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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Salut à une délégation parlementaire ukrainienne

Questions d'actualité

Situation internationale (I)

M. François Patriat

M. François Bayrou, Premier ministre

Situation internationale (II)

M. Claude Malhuret

M. François Bayrou, Premier ministre

Conséquences du dérèglement climatique sur le littoral

Mme Mireille Jouve

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche

Demande de débat au Parlement sur l'Ukraine

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure

M. François Bayrou, Premier ministre

Crise démocratique et institutionnelle en France

M. Ian Brossat

M. Patrick Mignola, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement

Défense européenne

Mme Nadia Sollogoub

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Démission du SGPE

M. Jacques Fernique

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche

Mode de scrutin pour les municipales à Paris, Lyon et Marseille

M. Mathieu Darnaud

M. François Bayrou, Premier ministre

Soutien à l'Ukraine

M. Cédric Perrin

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Réforme des retraites

Mme Monique Lubin

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi

Situation de la viticulture

Mme Florence Lassarade

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Bouclier tarifaire sur l'eau

M. Yves Bleunven

M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Fonds territorial climat

Mme Christine Lavarde

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche

Revenu des agriculteurs

M. Jean-Claude Tissot

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Commerce en ligne de produits textiles

Mme Sylvie Valente Le Hir

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire

Dépistage de l'amyotrophie spinale

Mme Jocelyne Guidez

M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins

Mise au point au sujet d'un vote

Avis sur des nominations

Accord en CMP

Modification de l'ordre du jour

Commission d'enquête (Nominations)

CMP (Nominations)

Indexer les salaires sur l'inflation

Discussion générale

Mme Cathy Apourceau-Poly, auteure de la proposition de loi

Mme Silvana Silvani, rapporteure de la commission des affaires sociales

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi

Mme Nicole Duranton

M. Christian Bilhac

Mme Brigitte Devésa

Mme Céline Brulin

Mme Raymonde Poncet Monge

Mme Monique Lubin

Mme Marie-Claude Lermytte

Mme Frédérique Puissat

Discussion des articles

Article 1er

Mme Silvana Silvani, rapporteure de la commission des affaires sociales

Mme Marianne Margaté

M. Fabien Gay

M. Yannick Jadot

M. Daniel Chasseing

Mme Monique Lubin

M. Christian Bilhac

Mme Raymonde Poncet Monge

M. Michel Canévet

Mme Céline Brulin

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi

Article 2

Mme Michelle Gréaume

Article 3

M. Yannick Jadot

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi

Après l'article 3

Article 4

M. Ian Brossat

Mme Raymonde Poncet Monge

Mme Frédérique Puissat

Mme Monique Lubin

Conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques

Discussion générale

M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de résolution

M. Michel Masset

Mme Brigitte Devésa

M. Alexandre Basquin

Mme Mathilde Ollivier

Mme Monique Lubin

Mme Marie-Claude Lermytte

Mme Frédérique Puissat

M. Xavier Iacovelli

M. Olivier Jacquin

M. Cyril Pellevat

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi

Mise au point au sujet d'un vote

Avis sur une nomination

Modifications de l'ordre du jour

Ordre du jour du jeudi 20 février 2025




SÉANCE

du mercredi 19 février 2025

59e séance de la session ordinaire 2024-2025

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Alexandra Borchio Fontimp, Mme Véronique Guillotin.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Salut à une délégation parlementaire ukrainienne

M. le président.  - (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent.) Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, mes chers collègues, j'ai le plaisir de saluer, dans notre tribune d'honneur, une délégation de députés ukrainiens conduite par Mme Liudmyla Buimister, présidente du groupe d'amitié Ukraine-France de la Rada. (Applaudissements nourris et exceptionnellement prolongés) Elle est accompagnée par notre collègue Nadia Sollogoub, présidente du groupe d'amitié France-Ukraine du Sénat, dont je salue le travail remarquable. (Applaudissements)

La délégation s'est entretenue avec nos collègues Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, et Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Alors que les combats se poursuivent à l'est et au sud-est de l'Ukraine et que la Russie mène des attaques brutales contre des infrastructures civiles, la France continue de condamner cette guerre d'agression, comme elle l'a fait dès la première heure. Sa solidarité avec l'Ukraine est inébranlable, de même que son soutien politique, humanitaire et militaire.

Nous l'affirmons avec force : il ne peut y avoir de négociations sans la participation de l'Ukraine et sans l'Union européenne, car il y va de la sécurité collective du continent européen tout entier. (Applaudissements nourris)

Le soutien actif du Sénat s'est traduit par l'adoption de trois résolutions en 2022 et 2023 : l'une condamnant la guerre d'agression, une autre pour reconnaître le génocide ukrainien de 1932-1933 et la troisième qui dénonce les déportations d'enfants ukrainiens par la Russie.

L'année 2025 marque le dixième anniversaire de notre coopération avec la Rada, qui se développe en particulier dans la perspective de l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne. Cet avenir en commun, nous y croyons ; lui seul ouvre un horizon de paix durable et juste.

Mes chers collègues, en votre nom à tous, j'assure nos amis ukrainiens du soutien du Sénat de la République française dans leur combat pour la liberté et la souveraineté de leur pays. (Applaudissements nourris)

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

La séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et du temps de parole.

Situation internationale (I)

M. François Patriat .  - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Monsieur le président, nous joignons nos voix aux propos que vous venez d'adresser à nos amis ukrainiens, que nous assurons de notre entier soutien.

Monsieur le Premier ministre, les États-Unis sont-ils encore notre allié ? Tandis que la loi du plus fort tente de s'imposer, notre continent fait face à une menace existentielle. Or l'Europe peine à exister dans la résolution de la guerre.

L'Europe que nous bâtissons depuis soixante-quinze ans est à la croisée des chemins. Jamais, depuis la fin de la guerre froide, elle n'a été à ce point mise à l'épreuve par des facteurs exogènes comme endogènes. Nous vivons la fin d'une époque, et tout ce que nous considérions comme acquis est réexaminé, révisé, voire renversé.

Hier, le président américain a affirmé que le président Zelensky aurait pu éviter la guerre. Son revirement stratégique entérine un renversement d'alliance et la mise à l'écart des Européens et des premiers concernés, les Ukrainiens. En cherchant à imposer à l'Ukraine une paix non concertée pour une guerre qu'elle n'a pas provoquée, les États-Unis renforcent la position impérialiste de Poutine.

Notre continent ne peut plus compter sur son allié américain : nous devons assurer nous-mêmes notre sécurité. Je salue les initiatives prises depuis 2017 par le Président de la République pour promouvoir le réarmement européen et créer une véritable défense européenne. Le récent sommet de Paris a marqué une étape cruciale dans ce processus. Notre protection supposera un effort inédit en faveur de la défense à l'échelle de l'Union européenne.

Face à la désunion internationale orchestrée par M. Trump et aux volontés impérialistes de M. Poutine, comment la France et l'Europe peuvent-elles incarner la défense des valeurs démocratiques et du droit ? (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Véronique Guillotin applaudit également.)

M. François Bayrou, Premier ministre .  - Je me joins aux applaudissements qui ont exprimé longuement et avec ferveur l'adhésion du Sénat au soutien à l'Ukraine, si profondément agressée, physiquement et historiquement.

Il y a trois ans, la Russie de Poutine a agressé l'Ukraine de manière absolument injustifiée. Cette attaque a marqué un renversement du monde, car nous vivions depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale avec l'idée - certains diront : l'illusion - que les relations internationales seraient régies par le droit et qu'aucun grand pays ne remettrait en cause les frontières.

Poutine a été rejoint par d'autres grandes voix, dont, hélas, celle du 47e président des États-Unis, élu sur un discours que nous avons bien à l'esprit.

Nous sommes inquiets et plongés dans le désarroi. L'Ukraine semble abandonnée par l'entrée en dialogue du principal pays de l'Otan avec son agresseur pour, semble-t-il, se partager la zone.

Depuis le général de Gaulle, la France défend avec constance une ligne d'autonomie au service de l'équilibre international, dans l'idée que c'est de nous que dépendent notre liberté et notre indépendance.

Le basculement du monde que nous vivons renforce deux volontés : construire l'Europe, à peine esquissée, ce qui demandera d'importants efforts ; assumer la responsabilité de la France, la première, dans cette Europe qui se cherche. C'est de sa vitalité, de sa prospérité et de son unité que dépendent l'avenir de l'Europe, ainsi que celui de l'Ukraine, que nous aimons. (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur des travées des groupes INDEP et UC)

Situation internationale (II)

M. Claude Malhuret .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Oui, monsieur le Premier ministre, le monde bascule. Pendant ce temps, l'Europe est en guerre, seule et divisée.

Désormais, ce que quelques-uns d'entre nous répètent depuis trois ans en prêchant dans le désert apparaît comme une évidence. Il y a quelques jours, il a suffi d'un coup de fil entre Trump et Poutine pour transformer l'Europe en paillasson et l'Ukraine en otage d'un pacte honteux.

Le prétendu maître de l'art du deal et ses copains du golf de Mar-a-Lago négocient seuls, en cédant d'emblée aux buts de guerre de l'adversaire. Les rodomontades de la paix par la force ont fait place à la pantalonnade de la paix par la reddition. Celui qui briguerait, dit-on, le prix Nobel de la paix est assuré de recevoir celui de la trahison - et de la provocation, depuis qu'il accuse Zelensky d'avoir déclenché la guerre.

À Munich, son numéro deux, le génie des Appalaches, qui a soutenu l'assaut du Capitole, a osé nous donner des leçons de démocratie. Les Européens ont répondu : rien sur l'Ukraine sans l'Ukraine ; rien sur l'Europe sans l'Europe. Belles paroles : mais comment les traduire en actes ?

Depuis des décennies, l'Europe ne cesse de repousser la construction de sa défense, malgré les exhortations françaises. En juin 2022, le Président de la République a annoncé l'entrée de la France et de l'Europe en économie de guerre : nous n'avons pas fait le moindre pas dans cette direction. Quant à la réunion d'avant-hier à l'Élysée, elle n'a pas fait l'objet d'un communiqué pour ne pas étaler les divisions...

Faute d'avoir agi, l'Europe doit en urgence réaliser des investissements massifs, utiliser les avoirs russes gelés, unir ses marchés de capitaux, sortir les dépenses militaires des critères de Maastricht.

La guerre se rapproche et nos alliés s'éloignent : quel est le plan ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, sur de nombreuses travées du RDSE et du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. François Bayrou, Premier ministre .  - Au cours des dernières décennies, la France a été constamment à l'avant-garde, souvent seule, notamment dans la dernière décennie, pour défendre l'idéal d'une Europe qui s'unirait pour exister.

Nous serons seuls, oui ; mais serons-nous nous-mêmes ? L'Europe va-t-elle choisir d'exister ? To be or not to be : c'est interrogation devant laquelle elle est placée.

Le plan, il repose en partie sur la volonté politique de construire une défense qui ne dépende pas des autres, quels qu'ils soient. Vous savez tout ce que cela implique, technologiquement et numériquement.

La force de l'Europe se joue aussi sur le plan économique. On ne peut en rester à une situation aussi déséquilibrée, avec toute la croissance outre-Atlantique, grâce à un puissant soutien de la FED, et toute la stagnation chez nous, où la BCE garde une prudente réserve. Depuis longtemps, les États-Unis organisent une captation, ajoutant une puissance monétaire sans égale à une croissance soutenue technologiquement, industriellement et fiscalement.

Ces questions sont existentielles. Le moment vient, les jours approchent, les heures peut-être, où nous aurons, en citoyens responsables, à y répondre. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP et sur quelques travées du RDSE et du groupe UC)

Conséquences du dérèglement climatique sur le littoral

Mme Mireille Jouve .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Du rapport récent de la Cour des comptes sur l'aménagement du littoral méditerranéen aux articles de la presse scientifique ou générale, les alertent se multiplient sur les conséquences du dérèglement climatique sur nos 20 000 kilomètres de côtes.

Si la tendance, avec la montée des populismes, est au déni, les villes côtières subissent déjà des bouleversements : inondations, salinisation, altération d'infrastructures, recul du trait de côte, submersion de terres agricoles. Il n'est plus temps de procrastiner : demain, ce sera trop tard, et trop coûteux.

J'associe à cette question mes collègues Jean-Marc Ruel et Philippe Grosvalet, tous deux concernés : Miquelon disparaît sous les eaux et plus de 18 000 logements sont menacés en Loire-Atlantique d'ici à 2100. Le littoral méditerranéen n'est pas épargné : le parc naturel régional de Camargue pourrait perdre une surface équivalente à quatre fois Paris, et Saintes-Maries-de-la-Mer subit un recul du trait de côte de 1 à 5 mètres par an ; déjà la majeure partie de la plage a disparu au Grand Radeau.

Quels moyens comptez-vous mobiliser pour relever ces défis ? (Applaudissements sur les travées du RDSE)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche .  - Aucune région côtière n'est épargnée par ces enjeux majeurs. Le constat est clair : en cinquante ans, près de 30 km2 de surface ont déjà disparu.

Le recul du trait de côte est un phénomène progressif et anticipable : nous devons revoir à cette aune nos politiques d'aménagement. Les élus locaux se mobilisent en ce sens, notamment dans le cadre du Comité national du trait de côte.

Je rendrai public dans quelques jours le plan national d'adaptation au changement climatique. L'adaptation de nos zones littorales est l'une de mes priorités, au même titre que l'adaptation des zones de montagne et des communes forestières. Des solutions existent, les élus y travaillent.

Le budget 2025 nous donne des moyens pour agir. Je pense en particulier au renforcement du fonds vert, dont 200 millions d'euros devraient être fléchés vers l'adaptation au changement climatique. Dans le cadre notamment du fonds Barnier, 330 millions d'euros seront alloués à la gestion des risques, soit 100 millions d'euros de plus que l'an dernier. Un financement pérenne du suivi des politiques de trait de côte sera mis en place, comme le demandent les élus locaux.

Je travaillerai à la création d'un seul dispositif pour la submersion et le trait de côte, peut-être en mobilisant des ressources fiscales locales. (Applaudissements sur des travées du RDPI)

M. Mickaël Vallet.  - Et le fonds érosion ?

Demande de débat au Parlement sur l'Ukraine

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Côté russe, trois ans de guerre, de massacres, de déplacements d'enfants ; côté ukrainien, trois ans de résistance héroïque et de courage inouï derrière le président Zelensky.

Mais nous sommes à un tournant. Insidieusement : le doute s'est installé, la mobilisation s'est essoufflée et nos alertes sont restées lettre morte.

Trop longtemps, nous avons cru que les États-Unis seraient toujours de notre côté. Le ministre des affaires étrangères lui-même déclarait, le 13 novembre dernier, en réponse à une question de M. Malhuret : Donald Trump est trop avisé pour abandonner l'Ukraine en rase campagne.

Nous devons être lucides. La démocratie américaine reste notre alliée, mais l'administration Trump est désormais un adversaire.

Mme Émilienne Poumirol.  - Très bien !

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure.  - Avant même le début des négociations, le président américain semble avoir tout lâché. Comment faire respecter nos positions ? Quelle est la stratégie de la France ? Confirmez-vous l'organisation, annoncée par la porte-parole du Gouvernement à la suite de la demande des députés socialistes, d'un débat et d'un vote au Parlement le mois prochain, en application de l'article 50-1 de la Constitution ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, sur des travées du groupe CRCE-K et sur des travées du groupe INDEP)

M. François Bayrou, Premier ministre .  - Je vous confirme que le Gouvernement organisera un débat en vertu de l'article 50-1 de la Constitution, pour que nous examinions ensemble les données actuelles d'une situation qui était en gestation depuis des années, après les dernières prises de position de l'administration américaine.

Je fais, comme vous, la différence entre le peuple américain, notre allié, et l'administration en place, qui, au grand désarroi de beaucoup, semble s'éloigner des positions fondamentales défendues par les États-Unis depuis leur engagement dans la Seconde Guerre mondiale.

Sur le plan diplomatique, comme le ministre des affaires étrangères vous l'a régulièrement expliqué, nous entendons réunir les énergies européennes et déployer un plan commun pour notre défense.

Sur le plan intérieur, nous devons résoudre nos problèmes pour retrouver un élan sans lequel il n'y aura pas de position européenne à la hauteur de nos espérances.

De cette double nécessité, nous débattrons le mois prochain. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI, du groupe INDEP et du RDSE ; M. François Patriat, se tournant vers les membres du groupe SER, s'étonne qu'ils n'applaudissent pas.)

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure.  - Je vous remercie pour cette réponse. Vous avez devant vous des démocrates qui feront bloc dans l'intérêt du pays. Les grands principes et les sommets ne suffisent plus : il faut cesser de subir et agir. Demain, le Président de la République et vous-même devrez convaincre la nation de consentir aux efforts nécessaires pour défendre l'Ukraine, notre sécurité et la démocratie. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe SER ; applaudissements sur des travées du GEST ; M. Pierre Barros applaudit également.)

Mme Laurence Rossignol.  - Très bien !

Crise démocratique et institutionnelle en France

M. Ian Brossat .  - Ce matin, en commission des lois, nous avons auditionné deux candidats au Conseil constitutionnel. Ces nominations n'ont rien d'anodin, s'agissant de l'une des institutions les plus importantes de notre République, garante de la constitutionnalité des lois.

Le premier candidat, Philippe Bas, a suscité un large consensus. (Applaudissements sur l'ensemble des travées ; « bravo ! » sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains) Je le dis d'autant plus librement qu'il n'est pas issu de nos rangs - cela vient de se voir... (Sourires)

Pour le second, Richard Ferrand, le moins qu'on puisse dire est qu'il a suscité moins d'enthousiasme. (On ironise sur de nombreuses travées.) Au Sénat comme à l'Assemblée nationale, sa candidature a été rejetée par une majorité de commissaires aux lois. Elle ne doit d'échapper au couperet des trois cinquièmes qu'à une seule voix et à l'abstention complice de députés RN. (Huées à droite)

Quel est donc le deal caché, le marchandage d'arrière-cuisine, qui s'est noué avec l'extrême droite ? Je rappelle qu'une des premières audiences que Richard Ferrand pourrait présider portera sur une question prioritaire de constitutionnalité relative à l'exécution provisoire d'une peine d'inéligibilité. Comme par hasard, c'est l'un des enjeux du procès pénal de Mme Le Pen.

Au regard des conditions chaotiques de cette nomination, ne pensez-vous pas qu'il serait sage que le Président de la République procède à une autre nomination, au-dessus de tout soupçon ? (Nombreux « oui ! » et « bravo ! » sur les travées des groupes CRCE-K et SER, du GEST et du groupe Les Républicains ; applaudissements particulièrement nourris sur les mêmes travées ; MM. Marc Laménie et Philippe Grosvalet applaudissent également.)

M. Patrick Mignola, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement .  - L'espace d'un instant, j'ai cru que ces applaudissements m'étaient destinés... (Nombreuses marques d'ironie)

M. Hussein Bourgi.  - C'était pour Philippe Bas ! (Sourires)

M. Patrick Mignola, ministre délégué.  - Je salue à mon tour la désignation du sénateur Bas.

Monsieur Brossat, nous pouvons converger sur au moins un point : l'importance du Conseil constitutionnel. (Exclamations ironiques sur de nombreuses travées)

M. Jérôme Durain.  - Ça ne mange pas de pain...

M. Olivier Paccaud.  - Et sa crédibilité, donc son indépendance !

M. Patrick Mignola, ministre délégué.  - Je vous sais attachés au respect de la règle. En l'occurrence, les candidatures proposées sont entérinées en l'absence d'une majorité de trois cinquièmes des votants pour s'y opposer. Je ne doute pas que, en défenseurs des institutions, vous respectiez cette règle de désignation. (Protestations à gauche et sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains ; Mme Cécile Cukierman et M. Mickaël Vallet s'indignent.)

M. Hussein Bourgi.  - Aucune légitimité !

M. Yannick Jadot.  - C'est de l'arrogance !

M. Patrick Mignola, ministre délégué.  - Je ne doute pas non plus que, demain, le Conseil constitutionnel saura, à vos côtés, faire respecter toutes les règles de nos institutions. (Huées sur des travées du groupe Les Républicains, du GEST et des groupes SER et CRCE-K ; applaudissements sur des travées du groupe UC et du RDPI)

Défense européenne

Mme Nadia Sollogoub .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La sécurité de l'Europe est à un tournant, a déclaré la présidente de la Commission européenne à la suite de la conférence de Munich, dimanche dernier. Munich, tout un symbole et un électrochoc pour l'Europe : nous avons enfin compris que le monde d'après 1945 n'était plus.

Les États-Unis ne veulent plus assurer la sécurité de l'Europe, qui se retrouve livrée à elle-même. Or l'addition de nos armées nationales ne constitue pas un ensemble homogène ni suffisant face à un envahisseur qui a déjà franchi les frontières de l'Ukraine. Nous ne sommes pas structurés pour l'économie de guerre.

Deux voies s'offrent à nous : continuer à nous diviser et disparaître ou nous doter d'une vraie armée européenne pour garantir notre paix. Rêve des pères fondateurs, la défense commune s'est toujours heurtée aux vétos nationaux : celui de la France en 1954 puis, après 1989, ceux des pays de l'Est, qui préféraient le parapluie américain.

À cause de Donald Trump, les choses pourraient avoir changé. Si la sécurité de l'Europe est vraiment à un tournant, sur quels moyens industriels, humains et budgétaires pouvons-nous compter ? Pouvons-nous désormais croire à une défense européenne ? Votre réponse est attendue par nous tous, mais aussi nos collègues de la Rada d'Ukraine, que les dernières déclarations américaines ont plongés dans une sidération et une inquiétude immenses. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Émilienne Poumirol et M. Didier Marie applaudissent également.)

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Monsieur le président, je me joins aux félicitations que vous avez adressées à Nadia Sollogoub, qui oeuvre sans relâche à cultiver les liens entre la France et l'Ukraine.

L'Europe est face à une menace existentielle. Il y a dix ans, quand la Russie a lancé sa première guerre, contre le Donbass et la Crimée, nous avons sans doute fait preuve de faiblesse en acceptant un cessez-le-feu fragile que la Russie a violé par vingt fois.

Les États-Unis ont décidé de laisser l'Europe assumer seule la charge de sa défense. Les Ukrainiens sont les sentinelles de l'Europe : ils tiennent notre première ligne de défense.

La France a heureusement pris un peu d'avance, grâce aux lois de programmation militaire, qui ont été respectées. Dans quelques années, nous aurons doublé les moyens consacrés à notre défense.

Mais, au niveau européen, certains de nos partenaires sont en retard. Le Président de la République a appelé à un réveil européen et exigé de la Commission européenne qu'elle relâche certaines des contraintes budgétaires qui limitent la capacité des États à faire les efforts nécessaires.

Rien ne sera possible sans un réveil des peuples et de leurs représentants. Je vous invite à vous saisir pleinement du débat que le Premier ministre a annoncé pour le mois prochain, car nous avons besoin d'un réarmement moral qui entraîne toute la nation. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et du RDPI)

Démission du SGPE

M. Jacques Fernique .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Le Gouvernement a-t-il une volonté commune pour l'écologie ? La démission d'Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique (SGPE), marque le recul de votre volonté de porter une planification écologique ambitieuse.

Monsieur le Premier ministre, vous êtes chargé de la planification écologique : mais nul ne voit plus guère la dynamique politique de la mission... C'est le backlash - le retour du bâton - pour l'écologie. Il y a trois ans, l'ambition était bien affichée, avec les slogans « France, nation verte » et « agir, mobiliser, accélérer ».

« Agir », mais comment, alors que les moyens sont sacrifiés dans le budget ?

« Mobiliser », mais comment, alors que la démarche n'est plus incarnée ? Et quand on laisse monter les velléités de saborder l'Ademe, l'Office français de la biodiversité (OFB), l'Agence bio, le ZAN (protestations sur les travées du groupe Les Républicains) et qu'on dépénalise les destructions environnementales ?

« Accélérer », mais comment, quand on décrète la pause environnementale et qu'on freine sur le Pacte vert européen ?

Quand cessera cette chronique d'un naufrage annoncé ? (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche .  - Je me félicite que vous vous inquiétiez du départ du SGPE, car vous étiez plus que dubitatif en 2022, à la création de cette fonction...

M. Yannick Jadot.  - Bien sûr, c'est de la faute des écolos !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre.  - ... rattachée directement à la Première ministre, Élisabeth Borne -  une première en Europe. Merci de votre témoignage tardif, mais vibrant, qui prouve le succès du SGPE et de nos politiques.

Je vais vous rassurer : le SGPE continuera à travailler. Il a permis d'élaborer de solides trajectoires de décarbonation, secteur par secteur, région par région. Avec des résultats : depuis sa création, nous avons réduit nos émissions de gaz à effet de serre de plus de 10 %, soit deux fois plus que ce qui a été fait sous le quinquennat 2012-2017. (Marques de désapprobation sur les travées du GEST)

Début mars, je publierai le programme national d'adaptation au changement climatique. Nous avons voté un budget inédit.

M. Yannick Jadot.  - Très inédit...

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre.  - Dans les prochains mois, avec mes collègues ministres, nous élaborerons la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC).

Vous avez raison : des vents mauvais soufflent sur l'écologie. Sachez choisir les bons combats. (M. François Patriat applaudit.)

M. Jacques Fernique.  - Puisque vous le dites, tout va très bien madame la ministre ; on déplore juste un tout petit rien... Faisons semblant que tout se planifie au mieux. La suite de cette chronique, ce sera quoi ? Une nouvelle démission ? (Applaudissements sur les travées du GEST ; MM. Hervé Gillé et Pierre Barros applaudissent également.)

Mode de scrutin pour les municipales à Paris, Lyon et Marseille

M. Mathieu Darnaud .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Olivier Cigolotti applaudit également.) Paris, Lyon et Marseille, les trois principales villes de France, ont un mode de scrutin spécifique depuis près de quarante ans. S'il faut y réfléchir, la précipitation du Gouvernement nous interroge.

Vous avez choisi d'inscrire une proposition de loi à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Or, en vertu de l'article 24 de la Constitution, le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales : il aurait donc été bienvenu que nous en débattions en premier lieu. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE-K, du GEST et sur quelques travées du RDSE) En outre, un tel sujet aurait mérité une étude d'impact.

Mme Cécile Cukierman.  - Oui !

M. Mathieu Darnaud.  - Enfin, est-il bien sage de modifier le mode de scrutin moins d'un an avant les élections ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE-K et du GEST)

M. François Bayrou, Premier ministre .  - J'ai dit que le Parlement, avec moi, retrouverait toute son initiative, sans que jamais je ne le force. (On ironise à gauche.)

Voilà des années, des décennies même, que nous discutons du mode de scrutin de Paris, Lyon et Marseille et que nombre d'élus demandent qu'il soit revu. (M. Stéphane Ravier proteste.) Je me souviens des remarques de Philippe Séguin -  je vois que certains membres du groupe que vous présidez acquiescent... (On s'en défend à droite.) Je me souviens aussi de la proposition de loi de Jean-Claude Gaudin.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - Il y a un siècle !

M. François Bayrou, Premier ministre.  - Je constate aussi que Lyon a moins d'habitants que Toulouse.

Il n'est pas question d'amoindrir le rôle des arrondissements.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - C'est faux !

Mme Colombe Brossel.  - Mensonge !

M. François Bayrou, Premier ministre.  - Il n'est pas normal qu'on ne puisse pas choisir le maire d'arrondissement indépendamment du maire de la ville.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - C'est déjà le cas.

M. François Bayrou, Premier ministre.  - L'électeur doit pouvoir choisir l'un et l'autre. Ainsi, à Paris, on peut avoir des préférences multiples... (Mme Cécile Cukierman et M. Ian Brossat protestent.) C'est le seul objet du texte : rendre aux citoyens le droit de choisir leurs élus, arrondissement par arrondissement, commune par commune.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie.  - C'est déjà le cas.

Mme Colombe Brossel.  - Vous allez tuer les arrondissements !

M. François Bayrou, Premier ministre.  - Nous en discuterons lors de l'examen du texte. Le Parlement sera souverain ; nous n'avancerons pas sans un accord de l'Assemblée nationale et du Sénat. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI et du groupe UC)

M. Mathieu Darnaud.  - Vous trouverez toujours des collègues qui acquiescent aux noms de Gaudin et Séguin. (Sourires) Un tel texte doit répondre aux aspirations des Parisiens, des Lyonnais et des Marseillais. Prenons le temps d'expertiser un texte aussi important pour notre démocratie. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, SER et CRCE-K, du GEST et sur quelques travées du groupe UC)

Soutien à l'Ukraine

M. Cédric Perrin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En ces journées historiques, nous assistons à l'effondrement de l'architecture de sécurité en place depuis la fin de la guerre froide. Les générations précédentes ont consenti des efforts énormes pour recouvrer notre souveraineté. Nous le devons au général de Gaulle, qui voulait un socle de puissance militaire, reposant sur l'arme atomique. Mais en nous abandonnant aux doux dividendes de la paix, nous avons oublié les dures leçons de l'histoire.

Les masques sont tombés : Russes et Américains veulent décider du sort de l'Europe sans les Européens, désemparés devant la fuite en avant brutale et inconsidérée de l'allié américain.

Qu'allez-vous dire à nos voisins européens pour nous opposer à l'appétit américain et à la voracité russe ? Que comptez-vous dire aux Français pour appeler à l'indispensable sursaut ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères .  - Vous avez raison : nous avons longtemps vécu dans l'insouciance. En 1955, les dépenses militaires représentaient 6 % du PIB, contre 2 % aujourd'hui - c'est insuffisant.

Or la guerre est proche de nous. En Ukraine, nous avons constaté ensemble ses ravages : dans les corps mutilés des soldats, dans les esprits des enfants déportés... Nous sommes revenus avec la conviction que le soutien de la France avait été décisif, que la menace est proche et grave et qu'un sursaut est indispensable.

« Il y a un pacte deux fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde », disait le général de Gaulle. La France peut montrer la voie. Face à ces empires qui se réveillent, nous devons résister, pour ne pas laisser la Russie et ceux que vous avez cités détruire tout ce que nous avons bâti depuis la Seconde Guerre mondiale.

Grâce au débat voulu par le Premier ministre, le peuple français, au travers de ses représentants, pourra s'approprier ces sujets. (M. Emmanuel Capus applaudit.)

M. Cédric Perrin.  - J'étais présent avec vous sur le front en Ukraine : cela a marqué ma vie - comme la vôtre. Mais ce qui se joue dépasse le sort de la malheureuse Ukraine. Nos choix collectifs engagent l'avenir de nos enfants. (M. François Bayrou acquiesce.) Ne laissons pas l'histoire se faire sans nous, et surtout contre nous ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP et sur quelques travées du groupe UC ; M. Henri Cabanel applaudit également.)

Réforme des retraites

Mme Monique Lubin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Monsieur le Premier ministre, dans quelques heures, la Cour des comptes vous remettra son diagnostic sur la situation des comptes de notre système de retraites -  même si le Conseil d'orientation des retraites (COR) aurait très bien pu le faire...

Dans votre déclaration de politique générale, vous étiez revenu sur votre théorie du prétendu déficit caché -  que ne reprennent ni le COR ni la plupart des économistes. Interrogé par notre président de groupe, vous n'aviez pas répondu. En confiant cette mission à la Cour des comptes, espériez-vous la reprise de cette théorie et que les travaux des partenaires sociaux partiraient de ce constat fallacieux ?

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi .  - Le Premier ministre a fixé trois temps : celui de l'expertise de la Cour des comptes, d'abord ; celui de la négociation sociale entre les partenaires sociaux, ensuite ; le temps politique, enfin, puisqu'un débat se tiendra dans chacune des assemblées.

Le constat dressé par la Cour des comptes devra nous permettre de mesurer l'effort consenti par la nation pour financer nos retraites, privées comme publiques. Ensuite, seront dessinées les différentes pistes, en fonction des hypothèses de croissance et de productivité, notamment.

Réjouissons-nous que les partenaires sociaux se saisissent du sujet pour corriger la trajectoire financière, ainsi que certaines injustices.

Mme Monique Lubin.  - On ne nous répond toujours pas sur ce fameux déficit caché... Nous voulons d'abord que cette notion fallacieuse et trompeuse disparaisse définitivement du débat, car elle remettrait en cause le financement de la retraite des fonctionnaires. Ensuite, nous souhaitons que les partenaires sociaux travaillent dans un climat serein. Enfin, une fois que les partenaires sociaux auront travaillé, un débat devra se tenir devant le Parlement. (Applaudissements à gauche)

Situation de la viticulture

Mme Florence Lassarade .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La loi Égalim vise à garantir une meilleure rémunération des viticulteurs, en imposant des prix qui reflètent les coûts de production et en instaurant des indicateurs de prix pour encadrer les négociations.

Dans le secteur viticole, son application se heurte à plusieurs obstacles : absence d'indicateurs de prix spécifiques aux vins, tensions commerciales liées à la renégociation obligatoire des contrats, manque de transparence sur les marges, etc. Sans oublier les incertitudes économiques liées à la réélection de Donald Trump, pour le vin français et le cognac -  Daniel Laurent et Corinne Imbert, sénateurs de Charente-Maritime, partagent mes préoccupations.

Les viticulteurs envisagent de créer une organisation de producteurs pour mieux structurer la filière et renforcer leur poids dans les négociations. Mais cette initiative appelle des adaptations réglementaires.

Comment appliquer plus efficacement la loi Égalim dans le secteur viticole ? Allez-vous aider les viticulteurs à créer une organisation de producteurs ?

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire .  - La filière vitivinicole est soumise aux dispositions de la loi Égalim et souhaite le rester.

Je connais les difficultés de la filière, qui tiennent d'abord au premier acheteur : le négociant, qui ne contractualise pas toujours et qui n'est pas soumis à la loi Égalim. En outre, le vin étant stockable, les écarts de prix d'une année sur l'autre peuvent être importants.

Pour y remédier, je prépare avec Véronique Louwagie une nouvelle loi Égalim. Nous travaillons sur l'amont -  au travers notamment des organisations de producteurs  - , mais aussi sur les indicateurs, qui sont trop nombreux et trop hiérarchisés. Je salue le travail d'Anne-Catherine Loisier et Daniel Gremillet, qui nous sert de base de travail.

Nous agissons aussi au niveau européen, dans le cadre de la révision du règlement portant organisation commune des marchés. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)

Mme Florence Lassarade.  - Les viticulteurs girondins vous attendent sur le terrain, tout comme ceux des Côtes-du-Rhône ou du Languedoc. Il faut mette en oeuvre la loi Égalim. Du concret ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)

Bouclier tarifaire sur l'eau

M. Yves Bleunven .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Nadège Havet applaudit également.) Nouvelle mauvaise surprise pour les industriels : leur facture d'eau. Les industriels de l'agroalimentaire sont particulièrement concernés : les coûts augmentent de 250 % !

Dans le bassin Loire-Bretagne, une entreprise d'abattage a vu sa redevance passer de 7 000 à 200 000 euros, sans compter l'augmentation intrinsèque du tarif de l'eau.

Si certaines augmentations ont été décidées dans les collèges des agences de l'eau, d'autres suscitent l'incompréhension. Certains acteurs bénéficiaient d'une assiette plafonnée de 6 000 m3 par an, mais les services de l'État ont supprimé ce plafond. Il est inconcevable que cette mesure soit prise sans concertation ni étude d'impact.

Compte tenu de leur manque criant de compétitivité, les entreprises françaises ne pourront absorber une hausse si brutale, alors qu'elles doivent financer les investissements nécessaires au recyclage de l'eau - la fameuse Reut (réutilisation des eaux usées traitées) - et font face à des prix de revient élevés.

Un bouclier tarifaire sera-t-il mis en place en urgence ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Nadège Havet applaudit également.)

M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique .  - Vous m'alertez sur les effets cumulés de la réforme des redevances des agences de l'eau et des tarifs votés par les agences pour financer le plan Eau. Leur objectif : inciter à la sobriété des usages, optimiser les ressources, préserver la qualité. La réforme, entrée en vigueur le 1er janvier 2025, crée trois nouvelles redevances sur la consommation d'eau potable, la performance des réseaux d'eau et la performance de l'assainissement collectif.

Le but : équilibrer la contribution des différentes catégories d'usagers, renforcer le signal prix et améliorer la lisibilité de la fiscalité.

L'effort demandé aux usagers est important, à l'heure d'une raréfaction de la ressource. Il se répartit sur 8 000 entreprises, que nous accompagnerons de manière ciblée. Pour certaines d'entre elles, l'impact est considérable ; nous travaillons à un bouclier, en lien avec les agences de l'eau.

Vous nous alertez sur la situation particulière de la filière agroalimentaire : le plan de sobriété hydrique adopté en février 2024 constitue notre boussole. Le Gouvernement accompagnera ces entreprises. (M. François Patriat applaudit.)

Fonds territorial climat

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Vous le savez, depuis que je suis dans cet hémicycle, j'essaie de rendre la fiscalité plus lisible, d'adapter notre société et notre économie au changement climatique et de rendre l'action publique plus efficiente, donc plus simple.

Dès 2017, je plaidais, dans mon tout premier amendement, pour l'attribution d'une part de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) aux collectivités territoriales.

L'année dernière, comme rapporteure spéciale, j'ai porté la création d'un fonds climat territorial pour simplifier le financement des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET).

En 2025, nous avons récidivé. La mesure a survécu à la CMP : elle implique la création d'un fonds climat territorial de 200 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP) dans le programme 380. Sa création n'a aucune conséquence sur le solde de la mission.

Ma question est simple : quand allez-vous créer ce fonds de 200 millions d'euros ? J'entends dire que les textes réglementaires seront publiés d'ici à la fin du mois... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du GEST)

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche .  - Les sénateurs ont très bien travaillé, de manière transpartisane. En 2025, une enveloppe budgétaire est consacrée au financement des PCAET. Le principe est le suivant : si les intercommunalités ont déjà travaillé, elles n'auront pas à justifier à nouveau leurs projets.

M. Jean-François Husson.  - On le sait.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre.  - Je vous remercie de votre travail en tant que rapporteure spéciale. Comme je m'y étais engagée au banc, pour la première fois en 2025, une enveloppe de crédits de l'État sera spécifiquement dévolue à ce fonds.

Mme Christine Lavarde.  - Combien ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre.  - Vous serez un peu déçue, c'est 100 millions d'euros sur le programme 380, qui porte le fonds vert (Mme Christine Lavarde manifeste son agacement) ; ils seront répartis entre les intercommunalités ayant suivi un PCAET, sans qu'elles n'aient à redéposer un dossier en préfecture. L'attribution se fait de manière directe. C'est un pacte de confiance avec les collectivités territoriales. Si cette enveloppe de 100 millions d'euros n'est pas exclusive de l'accès à d'autres financements, elle constitue un accélérateur.

Quelque 1 300 projets de PCAET ont bénéficié de crédits du fonds vert en 2024. Ses moyens ont été recentrés en 2025, avec 1,15 milliard d'euros, contre 1,6 milliard l'année dernière.

M. Jean-François Husson.  - Autant de millions gagnés !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre.  - Vous pouvez compter sur moi pour préserver cette enveloppe de 100 millions d'euros.

Mme Christine Lavarde.  - Vous m'avez dit tout ce que je savais déjà et n'avez absolument pas répondu à ma question... (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du GEST) La CMP s'est prononcée : le Parlement a voté 200 millions d'euros ! Voilà qui interroge ce que nous faisons ici. (Marques d'approbation) Nous avions même voté 250 millions d'euros pour les fonds climat territorial dans le PLF pour 2024.

M. Jean-François Husson.  - Il ne s'est rien passé.

Mme Christine Lavarde.  - Voilà deux fois que le Parlement vote de manière souveraine, et deux fois que le Gouvernement fait l'inverse. Le fonds vert était pourtant fait pour créer de la confiance avec les collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, du GEST, du groupe SER et sur plusieurs travées du groupe CRCE-K)

Revenu des agriculteurs

M. Jean-Claude Tissot .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) L'année 2025 est marquée par un moment parlementaire agricole intense : proposition de loi levant les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur, proposition de loi Démocratie agricole, projet de loi d'orientation agricole.

On a compris que c'était votre laissez-passer pour le Salon de l'agriculture. Cela dit, une loi doit répondre à un intérêt général et non à un événement particulier... (M. Laurent Duplomb proteste.) Mais l'objectif d'une loi d'orientation, c'est bien de définir des perspectives.

Vous avez mal compris la mobilisation du printemps 2024. Les paysans malmenés par la guerre des prix sont cantonnés au rôle de perdants. Ils souhaitent vivre dignement de leur travail. Qu'est-ce qui, dans votre texte, apportera du revenu aux agriculteurs ?

Vous vous êtes servie de la frustration des paysans pour servir les intérêts des agro-industriels. En cédant à ces lobbies, vous allez à l'encontre des revendications des agriculteurs.

Quand allez-vous mettre en place des mesures pour que les agriculteurs puissent vivre dignement de leur travail ?

Allez-vous modifier le plan stratégique national (PSN) pour mieux répartir les aides de la PAC ? Que proposez-vous pour que les agriculteurs aient un revenu décent ? Et, entre nous, madame la ministre, souhaitez-vous vraiment un nouveau modèle agricole ? (« Bravo ! » et applaudissements nourris à gauche)

Mme Laurence Rossignol.  - Jean-Claude Tissot ministre de l'agriculture !

Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire .  - La CMP sur le projet de loi d'orientation agricole a été conclusive. (Quelques applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Ce texte a été examiné il y a plusieurs mois à l'Assemblée nationale : c'est un engagement que j'honore, non une occasion que j'ai saisie pour m'en servir de blanc-seing en vue du Salon de l'agriculture. C'est la continuité du travail parlementaire (Marques d'ironie sur les travées du groupe SER)

Vous caricaturez : le texte n'est pas celui des lobbies... (Protestations à gauche) La fonction première des agriculteurs, la plus noble et la plus essentielle qui soit, est de nourrir la population. (Applaudissements sur quelques travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP) Je renie le terme de productivisme, je pense qu'il faut réhabiliter la notion de production : nos agriculteurs travaillent dur pour nous nourrir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et sur quelques travées du groupe INDEP ; M. Bernard Buis applaudit également.)

L'activisme parlementaire dont vous me tenez rigueur, je m'en félicite : plus on débat de l'agriculture, plus elle est au centre de l'actualité, tant mieux.

M. Laurent Duplomb.  - Très bien !

Mme Annie Genevard, ministre.  - Les revenus des agriculteurs, ce sont trois choses : un demi-milliard d'allègements de charges ; l'accès aux moyens de production - la terre, l'eau (Mme Laurence Rossignol ironise) ; des prix rémunérateurs, c'est ce que nous ferons avec Véronique Louwagie via la loi Égalim. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; MM. Daniel Chasseing et Bernard Buis applaudissent également.)

M. Jean-Claude Tissot.  - Vous avez tout fait pour que la CMP soit conclusive hier, au forceps !

Mme Annie Genevard, ministre.  - Bien sûr !

M. Jean-Claude Tissot.  - Nous avons travaillé n'importe comment, avec des textes arrivant sur la table au dernier moment.

Oui, la mission première d'un paysan est de nourrir les gens - ça a été mon métier pendant trente ans  - et non de les empoisonner. (Applaudissements à gauche)

Commerce en ligne de produits textiles

Mme Sylvie Valente Le Hir .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-François Longeot et Mme Annick Billon applaudissent également.) Le commerce en ligne connaît de profonds bouleversements, après l'apparition d'enseignes asiatiques - Shein, Temu. Ces dernières se sont imposées aux yeux des Français. Le poids de ces acteurs est de plus en visible : ils représentent 22 % des colis traités selon La Poste.

Nombreux sont les professionnels du secteur textile en grande difficulté : ils demandent une régulation. Avec 50 000 salariés contre 600 000 dans les années 1990, nous assistons à une hécatombe : désertification de nos centres-villes, pertes de savoir-faire, conséquences sociales et environnementales. Les filières de seconde main sont submergées par des vêtements de mauvaise qualité, non recyclables. Des plateformes dites sociales rendent des consommateurs addicts, surtout les jeunes.

Je suis rapporteure d'une proposition de loi adoptée à l'Assemblée nationale visant à réduire l'impact environnemental de l'industrie textile. Il est plus que temps de passer aux actes. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER)

Au Sénat, nous sommes prêts, malgré le retrait de cette proposition de loi de l'ordre du jour du 26 mars. Quelle est votre position ? Soutenez-vous cette démarche ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur quelques travées du groupe SER et du GEST)

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire .  - La proposition de loi Fast fashion n'a pas été retirée : son examen par le Sénat est décalé.

L'objectif est clair : avec Agnès Pannier-Runacher, nous travaillons à rendre cette proposition de loi plus robuste, pour éviter les effets de bord. Nous nous assurons que ce texte cible bien toutes les plateformes, sans créer d'échappatoires.

Nous devons en effet prendre en compte les profonds bouleversements du e-commerce. Nous devons relever des défis en matière environnementale, sociale et économique. Ces entreprises ont capté une grande part du marché, avec plus de 7 000 nouveaux modèles par jour. Les prix sont très bas, mettant en difficulté nos entreprises et nos emplois et créant de nombreux problèmes en matière de recyclage.

M. Yannick Jadot.  - Castaner !

M. le président.  - Il faut conclure.

Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée.  - Nous sommes prêts à agir. Le Gouvernement a une position claire : nous défendons des règles plus strictes en matière d'affichage environnemental, d'écoconception des produits et de gestion des déchets. (Applaudissements sur quelques travées du RDPI)

Dépistage de l'amyotrophie spinale

Mme Jocelyne Guidez .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le 28 février prochain aura lieu la journée mondiale des maladies rares. Nous souhaitons attirer votre attention sur un enjeu majeur : le dépistage de l'amyotrophie spinale. Première cause de mortalité infantile en France, il s'agit d'une maladie neuromusculaire rare, entraînant souvent un décès avant l'âge de 2 ans.

Pourtant, des avancées permettent de stopper la maladie et un dépistage néonatal simple existe, à partir d'une goutte de sang. Plusieurs pays européens pratiquent ce test systématique, expérimenté en Nouvelle-Aquitaine et dans la région Grand Est.

La Haute Autorité de santé (HAS) a rendu un avis en juillet dernier : elle préconise sa généralisation avant le 30e jour de vie pour un traitement précoce. Mais huit mois après, aucune décision n'a été prise, alors que des nourrissons continuent de mourir faute de dépistage.

Pour la première fois en vingt ans, le taux de mortalité infantile en France est désormais supérieur à 4 pour 1 000, faisant passer la France de la troisième à la vingtième place parmi les pays européens.

Selon quel calendrier ce dépistage sera-t-il organisé pour que chaque enfant ait les meilleures chances de survie et de développement ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins .  - Les maladies rares touchent 3 millions de Français. Nous avons des dépistages pour 13 maladies néonatales. Trois nouvelles maladies sont apparues, qui feront l'objet de dépistages rapides pour lutter contre la mortalité infantile. Nous l'annoncerons la semaine prochaine. L'amyotrophie spinale concerne 120 ou 130 enfants par an ; ils seront dépistés et pourront bénéficier d'une thérapie génique.

Le PLFSS a été adopté lundi. Nous avons travaillé avec Amélie de Montchalin pour définir les moyens nécessaires à ces actes de prévention qui sauveront des vies, éviteront des pathologies lourdes et coûteront moins cher, à terme, à notre système de santé. Nous allons déployer ce dépistage le plus vite possible. (Applaudissements sur quelques travées des groupes Les Républicains et UC)

La séance est suspendue à 16 h 25.

Présidence de M. Dominique Théophile, vice-président

La séance reprend à 16 h 35.

Mise au point au sujet d'un vote

Mme Brigitte Devésa.  - Lors du scrutin public n°196, Hervé Marseille souhaitait voter pour.

Acte en est donné.

Avis sur des nominations

M. le président.  - Conformément aux dispositions du cinquième alinéa de l'article 13 et à celles de l'article 56 de la Constitution, la commission des lois a fait connaître qu'elle a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable à la nomination de M. Philippe Bas (36 voix pour, 2 voix contre) et un avis défavorable à celle de M. Richard Ferrand (14 voix pour, 26 voix contre) aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel.

Accord en CMP

M. le président.  - La commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture est parvenue à l'adoption d'un texte commun.

Modification de l'ordre du jour

M. le président.  - Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement sollicite du Sénat l'inscription à l'ordre du jour de ce jeudi 20 février de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture.

Nous pourrions inscrire l'examen de ces conclusions à l'issue de l'espace réservé au groupe UC.

Le délai limite d'inscription des orateurs des groupes serait fixé demain à 11 heures.

Il en est ainsi décidé.

Commission d'enquête (Nominations)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la désignation des dix-neuf membres de la commission d'enquête sur la libre administration des collectivités territoriales, privées progressivement de leurs recettes propres, et sur les leviers à mobiliser demain face aux défis de l'investissement dans la transition écologique et les services publics de proximité (droit de tirage du GEST).

En application de l'article 8 ter, alinéa 5 de notre règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.

CMP (Nominations)

M. le président.  - Des candidatures ont été publiées pour siéger au sein de l'éventuelle commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports.

Ces candidatures seront ratifiées si la Présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.

Indexer les salaires sur l'inflation

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à indexer les salaires sur l'inflation, présentée par Mmes Cathy Apourceau-Poly, Silvana Silvani, Céline Brulin et plusieurs de leurs collègues, à la demande du groupe CRCE-Kanaky.

Discussion générale

Mme Cathy Apourceau-Poly, auteure de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; MmeMonique Lubin et Frédérique Puissat applaudissent également.) Ces dernières années, sous les coups de l'inflation et en l'absence d'une véritable politique salariale, la France s'est smicardisée : aujourd'hui, 17,3 % des travailleurs sont payés au Smic contre 12 % en 2021, soit 3,1 millions de salariés, dont 58 % de femmes.

Aides à domicile, ouvriers, employés, livreurs nous disent ne plus pouvoir boucler leurs fins de mois. Certains sont obligés de cumuler deux emplois pour éviter la précarité alimentaire à leurs enfants. À la fin du mois, le caddie est de plus en plus vide. Est-il normal qu'en 2025, des travailleurs qui vont au turbin chaque matin soient obligés de s'adresser aux banques alimentaires ? Beaucoup ne prennent plus de vacances depuis longtemps. Leur seule sortie, c'est une après-midi au parc.

Point de misérabilisme, mais un constat : les travailleurs n'arrivent plus à joindre les deux bouts. Or le travail doit payer et être justement rémunéré. C'est une question de justice et de respect des travailleurs.

Les salariés sont fiers de ce qu'ils produisent, mais ils sont rattrapés par l'inflation : cela ne peut plus durer ! Oui, les travailleurs pauvres existent, car le travail ne paie plus. D'où cette proposition de loi.

Le Smic est indexé sur l'inflation, tout comme les pensions de retraite et les prestations sociales, mais pas les salaires. Résultat : ils décrochent, entraînant une perte de pouvoir d'achat. En 2024, les salaires ont progressé de 2,7 % en moyenne, soit 0,7 point de plus que l'inflation, ce qui ne suffit pas à compenser les pertes cumulées de 2022-2023, estimées à 2,4 %.

En outre, il y a des disparités entre secteurs. Les employés du commerce ont particulièrement souffert. Dans l'industrie, les salaires sont historiquement plus élevés, car la valeur produite rapporte plus. Mais la donne a changé : les ouvriers de l'automobile n'espèrent plus se payer la voiture qu'ils fabriquent. Toutes les catégories sont touchées : le pouvoir d'achat des cadres a baissé de 2,8 %.

La situation n'est pas plus rose dans la fonction publique, bien au contraire : leur pouvoir d'achat est en chute libre depuis la fin de l'indexation du point d'indice sur l'inflation, en 1983.

Puisque le Smic est indexé sur l'inflation, on assiste à un rattrapage par le bas des échelles des salaires et donc à un tassement des rémunérations. La situation est telle que certains fonctionnaires de catégorie C perçoivent une prime de rattrapage du Smic ! Cela entraîne une perte d'attractivité de nombreux métiers.

Notre pays connaît une explosion de la pauvreté. Près d'un tiers des personnes pauvres ont un emploi, 19 % de salarié et 12 % d'indépendant.

D'un côté, les travailleurs perdent en pouvoir d'achat ; de l'autre, les entreprises du CAC 40 ont réalisé, en 2023, 144 milliards d'euros de bénéfices.

En 2023, le salaire annuel moyen des patrons du CAC 40 était de 7,1 millions d'euros. Ce sont pourtant les salariés qui produisent les richesses.

L'écart entre les rémunérations des salariés et des patrons n'en finit pas de se creuser ; c'est insupportable. L'inflation est non pas conjoncturelle, mais structurelle : il faut donc des réformes structurelles. Même si elle a été ramenée à 2,5 % en 2024, après 5,2 % en 2022 et 4,9 % en 2023, elle est encore de 1,5 % cette année. Il est urgent d'indexer les salaires sur l'inflation, afin de garantir le revenu des travailleurs. Ce mécanisme protecteur et efficace a déjà existé en France de 1952 à 1983. La suppression de l'échelle mobile des salaires a eu des conséquences désastreuses : de 1983 à 1989, la part des salaires dans la valeur ajoutée a chuté de 10 points.

Nous serons tous d'accord pour dire que les travailleurs utilisent cet argent dans l'économie réelle ; ils ne spéculent pas. Cette mesure serait bonne pour les individus, mais aussi pour toute l'économie du pays.

La part des dépenses incompressibles représente de plus en plus souvent la totalité du revenu disponible. Les gilets jaunes dénonçaient cet appauvrissement au travail. C'est la classe moyenne qui tend à s'effacer.

La croissance est freinée par la concentration des richesses : c'est ce que nous, communistes, appelons la concentration du capital, qui mène à une crise systémique.

En commission, certains ont exprimé la crainte d'une boucle prix-salaire. Je vous propose un petit voyage chez nos voisins, où les entreprises se portent bien et où il n'y a pas de spirale inflationniste : Belgique, Luxembourg, Chypre, Malte, où les salaires sont indexés.

Il y a les prix, les salaires, mais aussi les profits, qui ne sont pas incompressibles. Cette prétendue boucle inflationniste fait peur car vous refusez de les mettre dans la balance.

Notre proposition est soutenue par 87 % des Français. Nous ne proposons pas d'augmenter les salaires, mais seulement de rattraper l'inflation pour faire cesser la perte continue de pouvoir d'achat.

Le rétablissement de l'échelle mobile des salaires renforcera les négociations de branche.

Le coût du travail est moindre en France par rapport à l'Allemagne : 8,51 euros de l'heure contre 12 euros. À emploi et qualification égaux, nos niveaux de salaires sont inférieurs à ceux de nos voisins du Nord et de l'Est. Or de trop faibles rémunérations ont des conséquences sur la productivité : comment être productif quand l'idée de nourrir vos gosses vous trotte dans la tête ?

Nous réclamons simplement que le travail soit reconnu, qu'il paie et soit indexé sur l'inflation pour permettre aux salariés de vivre dignement.

J'attends avec impatience les arguments du Gouvernement contre cette aspiration à la justice sociale de Français toujours plus nombreux.

Je salue le travail de Silvana Silvani, rapporteure. (Applaudissements à gauche)

Mme Silvana Silvani, rapporteure de la commission des affaires sociales .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Émilienne Poumirol applaudit également.) Cette proposition de loi met en place l'indexation des salaires et du point d'indice des fonctionnaires sur l'inflation, après le contexte de 2022 et 2023, et la précarisation importante des salariés du privé qui s'en est suivie. L'évolution des prix a été supérieure à celle du salaire moyen, aboutissant à une chute de ce dernier de 1 % en 2022.

La diminution du pouvoir d'achat n'a toutefois pas été uniforme. Les revalorisations automatiques du Smic ont protégé le pouvoir d'achat des salariés aux rémunérations les plus faibles, mais les négociations n'ont pas permis d'éviter le tassement des grilles salariales : ainsi, avons-nous atteint en 2023 le pic historique de 17,3 % des salariés au Smic. En outre, certaines branches ne respectent pas leurs obligations légales au regard des minima légaux.

Dans la fonction publique, le constat est encore plus frappant. La hausse du point d'indice a été quasi-annuelle jusqu'en 2010, puis les gouvernements successifs l'ont gelée pendant de longues périodes. Résultat : une perte de pouvoir d'achat patente pour les agents publics. Selon l'Insee, entre 2012 et 2022, leur salaire net moyen a augmenté de 1,4 %, contre 3 % pour les salariés, alors que l'inflation était de 14 %.

L'article 1er de cette proposition de loi prévoit une indexation annuelle des salaires sur le taux prévisionnel d'inflation.

L'article 2 fait de même pour les fonctionnaires. Cette mesure a un coût pour les finances publiques, mais je rappelle que les mesures catégorielles palliant le gel du point d'indice ont coûté 3,5 milliards d'euros en 2024.

L'article 3 impose la tenue de négociations annuelles sur les salaires et précise qu'aucun minimum de branche ne peut être inférieur au Smic.

L'article 4 vise à inciter les employeurs à augmenter les salaires à la mesure de l'inflation en réduisant, dans le cas contraire, les allègements généraux de cotisations dont ils bénéficient.

Le risque de boucle prix-salaire fait figure d'antienne. Ce risque était déjà pointé lors de l'examen de la loi du 18 juillet 1952.

Il est souvent dit que l'indexation des salaires a été abrogée en 1982 pour mettre fin à la spirale inflationniste. C'est une contrevérité : en réalité, l'échelle mobile des salaires n'a jamais été mise en place en France.

Les exemples étrangers montrent que ces objections ne tiennent pas : en Belgique et au Luxembourg, nulle spirale prix-salaire alors que l'indexation existe depuis 1919 et 1921 respectivement. La Belgique a connu la désinflation en 2023 comme la France sans qu'aucun emballement se produise.

Les contempteurs de l'indexation y voient un anachronisme malvenu ou une dangereuse utopie. Pourtant, au Luxembourg, une indexation générale des rémunérations est enclenchée chaque fois que l'indice des prix franchit le seuil de 2,5 %. En Belgique, des commissions paritaires pilotent ce mécanisme pour chaque secteur d'activité. L'indexation des salaires est donc pratiquée chez nos voisins, avec des résultats probants. La Belgique est le pays européen où le salaire réel moyen a le plus progressé en 2023, alors qu'il avait déjà moins diminué en 2022 que la moyenne de la zone euro.

L'indexation représenterait un risque pour les entreprises. Certes, elle leur coûte, mais favorise aussi la consommation des travailleurs et la croissance.

En Belgique, l'indexation des salaires est soutenue par les représentants des PME.

L'administration française a généralement considéré que l'indexation était contraire à la tradition juridique française. Tout est affaire de perspective : 17 millions de retraités et 13 millions de bénéficiaires de prestations sociales voient leurs revenus indexés sur l'inflation. Pourquoi pas pour les 27 millions d'actifs, dont le pouvoir d'achat est moins protégé ?

Enfin, l'indexation des salaires nuirait au dialogue social. Or ce dialogue se limite trop souvent à la course contre l'inflation, tandis que les sujets ne manquent pas : égalité femmes-hommes, partage de la valeur, formation... Les partenaires pourraient mettre à profit le temps économisé par l'indexation.

Celle-ci ne doit pas faire l'objet de contresens : voir son salaire indexé n'est pas un gain pour les salariés, mais un maintien de leur pouvoir d'achat ; c'est une mesure minimale.

Notre économie mondialisée est vulnérable aux chocs. Un nouveau renchérissement des coûts des matières premières, une désorganisation du transport et des chaînes de production, une hausse des droits de douane ne sont pas à exclure.

À titre personnel, je suis favorable à l'adoption de cette proposition de loi. Toutefois, la commission ne l'a pas adoptée, sa majorité pointant le risque d'administration des salaires, le coût pour les finances publiques et la crainte d'une déstabilisation de l'économie. C'est donc le texte initial qui sera examiné cet après-midi. (Applaudissements à gauche)

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi .  - Importante question que celle du pouvoir d'achat des travailleurs de notre pays. Après deux années noires, l'inflation est, depuis décembre dernier, repassée sous les 2 % en glissement annuel, grâce à l'action des pouvoirs publics.

Même si nous avons remis le diable inflationniste dans sa boîte, l'indexation des salaires figure parmi les revendications de plusieurs syndicats.

Face à une hausse des prix provoquée par des chocs externes, les pouvoirs publics doivent réduire l'inflation et protéger certains revenus. Il n'y a pas de solution magique, notamment quand le choc d'inflation est externe, comme ces dernières années. Quelqu'un doit payer la facture. Qui ? Les salariés, les contribuables, les employeurs ?

L'indexation générale pourrait être tentante. Le coût de l'inflation serait répercuté sur les employeurs, qui l'imputeraient sur leur marge, ou sur leurs prix, donc sur les consommateurs. Le prix à payer serait double, avec un effet négatif sur l'activité et l'emploi d'une part, et un effet inflationniste d'autre part.

Nous avons connu par le passé des boucles prix-salaire. Les choix des gouvernements socialistes des années 1980 ont permis d'en sortir.

Si, depuis 1983, l'indexation générale est écartée, nous disposons d'un outil puissant pour protéger les rémunérations les plus faibles : le Smic bénéficie de règles précises de réévaluation sur la base de l'inflation et de l'évolution du salaire ouvrier et employé de base. Depuis octobre 2021, il y a eu huit hausses du Smic, pour une hausse totale de 12,4 %. La dernière hausse a bénéficié à 14,5 % des salariés du privé.

Notre législation offre un compromis entre la protection des bas salaires contre l'inflation et l'impératif de ne pas alimenter cette dernière.

L'indexation du Smic envoie un signal aux partenaires sociaux. La négociation collective a d'ailleurs été au rendez-vous. Après deux années de baisse en 2022 et 2023, les salaires réels sont repartis à la hausse.

Selon la Dares, au quatrième trimestre 2024, le salaire horaire de base des ouvriers et des employés a augmenté de 1,7 % et le salaire moyen de base de 1,6 %, hors inflation, sur douze mois.

L'ajustement des salaires en haut de la grille prend du temps et demande de la volonté. Nous constatons un tassement temporaire de l'éventail des salaires. C'est le rôle des partenaires sociaux d'y remédier. Cela implique la volonté politique d'accompagner les branches. Je travaille depuis octobre auprès de celles dont les grilles de salaires ne sont pas conformes. La loi Plein emploi a renforcé leurs obligations et réduit les délais. Pas plus tard que vendredi dernier, la branche du caoutchouc s'est mise en conformité.

Notre législation, qui repose sur l'indexation du Smic, est plus attractive que la législation belge, car elle préserve le dialogue social.

Si les salariés belges sont protégés par l'indexation, les hausses de salaires sont plafonnées pour maintenir la compétitivité.

Le système belge, dont vous faites la promotion, c'est la fin de la négociation salariale collective telle que nous la concevons. Pour mémoire, les gouvernements socialistes des années 1980 avaient rendu obligatoire la négociation annuelle sur les salaires, avec les lois Auroux.

Le salaire moyen par tête a progressé de 0,7 % par an en plus de l'inflation, sur la décennie d'inflation très modérée 2010-2019. Nous souhaitons que le travail paye plus, qu'il paye mieux. L'indexation générale des salaires ne le fait pas.

Nous ne traiterons pas cet après-midi une question de fond : celle du temps partiel subi, qui concerne des femmes à 80 %, et est la principale source de pauvreté laborieuse. L'enjeu pour les salariés français est aussi celui de l'augmentation de la productivité, ainsi que des effets du coin socio-fiscal. Le travail finance 55 % de la protection sociale, voire 65 % quand on prend en compte la CSG assise sur les salaires.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement vous appelle à ne pas voter cette proposition de loi.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - On l'avait bien compris.

Mme Nicole Duranton .  - Il est des sujets cycliques dans nos débats, à l'instar de celui de l'indexation des salaires sur l'inflation, qui est une idée populaire, que la hausse des prix à la consommation de 2022-2023 a remise en avant.

Dès 1952, l'indexation du Smig autorise l'introduction de clauses visant le même objectif dans les conventions de branche. Censurées une première fois en 1959, elles ne disparaissent définitivement qu'en 1982 lors du tournant de la rigueur. La Belgique - comme d'autres pays européens - s'est dotée de dispositions similaires, qui demeurent difficilement transposables dans notre économie.

L'indexation des salaires sur l'inflation ne résiste pas à l'analyse.

Le premier risque est la spirale prix-salaire, provoquée par la hausse des coûts de production des entreprises et leur répercussion sur les prix. C'est cette spirale qui a conduit le gouvernement Mauroy à y mettre fin en 1982, quand l'inflation frôlait les 20 %. Le deuxième risque concerne la capacité des entreprises à absorber les hausses de salaire et à ajuster leurs coûts en cas de baisse de l'activité. Il est évident qu'elles n'ont pas la trésorerie nécessaire. Les risques pour l'emploi sont réels. La hausse mécanique des salaires aurait une incidence directe sur la compétitivité de nos entreprises à l'étranger et déséquilibrerait encore plus notre balance commerciale.

L'augmentation de la valeur du point d'indice dans la fonction publique aurait un impact direct sur les finances publiques de plusieurs milliards d'euros par an, ce qui est insoutenable. Nous devons poursuivre nos efforts de réduction du déficit public : des dépenses aussi coûteuses sont inenvisageables.

N'affaiblissons pas le dialogue social ! Votre proposition reviendrait à nier le rôle des partenaires sociaux en matière d'évolution salariale.

Nous refusons de conditionner le niveau d'exonérations patronales des entreprises à l'augmentation des salaires. Cela aurait des conséquences sur l'emploi. N'ajoutons pas de la complexité à la complexité.

Bien que nous partagions l'intention de protéger le pouvoir d'achat des salariés et des agents de la fonction publique, cette proposition de loi comporte des risques trop importants pour notre économie. Cherchons d'autres solutions, sans incidence sur la compétitivité des entreprises et l'équilibre des finances publiques.

Le RDPI votera contre cette proposition de loi.

M. Christian Bilhac .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Motivé par la forte dégradation du pouvoir d'achat des Français, ce texte pose la question de la préservation du niveau de vie et celle de la valeur travail et des salaires.

De plus en plus d'offres d'emploi ne trouvent pas preneur, faute de rémunération suffisante. Le travail n'est plus attractif. Les détracteurs de l'indexation des salaires sur l'inflation craignent la spirale inflationniste, la hausse des coûts de production et la baisse de compétitivité des PME-TPE, soumis à une concurrence souvent déloyale.

Les Français le disent tous : pour 100 euros dépensés, le contenu du caddie s'est réduit comme peau de chagrin ces dernières années. Le pouvoir d'achat des Français s'érode sous l'effet de l'inflation et de salaires qui n'évoluent pas au même rythme.

En 2023, j'avais déposé une proposition de loi pour indexer les traitements de la fonction publique sur l'inflation. On m'avait opposé que cela aggraverait le déficit ; il a augmenté sans cela !

L'inflation a atteint 5,2 % en 2024, 4,9 % en 2023 et 1,5 % en 2024. Le cumul est douloureux pour les Français.

On assiste à la paupérisation de nos concitoyens qui travaillent. La Banque de France recensait 600 000 personnes en surendettement en 2024.

Il est urgent de mobiliser tous les leviers disponibles pour garantir la dignité de chacun. Les salaires ne doivent pas servir de variables d'ajustement. Indexer les salaires sur l'inflation garantirait aux salariés que leurs efforts au travail ne soient pas dévalorisés.

En Belgique et au Luxembourg, cette indexation ne provoque ni spirale inflationniste ni emballement économique.

À titre personnel, je voterai ce texte. D'autres membres du RDSE s'abstiendront. Ce texte est raisonnable et pourrait être adopté sans pénaliser notre économie. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du GEST et du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER.)

Mme Brigitte Devésa .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Les Français s'inquiètent de leur pouvoir d'achat et d'un travail qui ne paie pas assez face à une inflation qui pèse sur leur quotidien depuis 2022. Il faut leur répondre avec pragmatisme, sans renoncer aux principes d'équilibre économique et de justice sociale.

Je remercie le groupe CRCE-K pour ce débat. Néanmoins, cette proposition de loi, qui peut sembler pertinente, est alarmante. En effet, elle peut produire l'inverse de ce qu'elle prétend défendre et est incomplète.

Au Luxembourg, à Malte, à Chypre et en Belgique, des garde-fous évitent les effets négatifs de l'indexation. Ainsi, en Belgique, des plafonds évitent toute dérive incontrôlée et un gel est prévu en cas de crise économique majeure. Ce n'est pas le cas dans le texte qui nous est soumis : il promeut un mécanisme rigide et généralisé. Nous répétons qu'il faut respecter les partenaires sociaux : pourquoi porter atteinte au dialogue social en imposant cette indexation ? Son interdiction existe depuis les années 1950 et a été confirmée en 1982.

Certes, le Smic bénéficie d'une revalorisation automatique, selon des critères objectifs. Mais généraliser un tel mécanisme reviendrait à nier les réalités propres à chaque secteur et désinciterait à la négociation collective. Cette rigidité excessive empêcherait la flexibilité nécessaire dans un monde en perpétuelle évolution.

Que fait-on pour le pouvoir d'achat des Français ? Dans une vision libérale, nous essayons d'éviter que l'État ponctionne les salaires par les charges. L'augmentation de la TVA prévue dans le budget pour 2025, par exemple, réduira le pouvoir d'achat des ménages. Après avoir augmenté la pression fiscale, l'État voudrait désormais contraindre les entreprises à compenser les effets de ses propres décisions en les forçant à augmenter les salaires... Ce n'est ni cohérent ni juste. Ce serait une double peine pour les entreprises, déjà confrontées à des charges lourdes, des réglementations de plus en plus complexes et un environnement économique incertain.

Nous sommes dans un monde ouvert : l'indexation des salaires ne pourrait être décidée qu'au niveau européen.

Ce serait aussi une double peine pour les Français, car cette décision entraînerait l'augmentation des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales et de l'État, donc des impôts et de la dette. Le déséquilibre des régimes de retraites serait aussi amplifié. La hausse des salaires alimenterait celle des prix. Enfin, les Français dont les revenus reposent davantage sur les primes seraient pénalisés.

Soyons responsables en garantissant aux salariés un pouvoir d'achat décent, en n'imposant pas une charge supplémentaire aux entreprises et en ne creusant pas les déficits qui pèseront sur les générations futures.

Le groupe UC suivra la commission, qui a rejeté le texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

Mme Céline Brulin .  - (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER) Je salue l'excellent travail de Silvana Silvani (Mmes Émilienne Poumirol et Annie Le Houerou applaudissent) qui montre l'accélération du décrochage des salaires ces dix dernières années : entre 2012 et 2022, le salaire réel des salariés a reculé de 10 % et celui des fonctionnaires de 12 %. Pourtant, les entreprises ont maintenu leurs marges à un niveau historiquement élevé.

Indexer les salaires sur l'inflation relève de la justice sociale. C'est aussi indispensable pour éviter que des professions décrochent en termes d'attractivité : je pense aux enseignants. Dans les années 1980, ils gagnaient 2,2 fois le Smic en début de carrière, contre 1,2 fois actuellement. La déconnexion entre point d'indice et inflation a entraîné la crise de recrutement que nous connaissons.

Certains dénoncent le risque de boucle inflationniste. Le FMI - je ne me réfère pas au Capital de Karl Marx - montre que cette boucle prix-salaire est un mythe, après analyse de soixante ans de vie économique dans différents pays.

Nous sommes attentifs aux petites entreprises : notre proposition de loi maintient les exonérations de cotisations pour celles qui indexeraient les salaires sur l'inflation. Les TPE et PME belges et luxembourgeoises ne se plaignent pas de cette indexation : un pouvoir d'achat garanti, c'est l'assurance de carnets de commandes remplis.

Alors que nombre de salariés ont du mal à joindre les deux bouts, comment justifier que les retraites et les prestations sociales soient indexées sur l'inflation, mais pas les salaires ? On sait ce qu'il est advenu de la sinistre proposition de désindexer les retraites sur l'inflation...

Le travail n'est pas seulement une valeur à convoquer dans les discours ; c'est la seule activité qui produit de la richesse.

Il n'est pas incongru que les travailleurs en revendiquent une part. Il y va du respect qui leur est dû, de la justice sociale et de la pérennité de notre pacte social. (Applaudissements à gauche)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Après des pics inflationnistes, l'exigence d'un retour à l'indexation des salaires - existant en France jusqu'au tournant de la rigueur - ressurgit.

Dans les pays comme la Belgique où elle existe, les salaires réels ont été préservés sans que l'inflation s'emballe. L'indice des prix à la consommation harmonisé y était de 3,1 en mai 2024 contre 3,5 en Allemagne. Ce non-emballement met à mal l'offensive idéologique contre l'échelle mobile. Je vous conseille le livre d'Albert Hirschman, Deux siècles de rhétorique réactionnaire. (Mme Astrid Panosyan-Bouvet s'en amuse) qui identifie trois axiomes : l'effet pervers, l'inanité et la mise en péril.

L'effet pervers consiste à prétendre que l'on aboutirait à un résultat à l'opposé de l'objectif, en alléguant que l'échelle mobile deviendrait le moteur d'une boucle salaire-prix. Cela ne se vérifie ni en Belgique ni au Luxembourg. Selon le FMI, seuls trois des 22 épisodes inflationnistes des cinquante dernières années étaient imputables à cette boucle.

En France, cette boucle n'a pas été causée par les salaires mais par l'augmentation des taux de marge, alimentant la seule boucle véritable, la boucle prix-profits.

En 2023, le taux de marge atteignait 33 % ; pour l'énergie et l'agroalimentaire, c'était une surmarge historique de 48 %. Cela consolide quarante ans de baisse de salaires depuis la fin de l'échelle mobile.

Refuser que les salaires suivent au moins l'inflation, c'est défendre une économie de captation des richesses par le capital.

Deuxième axiome de la rhétorique réactionnaire : l'inanité. À la fin, les salaires augmenteraient et rattraperaient la hausse des prix. De fait, les salaires réels ont baissé, et cet axiome est contradictoire avec le précédent.

Troisième axiome : la mise en péril de la négociation collective. C'est le contraire ! Interdire l'indexation appauvrit le dialogue social et le conflictualise. Les entreprises se tournent vers les compléments de salaire, qui aboutissent à appauvrir la sécurité sociale de 19 milliards d'euros.

Ces arguments réactionnaires nous détournent du vrai problème : la dépendance de l'économie européenne à des chaînes mondiales d'approvisionnement. Cela plaide en faveur d'une transition écologique, pour retrouver autonomie et souveraineté en matière énergétique et agricole notamment.

Nous voterons cette proposition de loi pour plus de justice sociale et écologique. (Applaudissements à gauche)

Mme Monique Lubin .  - Nous remercions Cathy Apourceau-Poly d'avoir déposé cette proposition de loi, qui braque les projecteurs sur un problème resté sans réponse à ce jour. Ne soyons pas naïfs, les grandes entreprises ont augmenté les salaires de leurs employés, mais ce n'est pas le cas de toutes. Lors d'épisodes inflationnistes, certaines entreprises considèrent impossible d'augmenter les salaires, car cela réduirait leurs marges... Mais les salaires ne sont pas une variable d'ajustement !

Le Gouvernement a fait preuve d'une foi inébranlable dans les entreprises, pensant qu'elles allaient répartir équitablement la valeur ; mais le compte n'y est pas ! Lorsque Michelin lance, en avril 2024, une opération de communication promettant un salaire décent à tous ses salariés, cela relève du paternalisme social - un type de gouvernance dont la démocratie sociale doit s'émanciper, d'autant qu'elle ne protège manifestement pas les salariés des plans sociaux...

Ce texte pose le principe de l'indexation annuelle, inspiré du dispositif belge. Ce dernier, quoique complexe, est un véritable amortisseur social, car il préserve les revenus en cas d'inflation.

L'article 2 instaure l'indexation de la valeur du point d'indice de la fonction publique sur l'indice des prix à la consommation des ménages. Cette disposition est bienvenue : les agents publics sont des employés comme les autres. L'État, mauvais employeur, a pris l'habitude de maltraiter ses agents. Les différentes mesures récentes de revalorisation n'ont d'ailleurs pas mis fin au décrochage.

Selon l'Insee, tandis qu'entre 2012 et 2022, le salaire moyen du secteur privé augmentait de 4 %, la hausse n'était que de 1,4 % dans le secteur public. Selon Alternatives économiques, le salaire moyen réel dans le secteur public a baissé de 2,2 % en 2022.

L'article 3 est pertinent et cohérent avec nos préoccupations, comme l'illustrent la proposition de résolution de Thierry Cozic en faveur d'un Grenelle des salaires en 2022 et notre opposition au choix de l'exécutif d'imposer aux syndicats puis aux parlementaires de travailler en 2023 non pas sur la question des salaires, mais sur tous les autres dispositifs de partage de la valeur - énième tentative de grignoter à bas bruit le salaire socialisé.

Nous soutenons les deux objectifs de l'article : l'égalité salariale entre les femmes et les hommes et l'impossibilité de fixer un minimum de branche en dessous du Smic.

Au-delà de ces mesures, quelle est la définition de la valeur travail ? Comment améliorer le partage des fruits du travail ? Comment protéger les salariés des petites entreprises ? Il faudrait un projet de loi ambitieux sur le travail, mais je doute qu'il vienne de ce gouvernement...

Cette proposition de loi ouvre un débat que nous espérons fécond, et nous voterons pour. (Applaudissements à gauche)

Mme Marie-Claude Lermytte .  - (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et Les Républicains) En 1983, la gauche a eu deux idées : une mauvaise, instaurer la retraite à 60 ans...

Mme Monique Lubin.  - Ça commence bien !

Mme Marie-Claude Lermytte.  - ... et une bonne : arrêter l'indexation des salaires sur l'inflation. (Murmures à gauche)

La loi Pinay avait indexé le salaire minimum sur l'inflation en 1952, une mesure étendue par des conventions collectives ; mais il y avait alors une inflation à deux chiffres et la mesure était accompagnée d'un dispositif de blocage des prix.

Il y a quarante ans, après une succession de décisions dispendieuses et dénuées de tout sens commun, le mur des réalités s'érige et même François Mitterrand ne peut en faire fi. La gauche interdit toute clause d'indexation des salaires, sauf pour le Smic, afin d'éviter la spirale inflationniste. Décision salutaire : l'inflation passe entre 1982 et 1985 de 12 % à moins de 6 %.

Le groupe CRCE-Kanaky souhaiterait aujourd'hui revenir en arrière ; ils se trompent ! Toutes les entreprises de France ne sont pas au CAC 40... (« Justement ! » sur plusieurs travées à gauche)

Ces petites entreprises rassemblent 4,3 millions de salariés et créent un quart de la valeur ajoutée. Combien seraient capables de supporter une telle indexation ?

Idem pour les collectivités territoriales, dont personne n'ignore les difficultés ; on connaît les écueils du Ségur de la Santé. (Mme Émilienne Poumirol proteste.)

Chacun devine les bonnes intentions du texte : qui pourrait être contre l'amélioration du pouvoir d'achat des Français ? (Mme Émilienne Poumirol ironise.)

Mais une telle mesure alourdirait les contraintes des entreprises et réduirait les embauches, alors que le nombre de demandeurs d'emploi a augmenté de 3,9 % au 4e trimestre 2024. Mmes Puissat et Bourcier recommandent de poursuivre le développement du partage de la valeur ajoutée en entreprise : c'est du bon sens, sans dogmatisme aucun. (Mme Émilienne Poumirol proteste.)

Une telle proposition de loi nuirait à la qualité du travail des partenaires sociaux. Les augmentations de salaire ne peuvent passer que par l'amélioration de la compétitivité des entreprises, de la productivité des salariés et par le dialogue social. Nous ne voterons pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Brigitte Devésa applaudit également.)

Mme Frédérique Puissat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le sujet du pouvoir d'achat nous touche tous, c'est la priorité des Français. Vous partez du constat de l'effet ciseau : baisse des salaires et augmentation des coûts contraints - logement, énergie. Vous évoquez la smicardisation, faute de véritable politique salariale. Selon Étienne Wasmer et Antoine Bozio, cela résulterait de trente ans -  de 1993 à 2024  - de politiques menées par des gouvernements de diverses sensibilités, combinant des taux importants de cotisations sociales, un salaire minimum relativement élevé et des réductions des cotisations des employeurs.

Vous parlez enfin de l'inflation qui ampute le pouvoir d'achat des salariés, notamment dans la fonction publique.

Nous partageons nombre de vos constats sur la précarité des ménages. Ainsi la commission des affaires sociales a lancé une mission d'information en juin 2024 sur les négociations salariales, dont Corinne Bourcier et moi étions les rapporteurs. Nous avons débattu de cette question à l'article 6 du PLFSS.

Cela dit, nous ne partageons pas les propositions de votre proposition de loi.

En France, les salaires sont librement déterminés. Nous laissons les partenaires sociaux négocier entre eux : l'État ne doit pas administrer les salaires.

Pour répondre à l'inflation, structurelle ou conjoncturelle, il faudrait selon vous aligner les minima des grilles salariales sur le Smic. Cela risque d'escamoter le dialogue social et de favoriser le tassement.

L'indexation des salaires a déjà existé. Le système a été modifié en 1983 par Pierre Mauroy (Mme Émilienne Poumirol proteste), qui a constaté que cela provoquait une hausse des prix, appelée « spirale prix-salaires ».

Vous nous encouragez à voyager, madame Apourceau-Poly, mais le champ des pays concernés est réduit, puisque seuls la Belgique, le Luxembourg et Malte ont mis en place un tel dispositif...

Selon une note de la Dares, les salaires ont augmenté de 4,6 % en 2023 et de 3,5 % en 2024 ; en 2025, sur les 630 accords conclus, l'augmentation des salaires atteint 2,27 % - une augmentation en moyenne supérieure à l'inflation. Les employeurs sont lucides sur leur besoin de rester attractifs.

Vous prévoyez d'étendre cette indexation à la fonction publique en la compensant pour les collectivités par une majoration de la DGF ; c'est méconnaître les difficultés actuelles et nos dernières semaines de discussions...

À l'article 6 du PLFSS, nous avons vu combien le conditionnement des réductions de cotisations patronales sur les bas salaires au respect de l'augmentation annuelle des salaires a minima au niveau de l'inflation constatée nécessitait une discussion branche par branche, et non un texte législatif descendant. J'ai noté votre singularité en la matière, madame la ministre.

Grâce à l'action des partenaires sociaux, notre cadre juridique est resté adapté pendant la période d'inflation.

Pour les branches non conformes, notre travail sérieux d'enquête aboutit à des conclusions bien différentes de celles des auteurs de cette proposition de loi. En décembre 2023, seules six branches n'étaient pas conformes. Désormais, elles ne sont plus que trois - cafétéria, retraites complémentaires et foyers de jeunes travailleurs - et ne représentent que 48 000 salariés. Aucune ne semble pâtir d'un dialogue social moribond.

Notre groupe rejettera donc cette proposition de loi. Pour autant, nous remercions Cathy Apourceau-Poly et Silvana Silvani de porter ces débats sur le pouvoir d'achat des salaires, défi majeur et quotidien de notre engagement parlementaire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

Discussion des articles

Article 1er

Mme Silvana Silvani, rapporteure de la commission des affaires sociales .  - Outre l'indexation automatique des salaires, cet article abroge l'interdiction des clauses d'indexation des conventions collectives qui existent dans le droit en vigueur. Cette interdiction ne cesse de me surprendre. Pourquoi le législateur s'oppose-t-il à ce qu'un accord librement consenti entre syndicat et patronat ne puisse intervenir ?

Le Sénat, qui s'honore de défendre traditionnellement le paritarisme, pourrait marquer ainsi sa confiance envers les partenaires sociaux.

Mme Marianne Margaté .  - L'indexation permet d'éviter que le pouvoir de vivre des salariés chute quand les prix augmentent.

Nous voulons lier le salaire au coût de la vie. Le choix de l'indice est déterminant. Nous avons choisi celui de l'Insee, car il fait autorité, même s'il est critiqué, notamment parce qu'il ne tient pas compte des dépenses de logement et de santé. En février 2023, l'Insee avait chiffré l'inflation à 7,7 % alors que les prix de denrées de première nécessité avaient explosé : plus 20 % pour les pâtes, 17 % pour les légumes frais, 16 % pour l'énergie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

M. Fabien Gay .  - Vous ne voterez pas notre proposition de loi (M. Michel Canévet le confirme), c'est le jeu, mais vous niez le problème des salaires en France et ne proposez aucune solution.

Madame la ministre, nous ne parlons pas du pouvoir d'achat, mais du salaire, net, brut et super brut. Un jour, il faudra interroger les 88 milliards d'exonérations de cotisations sociales patronales. Vous dites que le Smic a augmenté douze fois, mais le problème est que les salaires augmentent moins vite que les dividendes : entre 2011 et 2021, les salaires ont augmenté de 22 %, tandis que les dividendes ont explosé de 57 % - depuis 2020, c'est quatorze fois plus rapidement. Les actionnaires se goinfrent, les salariés trinquent.

Que voulez-vous donc faire ? Maintenir l'existant ? Vous avancez que la branche caoutchouc a rehaussé son minimum, mais 94 branches sur 171 continuent à démarrer leur premier salaire en dessous du Smic. (MmeAstrid Panosyan-Bouvet, Frédérique Puissat et M. Philippe Mouiller le contestent.)

Les travailleuses et les travailleurs doivent pouvoir vivre dignement du fruit de leur travail. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER ; Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)

M. Yannick Jadot .  - Belle initiative que celle du groupe CRCE-Kanaky : la question du pouvoir d'achat est devenue politique. Si Donald Trump a gagné aux États-Unis, c'est moins du fait de ses délires fascistes que du choc inflationniste.

Mme Cathy Apourceau-Poly.  - C'est vrai.

M. Yannick Jadot.  - Il faut rassurer les salariés sur leur pouvoir d'achat. J'entends les références à la spirale inflationniste des années 1980... Mais alors, il n'y avait pas la BCE ! Les pays dévaluaient. C'était un autre monde ; dans le nôtre, la politique monétaire a pour objectif principal de limiter l'inflation, mais cela n'empêche pas les chocs inflationnistes de percuter l'ensemble des salariés de tous les pays.

D'où la pertinence de cette proposition de loi : protéger les salariés de l'instabilité.

Vous rejetez l'encadrement des loyers, l'augmentation du financement du logement social, bref, tout ce qui augmenterait le pouvoir de vivre de nos concitoyens ! La situation n'est pas celle des années 1980 ; aujourd'hui, les chocs d'inflation favorisent l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir. (Applaudissements à gauche)

M. Daniel Chasseing .  - Il y a peu, la censure du Gouvernement a provoqué l'arrêt des embauches et des investissements. Sept syndicats sur huit demandent que cela ne se reproduise pas.

Le Smic atteint désormais 1 426 euros, contre 1 218 auparavant, et la part des salariés au Smic est passée de 12 à 27 %.

Les auteurs de la proposition de loi proposent d'indexer tous les salaires sur l'inflation. Les profits des multinationales sont souvent réalisés hors de France ; mais nos PME et TPE se développent sans se goinfrer. Elles fournissent du travail et font participer leurs salariés. (Mme Cécile Cukierman proteste.)

En aménageant le code du travail, Myriam El Khomri et Muriel Pénicaud ont incité à la négociation.

Je souhaite que le Gouvernement maintienne une politique de l'offre : des PME compétitives, un carnet de commandes bien rempli, le maintien de nos acquis sociaux, l'investissement et l'augmentation des salaires pour que les salariés puissent vivre dignement de leur travail.

Mme Monique Lubin .  - Je suis toujours très étonnée : tout le monde partage l'objectif de préserver le pouvoir d'achat, mais aucune solution ne convient jamais !

Même si le Smic protège la plupart des salariés, ce n'est pas le cas de ceux qui sont en dessous. Même pendant la forte inflation, un grand nombre de PME n'augmentent pas les salaires, ou seulement de la moitié de l'inflation. Les salariés perdent donc en pouvoir d'achat.

Comment faire abstraction de leur situation, sous couvert d'arguments comme la préservation des PME ? Il n'y a pas d'entreprises sans salariés ; certaines devraient d'ailleurs se demander pourquoi elles ne parviennent pas à recruter...

Je suis consternée de constater que, pour certains d'entre vous, le pouvoir d'achat des salariés est secondaire. À en entendre certains, cette proposition de loi serait une nuée de sauterelles s'abattant sur les entreprises !

M. Christian Bilhac .  - Cette proposition de loi part de bonnes intentions, mais elle est dangereuse. Elle entraînerait de l'inflation, alors qu'elle était déjà à 5 % sans indexation...

Mme Raymonde Poncet Monge.  - C'est l'inverse !

M. Christian Bilhac.  - Elle entraînerait une augmentation du chômage, alors que la courbe n'est déjà pas brillante. Elle entraînerait une dégradation des comptes publics, dont on ne peut pas dire qu'ils sont satisfaisants. Elle amenuiserait la compétitivité de la France alors que notre balance commerciale est ce qu'elle est... (M. Fabien Gay s'exclame.)

Enfin, elle entraînerait des faillites d'entreprises, qui se multiplient déjà : voyez les chiffres ! Heureusement que cette loi n'est pas déjà en vigueur, sinon je ne sais pas où nous irions... (Sourires)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - J'entends votre amour pour les négociations de branche, votre refus qu'on administre... Mais actuellement, nous sommes administrés ! Un accord collectif, de branche, ne peut protéger sa grille de qualification grâce à une indexation sur le Smic. Pour ma part, j'ai réalisé une négociation de branche : on classe tout le monde suivant sa qualification, puis le Smic déconstruit cette construction relative.

Nous avions proposé que l'écart entre deux qualifications soit protégé, et que tout soit en référence au Smic. Voilà ce que propose l'article 1er, or vous voulez le supprimer.

Et ne nous dites pas que cela ne coûte rien : nous venons de dépenser 50 milliards d'euros pour le bouclier énergétique afin d'éviter ce choc pour les ménages. (M. Yannick Jadot renchérit.) Si les salaires avaient suivi le choc exogène comme en Belgique, cela n'aurait pas coûté plus cher et ce n'est pas l'État qui aurait payé.

M. Michel Canévet .  - Je remercie le groupe communiste d'avoir porté le débat sur ces sujets importants.

L'économie ne doit pas être trop administrée. (M. Fabien Gay, Mme Émilienne Poumirol et Mme Raymonde Poncet Monge s'exclament.) Laissons de la liberté aux acteurs économiques pour s'organiser et tenir compte des spécificités. Cela ne veut pas dire que nous considérions comme secondaire la situation des salariés. Ceux-ci sont une vraie richesse pour les entreprises, mais imposer des charges par une revalorisation automatique de salaires ne doit pas être une fin en soi. Les charges sociales sont beaucoup trop élevées dans notre pays.

M. Yannick Jadot.  - Les cotisations ! (M. Yannick Jadot le répète à plusieurs reprises.)

M. Michel Canévet.  - Nous voulons réduire les charges sociales pour que les augmentations de salaire ne coûtent pas à l'employeur le double de ce que cela rapporte au salarié. (MmeMonique Lubin et Émilienne Poumirol protestent.)

Vous proposez une spirale inflationniste plutôt que de penser au bien des salariés.

La dépense publique est déjà bien importante pour la redistribution. Soyez satisfaits, on en fait déjà beaucoup. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

Mme Céline Brulin .  - Cette proposition de loi relèverait d'une économie administrée ? Cela me fait sourire. Parmi les pays ayant opté pour cette solution se trouve le Luxembourg. Ce n'est pas l'économie la plus administrée qui soit... c'est un paradis fiscal !

Aujourd'hui, les branches qui souhaiteraient indexer en sont empêchées. C'est un comble !

Certains d'entre vous s'inquiètent : que feront donc les partenaires sociaux s'ils ne peuvent débattre ? Ils vont s'ennuyer... Lorsque je vois le nombre de plans de licenciements et le nombre de projets industriels portés par les salariés, je crois qu'ils auraient bien des sujets de discussion.

Monsieur Canévet, les charges que vous évoquez sont des cotisations sociales - et donc du salaire différé.

Mme Émilienne Poumirol.  - Exactement !

Mme Céline Brulin.  - Non seulement vous refusez d'indexer les salaires sur l'inflation, mais vous voulez retirer du salaire aux salariés ? Ce débat a de la clarté, et les outrances ne sont pas là où on les croit... (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER)

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi .  - Merci pour cette proposition de loi qui nous permet de débattre et de présenter des points de vue différents sur les salaires.

Le FMI ne s'inspire pas du Capital de Marx tous les jours, certes. Mais il faudrait lire en entier la note d'octobre 2022 que vous citez : « En revanche, si les chocs inflationnistes commencent à venir du marché du travail lui-même, sous forme d'une augmentation marquée et inattendue de l'indexation des salaires, ils pourraient modérer les effets du recul des salaires réels et faire augmenter les salaires et l'inflation plus longtemps. » Cette spirale prix-salaire existe donc.

Monsieur Gay, vous évoquiez la différence entre le super brut, le brut et le net. Parlons-en ! La France se distingue par le coin sociofiscal le plus important (M. Fabien Gay proteste.) : le coût du travail est très élevé pour l'employeur et le salaire net reste bas. On pourrait aussi parler du décrochage du PIB par habitant par rapport aux États-Unis depuis les années 2000.

En janvier 2025, la Drees a publié une étude sur le financement des protections sociales en Europe. La France a des cotisations salariés et employeurs les plus élevées d'Europe. (Mmes Émilienne Poumirol et Raymonde Poncet Monge protestent.)

M. Fabien Gay.  - C'est la sécurité sociale !

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre.  - Entre la mutualisation et ce qui vient à la fin du mois dans le compte en banque, il y a une préférence pour la deuxième solution.

Vous comparez ce qui se passe au Luxembourg, en Belgique, mais vous prenez à chaque fois quelques points qui favorisent votre argumentation. En Belgique, l'indexation est automatique, certes, mais plafonnée. Au Luxembourg, cette indexation n'existe que lorsque l'inflation est supérieure à 2,5 %.

Si votre argumentation était vraie, l'indexation aurait été généralisée dans l'Union européenne. (Mme Émilienne Poumirol s'exclame.)

Ces dernières années, les salaires réels ont augmenté entre 1,5 et 1,6 point de plus que l'inflation. (Mme Raymonde Poncet Monge proteste.)

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 1er est mis aux voix par scrutin public.

Mme Annie Le Houerou.  - Ah bon ? Pourquoi donc ? (Sourires à gauche)

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°200 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 338
Pour l'adoption 112
Contre 226

L'article 1er n'est pas adopté.

Article 2

Mme Michelle Gréaume .  - L'article vise à mettre en place un mécanisme d'indexation du point d'indice de la fonction publique. En vingt ans, le pouvoir d'achat des agents publics a baissé de 25 %, diminuant d'autant l'attractivité de la fonction publique.

Selon la DGAFP, un salaire attractif fait partie des motivations d'un tiers des candidats aux concours.

Nous avons obtenu la revalorisation en catégorie B des secrétaires de mairie, mais leur salaire moyen reste faible - 1 850 euros nets. Depuis la crise covid, elles ont perdu 169 euros de salaire réel par mois. C'est du concret ! On assiste à une fuite des cadres vers le secteur privé.

Il est plus que temps d'indexer le point d'indice des fonctionnaires.

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 2 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°201 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 338
Pour l'adoption 112
Contre 226

L'article 2 n'est pas adopté.

Article 3

M. Yannick Jadot .  - Madame la ministre, vous avez raison de mentionner que toute comparaison n'est pas raison -  même si on nous renvoie toujours à notre niveau de prélèvements et de cotisations.

La réalité, c'est qu'il y a une boucle inflation-extrême droite. Les électeurs de celle-ci sont ceux qui ont la perception de l'inflation la plus déconnectée de la réalité -  deux à trois fois le niveau réel. Il faut casser cette boucle !

En Belgique, c'est le N-VA qui gouverne. Je n'ai pas envie d'être gouverné par l'extrême droite.

Dans l'Union européenne, les politiques monétaires sont construites pour tuer l'inflation, au risque parfois de tuer l'activité économique.

Comment rassure-t-on les salariés sur leur pouvoir d'achat, pour éviter cette peur individuelle et collective ? En les protégeant des chocs inflationnistes venant de l'extérieur. C'est ce que fait cette proposition de loi.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi .  - Vous avez raison, lors des élections américaines, le débat s'est beaucoup focalisé sur l'inflation et l'incapacité de l'administration Biden à l'infléchir pour les cols-bleus.

Mais en France, le rythme de l'inflation a été moins fort que dans d'autres pays européens, car les finances publiques ont absorbé une partie du choc externe, notamment énergétique.

M. Yannick Jadot.  - Cela coûte excessivement cher !

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre.  - Si nous n'avions pas ce système de redistribution grâce à ce coin sociofiscal - que je ne critique pas -, la différence entre les salaires les plus bas et les plus élevés serait de 17, contre 3 actuellement.

Toutefois, d'autres pays réussissent mieux à concilier compétitivité des entreprises et protection sociale que nous.

Oui, il y a cette boucle inflation - extrême droite, mais la boucle inflation-salaire ne serait bonne pour personne non plus.

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 3 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°202 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 337
Pour l'adoption 112
Contre 225

L'article 3 n'est pas adopté.

Après l'article 3

M. le président.  - Amendement n°1 rectifié de Mme Bélim et du groupe SER.

Mme Marion Canalès.  - Pour mieux concilier l'adaptation des accords nationaux aux contextes locaux outre-mer, le législateur a prévu en 2016 un délai de six mois, empêchant un accord plus rapide. Cet amendement de bon sens prévoit que les accords négociés outre-mer puissent entrer plus rapidement en vigueur. Le surcoût de l'alimentation est de 40 % à La Réunion ; les loyers sont comparables à ceux des métropoles de l'Hexagone : une augmentation plus rapide des salaires est toujours bonne à prendre. Cela ne portera préjudice à personne.

Mme Silvana Silvani, rapporteure.  - Ce délai doit permettre aux partenaires sociaux de négocier les adaptations au contexte local. La commission a émis un avis défavorable en cohérence avec sa position sur l'ensemble de la proposition de loi.

À titre personnel, j'y vois une précision utile.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre.  - Votre demande est juridiquement satisfaite. Nous partageons toutefois votre préoccupation de mieux faire connaître cette possibilité de négociations spécifiques en outre-mer, prévue par le code du travail. Des travaux sont en cours, entre la direction générale du travail et les partenaires sociaux pour en préciser les modalités opérationnelles. Avis défavorable.

Mme Evelyne Corbière Naminzo.  - Cet amendement est important : c'est une mesure juste, correspondant aux réalités locales de l'outre-mer ; où l'on souffre déjà de l'héritage colonial de la vie chère.

À La Réunion, le taux de pauvreté est de 36 %, soit deux fois et demie plus qu'en métropole. Le chômage des 15-29 ans est de 32 %, contre 13 % dans l'Hexagone.

Mais la pauvreté touche aussi durement les salariés : il faut augmenter les salaires et les indexer sur l'inflation, pour redonner de la dignité au travail.

Les loyers à La Réunion sont comparables à ceux des grandes villes de l'Hexagone. Quelque 53 % des Réunionnais vivent une situation de privation.

N'attendons pas six mois, alors qu'il faut agir vite !

Mme Frédérique Puissat.  - Cet amendement pourrait trouver sa place dans d'autres textes -  je pense à celui consacré à la lutte contre la vie chère dans les outre-mer.

À la demande du groupe Les Républicains, l'amendement n°1 rectifié est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°203 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 329
Pour l'adoption 112
Contre 217

L'amendement n°1 rectifié n'est pas adopté.

Article 4

M. Ian Brossat .  - Enfin, dans cette enceinte, on a parlé salaires et dignité au travail : cela fait du bien ! Ce n'est pas si fréquent, quand je regarde l'ordre du jour des prochaines semaines : débat sur les accords franco-algériens, proposition de loi sur le mariage des sans-papiers, proposition de loi pour allonger la durée de rétention dans les centres de rétention administrative (CRA)... Pourtant, le pouvoir d'achat est la première préoccupation des Français.

Ces propositions ne seraient pas bonnes, dites-vous ? Mais que proposez-vous ? Une politique de l'offre ? Mais cette politique pro-business est menée depuis sept ans : elle n'a pas empêché les plans de licenciement et elle ne permet pas aux salariés de vivre dignement de leur travail. Notre proposition de loi mérite d'être adoptée ! (Applaudissements sur des travées des groupes CRCE-K et SER)

Mme Raymonde Poncet Monge .  - J'y souscris !

Madame la ministre, nous aurions oublié de citer une partie de l'argumentation du FMI, dites-vous ? Je rappelle que cette proposition de loi vise simplement à maintenir le pouvoir d'achat, pas à l'augmenter.

Vous nous avez dit que les salaires suivaient l'inflation, mais avec retard, ce qui évitait la boucle prix-salaires. C'est donc qu'il revient aux salariés d'absorber le choc de l'inflation, pas aux bénéficiaires des taux de marge ? Voilà comment on retrouve les gens aux Restos du Coeur !

La non-indexation désarticule les négociations collectives, par la lente destruction des grilles de salaires.

Mme Frédérique Puissat .  - À entendre certains de nos collègues, nous n'aurions rien fait. Nous ne sommes pas d'accord avec cette proposition de loi, mais c'est un sujet important pour les Français. Avec Corinne Bourcier, en juin 2024, nous avons fait quinze propositions, certes techniques, mais qui répondent aux attentes des salariés.

Mme Monique Lubin .  - N'opposons pas salariés et entreprises. Pas d'entreprise sans salariés.

Mme Pascale Gruny.  - Pas de salariés sans entreprise !

Mme Monique Lubin.  - La première richesse d'une entreprise, ce sont ses salariés. Les patrons savent bien se rémunérer quand leur entreprise tourne bien. Les salariés doivent être mieux protégés.

À la demande du groupe Les Républicains, l'article 4 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°204 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 336
Pour l'adoption 111
Contre 225

L'article 4 n'est pas adopté, non plus que l'article 5.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Mme Silvana Silvani, rapporteure.  - Je remercie toutes les oratrices et tous les orateurs : il était intéressant de mettre en lumière nos différences. Je salue le travail des services du Sénat.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales.  - Je m'associe à ces remerciements. Merci à Cathy Apourceau-Poly, auteure de ce texte.

Madame la ministre, je vous invite à lire les rapports de la commission des affaires sociales : nous avons traité de nombreux sujets. L'après-budget sera une période marquée par les dossiers sociaux. Le Sénat aura des propositions à faire.

Conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution, en application de l'article 34-1 de la Constitution, tendant à l'application en droit français de la directive européenne relative à l'amélioration des conditions de travail des travailleurs des plateformes numériques, présentée par M. Pascal Savoldelli et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe CRCE-Kanaky.

Discussion générale

M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de résolution .  - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) Barbara, auxiliaire de vie, ne travaille plus depuis son accident en 2023. Envoyée par France Travail sur la plateforme Click and care, elle pensait être en intérim, jusqu'au jour où elle se blesse grièvement. C'est en demandant la reconnaissance de son accident du travail qu'elle découvre qu'elle était autoentrepreneuse. Pourtant, tout indiquait une relation de subordination. Sans droits ni protection, elle est abandonnée.

Ce n'est pas un exemple isolé. D'abord cantonnée aux taxis, la plateformisation s'est infiltrée dans tous les secteurs, du dépannage jusqu'aux services à la personne, en passant par le droit.

Ce modèle gangrène notre économie, détricote le droit du travail, sape notre protection sociale. Ce qui relie ces milliers de travailleurs, ce n'est pas l'indépendance, mais la précarité. Ils ne négocient pas leurs contrats, ils les subissent. Un clic, et ils sont déconnectés. On vante l'autonomie, mais c'est l'intelligence artificielle qui décide de tout !

Ils sont 28 millions en Europe, plus de 600 000 en France. Mais derrière ces chiffres, il y a des visages.

La révolution numérique a bouleversé le monde du travail. Ces plateformes redéfinissent la relation entre travailleur, client et entreprise. Certaines - les plateformes d'intermédiation - se limitent à une mise en relation. D'autres - les plateformes de travail - vont bien plus loin.

Sur le papier, c'est alléchant. Mais dans la réalité, c'est une mise sous tutelle algorithmique. Nous assistons à une mutation profonde du salariat : la relation de subordination ne disparaît pas, mais change de visage et prive les travailleurs de leurs droits fondamentaux.

Nous sommes face à un choix : laisser faire ou protéger ?

Le 24 avril 2024, une directive - à transposer dans les deux ans - a été adoptée pour mieux protéger ces travailleurs, grâce à une présomption de salariat. Le renversement de la charge de la preuve est un progrès majeur. Le contrôle du management algorithmique est accru.

Pourquoi demandons-nous l'application immédiate et ambitieuse de cette directive ? Parce que la France, seule contre tous, avait voté contre ce texte, cherchant à imposer à tout prix une dérogation à la française.

Le gouvernement Attal s'est réfugié derrière l'Autorité des relations sociales des plateformes d'emploi (Arpe), mais cette instance n'est qu'un cache-misère : elle accorde quelques concessions, tout en maintenant les travailleurs dans la précarité. Comment l'Arpe a-t-elle récemment répondu à la détresse des livreurs Uber ? Par une augmentation de 10 centimes du prix minimum de la course ! Voilà la grande avancée sociale que le Gouvernement ose mettre en avant pour justifier son refus de la directive.

Différents gouvernements ont choisi de défendre les intérêts des plateformes, au détriment de ceux que nous applaudissions pendant la crise covid. Ces travailleurs méritent bien plus que des remerciements, ils méritent des droits. Le choix politique d'Emmanuel Macron est lourd de conséquences, alors que tous les partis de la gauche au centre droit s'accordent sur l'urgence d'accorder ces droits.

Il est temps d'être cohérents, comme l'ont été les députés européens.

Cette proposition de résolution ne fait que refléter les conclusions unanimes de la mission d'information sur l'ubérisation de la société de 2021, présidée par Martine Berthet. (L'orateur brandit un document.) Nous avions ainsi proposé l'extension aux travailleurs des plateformes des garanties dont bénéficient les salariés en matière de sécurité au travail, le droit à un document détaillé sur les logiques de fonctionnement des algorithmes et l'extension des compétences de l'inspection du travail aux plateformes. C'est ce que propose la directive, ni plus ni moins.

Elle protégera les travailleurs des plateformes, mais rétablira aussi une concurrence libre et non faussée, car les entreprises traditionnelles sont lourdement pénalisées. Pensez aux artisans et aux PME qui font face à ces géants qui tordent le droit du travail ! Ces plateformes ont imposé un modèle destructeur, précipitant la disparition de nombreux emplois. Voilà le véritable danger de la plateformisation !

C'est un piège pour les travailleurs, un poison pour les PME, une menace pour notre modèle social et notre pacte fiscal. Le travail dissimulé coûte au moins 6 milliards d'euros par an à la sécurité sociale. Pourtant, le Président de la République a préféré accuser les travailleurs précaires. Or ce sont non pas eux, mais les plateformes qui saignent notre modèle. Pire, l'ubérisation des services à la personne conduit l'État à subventionner indirectement la précarité. Pendant que les multinationales accumulent les profits, notre protection sociale s'effondre.

Dès 2020, un arrêt de la Cour de cassation a reconnu un lien de subordination entre un chauffeur Uber et la plateforme. Depuis, les décisions de justice tombent : Deliveroo, Stuart, Uber. Tous sont condamnés pour travail dissimulé.

Faire respecter le droit, réduire l'insécurité juridique, garantir aux entreprises un cadre stable et équitable : voilà l'objectif.

Je pose la question à tous mes collègues : face à l'urgence, pourquoi attendre ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du GEST)

M. Michel Masset .  - Merci au groupe communiste d'avoir inscrit cette proposition de résolution à l'ordre du jour.

Notre pays compterait 600 000 de ces travailleurs, soit 2 % de l'emploi en France - c'est trois fois plus qu'il y a sept ans. Le phénomène touche des métiers variés, dans l'agriculture, la santé, le droit...

La directive adoptée le 17 octobre dernier est une étape importante pour la reconnaissance des droits de ces travailleurs, grâce à une présomption légale d'emploi. Cela répond à une faille juridique et permet de rétablir l'égalité des droits fondamentaux pour l'ensemble des travailleurs.

En l'état actuel, ces autoentrepreneurs ne bénéficient pas du chômage ni d'une retraite digne et ne sont pas couverts en cas d'accident du travail. C'est un vrai danger pour eux, mais aussi un cheval de Troie pour notre sécurité sociale, car il s'agit d'un salariat sans cotisations.

Transposer la directive en droit français dans les meilleurs délais nous semble donc justifié. Celle-ci permet le retour de l'humain dans la relation de travail. Nos plus hautes juridictions ont confirmé que la requalification était légitime.

Le compromis européen permet de protéger les travailleurs, sans enrayer le dynamisme de l'économie numérique. Espérons que nous mettrons moins de temps à encadrer l'intelligence artificielle ! La destruction créatrice, chère aux schumpétériens, doit être anticipée.

La balle est désormais dans les mains du Gouvernement, auquel je demande la transposition de cette directive sociale attendue par les salariés et les entreprises.

Alors que nous critiquons souvent les surtranspositions, sachons ne pas nous mettre en situation de sous-transposition. Le RDSE votera à l'unanimité ce texte de bon sens ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du GEST et sur quelques travées des groupes SER et CRCE-K)

Mme Brigitte Devésa .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Frédérique Puissat applaudit également.) La proposition de résolution appelle à une transposition rapide de la directive européenne de 2024, directive de bon sens qui apporte de réelles avancées. Elle introduit une présomption de relation de travail dès lors qu'il y a un contrôle et une direction. Cette avancée est conforme au droit national. La directive établit aussi une présomption légale réfutable d'emploi entre la plateforme et le salarié, la charge de la preuve incombant aux plateformes.

Les licenciements décidés par algorithmes ne seront plus possibles. La directive impose une surveillance humaine sur ceux qui travaillent via les plateformes.

Par ailleurs, elles ne pourront plus traiter les données personnelles telles que celles relatives à l'état émotionnel ou aux croyances personnelles.

En 2021, on comptait 500 plateformes de travail numériques, rassemblant 28 millions de salariés - qui pourraient être 43 millions cette année. Les travailleurs sont majoritairement des autoentrepreneurs ; or environ 5,5 millions de personnes ne seraient pas de vrais indépendants.

La directive ne pose pas de difficultés à notre groupe. Nous avons néanmoins des divergences avec l'auteur du texte, dont je salue le travail. Je pense aussi à notre ancienne collègue Catherine Fournier qui avait beaucoup travaillé sur ce sujet.

La France doit transposer d'ici à 2026 ; ce délai semble nécessaire pour adapter notre réglementation à ces nouveaux droits. Un travail de requalification sera nécessaire pour beaucoup de travailleurs. Les délais de transposition sont prévus pour cela.

Ensuite, votre proposition de résolution appelle à un recrutement massif d'inspecteurs du travail. Nous avons achevé l'examen du PLF et du PLFSS, les efforts budgétaires demandés ne vont pas dans le sens de recrutements massifs.

Nous ne voterons pas cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Frédérique Puissat applaudit également)

M. Alexandre Basquin .  - « Nous sommes les nouveaux esclaves d'aujourd'hui, c'est un algorithme qui décide pour nous », tel est le témoignage de chauffeurs Uber d'Armentières, dans le Nord.

Quelque 600 000 travailleurs indépendants ont utilisé une plateforme de travail, selon la Dares. Le chiffre a triplé en six ans.

Le management algorithmique impose toujours plus de flexibilité, une fragmentation des tâches et une pression toujours plus forte pour une rentabilité à tout prix, à tous les prix.

La souffrance au travail de ces travailleurs ne doit pas être sous-estimée, car oui, souffrance il y a. Ce capitalisme de plateforme est pervers, insidieux, sans scrupule, sans honte et contient bien trop de zones grises. La subordination et la dépendance sont extrêmes, et la délégation aux algorithmes est parfois quasi totale.

Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, a ouvert les portes en grand à ces organisations après un lobbying effréné du géant américain, comme l'a révélé l'affaire des Uber Files. Il a facilité l'installation d'Uber, avec son lot de dérégulations. La capitalisation de ce groupe prédateur a franchi les 150 milliards de dollars.

Cette situation inique doit évoluer, alors que les travailleurs travaillent aussi la nuit et le week-end. Les promesses d'autonomie et d'enrichissement n'ont pas été tenues. Nous soutenons leurs demandes d'un cadre clair et d'une protection identique à celle des autres salariés.

En 2024, un accord européen a été trouvé sur une directive plus favorable aux droits de ces travailleurs. C'est un enjeu politique et profondément social. Le Gouvernement français se grandirait en la transposant.

Cette proposition de résolution en appelle à notre responsabilité collective, aussi votons-la. Derrière ce texte, ce sont des hommes et des femmes, de l'humain. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER)

Mme Mathilde Ollivier .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) La proposition de résolution arrive à un moment important : le 24 avril 2024, le Parlement européen a adopté cette directive historique. Comment allons-nous transposer ce texte ?

Mark MacGann, l'ancien dirigeant d'Uber devenu lanceur d'alerte s'interrogeait sur l'attitude de la France. Comment le pays de la sécurité sociale et du Smic pouvait-il être en première ligne pour vider le texte de son sens ?

Les tribunaux ne s'y sont pas trompés ; de la Cour de cassation en 2020 jusqu'aux prud'hommes en 2023, ils confirment la relation de subordination ; mais la durée des procédures est longue, en moyenne de dix-sept mois.

La directive européenne apporte une réponse équilibrée, harmonise les règles et offre des garanties minimales, tout en tenant compte de la diversité des plateformes.

C'est une opportunité budgétaire : la mise en oeuvre de la directive permettrait de percevoir entre 328 et 780 millions d'euros de recettes supplémentaires. Comment ne pas soutenir cette proposition de bon sens ?

Nous appelons aussi à un renforcement de l'inspection du travail et la mise en place de procédures de recours effectives.

Quelque 28,3 millions de travailleurs européens sont concernés ; ils seront près de 43 millions en 2025.

Comment accepter que ces plateformes s'affranchissent du financement de notre protection sociale ? Nous ne pouvons les laisser attenter à nos économies. Elles menacent le financement de nos services publics, mais aussi la pérennité de notre modèle social et de notre protection sociale.

Il ne s'agit pas simplement d'encadrer un nouveau modèle économique, mais de faire respecter nos principes fondamentaux de protection sociale et de justice fiscale. Nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes SER et CRCE-K)

Mme Monique Lubin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le groupe SER salue l'initiative de Pascal Savoldelli et du groupe CRCE-K. M. Jacquin, en 2024, avait déposé une proposition de résolution sur les travailleurs des plateformes.

Cette directive est moins-disante que ce qu'elle aurait dû être. Nous ne pouvons que déplorer l'activisme du président de la République à Bruxelles, qui a édulcoré la proposition européenne. Mais la directive a le mérite d'exister, transposons-la.

En France, les travailleurs de plateformes représentent 2 % des personnes en emploi, selon la Dares.

Le 4 mars 2020, la Cour de cassation a requalifié le contrat de travail d'un chauffeur VTC d'Uber. Le 6 juillet 2022, la Cour d'appel de Paris a condamné Deliveroo France pour ses pratiques managériales.

La directive améliore les conditions de travail et la protection des données à caractère personnel. Elle définit des notions clés, établit la charge de la preuve pour la plateforme et favorise la transparence algorithmique.

Parmi les lacunes de ce texte, je déplore la marge importante laissée aux États pour la transposition, notamment pour la définition du salariat et de la subordination.

Nous voterons la proposition de résolution, mais invitons aussi à la surtranscrire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et sur quelques travées du groupe CRCE-K)

Mme Marie-Claude Lermytte .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Notre économie s'est transformée ces dix dernières années.

Les travailleurs des plateformes numériques occupent leur emploi à temps partiel, souvent comme emploi complémentaire. Une part d'entre eux est attachée à ce statut de non-salarié pour arrondir leurs fins de mois, par exemple. Ils y voient une forme de liberté et d'indépendance.

M. Pascal Savoldelli.  - Ah oui ? J'aimerais bien les rencontrer...

Mme Marie-Claude Lermytte.  - D'autres subissent cependant une forme de salariat déguisé. La justice a requalifié certains contrats, mais le droit devait changer. La directive instaure ainsi de nouvelles règles.

Elle impose aux plateformes de ne plus traiter des données personnelles et interdit les licenciements par un seul algorithme.

M. Pascal Savoldelli.  - On ne peut pas licencier quand il n'y a pas de contrat de travail !

Mme Marie-Claude Lermytte.  - Les plateformes se sont adaptées très vite aux évolutions du droit.

L'Espagne a été la première à légiférer avec sa loi Riders. Mais elle n'a pas envisagé toutes les conséquences. Certains sont devenus salariés, mais d'autres ont simplement perdu leur emploi ; ainsi Deliveroo a décidé de se retirer du marché espagnol. Par ailleurs, de nombreux riders espagnols ont tenté de redevenir indépendants, souhaitant plus de liberté et moins d'impôts.

En France, nous agissons en Européens pour harmoniser nos pratiques avec nos voisins. Cependant, il faudra laisser derrière nous notre mauvaise habitude de surtransposer.

Attention : transposer sans déstabiliser ce secteur de l'économie sera périlleux. Or sa fragilisation e toucherait les travailleurs eux-mêmes et ensuite leurs clients, en raison de la hausse des prix.

Le groupe Les Indépendants ne votera pas cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Brigitte Devésa applaudit également.)

M. Pascal Savoldelli.  - On l'avait compris.

Mme Frédérique Puissat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue Pascal Savoldelli, qui n'a pas l'air très content... La proposition de résolution aborde un sujet qui nous a souvent mobilisés, celui des travailleurs de plateformes numériques. Je remercie Brigitte Devésa d'avoir rappelé la mémoire de Catherine Fournier, que nous n'oublions pas.

Cette directive est un compromis équilibré pour notre groupe.

Les travailleurs des plateformes ont des profils divers, et les plateformes elles-mêmes suivent des modèles multiples. Se pose aussi la question de l'échelon pertinent pour aborder ces sujets.

Vous dressez un portrait obscur des plateformes, pour conclure à la nécessité de transposer en urgence et de manière ambitieuse cette directive.

Nous considérons que les plateformes numériques peuvent être une chance. Elles ont permis à des travailleurs parfois éloignés du travail d'en retrouver un, ou à d'autres de compléter leur temps de travail et d'améliorer leur pouvoir d'achat.

Mais cette forme d'activité peut aussi être porteuse de précarité sociale. Pour certains, l'ouverture de multiples comptes peut s'apparenter à du travail dissimulé, avec la sous-location de comptes.

La possible précarité sociale résulte en fait des lacunes de la protection sociale de tous les travailleurs indépendants, notamment des autoentrepreneurs, qui ne sont pas couverts en cas d'accident du travail ou de chômage.

Le Sénat a déjà travaillé sur ces sujets. Vous exagérez avec vos 10 centimes... Pour nous, onze accords ont été créés depuis 2022. Nous ne partageons pas vos propos catastrophistes.

M. Pascal Savoldelli.  - Il faudrait encore qu'ils soient salariés !

Mme Frédérique Puissat.  - La directive, à transposer dans les deux ans, instaure une présomption de salariat. En la transposant au plus vite, la proposition de résolution fait l'impasse sur le dialogue social. Madame Ollivier, nous devons aussi prendre le temps de mieux évaluer les recettes attendues.

Notre groupe ne votera pas cette proposition de résolution ; transposons simplement la directive avant le 2 décembre 2026. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Xavier Iacovelli .  - Le 14 octobre dernier, le Conseil de l'Union européenne a approuvé cette directive ; c'est une avancée réelle pour les droits de ces travailleurs.

Alors que leur nombre ne cesse de croître pour atteindre 43 millions de personnes, les 27 États membres de l'Union européenne se devaient d'harmoniser les règles. La directive garantit davantage de transparence et de protection des données personnelles. Elle prévoit une présomption de salariat. Cela représente moins d'abus pour chaque travailleur, sans limiter les opportunités de ces plateformes.

La position de la France a été constante en la matière. Le dialogue avec les plateformes a permis quelques avancées : revenu minimal par course, modalités de rupture, choix des courses...

Notre groupe se félicite de l'adoption de la directive, mais s'oppose à cette proposition de résolution, qui invite à une surtransposition hâtive. (M. Pascal Savoldelli proteste.)

Un travail précipité ne nous laisserait pas le temps de mener les négociations avec les parties prenantes. Le délai de transposition est de deux ans, non sans raison.

La loi Riders n'a pas atteint ses objectifs, à cause de trop nombreux effets de bord. Un travail de concert avec les États membres permettra d'aboutir à un meilleur résultat.

Il est déjà possible pour les travailleurs d'agir en justice pour requalifier leur contrat en contrat de travail. La justice a ainsi procédé à de nombreuses requalifications, constatant un lien de subordination. Les travailleurs indépendants peuvent aussi recourir à l'aide juridictionnelle de droit commun. Pourquoi y déroger ?

Merci d'avoir mis ce sujet au débat, mais le RDPI ne votera pas cette proposition de résolution.

M. Olivier Jacquin .  - Le combat contre le travail qui rend pauvre est au coeur de la matrice des socialistes et plus généralement de la gauche. Depuis 150 ans, le mouvement social n'a eu de cesse de s'organiser pour donner des droits et des protections à ceux qui n'en ont pas, face au capitalisme vorace. Voilà que le libéralisme profite d'une nouvelle révolution pour mettre à mal notre modèle social. La plateformisation du travail est un cheval de Troie qui recèle en son coeur une boîte noire algorithmique.

Oui, la bataille pour la requalification des livreurs à vélo et des chauffeurs de VTC est un combat sociétal et non sectoriel : c'est l'arbre qui cache la forêt de l'exploitation des plus fragiles.

Cette proposition de résolution s'inscrit dans la longue liste d'initiatives pour la reconnaissance et la conquête de droits sociaux des travailleurs qui en ont le plus besoin.

Madame la ministre, votre politique de protection des plateformes doit cesser. Alors que depuis la crise sanitaire, les plateformes de livraison de repas sont surutilisées, la requalification des travailleurs de deuxième ligne s'impose.

Il faut transposer la directive de Nicolas Schmit dans sa version la mieux-disante. Nous voterons bien sûr cette proposition de résolution et posons des jalons pour la suite.

Madame la ministre, pourquoi continuer à maintenir l'Arpe ? Ce pseudo-dialogue social n'a aucun sens.

Il est temps de lutter contre l'exploitation des plus précaires. Nous ne sommes plus au temps des étudiants livrant à vélo. De faux comptes en faux contrats, des milliers de travailleurs pauvres sont les nouveaux esclaves des plateformes. Donnez plus de moyens à l'Urssaf.

Alors que la France reste un phare pour les droits des travailleurs et des plus fragiles, elle ne peut continuer à être l'eldorado du capitalisme de plateforme, qui met à mal cent-cinquante ans de progrès social. Il faut reprendre le flambeau de la protection des plus précaires. (Applaudissements à gauche)

M. Cyril Pellevat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Brigitte Devésa applaudit également.) L'adoption de la directive européenne était nécessaire pour limiter certains abus de l'ubérisation. Il convenait de protéger les travailleurs indépendants face à des contrats de travail déguisés tout en évitant de réduire la compétitivité des entreprises. Plusieurs décisions de justice ont constaté un lien de subordination entre travailleur et plateforme, entraînant la requalification en contrat de travail ou étant considéré comme du travail dissimulé.

La directive réglemente mieux les systèmes de surveillance algorithmique. Les travailleurs devront en être informés. En outre, les plateformes devront assurer une surveillance humaine sur les décisions importantes.

La directive renforce également la protection des données personnelles des travailleurs, notamment les données biométriques ou psychologiques.

Enfin, et c'est le point sur lequel il a été le plus difficile de trouver un accord entre États membres, elle crée une présomption de relation de travail, par opposition au travail indépendant. Cette présomption serait déclenchée dès qu'il y a contrôle ou direction.

Les États membres devront établir cette présomption légale d'emploi au niveau national afin de corriger le déséquilibre de pouvoir entre plateforme et travailleur. Elle sera réfutable, mais la charge de la preuve incombera à la plateforme.

L'Espagne et la Belgique voulaient un texte ambitieux, tandis que l'Europe du Nord, et la France, préféraient miser sur la négociation collective.

La transposition devra intervenir d'ici à décembre 2026. Ce délai est court. Je ne doute pas que les services du ministère du travail sont déjà à l'oeuvre. La proposition de résolution demande une transposition rapide : c'est inopportun. Laissons du temps au temps. Une transposition précipitée ne pourrait avoir que des effets délétères.

Le Parlement aura son mot à dire s'il le juge opportun. Dans l'attente, le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de résolution. (Mme Frédérique Puissat applaudit.)

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi .  - Je remercie le groupe CRCE-K d'avoir inscrit cette proposition de résolution à l'ordre du jour. Les travailleurs des plateformes méritent d'être protégés tant par la loi que par des dispositions conventionnelles. Ce sujet m'est cher. En 2023, députée de Paris, j'avais rencontré un avocat défendant les travailleurs des plateformes.

M. Pascal Savoldelli.  - Vous avez aussi été conseillée par Uber au cabinet du ministre Macron !

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre.  - La directive constitue une avancée importante. En quelques mois, l'Union européenne aura adopté deux directives de progrès : celle-ci et une autre sur la transparence des salaires entre hommes et femmes.

Face au développement de nouvelles formes économiques, le Gouvernement est attentif à tenir un double équilibre entre le développement de plateformes qui répondent à des besoins nouveaux et la nécessité de bâtir une régulation sociale protectrice, alors que les relations peuvent être déséquilibrées entre plateformes et travailleurs en matière de droits - santé, prévoyance - d'autant que ces travailleurs sont souvent isolés.

Notre législation s'est adaptée pour renforcer les obligations des plateformes et faire émerger des droits pour les travailleurs, au sein de l'Arpe.

Le dialogue est parfois difficile, mais des résultats concrets ont déjà été produits. C'est loin d'être un cache-misère ; neuf accords ont été conclus par les partenaires sociaux : cinq dans le secteur des VTC, quatre dans le secteur de la livraison.

Le droit actuel permet déjà au juge de requalifier une relation commerciale en contrat de travail. Depuis mars 2020, la Cour de cassation a rendu des décisions importantes en ce sens. Le juge pénal a prononcé des condamnations à plusieurs reprises pour travail dissimulé.

Cette directive a été publiée il y a trois mois, le 11 novembre 2024. Très ambitieuse, elle mérite que nous prenions collectivement le temps d'en analyser la portée avec les partenaires sociaux. Des travaux techniques sont toujours en cours à Bruxelles pour clarifier certains points. Je pense notamment aux dispositions relatives à la gestion algorithmique : ce sont des règles spéciales par rapport au RGPD ou à la loi Informatique et libertés. La transposition nécessitera donc un travail approfondi. Aucun pays de l'Union européenne n'a pour le moment réalisé cette transposition. Nous avons besoin de quelques mois.

Le Gouvernement a mis en place un groupe de travail interministériel sur l'ensemble des questions techniques, complexes. Nous souhaitons engager des concertations sur cette base avec les partenaires sociaux.

La réalité économique des plateformes dépasse le seul secteur des transports de personnes et de la livraison. Nous devons identifier les interlocuteurs dans l'ensemble des secteurs concernés. Le Parlement sera saisi bien en amont de l'échéance du 2 décembre 2026.

Ministre du travail, je souhaite transposer la directive dans le temps imparti en menant toutes les concertations nécessaires. Je ne peux vous suivre dans les objectifs de votre proposition de résolution et vous invite à la rejeter.

À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°205 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 115
Contre 227

La proposition de résolution n'est pas adoptée.

Mise au point au sujet d'un vote

Mme Ghislaine Senée.  - Grégory Blanc souhaitait s'abstenir lors du scrutin n°200 sur le vote de l'article 1er de la proposition de loi visant à indexer les salaires sur l'inflation.

Acte en est donné.

Avis sur une nomination

M. le président.  - En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique et de la loi ordinaire du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport a émis un avis favorable (20 voix pour, aucune voix contre) à la nomination de Mme Coralie Chevallier à la présidence du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur.

Modifications de l'ordre du jour

M. le président.  - Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a demandé l'inscription à l'ordre du jour du mercredi 12 mars de trois conventions internationales, qui seraient examinées selon la procédure d'examen simplifié.

Acte est donné de cette demande.

Nous pourrions en conséquence fixer le délai limite de demande de retour à la procédure normale pour l'examen de ces conventions au lundi 10 mars à 15 heures.

Il en est ainsi décidé.

Par ailleurs, par lettre en date de ce jour, M. François Patriat, président du RDPI, demande l'inscription à l'ordre du jour de l'espace réservé à son groupe du mercredi 9 avril de la proposition de loi relative à la reconnaissance de la responsabilité de l'État et à l'indemnisation des victimes du chlordécone et de la proposition de loi visant à améliorer le traitement des maladies affectant les cultures végétales à l'aide d'aéronefs télépilotés.

Acte est donné de cette demande.

Nous pourrions prévoir une discussion générale de 45 minutes pour chacun de ces textes.

Nous pourrions fixer le délai limite de dépôt d'amendements en séance publique, pour chacun de ces textes, respectivement au lundi 7 avril à 12 heures et au jeudi 3 avril à 12 heures, et le délai limite d'inscription des orateurs des groupes la veille à 15 heures.

Il en est ainsi décidé.

Prochaine séance demain, jeudi 20 février 2025, à 10 h 30.

La séance est levée à 19 h 50.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du jeudi 20 février 2025

Séance publique

De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures, à l'issue de l'espace réservé au groupe UC et au plus tard à 16 heures

Présidence :

M. Loïc Hervé, vice-président Secrétaires : Mme Catherine Di Folco, Mme Patricia Schillinger

1. Proposition de loi visant à interdire un mariage en France lorsque l'un des futurs époux réside de façon irrégulière sur le territoire, présentée par M. Stéphane Demilly et plusieurs de ses collègues (n°190 rectifié, 2023-2024)

2. Proposition de loi relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur, présentée par MM. Pierre-Antoine Levi, Bernard Fialaire et plusieurs de leurs collègues (procédure accélérée) (texte de la commission, n°336, 2024-2025)

3. Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture (texte de la commission, n°356, 2024-2025) (demande du Gouvernement)