SÉANCE

du mercredi 15 janvier 2025

37e séance de la session ordinaire 2024-2025

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mmes Catherine Di Folco et Patricia Schillinger.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution.

M. François Bayrou, Premier ministre .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP, ainsi que sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains) Je n'ai pas l'intention de refaire le discours de politique générale que vous avez entendu hier - certains diront peut-être longuement... - par la voix de la ministre d'État Élisabeth Borne. J'en rappellerai simplement les grandes lignes.

Nous sommes entrés dans un temps extrêmement dangereux. Les nations qui avaient vécu pendant trois quarts de siècle dans un ordre qui paraissait établi et immuable ont basculé, au moment de l'attaque de la Russie de Vladimir Poutine contre l'Ukraine, dans un autre univers, commandé par la loi du plus fort, qui impose sa volonté aux autres.

Autour de cette agression, naguère inimaginable, se sont unis des pays qui ont profité de ce bouleversement de l'ordre international pour se glisser dans l'alliance de ceux qui en contestent la validité. C'est ainsi que l'Iran et la Corée du Nord ont participé à l'agression, par la fourniture d'armes et même par la mobilisation de forces humaines sur le terrain.

À ces éléments militaires s'en ajoutent d'autres, économiques, commerciaux et industriels.

Le mois dernier, la Chine a franchi le cap des 1 000 milliards d'euros d'excédent commercial. Notre Europe est d'une certaine manière paralysée, parce qu'elle respecte des règles que d'autres ne respectent pas, dans une démarche de dumping extrêmement agressive.

Longtemps nos alliés dans la défense de l'ordre international, les États-Unis ont réorienté leur politique vers l'affirmation de la puissance et une tentative de domination technologique, industrielle et commerciale, avec l'aide d'un système judiciaire extrêmement efficace, qui impose les normes américaines à tous ceux qui commercent en dollar. Cela crée un déséquilibre, et les fonds disponibles pour l'investissement se précipitent vers les États-Unis. Il en résulte une distorsion de puissance et de croissance phénoménale.

L'Allemagne, première puissance économique européenne, est en récession depuis deux ans. La France, elle, a enregistré l'année dernière une croissance supérieure à 1 %. C'est une différence de situation que nous pouvons revendiquer, sans qu'elle résolve tous nos problèmes.

Face aux tentatives de domination dont j'ai parlé, nous n'avons qu'une ressource : que l'Union européenne s'affirme comme entité et comme volonté. La France, le Président de la République, y travaillent, avec le concours de parlementaires de nombreuses sensibilités. Nous avons un marché et une capacité industrielle et de recherche qui nous permettent de faire jeu égal avec les États-continents.

La France connaît une situation particulière, marquée par un endettement croissant confinant au surendettement, contre lequel j'ai longtemps essayé, avec quelques autres, d'alerter l'opinion nationale, sans parvenir à mobiliser toutes les forces du champ démocratique au moment où il était déjà temps d'agir.

L'heure est au ressaisissement. J'en ai présenté hier les grandes lignes. Entrons donc dans le vif du sujet. (Marques d'ironie)

M. Rachid Temal.  - Enfin !

M. François Bayrou, Premier ministre.  - La question des retraites est devenue centrale, presque obsédante, dans le débat public. Pendant des années, je n'ai pas réussi à mobiliser l'attention sur le grave déséquilibre de financement de notre système.

Le total des pensions versées s'est élevé l'an dernier à 380 milliards d'euros. Dans un système par répartition, cette dépense devrait être couverte par les cotisations des actifs et des entreprises. Or ces cotisations et les transferts d'impôt prévus représentent 325 milliards d'euros. En d'autres termes, la puissance publique dépense chaque année 55 milliards d'euros pour les retraites.

M. Stéphane Ravier.  - C'est le coût de l'immigration ! (Nombreuses marques de désapprobation à gauche)

M. François Bayrou, Premier ministre.  - Plus précisément, de 10 à 15 milliards d'euros sont versés par les collectivités territoriales, de 40 à 45 milliards d'euros par l'État. Et ce transfert annuel, de l'ordre de 1,8 % du PIB, dure depuis le début des années 1990.

Or de cet argent public, nous n'avons pas le premier centime. Nous l'empruntons, tous les ans, depuis des décennies. C'est ainsi que la part de notre dette liée aux retraites est de l'ordre de 50 %.

Ce fait a été très longtemps nié, y compris par les organismes officiels. Il y a deux ou trois ans encore, notre système était présenté comme équilibré, et même - tenez-vous bien - légèrement excédentaire. (M. Emmanuel Capus approuve.)

Comme la structure démographique du pays est très déséquilibrée, il n'y a aucun espoir que cette situation s'améliore naturellement. Ou plutôt, il n'y a qu'un espoir, qui tient à notre politique économique : si notre taux d'emploi était celui de nos voisins, si notre productivité progressait comme la leur, nous n'aurions pas, pour l'instant, de problèmes de financement des retraites. Mais cela est illusoire, compte tenu de nos difficultés économiques.

Il est donc impossible d'imaginer l'avenir sans une réforme de notre système de retraites. Michel Rocard avait dit : il y a là de quoi faire tomber dix gouvernements. Dix, l'estimation me paraît modeste...

Le gouvernement dirigé par Élisabeth Borne, que je remercie d'avoir rejoint le mien, a mené la réforme la plus récente. Comme toutes, elle a été discutée et contestée. Au cours des derniers mois et semaines, nous avons constaté avec intérêt que de nombreux partenaires sociaux pensent avoir trouvé des voies d'amélioration de notre système. Les prenant au mot, nous leur disons : le moment est peut-être venu de rouvrir cette question et de remettre sur le chantier la réforme du système de retraites.

Les partenaires sociaux se sont tous, à ma connaissance, déclarés favorables à la reprise de ce travail en commun. Tous ont dit être prêts à rediscuter. Nous avons donc ouvert un nouveau cycle de travail. Ce travail est confié principalement aux partenaires sociaux - l'État y participe naturellement, comme responsable de la retraite des agents publics.

Nombre d'acteurs politiques mettent en doute la volonté des partenaires sociaux de s'entendre ou leur capacité à le faire. Mais la confiance accordée aux partenaires sociaux et la démocratie sociale sont l'un des piliers de notre démocratie ! Les partenaires sociaux sont légitimes et nous leur faisons confiance. Tout récemment encore, la plupart d'entre eux ont indiqué que cet espoir valait mieux que la stagnation.

Je les réunirai dès vendredi, sur le fondement d'un constat indiscutable, puisque découlant d'une mission flash de la Cour des comptes visant à établir la réalité chiffrée du financement des retraites. J'imagine que nul ici ne remet en cause l'indépendance de la Cour des comptes. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP)

Mmes Émilienne Poumirol, Marie-Pierre de La Gontrie et Raymonde Poncet Monge.  - Et le COR ?

M. François Bayrou, Premier ministre.  - Nous devons défendre les institutions grâce auxquelles nous pouvons diriger notre destin. La Cour des comptes en est une.

Ce travail des partenaires sociaux aura un horizon assez proche, pour que personne ne puisse soupçonner qu'on cherche à noyer le poisson ou qu'on joue l'attentisme. (On ironise sur certaines travées à droite.) J'ai fixé une durée de trois mois, conformément au souhait de certaines organisations syndicales.

Je crois possible, probable même, que des voies d'amélioration soient trouvées. Si tel est le cas et que l'équilibre financier est respecté, un texte de loi sera soumis à l'Assemblée nationale et au Sénat pour traduire le résultat des négociations. En cas d'échec, nous en resterons au texte actuel (M. Francis Szpiner s'en félicite) : c'est le seul moyen de sauver l'image de notre pays - pensez aux agences de notation, qui jouent un rôle si important pour l'évolution de notre crédit auprès des investisseurs.

Un certain nombre de courants politiques soutiennent que les organisations patronales voudront faire échouer cette négociation. Je ne le crois pas. J'ai confiance dans le fait que tous les partenaires sociaux ont la volonté de réaliser des progrès. Je le réaffirme : la démocratie sociale est vitale pour notre pays.

Enfin, si cette conférence sociale débouche sur des accords partiels, nous les reprendrons dans un texte de loi soumis au Parlement.

En tout état de cause, la démocratie parlementaire aura le dernier mot, et il est bon qu'il en soit ainsi.

Telles sont les trois hypothèses pour le résultat de cette démarche, qui est la voie la plus franche, la plus transparente et la plus honnête qu'on puisse emprunter.

J'en viens à la question du budget.

Nous repartons de l'état de la délibération atteint au Sénat. Non pas - que nul ne le prenne mal - que le texte dans son état actuel soit parfait.

M. Jean-François Husson.  - Il est bien...

M. François Bayrou, Premier ministre.  - Mais c'est le seul moyen d'aboutir rapidement, pour ne pas aggraver les dégâts causés par l'absence de budget.

Pour répondre à votre demande de transparence et de sincérité, monsieur le président du Sénat, nous réviserons l'hypothèse de croissance de 1,1 à 0,9 %, soit la prévision de la Banque de France. De même, l'inflation prévisionnelle sera ramenée à 1,4 %. (M. Jean-François Husson s'en félicite.)

Nous visons un déficit non de 5, mais de 5,4 %. Nous espérons y arriver...

M. Jean-François Husson.  - Il le faut !

M. François Bayrou, Premier ministre.  - ... compte tenu des interventions innombrables de ceux qui, tout en défendant l'équilibre des comptes, proposeront des dépenses supplémentaires dans tous les domaines et avec les meilleures raisons du monde.

Nous protégeons les collectivités territoriales en maintenant la décision du Sénat de ramener leur effort à 2,2 %.

Nombreuses voix.  - Milliards !

M. François Bayrou, Premier ministre.  - En effet : 2,2 milliards d'euros, contre 5 milliards d'euros initialement prévus. Cette mesure permettra notamment de rétablir l'équilibre des budgets de fonctionnement, ce qui est une clé des budgets d'investissement. Les collectivités sont le principal pôle d'investissement public. C'est pourquoi nous sommes totalement de l'avis du Sénat sur ce point. (Applaudissements sur de nombreuses travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)

S'agissant du PLFSS, il faut souligner une évolution considérable : nous relevons l'Ondam de 2,9 à 3,3 %. Plusieurs milliards d'euros supplémentaires iront ainsi, notamment, au financement des hôpitaux.

Voix à gauche. - Millions !

M. le président. - Veuillez poursuivre.

M. François Bayrou, Premier ministre.  - Tout le monde n'est pas obligé d'avoir le sens des ordres de grandeur (exclamations ironiques sur diverses travées), ...

M. Pascal Savoldelli.  - Un peu quand même...

M. François Bayrou, Premier ministre. - ... même si je pense que l'arithmétique est l'une des bases de l'enseignement primaire...

Le Gouvernement assume cet effort considérable au service de notre système de santé.

Pour l'essentiel, ce sont les choix budgétaires du Sénat que nous retenons. En particulier, nous entendons nous attaquer aux dépenses improductives ou excessives. Nous regarderons de près le budget des agences et les augmentations injustifiées. Je ne parle pas de « budget base zéro », comme dans d'autres pays européens, mais il faut reconsidérer la structure de notre dépense publique en fonction de l'utilité sociale et démocratique des politiques.

Nous prévoyons la baisse de dépenses la plus importante qui ait jamais été proposée au Parlement : 30 milliards d'euros. L'effort est très difficile, mais si nous ne prenons pas à bras-le-corps le rééquilibrage de nos comptes, tout ce que nous ferons par ailleurs sera vain.

Telle est notre méthode de réforme, marquée par le courage nécessaire et la prise en compte des défis nationaux, européens et internationaux. C'est le seul moyen d'être à la hauteur de l'heure et de notre mission. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP, sur des travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Yannick Jadot.  - Pas un mot sur l'écologie !