Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution (Suite)
M. Mathieu Darnaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Pour la seconde fois en moins de six mois, nous débattons sur une déclaration de politique générale. La répétition de cet exercice n'est pas commune sous la Ve République. Elle témoigne d'une instabilité insupportable pour nos concitoyens.
Je ne parlerai pas de crise de régime, car nous n'en sommes heureusement pas là : l'extraordinaire plasticité de la Constitution de 1958 nous a protégés et, contrairement à ce que d'aucuns prétendent, nous protège encore.
M. Max Brisson. - Très bien !
M. Mathieu Darnaud. - Pour autant, la situation, inédite, nous oblige à des actions fermes, claires et efficaces. Nous en sommes loin. Mais l'audace n'est jamais impossible et la volonté, toujours envisageable.
Je rends hommage à votre prédécesseur, Michel Barnier. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; M. Jean-Baptiste Lemoyne et Mme Véronique Guillotin applaudissent également.) Après sa déclaration de politique générale, j'avais insisté sur la gravité du moment et notre responsabilité collective. Moins de trois mois plus tard, nous voici revenus à la case départ en raison d'une irresponsable alliance des contraires.
M. Alain Chatillon. - Très bien !
M. Mathieu Darnaud. - L'urgence de l'action s'est accrue. Car, n'en déplaise aux mauvais esprits, il faut un budget pour qu'un pays avance, une stabilité politique pour qu'une République protège, une vision politique pour qu'un gouvernement entraîne son peuple.
La France pourra-t-elle encore peser en Europe et dans le monde si elle perd la maîtrise de son destin ? Le monde de 2025 ne fera pas de cadeaux aux nations fragiles.
Dans ce contexte, il ne nous faut rien de moins qu'un rétablissement historique, comparable à celui de 1958. Il faut montrer à nouveau aux Français une voie de progrès et d'espoir. Saurez-vous le faire, monsieur le Premier ministre ? J'ose l'espérer.
Si l'on devait résumer en trois mots la période actuelle, ces mots seraient : urgence, responsabilité, action.
Urgence parce que, pour la première fois depuis 1979, la France est dépourvue d'un budget. Et les Français s'impatientent ! Le vote d'un budget sincère et cohérent est indispensable. Urgence aussi, car la crise politique que nous traversons a été exacerbée par la censure du gouvernement de Michel Barnier. Urgence en outre, parce que les tensions géopolitiques sont attisées et menacent notre souveraineté : la guerre sévit en Ukraine, l'impérialisme américain ressurgit et le Moyen-Orient souffre d'une instabilité chronique. Urgence enfin, car la France est fragilisée dans son système de protection sociale, sa capacité économique, sa justice et sa sécurité.
Vous avez souhaité ouvrir un dialogue avec les représentants des différentes forces politiques. Je vous ai exposé nos priorités. C'est le respect de ces priorités qui conditionne notre soutien au programme que vous venez de présenter.
Ce soutien est vigilant, car toutes les réponses ne sont pas encore apportées et des points restent à clarifier. C'est au fil de l'action concrète que l'on peut juger d'un programme de gouvernement. C'est aussi en vous appuyant sur les travaux du Sénat que vous pourrez réussir.
Ni rejet a priori ni soutien inconditionnel : nous jugerons sur pièces. Contrairement à d'autres, nous n'affichons pas d'emblée ces « lignes rouges » très à la mode ; mais nous avons des convictions, que vous connaissez.
Sur le budget, nous ne voulons pas de hausse d'impôt. Dans un pays détenant déjà le triste record du taux de prélèvements obligatoires, ce ne serait pas acceptable. N'est-il pas temps d'entériner un changement de paradigme, d'oser enfin réduire la dépense publique ? Vous y semblez prêt. Montrez aux Français que vous pouvez transformer un État boursouflé et empêtré dans ses lourdeurs bureaucratiques.
Je pense à la multiplication des agences et opérateurs de l'État, qui doublonnent les administrations et tendent à rendre l'État toujours plus impuissant. Le temps est venu de mener un audit de ces structures, car il y a là des pistes d'économies.
L'État doit se recentrer sur ses missions premières, être plus efficace et moins dispendieux. Il doit protéger les plus faibles, sans étouffer les classes moyennes et mieux accompagner les Français dans la nécessaire transition écologique, en préférant enfin l'incitation à la punition.
Lors du début de l'examen du PLF, notre groupe a formulé des propositions d'économies pragmatiques, adoptées par le Sénat. N'hésitez pas à vous en inspirer ! Comme le disait Gambetta, « lorsque le Sénat délibère, c'est la République qui réfléchit. »
Vous avez souligné les menaces pesant sur la pérennité de notre système de retraite. Notre responsabilité de parlementaires et votre responsabilité de gouvernant est de veiller à ce qu'il perdure dans de bonnes conditions. Pourtant, si vous avez dissipé quelques doutes, vous en avez créé d'autres. (M. Roger Karoutchi renchérit.) En particulier, quel rôle le Parlement jouera-t-il ? Il vous faudra très vite être plus clair.
Une autre priorité consiste à créer le meilleur environnement possible pour que les acteurs économiques travaillent et innovent. Nous devons soutenir nos entreprises, de toute taille, face à une concurrence mondiale de plus en plus féroce. Vous en avez peu parlé.
Je pense en particulier aux agriculteurs. Ils ont choisi de nourrir les hommes, l'un des plus beaux métiers, et permettent encore à notre commerce extérieur de briller dans l'agroalimentaire. Mais pour combien de temps ? Car ils souffrent de la surtransposition des normes, de la concurrence déloyale intra-européenne, des nouvelles pandémies animales, des difficultés d'approvisionnement en eau et du réchauffement climatique. Ils ont de plus en plus de mal à vivre dignement de leur activité.
Pour nos territoires, comme pour notre souveraineté alimentaire, nous devons tout mettre en oeuvre pour leur donner un avenir. Depuis longtemps, beaucoup de promesses leur ont été faites, mais peu ont été tenues. La dissolution de l'Assemblée nationale, puis la censure du gouvernement de Michel Barnier, ont encore retardé la réponse de l'État. À quelques semaines du salon de l'agriculture, le temps de l'action est venu ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Jean-François Longeot et Alain Marc applaudissent également.)
Nous débuterons dans quelques jours l'examen de la proposition de loi de nos collègues Laurent Duplomb et Franck Menonville visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur. Nous demandons au Gouvernement de soutenir ce texte complémentaire de la future loi d'orientation agricole et qui permettra une réponse concrète et immédiate.
Autre priorité, sans surprise : les collectivités territoriales. Nous sommes arrivés au bout d'un système trop centralisé, qui tourne le dos aux réalités des territoires. Jour et nuit, nos élus locaux tentent de régler de multiples problèmes et se débattent dans un amas de normes, contraintes et injonctions de tous ordres. Ils sont trop souvent étouffés par un pouvoir centralisateur et autocentré. Les maires, en particulier, sont parfois agressés. Ils sont épuisés. Ce sont pourtant eux qui incarnent et font vivre la démocratie de proximité, « à portée d'engueulade », comme le dit M. le président du Sénat.
Nos élus demandent plus de décentralisation et plus de confiance en leur action. Vous qui êtes maire, monsieur le Premier ministre, vous pouvez le comprendre mieux que quiconque.
Le Sénat a conduit de nombreux travaux pour réaffirmer la liberté communale. Les compétences eau et assainissement, le ZAN ou le statut de l'élu local ne sont pas des marottes sénatoriales : ce sont des enjeux essentiels pour libérer les territoires. Ainsi, le ZAN est emblématique de l'inflation normative d'un État ankylosé, vertical et parfois incohérent. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Yannick Jadot. - Sérieusement ?
M. Mathieu Darnaud. - Nous avançons des propositions concrètes avec la proposition de loi dite Trace de Jean-Baptiste Blanc et Guislain Cambier.
Le ZAN fait aussi partie des multiples verrous qui bloquent l'accès à la propriété. Chacun doit pouvoir, dans la mesure de ses moyens, devenir propriétaire. Il est urgent de mettre en place une grande politique du logement !
J'en viens au régalien, une priorité évidente et qui fait désormais consensus. Les Français attendent qu'elle soit réaffirmée avec force. Je pense à la sécurité des biens et des personnes, au retour de l'ordre public, au respect de l'État et de ses représentants, à la maîtrise de l'immigration. Nous comprenons de vos propos qu'ils traduisent le soutien que vous apportez à l'action de votre ministre de l'intérieur, notre ancien collègue Bruno Retailleau. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
Ni l'ordre républicain ni la laïcité ne doivent pouvoir être bafoués sans réponse ferme de l'État. « L'histoire nous enseigne qu'une civilisation, pour garder la maîtrise de son destin, doit se donner les moyens de sa sécurité » : ces mots de Jacques Chirac sont plus que jamais d'actualité. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)
M. Philippe Bas. - Bravo !
M. Mathieu Darnaud. - La police, la justice et l'armée doivent être dotées d'un budget suffisant.
Sûrement faudra-t-il créer un parquet national spécialisé dans le narcotrafic et la criminalité organisée. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Plusieurs propositions de loi sont prêtes sur les sujets clés : nous espérons que celle sur le narcotrafic sera rapidement adoptée.
Il y a beaucoup à faire sur l'immigration. Votre ministre de l'intérieur a agi avec efficacité. Donnez-lui les moyens d'agir.
M. Laurent Burgoa. - Bravo !
M. Mathieu Darnaud. - L'outre-mer a besoin d'un accompagnement agile et intelligent. Je pense à Mayotte, territoire dévasté qui aspire à une reconstruction globale, à la Nouvelle-Calédonie, à la Martinique et à la Guadeloupe, où il faut lutter contre la cherté de la vie.
Vous êtes devant le Sénat, où se mêlent sagesse et audace, liberté de pensée et capacité de consensus, oeuvre législative et contrôle. Vous pouvez faire preuve de pragmatisme et vous appuyer sur nos travaux.
La gravité du moment nous oblige tous. Il est temps de parler enfin de la France aux Français.
M. Stéphane Ravier. - La France aux Français ! Bravo !
M. Mathieu Darnaud. - Vous avez l'immense responsabilité de redonner du souffle à l'action publique et de sortir des solutions toutes faites. (On tape sur les pupitres à gauche, l'orateur ayant dépassé son temps de parole.)
Cette responsabilité politique, en son sens le plus noble, est ce qu'attendent nos concitoyens. Comme le disait Stefan Zweig, « une seule chose fatigue l'homme : l'hésitation et l'incertitude ». Alors, monsieur le Premier ministre, ayez le courage d'agir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ainsi que sur quelques travées des groupes INDEP et UC)
M. Patrick Kanner . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La semaine prochaine, Donald Trump deviendra le 47e président des États-Unis.
M. Stéphane Ravier. - Bravo ! (Sourires à droite)
M. Patrick Kanner. - Dès lors, c'est sa vision du monde qui sera imposée, au détriment de l'Otan, de l'Ukraine ou du Groenland. Pendant ce temps, les populismes gagnent l'Europe, la situation s'enlise au Proche-Orient et les relations se tendent avec l'Algérie.
Le monde est en ébullition et la France d'Emmanuel Macron se regarde le nombril. Oui, j'en veux au Président de la République d'avoir affaibli la voix de notre pays sur la scène internationale, avec sa dissolution incompréhensible. Comment accorder le moindre crédit à une nation gouvernée par un pouvoir instable, en contradiction totale avec le résultat des élections législatives ? (M. Mickaël Vallet applaudit.)
Face à ce chaos, la tentation était grande de laisser l'exécutif face à ses propres turpitudes. Nous aurions pu rester passifs. Cela n'a pas été notre choix. Nous demeurons dans l'opposition...
M. Joshua Hochart. - Si peu ! (M. Stéphane Ravier renchérit.)
M. Patrick Kanner. - ... fondamentalement, car nous ne partageons ni vos convictions ni vos priorités. Le budget que vous construisez n'est en aucun cas le nôtre et nous saurons vous le rappeler le moment venu.
Nous ne serons jamais vos alliés, ni vos partenaires. Nous ne sommes pas guidés par un intérêt personnel. (Vives exclamations à droite ; on ironise.)
M. Jacques Grosperrin. - Qui le croit ?
M. Patrick Kanner. - Nous n'avons jamais réclamé le moindre portefeuille ministériel.
En aucune façon, nous n'aurions pu envisager de participer à un gouvernement dont nous ne partageons pas le projet. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Notre seul honneur, c'est d'arracher des victoires. (M. Stéphane Ravier ironise.) C'est d'éviter la facture de l'incurie budgétaire d'Emmanuel Macron. Les Français n'attendent pas le grand soir mais veulent vivre mieux.
Je suis fier d'être socialiste aujourd'hui (on ironise à droite ; applaudissements à gauche), d'appartenir à une famille politique qui a obtenu des progrès pour nos concitoyens. Je vous invite à un peu d'humilité, chers collègues Les Républicains ! Sans la gauche, la taxe sur l'électricité aurait augmenté ; les consultations médicales auraient été déremboursées (applaudissements sur les travées du groupe SER) ; les retraites n'auraient pas été indexées sur l'inflation... (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Jean-François Husson. - C'est faux. (M. Laurent Somon renchérit.)
M. Patrick Kanner. - Monsieur le Premier ministre, vous vous êtes engagé à revenir sur la réforme des retraites. Ce serait réparer une injustice sociale, celle d'un départ à la retraite à 64 ans.
M. Bruno Sido. - C'est suffisant.
M. Patrick Kanner. - C'est un impôt sur la vie des Français qui subissent des métiers pénibles, des carrières longues ou hachées.
Ce serait aussi réparer une anomalie démocratique. (M. Jean-Baptiste Lemoyne le conteste.) Nous avons tous en mémoire la brutalité avec laquelle cette réforme a été imposée, malgré l'opposition des Français. Suspendre cette réforme est salutaire.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - C'est irresponsable !
M. Patrick Kanner. - Oui, il faut replacer les partenaires sociaux au centre des discussions et leur donner la possibilité de trouver un accord qui sauvegarde notre système par répartition.
Si les partenaires sociaux ne parvenaient pas à un accord dans les délais fixés, par le veto de fait du Medef, il serait intolérable de revenir à la loi de 2023. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
Le Parlement devra impérativement avoir le dernier mot.
M. Roger Karoutchi. - On l'a déjà eu !
M. Patrick Kanner. - Notamment sur l'âge de départ à la retraite et la durée de cotisation.
M. Bruno Sido. - Démago !
M. Patrick Kanner. - Nous voulons vous entendre sur ces points. Le compte n'y est pas.
Nous n'acceptons pas la provocation qui consiste à parler d'un déficit de 40 à 45 milliards d'euros par an. C'est une manipulation que d'annoncer un déficit exagéré pour mettre les partenaires sociaux face à un défi impossible à relever. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
C'est une manoeuvre issue de vos travaux au Plan, refusée à deux reprises par le COR. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST et sur quelques travées du groupe CRCE-K) Revenez sur votre affirmation et présentez la vérité aux Français.
Que proposez-vous concrètement en faveur du pouvoir d'achat ? Il est nécessaire de revaloriser les salaires en partant du Smic, et d'assurer aux agriculteurs, acteurs essentiels, des revenus décents. Nous nous battrons pour la revalorisation du point d'indice des fonctionnaires. Abandonnez-vous le passage à trois jours de carence des fonctionnaires en cas d'arrêt maladie ? (Quelques protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Nous avons obtenu la marche arrière sur le déremboursement des consultations et des médicaments, et une légère augmentation de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam), mais cela suffira-t-il à sauver l'hôpital ? Quelles ouvertures de postes et de lits ?
L'école de la République doit accueillir tous les élèves. Revenez sur la suppression de 4 000 postes de professeurs ; diminuez le nombre d'élèves par classe ; améliorez l'accueil des élèves en situation de handicap. (Murmures à droite) Vos déclarations manquent de clarté. À question simple, réponse simple : annulez-vous la suppression des 4 000 postes ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Les collectivités territoriales ont été malmenées par les gouvernements successifs d'Emmanuel Macron, qui les ont privées de recettes propres, fragilisant le lien démocratique.
M. Jean-François Husson. - François Hollande n'a rien fait ?
M. Max Brisson. - La loi NOTRe...
M. Patrick Kanner. - La seule compensation de la suppression de la taxe d'habitation a privé l'État de 23 milliards d'euros de moyens par an. Il est temps de redonner des moyens d'action budgétaire.
Vous avez indiqué limiter les coupes budgétaires à leur encontre, mais elles sont encore trop élevées. Nous serons encore combatifs.
M. Jean-François Husson. - Vous auriez dû voter avec nous.
M. Patrick Kanner. - Il faut placer l'outre-mer au rang des priorités avec un plan de rattrapage.
M. Bruno Sido. - Avec quel argent ?
M. Patrick Kanner. - Il faut lutter contre la vie chère et reprendre le chemin de l'égalité réelle.
Pour sortir Mayotte du chaos, il faudra plus qu'un plan de reconstruction sur deux ans.
En Nouvelle-Calédonie, le dégel du corps électoral a entraîné des pertes humaines et matérielles considérables. Nous avons proposé des solutions juridiques pour un plus grand dialogue.
Depuis huit ans, Emmanuel Macron n'a eu de cesse de désarmer l'État, en le privant de 50 milliards d'euros d'impôts par an.
M. Vincent Louault. - Il les a rendus en prestations !
M. Patrick Kanner. - Il a préservé les plus riches, aggravé les inégalités sociales. Réduire les dépenses publiques, c'est fragiliser les plus modestes.
Votre discours n'a pas donné de vision claire de l'équilibre général du budget. Nous sommes inquiets de découvrir vos sources d'économies.
La politique de l'offre mène non au ruissellement mais à l'assèchement des emplois. Elle n'empêche pas 300 plans sociaux en 2025 et la suppression de plus de 180 000 emplois.
En parallèle, les entreprises du CAC40, battant un nouveau record obscène, vont verser 100 milliards d'euros de dividendes et de rachats d'actions. (M. Didier Mandelli proteste.) Une réponse qui se limite à une imposition des plus hauts patrimoines n'est pas à la hauteur des enjeux.
Vous parlez d'une politique de logement repensée sans évoquer la captation du foncier ni les moyens des organismes de logement social.
Il faut agir sur les causes du réchauffement climatique et non uniquement sur ses effets. Reprendre la planification écologique est le préalable à une politique qui n'a d'autre choix que l'ambition. Agissons avec fermeté et cohérence pour un avenir plus respectueux de notre planète.
Monsieur le Premier ministre, les socialistes ont des propositions. (Marques d'ironie à droite)
M. Jacques Grosperrin. - Lesquelles ?
M. Patrick Kanner. - La situation politique vous contraint au compromis. Il n'est jamais agréable de perdre une élection - encore moins deux - et de subir une censure humiliante. Il faut se rendre à l'évidence : les Français ont sévèrement sanctionné la politique menée depuis huit ans. Vous n'avez d'autre choix que de l'infléchir et d'établir un vrai dialogue. Il n'y aura pas de stabilité dans la continuité des politiques menées jusqu'à présent !
Ceux qui vous ont précédé l'ont appris à leurs dépens : s'il y a matière à censurer le Gouvernement, il le sera.
En conclusion... (Vives protestations à droite, l'orateur ayant dépassé son temps de parole) Qu'il n'y ait pas de malentendu : dans l'hypothèse où nous ne censurerions pas le Gouvernement, ce ne serait pas un chèque en blanc. Vous nous trouverez sur notre chemin si vous attaquez les acquis sociaux.
Plusieurs voix à droite. - C'est terminé !
M. Patrick Kanner. - Monsieur le Premier ministre... (les protestations et marques d'impatience redoublent à droite), les conditions de la stabilité de notre pays sont entre vos mains ; donnez-nous de bonnes raisons de ne pas vous censurer. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Hervé Marseille . - (Vifs applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) C'est la troisième fois depuis un an que nous assistons à une déclaration de politique générale. Pour nous sénateurs, c'est même la sixième fois, car nous avons double ration : lecture le mardi, explication le mercredi, au cas où l'on n'aurait pas compris. (Rires et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur quelques travées du groupe SER)
Nos concitoyens sont lassés de toutes ces palinodies politiques. La censure du précédent gouvernement a affaibli notre pays. Il est faux de dire qu'elle a été sans conséquence : on le voit, à l'échelle européenne, sur le Mercosur, mais aussi les agriculteurs. Espérons que nous retrouverons une stabilité institutionnelle, dont nous avons le plus grand besoin.
Cela ne sera pas une mince affaire : depuis les élections législatives de juin, la France, divisée en trois blocs inconciliables, est bloquée comme jamais sous la Ve République. Le gouvernement de Michel Barnier s'est heurté de plein fouet à cette malheureuse réalité. Je salue son engagement.
Monsieur le Premier ministre, il vous incombe désormais d'accomplir cette mission, sous une pression extrême. Nous avons une obligation de résultat et non plus seulement de moyens.
Comment les Français nous jugeront-ils s'ils nous voient incapables de trouver des compromis ? C'est la démocratie représentative qui est en jeu. Faute de compromis, nous nous installerons dans l'instabilité et n'échapperons pas à une nouvelle dissolution. Ce sera la faute non pas d'un parti, mais de l'ensemble des parlementaires et les électeurs seront alors très sévères.
Président du groupe Union Centriste, je ne puis que saluer la nomination d'un Premier ministre centriste ! Certains sénateurs de mon groupe - Françoise Gatel, Valérie Létard - font partie de votre gouvernement, de même que des sénateurs d'autres groupes, et nous nous en réjouissons.
Vous avez les qualités requises pour réussir cet exercice difficile. Votre socle parlementaire rassemble la plus vaste coalition à l'Assemblée nationale.
M. Didier Marie. - On verra ce que font les Républicains !
M. Hervé Marseille. - La première condition de la réussite de votre action est la coordination de ce socle, pour soutenir le Gouvernement. Le sens du collectif est important. Il faut savoir ce que nous voulons avant de discuter avec d'autres.
La deuxième condition est l'ouverture du dialogue avec la gauche républicaine. Si nous ne voulons plus dépendre du Rassemblement national (M. Joshua Hochart proteste), la solution se trouve à gauche. La censure n'a abouti que parce que le RN l'a votée, avec l'ensemble du Nouveau Front populaire.
M. Rachid Temal. - C'est un mauvais procès !
M. Hervé Marseille. - Dans l'intérêt du pays, d'abord pour trouver un budget, nous pouvons trouver des compromis avec la gauche républicaine. La roue de secours de la loi spéciale n'a qu'un temps. Il faut indexer le barème de l'impôt sur le revenu, soutenir l'investissement des collectivités territoriales, traduire nos engagements pluriannuels pour la recherche, la justice et la défense, aider les outre-mer. Il faut également réduire les déficits ; c'est une question de soutenabilité et de respect des générations futures.
La question sociale doit être au coeur de nos préoccupations : 10 millions de nos concitoyens vivent dans la précarité. Depuis le « quoi qu'il en coûte », nous avons juxtaposé les mesures sociales. Mais cela ne fait pas une politique globale !
Le logement représente le tiers du budget des ménages ; or l'offre demeure grippée, alors que la demande ne cesse de croître. Répondons aussi au malaise des agriculteurs. Le projet de loi d'orientation agricole aborde notamment la transmission des exploitations ; mais le problème de fond, c'est le partage de la valeur ajoutée. Sur 100 euros de dépense alimentaire, moins de 7 euros reviennent aux producteurs. Les lois Égalim devront être prolongées, car les agriculteurs sont la catégorie socioprofessionnelle la plus souvent sous le seuil de pauvreté. Nombre d'agriculteurs retraités ne touchent même pas le minimum vieillesse ! Une proposition de loi sénatoriale remédie à ce problème : faisons-la prospérer rapidement.
À cette réalité inacceptable s'ajoutent les contraintes de la transition environnementale. C'est insupportable pour les agriculteurs ! Aidons le monde agricole à se transformer de manière réaliste et raisonnable. Il est urgent de modifier les conditions du ZAN, sur lequel travailleront Jean-Baptiste Blanc et Guislain Cambier. (M. Jean-Baptiste Lemoyne renchérit.)
La santé est une grande préoccupation de nos concitoyens. Voilà vingt ans que les déserts médicaux grandissent, sans jamais être résorbés. Deux autres chocs nous attendent : la dépendance et la baisse de la natalité.
Vous avez ouvert le chantier des retraites, sujet permanent de clivage ; faisons confiance aux partenaires sociaux. Pénibilité, carrières longues, emploi des seniors, les sujets sont nombreux. S'il n'y a plus de tabou, nous pourrons aborder la question du temps de travail. Nous travaillons trop peu en France. Dans ces conditions, il ne faut pas attendre de miracle de croissance.
Il faut de la simplification. Nous souffrons de trop de normes et de bureaucratie. Pourquoi ne pas faire pour le pays entier ce qui a fonctionné pour Notre-Dame et les jeux Olympiques, et qui est appliqué pour reconstruire Mayotte ?
Il faut avancer aussi sur d'autres sujets, notamment le statut de l'élu local, ainsi que la décentralisation et la différenciation, et la réforme institutionnelle en Corse et en Nouvelle-Calédonie.
Le dépassement des clivages politiques nécessite des concessions et des compromis. Mais progresser n'est pas dépenser toujours plus et augmenter les impôts ! Pendant que nous débattons, les taux d'intérêt montent, les défaillances d'entreprises se multiplient, les embauches sont gelées.
La situation internationale nous oblige : l'administration Trump s'installera dans quelques jours aux États-Unis ; la Chine est plus conquérante que jamais et la Russie n'a pas renoncé à ses ambitions. L'Europe est malade.
Ne perdons plus de temps.
Le groupe UC soutiendra votre action. (M. François Bayrou apprécie ; applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur quelques travées du RDPI)
M. François Patriat . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Est-il utile de rappeler encore la gravité de la situation ? Les Français n'ont plus confiance en la politique ni en les politiques.
M. Alexandre Ouizille. - Ni en Macron !
M. François Patriat. - Ils sont désabusés. Nous aurions pu avoir un esprit de réussite après le succès des jeux Olympiques et la reconstruction de Notre-Dame, mais le 4 décembre, les oppositions, de la gauche à l'extrême droite, ont décidé de censurer le gouvernement de Michel Barnier, en affirmant que les Français n'en seraient pas affectés. C'était leur mentir, car la facture est élevée. Chaque semaine sans budget, ce sont autant d'économies non réalisées, d'agriculteurs sans soutien, de collectivités dont les investissements ne sont pas financés, d'entrepreneurs qui peinent à remplir leur carnet de commandes et d'associations sans financements.
Pour couronner le tout, le 14 décembre, le cyclone Chido a frappé Mayotte avec une rare violence. Je pense à Salama Ramia, Saïd Omar Oili et Thani Mohamed Soilihi. Les dégâts sont considérables. Nous devons répondre à l'urgence tout en préparant la reconstruction. C'est un effort national légitime et nécessaire.
L'effort, la responsabilité et la stabilité seront les fils rouges de notre action, alors que le contexte international s'assombrit avec les récentes déclarations de Donald Trump.
Nous saluons la reprise de la discussion budgétaire. Nous devons avancer collectivement : les Français, élus et entreprises attendent que nous jouions notre rôle, en votant des mesures qui rétablissent la trajectoire budgétaire du pays.
Monsieur le Premier ministre, vous avez choisi la méthode de la concertation et de la confiance, que j'ai connue avec Michel Rocard et qui m'est chère. Vous êtes un homme de compromis. Encore faut-il une volonté pour y répondre.
Aussi, je m'adresse à mes collègues socialistes : quel que soit le contexte dans vos circonscriptions, ne cédez pas au manichéisme de vos alliés du NFP. Ils vous diront toujours qu'ils sont plus à gauche que vous ! (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Rachid Temal. - Mais non !
Mme Audrey Linkenheld. - Arrêtez ! C'est de la politique-fiction !
M. François Patriat. - Le chemin pour la France doit être celui de l'intérêt général. L'abrogation de la loi sur les retraites coûterait 3,4 milliards d'euros cette année et 16 milliards d'euros en 2032. Le financement des retraites n'est plus équilibré. (Mme Cécile Cukierman s'exclame.) C'est le travail qui reste le moyen de financer le système par répartition, auquel les Français sont attachés.
Voilà pourquoi nous soutenons la concertation pour améliorer la réforme des retraites de Mme Borne, que je salue.
Les partenaires sociaux doivent proposer des solutions sans dogme ni idéologie.
M. Mickaël Vallet. - Ni exosquelette !
M. François Patriat. - La valeur travail devient une frontière politique. Comment peut-on prétendre la défendre quand on s'oppose aux réformes qui la valorisent ?
M. Mickaël Vallet. - Mettez les rentiers au boulot !
M. François Patriat. - Il existe une petite musique du droit à la paresse. (Vives protestations sur les travées du groupe SER)
M. Rachid Temal. - Un peu de sérieux !
M. François Patriat. - C'est par la productivité du travail des Français que l'on revitalisera les services publics et nos territoires.
M. Rachid Temal. - Les Français veulent du travail !
M. François Patriat. - La dépense publique n'est pas toujours synonyme d'amélioration du service public. Ainsi, à l'hôpital, les investissements ont été massifs. Plan de relance, lutte contre les déserts médicaux, Ségur de la santé : plus de 30 milliards d'euros d'efforts, qu'aucun autre gouvernement n'avait réalisés auparavant. Sortons du dogme de la dépense et cessons de tout attendre de la fiscalité !
Monsieur le Premier ministre, vous êtes attaché à l'agriculture, comme moi. Nos agriculteurs sont confrontés à des défis immenses : crise agricole, inflation normative, surtransposition, concurrence déloyale, rémunérations. Nous devons répondre à leurs revendications légitimes. Redonnons à cette profession la fierté et la reconnaissance qu'elle mérite. Il en va de même pour les élus locaux, confrontés à une suradministration. Nous vous invitons à réconcilier l'État et les élus. C'est d'une évolution culturelle dont on a besoin.
La situation dramatique de Mayotte ne doit pas obérer les grandes difficultés rencontrées par l'ensemble des territoires d'outre-mer.
Nous devons impérativement poursuivre la transition écologique, que personne n'a citée aujourd'hui. (Protestations sur les travées du GEST ; M. Rachid Temal lève les yeux au ciel.)
La recherche, l'innovation et le travail sont des priorités absolues.
La confiance ne se décrète pas, elle se construit. Vous pouvez compter sur nous !
Moi aussi je citerai Pierre Mendès France, avec qui j'ai commencé la vie politique. (M. Guillaume Chevrollier ironise.)
Une voix à gauche. - Il n'y a pas de quoi être fier !
M. François Patriat. - Sa conception de la démocratie était exigeante. Selon lui, les élus doivent placer leur action politique au-dessus de leurs intérêts personnels. C'est un appel au courage et à l'action. Monsieur le Premier ministre, nous serons à vos côtés. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées des groupes UC, Les Républicains et du RDSE)
M. Claude Malhuret . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains) Monsieur le Premier ministre...
M. Yannick Jadot. - Ce n'est pas Mélenchon qui est Premier ministre !
M. Claude Malhuret. - ... J'aurais aimé commencer par vous souhaiter une bonne année 2025, mais j'ai peur que les défis himalayesques à venir ne les fassent prendre pour de l'ironie.
L'année 2025 est celle de tous les dangers : le risque de crise financière, économique et sociale est réel, en cas de nouvelle censure ou du vote d'un budget sans boussole qui n'inspirerait confiance à personne.
La situation internationale n'a jamais été si alarmante, sous l'effet de l'alliance des dictatures, la multiplication des régimes illibéraux, les rivalités entre grandes puissances et la guerre jusque sur notre continent.
La France risque-t-elle de voir les populistes au pouvoir ? L'Europe laisse-t-elle s'effacer sa place dans le monde, comme un visage de sable sur le rivage ?
Le succès de votre Gouvernement devrait être souhaité par tous ; or certains comptent sur son échec. La France est prise dans la tenaille du double extrémisme. À l'extrême gauche, le matamore des plateaux télé, le chienchien à son Poutine, (marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains) après avoir imposé sa cour des Miracles à l'Assemblée, s'est arrogé le droit d'affirmer des âneries que la sous-intelligentsia des ragots sociaux fait tourner en boucle. (Bravos à droite)
À l'extrême droite, le communiqué glaçant du RN à l'occasion de la mort de son fondateur, où Freud aurait vu le retour du refoulé, vient rappeler que la dédiabolisation n'était qu'un bobard pour les gogos et que Bardella préside le groupe illibéral pro-russe et antieuropéen d'Orban au Parlement européen.
Tous deux visent la présidentielle anticipée. LFI censure en rafale, à la kalachnikov : un texte, une censure ; neuf fois sur dix, cela ne fonctionne pas, mais c'est l'occasion d'une tribune. Le Rassemblement national n'a plus qu'à décider du moment opportun pour s'y associer. Le 4 décembre, il fallait détourner l'attention des réquisitions du procureur dans le procès des députés européens du RN.
Mais s'il y a eu censure, c'est parce qu'en 2024, un parti social-démocrate de gouvernement a uni ses voix à l'extrême droite et à l'extrême gauche pour renverser un Premier ministre républicain. (Applaudissements et bravos sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDPI)
C'était une faute politique et morale ; j'espère qu'elle ne se reproduira pas. Les Français prennent conscience jour après jour que la censure a des effets désastreux sur notre pays. Il est peu probable qu'ils pardonnent à ceux qui s'aviseraient de recommencer. Depuis 2022 et plus encore depuis la dissolution, un nouveau monde politique est né, dont personne ne maîtrise les règles : comment gouverner sans majorité ?
Soit les partis de l'arc républicain sont assez courageux pour trouver des compromis ; soit après la décomposition, la recomposition se fera autour de l'un des extrêmes - il n'est pas difficile de savoir lequel.
Nous avons tous une grande responsabilité et de graves difficultés à surmonter. C'est surtout le cas de la gauche républicaine, qui doit s'arracher des griffes d'une secte lancée dans un naufrage moral et politique depuis deux ans, et encore plus depuis le 7 octobre 2023. Le divorce sera d'autant plus dur que le gourou de la secte clouera au pilori ceux qu'il qualifiera de traîtres, avec toute sa meute.
Mais si cette gauche modérée devait céder une fois de plus au chantage, et contribuer à la chute du Gouvernement, les populistes des deux bords sauraient qu'ils ont gagné ! La France ne tarderait pas à devenir un régime illibéral.
Deux acquis des gouvernements depuis 2017 me paraissent peu contestables : les mesures fiscales grâce auxquelles la France a retrouvé attractivité et baisse du chômage et le retour à l'équilibre précaire, impopulaire mais indispensable, du système de retraites.
Pas de hausse d'impôt pour les classes moyennes, a titré Le Parisien ; il pourrait donc y en avoir pour d'autres...
Nous sommes prêts à des compromis, mais ne pouvons en faire avec la réalité, comme vous le proposent certains ici. La réalité, c'est l'ordre dans les comptes, et l'ordre dans la rue.
L'Assemblée nationale a voté, dans un accouplement incestueux des deux populismes, 60 milliards d'euros de dépenses supplémentaires et supprimé toute économie, avant de voter la censure. C'est dans ce paysage surréaliste que vous devrez gouverner, monsieur le Premier ministre, face à des députés extrémistes, grisés par leur nouveau pouvoir de faire tomber les gouvernements !
Nous approchons un point de non-retour où trop de gens dépendent de l'État - trop de clients, au sens romain du terme. La crise se chargera de corriger la trajectoire, si nous ne le faisons pas.
Si la France devait refuser les efforts qu'elle a exigés de l'Italie, de l'Espagne, du Portugal et de la Grèce, elle ferait peser un risque sur l'unité européenne. Tous les Européens lui en tiendraient rigueur.
Je veux croire que toutes les forces de l'arc républicain seront au rendez-vous pour vous aider. Il faudra qu'aucune voix ne manque. Nous y prendrons, bien sûr, notre part. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC, Les Républicains, du RDSE et du RDPI)
Mme Cécile Cukierman . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) L'extrême droite est puissante dans de nombreux pays occidentaux - Italie, Suède, Pays-Bas, Autriche - et progresse en Allemagne. Elle se réjouit de la prise de fonction de Donald Trump aux États-Unis. Les récentes saillies d'Elon Musk, son autoritarisme, sa haine de l'État, montrent que le libéralisme économique menace l'équilibre mondial.
Jusqu'à présent, les démocraties occidentales se posaient en modèle face aux blocs autoritaires ou face à la montée de l'islamisme radical. Peuvent-elles relever le défi d'une espérance pour les peuples du monde ? C'est toute la difficulté de l'heure.
La France a, de par son histoire, un rôle précurseur pour porter les idéaux de justice et d'égalité. Comment parler de démocratie si nous bafouons ces deux concepts ?
Sur ces terres qui ont vu naître les droits de l'homme, où l'on s'est battu pour la conquête des droits élémentaires, où démocratie devrait rimer avec pluralisme et tolérance, la menace de l'extrême droite est bien réelle, tant la désespérance nourrit la colère, tant les difficultés nourrissent le rejet de l'autre, la concurrence plutôt que la solidarité.
Comme je l'avais dit à Michel Barnier le 2 octobre, il est inacceptable que le bloc arrivé en tête à l'Assemblée nationale soit de nouveau écarté par Emmanuel Macron. Votre Gouvernement, monsieur le Premier ministre, est le gouvernement des battus dans les urnes ! Le peuple a exprimé un choix de fond, une volonté de changement politique.
La vie est dure pour les femmes et les hommes de notre pays. Je pense aux victimes des deux cyclones successifs à Mayotte. Pouvoir d'achat en recul, explosion des factures d'énergie et des prix alimentaires, crise agricole, mal-logement, école en danger, hôpital en crise, désertification médicale nourrissent la colère qui gronde. L'avenir de notre jeunesse est incertain.
Il est urgent de stopper l'hémorragie des emplois industriels : 300 000 sont menacés. Monsieur le Premier ministre, la réindustrialisation ne passe pas par des manoeuvres de couloir, mais par une vraie ambition !
La précarisation des salariés entraîne un désarroi profond. Le collectif a perdu du terrain face à l'individualisation de la société, qui signe le triomphe des puissants. Pouvez-vous rester sourd au désir d'égalité, à l'aspiration démocratique et sociale ?
Les sept années de macronisme ont été utiles aux plus riches : les profits du CAC 40 ont explosé : 100 milliards d'euros en 2024 ! Le ruissellement s'est fait par torrents, mais vers le haut.
Vous devez agir pour une nouvelle répartition des richesses. C'est sans doute contraire à l'idéologie de votre socle commun, mais c'est indispensable pour s'attaquer au déficit public tout en répondant aux nécessités sociales. Votre seule réponse est la baisse de la dépense publique, c'est-à-dire la casse du service public. Or les Français veulent la sécurité et la justice, dans tous les pans de leur vie.
Rétablissons l'impôt sur la fortune. Taxons davantage les revenus au-delà de 100 000 euros annuels. Assurons la participation des plus grandes entreprises et contrôlons les aides publiques qui leur sont accordées. Favorisons l'égalité salariale entre les femmes et les hommes. Abrogeons la réforme des retraites et ouvrons un dialogue social. Attaquons-nous à l'optimisation fiscale, cette prime aux tricheurs, sanctionnons l'évasion fiscale. Relançons la croissance en revalorisant les salaires et le Smic.
Défendons le service public, héritier de la Résistance et du front républicain contre le fascisme, cible, depuis l'ère Reagan et Thatcher, du libéralisme et du marché. Les collectivités territoriales sont l'un des derniers remparts contre la casse des services publics. Comme maire de Pau, vous le savez. Renforcez leur autonomie financière, indexez la DGF sur l'inflation, supprimez le fonds de précaution qui prévoit de les ponctionner, actualisez le versement du FCTVA, redonnez-leur les compétences pour aménager le territoire et répondre aux besoins des populations, dans les outre-mer comme dans nos villes et nos villages.
Surtout, cessons le double discours de la complainte sur le territoire et de l'austérité imposée par les votes au Parlement, duplicité insupportable.
Vous appelez au dialogue, voire au compromis. Nous serons toujours au travail pour sortir de la crise politique. Hélas, votre immobilisme se traduit par la reprise du projet de loi de finances du gouvernement Barnier, pourtant censuré. Idem pour le PLFSS, objet du 49.3 qui déclencha la censure. Emmanuel Macron annonçait pourtant le 5 décembre dernier un nouveau budget... Aucune menace, mais un principe de vérité : un comportement similaire provoquera un résultat similaire. Vous devenez le porte-parole d'un gouvernement censuré.
Que le Président de la République accepte enfin le résultat des législatives, en permettant une vraie politique de rupture avec celle qu'il a conduite et qui mène la France vers le chaos institutionnel, économique et social. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER)
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) « La vie est pavée d'occasions perdues », écrit Romain Gary dans La Promesse de l'aube. Je souhaite que la « promesse française » que vous faites soit une réussite, monsieur le Premier ministre. Nous n'avons plus le temps des occasions manquées !
Que les dirigeants politiques écoutent les Français, qui souhaitent le compromis. Nous leur devons clarté, stabilité, visibilité. Nous leur devons des réponses sur le budget, sur les retraites, sur les politiques publiques qui engagent leur avenir.
C'est un devoir aussi pour conforter notre pays sur la scène internationale, et auprès de nos partenaires européens ; la France, patrie des Lumières, ne doit pas se perdre dans l'incertitude.
Je rappelle à ceux qui oeuvrent à la stratégie du chaos que personne n'a vraiment gagné les dernières élections législatives. La digue du fait majoritaire a cédé. À cet égard, l'instauration de la proportionnelle pourrait consacrer la fragmentation du paysage politique. Il faudra en débattre, et penser cette réforme dans le cadre d'un rééquilibrage du pouvoir exécutif. Les pays qui pratiquent la proportionnelle ont un Premier ministre fort, ce qui oblige à faire des coalitions.
En attendant, nous négocions, non sans mal. Hier, une motion de censure ; aujourd'hui, des lignes rouges tous azimuts, des annonces gouvernementales encore timides. Souhaitons que nous trouvions le chemin étroit qui nous sortira de l'immobilisme.
Au RDSE, point de dogmatisme, tant par philosophie que par volonté de coconstruire. C'est au cas par cas, texte par texte, que nous jugerons vos propositions, en fonction de nos valeurs et de notre diversité.
Sur la question cruciale des retraites, la Cour des comptes fera un état des lieux financier. Derrière la logique mathématique de la démographie, il y a des hommes et des femmes qui attendent un geste, des concessions, qui devront être soutenables. Rien n'est tabou pour le RDSE. Nous souhaitons des avancées sur la pénibilité, l'usure au travail, la durée de cotisation ou encore la récompense de l'engagement citoyen. Quel financement ? Attendons la fumée blanche qui sortira du conclave. Mais les hausses de cotisations ne sont pas à exclure...
Sur les conditions de travail, un récent rapport pointe les failles du management français. L'ubérisation du travail, l'expansion de la sous-traitance, jusque dans les services publics, fragilise les salariés.
De plus en plus d'actifs consomment de la cocaïne pour tenir au travail. Il faut revoir les conditions de travail, branche par branche - c'est la condition pour accepter l'allongement des carrières.
Seconde urgence : un budget. Nous plaidons pour une meilleure justice fiscale et un effort contributif mieux réparti. L'augmentation du prélèvement forfaitaire unique et l'imposition des superdividendes ont fait les frais de la seconde délibération. Brisons les totems ! La réduction des dépenses devra être moindre, pour ne pas gripper la croissance.
Nous souhaitons la préservation des capacités d'investissement des collectivités locales, sans les exonérer de tout effort.
Je salue votre volonté de réconcilier toutes les France : périphérique, provinciale, des quartiers. La clé, c'est l'aménagement du territoire, la décentralisation et la déconcentration. Nous vous suivrons si vous garantissez les libertés locales, les services publics de proximité, et soutenez les collectivités, amortisseurs de la crise. Nous serons ouverts, tant que primeront la justice sociale, la solidarité et le progrès.
L'école doit être le tremplin vers l'égalité des chances, à l'abri de tout séparatisme. Nous sommes attachés aux fondamentaux républicains, à la laïcité. Quant aux valeurs de fraternité et d'humanisme, elles doivent rester au coeur de la politique d'immigration. Voilà nos lignes rouges !
Le poids des normes pèse sur nos agriculteurs et nos PME.
Il faut soutenir nos outre-mer, victimes du dérèglement climatique et des déséquilibres sociaux, qui participent au rayonnement de la France.
La France n'a rien à gagner à alimenter des rapports tendus avec des pays proches. Le RDSE appelle à l'apaisement avec l'Algérie. L'Afrique nous tourne le dos ! La diplomatie requiert un cap cohérent.
Monsieur le Premier ministre, nous avons en commun les Pyrénées, et la France à défendre. Le gouvernement Mendès France a duré sept mois, mais son héritage est reconnu. On peut faire beaucoup en peu de temps ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains) « Pierre Mendès France nous laisse sa foi, la République ; sa méthode, la vérité ; son exemple, l'inlassable combat pour la paix et pour le progrès », disait François Mitterrand. Un chemin à suivre ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe UC ; M. Ahmed Laouedj se lève pour applaudir.)
M. Guillaume Gontard . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Le 2 octobre, je disais ici même que le gouvernement Barnier n'avait pas d'avenir. Avec gravité, je réitère ces propos. Après une motion de censure historique, vous n'avez pas modifié un seul des paramètres qui ont entraîné sa chute ! « La folie, c'est se comporter de la même manière et de s'attendre à un résultat différent », disait Einstein.
Malgré l'affront démocratique qu'a représenté votre nomination, nous avons accepté d'échanger avec le Président de la République et avec vous : il nous fallait être responsable pour deux. La voix de la France est attendue, dans un monde en déliquescence, où Trump revient aux affaires, où il faut soutenir l'Ukraine et stopper le génocide à Gaza.
Nous avons recherché des compromis, mais à quoi bon ? Le Président disait ne plus vouloir que le Rassemblement national puisse décider du sort du Gouvernement. Avait-il entendu le message des législatives : le barrage à l'extrême droite, à ses idées nauséabondes et à son incompétence crasse ? (MM. Joshua Hochart et Stéphane Ravier se gaussent.) Cette illusion n'a pas survécu à la nouvelle année. Vous reconduisez le pacte faustien de votre prédécesseur avec les héritiers de Pétain et les tortionnaires d'Algérie ! J'en veux pour preuve votre infâme tweet d'hommage à Jean-Marie Le Pen. (M. Stéphane Ravier ironise.)
J'en veux encore pour preuve le maintien, place Beauvau, du ministre d'extrême droite Bruno Retailleau (huées à droite, applaudissements sur quelques travées du GEST ; M. Bruno Retailleau rit) et la nomination d'un second ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin. Il fallait oser nommer garde des sceaux ce populiste (huées à droite ; « C'est nul ! ») qui, au mépris de la séparation des pouvoirs, a jugé « choquantes » les réquisitions du parquet contre Marine Le Pen...
M. Stéphane Ravier. - Staline !
M. Guillaume Gontard. - ... prises sur le fondement de votre loi de moralisation de la vie publique ! Toutes ces années à condamner les dérives droitières de Sarkozy et Fillon, pour vous lier à leurs pires rejetons, quel reniement ! (Les huées à droite redoublent.)
Reniement encore, vous accueillez dans votre gouvernement des ministres accusés de corruption, de détournements de fonds et de faux témoignages. (Nouvelles huées à droite ; « C'est honteux ! ») Reniement toujours, votre revirement sur le cumul des mandats, proposition rétrograde rejetée par les deux tiers des Français.
Vous rebattez les cartes du jeu des sept familles de la droite, en reconduisant une majorité des membres du gouvernement Barnier...
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Bravo !
M. Guillaume Gontard. - ... sans parler des revenants désavoués dans les urnes. Est-ce là votre nouvelle méthode démocratique ? Vous rappelez les doléances des gilets jaunes, mais recyclez deux des Premiers ministres les plus brutaux de la Ve : 29 utilisations du 49.3, 143 gilets jaunes blessés par la police en application de la doctrine de maintien de l'ordre inspirée par Manuel Valls...
Voix à droite. - Il fallait respecter la loi !
M. Guillaume Gontard. - Cette brutalité a culminé lors de la contestation de la réforme des retraites d'Élisabeth Borne - réforme inique que vous refusez de suspendre. Les syndicats sont sommés de négocier dans un calendrier intenable, un revolver sur la tempe, avec le choix entre un accord au rabais ou le maintien des 64 ans. Enfumage !
Vide, sans vision, votre discours de politique générale ne rompt pas avec le dogmatisme de la politique de l'offre qui a ruiné nos finances publiques. Loin d'être responsables du dérapage, les deux derniers quinquennats de gauche ont réduit les déficits (on ironise sur les travées du groupe Les Républicains) et même la dette, sous Jospin.
M. Stéphane Piednoir. - La bonne blague !
M. Guillaume Gontard. - Seules les droites sont responsables du dévissage de nos finances publiques ! Assumez !
Vous intimez au Parlement de reprendre l'examen du budget, enjambant la censure comme le Président sa défaite aux législatives. Vous refusez la justice fiscale au profit du rabot généralisé, qui va pénaliser l'école publique, l'université, l'hôpital, les collectivités, fragiliser notre industrie et nos travailleurs. Vous sacrifiez la transition écologique, vous laissez sur le carreau nos compatriotes ultramarins.
Nous demandions 7 milliards d'euros pour la transition écologique, vous accordez 200 millions. Dans votre monde, point de dérèglement climatique ! Avec 148 mots dédiés au nucléaire et au techno-solutionnisme, vous montrez que vous avez encore moins d'ambition en la matière que vos prédécesseurs. Vous préférez dénigrer l'Office français de la biodiversité (OFB), qui lutte contre l'extinction du vivant.
M. Mathieu Darnaud. - Parlons-en !
M. Guillaume Gontard. - Vous êtes incapables, comme la FNSEA, de répondre aux problèmes structurels du monde agricole.
Comme Bill Murray dans Un jour sans fin, nous revivons sempiternellement le même jour politique, nous voyons se succéder des gouvernements de droite, menant la même politique injuste, autoritaire, climaticide, empiétant sur les plates-bandes de l'extrême droite.
M. Laurent Somon. - Dans le film, il finit par gagner !
M. Guillaume Gontard. - On ne gravit pas l'Himalaya en espadrilles : il faut s'équiper, écouter, accepter de modifier l'itinéraire pour ne pas sombrer dans la première crevasse. Crampons aux pieds, piolet à la main, nous continuerons à être responsables pour deux, ne pouvant nous résoudre à cette mortelle randonnée.
Monsieur le Premier ministre, vous ne nous donnez pas d'autre choix que la censure, mais il est encore temps de changer de chaussures et de vous éloigner du précipice. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
M. Joshua Hochart . - Christopher Szczurek avait raison de qualifier le gouvernement Barnier de dernier sursis du système.
Pour la France, nous préférerions que vous réussissiez, mais rien ne nous permet d'y croire. Ce gouvernement n'a pour but que la préservation de ce qui reste du système, tant le conformisme y est la valeur cardinale. Tout au plus donnera-t-il l'occasion au PS et aux Verts de sortir de l'emprise mélenchoniste dans laquelle ils se sont compromis.
Vous proposez une conférence sur le financement des retraites et une mission de la Cour des comptes ? Mais les Français ne veulent pas de cette réforme ; ils l'ont dit lors des élections. Il n'est d'autre solution que l'abrogation de la mesure d'âge. Vous trouverez les financements dans la gabegie des opérateurs de l'État et de l'aide publique au développement. (M. Mickaël Vallet proteste.)
Comment régler les errements du présent quand on a été le serviteur des turpitudes du passé ? Le souci, c'est Emmanuel Macron, dont vous êtes l'un des principaux soutiens. Certes, vous n'êtes pas sectaire, mais nous n'attendons pas la moindre rupture de votre part. Malgré les castings et les promesses, la situation politique demeure bloquée.
Comme un poison lent, le pacte électoral contre la France travailleuse et populaire conclu par Gabriel Attal et Jean-Luc Mélenchon dévore toute stabilité parlementaire et consume un corps agonisant.
Nos collègues de droite sont dans l'illusion d'être revenus aux affaires. Certes, les rodomontades de Bruno Retailleau sonnent doux à nos oreilles. (Mme Dominique Estrosi Sassone proteste.) Mais du Kärcher de Sarkozy aux places nettes XXL de Darmanin, nous sommes habitués aux paroles non suivies d'actes. Usez donc du pouvoir réglementaire, à l'heure où le chaos migratoire permet à l'Algérie de déstabiliser le pays avec la complaisance de la gauche !
Nous reprenons l'examen du projet de loi de finances - un budget tout cuit, qui n'est pas le vôtre, qui aurait été rejeté de toute façon, sans que nous débattions de la moindre vision.
Vous trouverez dans nos amendements des propositions d'économies.
Je vous souhaite de réussir, monsieur le Premier ministre. Nous ne vous condamnons pas d'office, mais vous donnons le bénéfice du doute. Si vous persistez dans la morgue du gouvernement précédent, vous subirez le même sort, et attiserez la colère populaire. Les cartes sont entre vos mains. Pour les Français, soyez plutôt un Sully qu'un Ravaillac. (M. François Bayrou sourit ; M. Stéphane Ravier applaudit.)
M. François Bayrou, Premier ministre . - M. Gontard a souligné l'injustice que j'ai commise hier, à l'Assemblée nationale, en prononçant le nom de Lionel Jospin parmi ceux qui ont aggravé la dette. (« Ah ! » sur les travées du groupe SER)
Mme Émilienne Poumirol. - Quand même !
M. François Bayrou, Premier ministre. - Entre 1997 et 2002, l'endettement du pays a effectivement légèrement diminué. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST) Il faut le reconnaître. Je m'efforce d'être honnête et juste.
M. Darnaud...
M. Michel Savin. - Excellent !
M. François Bayrou, Premier ministre. - ... a défendu à juste titre nos institutions et notre Constitution. L'audace n'est jamais une impasse ; vous avez raison. Vous avez souligné les tensions géopolitiques auxquelles notre pays est soumis. Vous avez raison.
Le travail sur les agences et les opérateurs de l'État est nécessaire, car on a parfois du mal à percevoir leur efficacité. Vous avez proposé un audit, je suis prêt à en discuter. Ce n'est pas facile. Disons la vérité : on a du mal à connaître leur nombre exact. (Murmures à droite et au centre) Leur budget serait passé de 20 milliards d'euros en 2018 à 30 milliards en 2019 et à 83 milliards d'euros en 2024. (On s'en émeut à droite et au centre.) L'augmentation est exponentielle. Je suis prêt à discuter avec vous des modalités de cet audit.
M. Yannick Jadot. - Pas par McKinsey !
M. François Bayrou, Premier ministre. - Certains estiment que ces organismes seraient plus efficaces que l'État lui-même, qui s'est déchargé sur eux d'une partie de l'action publique.
Sur les retraites, vous avez défendu la place du Parlement. Vous avez raison. Je suis prêt à aller en ce sens.
Les surtranspositions sont souvent dénoncées dans le secteur agricole. Il y a plus grave : l'imposition à l'agriculture française de normes et de règles non imposées à d'autres agricultures européennes.
M. Bruno Sido. - Tout à fait.
M. François Bayrou, Premier ministre. - Si nous rendons équitables les règles à l'intérieur de l'Union européenne, ce sera un premier pas.
Je soutiens M. Retailleau. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP) J'ai souhaité qu'il soit ministre d'État, ministre de l'intérieur. Je soutiens aussi le ministre d'État, ministre de la justice. La coordination, la communauté d'inspiration entre sécurité et justice, qui a trop manqué, est une nécessité, avec la garantie de l'État de droit, principe essentiel.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Bien sûr ! Il faudra le leur rappeler !
M. François Bayrou, Premier ministre. - Merci aux orateurs qui ont rappelé mes combats sur ce sujet.
Il faut s'attaquer au narcotrafic, lutter contre la délinquance des jeunes de manière efficace.
M. Kanner a rappelé qu'il ne participait pas au Gouvernement ou à la majorité mais a dit saisir la chance d'une main tendue. Les forces qui soutiennent le Gouvernement et l'opposition qui choisit le dialogue peuvent avancer ensemble. J'ai identifié trois cercles : ceux qui participent au Gouvernement, ceux qui s'opposent radicalement et ceux qui sont dans une opposition intellectuelle mais qui choisissent le dialogue. Je vous donne acte de votre position. (M. Patrick Kanner en prend note.) Nous avons travaillé ensemble, en en bonne foi, sans compromission. Nous avons pu, ces dernières heures, progresser.
Je vous donne deux assurances. La conférence sociale travaillera trois mois - si cela s'avère trop court, je suis prêt à accorder quelques semaines de plus, mais il ne faut pas perdre de temps, vu l'échéance d'octobre. Dans le meilleur des mondes, il y aura un accord, et un texte vous sera soumis. Faute d'accord d'aucune sorte - je ne crois pas à cette hypothèse, car je suis persuadé que chacun veut progresser -, pas de nouveau texte. Troisième hypothèse, si nous sommes dans une zone d'accord, de progrès, identifiée par les participants et à laquelle le Gouvernement aura donné crédit, nous préparerons un texte que nous soumettrons au Parlement. Ce n'est pas du tout ou rien. Nous pourrons prendre acte des progrès, marquer des points, même sans cathédrale sociale et législative.
Je suis prêt à renoncer à la suppression des 4 000 postes dans l'éducation nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du RDPI et du groupe UC ; M. Stéphane Sautarel applaudit également.) Mais nous savons tous que les postes mis au concours ne sont pas pourvus. Il y a un gros travail à faire sur l'attractivité, ...
Mme Laurence Rossignol. - Il faut payer les enseignants !
M. François Bayrou, Premier ministre. - ... et pas seulement sur les salaires. Si les gouvernements précédents avaient amélioré les salaires, nous n'en serions pas là.
Quand j'étais ministre de l'éducation nationale, le niveau de rémunération des jeunes enseignants était supérieur à deux fois et demie le Smic. (Mme Cécile Cukierman proteste.) Tel n'est plus le cas, hélas. Je sais bien la faiblesse des salaires dans l'éducation nationale.
Nous pouvons travailler à ce redressement, mais les enjeux budgétaires sont considérables.
Monsieur Kanner, voilà qui témoigne de la bonne foi de nos échanges.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Ça avance !
M. François Bayrou, Premier ministre. - Vous avez fait des pas ; je suis prêt à en faire, symétriquement.
L'augmentation de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), de 3,3 % au lieu de 2,8 %, répond aussi à vos questions.
Mmes Laurence Rossignol et Marie-Pierre de La Gontrie. - Et les jours de carence ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains ; d'un geste de la main, Mme Laurence Rossignol leur intime de se taire.)
M. François Bayrou, Premier ministre. - Le geste est moyennement élégant... Le sujet des jours de carence est entre les mains du Parlement ; (M. Victorin Lurel proteste) le Sénat en débattra. Mais il existe peut-être d'autres solutions... (Mme Colombe Brossel proteste.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - C'est dingue, on ne négocie pas ainsi !
M. François Bayrou, Premier ministre. - Monsieur Kanner, vous n'êtes pas le seul à gauche à fustiger la politique de l'offre...
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Le CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi) !
M. François Bayrou, Premier ministre. - Permettez-moi de vous rappeler que cette politique a été mise en oeuvre à compter de 2014, par un gouvernement que vous souteniez et auquel je veux rendre hommage.
Vous vous voulez constructif et exigeant, ces adjectifs sont justifiés.
Monsieur Marseille, les sénateurs sont sept ou huit (on ironise à droite) à être entrés au Gouvernement, car Valérie Létard était sénatrice avant de devenir députée. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Bernard Buis applaudit également.)
Oui, la stabilité institutionnelle est essentielle. Il y a un immense rejet, dans tous les électorats - sauf peut-être celui de LFI - de l'instabilité. Nous devons doter notre pays d'un budget et je partage vos priorités : logement, loi d'orientation agricole, partage de la valeur ajoutée, notamment.
Monsieur Patriat, (l'orateur cherche dans ses notes ; on ironise à droite) a profondément raison quand il dit qu'il faut donner toutes ses chances à l'amélioration du projet de réforme des retraites et quand il souligne les blocages provoqués par la censure. Son expérience, son acuité nous sont précieuses.
M. François Patriat. - Il est bien ce Premier ministre ! (Sourires)
M. François Bayrou, Premier ministre. - Monsieur Malhuret a tracé un tableau grave et responsable de la situation. Nous connaissons tous son esprit et son sens de la formule. Il a fait le constat de la responsabilité d'une partie de la gauche modérée dans la censure.
Il a rappelé les trois acquis depuis 2017 : attractivité, modération de la fiscalité et ordre.
Oui, trop de gens dépendent de l'État et trop de dépenses publiques ne sont pas suffisamment efficaces. Nous devons rebâtir notre structure budgétaire.
Il a enfin souligné la nécessaire unité européenne.
Madame Cukierman, (l'orateur la cherche des yeux) ...
M. Bruno Sido. - À gauche toute ! (Sourires)
M. François Bayrou, Premier ministre. - Comme disent les Écritures, « Je ne vous chercherais pas si je ne vous avais pas trouvée. »
Oui, la démocratie libérale comporte des ferments d'illibéralisme. Elon Musk considère que ses moyens considérables lui donnent le droit de s'immiscer dans la vie démocratique d'autres pays que le sien ! Je suis d'accord avec vous : le pluralisme et la tolérance sont la marque de notre démocratie.
Vous avez condamné l'optimisation fiscale. Le Gouvernement y travaille, pour plus de justice.
Seul point de désaccord : vous jugez que nous n'avons pas assez de services publics. Or nous sommes le pays, dans le monde, où les services publics sont les plus importants, et les plus chers. La vraie question, c'est celle de leur efficacité.
M. Louis Vogel. - C'est vrai !
M. François Bayrou, Premier ministre. - Ainsi que celle de la juste répartition entre fonction publique « de papier » et fonction publique « de service ».
Madame Carrère, j'ai beaucoup aimé votre intervention. Nous partageons beaucoup de choses (exclamations ironiques à droite) : nous sommes du même coin du monde, et nous en sommes fiers. Les Pyrénées ont souvent apporté à la vie politique française de l'écoute, de la tolérance et de l'humour.
Oui, les Français sont nombreux à souhaiter le compromis.
Vous avez annoncé que vous vous détermineriez texte par texte. C'est vrai pour tous les groupes, y compris le groupe centriste.
La conférence sociale traitera de plusieurs sujets que vous avez évoqués : pénibilité, usure au travail, rémunérations.
Vous avez défendu la capacité à faire des collectivités territoriales. Je vous en donne acte.
Monsieur Gontard, grâce à vous, j'ai pu corriger mon erreur concernant l'héritage du gouvernement de M. Jospin.
Permettez-moi de vous rappeler mes propositions qui vont dans votre sens : 475 millions d'euros supplémentaires pour le plan Eau ; stabilisation des taxes affectées aux budgets des agences de l'eau ; 75 millions d'euros supplémentaires pour le fonds Barnier ; maintien du fonds Chaleur ; 150 millions d'euros supplémentaires pour le fonds vert ; 50 millions d'euros supplémentaires pour le plan Vélo - vous haussez les épaules, mais moi j'y crois ! - ; maintien de la taxe de solidarité sur les billets d'avion.
Nous permettons aussi aux régions d'investir davantage, en décidant d'inscrire désormais les péages ferroviaires en section d'investissement. (« Très bien ! » à droite)
Il n'est donc pas juste de dire que l'on ne fait rien. Ce sont des efforts importants en faveur du développement durable et de la lutte contre le changement climatique.
La production d'électricité non carbodépendante, d'origine nucléaire ou géothermique, est également essentielle. (M. Yannick Jadot ironise.)
Enfin, monsieur Hochart... (L'orateur le cherche du regard.)
M. Joshua Hochart. - Au centre ! (Sourires)
M. François Bayrou, Premier ministre. - J'ai été assez longtemps non-inscrit pour comprendre l'aspect non condamnable de votre position.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Mais c'est l'extrême droite !
M. François Bayrou, Premier ministre. - François Mitterrand a été non-inscrit, Aimé Césaire aussi. (Émotion et désapprobation à gauche)
M. Mickaël Vallet. - Joshua Hochart, ce n'est pas tout à fait Aimé Césaire !
M. François Bayrou, Premier ministre. - Monsieur Hochart, vous avez raison, ce n'est pas « mon » budget ; c'est le vôtre ! Car nous allons travailler à partir des orientations du Sénat.
C'est le seul budget qui permet de répondre à l'urgence. Nous ne pouvons pas laisser le pays sans budget et les Français ont conscience de la précarité de notre vie publique.
Je le revendique : nous avons choisi d'aller le plus vite possible, en mesurant les dégâts résultant de la censure. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
La séance est suspendue à 17 h 35.
La séance reprend à 17 h 50.