitons tous que se développent des établissements accessibles à tous, dans le respect et le bien-être des résidents. Mais rien ne bouge !

Nous avons tous été choqués par les révélations sur les pratiques d'Orpea. La recherche de superprofits liés à « l'or gris » a entraîné une maltraitance scandaleuse dans certains Ehpad voyous : privation de nourriture, rationnement des changes, sous-effectifs, toutes les barrières morales furent enfoncées.

Il faut mettre un terme à ces pratiques. Le secteur de l'hébergement des personnes âgées n'est pas un secteur comme les autres.

Michel Barnier a lui-même évoqué la taxation des superprofits dans son discours de politique générale, et la commission des finances de l'Assemblée nationale y souscrit.

Les Ehpad privés à but lucratif touchent de l'argent public - les subventions représentent environ 40 % de leur chiffre d'affaires.

En France, il n'y a pas de liberté d'installation des Ehpad : l'État agrée gratuitement l'ouverture de structures, en fonction des besoins. Il me semble logique de taxer les superprofits.

Cette taxe se déclencherait à partir d'un taux de rentabilité de 10 %, s'agissant d'entreprises à vocation sociale. Elle serait progressive, avec deux tranches : une contribution égale à 20 % du montant de l'impôt des sociétés acquitté par l'Ehpad à partir de 10 % de rentabilité, et de 30 % si la rentabilité dépasse 15 %.

Nous envoyons un signal politique : il faut stopper la course effrénée aux superprofits et s'occuper du bien-être des résidents.

Le contexte économique de 2024 n'est pas celui de 2018, année du scandale Orpea. Pourtant, certaines pratiques ont toujours cours. Ainsi, les financements octroyés par les ARS et les départements se fondent sur des documents budgétaires élaborés par les seuls Ehpad. Il n'y a pas de contrôle !

Autre source d'étonnement : certains gestionnaires d'établissement présentent des états prévisionnels de recettes et de dépenses (EPRD) et des états réalisés des recettes et des dépenses (ERRD) en déficit, alors que leurs bilans fiscaux sont excédentaires, voire très excédentaires.

La chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine a constaté que les documents de présentation de la réalisation budgétaire transmis aux tutelles n'étaient pas exhaustifs. Autre anomalie : l'application de frais de siège, sans que l'établissement y soit autorisé.

Certes, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 permet de récupérer des financements octroyés et non consommés, mais ces dispositions ne semblent pas appliquées. La présente proposition de loi fluidifierait les relations entre les Ehpad publics, privés à but non lucratif et privés à but lucratif.

Plutôt que de subir cette contribution additionnelle, les dirigeants des Ehpad privés à but lucratif pourraient opérer des choix stratégiques en vue d'améliorer la situation des résidents : on créerait ainsi un cercle vertueux, à rebours des craintes exprimées par la majorité sénatoriale.

Je ne crois pas à une réduction des prestations offertes aux résidents en répercussion de cette contribution additionnelle : ce serait catastrophique pour l'image et l'attractivité du secteur.

Ne nous leurrons pas, les gestionnaires privés ont pour seul objectif le profit et les éventuelles mesures de réduction des coûts ont d'ores et déjà été prises.

Le produit de cette taxe additionnelle serait affecté à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), afin de financer des mesures en faveur des personnes handicapées ou dépendantes.

La financiarisation du système de santé s'étend, comme l'a montré un récent rapport du Sénat : elle affecte désormais le secteur des crèches. Le dernier livre de Victor Castanet, Les Ogres, en témoigne.

Il est temps que cesse cette course aux superprofits qui pénalise les plus fragiles. En adoptant cette proposition de loi, nous enverrions le signal que la France doit rester une République sociale et solidaire, ce qui passe par une lutte sans merci contre les superprofits, avatars d'un capitalisme débridé. (Applaudissements sur les travées des groupeSER et CRCE-K)

M. Bruno Belin, rapporteur de la commission des finances .  - Cette proposition de loi, qui nous donne l'occasion d'un débat sur le bien vieillir, tend à instaurer une nouvelle taxation sur les Ehpad à but lucratif.

Quel que soit leur statut, tous les Ehpad bénéficient de financements publics, en provenance des ARS, de la sécurité sociale ou des conseils départementaux, entre autres.

Je me pose la question de la pertinence de cette taxation.

Premièrement, taxer une seule catégorie d'Ehpad est susceptible de soulever les interrogations du Conseil constitutionnel.

Deuxièmement, chacun sait que les groupes peuvent habiller adroitement les résultats des établissements, sur lesquels vous proposez de vous fonder. De plus, la CNSA et le ministère de l'économie estiment que le produit de cette contribution serait minime.

Troisièmement, si les groupes ne peuvent financer cette nouvelle taxe, ce sont les patients qui le feront. Il n'y a que deux payeurs possibles : le contribuable ou le consommateur.

Nous avons tous été choqués par les cas de maltraitance révélés par le scandale Orpea. Mais depuis, il y a eu la pandémie de covid et ses nombreux décès. Les établissements ont évolué. Un rapport de Chantal Deseyne, d'Anne Souyris et de Solanges Nadille a montré que le modèle était déséquilibré : deux établissements sur trois sont en déficit et un groupe, Médicharme, a été placé en liquidation judiciaire. La situation de 2024 n'est pas celle de la fin des années 2010.

Nous avons besoin des Ehpad, plus qu'on ne l'imagine. Or on ne crée plus de places, alors que les besoins sont réels. La génération née après-guerre arrivera en situation de dépendance potentielle dans les années 2030 : il faudrait 100 000 places. Qui les financera ? Les collectivités le pourront-elles ? Les groupes privés à but non lucratif en auront-ils envie ? Nous aurons besoin des Ehpad à but lucratif. Ne les pointons pas du doigt.

Nous payons les conséquences des mauvaises décisions des années 1990 en matière de déserts médicaux - sans parler des déserts pharmaceutiques qui sont en train d'apparaître.

Monsieur le ministre, il faudra prendre les mesures nécessaires. Nous allons tous vieillir plus longtemps, c'est une bonne nouvelle. Nous aurons besoin de ces établissements. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

M. Paul Christophe, ministre des solidarités, de l'autonomie et de l'égalité entre les femmes et les hommes .  - Le modèle de financement des Ehpad est en crise. Si les difficultés touchent principalement les établissements habilités à l'aide sociale, les Ehpad privés à but lucratif ne sont pas épargnés : 40 % d'entre eux sont en déficit. Nous devons collectivement trouver des solutions.

Pour faire face au vieillissement, nous aurons besoin de tous les établissements qui existent et de leur personnel. Nos concitoyens ont besoin d'une offre accessible, d'où notre attention particulière pour les Ehpad publics et associatifs, qui ont bénéficié plus fortement des crédits d'urgence. La possibilité de différencier les tarifs d'hébergement, prévue par la loi Bien vieillir, leur donnera des marges de manoeuvre supplémentaires.

Le Gouvernement est défavorable à la proposition de loi, non sur ses objectifs mais sur les moyens proposés.

Les établissements privés lucratifs ont besoin comme les autres d'investir pour moderniser leur offre. Il n'est pas inconcevable que des profits soient réalisés à cette fin, sur la seule section hébergement, regroupant les dépenses d'alimentation, de logement et de services annexes. Les résidents qui font le choix de cette offre lucrative peuvent en attendre des prestations supplémentaires s'ils en ont les moyens.

Au-delà de la taxation ordinaire des résultats des entreprises que sont les Ehpad commerciaux, le vecteur fiscal proposé n'est pas exempt de défauts : la prévision de recettes est nulle pour la CNSA au regard des déficits actuels et il existe un risque de report sur les prix payés par les résidents ou sur la qualité des prestations.

Mais entendons-nous bien : je suis déterminé à tirer toutes les conséquences du scandale Orpea. Mon ministère ne fait preuve à cet égard d'aucune naïveté. Aucune utilisation défectueuse des moyens, publics ou privés, destinés la qualité de l'accompagnement des personnes ne sera tolérée. Je serai intraitable sur les maltraitances qui pourraient résulter de tels détournements.

D'ici la fin de l'année, chacun des 7 500 Ehpad aura été contrôlé. J'attends une synthèse de ces contrôles, dont je rendrai personnellement compte pour rassurer les personnes accueillies et leurs familles. Les résultats du nouveau référentiel national de la Haute Autorité de santé, qui fixe un cadre d'évaluation de la qualité des établissements, sont encourageants.

Avant le décret pris en 2022 à la suite du scandale Orpea, nous n'avions de vue que sur le soin et l'entretien de l'autonomie dans les Ehpad commerciaux. Désormais, les pouvoirs publics ont une vision analytique comptable sur l'ensemble du budget. Nous pouvons ainsi analyser finement l'usage des moyens et tenir un discours exigeant sur l'efficience au service des résidents.

Par ailleurs, nous disposons de nouveaux outils pour contrôler les groupes et caractériser d'éventuelles pratiques frauduleuses. La loi Bien vieillir nous donne plus de visibilité sur l'achat de nouvelles structures par certains acteurs, alors qu'ils en mettent d'autres en cessation d'activité. Nous pourrons ainsi nous opposer en amont à des prises de contrôle.

Enfin, parce que le secteur privé doit être concurrentiel, la loi permet de rendre publics de nouveaux indicateurs sur le fonctionnement des établissements, leurs ressources humaines et l'évaluation de la qualité. Comptez sur moi pour appliquer toutes ces dispositions.

L'engagement de l'immense majorité des professionnels ne saurait être remis en cause. Ils partagent avec nous l'objectif d'aider les personnes en respectant leurs droits, leurs besoins et leurs aspirations. (MM. Bruno Belin et Vincent Capo-Canellas applaudissent.)

La séance est suspendue à 13 h 20.

présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président

La séance reprend à 14 h 50.

Mise au point au sujet d'un vote

M. Alain Marc.  - Lors du scrutin n°15, Laure Darcos souhaitait voter contre.

Acte en est donné.

Contribution des Ehpad privés (Suite)

Discussion générale (Suite)

Mme Marie-Laure Phinera-Horth .  - Je reconnais que cette proposition de loi paraît séduisante. Dans Les Fossoyeurs, Victor Castanet a mis en évidence les défaillances importantes des Ehpad privés à but lucratif, pris dans une recherche effrénée du profit au détriment du bien-être des patients. Le prix moyen de séjour y est de 40 % supérieur au secteur public.

Cependant, le secteur des Ehpad connaît des difficultés inédites : crise de recrutement, perte de confiance. Ils sont pris dans un effet ciseau entre la hausse des coûts et la baisse de la rentabilité. La part des Ehpad déficitaires, tous secteurs confondus, est passée de 27 à 66 % entre 2020 et 2023. Or les besoins de ce secteur vont croissant au vu du vieillissement de la population.

Selon le rapport d'information sur la situation des Ehpad, dont Solanges Nadille a été corapporteure, les Ehpad lucratifs ont vu leur résultat net baisser de 8,8 % à 4,7 %. La mise en liquidation judiciaire de Medicharme et la restructuration d'Orpea illustrent ces difficultés.

Aussi, cette proposition de loi apparaît peu opportune. En Guadeloupe, l'offre d'Ehpad est à 50 % pourvue par le privé lucratif. Y taxer ce secteur serait contre-productif, alors que les places manquent pour répondre au vieillissement de la population.

Pour la pérennité du secteur, mieux vaudrait mettre en application les recommandations du rapport d'information de Mmes Nadille, Souyris et Deseyne, telles que la création d'une deuxième journée de solidarité, la revalorisation du tarif plancher ou l'intégration dans le périmètre de la section soins des dépenses qui relèvent de la section hébergement.

Le groupe RDPI votera contre cette proposition de loi. Cependant, nous ne voulons pas signer de chèque en blanc aux Ephad privés à but lucratif. Il faut mettre en oeuvre les mesures d'encadrement prévues par la majorité présidentielle. Pour poursuivre le plan de contrôle des 7 500 Ephad français, quelque 50 000 postes ont été prévus d'ici à 2030 dans le PLF 2024. Il faut en outre faire respecter les obligations de transparence et évaluer les mesures de lutte contre la maltraitance.

Plutôt que taxer un secteur en crise, nous préférons améliorer la qualité de l'accueil et des soins et regagner la confiance des citoyens grâce à des mesures d'encadrement. C'est aussi en repensant le modèle économique du secteur que nous assurerons sa pérennité. (M. Vincent Capo-Canellas applaudit.)

Mme Maryse Carrère .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Je salue l'initiative de Jean-Luc Fichet. D'ici à 2050, la France comptera plus de cinq millions de personnes âgées de plus de 85 ans. Il est crucial de préparer l'avenir en renforçant nos Ehpad et en adaptant leur modèle économique.

Le rapport d'information du Sénat rappelle combien la situation financière des établissements s'est dégradée. Les conditions de travail sont éprouvantes. Le coût est exorbitant pour les familles. La dignité de nos aînés est éprouvée. Les agents sont en sous-effectif, et les soins assurés aux résidents ne sont pas à la hauteur des besoins.

Les scandales récents tels qu'Orpea ont mis en lumière des dérives inacceptables qui, bien que minoritaires, doivent être combattues. La qualité des soins doit être une priorité ; il faut renforcer les contrôles.

Les soignants sont le coeur battant de nos Ehpad ; pourtant, ils travaillent dans des conditions souvent épuisantes, sont sous-payés et souffrent d'un manque de reconnaissance.

Des investissements massifs sont nécessaires. Il faut améliorer le ratio personnels-résidents et veiller à ce que le coût demeure soutenable pour les familles.

Selon le ministre des finances, les mesures proposées seraient peu efficaces. On risque surtout de voir la hausse de taxation compensée par une hausse des prix ou une baisse des charges.

Nous aurons également à aborder le sujet des résidences autonomie et des résidences seniors privées.

Le Gouvernement doit se saisir du dossier du vieillissement. Nous attendons beaucoup de vous, monsieur le ministre. Les Ehpad publics sont à la peine, et les départements font des efforts considérables.

Le RDSE soutiendra majoritairement l'appel que constitue cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe SER ; M. Akli Mellouli applaudit également.)

M. Vincent Capo-Canellas .  - Merci à Jean-Luc pour sa contribution sur un sujet qui nous touche tous, celui du grand âge. Le secteur des Ehpad privé était quasi absent il y a vingt ans ; il représente aujourd'hui un quart des places.

Les révélations de Victor Castanet puis les conclusions des travaux du Sénat nous ont tous choqués. La financiarisation du secteur et la piètre qualité des soins et des services fournis aux personnes âgées sont d'autant plus insupportables qu'ils sont le résultat de la rationalisation des coûts et de la recherche du profit.

Certains établissements sont dans une situation financière très dégradée. Or les Ehpad sont indispensables à la prise en charge de la perte d'autonomie. Si le maintien à domicile doit se développer, le nombre de nos aînés en Ehpad va continuer à croître. Les pouvoirs publics ont sans doute été pris de court par la financiarisation du secteur. Le secteur privé reste nécessaire, mais il doit apporter des garanties sur la qualité d'accueil de nos aînés.

Impossible de réduire les dépenses n'est pas possible, sauf à réduire les effectifs et donc la qualité des soins. Augmenter les tarifs n'est pas non plus envisageable. La génération du baby-boom entrant dans la dépendance, il faudra augmenter le nombre de places en Ehpad. Les postes et formations à créer n'ont pas été suffisamment planifiés.

Une nouvelle taxation ne ferait que réduire les marges de manoeuvre d'un secteur déjà affaibli. Les causes sont connues : revalorisations salariales insuffisamment compensées, crise sanitaire doublée d'une crise médiatique ayant engendré une perte de confiance, inflation des prix de l'alimentation et de l'énergie, manque de personnel.

Alors que le secteur cherche à stabiliser son modèle économique, cette proposition sera inefficace. Mettons plutôt en oeuvre les recommandations du rapport d'information du Sénat. Il est impératif de renforcer la réglementation du secteur. Les droits des résidents doivent être protégés et les ARS pouvoir mieux contrôler les établissements.

Le vieillissement de la population se traduira par un besoin d'investissement de 7 milliards d'euros d'ici à 2030. Le ministre de la santé estime qu'il faut doubler le nombre de places d'ici à 2050. De moindres investissements dans le secteur privé lucratif ne feraient qu'accroître la pression sur le privé non lucratif et le public.

Le groupe UC ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - La commission des affaires sociales du Sénat a achevé sa mission d'information fin septembre sur la situation des Ehpad. Alors que 85 % des Ehpad publics sont en déficit, une loi de programmation pluriannuelle sur le grand âge est plus attendue que jamais. L'État doit prendre ses responsabilités, y compris vis-à-vis des départements, qui ne peuvent pas suivre.

Les rates avancées sont le fait de propositions de loi parcellaires, s'empilant les unes sur les autres. Il y a urgence à revoir l'organisation et le financement des Ehpad.

Le présent texte instaure une contribution de 20 % pour les établissements dépassant 10 % de rentabilité financière. C'est la moindre des choses, au regard des dérives de la financiarisation de la santé et des bénéfices réalisés sur le dos de nos aînés.

Finalement, la question n'est pas celle du niveau de profit, mais celle de l'existence même d'un secteur privé lucratif dans la santé et le médico-social. Dans Les Fossoyeurs, Victor Castanet a montré la contradiction indépassable entre les missions de service public et la recherche du profit.

À nos yeux, ce texte n'est qu'une étape. Il faudra réfléchir aux conditions d'installation du secteur privé lucratif. Nous proposons de supprimer les niches fiscales pour les investissements immobiliers en Ehpad et d'instaurer une redevance sur les Ehpad commerciaux.

Cette proposition de loi est un petit pas sur le long chemin de la création d'un véritable service public de la perte d'autonomie. Le groupe CRCE-K votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

M. Akli Mellouli.  - Très bien !

Mme Anne Souyris .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Les Ehpad font face à une crise sans précédent. Avec Solanges Nadille et Chantal Deseyne, nous l'avons écrit dans notre rapport d'information. Tous les Ehpad sont à bout de souffle. Tous... pas tout à fait. Les Ehpad privés commerciaux se maintiennent dans une relative bonne santé financière : leur résultat net est de 4,7 % en 2023.

Le taux d'excédent se maintient à 8,2 % cette année. L'activité profitable des grands groupes privés lucratifs se fait au détriment de la sécurité sociale, des départements et de la justice fiscale. Les groupes privés optimisent leurs profits par la spéculation immobilière, comme l'a montré Raymonde Poncet Monge à l'occasion d'une mission de contrôle.

Les Ehpad privés commerciaux fonctionnent grâce à de l'argent public, il est donc normal qu'ils participent à l'effort collectif. Seulement 13 % des places en Ehpad privés commerciaux sont habilitées à l'aide sociale, contre 96 % pour les Ehpad publics. Les Ehpad privés commerciaux prennent en charge les hébergements les moins médicalisés, donc les plus rentables.

Nous avons proposé la création d'un cahier des charges, pour qu'ils prennent toute leur part.

Les travaux de Victor Castanet et les travaux parlementaires ont montré l'opacité du fonctionnement de ces établissements. L'article 32 de la loi Bien vieillir prévoyait la publication d'indicateurs, mais le décret d'application n'a toujours pas été publié. Cela devient urgent.

Les Ehpad privés commerciaux réalisent des profits, bénéficient du soutien financier public, mais ne contribuent pas justement à l'effort de prise en charge des personnes âgées dépendantes. Aussi, le GEST soutient pleinement cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

Mme Corinne Féret .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette proposition de loi prévoit la création d'un nouveau prélèvement obligatoire dont les recettes seraient versées à la CNSA, assis sur le montant d'impôt sur les sociétés acquitté par les gestionnaires d'Ehpad commerciaux. Son taux serait de 20 % en cas de rentabilité financière entre 10 et 15 %, et de 30 % lorsque la rentabilité dépasse 15 % - autan dire des résultats tout à fait appréciables...

La population française vieillit. L'investissement nécessaire dans les Ehpad est estimé à plus de 7 milliards euros d'ici à 2030.

Cela fait plus de six ans que nous attendons du Président de la République qu'il présente enfin un projet de loi pour répondre au défi du vieillissement. Les écrans de fumée suscitent frustration et colère.

Nous attendions la loi de programmation Grand Âge d'ici au 31 décembre 2024. Élisabeth Borne s'était engagée à déposer un texte à l'été 2024. Énième promesse non tenue ! Monsieur le ministre, je vous demande solennellement d'inscrire une telle loi à l'ordre du jour.

Il y a urgence à préparer la société à la massification du vieillissement et à répondre à la grave crise des Ehpad publics, alors que huit établissements sur dix sont en déficit.

Que répond le Sénat, chambre des collectivités territoriales, à tous ces maires qui n'ont plus les moyens d'héberger des personnes âgées dépendantes dans de bonnes conditions ?

La majorité sénatoriale ne formule aucune solution alternative, alors même qu'elle reconnaît le problème. Les projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), les propositions de loi se suivent, et rien ne se passe, alors que nous pourrions trouver un équilibre entre Ehpad publics et privés grâce à une planification méthodique.

Nos aînés ont besoin d'un encadrement adapté pour vieillir dignement. Tous, nous serons un jour des personnes âgées -  je vous le souhaite ! Je vous invite à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Daniel Salmon applaudit également.)

M. Alain Marc .  - Le vieillissement de la population française est un fait de société dont nos politiques publiques n'ont pas pris la mesure. S'occuper avec dignité et respect de nos aînés et des personnes souffrant de handicap est un devoir. Or nous manquons de places en Ehpad, faute d'anticipation.

Je suis président bénévole d'un Ehpad associatif privé à but non lucratif. En Aveyron, nous nous sommes toujours refusés à voir des Ehpad privés à but lucratif s'installer.

Cette proposition de loi intervient après la retentissante et scandaleuse affaire qui a secoué ce secteur. Certes, il faudrait plus d'investissements publics pour augmenter les capacités d'accueil des établissements, et plus de contrôle pour détecter les comportements condamnables. Mais la taxation des Ehpad privés à but lucratif, qui aura pour seul effet une réduction des investissements et l'augmentation des tarifs, n'est pas une solution.

Décider d'une rentabilité financière de 10 % est franchement honteux. Pour autant, faut-il taxer ? Ce ne sera jamais une bonne solution.

M. Daniel Salmon.  - Alors comment fait-on ?

M. Alain Marc.  - Parlons plutôt de la formation du personnel, du coût d'hébergement et de l'isolement des résidents.

Les sénateurs du groupe Les Indépendants, qui comprennent l'émoi suscité par le scandale des Ehpad privés, ne voteront pas ce texte.

M. Stéphane Sautarel .  - Cette proposition de loi s'inscrit dans une actualité humainement douloureuse et financièrement tendue. Notre commission des finances, sur proposition du rapporteur Belin, s'est opposée à la taxe proposée, l'estimant contre-productive. Le groupe Les Républicains partage cette position et rejettera le texte.

Le nombre de résidents en Ehpad va passer de 600 000 à 700 000 en 2030 et peut-être 900 000 en 2050. Les Ehpad à but lucratif, comme tous les autres, joueront un rôle majeur pour répondre aux besoins. Nous devons assurer la qualité de la prise en charge des bénéficiaires, en réalisant des contrôles.

L'investissement public est déjà bien en peine. Une nouvelle taxe affecterait l'investissement privé, ce qui accentuerait les difficultés actuelles. Les Ehpad sont confrontés à des charges en hausse - de plus de 57 % pour l'alimentation et l'énergie depuis 2019 - tandis que les recettes baissent. D'où un effet ciseau qui limite l'utilité de la taxe proposée.

La situation de tous les Ehpad est plus que préoccupante. Il faut des moyens, que seule une réforme en profondeur de la dépendance est en mesure de traiter. La démographie est têtue, et notre procrastination est une faute. (M. Bruno Belin applaudit.)

Discussion de l'article unique

M. Daniel Salmon .  - Ce sujet est éminemment sérieux. Dans mon département, j'ai été alerté, comme vous, par des maires en extrême difficulté face au déficit de leurs Ehpad publics -  145 000 euros en moyenne. C'est colossal !

Les Ehpad privés à but lucratif accueillent les patients les plus rentables, quand les Ehpad publics doivent assumer les soins les plus coûteux. C'est toujours pareil : aux cliniques privées, les bénéfices, aux hôpitaux publics, les déficits. Or on creuse cette dette en permanence.

La proposition de loi va dans le bon sens, car il s'agit de créer une contribution de ceux qui engrangent des profits éhontés. Comment peut-on dire qu'il est contre-productif de faire oeuvre de justice et de solidarité ? Nous voterons cette proposition de loi, qui n'est qu'une première marche. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Émilienne Poumirol .  - La faiblesse des contrôles effectués est patente. La financiarisation va croissant dans les domaines de la santé et du médico-social, comme dans tant d'autres. Des établissements peuvent présenter des comptes en déficit, alors qu'ils bénéficient de nombreux financements publics, de la sécurité sociale ou des départements. Certains organismes montent des sociétés civiles immobilières (SCI) simplement pour percevoir des loyers exorbitants.

Une réforme structurelle est nécessaire. Il faut contrôler les Ehpad privés à but lucratif. S'ils sont toujours plus nombreux, c'est bien qu'ils y trouvent des avantages, contrairement à ce qu'ils affirment ! Ces grands groupes ne sont pas des philanthropes. La santé n'est pas un commerce !

Nous sommes évidemment favorables à cette proposition de loi de notre groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

M. Jean-Luc Fichet, auteur de la proposition de loi .  - Je suis surpris. Cette proposition de loi met en évidence l'appel au secours des élus locaux, qui n'ont plus les moyens de faire fonctionner leurs établissements. Les personnes âgées sont en souffrance, alors qu'elles devraient y être heureuses. Par manque de personnels et d'activités, elles sont abandonnées à elles-mêmes.

J'aurais voulu que notre débat porte sur la qualité des soins et sur les moyens de compenser les déficits budgétaires.

Mon texte laisse aux établissements privés lucratifs une marge de 10 % ! Soit quelques possibilités d'investissement...

Je suis étonné d'entendre dire que des places restent libres dans ces établissements. Beaucoup de familles, dans mon territoire, n'osent pas même critiquer de telles structures, car il est très difficile d'y obtenir une place !

Il faudra créer 100 000 places dans les années à venir. Le privé investit massivement, il a créé 85 % des nouvelles places réalisées : pas de quoi s'inquiéter concernant la bonne santé des groupes privés.

Nous attendons tous la loi Grand Âge ; et oui, le privé peut venir au secours du public.

M. Pierre Jean Rochette .  - Je ne participerai pas au vote. Les financements des Ehpad sont définis sur la même base de calcul pour tous les établissements. Aussi comment se fait-il que certains parviennent à fonctionner et d'autres non ?

Le texte ne me choque pas, mais nous ne regardons pas le problème sous le bon angle.

L'Ehpad est une nécessité dans l'organisation de nos territoires. En cas de nouvel appel à projets lancé par les ARS ou les départements, il faudrait consolider les Ehpad existants, en souffrance, plutôt que de confier des missions à de nouvelles structures.

L'Ehpad doit être renforcé. Il doit sortir de ses murs, pour être en contact avec son territoire : par l'accompagnement social à domicile, l'hospitalisation à domicile (HAD), ou des soins palliatifs plus poussés. Le problème se pose particulièrement en zone rurale.

La situation actuelle est liée à un problème de base, qui doit être plus solide : à nous de revoir le modèle pour pérenniser l'activité.

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - Je voterai cette proposition de loi des deux mains. Elle ne fait pas la révolution ! Elle laisse 10 % de marge aux Ehpad privés, ce n'est pas rien !

J'ai entendu citer plusieurs fois Castanet, le scandale Orpea, la maltraitance, les prix excessifs. Et de nous dire qu'on ne peut pas voter ce texte, sous prétexte qu'on ne pourrait rien prendre aux Ehpad privés. Mais quelle solution proposez-vous ?

Ces établissements perçoivent des fonds publics. Tout ce qu'ils font, ils le font avec des fonds publics ! A contrario, 85 % des Ehpad publics sont en déficit. Que proposez-vous à la place ? Rien. Et quid du Gouvernement ? Nous attendons toujours le projet de loi Grand Âge. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST ; Mme Maryse Carrère applaudit également.)

M. Bruno Belin, rapporteur.  - L'ARS, c'est de l'argent public.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - Exactement !

M. Bruno Belin, rapporteur de la commission des finances .  - Comment donner des moyens aux départements qui ont de moins en moins de recettes fiscales ? On pourrait augmenter d'un point les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et les flécher sur les compétences sociales des départements.

Mais on ne peut pas avoir le privé honteux ! (M. Daniel Salmon proteste.) La LGV Tours-Bordeaux s'est bien faite avec un partenariat public-privé ! Idem pour l'immobilier des gendarmeries.

Dans les collectivités en difficulté, il faut trouver des solutions. On nous dit qu'il faut taxer des superprofits, mais où sont-ils en 2024 ? Ne nous intéressons pas à hier, mais à aujourd'hui. Voyez la liquidation judiciaire de Médicharme !

Des propositions ont été faites : nouvelle journée de solidarité, par exemple. Je salue ici le courage, en son temps, de Jean-Pierre Raffarin (Protestations sur les travées du GEST et du groupe SER). Cette journée rapporte 2,4 milliards d'euros à la CNSA.

Une nouvelle taxe est une mauvaise idée, au moment où on a besoin de tous. On a besoin de 100 000 places dans les cinq ans à venir ; cela représente un manque de plus de 60 000 salariés. Il faut se préoccuper de leur formation.

J'en appelle au bon sens du ministre : il faut un fonds de soutien aux établissements. J'espère que nous pourrons en reparler dans les semaines à venir.

M. Paul Christophe, ministre.  - Ministre depuis trois semaines, je me suis attaché à l'urgence.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - On sait que cela va arriver !

M. Paul Christophe, ministre.  - La première urgence est de répondre à la crise financière des Ehpad. Mes services vous apporteront des éléments dans quelques semaines, monsieur le rapporteur.

La seconde urgence est le PLFSS. Je serai très à l'écoute de vos propositions, car je sais combien vous maîtrisez ce sujet. Votre expérience locale en la matière est très précieuse.

Le rapporteur pointe les taux de remplissage disparates. Cette réalité varie selon les territoires.

Depuis 2019, l'État a augmenté sa participation sur le volet sanitaire de 50 % -  ce n'est pas neutre.

Nous devons apporter des réponses adaptées aux besoins des territoires. Certains besoins sont connexes : personnes âgées vieillissantes, étudiants, structures de répit... Repartons d'une vision horizontale, et non plus verticale, pour transformer l'offre.

J'entends parler du bien vieillir ; je préfère pour ma part le bien vivre. (Murmures sur les travées du groupe SER) C'est l'axe de travail sur lequel je veux m'engager.

Nous allons prévoir au PLFSS 6 500 places supplémentaires. Il faudra trouver des prétendants, avec une communication de presse d'ici à la fin de l'année, pour redorer le blason de ces métiers. Donnons aux jeunes des perspectives plus intéressantes, en leur permettant de passer du domicile à l'Ehpad, à la crèche... Pragmatique, je préfère me fixer des objectifs atteignables à court terme.

Mme Émilienne Poumirol.  - Oui, mais il faut des moyens !

M. Paul Christophe, ministre.  - Bien sûr. N'oublions pas non plus la trajectoire du domiciliaire, car nous devons avoir une vision globale.

Mme Émilienne Poumirol.  - Là aussi, il faut des moyens !

M. Paul Christophe, ministre.  - On est d'accord. Il faut des moyens, redonner de l'attractivité aux métiers et parler de bien vivre. Je suis heureux d'avoir pu vous écouter. Nous aurons d'autres rendez-vous.

À la demande du groupe Les Républicains, l'article unique de la proposition de loi est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°16 :

Nombre de votants 330
Nombre de suffrages exprimés 328
Pour l'adoption 111
Contre 217

L'article unique n'est pas adopté.En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

La séance est suspendue quelques instants.

Sécuriser le mécanisme de purge des nullités (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote sur la proposition de loi visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités, présentée par MM. François-Noël Buffet, Philippe Bonnecarrère et plusieurs de leurs collègues, à la demande de la commission des lois.

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Ce texte est examiné selon la procédure de législation en commission (LEC) prévue au chapitre XIV bis du règlement du Sénat.

Explications de vote

Mme Isabelle Florennes, rapporteure de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Cette proposition de loi traite d'un sujet aride, mais essentiel : le mécanisme de purge des nullités, qui peuvent avoir un effet dévastateur sur une procédure, d'autant plus lorsqu'elles sont découvertes tardivement. La presse relayait encore récemment le cas de personnes soupçonnées de trafic de drogue qui ont été libérées pour vice de procédure.

Certes, dans un État de droit, des vices graves de procédure doivent conduire à l'annulation de l'acte, mais il faut aussi assurer la bonne administration de la justice en évitant les recours dilatoires et les annulations prononcées au dernier moment.

C'est pourquoi le législateur a instauré, au début des années 1990, un mécanisme de purge des nullités, notamment dans les procédures d'information judiciaire. En contrepartie, l'ordonnance de renvoi devant une juridiction de jugement couvre toutes les nullités antérieures à la clôture de l'instruction.

Cela peut sembler marginal, les informations judiciaires représentant moins de 2 % des affaires devant le tribunal correctionnel, mais il s'agit des affaires les plus graves, les plus techniques et les plus complexes -  narcotrafic, délinquance économique et financière. Ce sujet est donc tout sauf anecdotique.

Déposé en juin 2024, le texte dont nous débattons découle d'une décision du Conseil constitutionnel du 28 septembre 2023 prise à la suite d'une QPC.

Le requérant avait découvert une cause potentielle de nullité après la clôture de l'instruction, alors que le vice était survenu pendant l'instruction. Le Conseil constitutionnel a estimé que le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense avaient été méconnus et qu'il appartenait au législateur de prévoir des exceptions à la purge des nullités dans ce cas. Le Conseil constitutionnel a donc censuré une partie de l'article 385 du code de procédure pénale, avec effet au 1er octobre 2024. Il n'y a plus, depuis cette date, de purge des nullités devant les tribunaux correctionnels. Nous devons donc agir sans tarder pour combler cette lacune.

L'enjeu est de sécuriser le mécanisme des purges dans l'ensemble de nos droits, et pas seulement en matière correctionnelle. Le texte exclut de ce mécanisme tous les vices dont les parties ne pouvaient avoir connaissance avant la fin de l'instruction, en matière correctionnelle, mais aussi contraventionnelle et criminelle. C'est une réponse pertinente et équilibrée à la censure constitutionnelle.

Mes amendements, adoptés par la commission avec l'assentiment du Gouvernement, précisent que l'ignorance de la personne ne peut lui profiter qu'en l'absence de manoeuvre ou de négligence de sa part et recentrent la gestion des nullités sur les juridictions du fond, afin de ne pas risquer d'engorger les juridictions d'instruction.

Avec cette proposition de loi urgente et nécessaire, adoptée par un large consensus, le Sénat prend ses responsabilités. Monsieur le garde des sceaux, j'en appelle au Gouvernement pour assurer l'adoption rapide de ce texte par l'Assemblée nationale. Les juridictions nous regardent. Répondons à leur légitime attente !

M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Cette proposition de loi fait suite à la décision du Conseil constitutionnel du 28 septembre 2023, qui a, comme vous l'avez rappelé, censuré une partie de l'article 385 du code de procédure pénale.

Le mécanisme des purges des nullités encadre le droit pour les parties de soulever des nullités au cours de l'information judiciaire, puis devant le tribunal correctionnel. Dès lors que le tribunal a été saisi à l'issue de l'information judiciaire, aucune nullité relative aux actes de procédure ne peut plus être soulevée à l'audience -  contrepartie logique de la faculté donnée aux parties de recourir aux nullités pendant l'information judiciaire.

Les effets de l'abrogation ont été reportés au 1er octobre 2024, d'où l'urgence de cette proposition de loi. Je remercie le Sénat pour la qualité et la rapidité du travail mené.

Le mécanisme de purge des nullités est essentiel : il sécurise les procédures en cours et limite les recours dilatoires. Ce dispositif est d'autant plus nécessaire que tous les actes subséquents d'un acte annulé le sont aussi, ce qui peut entraîner l'annulation de pans entiers de procédures longues et complexes.

Il constitue l'une des spécificités de la procédure d'information judiciaire et est le corollaire d'un cadre procédural qui accorde une place renforcée au principe du contradictoire.

La proposition de loi rétablit le mécanisme devant le tribunal correctionnel et y ajoute l'exception résultant de la décision du Conseil constitutionnel. Par cohérence, elle le prévoit pour l'ensemble des juridictions répressives.

L'un des trois amendements de la rapporteure simplifie le dispositif en confiant la purge à la juridiction compétente au fond.

Le Gouvernement est favorable à cette proposition de loi et met tout en oeuvre pour qu'elle soit rapidement inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

M. Michel Masset .  - Malgré un contexte contentieux et des requérants atypiques, ce texte appelle peu de commentaires sur le fond.

La censure du Conseil constitutionnel est compréhensible : l'article 385 du code de procédure pénale méconnaissait le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense. La proposition de loi reprend les solutions esquissées par le Conseil constitutionnel et choisit une rédaction large qui couvre tous les types de juridictions, pour écarter le risque d'une nouvelle censure. Elle va dans la bonne direction.

Je salue ses auteurs, MM Bonnecarrère et Buffet, qui se sont emparés d'un sujet aride pour les non-juristes, ainsi que notre rapporteure, Isabelle Florennes.

Notre groupe n'a pas d'observations particulières et votera ce texte.

Mais la procédure législative pose problème. Le Conseil constitutionnel nous avait laissé un an pour légiférer... Combien de procédures ont-elles été fragilisées par notre retard ? Nous critiquons parfois le gouvernement des juges, mais nous pouvons ici pointer nos propres défaillances.

Et ce n'est pas la première fois. Je pense à la proposition de loi de Jean-Claude Requier sur les modalités d'incarcération ou de libération. Là aussi, une forme d'oubli et un calendrier législatif mal agencé étaient en cause.

Ce nouveau Gouvernement qui compte d'anciens sénateurs aura certainement à coeur d'éviter ce type de situations.

Le RDSE, dans sa pluralité, votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE)

M. Jean-Michel Arnaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Je salue la qualité du travail d'Isabelle Florennes, à la suite de Philippe Bonnecarrère.

En matière pénale, lorsqu'un acte est affecté d'un vice grave de procédure, il peut être déclaré nul, tout comme les actes qui lui sont associés.

Le Conseil constitutionnel a censuré en partie l'article 385 du code de procédure pénal, mais a reporté l'effet de sa décision au 1er octobre 2024, afin de « ne pas entraîner de conséquences manifestement excessives ». Mais le mécanisme transitoire a pris fin, et nous devons préserver la bonne administration de la justice.

L'article 1er de la proposition de loi exclut du mécanisme tous les vices de procédure que les parties ne pouvaient pas connaître avant la fin de l'instruction. L'article 2 prévoit son application outre-mer, ce qui est la moindre des choses.

Le Sénat doit prendre ses responsabilités. Sans surprise, le groupe UC votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Ian Brossat .  - Rappelons que les sages de Montpensier avaient été saisis par un ancien Premier ministre.

Le Conseil constitutionnel nous avait donné un an pour légiférer. Le gouvernement précédent ayant tardé, il était urgent que nous nous emparions du sujet.

L'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. » D'où découlent le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit à un procès équitable.

Le Conseil constitutionnel oeuvre au respect de l'État de droit, que nous avons obtenu grâce aux luttes politiques et sociales du peuple. Si nous bénéficions de droits fondamentaux protégés et de pouvoirs séparés, le combat pour défendre et protéger notre État de droit demeure d'actualité.

Le groupe CRCE-K votera naturellement ce texte, soucieux de ne pas mettre à mal nos juridictions déjà si abîmées et continuera à défendre notre État de droit.

Mme Mélanie Vogel .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Je veux mettre un terme à cet insupportable suspense : le GEST votera ce texte. Je remercie MM Buffet et Bonnecarrère et Mme Florennes pour leur travail sur ce texte aride.

Le législateur avait un an pour résoudre le problème. Le Gouvernement aurait pu l'inscrire à son ordre du jour pour préserver l'espace réservé des parlementaires...

Alors que les auteurs de la proposition de loi avaient prévu de laisser le soin aux juridictions d'instruction d'examiner les nullités, un amendement assigne cette responsabilité à la seule juridiction compétente au fond, au motif que les juridictions d'instruction sont déjà surchargées. Nous intériorisons le sous-financement chronique de l'institution judiciaire...

Ce n'est vraiment pas le moment de réduire les crédits de la justice. Aussi, je salue l'engagement du garde des sceaux pour obtenir des crédits supplémentaires ; il a le soutien du GEST. (Applaudissements sur les travées du GEST)

M. Christophe Chaillou .  - Ce texte résulte de la décision du Conseil constitutionnel de septembre 2023 qui assure une meilleure conformité de notre droit avec l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et avec l'article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

L'abrogation décidée devait prendre effet le 1er octobre 2024, afin de laisser un temps raisonnable au Gouvernement pour agir. Mais le précédent gouvernement ne s'est jamais saisi du sujet -  vous n'y êtes pour rien, monsieur le garde des sceaux. Nous le regrettons, car c'est indispensable pour sécuriser les procédures et les droits de la défense.

Acculé à l'approche de la date butoir, le Gouvernement a décidé de soutenir la proposition de loi de MM. Buffet et Bonnecarrère, mais la dissolution a interrompu le processus législatif. Nous sommes donc dans une situation d'urgence et de vide juridique.

Cette proposition de loi est une réponse pertinente, adaptée et équilibrée à la décision du Conseil constitutionnel. Elle s'appliquera en matière correctionnelle, contraventionnelle et criminelle. La rapporteure a simplifié et harmonisé le dispositif, dans un respect complet de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Il est indispensable de sécuriser les décisions de justice et le droit des victimes tout en garantissant des procédures rapides et justes.

Nonobstant l'auteur de la QPC, le groupe SER votera ce texte, dans un esprit d'efficacité et de responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Pierre Jean Rochette .  - L'inflation normative est un fléau : de 2008 à 2022, le code de procédure pénale est passé de 1 700 à 2 400 articles. La refonte de ce code est de plus en plus urgente. Les états généraux de la justice demandaient déjà une étude d'impact sur la fusion des cadres d'enquête. Tant que ce chantier ne sera pas mené à bien, la procédure pénale sera juridiquement vulnérable et difficilement praticable.

Le principe des nullités suscite parfois les critiques de nos concitoyens qui ne comprennent pas pourquoi la justice devrait relâcher un suspect pour un vice de forme. Ils ont raison de s'indigner : oui, la justice doit respecter les règles de la procédure et l'État de droit est une absolue nécessité. « Ce qui préserve de l'arbitraire, c'est l'observance des formes », disait Benjamin Constant.

La bonne administration de la justice commande aussi que les motifs de nullité soient soulevés au plus tôt, pour que la justice ne travaille pas en vain. Toutes les parties au procès y ont intérêt.

Depuis le 1er octobre et jusqu'à la promulgation de la proposition de loi, le mécanisme de purge n'existe plus en matière correctionnelle. Les affaires concernées, sans être les plus nombreuses, sont les plus graves et les plus complexes.

Il faut rétablir le mécanisme de purge pour retrouver un équilibre entre respect des droits de défense et la bonne administration de la justice. La rédaction de la proposition de loi est tout à fait satisfaisante et répond aux exigences constitutionnelles. La procédure de LEC a montré son utilité, quand un texte consensuel doit être adopté en urgence.

Le groupe INDEP votera ce texte.

Mme Catherine Di Folco .  - Cette proposition de loi de nos anciens collègues intervient après deux censures du Conseil constitutionnel.

La purge stabilise le dossier à l'approche du procès : l'ordonnance de mise en accusation couvre les éventuels vices de procédure qui lui sont antérieurs. C'est indispensable pour certains dossiers très complexes.

En 2021, le Conseil constitutionnel avait censuré les articles 181 et 305-1 du code de procédure pénale. En réaction à cette première censure, le Parlement avait adopté une procédure légèrement modifiée fin 2021, afin d'autoriser, dans certains cas, l'invocation de la nullité en matière criminelle après le délai normal de purge.

À la suite de la décision de septembre 2023 en matière correctionnelle, il est apparu que les garanties offertes par cette exception n'étaient pas suffisantes.

Cette proposition de loi tire les conséquences de ces deux censures, en rétablissant le mécanisme de purge des nullités et en le rendant compatible avec les exigences du juge constitutionnel. La rédaction retenue est suffisamment large et flexible pour régler durablement la question. C'est un texte opérationnel et efficace, destiné à entrer rapidement en vigueur.

Le Conseil constitutionnel avait reporté le plein effet de sa censure d'un an, jusqu'au 1er octobre 2024 - date dépassée. D'autres pans du régime des nullités pourraient tomber encore, en raison de nouvelles QPC. Il est urgent de légiférer.

Je salue le travail de perfectionnement d'Isabelle Florennes.

Monsieur le garde des sceaux, nous comptons sur vous pour faire avancer ce texte à l'Assemblée nationale.

Le groupe Les Républicains le votera.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) La proposition de loi aborde un sujet technique et fondamental pour le bon fonctionnement de notre justice. Ce sujet complexe a une importance cruciale pour la sécurité juridique et le bon déroulement des procès sur l'ensemble des territoires, y compris outre-mer.

Il s'agit de trouver un équilibre entre les droits de la défense et la nécessité de clore les procédures judiciaires dans des délais raisonnables. Il était urgent de légiférer, le mécanisme de purge n'existant plus en matière correctionnelle depuis le 1er octobre. L'ensemble des procédures risque d'être touché : une nouvelle QPC transmise à la Cour de cassation demande l'extension de la jurisprudence en matière criminelle.

Le mécanisme proposé est équilibré et adapté aux exigences de notre temps. Nous saluons la clarification apportée en commission concernant l'application outre-mer.

Ce texte restaure la stabilité de notre procédure judiciaire. Urgent et essentiel, il répond aux impératifs de la justice tout en respectant les droits des parties.

Je salue le travail du Sénat et j'exhorte le Gouvernement et le Parlement à adopter ce texte promptement.

Le RDPI votera cette proposition de loi, pour le bon fonctionnement de nos juridictions.

La proposition de loi est adoptée.

M. le président.  - À l'unanimité.

La séance est suspendue quelques instants.

Gestion des compétences « eau » et « assainissement » (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à assouplir la gestion des compétences « eau » et « assainissement », présentée par M. Jean-Michel Arnaud et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe UC.

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

M. Jean-Michel Arnaud, auteur de la proposition de loi .  - Certains ont appelé le moment que nous vivons « la fin de la guerre de Cent Ans ». D'autres considèrent que c'est le début de la guerre de Troie. C'est surtout la fin d'un long combat mené par le Sénat depuis plus de dix ans, largement alimenté par nos élus locaux. En tant que président de l'association des maires des Hautes-Alpes, j'y ai participé, avant de le poursuivre au Sénat depuis 2020.

Ce travail est aussi la fin d'un long chemin parlementaire, jalonné de nombreux textes, parmi lesquels la proposition de loi de Jean-Yves Roux, ma première proposition de loi de 2022, entre autres, demandant la suppression de l'obligation de transfert des compétences eau et assainissement aux intercommunalités.

Ce travail est enfin l'aboutissement d'un long engagement transpartisan. Je salue le travail de Mathieu Darnaud, de Cécile Cukierman, de Jean-Yves Roux, de Marie-Pierre Monier, de Bernard Delcros, de Stéphane Sautarel, d'Alain Marc, de Franck Menonville et d'autres.

Avec Alain Marc, nous avons mené un long travail de négociations avec les gouvernements successifs. La présente proposition de loi est le fruit d'un compromis, travaillé avec Christophe Béchu sous le gouvernement Attal. Nous sommes sur le point de franchir une nouvelle étape de liberté locale, grâce à l'écoute et à la détermination de Michel Barnier. Je salue l'engagement et l'écoute attentive de Françoise Gatel.

Ce texte de compromis reprend la ligne constante du Sénat : la suppression de l'obligation de transfert au 1er janvier 2026 des compétences eau et assainissement. Nous avons décidé qu'il n'y aurait pas de retour en arrière si les compétences ont été transférées à la communauté de communes avant l'entrée en vigueur de cette loi. Nous avons maintenu la possibilité de délégation à des syndicats supracommunaux pour les communes encore compétentes. Les communes actuellement en subdélégation ne connaîtront aucun changement.

Il ne s'agit pas de revenir en arrière sur les coopérations intercommunales, mais de laisser les compromis émerger, les coopérations s'organiser en fonction de la réalité de terrain (M. Loïc Hervé renchérit), car les points d'eau n'obéissent pas aux limites administratives.

Comme l'a dit justement Françoise Gatel, égalité n'est pas uniformité. On ne gère pas les ressources en eau de la même manière en Île-de-France, en Ille-et-Vilaine ou dans les Hautes-Alpes.

L'intercommunalisation forcée de cette compétence a montré ses limites. De la souplesse est nécessaire, pour gagner en efficacité. Il est d'autant plus important de mettre en place une gouvernance différenciée de l'eau que la ressource pourrait se raréfier.

Le plan d'eau gouvernemental identifie des « points noirs ». Je le dis avec force : ces situations d'urgence - ressources mal gérées, mal connectées - ne sont pas liées au mode de gouvernance, mais à la situation hydrographique du territoire. Laissons les collectivités s'organiser, dans un objectif de qualité.

L'optimisation de la ressource doit faire l'objet d'une phase de réflexion partagée, sans anathème, en confiance avec les élus locaux, et en les responsabilisant. (M. Jean-Raymond Hugonet renchérit.)

Nous voulons donner une nouvelle mission aux commissions départementales de coopération intercommunale (CDCI) afin que les situations locales y soient évoquées. Une commune qui apparaît comme le mouton noir doit être accompagnée.

Oui, il est possible de créer de nouveaux syndicats intercommunaux à vocation unique (SIVU), dans le cadre d'une discussion avec les élus, et sans oukase préfectoral. (M. Loïc Hervé renchérit.)

La question des moyens se pose aussi. Oui, nous faisons face à mur d'investissements, liés notamment à des taux de fuite inacceptables dans certains territoires. Il faut renforcer l'accompagnement technique des communes et envoyer un signal aux agences de l'eau, ainsi qu'aux agences départementales là où elles existent.

Enfin, le département doit pouvoir intervenir dans les syndicats pour participer à la recherche de solutions territoriales dans une dynamique partenariale.

Cette proposition de loi est une avancée pour la liberté locale et un signe d'apaisement envers les territoires, qui n'ont pas compris qu'on leur impose, en 2017, une loi NOTRe sans évaluation ni débat sur ses conséquences. Nous garantissons aux communes des libertés pour agir, la possibilité de mutualisations consenties et un dialogue constructif et confiant avec le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Daniel Chasseing applaudit également ; M. Loïc Hervé félicite l'orateur avec énergie.)

M. Alain Marc, rapporteur de la commission des lois .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Franck Menonville applaudit également.) Dix ans : voilà dix ans que notre assemblée cherche à atténuer les conséquences du transfert obligatoire des compétences eau et assainissement. Cette proposition de loi nous offre l'occasion historique de clore ce chapitre et de rendre enfin leur liberté aux communes, conformément à la volonté constante du Sénat.

L'évolution du contexte politique nous laisse entrevoir la reconstruction d'une relation de confiance avec le Gouvernement, que le transfert imposé avait mise à mal.

Élu d'une commune de 215 habitants et d'une communauté de communes de 5 200 habitants, je mesure combien ce sujet suscite inquiétude et incompréhension, particulièrement dans les territoires ruraux et de montagne. L'échéance du 1er janvier 2026 approche à grands pas : nous devons apporter une réponse sans équivoque aux inquiétudes légitimes des élus.

Je partage pleinement l'objectif de cette proposition de loi : redonner de la souplesse aux communes, les mieux placées pour déterminer la bonne échelle pour la gestion de ces compétences. En matière d'eau et d'assainissement, le Gouvernement a brutalement remis en cause la liberté des communes en 2015, de surcroît par de simples amendements déposés sur la loi NOTRe à l'Assemblée nationale.

Notre assemblé avait obtenu en CMP un premier report, au 1er janvier 2020. Ce premier aménagement a été suivi d'une longue série. En particulier, le report au 1er janvier 2026 a été prévu par la loi Ferrand en 2018, sous réserve que les communes parviennent à réunir une minorité de blocages. En 2019, la loi Engagement et proximité a prévu un mécanisme, très encadré, de subdélégation. En 2022, la loi 3DS a apporté un assouplissement supplémentaire en autorisant le maintien des syndicats infracommunautaires.

Mais l'atténuation des effets du transfert imposé a été source de complexité, voire de confusion. Un risque existe d'alourdissement des factures des usagers. La nécessité de maintenir une fine connaissance des réseaux ou l'absence de correspondance entre les périmètres intercommunaux et hydrographiques sont autant d'arguments en faveur d'une gestion différenciée.

Le transfert obligatoire est un non-sens. Il est urgent de légiférer, pour que les 3 600 communes qui exercent seules leurs compétences ne subissent pas de graves conséquences au 1er janvier 2026.

L'article 1er du texte crée une dérogation pour les communes membres d'une communauté de communes ou d'une communauté d'agglomération en zone de montagne. Pour les autres, le transfert demeurerait obligatoire, mais assorti de nouveaux assouplissements prévus aux articles 2 et 3. Le texte rend possible la création de nouveaux syndicats et étend les possibilités d'intervention des départements pour favoriser une gestion à une échelle dépassant les frontières intercommunales.

Je remercie nos collègues Mathieu Darnaud, Jean-Michel Arnaud, Cécile Cukierman, Jean-Yves Roux, Franck Menonville et Paul Toussaint Parigi pour leurs précieuses contributions.

Je présenterai un amendement de réécriture globale de l'article 1er. Les communes n'ayant pas transféré les compétences n'auront plus l'obligation de le faire au 1er janvier 2026. Les transferts déjà effectués ne seront pas remis en cause. Il s'agit d'une solution d'équilibre.

Je proposerai par ailleurs l'organisation d'un dialogue territorial régulier sur ces compétences au sein de la CDCI.

Liberté, stabilité, responsabilité : tels sont les trois principes sur lesquels repose ce texte. En l'adoptant, nous ferons confiance à l'intelligence locale, préviendrons la survenue de contentieux et ferons prévaloir le bon sens. J'espère, grâce au Gouvernement, son inscription rapide à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP, ainsi que du RDSE)

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité, du commerce et de l'artisanat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains) Voici donc la fin d'un long feuilleton qui trouve son origine dans la loi NOTRe, laquelle a parfois corseté et uniformisé notre pays sans tenir compte de la diversité des territoires.

L'injonction vertueuse à préserver l'eau a fait oublier que celle-ci coule au fil des bassins versants, se jouant des limites administratives. La loi a voulu faire d'un jardin à l'anglaise un jardin à la française.

Tirons les conséquences de cette erreur en préférant aux lois qui contraignent celles qui facilitent, en se fondant sur la confiance et la responsabilité. (MM. Loïc Hervé et Jean-Raymond Hugonet apprécient.)

Le Premier ministre a affirmé devant vous sa volonté de travailler de manière partenariale avec les élus et les parlementaires. Avec ce texte, nous joignons les actes aux paroles.

La tension grandissante sur la ressource en eau impose un effort d'investissement inédit dans nos infrastructures pour assurer l'efficience de ce service public. Face aux enjeux quantitatifs et qualitatifs, nous devons conjuguer liberté et responsabilité pour les communes, en facilitant les mutualisations, qui restent souhaitables.

Cette proposition de loi nous donne l'occasion d'avancer. Le Gouvernement, dès le 9 octobre, a engagé la procédure accélérée. Je remercie le président Larcher et les sénateurs Darnaud, Cukierman, Arnaud, Roux et Marc pour leur engagement sans faille. Avec le rapporteur, nous avons pu cheminer dans un esprit de dialogue.

Pour les communautés de communes, le transfert obligatoire devait intervenir au 1er janvier 2026. Le Gouvernement entend concilier la pérennité des transferts déjà opérés, lesquels ont nécessité des travaux préparatoires considérables, et la liberté pour les communes qui n'ont pas procédé au transfert à ce jour. Il serait déraisonnable de remettre en cause ce qui a déjà été transféré ; mais, lorsque le transfert a eu lieu, une délégation pourra être faite à un syndicat.

Le Gouvernement soutient la réécriture de l'article 1er proposée par Alain Marc. Une commune n'ayant pas transféré sa compétence à sa communauté de communes à la date de la promulgation de la loi aura ainsi trois possibilités : conserver la compétence, la déléguer ou la transférer à un syndicat communal ou supra communal, la transférer à la communauté de communes. Deux communes d'un même EPCI pourront choisir des options différentes. Nous ne sommes pas pour les mariages forcés, mais pour les unions choisies ! (Assentiment sur de très nombreuses travées)

La préservation de la ressource, sa sécurisation et sa qualité sont des enjeux primordiaux. La liberté donnée s'accompagne donc d'une responsabilité majeure à l'égard des usagers.

Le Gouvernement soutiendra aussi l'amendement du rapporteur instituant une réunion annuelle de la CDCI consacrée à l'eau. Cet espace de discussion favorisera l'échange autour de ces enjeux, sans être une instance normative. La CDCI pourra formuler des propositions pour renforcer la mutualisation à l'échelle départementale.

Ces dispositions répondront aux amendements de Pierre Jean Rochette. L'échange de bonnes pratiques est toujours vertueux.

Enfin, l'article 4 soulève la question du mandat de maîtrise d'ouvrage confié aux départements pour les projets de production, de transport et de stockage de l'eau. Le Gouvernement y est favorable et soutiendra la rédaction amendée par le sénateur Menonville.

La position du Gouvernement est souple, respectueuse des spécificités locales et à la hauteur des enjeux. Ce texte est le fruit d'échanges constructifs entre un Gouvernement à l'écoute et un Sénat exigeant, mais sage. Face à la roche, le ruisseau l'emporte toujours, non par la force, mais par la persévérance. Comme l'a dit un grand acteur qui nous a quittés récemment, puissions-nous conclure ce soir ! (Sourires ; applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Loïc Hervé.  - Le bon sens montagnard !

M. Paul Toussaint Parigi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ce sujet me tient à coeur. Maire d'une commune pendant vingt ans, président de communauté de communes et sénateur dans un territoire rural et montagneux, j'ai été témoin de vives inquiétudes suscitées par le transfert forcé des compétences eau et assainissement, prévu pour le 1er janvier 2026.

Après des reports multiples, nous avons l'occasion de faire entendre enfin la voix des maires en leur laissant le pouvoir de choisir. La commune est l'échelon central de la démocratie locale. Montrons aux élus que leur voix porte lorsqu'ils nous alertent sur leurs difficultés et défendent l'intérêt de leurs administrés.

Il n'est pas question de remettre en cause le fait intercommunal, mais d'apporter souplesse et agilité dans la gestion d'une compétence stratégique et complexe. Le transfert à marche forcée aurait des conséquences négatives dans les territoires ruraux et de montagne, car il se ferait sans tenir compte des réalités hydrauliques. Réalisée sur des périmètres inadaptés, la mutualisation aurait un coût faramineux, alors que les territoires de montagne ont une qualité d'eau remarquable pour un coût modéré ! (M. Jean-Jacques Panunzi renchérit.)

Nombre de communes se sont déjà réunies en syndicats. Évitons donc un transfert imposé qui pourrait entraîner un alourdissement des factures. J'ai constaté que le transfert de la compétence déchets s'est traduit par une multiplication par quatre du prix payé par les administrés. Dans le contexte financier difficile que nous connaissons, le transfert des compétences eau et assainissement serait un contresens.

Faisons confiance aux maires, qui ont démontré une nouvelle fois leur réactivité face à la sécheresse cet été. En Corse, du nord au sud, ils sont contre le transfert imposé - mon collègue Panunzi pourra le confirmer. Préservation du lien entre le maire et ses administrés, maintien d'une connaissance fine des réseaux : les raisons ne manquent pas de revenir sur cette mesure.

Faisons confiance aux maires : ils sont les mieux placés pour agir dans l'intérêt de leurs concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que du RDSE ; M. Bernard Buis applaudit également ; M. Jean-Jacques Panunzi félicite l'orateur avec énergie.)

Mme Cécile Cukierman .  - J'ai cherché quelle expression populaire pourrait résumer ce combat sénatorial qui nous rassemble depuis des années. Il y a trente-six ans dans les salles de cinéma, un enfant de bonne famille expliquait à sa mère : la vie n'est pas un long fleuve tranquille... (Sourires) La gestion de l'eau et de l'assainissement n'est effectivement pas un long fleuve tranquille ! (Assentiment)

En 2015, nous nous sommes opposés à la démarche autoritaire inscrite dans la loi NOTRe.

Dès 2017, Mathieu Darnaud a déposé une proposition de loi pour revenir sur le transfert imposé. En 2023, Jean-Yves Roux lui emboîtait le pas. C'est un texte de Jean-Michel Arnaud que nous examinons cet après-midi. Je tiens à citer ces collègues, un peu comme, dans les inaugurations, le protocole, certes parfois usant, a le mérite de rappeler l'importance de l'action partenariale.

Non, notre objectif n'est pas d'empêcher les mutualisations ou de revenir sur le processus intercommunal. (M. Jean-Michel Arnaud renchérit.) Nous rappelons que, pour faire République, il faut un pacte social et politique fort entre nos concitoyens et les élus. Or ce pacte se scelle dans la plus grande des proximités, celle de la commune. C'est en ce sens que, comme nous le disons souvent, la commune est la cellule de base de la République. (Assentiment sur de très nombreuses travées)

C'est en préservant la commune que nous répondrons à la crise politique que nous connaissons. (Applaudissements sur de très nombreuses travées)

M. Loïc Hervé.  - Bravo !

Mme Cécile Cukierman.  - D'aucuns peuvent bien qualifier ce texte de petite loi ; il est en réalité essentiel. Le soutien qu'il reçoit témoigne d'une capacité à dépasser les clivages au service de l'intérêt général.

Nous ne souhaitons ni retour en arrière ni détricotage. Dans une commune ligérienne de 400 habitants, les normes sanitaires sont les mêmes qu'à Paris. Notre pays est formidable : il assure la liberté locale tout en apportant à tous nos concitoyens, quelle que soit leur condition sociale et territoriale, les mêmes garanties de sécurité.

Madame la ministre, nous comptons sur vous pour que cette proposition de loi suive son cours sans débordement. (Sourires ; applaudissements sur de très nombreuses travées)

M. Akli Mellouli .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Je remplace pour cette intervention mon irremplaçable collègue Benarroche... (Sourires)

La gestion des compétences eau et assainissement est au coeur de la vision écologiste. Le Premier ministre, répondant la semaine dernière à une question d'actualité de Cécile Cukierman, a affirmé qu'il n'y aurait plus de transfert obligatoire de ces compétences pour les communes qui ne les ont pas transférées. Dans cet esprit, la proposition de loi de Jean-Michel Arnaud répond à un besoin de liberté locale et de gestion différenciée.

Depuis la loi NOTRe, pour reprendre les mots du Premier ministre, cette question est une vraie difficulté, presque une blessure, entre le Gouvernement et le Sénat. De nombreux élus, sans remettre en cause l'échelon intercommunal, rechignent à cette remontée de compétences. Loin d'être des Gaulois réfractaires, ils sont les représentants des besoins de leur territoire !

Au nom du principe de subsidiarité, nous considérons que les communes doivent pouvoir décider librement de transférer ces compétences ou non, en fonction des particularités locales.

Au moment où les finances des collectivités sont en danger après des années de gestion pour le moins hasardeuse sous la présidence Macron, il est bon de sortir de ce blocage qui dure depuis des années. Reste que nous voudrions connaître, plus largement, la vision qu'a le gouvernement Barnier de l'organisation territoriale du pays. Nous avons besoin d'évolutions en matière comptable, de transition ou de renouvellement démocratique.

Comme le disait notre ancien collègue Daniel Breuiller, comme moi du Val-de-Marne, nous avons longtemps cru que l'accès à l'eau irait de soi pour tous et pour tous les usages ; ce n'est plus vrai. Or la politique de l'eau est sous-financée dans une proportion estimée entre 800 millions et 3, voire 4 milliards d'euros par an. C'est dire si nous sommes loin du compte.

Face au perpétuel argument de la dette, phagocyteur de toutes les politiques dont nous avons besoin, nous appelons à mettre fin à l'inaction. Cette proposition de loi, que nous voterons, est un pas de plus vers la différenciation locale. Mais nous avons besoin aussi d'une réelle stratégie nationale pour la ressource en eau, indispensable au vu de la raréfaction de la ressource. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Michel Arnaud.  - Bravo !

M. Pierre-Alain Roiron .  - Comme chaque année ou presque, nous examinons une proposition de loi sur les compétences eau et assainissement. Technique et politique, ce sujet soulève des questions centrales sur l'organisation de nos territoires, d'autant que l'eau est une ressource de plus en plus stratégique.

La loi NOTRe a suscité de nombreux débats et ajustements. La loi Ferrand-Fesneau de 2018 a reporté le transfert obligatoire des compétences eau et assainissement au 1er janvier 2026 pour certaines intercommunalités ; cette souplesse était nécessaire pour tenir compte des spécificités locales. La loi Engagement et proximité de 2019 a introduit un mécanisme de délégation partielle aux syndicats.

La nouvelle proposition d'assouplissement dont nous débattons suscite un intérêt certain, en témoignent les récentes déclarations du Premier ministre et l'engagement de la procédure accélérée.

Nous sommes ouverts aux adaptations, mais sans remise en cause de l'architecture globale de la loi NOTRe. La gestion intercommunale reste un modèle efficace. Si des adaptations aux réalités locales sont nécessaires, il n'est pas question de revenir en arrière. Veillons donc à ne pas ouvrir la porte à un détricotage général du dispositif.

Le rapporteur ne souhaite pas revenir sur les transferts déjà opérés, nous en prenons acte. Les spécificités des zones de montagne nécessitent des ajustements supplémentaires. Mais ne portons pas atteinte au principe constitutionnel d'égalité devant la loi, qui s'applique aussi aux collectivités.

La possibilité accordée aux départements de jouer un rôle plus actif dans les politiques locales de l'eau, découlant des travaux de la mission d'information sur la gestion durable de l'eau et reprise dans la proposition de loi de notre collègue Gillé, est pertinente au vu des défis climatiques.

Prenons un peu de hauteur : le transfert de ces compétences doit être inscrit dans le grand cycle de l'eau, dans une vision globale articulant gestion de l'eau et enjeux environnementaux. Face aux défis climatiques - sécheresses, incendies -, la ressource en eau est une priorité. Ne sous-estimons pas les conséquences d'incohérences dans sa gestion.

La mise en commun des ressources dans certaines zones est plus que jamais nécessaire dans certaines zones, notamment en montagne.

L'Union nationale des industries et des entreprises de l'eau évalue le déficit annuel d'investissements entre 776 millions et 3,5 milliards d'euros. Pas moins de 40 % de nos réseaux d'eau potable ont plus de 50 ans, alors que leur durée de vie oscille entre 60 et 80 ans. Les investissements nécessaires sont colossaux et exigent une approche globale.

Pas moins de 50 % des intercommunalités exercent déjà la compétence eau, couvrant près de 80 % de la population française. Ces chiffres témoignent d'une réelle dynamique intercommunale.

Ne déstabilisons pas un dispositif qui fonctionne dans la majorité des territoires. Les élus ont besoin de stabilité, notamment au regard des annonces budgétaires récentes !

Restons fermes sur le maintien du cadre intercommunal et accompagnons nos territoires avec une ingénierie ambitieuse. Notre groupe aborde ce débat dans un esprit de responsabilité et, dans sa majorité, ne votera pas le texte.

MM. Jean-Michel Arnaud et Loïc Hervé.  - C'est bien dommage !

M. Pierre Jean Rochette .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; MM. Loïc Hervé et Jean-Raymond Hugonet applaudissent également.) J'ai une pensée pour les Ligériens, notamment du sud, qui subissent actuellement des inondations importantes.

La liberté communale, voilà une cause chère au Sénat. Or s'il y a des compétences essentielles aux communes, c'est bien la gestion de l'eau et l'assainissement. Le Sénat s'est prononcé à nombreuses reprises contre leur transfert imposé par la loi NOTRe. Il est temps que les communes recouvrent leur liberté !

Des assouplissements ont déjà été introduits, en 2018 puis 2023. Pourquoi une telle détermination ? Parce que l'expérience montre que mutualisation ne rime pas forcément avec harmonisation et baisse des prix. De fait, le transfert obligatoire est une mesure tout aussi inadaptée aujourd'hui qu'il y a dix ans.

Seules 33 % des communautés de communes exercent la compétence « eau ». Depuis le début, le groupe INDEP défend le caractère optionnel du transfert et une solution pragmatique qui laisse le choix aux élus locaux. Les élus ont enfin été entendus, par Michel Barnier et Françoise Gatel. La détermination du Sénat a payé.

La proposition de loi de Jean-Michel Arnaud est pertinente, mais nous regrettons que l'exception prévue pour les communes de montagne ne soit pas plus large. Nous voterons le texte à condition que les assouplissements proposés par le rapporteur, notre collègue Alain Marc, soient adoptés. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)

M. Mathieu Darnaud .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Théocrite disait : « l'eau, goutte à goutte, creuse le roc ». Je salue notre oeuvre collective de persévérance, incarnée notamment par Jean-Michel Arnaud et Jean-Yves Roux et partagée par l'immense majorité des groupes de notre assemblée. Je remercie aussi Françoise Gatel, avec qui j'ai travaillé sur ces sujets pendant des années.

Mais ma satisfaction ne va pas sans frustration : car que de temps perdu ! (M. Jean-Michel Arnaud renchérit.) Dès 2017, avec Bruno Retailleau, nous avions tenté de faire entendre la voix des communes. Qui mieux que les élus peut savoir ce qui est bon pour leur territoire ?

Nous ne travaillons pas contre la construction intercommunale. Au contraire, nous avons aussi été saisis par de nombreux présidents d'intercommunalité, qui nous disent ne pas pouvoir exercer ces compétences. Nous faisons oeuvre utile pour redonner de la liberté à la France communale.

Je salue le courage du Premier ministre, car il n'est jamais facile, une fois le mouvement engagé, de revenir à la raison.

La gestion de ces compétences doit se baser sur nos bassins hydrographiques. L'eau est affaire de territoires, non de limites administratives.

Avec Anne Ventalon, j'ai une pensée pour les Ardéchois actuellement frappés par des épisodes cévenols.

Avec ce texte, les élus auront le choix. Il est temps de leur faire confiance ! (Applaudissements sur de nombreuses travées)

M. Bernard Buis .  - Nous examinons ce texte au moment où se tient la 34e convention des intercommunalités de France.

La multiplication et l'intensification des épisodes d'inondation et de sécheresse montrent que la question de l'eau, ressource vitale, est essentielle. Nous pensons à nos concitoyens touchés par les inondations en cours en Ardèche.

De lourds investissements seront à réaliser prochainement, notamment pour faire face aux problèmes de stockage et de partage. La mutualisation des moyens techniques et financiers peut donc s'avérer stratégique.

L'article 64 de la loi NOTRe a rendu obligatoire le transfert des compétences eau et assainissement au 1er janvier 2020, inquiétant de nombreux élus. La loi d'août 2018 a prévu une minorité de blocage des communes, les autorisant à reporter le transfert au 1er janvier 2026.

Cette proposition de loi est bienvenue, car elle apporte de la souplesse. Les élus souhaitent liberté et différenciation. Je me suis donc réjoui de la réponse du Premier ministre à Mme Cukierman, lors des questions d'actualité de la semaine dernière.

Les communes qui n'ont pas transféré ces compétences pourront librement choisir de le faire ou non. En revanche, un retour en arrière n'est pas souhaitable quand le transfert a été opéré.

Restons guidés par les principes de différenciation et de liberté locale. J'espère que les amendements en ce sens seront adoptés.

Le RDPI adoptera ce texte pour clore ce long épisode. Madame la ministre, faites en sorte que cette proposition de loi puisse être adoptée avant la fin de l'année. (Applaudissements sur de nombreuses travées)

M. Jean-Yves Roux .  - Souvenez-vous de Bill Murray dans Un jour sans fin. Le 2 février 1993, jour de la marmotte dans une petite ville rurale de Pennsylvanie, il se retrouve bloqué dans une boucle temporelle.

Ne vous sentez-vous pas proche de lui ? Au Sénat, depuis l'adoption de la loi NOTRe, nous revenons continuellement sur le sujet des compétences eau et assainissement, comme si nous étions bloqués le jour de la marmotte sénatoriale... (Sourires)

Les étapes sont connues, de 2015 à aujourd'hui, en passant par 2018. Nous voilà débattant de la proposition de loi de Jean-Michel Arnaud.

Les remontées du terrain sont sans équivoque. Le transfert à l'intercommunalité pose de réelles difficultés, notamment en ruralité et en montagne. Il est nécessaire de revenir sur ce dispositif obligatoire rigide, d'autant que l'échéance du 1er janvier 2026 approche dangereusement.

La semaine dernière, devant notre assemblée, le Premier ministre s'est engagé à agir. C'est une satisfaction, mais nous attendons de connaître les modalités précises qui découleront de cette annonce.

Madame la ministre, sentez-vous libre de vous inspirer de nos travaux récents. Le Sénat avait adopté à une large majorité ma proposition de loi permettant une gestion différenciée des compétences eau et assainissement. En tant que rapporteur, Alain Marc en avait perfectionné la rédaction. Le groupe Liot l'avait inscrite à deux reprises à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale sur son espace réservé. Nous avions travaillé avec la ministre Dominique Faure.

Sur le fond, nous ne voulons pas revenir en arrière. Nous voulons aussi nous concentrer sur les communautés de communes.

Sur la méthode, nous voulons des mesures simples et claires.

Notre rapporteur a évoqué sa réécriture de l'article 1er. La solution qu'il propose sonne comme une révolution après une décennie d'égarements ! Je remercie les sénateurs avec lesquels nous avons travaillé sur ces compromis.

Madame la ministre, à quelques semaines de plusieurs congrès d'élus locaux, il est bienvenu de démontrer qu'ils sont bien des inventeurs du possible. (Mme Françoise Gatel rit ; applaudissements)

M. Bernard Delcros .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Louis Vogel applaudit également.) L'eau et l'assainissement, enjeux vitaux, nécessitent un cadre national. Mais, une fois ce cadre fixé, pourquoi imposer depuis Paris le périmètre des intercommunalités, aussi bien pour les zones très urbanisées que pour la ruralité ou les zones de montagne ?

Au contraire, il faut non seulement tenir compte de la diversité des territoires, mais aussi de l'avis des maires, qui sont en relation directe avec leurs habitants. Ils ont à coeur d'offrir des services de qualité et d'éviter que leur coût ne s'envole. Ils ont le sens du service public. Ne les dépossédons pas de ces compétences !

Pour les territoires qui ne l'ont pas encore transférée, nous défendons deux principes. Premièrement, la possibilité de créer des syndicats à l'échelle jugée la plus pertinente par les élus. (M. Jean-Michel Arnaud renchérit.) Deuxièmement, leur permettre de mutualiser les compétences et de déléguer la gestion de l'eau ou de l'assainissement -  ou les deux  - à l'échelon le plus adapté, les syndicats ou l'intercommunalité. Pour ce faire, il faut maintenir ces compétences dans le champ des compétences facultatives.

Je remercie Jean-Michel Arnaud, Alain Marc et Mme la ministre pour son engagement sur cette question sensible pour tous les maires de France. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains ; Mme Marie-Pierre Monier applaudit également.)

M. François Bonhomme .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Franck Menonville et Daniel Chasseing applaudissent également.) Ma joie est un peu teintée d'amertume et de peine. Je me souviens des interventions de nos collègues Jacques Mézard et Jean-Jacques Hyest lors de l'examen de la loi NOTRe, grâce à laquelle nous allions atteindre la parousie. (Sourires) La loi, à l'origine d'une grande réorganisation des territoires, devait aussi être aussi source d'économies ; ce fut plutôt un grand barnum !

Je me souviens des auditions de Marylise Lebranchu et d'André Vallini : tous deux étaient animés de certitudes définitives.

Les compétences eau et assainissement étaient le produit d'un rapprochement librement consenti des communes après la guerre. À la défaveur de la loi NOTRe, tout cela a été remis en cause.

Puis, en 2018, nous avons obtenu un aménagement de calendrier - j'étais le rapporteur de ce texte à l'époque. Je me souviens des auditions des représentants de l'administration centrale, selon lesquels plus les communes étaient grandes, meilleur était le rendement. C'était oublier un biais essentiel : on ne tenait pas du tout compte des caractéristiques territoriales ! (MM. Jean-Michel Arnaud et Alain Marc renchérissent.) Il faut corriger cette faute originelle de la loi NOTRe ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, RDSE et CRCE-K)

M. Jean-Raymond Hugonet .  - Intervenant en onzième position dans cette discussion générale, je ne serai pas original.

De simples amendements peuvent avoir une immense portée. En effet, c'est un amendement gouvernemental qui est à l'origine du transfert des compétences eau et assainissement aux EPCI.

Le Sénat avait obtenu un certain nombre d'assouplissements, mais ce résultat ne résout pas le problème de fond : la loi oblige toujours les communes à transférer ces compétences au 1er janvier 2026.

La loi NOTRe avait pour objectif de mutualiser efficacement des moyens techniques et financiers pour aboutir à une meilleure maîtrise des réseaux de distribution. Les mots magiques étaient lâchés : rationalisation, maîtrise, mutualisation. Combien d'inepties débouchent invariablement sur des incuries, en s'appuyant sur ce mirage ?

Le niveau d'exercice de ces compétences doit relever de considérations propres à chaque territoire.

Heureusement, Michel Barnier, fort d'une longue expérience d'élu local, a déclaré qu'il n'y aurait plus de transfert obligatoire en 2026. Il est temps de mettre fin à la blessure provoquée par la loi NOTRe.

Je remercie Mathieu Darnaud, qui n'a jamais cessé de défendre cette position de bon sens. Je remercie également Jean-Michel Arnaud pour sa proposition de loi. Arnaud, Darnaud, même combat ! D'autant que Pernot va suivre... (Sourires ; applaudissements)

M. Clément Pernot .  - Jour de fête au Sénat ! (Sourires) L'adhésion à un groupement pour gérer l'eau et l'assainissement ne sera plus obligatoire, ni en 2026 ni après.

Le Sénat reconnaît le travail de générations de maires pour fournir l'eau à leurs administrés, heureux habitants qui jugent naturel l'accès au précieux liquide. Voilà pourquoi la gestion de l'eau est viscéralement ancrée dans la fonction du maire.

La loi imposant un groupement était considérée comme une défiance insultante. Une mutualisation autoritaire aurait altéré la qualité de la gestion de l'eau. Rendons grâce à tous les sénateurs qui ont reporté l'exécution des premiers textes sur le sujet à 2026.

Saluons la belle écoute de Michel Barnier, qui a promis, lors des questions d'actualité le 9 octobre 2024 - date qui restera dans les mémoires, j'en suis sûr - la fin de l'obligation de transfert au 1er janvier 2026.

L'adoption de cette proposition de loi enverra un signal fort à nos collectivités et attestera d'une nouvelle volonté d'organiser notre vie publique de façon moins verticale et plus partenariale.

Il convient de laisser les territoires s'organiser librement, d'inventer des collaborations entre eux, afin d'obtenir pour chaque commune une gestion idéale de ces compétences.

L'ampleur de la mission nécessite des solidarités d'ingénierie et de financement. L'État, via les préfectures et les agences de l'eau, doit être aux côtés des intervenants locaux, avec les départements, pour assurer à chacun une ressource pérenne et qualitative. Ce serait un acte de décentralisation moderne et pertinent.

Le vote de cette proposition de loi est une première étape qui fait souffler un vent de liberté dans la vie publique locale. J'espère qu'il en ira de même pour l'urbanisme, et plus particulièrement le ZAN.

Un soleil se lève sur les exécutifs de nos territoires (on apprécie la métaphore sur plusieurs travées), et vous n'y êtes pas pour rien, madame la ministre ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDPI, du RDSE et du groupe CRCE-K)

Discussion des articles

Article 1er

Mme Anne Ventalon .  - Cette proposition de loi répare plusieurs injustices.

D'abord, une injustice démocratique, liée à une erreur de jugement originelle. En Ardèche et dans tant d'autres territoires, plusieurs réalités coexistent. Au moins 90 communes de mon département souhaitent encore rester libres de conserver ou non les compétences eau et assainissement.

Ensuite, une injustice géographique, car des communes limitrophes ne sont pas situées sur le même bassin versant. Certaines ne peuvent exercer la compétence assainissement, trop coûteuse, mais souhaitent conserver la compétence eau. D'autres veulent pouvoir exercer les deux. Nous plaidons pour la souplesse.

Enfin, une injustice écologique, face aux sécheresses à venir.

Ce texte corrige ces trois injustices, il offre à chaque commune la possibilité de trancher cette question majeure.

Nous voterons cette proposition de loi sans réserve. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDPI, du RDSE et du groupe CRCE-K)

M. Olivier Paccaud .  - Certains textes sont plus symboliques que d'autres. Son historique et ses conséquences débordent nettement le périmètre aquatique. Il s'agit en réalité d'une certaine idée de la décentralisation.

La vertu première, c'est la liberté de choix. Nulle obligation, mais nul empêchement.

Beaucoup de communes ont franchi le pas du transfert, tandis que d'autres s'y opposent, car elles disposent de syndicats qui fonctionnent très bien et à moindre coût. La course au gigantisme, à la mode dans les années 2010, a montré ses limites : l'optimisation de l'action publique et les économies n'étaient pas au rendez-vous.

En revanche, ils ont éloigné la proximité, gage d'efficacité. L'ogre intercommunal, tel Cronos, a été tenté d'avaler ses enfants municipaux, avec, à la clé, une indigestion de compétences. Il est loin le temps de l'identité intercommunale heureuse, où l'on choisissait à la carte !

En supprimant l'obligation, qui rime avec recentralisation, le Sénat, constant, est fidèle à sa vocation de défenseur des libertés des collectivités territoriales.

Vive la liberté de choix et vive la décentralisation ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Yves Roux applaudit également.)

Mme Marie-Pierre Monier .  - Cette proposition de loi est issue d'un travail de longue haleine mené par des sénateurs de tous bords. Elle aurait dû être examinée avant l'été. Rappeler ce contexte est important : il s'agissait pour nous, cosignataires du texte, d'avancer le plus loin possible. Mais les annonces du Premier ministre changent la donne : nous espérons pouvoir aller bien plus loin désormais.

L'article 1er de la proposition de loi a vocation à évoluer ; j'ai d'ailleurs cosigné l'un des amendements déposés par Maryse Carrère et Jean-Yves Roux.

La gestion de la ressource en eau, enjeu primordial, nécessite coopération et solidarité, mais seul le libre choix des communes, cohérent avec la réalité des territoires et des bassins versants, aboutira à une mutualisation efficace.

La souplesse est cruciale : transfert de l'une des deux compétences seulement, mise en oeuvre d'outils de coopération intercommunale, les idées ne manquent pas.

En rendant aux communes leur liberté de choisir, nous favoriserons la mise en oeuvre de solutions. (Applaudissements sur les travées des groupeCRCE-K, UC, du RDSE et du groupe Les Républicains)

M. Jean-Jacques Panunzi .  - La position du Premier ministre sonne le glas de l'hérésie qui témoignait de la méconnaissance de la ruralité.

Le transfert doit tout simplement devenir optionnel.

Déjà en 2017, une proposition de loi de Bruno Retailleau le prévoyait. Plus de sept années ont été nécessaires pour que la raison l'emporte. Le Sénat, une fois de plus, était clairvoyant.

En Corse, l'obligation de transfert des compétences aurait été désastreuse pour tous les administrés et pour les élus locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Cécile Cukierman .  - Des habitants sont en train d'être évacués de leurs maisons, à l'heure où nous parlons, à cause des inondations. J'ai une pensée particulière pour ceux de la vallée du Gier, dans mon département, la Loire.

J'ai une pensée particulière pour celles et ceux qui ne peuvent utiliser la ligne ferroviaire entre Lyon et Saint-Étienne. Certains rentreront très tardivement chez eux ce soir, car routes et autoroutes sont coupées.

La gestion de l'eau doit tous nous préoccuper. Depuis la naissance de l'humanité, la gestion de l'eau et celle du feu sont des défis permanents.

Mais la gestion de l'eau et de l'assainissement est un autre sujet. Quand l'eau déborde, elle déborde, et cela ne relève pas d'un niveau de compétences. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur plusieurs travées des groupes SER et Les Républicains)

M. Daniel Chasseing .  - Je remercie tous ceux qui ont travaillé sur ce sujet. Merci également à la ministre.

Le Sénat a été persévérant. Dans l'immense majorité des cas, les maires veulent être libres de leur gestion. Ils sont responsables. S'ils souhaitent conserver les compétences eau et assainissement, c'est souvent parce qu'ils n'ont pas de problème pour la gestion de la ressource.

Ils pourront proposer eux-mêmes des mutualisations. Faisons confiance aux maires, qui sont attachés à cette gestion et connaissent très bien les réseaux.

Cela dit, les communautés de communes les plus modestes auront bien du mal à prendre en charge ces compétences.

Merci pour ce débat constructif. Renforçons les compétences des communes, plébiscitées par nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et CRCE-K, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Franck Menonville .  - Je m'associe aux propos de Cécile Cukierman relatifs à nos concitoyens victimes d'inondations.

Cette proposition de loi concrétise un engagement du Sénat, constant depuis dix ans.

Je salue le travail remarquable du rapporteur Alain Marc, mais aussi celui de Jean-Michel Arnaud, Mathieu Darnaud, Jean-Yves Roux, Cécile Cukierman et Marie-Pierre Monier, liste non exhaustive, bien entendu. Le travail a été transpartisan.

Les élus doivent pouvoir travailler selon une logique adaptée aux spécificités de leurs territoires, sans se voir imposer des rigidités venues d'en haut, afin de garantir à tous une eau de qualité, en quantité suffisante.

Cette proposition de loi consacre une vraie reconnaissance des libertés locales. Je salue votre action, madame la ministre, ainsi que le courage politique du Premier ministre. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP, RDSE et CRCE-K)

M. Akli Mellouli .  - J'ai également une pensée pour les sinistrés des inondations.

N'opposons pas les uns aux autres, mais donnons la possibilité de faire du sur-mesure, y compris dans les outre-mer. L'égalité n'est pas l'uniformité. Nous n'avons pas tous les mêmes réalités.

Ne déconstruisons pas ce qui existe, mais enrichissons-le, en laissant la voie à l'innovation.

Il faudra évaluer les incidences de cette proposition de loi sur les territoires. Ce n'est pas un chèque en blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur quelques travées des groupes RDSE et UC)

Mme Frédérique Espagnac .  - Les Pyrénées-Atlantiques sont sous l'eau. Je veux adresser un message de solidarité à tous les habitants, ainsi qu'aux services publics et aux élus qui leur viennent en aide.

Nous étions quelques socialistes à nous opposer à la loi NOTRe, à l'époque.

Certains combats annoncés comme perdus d'avance méritent d'être menés. Nous avions raison : dix ans plus tard, le résultat montre que nous avons réussi, grâce également à la mobilisation de beaucoup de conseils municipaux.

La proximité, dans les territoires ruraux et de montagne, est essentielle.

Nous montrons dans ce domaine de la constance dans nos convictions comme dans nos combats.

Madame la ministre, merci pour vos propos.

N'opposons pas les uns aux autres. La pluralité de nos territoires impose l'adaptation des décisions au plus près, en fonction des besoins.

Quelle incongruité de voir Paris détricoter les compétences essentielles pour gérer nos territoires !

Les communes et les syndicats de bassins versants sont des acteurs de proximité capables de réagir rapidement.

Le combat pour le pouvoir d'achat se mène lui aussi au plus près du terrain.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité, du commerce et de l'artisanat .  - J'exprime ma solidarité personnelle et celle de tout le Gouvernement à l'égard des six départements touchés par des épisodes pluvieux exceptionnels. Certains disent que, de mémoire d'homme, on n'a jamais connu pareille violence... Le Gouvernement a mis en place une cellule de crise.

J'ai une pensée toute particulière pour les citoyens durement frappés, les parlementaires, les élus locaux, les services préfectoraux, les secours. Je leur adresse mes remerciements. Puissions-nous faire face ensemble, et faire de la solidarité nationale une réalité.

Je pense à l'Ardèche, à la Loire, à la Haute-Loire, au Rhône, à la Lozère et aux Alpes-Maritimes : qu'ils soient assurés de notre solidarité. (Applaudissements)

M. le président.  - Amendement n°3 rectifié de Mme Cukierman et du groupe CRCE-K.

Mme Cécile Cukierman.  - Défendu.

M. le président.  - Amendement identique n°9 rectifié bis de Mme Carrère et alii.

Mme Maryse Carrère.  - Le 16 mars 2023, le Sénat a adopté la proposition de loi de Jean-Yves Roux pour une gestion différenciée des compétences eau et assainissement.

Initialement, cet amendement visait à réintroduire ce texte. Toutefois, nous nous sommes ralliés à votre panache blanc, monsieur le rapporteur. Nous souscrivons au dispositif que vous avez proposé afin que celui-ci aboutisse.

Nous préférerons toujours l'accompagnement à la contrainte. Laissons le choix aux élus, en nous appuyant sur le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.

Je salue les élus locaux qui affrontent les inondations. (Applaudissements)

M. le président.  - Amendement identique n°13 rectifié ter de M. Buis et alii.

M. Bernard Buis.  - Il s'agit de rendre le transfert facultatif. Toutefois, les transferts déjà réalisés ne seraient pas remis en cause. Maire pendant 23 ans de Lesches-en-Diois, je me suis opposé au transfert dès 2015.

M. le président.  - Amendement identique n°14 rectifié ter de M. Marc au nom de la commission des lois.

M. Alain Marc, rapporteur.  - Il m'est pénible de discourir sur mon amendement alors que des événements climatiques graves ont cours.

Cet amendement offre un point d'équilibre, en accord avec le Gouvernement. Les communes n'ayant pas encore transféré ces compétences garderont la liberté de le faire ou non. Le principe de liberté est ainsi consacré.

Le diable est dans les détails : les communes se sont parfois lancées, contraintes et forcées, dans des études. Il ne faut pas que celles-ci soient considérées comme ayant transféré la compétence.

Celles ayant déjà opéré le transfert ne pourront revenir en arrière.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Cet amendement s'inscrit dans l'esprit du Gouvernement de non-retour sur les transferts et de respect de la liberté d'administration des élus. Je salue la précision de son écriture. Avis favorable.

À la demande du groupe SER, les amendements identiques nos3 rectifié, 9 rectifié bis, 13 rectifié ter et 14 sont mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°17 :

Nombre de votants 329
Nombre de suffrages exprimés 322
Pour l'adoption 277
Contre   45

Les amendements identiques nos3 rectifié, 9 rectifié bis, 13 rectifié ter et 14 sont adoptés.

(Applaudissements)

L'article 1er, modifié, est adopté.

Après l'article 1er

M. le président.  - Amendement n°8 de M. Arnaud.

M. Jean-Michel Arnaud.  - Cet amendement donnait aux communes membres d'une communauté d'agglomération exclusivement composée de communes de montagne la faculté d'obtenir la restitution de tout ou partie des compétences eau et assainissement. Il y en a onze en France, dont cinq en France métropolitaine -  la communauté d'agglomération Gap Tallard Durance m'est particulièrement chère.

Nous avons subi ce transfert, qui a engendré de nombreux contentieux.

Nous venons de trouver un point d'équilibre au Sénat. Laissons un peu de travail à l'Assemblée nationale.

Le détail que je viens d'évoquer - qui n'est peut-être qu'un détail pour vous, mais qui pour moi veut dire beaucoup (sourires amusés) - devrait, je le souhaite, faire l'objet d'une discussion spécifique.

L'amendement n°8 est retiré.

(Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, RDSE et INDEP)

M. Alain Marc, rapporteur.  - Je salue l'esprit de responsabilité de Jean-Michel Arnaud, qui a su, malgré les pressions potentielles de son département, faire preuve d'un esprit de compromis. (M. Loïc Hervé applaudit.)

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Les sénateurs sont exigeants, persévérants, mais aussi sages. Je salue les propos de Jean-Michel Arnaud. Cette affaire de l'eau a été très longue. Je connais la situation de la communauté d'agglomération de Gap Tallard Durance.

Tous les services déconcentrés de l'État sont à la disposition des élus pour opérer les ajustements nécessaires.

M. le président.  - Amendement n°1 de M. Rochette.

M. Pierre Jean Rochette.  - Cet amendement et le suivant prévoyaient une discussion directe entre les communes et l'État pour négocier la gestion de l'eau sur le périmètre communal. L'article 1er y répond. Il faut savoir s'effacer au bénéfice du collectif. Je les retire donc, au profit de l'amendement du rapporteur. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe UC)

M. Akli Mellouli.  - Bravo !

L'amendement n°1 est retiré, ainsi que l'amendement n°2.

Article 2

M. le président.  - Amendement n°4 de Mme Cukierman et du groupe CRCE-K.

Mme Cécile Cukierman.  - Défendu.

M. le président.  - Amendement identique n°15 de M. Marc au nom de la commission des lois.

M. Alain Marc, rapporteur.  - Cet amendement supprime l'article 2, en cohérence avec la réécriture globale de l'article 1.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Je salue la démarche de Pierre Jean Rochette. Ses amendements étaient animés par un souci de sécurisation. Savoir s'incliner devant le collectif est une caractéristique de cette maison, que je salue ! Avis favorable aux amendements nos4 et 15. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, et du RDSE)

M. Pierre Jean Rochette.  - Bravo, madame la ministre !

Les amendements identiques nos4 et 15 sont adoptés.

L'article 2 est supprimé.

Article 3

M. le président.  - Amendement n°5 de Mme Cukierman et du groupe CRCE-K.

Mme Cécile Cukierman.  - Défendu.

M. le président.  - Amendement identique n°16 de M. Marc au nom de la commission des lois.

M. Alain Marc, rapporteur.  - Cet amendement supprime l'article 3, en cohérence avec la nouvelle écriture de l'article 1er.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Avis favorable.

Mme Cécile Cukierman.  - Merci !

Les amendements identiques nos5 et 16 sont adoptés.

L'article 3 est supprimé.

Après l'article 3

M. le président.  - Amendement n°17 de M. Marc au nom de la commission des lois.

M. Alain Marc, rapporteur.  - L'enjeu est de faire vivre un dialogue territorial au sein de la CDCI, pour traiter les problèmes relatifs à la qualité ou la salubrité de l'eau. Ce dialogue, non contraignant, pourra être prescriptif.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Avis favorable. Ce fameux dialogue territorial fera progresser les choses et optimisera l'organisation des compétences ainsi que la qualité du service public.

L'amendement n°17 est adopté et devient un article additionnel.

Article 4

M. le président.  - Amendement n°11 rectifié ter de M. Menonville et alii.

M. Franck Menonville.  - Cet amendement aligne la rédaction de l'article 4 sur celle de l'article 18 du projet de loi d'orientation agricole, qui prévoit que les départements reçoivent un mandat de maîtrise d'ouvrage.

M. le président.  - Amendement identique n°18 de M. Alain Marc au nom de la commission des lois.

M. Alain Marc, rapporteur.  - Avis favorable à l'amendement n°11 rectifié ter, identique à celui de la commission !

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Je salue la vigilance de Franck Menonville et du rapporteur sur la cohérence entre textes législatifs. Avis favorable. Le département me paraît être l'échelle pertinente. Cette maîtrise d'ouvrage est aussi un exemple d'accompagnement des communes par les départements : c'est une excellente idée !

Les amendements identiques nos11 rectifié ter et 18 sont adoptés.

L'article 4, modifié, est adopté.

Vote sur l'ensemble

M. Jean-Michel Arnaud, auteur de la proposition de loi .  - Je salue Mathieu Darnaud, Cécile Cukierman et nos collègues de tous les groupes qui ont participé à la réussite collective de cette première lecture. Merci aussi à notre rapporteur.

Nous avons consacré de nombreux échanges au petit cycle de l'eau, mais l'actualité du jour a rappelé la nécessité de travailler sur le grand cycle de l'eau. Le dossier catastrophes naturelles, avec le fameux zéro reste à charge annoncé urbi et orbi par l'ancienne ministre Mme Faure, demeure une priorité. Au-delà de l'émotion, il faut apporter aux maires un soutien dans la durée. Dans mon département, ils sont 53, sur 162, à attendre un accompagnement opérationnel immédiat pour reconstruire, alors que leurs finances sont exsangues.

On a parlé de la solidarité territoriale par la mutualisation, mais il faudra aussi aborder le sujet du financement de la Gemapi. Pour faire face aux phénomènes pluvieux orageux, il faut du savoir-faire, des renforts de terrain - je pense aux services RTM (restauration des terrains de montagne). Je vous renvoie à la mission d'information de Jean-Yves Roux et Jean-François Rapin.

Il faut une nouvelle assiette de calcul de la Gemapi, un accompagnement particulier des territoires, de plus en plus exposés aux effets du réchauffement climatique. Outre leur coût, ces épisodes pèsent sur l'engagement moral des élus, qui hésitent à se représenter. Je pense à la maire de Vallouise-Pelvoux, confrontée à trois séries de catastrophes naturelles en neuf mois, qui ne sait plus quoi faire.

Je fais confiance au Gouvernement pour trouver des voies de passage.

Mme Maryse Carrère .  - Je remercie le rapporteur Alain Marc pour son travail de haute couture.

Je salue également Mme la ministre. Les ministres se suivent et ne se ressemblent pas. Nous connaissions votre engagement sur ce dossier : vous ne variez pas, dans vos idées ni dans vos actions. (Applaudissements)

Ce texte n'est pas une petite loi, Cécile Cukierman l'a dit. Il répond à une demande insistante de nos maires et supprime un irritant. Il y en a d'autres : le ZAN, la Gemapi.

Il retisse une confiance entre les élus locaux et l'État. Il répond au principe de libre administration des communes. Il consacre aussi les nombreux syndicats qui fonctionnent très bien, sécurisent la ressource et investissent. Ainsi, le syndicat des Eaux de la Barousse offre un service parfait à ses plus de cent communes adhérentes depuis plus de quarante ans. Il était impensable de remettre la gouvernance de ces syndicats en question !

Je salue enfin le partage des pratiques au sein de la CDCI. Nous avons des efforts à faire. Continuons le travail ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP)

M. Loïc Hervé .  - Le Sénat va prendre une décision rationnelle et raisonnable. Nous arrivons au dixième anniversaire de la loi NOTRe. À l'époque, nous fûmes moins d'une cinquantaine à nous y opposer. Or elle a entraîné dans les territoires des difficultés majeures - je pense notamment à la compétence tourisme. Il a fallu l'opiniâtreté de nos collègues - souvent élus de la montagne - pour rappeler les réalités liées aux reliefs et aux bassins hydrographiques.

Certains hésitent encore à voter pour la proposition de loi. Je les conjure de changer d'avis. Envoyons un message de liberté aux territoires ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP et du RDSE) Les élus l'attendent, Michel Barnier l'a compris.

Si les élus veulent opter pour le transfert intercommunal, ils pourront le faire, mais ils pourront aussi choisir de garder la gestion syndicale ou communale. C'est cela la liberté, le respect des élus, le respect des agents et techniciens qui gèrent ces grandes et belles compétences. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP et du RDSE)

M. Louis Vogel .  - L'eau est un sujet essentiel, les événements récents le montrent. Nous devons trouver la manière la plus efficace de gérer ce problème.

La liberté communale, c'est la liberté des élus de transférer ou non. La disparition des compétences eau et assainissement du niveau communal a distendu le lien entre les maires et leurs administrés, ce n'est pas une bonne chose. Les communes chefs-lieux ont en outre été favorisées au détriment des communes rurales. On l'a dit, les frontières des intercommunalités ne correspondent pas aux bassins hydrographiques. Cette décision était donc une bêtise : le Sénat l'a dit dès le premier jour et a mené le combat pendant des années.

Saluons le travail de nos collègues : Mathieu Darnaud, Jean-Michel Arnaud, qui s'est battu comme un lion, Alain Marc qui a retravaillé ce texte, et Françoise Gatel, que je remercie pour sa bienveillante attention. Il est bon que les ministres en charge des collectivités locales émanent du Sénat... Vous pourrez compter sur nos votes et notre soutien à toute proposition qui ira dans le sens des libertés communales ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)

M. Stéphane Sautarel .  - Le Sénat est dans son rôle, et je remercie tous les collègues qui se sont investis pour ce résultat. Ce 17 octobre marque une étape importante.

Madame la ministre, merci d'avoir inscrit ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. J'espère que celle-ci suivra la sagesse du Sénat, dans un délai raisonnable, en espérant aboutir avant la fin de l'année.

Liberté, oui, stabilité, bien sûr, grâce aux adaptations apportées lors de l'examen du texte, et responsabilité : nous ne demandons que cela.

J'espère que ce texte sera le point de départ d'une nouvelle relation entre les collectivités territoriales et l'État. C'est une victoire collective, celle des élus locaux, des présidents de syndicat, des agents de terrain, enfin reconnus. Il résulte d'un travail partenarial, ouvert et transpartisan.

Rouvrir des possibles pour nos territoires est essentiel. D'autres rendez-vous suivront - loi de finances, urbanisme... Merci à Mme la ministre et au Premier ministre, Michel Barnier, d'avoir rouvert ce débat.

« C'est avec des fissures que commencent à s'effondrer les cavernes ». Ouvrons des possibles pour nos territoires, en liberté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Daniel Salmon .  - Nous voterons cette proposition de loi. (M. Loïc Hervé s'en réjouit.) Reste qu'il est souvent pertinent de transférer ces compétences aux intercommunalités, qui font vivre la solidarité. C'est l'échelon adapté pour l'ingénierie, pour passer en régie, monter des sociétés publiques locales. À Rennes Métropole, la gestion publique a fait baisser les prix et amélioré l'entretien du patrimoine.

L'eau se moque des frontières, communales ou intercommunales.

J'ai une pensée pour tous ceux qui sont touchés par les inondations. Aujourd'hui, en une heure, 33 mm d'eau sont tombés sur le jardin du Luxembourg ! Pourtant, tout cela était écrit. Il faut enfin prendre la mesure du réchauffement climatique, lutter pied à pied et s'adapter.

Nous voterons cette proposition de loi -  mais gare à ne pas sacrifier la solidarité à la liberté. Le texte est bordé. Les communes de montagne ont des particularités dont il faut tenir compte, mais ne sabordons pas ce qui fonctionne.

Mme Cécile Cukierman .  - Je suis heureuse de ce vote. Mais que de temps perdu ! Dix ans ! Si nous avions pris le temps d'écouter les territoires, dans le respect des uns et des autres, nous aurions pu aboutir plus tôt.

Le texte que nous votons ce soir n'est pas un texte contre l'intercommunalité. Ce n'est pas l'expression d'un Sénat gauchisant, criant à la liberté et à la révolution permanente : c'est un texte de raison, qui revient sur une volonté jusqu'au-boutiste, en partant des réalités. Il doit désormais poursuivre son parcours, et aboutir rapidement. La liberté ne s'impose jamais, elle se construit. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE)

M. Cédric Vial .  - C'est un grand jour. Nous avions déjà voté la proposition de loi de Mathieu Darnaud. Ce qui change désormais, ce sont les perspectives ouvertes par notre Premier ministre Michel Barnier. Ce n'est pas un hasard si c'est un Savoyard, un montagnard qui a pris ces engagements : il connaît les enjeux de l'eau, de l'assainissement, des risques. Mme la ministre aussi, même si son département d'origine est moins montagneux. (Sourires)

Il s'agit de liberté, de libre administration des collectivités, mais aussi de simplification des démarches.

Quel sens donne-t-on à l'intercommunalité ? Elle ne doit pas être une supracommunalité, mais un territoire avec des compétences partagées.

J'ai une pensée pour les communes de Haute-Maurienne.

Merci à tous ceux qui ont pris part au texte : le président Darnaud, le rapporteur Alain Marc, notre ministre Françoise Gatel, mais aussi Mme Cukierman. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDSE)

M. Christophe Chaillou .  - À mon tour de dire toute ma solidarité avec les territoires touchés par les phénomènes météorologiques - qui ne tarderont sans doute pas à gagner le Loiret...

Mon engagement politique est motivé par mon attachement à la décentralisation et à la liberté des territoires, principe que j'estime fondamental. Rappelons que les lois de décentralisation ont suscité beaucoup de critiques, notamment lors de la création des intercommunalités - aujourd'hui largement acceptées sur tous les bancs. Il y avait du positif dans la loi NOTRe, qui a fait l'objet d'ajustements.

Je voterai cette proposition de loi, car j'ai dit il y a un an aux grands électeurs du Loiret que j'agirais avec pragmatisme, en m'appuyant sur mon expérience de maire. J'estime qu'il faut faire confiance aux élus.

Madame la ministre, il ne suffit pas d'accorder une liberté souhaitée par certaines communes - quand on les étouffe toutes financièrement. Le projet de loi de finances à venir inquiète les élus locaux, qui sont en pleine préparation de leur budget...

M. Mathieu Darnaud .  - Je me réjouis de ce vote quasi unanime qui vient consacrer un travail de longue haleine, porté par des élus de tous les territoires. C'est une oeuvre collective. Je salue le travail de notre rapporteur, qui a su faire preuve d'une grande agilité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, CRCE-K et du RDSE)

Ce texte devra s'accompagner de financements, notamment pour les agences de l'eau qui se sont détournées des communes isolées.

Je me réjouis de l'examen rapide à l'Assemblée nationale, car les élus ont besoin de visibilité. Madame la ministre, chère Françoise, je salue votre disponibilité, votre écoute. Les Ardéchois sont prévoyants : une proposition de loi a été déposée par Fabrice Brun à l'Assemblée nationale - il existe aussi celle de Jean-Yves Roux. Tout est prêt pour rendre aux élus la loi qu'ils attendent sur l'eau et l'assainissement. (Applaudissements)

Mme Anne-Marie Nédélec .  - J'ai moi aussi une pensée pour les communes qui subissent actuellement de fortes intempéries. Je suis très attachée à la libre administration des communes, au respect du travail des maires qui, surtout dans les petites communes, se sentent dépossédés.

Je suis une élue non pas de la montagne mais de la ruralité profonde. Je suis un peu triste pour les agglomérations rurales, pour lesquelles ce transfert de compétences imposé est une calamité. J'ai longtemps espéré un retour en arrière. Néanmoins, nous avons fait un grand pas ce soir.

Laissons les maires choisir la solution la plus pertinente pour eux ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

M. Olivier Bitz .  - Je salue le travail de Jean-Michel Arnaud et du rapporteur. Madame la ministre, nos territoires savent qu'ils peuvent compter sur votre engagement, votre connaissance fine des réalités de nos communes, notamment rurales.

Le travail de rationalisation de la gestion des compétences eau et assainissement se poursuivra sur le territoire, sur la base du volontariat. Dans l'Orne, un important travail a été mené par notre ancien collègue Jean-Claude Lenoir.

Le moment est opportun car de nombreux maires hésitent à se représenter en 2026. Nous leur adressons un beau message de confiance. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. Alain Marc, rapporteur de la commission des lois .  - Je salue l'esprit collaboratif qui a présidé à nos travaux, auxquels tous ont participé. Certains ont été facilitateurs, ils se reconnaîtront. La collaboration avec le Gouvernement a été fructueuse, grâce à la ministre Françoise Gatel. Nul doute que ce texte prospérera.

On le sait, d'autres dispositions posent problème aux territoires, notamment ruraux, et appellent des corrections. Je pense notamment au ZAN. Nous comptons sur cet esprit de coopération entre le Sénat et le Gouvernement pour y parvenir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité, du commerce et de l'artisanat .  - Cela faisait dix ans que nous parlions de ce sujet. Nous vivons un moment fort. Dès sa déclaration de politique générale, le Premier ministre Michel Barnier a exprimé sa détermination à prendre en compte la réalité et la diversité des territoires, à écouter les élus et à construire des solutions qui fonctionnent.

Le Premier ministre vient de la montagne...

M. Loïc Hervé.  - De la Savoie !

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - ... mais il y a aussi des montagnes en Bretagne : les monts d'Arrée, qui culminent à 385 mètres d'altitude ! (Rires et applaudissements)

Comme à son habitude, le Sénat ouvre de nouvelles portes, celle du ZAN - le Premier ministre en a parlé également.

Dans cet hémicycle, nous sommes encouragés par Portalis, selon qui « les lois sont faites pour les hommes et non les hommes pour les lois ». Ne l'oublions pas, quand nous légiférons !

Le travail de correction qui aboutit aujourd'hui témoigne de la persévérance, de l'obstination du Sénat. J'ai travaillé en binôme avec Mathieu Darnaud sur les lois Engagement et proximité et 3DS : à peine avait-il salué la ministre qu'il lui parlait eau et assainissement !

M. Mathieu Darnaud.  - C'est la persévérance !

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée.  - Je salue l'esprit transpartisan et constructif du Sénat. Nos élus locaux doivent avoir le sentiment d'adhérer à une communauté.

Michel Barnier a annoncé une conférence nationale sur l'eau. C'est un homme de parole, on peut lui faire confiance. Ce soir, le dispositif de gestion des risques a déjà été enclenché.

J'étais dans les Hautes-Alpes la semaine dernière pour le congrès des élus de la montagne. J'ai rencontré et écouté les maires de petites communes isolées par l'effondrement de routes. Je salue l'engagement du préfet auprès des communes. Nous travaillons activement aux réponses à leur apporter. Je vous en informerai, cher Jean-Michel Arnaud.

Nous n'avons pas détricoté l'esprit de solidarité de l'intercommunalité. L'intercommunalité, c'est un espace de coopération où l'on fait ensemble ce qu'on ne peut faire seul. (M. Loïc Hervé le confirme.) Dans la mienne, j'ai travaillé sur l'assainissement avec une commune qui n'appartenait pas à la communauté de communes mais à la métropole. Question de bon sens, et d'efficacité !

Enfin, je salue une oeuvre collective. Jean-Yves Roux, qui était au congrès des maires de son département ce matin, a pris l'avion pour être présent au Sénat à 17 heures. Je salue le travail du rapporteur Alain Marc, qui a fait du cousu main.

Parlera-t-on du 17 octobre des libertés, comme on parle du 4 août des privilèges ? (Sourires) Je l'ignore. Mais en partant des réalités, les choses fonctionneront mieux, chacun sera à sa place.

Comme aurait pu le dire Michel Blanc, nous avons conclu ce soir. (Sourires)

Quarante départements sont touchés par les intempéries, dont six en vigilance rouge. Nous sommes aux côtés des maires et leur exprimons notre reconnaissance. Ils sont à la fois libres et responsables.

À la demande des groupes Les Républicains et SER, la proposition de loi, modifiée, est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°18 :

Nombre de votants 331
Nombre de suffrages exprimés 326
Pour l'adoption 282
Contre   44

La proposition de loi, modifiée, est adoptée.

(Applaudissements)

Modifications de l'ordre du jour

M. le président.  - Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a demandé l'inscription en premier point de l'ordre du jour du mardi 5 novembre :

- du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sur la création d'un espace aérien commun entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République d'Arménie, d'autre part et de l'accord sur la création d'un espace aérien commun entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et l'Ukraine, d'autre part ;

- du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République d'Indonésie relatif à la coopération dans le domaine de la défense ;

- du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de l'État indépendant de Papouasie-Nouvelle-Guinée relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces ;

- du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l'accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale ;

Ces projets de loi seraient examinés selon la procédure d'examen simplifié.

Le Gouvernement a également demandé l'inscription en avant-dernier point de l'ordre du jour du 5 novembre, sous réserve de leur dépôt, des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l'échelle locale.

Acte est donné de ces demandes.

Nous pourrions en conséquence prévoir de siéger le soir du 5 novembre ; fixer le délai limite de demande de retour à la procédure normale pour l'examen des 4 conventions en forme simplifiée au jeudi 31 octobre à 15 heures, et fixer le délai limite d'inscription des orateurs des groupes sur les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l'échelle locale au lundi 4 novembre à 15 heures.

Il en est ainsi décidé.

Le Gouvernement a également demandé l'inscription à l'ordre du jour du mercredi 6 novembre en dernier point de l'ordre du jour de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à poursuivre l'expérimentation relative au travail à temps partagé aux fins d'employabilité.

Acte est donné de cette demande.

Nous pourrions en conséquence prévoir de siéger éventuellement le soir du 6 novembre ; fixer le délai limite de dépôt des amendements de séance sur cette proposition de loi au lundi 4 novembre à 12 heures, et fixer le délai limite d'inscription des orateurs dans la discussion générale sur ce texte au mardi 5 novembre à 15 heures.

Il en est ainsi décidé.

Prochaine séance, mardi 17 octobre 2024, à 9 h 30.

La séance est levée à 19 h 30.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mardi 22 octobre 2024

Séance publique

À 9 h 30, 14 h 30 et le soir

Présidence :

M. Alain Marc, vice-président, M. Dominique Théophile, vice-président, M. Pierre Ouzoulias, vice-président

Secrétaires : Mme Catherine Di Folco, Mme Véronique Guillotin

1. Questions orales

2. Éloge funèbre

3. Explications de vote des groupes puis scrutin public solennel sur le projet de loi de simplification de la vie économique (procédure accélérée) (texte de la commission, n°635, 2023-2024)

4. Projet de loi, rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2023 (n°32, 2024-2025)

5. Projet de loi, rejeté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d'approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2023 (n°35, 2024-2025)