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Table des matières
Mariage en France et résidence irrégulière sur le territoire
M. Stéphane Demilly, auteur de la proposition de loi
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur de la commission des lois
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice
Discussion de l'article unique
Intitulé de la proposition de loi
Mise au point au sujet de votes
Lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur(Procédure accélérée)
M. Pierre-Antoine Levi, auteur de la proposition de loi
M. Bernard Fialaire, rapporteur de la commission de la culture
M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche
Chapitre Ier : Formation à la lutte contre l'antisémitisme dans les établissements d'enseignement
Intitulé de la proposition de loi
Mises au point au sujet de votes
Modification de l'ordre du jour
Souveraineté alimentaire et agricole (Conclusions de la CMP)
M. Franck Menonville, rapporteur pour le Sénat de la CMP
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire
Discussion du texte élaboré par la CMP
Ordre du jour du mardi 4 mars 2025
SÉANCE
du jeudi 20 février 2025
60e séance de la session ordinaire 2024-2025
Présidence de M. Loïc Hervé, vice-président
Secrétaires : Mme Catherine Di Folco, Mme Patricia Schillinger.
La séance est ouverte à 10 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Mariage en France et résidence irrégulière sur le territoire
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à interdire un mariage en France lorsque l'un des futurs époux réside de façon irrégulière sur le territoire, présentée par M. Stéphane Demilly et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe UC.
Discussion générale
M. Stéphane Demilly, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Cette proposition de loi est simple, car elle relève du bon sens ; univoque, car elle clarifie la loi ; laconique, car elle tient en une seule phrase. Le chemin parlementaire et juridique l'est moins - et je remercie le rapporteur de sa disponibilité.
Elle vise à ce que le mariage ne soit autorisé qu'aux personnes séjournant de manière régulière sur notre territoire.
Mme Valérie Boyer. - Bravo !
M. Stéphane Demilly. - Cela m'apparaît logique et légitime. Les élus, les citoyens sont stupéfaits en découvrant cette incohérence : comment il est possible de marier une personne en situation irrégulière ? Est-il concevable de lire les articles du code civil, dans la maison commune, à quelqu'un qui n'a pas le droit d'être là ?
Pourtant, notre droit, en l'état, ne permet pas de s'opposer au mariage d'une personne en situation irrégulière,...
M. Thomas Dossus. - Heureusement !
M. Stéphane Demilly. - ... même faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Nous sommes beaucoup ici à avoir été maires ; certains ont été confrontés à cette situation.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Eh oui !
M. Stéphane Demilly. - Nous avons entendu le maire d'Hautmont, Stéphane Wilmotte, qui a refusé de célébrer le mariage d'un individu sous OQTF, ancien président d'une mosquée fermée pour discours haineux et apologie du djihad armé.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - C'est le summum...
M. Stéphane Demilly. - Il a reçu des menaces de mort, son domicile a dû être protégé. Et, monde à l'envers, l'individu sous OQTF a porté plainte contre lui ! Heureusement, la justice a tranché en sa faveur.
Comment laisser les maires risquer un procès alors qu'ils agissent pour le bien du territoire ? Au Sénat de répondre à ces questions.
La législation actuelle contre les mariages de complaisance place les officiers d'état civil dans des situations ubuesques.
Le maire doit rechercher une « présomption de fraude » ou examiner la « sincérité de l'union » - bref, se transformer en inspecteur Columbo ! Ce n'est pas son rôle, d'autant que les conclusions de ces investigations varient d'une mairie à une autre. Il n'y a pas d'égalité de traitement - d'où une inégalité devant la loi, en contradiction avec l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Ma proposition de loi vise à clarifier le droit pour protéger les élus. Ce n'est pas une remise en cause de nos droits fondamentaux, ni un texte teinté de ressentiment envers les étrangers, ni un texte populiste...
M. Fabien Gay. - Mais non !
M. Stéphane Demilly. - ... surfant sur l'actualité politico-juridique d'un édile de l'Hérault - je l'ai déposé en 2023, à la suite de l'affaire Wilmotte.
J'anticipe les préoccupations légitimes quant au respect des libertés individuelles.
M. Thomas Dossus. - Ah ?
M. Stéphane Demilly. - Je n'ignore pas la jurisprudence du 20 novembre 2003 du Conseil constitutionnel qui a estimé qu'une telle mesure constituerait une atteinte disproportionnée au droit fondamental du mariage. Mais, vingt ans après, le contexte a drastiquement changé.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Absolument.
M. Stéphane Demilly. - Entre 2003 et 2023, le nombre d'OQTF prononcées chaque année est passé de 20 000 à 130 000, soit six fois plus !
Le Conseil constitutionnel s'était fondé sur les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui consacrent la liberté personnelle - mais précisent que celle-ci a des bornes, qui « ne peuvent être déterminées que par la loi ».
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Très bien !
M. Stéphane Demilly. - Je vous propose donc de faire bouger le curseur de ces bornes, puisque c'est nous qui faisons la loi.
Quant à l'article 12 de la Convention européenne des droits de l'homme, il consacre « le droit de se marier et de fonder une famille », mais précise bien : « selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit. » C'est notre prérogative que de faire évoluer les lois. Pour la Cour européenne des droits de l'homme, les États jouissent d'une « ample marge d'appréciation » dans les restrictions qu'ils peuvent appliquer au droit au mariage, quand ils protègent les intérêts de la société. Ainsi le Danemark, membre de l'Union européenne, impose depuis 2002 la détention d'un titre de séjour valide pour se marier. Je propose la même mesure. (« Bravo ! » sur les travées du groupe Les Républicains) Idem en Suisse, depuis 2011. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio approuve.)
Le mariage est une institution protégée par la loi, mais rien n'interdit de la faire évoluer, pour éviter son contournement.
J'appelle à un examen approfondi des amendements.
« Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement », dit Boileau. Il s'agit ici de prévenir les abus et de protéger les maires. Montesquieu disait que les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires (M. Thomas Dossus ironise) : cette proposition de loi est utile et renforce les lois de notre République. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; M. Jean-Pierre Grand applaudit également.)
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Hasard du calendrier, l'objet de cette proposition de loi trouve un écho dans l'actualité judiciaire et médiatique. Rappelons toutefois qu'avant le maire de Béziers, assigné en justice pour avoir refusé de célébrer le mariage d'un individu sous OQTF, il y a eu le cas du maire d'Hautmont.
Quoi qu'il en soit, la position de la commission est fondée sur une analyse juridique approfondie, non sur l'émotion.
En l'état du droit, la liberté de mariage est consacrée par quatre décisions constitutionnelles et par les traités internationaux, sans être pour autant absolue. Seul le législateur peut y apporter des limites, dit le Conseil constitutionnel : nous sommes dans notre rôle. Les rares restrictions prévues par notre législation concernent uniquement les mineurs, la polygamie, la consanguinité et l'absence de consentement. C'est sur le motif du vice de consentement que le ministère public peut s'opposer aux mariages simulés ou arrangés. Si le maire estime qu'il existe « des indices sérieux laissant présumer » un mariage blanc ou gris, il saisit le procureur, qui peut soit laisser procéder au mariage, soit s'y opposer, soit y surseoir, le temps de l'enquête, pour un mois, renouvelable une fois.
Bien que ces dispositions constituent une entrave à la liberté du mariage, le Conseil constitutionnel les a considérées comme conformes à la Constitution, réfutant l'existence d'un « droit de contracter mariage à des fins étrangères à l'union matrimoniale ».
Les bornes à la liberté du mariage sont donc dissociées de la régularité du séjour. Selon la décision du Conseil constitutionnel de 2003, le caractère irrégulier du séjour d'un étranger ne saurait faire obstacle par lui-même à son mariage. L'officier d'état civil ne peut pas demander une pièce justifiant de la régularité du séjour, et le code pénal prévoit qu'un maire qui s'opposerait à la célébration d'un mariage est passible d'une peine de cinq ans d'emprisonnement, de 75 000 euros d'amende et d'une peine complémentaire d'inéligibilité - peines qu'encourent actuellement les maires de Béziers et Hautmont.
Afin d'éviter les polémiques stériles de la part des opposants au texte (M. Jean-Claude Tissot proteste), l'incompatibilité du dispositif initial au regard de la jurisprudence constitutionnelle a été formalisée dans le rapport de la commission des lois, adopté à l'unanimité. Le débat ne porte donc pas sur une éventuelle marge d'interprétation que laisserait le Conseil constitutionnel sur le dispositif initial du texte.
Notre position s'est construite en deux temps. En premier lieu, consciente du caractère lacunaire du texte, la commission l'a rejeté à l'unanimité - pour des raisons différentes selon les groupes. Pourtant, la majorité des commissaires partagent les objectifs du texte : protéger les maires et renforcer la lutte contre les mariages simulés ou arrangés, qui sont, n'en déplaise à certaines associations auditionnées, une réalité.
En second lieu, nous avons déposé des amendements visant à concilier les exigences du Conseil et les objectifs portés par la proposition de loi. Travaillés en bonne intelligence avec le ministère de la justice, ces trois amendements sont détachables du dispositif initial.
La situation des maires d'Hautmont et Béziers interpelle, tout comme le peu de marge laissée au législateur par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le mariage est une institution à protéger de tout dévoiement, et la liberté matrimoniale ne doit pas être confondue avec un passe-droit. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP et du RDPI) Certains textes nécessitent des démonstrations juridiques fines, d'autres relèvent de l'évidence - ainsi de la proposition de loi de Stéphane Demilly, qui répond à une incohérence criante : comment peut-on permettre à une personne en situation irrégulière d'accéder à une institution aussi symbolique que le mariage, qui ouvre des droits durables ?
M. Thomas Dossus. - Et l'amour ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Par définition, l'intéressé n'a pas vocation à demeurer durablement en France.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Il est en attente.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Or le mariage implique une forme de pérennité. Cette contradiction fragilise l'autorité de l'État et nourrit l'incompréhension. Les maires, premiers garants de la légalité des actes civils, sont en première ligne d'un front qu'ils n'ont pas choisi.
Le mariage n'est pas une simple déclaration d'amour : il n'est pas nécessaire d'être amoureux pour se marier, ni de se marier pour être amoureux. (Sourires)
M. Patrick Kanner. - C'est bien vrai !
M. Jean-Claude Tissot. - Mais ça dure plus longtemps !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Le mariage oblige à une communauté de vie, au secours, à l'assistance, à l'éducation des enfants - maire comme vous, j'ai souvent lu à des mariés ces articles du code civil. Comment s'engager à la communauté de vie, au secours, à l'assistance, à l'éducation des enfants, quand on doit être expulsé ?
« Mariage d'amour, mariage d'argent / J'ai vu se marier toutes sortes de gens », chantait Brassens. Les maires sont témoins de tentatives d'instrumentalisation, de situations de fraude, criante ou larvée. Même en cas d'OQTF, ils sont contraints de célébrer un mariage ouvrant la voie à une régularisation, qui fera obstacle à l'État de droit !
Ce n'est pas un hasard si cette proposition de loi émane d'un sénateur. Le Gouvernement ne peut être sourd à la volonté du Sénat, porte-parole des maires ; la société ne peut être sourde au cri d'alarme du maire d'Hautmont, quand l'État avait fermé la mosquée et prononcé une OQTF à l'encontre de l'imam !
Protéger les maires, leur donner les moyens d'agir face aux abus, restaurer l'autorité de l'État et de nos lois, remettre du bon sens dans notre droit, voilà les objectifs du sénateur Demilly.
À ceux qui objectent qu'il s'agit d'une atteinte aux libertés fondamentales, je réponds qu'en République, les droits s'acquièrent dans le respect des règles communes et pas autrement.
Mme Frédérique Puissat. - Exactement !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Ce texte rétablit une logique simple : l'accès au mariage et aux nombreux droits qu'il offre ne se conçoit pas sans le respect de nos lois sur le séjour.
Le Parlement ne pourrait pas légiférer parce que la Constitution ou la Convention européenne des droits de l'homme l'interdisent ? La Suisse ou le Danemark ont bien interdit le mariage aux personnes en situation irrégulière. Suivons donc le gouvernement danois, membre de l'Internationale socialiste européenne ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP)
Nul ne méconnaît la jurisprudence du Conseil constitutionnel, nul n'entend en mépriser l'autorité.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Sans blague ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Mais il s'agit d'une interprétation faite par le Conseil.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Merci Richard Ferrand !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Demander au Conseil constitutionnel de réexaminer sa position n'est pas un acte de défiance, mais de confiance dans sa capacité à s'adapter aux réalités du temps.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Mais bien sûr !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Poser deux fois la même question au Conseil constitutionnel, à vingt ans d'intervalle, n'est ni insolent ni kamikaze.
M. Patrick Kanner. - Comme son nouveau président !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - C'est reconnaître qu'il lui appartient d'accompagner l'évolution de la société, d'entendre le consentement du peuple français qui a changé sur ce sujet.
M. Franck Dhersin. - Absolument !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - On ne se marie pas en entrant dans une mairie par effraction ; on ne saurait utiliser notre droit pour escroquer non seulement le futur conjoint mais la République.
Le Gouvernement soutiendra la proposition de loi et les amendements du rapporteur qui assurent sa constitutionnalité, afin de lutter contre les mariages frauduleux, soutenir les maires de France et protéger l'autorité de l'État. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et RDPI)
Mme Anne-Sophie Patru . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Plus de 240 000 mariages sont célébrés chaque année en France - des moments de joie, au cours desquels les maires sont ravis d'exercer leur mission.
Mais il est des situations dont on parle moins, où le mariage est dévoyé. Le maire est alors bien seul face à des individus qui ne respectent pas nos valeurs, nos lois. C'est une situation ubuesque que d'être obligé de célébrer le mariage d'un individu sous OQTF, comme si de rien n'était ! Cette règle n'est plus acceptable.
Nos concitoyens ont appris récemment que la situation au regard du droit au séjour ne pouvait faire obstacle au mariage, même s'agissant d'un salafiste qui prêche la haine de notre pays...
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Bravo.
Mme Anne-Sophie Patru. - Comme nous, ils sont choqués.
Cette situation inacceptable découle non de la loi mais d'une jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui a placé la liberté du mariage au-dessus des règles régissant le droit au séjour. Il s'agit d'une interprétation du Conseil, qui se fonde sur la liberté personnelle, au titre des articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789.
En 2025, un maire ne peut refuser de marier une personne qui ne devrait plus être sur le territoire national. Certains, dont les maires de Béziers et d'Hautmont, ont refusé cette aberration, pour ne pas être complices. Ils se retrouvent devant les tribunaux. J'ai du mal à le justifier auprès des maires de mon département...
Ne soyons pas naïfs : même si la régularisation n'est pas la seule motivation des époux, être fraîchement mariés devient un moyen supplémentaire d'échapper à une procédure d'éloignement.
Merci à Stéphane Demilly d'avoir fait preuve de détermination face aux tentatives de découragement et aux procès en inconstitutionnalité. Je salue le travail du rapporteur, ainsi que l'attitude du Gouvernement : vous ne vous êtes pas caché derrière le paravent de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. (Quelques applaudissements)
M. Stéphane Demilly. - Très bien !
Mme Anne-Sophie Patru. - J'espère que le Sénat adoptera ce texte, et que le Gouvernement veillera à son inscription à l'Assemblée nationale, comme il l'a fait pour la proposition de loi Narcotrafic. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Fabien Gay . - J'avoue avoir hésité à venir ce matin... Je suis attristé (exclamations ironiques à droite), sidéré. J'ai un peu honte. Il y a huit ans, nous n'aurions pas eu ce genre de débat.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Dommage !
M. Fabien Gay. - La question, ici, n'est pas celle du mariage entre un Français et un étranger en situation irrégulière ; c'est autre chose. Vous avez peur, vous nourrissez des fantasmes, des illusions. Nous sommes dans un moment où l'extrême droite avance partout...
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Ça y est ! Le mot est jeté !
M. Fabien Gay. - ... dans une alliance avec le grand capital...
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Oh là là !
M. Franck Dhersin. - Allez donc sur le terrain !
M. Fabien Gay. - Il n'y a pas de « hasard du calendrier » : remise en cause du droit du sol à Mayotte, de l'excuse de minorité, laïcité dans le sport, restriction de l'aide médicale d'État (AME) ou d'autres prestations sociales... Vous donnez le point à l'extrême droite.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - C'est vous qui lui donnez le point, avec le PS !
M. Fabien Gay. - Vous allez vous faire avaler, car les citoyens remercieront Marine Le Pen. Et vous risquez de nous faire tous avaler. On sait quand l'extrême droite arrive au pouvoir, pas quand elle le quitte, ni dans quel état elle laisse la République. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie applaudit.)
Nous parlons ici d'amour. (Exclamations ironiques à droite) Jamais vous ne pourrez enfermer la liberté de pensée et la liberté d'aimer. Manifestement, vous ne croyez pas que les gens puissent se marier par amour. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Valérie Boyer. - On n'est pas obligé de se marier pour s'aimer !
M. Fabien Gay. - Tenons-nous en aux faits. Les mariages blancs sont interdits : le maire peut demander une enquête administrative, saisir le procureur. Mais n'allez pas dire que les gens viennent vous interpeller sur ce sujet ! Personne ne m'a jamais parlé de cette question !
Franck Dhersin. - Sortez un peu du Sénat !
M. Fabien Gay. - Revenons aux faits - nous ne sommes pas sur une chaîne de désinformation à la CNews. Combien de mariages sont concernés ? Des dizaines, des milliers ? Donnez-nous les chiffres ! (Mme Marie-Pierre de La Gontrie renchérit.)
M. Fabien Gay. - Ne nourrissons pas les fantasmes. Le mariage n'ouvre pas automatiquement droit à un titre de séjour !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Absolument !
M. Fabien Gay. - La question est ailleurs. (On s'impatiente au centre et à droite, l'orateur ayant dépassé son temps de parole.) Si nous continuons sur cette pente, à ne pas traiter des véritables problèmes que sont le réchauffement climatique et la question sociale, nous nous ferons tous avaler. Dans trois ans, nous serons confrontés à un autre problème - et vous en porterez la responsabilité. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du GEST)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Bravo !
Mme Mélanie Vogel . - Ce texte n'est pas un moyen de lutter contre les mariages blancs ou gris. D'abord parce que le séjour irrégulier n'a rien à voir avec l'intention matrimoniale ou le consentement, sauf à considérer que la situation légale d'une personne aurait un lien avec sa sincérité ou son honnêteté. Ensuite parce que nous disposons déjà d'un arsenal juridique étoffé : les mariages blancs sont interdits (Mme Valérie Boyer s'exclame), les contrôles sont systématiques, les couples sont auditionnés, le procureur peut s'opposer au mariage - pas le maire, qui n'est pas un juge. Enfin, le mariage ne donne pas droit automatiquement à un titre de séjour, encore moins à la nationalité française. (Mme Valérie Boyer proteste.)
Au demeurant, ce n'est pas le sujet du texte, dont l'exposé des motifs est limpide : « que le mariage soit de complaisance ou teinté de sentiment réel, il est essentiel qu'un aspirant réside sur le territoire français de façon régulière. »
Non, il s'agit de priver d'une liberté individuelle, reconnue par la Constitution, des gens qui s'aiment, s'ils n'ont pas les bons papiers. (Mme Valérie Boyer s'exclame.) Il s'agit d'empêcher les mariages d'amour impliquant une personne étrangère en situation irrégulière. (Marques de lassitude sur les travées du groupe Les Républicains) Que cette personne acquière en se mariant des droits - fiscaux, médicaux, droit d'adopter - est insupportable à la droite. De la même façon, vous vous étiez opposés au mariage pour tous, refusant que ces droits soient accordés à des couples autres qu'hétérosexuels.
M. Laurent Somon. - Ben non.
Mme Mélanie Vogel. - Désormais, vous voulez en priver des couples binationaux : on ne pourra plus se marier du tout si l'on vient d'un pays en guerre, d'un pays où le mariage est soumis à des restrictions religieuses, ou qui criminalise l'homosexualité.
Ce texte va plus loin encore. Ce mardi - ce n'est pas un hasard du calendrier - a eu lieu l'audience de Robert Ménard, mis en examen pour avoir refusé de marier Eva et Mustafa, couple franco-algérien, au motif que Mustafa est sous OQTF. Or Robert Ménard a reconnu qu'il ne s'agissait pas d'un mariage blanc - mais d'un moyen pour lui de mettre le sujet des OQTF sur la table !
Mme Valérie Boyer. - Rien ne les empêchait de se marier en Algérie !
Mme Mélanie Vogel. - En déposant cette proposition de loi sciemment anticonstitutionnelle, nourrie du racisme et de la xénophobie, (marques d'exaspération sur les travées du groupe Les Républicains) vous lancez une nouvelle attaque en règle contre l'État de droit. (M. Thomas Dossus et Mme Marie-Pierre de La Gontrie applaudissent ; protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Roger Karoutchi. - Ça suffit !
Mme Mélanie Vogel. - En racontant qu'au fond, nos libertés fondamentales sont un obstacle à la volonté populaire, vous allez sombrer. Nous pouvons tous sombrer. (Applaudissements à gauche)
Mme Corinne Narassiguin . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Selon Stéphane Demilly, il s'agirait de répondre « à un défaut d'application de notre droit civil qui met en péril nos politiques migratoires ainsi que la sécurité de nos élus ». Mais quel serait ce fléau ? Le mariage ! L'amour entre deux êtres.
Mme Valérie Boyer. - On n'est pas obligé de se marier quand on s'aime !
Mme Corinne Narassiguin. - Vous prétendez assurer la sécurité de nos élus, vous ferez tout le contraire avec ce texte ; vous exposerez les maires, car, incités à sortir de leur seule mission, célébrer le mariage, ils deviendront les acteurs du contrôle de l'immigration.
Le maire d'Hautmont est allé délibérément contre la décision du procureur.
M. Stéphane Demilly. - Incroyable !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Il a bien fait.
Mme Corinne Narassiguin. - Est-ce là le rôle du maire ? Vous allez lui imposer une charge de travail supplémentaire : la vérification de la régularité du séjour.
Sur le fond, cette mesure est contraire à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et à la Convention européenne des droits de l'homme. Dans sa décision du 20 novembre 2003, le Conseil constitutionnel a reconnu que le mariage est protégé par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, avançant que le mariage ne peut être limité par la situation irrégulière d'un étranger. Vous restreignez la liberté des deux conjoints, l'étranger comme le Français. La Convention européenne des droits de l'homme, dans ses articles 12 et 14, consacre le droit au mariage.
Les socialistes et la gauche ne sont pas les seuls à être attachés au droit. Monsieur le garde des sceaux, lors de l'examen de la loi Immigration, vous avez déclaré à Mme Boyer que cet amendement était contraire à la Constitution et aux traités.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - C'est pour cela que nous voulons modifier la loi !
Mme Corinne Narassiguin. - Cela commence à devenir une habitude, sur certains bancs : chaque fois que cela sert votre agenda politique, vous bafouez notre loi fondamentale !
Monsieur le ministre, vous avez confié au Sénat le soin de trouver une voie qui serait constitutionnelle. Il n'y en a pas. Ce texte est contraire à la Constitution. La situation d'un des mariés ne peut empêcher la célébration d'un mariage.
Vous mélangez tout, mariages blancs, gris... Il serait impossible d'aimer une personne étrangère sans arrière-pensée ? Toute demande de mariage avec un étranger en situation irrégulière serait-elle frauduleuse ? Derrière votre texte, il y a des hommes et des femmes : un étudiant en attente de renouvellement de titre de séjour, ou cette jeune Kosovare qui habite à Rouen, qui parle cinq langues et qui est soumise à une OQTF. Être en situation irrégulière, ce n'est pas être un délinquant !
Vous créerez des situations ubuesques : certaines personnes sont en situation irrégulière simplement parce que leur dossier n'a pas été renouvelé en temps et en heure.
Le mariage ne conduit pas automatiquement à une régularisation.
M. Roger Karoutchi. - Oui, mais ça aide.
Mme Corinne Narassiguin. - Votre vision du mariage est bien triste. C'est un texte contre l'amour. Vous considérez que l'on choisit de qui l'on tombe amoureux.
La droite n'a plus de républicaine que le nom et se laisse dicter ses propositions de loi par l'extrême droite. Submersion migratoire, circulaire Retailleau, attaques contre l'AME, remise en cause du droit du sol : voilà le contexte de la proposition de loi - et nous examinerons prochainement un texte pour durcir l'accès aux prestations sociales.
Nous sommes les seuls garants des valeurs de la République. (M. Stéphane Demilly s'exclame.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - La belle phrase ! Vous la détruisez...
Mme Corinne Narassiguin. - Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et du GEST)
M. Joshua Hochart . - Ce texte répond à une exigence impérieuse : mettre fin à une faille législative qui fragilise notre souveraineté, affaiblit notre État de droit et met en danger nos élus locaux. Quelque 230 000 mariages sont célébrés chaque année, dont un certain nombre avec un étranger en situation irrégulière. Les étrangers illégaux contournent ainsi nos règles en matière migratoire.
Le mariage ne doit pas être un moyen détourné de s'imposer sur notre territoire. Les maires et élus locaux sont en première ligne. Ils sont contraints de célébrer un mariage, même s'ils savent qu'un époux réside ici illégalement.
Prenons l'exemple du maire d'Hautmont, qui a demandé de reporter le mariage d'un ancien président d'une mosquée fermée pour radicalisation et sous OQTF. Menacé de mort, il a été poursuivi en justice et n'a bénéficié d'aucun soutien de l'État.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Ce n'est pas vrai, vous mentez !
M. Joshua Hochart. - Autre exemple : Robert Ménard, qui a pris position contre ces mariages de complaisance, qui sont devenus une véritable industrie. Faut-il rappeler qu'un tiers des OQTF ne sont jamais appliquées ? Avec ces unions, nous entretenons un système dévoyé.
Nous devons donner aux maires et élus locaux les outils pour défendre la République. Le RN soutient cette proposition de loi, car elle permet de lutter contre l'immigration incontrôlée. Nous dénonçons ces détournements du droit qui font peser une charge supplémentaire sur notre nation.
Marine Le Pen le répète : le droit au mariage ne doit pas être un passe-droit pour rester illégalement en France. À chaque fois, la même mécanique est à l'oeuvre : contourner la loi plutôt que la respecter.
Nous le savons, les Français n'en peuvent plus de cette immigration incontrôlée. Oui, monsieur Gay, en huit ans, la société a changé, merci de le reconnaître.
Cette proposition de loi est une réponse : pour se marier en France, il faut être en situation régulière en France, c'est une mesure de bon sens, d'ordre et de justice ; nous avons le devoir d'agir ; cette loi n'est pas une option, mais une nécessité ; votons-la avec la conviction qu'il est encore possible de restaurer l'autorité de l'État, et de protéger chaque jour ceux qui défendent la République.
M. Jean-Pierre Grand . - L'heureuse initiative de Stéphane Demilly s'inscrit dans un contexte unique. Je remercie les propos rassurants du ministre Darmanin.
La presse s'est fait l'écho des situations des maires Ménard et Wilmotte. En cas de refus de procéder à un mariage, le maire encourt cinq ans de prison, 75 000 euros d'amende et une peine d'inéligibilité. La sanction du TGI de Montpellier serait difficile à admettre par les maires.
Cette proposition de loi vise à ne pas laisser les maires démunis face à de telles situations. En l'état actuel du droit, la liberté de mariage et la régularité du séjour sont dissociées. Le mariage est restreint par quatre critères seulement.
La liberté matrimoniale est garantie par la Convention européenne des droits de l'homme, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Nous ne remettons pas en cause ces principes.
Cette proposition de loi vise seulement à remédier à l'impossibilité pour le maire de s'opposer à un mariage quand un époux est en situation irrégulière, sous OQTF, et comme à Béziers, condamné pour violence.
Le groupe Les Indépendants partage les objectifs de lutte contre les mariages frauduleux et de protection des élus.
Cette proposition de loi se heurte à des obstacles constitutionnels. Trouvons un équilibre. Il faut renforcer la coopération entre maires et autorités compétentes, sans limiter les libertés individuelles. La commission des lois a cerné les difficultés constitutionnelles du texte et y remédie. Idéalement, le maire devrait pouvoir saisir le préfet et le parquet. Trouvons une solution irréprochable constitutionnellement. L'adoption des amendements déterminera notre vote.
Un dernier mot : de mon banc, je suis agacé d'entendre que nous sommes complaisants avec le RN et que nous ouvrons la voie à Marine Le Pen. Elle ne sera pas élue, car la France aura autre chose à penser lors des élections nationales, dans un contexte mondial très confus.
Et je n'aurais jamais imaginé de ma vie voir André Lajoinie, président du groupe communiste, voter avec le RN. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Fabien Gay en doute.)
Cela dit, j'ai de la sympathie pour les communistes, car je n'oublierai jamais ce qu'ils ont fait pendant la guerre. (M. Fabien Gay s'en félicite.)
Mme Valérie Boyer . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Chaque année, quelque 900 000 étrangers seraient présents illégalement sur le sol français, selon Patrick Stefanini. Je salue l'engagement de Bruno Retailleau sur ce sujet. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie ironise.)
Parmi les étrangers illégaux, certains veulent se marier pour échapper à leur condition irrégulière, d'où des mariages de complaisance. Ce n'est pas de l'amour, mais seulement une manière d'éviter une reconduite à la frontière.
Nous ne sommes pas contre l'amour, mais contre le travestissement : personne n'est obligé de se marier pour s'aimer !
Les enjeux financiers sont tels que certains individus n'hésitent pas à menacer l'officier d'état civil. En effet, selon certains médias, les tarifs varient selon les pays d'origine : 8 000 euros pour une personne d'Afrique subsaharienne, 15 000 euros pour un Algérien ou un Tunisien et près de 30 000 euros pour un Chinois.
En 2021, un réseau de mariages blancs a été démantelé dans les Ardennes, pour des mariages franco-algériens et franco-tunisiens : 23 000 euros, dont 13 000 euros à la marieuse et 8 000 au conjoint français. Une centaine d'unions frauduleuses ont été révélées en dix ans, la face émergée de l'iceberg.
Trop souvent, les officiers d'état civil, menacés, n'osent plus dénoncer ces mariages blancs. J'avais déjà dénoncé ce droit à la fraude, comme maire des 11e et 12e arrondissements de Marseille. En 2018, à l'Assemblée nationale et sous les quolibets notamment de M. Mélenchon, j'avais proposé des amendements. Au Sénat, en 2023, j'ai déposé des propositions de loi.
En 2023, j'ai fait voter une mesure visant à renforcer les procédures d'enquête et à alléger la responsabilité des maires. Je l'ai redéposée aujourd'hui. Cet amendement avait été censuré par le Conseil constitutionnel pour des raisons de forme, et non de fond.
Depuis, nous avons eu les affaires Ménard et Wilmotte. Mais rien n'a changé, et chaque silence de notre pays encourage la fraude et le trafic d'êtres humains.
Le texte de Stéphane Demilly va dans le bon sens. Actuellement, l'État oblige les maires à marier des personnes ne devant pas être en France. Nous sommes en Absurdistan !
Pour décider cette interdiction, une réforme de la Constitution ne sera pas nécessaire. Aussi, je formule de nouvelles propositions : systématiser les enquêtes du procureur lorsque la personne est en situation irrégulière - actuellement, on choisit des mairies complaisantes - ; rallonger les délais d'enquête ; considérer l'absence de réponse du procureur comme une annulation ou un report du mariage.
Comment les Français pourraient-ils avoir confiance en l'État s'il favorise la fraude ? Pire, quand l'État demande aux maires de camoufler ses insuffisances pour permettre à ces personnes d'obtenir un blanc-seing afin de rester en France ?
Comment le Conseil constitutionnel n'estime-t-il pas qu'il est plus grave de marier quelqu'un d'irrégulier plutôt que de ne pas le marier ? Comment le Conseil constitutionnel peut-il accepter l'inégalité entre ceux qui respectent la loi et les autres ?
Changeons les choses ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Stéphane Demilly, Franck Dhersin et Mme Anne-Sophie Patru applaudissent également.)
Mme Marie-Laure Phinera-Horth . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Ce texte soulève des questions complexes sur les plans juridique et humain. Le mariage est un acte symbolique de notre société, liant deux individus devant la loi. C'est une liberté individuelle largement consacrée par le Conseil constitutionnel, qui en fait une liberté à valeur constitutionnelle.
Cette proposition de loi propose que le mariage ne soit pas célébré faute de titre de séjour valide ou si une personne est soumise à une OQTF. Si nous partageons l'objectif, l'interdiction absolue ne satisfait pas aux obligations constitutionnelles.
En l'état du droit, le législateur ne peut systématiquement subordonner le mariage à un titre de séjour. Il faut plutôt lutter contre les mariages de complaisance, conclus dans l'unique but d'obtenir un titre de séjour. Il n'est pas acceptable que l'institution du mariage soit détournée frauduleusement à des fins administratives.
Maire, j'ai été confrontée à de futurs époux sans aucun signe d'affection. Bien sûr, on peut signaler nos doutes, mais refuser expose le maire à des menaces. Les maires ne doivent plus être en première ligne, et il n'appartient pas à l'officier d'état civil de se prononcer sur la régularité du titre de séjour.
L'irrégularité du titre de séjour n'est pas un motif suffisant. Le maire peut suspendre le mariage et saisir le procureur. Il faudrait aller davantage en ce sens, comme le propose le rapporteur.
Ce texte doit d'abord protéger les maires, alors que la France est confrontée à une crise de vocation des élus. Nous devons leur donner un cadre précis et des outils nouveaux pour qu'ils assurent leurs fonctions avec sérénité.
Il faut trouver un équilibre. N'interdisons pas à tous les couples dont l'un des membres est en situation irrégulière de se marier, de manière absolue, d'autant que l'irrégularité peut être temporaire, dans l'attente d'un titre. Le droit à la vie privée et à l'établissement d'une famille ne doit pas être mis en cause.
Le rapporteur a dégagé une voie de passage à la fois conforme à l'esprit du texte et à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Nous voterons ses amendements. (M. Bernard Buis et Mme Valérie Boyer applaudissent.)
M. Michel Masset . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Cette proposition de loi est limpide, son périmètre clairement contenu. Elle vise à répondre à deux problèmes : lutter contre les mariages arrangés ou assimilés sans véritable intention matrimoniale, et ensuite protéger le maire en cas de refus.
Sur le premier point, nous partageons l'objectif de faire barrage au détournement du mariage ; cela répond à des réalités de terrain. Sur le second point, il faut protéger les maires dans leur mission d'officier d'état civil, car ils sont souvent seuls et n'ont pas les moyens d'agir.
Nous sommes cependant étonnés par la méthode, qui consiste à débattre d'un texte dont l'inconstitutionnalité ne fait aucun doute et qui porte atteinte à la liberté du mariage, attestée par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la Convention européenne des droits de l'homme. Le texte ne prévoit aucun recours.
Vous connaissez la culture de délibération du RDSE, qui promeut le dialogue plutôt que l'absence de débat. Mais il faut des règles claires pour parvenir à des décisions collégiales. En l'espèce, la discussion d'une sorte de lit de justice par la loi, à la défaveur des libertés fondamentales, fait obstacle aux conditions d'un dialogue serein. Ainsi, malgré les amendements déposés par la majorité, nous restons sceptiques sur la méthode.
Je soutiens les maires qui font face à des situations très compliquées. Le Sénat est aux côtés des élus, et est prêt à modifier le cadre législatif si cela s'avère pertinent.
Si le dispositif actuel est maintenu en l'état, les membres du RDSE, progressistes et humanistes, ne voteront pas ce texte. Nous prendrons notre décision de vote en fonction de l'adoption des amendements. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
M. Roger Karoutchi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Si l'on écoute l'opinion publique, allez leur dire que les OQTF peuvent aller se marier... (Rires sur les travées du groupe Les Républicains) Si vous trouvez beaucoup de monde qui est d'accord, c'est qu'on ne fréquente pas les mêmes trottoirs ! (Les rires redoublent ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Quelles que soient les positions des uns et des autres sur l'immigration, personne ne comprend qu'une personne sous OQTF puisse se marier devant un maire démuni.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Il n'est pas démuni !
M. Roger Karoutchi. - Est-ce en prenant des mesures qu'on fait monter l'extrême droite...
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - C'est l'inverse !
M. Roger Karoutchi. - ... ou parce que l'opinion publique se dit qu'on ne l'écoute pas ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Bravo !
M. Roger Karoutchi. - Pour Les Républicains, quelle que soit leur coloration, ce n'est plus possible. Oui, l'opinion publique, ça compte !
Nous sommes le Parlement. Nous ne sommes l'annexe ni du Conseil d'État ni du Conseil constitutionnel ! (L'orateur frappe le pupitre ; applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mme Mélanie Vogel proteste.)
Mme Valérie Boyer. - Bravo !
M. Roger Karoutchi. - On invoque la jurisprudence... mais elle évolue, et parfois dans un sens qui vous arrange ! Le Conseil constitutionnel, suivant l'évolution de la société et des forces politiques, suivant les réalités sociétales, change, et c'est tant mieux ! (Mme Anne-Sophie Patru renchérit.) Car s'il n'évoluait jamais et faisait que les textes du Parlement ne soient jamais appliqués, alors la démocratie serait bloquée. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Cher Fabien Gay, ce n'est pas une question de gauche ou de droite, mais de bon sens ! (M. Olivier Paccaud approuve.)
Soutenons nos maires, qui, soumis aux critiques, sont parfois dans une situation extrêmement difficile. L'opinion publique ne peut se tromper sur tout, même si je ne suis pas populiste.
Cette proposition de loi n'est pas la révolution. C'est un bon texte que je voterai volontiers. Je suis sûr, monsieur le ministre d'État, que vous pourrez faire mieux. Mais faisons la loi sans être bloqués systématiquement par nos propres concessions. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur quelques travées du groupe INDEP ; M. Bernard Buis applaudit également.)
Mme Anne-Sophie Patru. - Bravo !
Exception d'irrecevabilité
M. le président. - Motion n°1 de Mme Margaté et du groupe CRCE-K.
Mme Marianne Margaté . - Le CRCE-K a déposé cette motion, car cette proposition de loi est inconstitutionnelle. Vous l'avez acté lors de la réunion de la commission des lois.
Dans sa décision du 20 novembre 2023, le Conseil constitutionnel a rappelé que la liberté de mariage est protégée par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Le caractère irrégulier du séjour d'un des époux ne peut faire obstacle en lui-même au mariage. Cette liberté du mariage est aussi protégée par la Convention européenne des droits de l'homme, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
La liberté de mariage n'est cependant pas absolue. Le législateur peut fixer des conditions, dans le respect de la Constitution. Le code civil prévoit quatre limitations : en cas de minorité, de polygamie, de consanguinité et d'absence de consentement libre et éclairé.
Ces bornes sont justifiées par la protection des individus. Le mariage est une institution juridique qui révèle qui nous sommes en tant que société. Ces limites sont peu nombreuses, car nous touchons à l'intime. Si la République s'insère dans le couple, c'est pour protéger les individus.
Si vous souhaitez nous prémunir des mariages forcés et arrangés, la loi permet déjà la prévention et l'interdiction.
Plongeons-nous dans le code civil : en cas de doute sérieux sur la légalité du mariage, l'officier d'état civil saisit le procureur de la République, qui enquête et peut trancher par décision motivée. Il y aurait quelques centaines de cas, chaque année, d'oppositions au mariage formulées par le procureur de la République.
Certains trouvent ces chiffres insuffisants. Correspondent-ils à un agenda politique, une estimation personnelle plus arrangeante ?
En donnant au procureur la possibilité d'interdire le mariage, nous protégeons les maires ; ce n'est pas anodin en cette période de violences croissantes. Cependant, si le maire ne respecte pas la loi, il sera sanctionné, car chacun est égal devant la loi. (M. Roger Karoutchi ironise.) La peine peut atteindre cinq ans de prison, 75 000 euros d'amende et une peine d'inéligibilité.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - J'espère que les maires écoutent...
Mme Marianne Margaté. - Nous ne sommes pas derrière l'extrême droite, mais derrière ceux qui défendent les valeurs de la République. (M. Stéphane Demilly manifeste son agacement.)
Les maires sont bien loin de ces débats stériles. Les difficultés de la fonction ne sont pas liées à ces mariages. Il faut plutôt les accompagner au quotidien dans leurs missions. Qu'avez-vous à gagner à soutenir un texte aussi bancal juridiquement ? Pensez-vous protéger la France en piétinant un droit fondamental ?
Cette proposition de loi est un leurre, un écran de fumée faisant oublier l'absence de réponse sur des sujets cruciaux : emploi, logement, santé, éducation... On évite de parler des politiques sociales en échec ou des causes profondes des flux migratoires.
Cela révèle une soumission aux logiques électoralistes les plus cyniques. À qui donnez-vous des gages ? Notre assemblée mérite mieux que des calculs partisans au mépris de l'État de droit.
L'irrégularité du séjour ne constitue pas un défaut de consentement systématique. Ensuite, notre droit n'est pas exempt d'absurdités. S'il n'est pas possible d'embaucher un étranger sans autorisation de travail, le salarié étranger peut demander un titre de séjour s'il présente des bulletins de salaire, pourtant illicites, et il sera protégé. C'est heureux. Ce sont des êtres humains : la précarité administrative ne peut être la condition d'une vie sans droits.
À l'inverse des autres pays européens, la France délivre systématiquement une OQTF quand une personne est présente depuis plus de trois mois sur le territoire national en situation irrégulière. Nous avons le taux le plus important d'OQTF, et donc le taux d'exécution le plus bas. Avoir une OQTF ne fait pas de vous quelqu'un de dangereux, mais de précaire.
M. Roger Karoutchi. - Et en infraction.
Mme Marianne Margaté. - Quelle direction voulons-nous prendre ? Monsieur le garde des sceaux, en 2023, vous vous opposiez à des amendements similaires, ironisant sur le fait qu'il faudrait modifier la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Ne cédons pas aux sirènes de l'extrême droite : le piège est trop grand, et les conséquences si graves. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER)
M. Stéphane Demilly. - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Il est important de mener le débat à son terme, de discuter sereinement, sans contrevérités, et d'examiner les amendements. Ce texte laconique met un véritable sujet sur la table. Je suis ouvert à un travail collectif afin de trouver une voie de passage.
Que l'on ne se méprenne pas, mon objectif est de protéger les maires ; nous le leur devons, tout particulièrement ici. Beaucoup d'entre nous ont été maires. Dès le dépôt de ce texte, de nombreux maires m'ont apporté leur soutien - d'ailleurs, la proposition de loi est soutenue par l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF). (Mme Valérie Boyer félicite l'orateur.) Ne pas débattre, ce serait les ignorer.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel n'empêche pas d'adapter la loi, car le contexte a changé. La décision du Conseil constitutionnel citée date de 2003, quand 20 000 OQTF avaient été prononcées, contre 130 000 en 2023. Le législateur doit tenir compte de ces évolutions. Le Conseil constitutionnel ajuste sa jurisprudence au regard notamment de l'évolution de la société. Son pouvoir d'interprétation lui permet de garder une Constitution vivante, qui s'adapte aux évolutions de la société.
En 2003, le Conseil constitutionnel s'est appuyé sur les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen pour protéger le mariage, alors que ce dernier n'y est pas mentionné. Il précise aussi que les libertés individuelles peuvent être encadrées par la loi.
Le mot égalité est inscrit au fronton des mairies, alors comment expliquer que selon les mairies des enquêtes aient lieu ou pas ? Valérie Boyer l'a bien dit : la situation n'est ni claire ni égalitaire.
J'ai invité tous les groupes à échanger avec moi ; Mme Cukierman ne m'a pas répondu. Non, monsieur Gay, je n'ai pas peur. Quand vous dénoncez, avec Mme Vogel, le calendrier, vous êtes de mauvaise foi : ma proposition de loi date de fin 2023. Vous dites que nous courons après l'extrême droite, mais c'est vous, à force de porter vos oeillères, qui faites son lit ! (« Bravo » et applaudissements à droite et au centre)
Je voterai naturellement contre cette motion. Comme l'a dit Roger Karoutchi, nous ne sommes pas au Conseil constitutionnel, mais au Sénat.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Nous avons évoqué la fragilité constitutionnelle du dispositif, néanmoins nous devons débattre, compte tenu des affaires Ménard et Wilmotte. Les amendements de la commission ne sont pas constitutionnellement fragiles.
En outre, en 2012, la position du Conseil constitutionnel a évolué : la liberté du mariage est issue de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, mais cela « ne restreint pas la liberté du législateur qu'il tient de l'article 34 de la Constitution pour fixer les conditions du mariage ».
Avis défavorable. (M. Stéphane Demilly applaudit.)
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Si le statut du citoyen et celui de la personne en situation irrégulière sont les mêmes, plus rien n'a de sens. On ne pourrait pas signer un contrat de travail, mais un contrat de mariage, si ? Si l'on considère qu'il n'y a que des humains sur le territoire national, soit on remet en cause la citoyenneté, soit on régularise tout le monde - ce que vous n'avez pas osé dire...
Pas de leçons de morale : je ne vous ai pas ressorti les propos de Georges Marchais ! Le Parti communiste dénonce depuis bien longtemps le lien entre capitalisme et immigration. Je m'étonne qu'il s'érige désormais en défenseur du mariage petit-bourgeois. (M. Fabien Gay sourit ; on s'en amuse sur les travées du groupe Les Républicains)
La façon dont Mme Narassiguin a attaqué le courageux maire d'Hautmont est inacceptable. (Applaudissements à droite) Les trois premiers orateurs du groupe Nupes n'ont jamais été maires (Applaudissements à droite) - je le dis sans attaque personnelle, contrairement à ce qui a été dit me concernant, à la tribune.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'était la vérité !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Les maires sont pragmatiques. Ils rencontrent aussi des personnes qui ne peuvent donner leur consentement libre et éclairé et cherchent les moyens de les aider, en faisant appel au procureur de la République.
Madame Narassiguin, vous dites que le maire n'est pas un juge, mais le procureur de la République non plus. En tant qu'officier d'état civil, le maire agit au nom du procureur de la République. Il est représentant de l'État, à la différence des autres élus.
Le maire a aussi un rôle en matière de contrôle de l'immigration. (On renchérit à droite.) La loi le prévoit depuis plus de cinquante ans - voyez les certificats d'hébergement. Rien de nouveau sous le soleil. Vous avez dit beaucoup d'inepties, me semble-t-il.
Le maire divers droite d'Hautmont est éminemment républicain - nous sommes plusieurs à le connaître. M. Hochart a menti à la tribune : ministre de l'intérieur, je l'ai protégé et l'ai dit publiquement. (M. Joshua Hochart le conteste.) D'ailleurs, vous m'avez dit, en redescendant : « Oui, c'est vrai. » Excuse privée, insulte publique, cela ne marche pas. (M. Joshua Hochart proteste.) J'ai expulsé la personne. Vous, vous avez voulu faire de la démagogie, comme d'habitude. Vous non plus n'êtes pas maire - vous êtes croyant, mais pas pratiquant. J'ai soutenu le maire d'Hautmont qui a refusé de marier un imam radicalisé, fiché S, et dont la mosquée a été fermée. N'importe quel maire aurait refusé de le marier !
Si les gens sont très amoureux, ils peuvent se marier dans leur pays d'origine. (M. Thomas Dossus et Mme Mélanie Vogel lèvent les bras au ciel ; applaudissements à droite). La vie privée et familiale est possible dans le pays d'origine, trois jurisprudences du Conseil d'État l'attestent.
Si je me suis opposé aux amendements de Valérie Boyer dans la loi Immigration, c'est qu'il s'agissait de cavaliers législatifs. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie le conteste.) J'ai dit que la proposition de loi de M. Demilly posait une bonne question et que le rapport de M. Le Rudulier apportait une bonne réponse. C'est ainsi que nous aurions dû écrire la loi Immigration. (Bravos et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous voterons cette motion.
Le problème du ministre, c'est qu'il confond souvent stand-up et séance au Sénat ! (On s'en offusque à droite.)
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Ne soyez pas jalouse, tout le monde n'a pas de talent...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Il est vrai, je n'ai pas votre talent, mais j'ai célébré des mariages... (M. Gérald Darmanin s'exclame.) On a découvert qu'il y avait plusieurs catégories de sénateurs et qu'il fallait avoir célébré des mariages pour avoir le droit de s'exprimer.
Ne ronchonnez pas ainsi, monsieur le ministre, cela prouve que ce que je dis vous atteint !
Nous sommes totalement d'accord avec les arguments qui étaient les vôtres lors de la loi Immigration, quand vous étiez ministre de l'intérieur. Vous étiez opposé aux mêmes amendements de Mme Boyer non pas parce que c'étaient des cavaliers, mais parce qu'ils étaient contraires à nos engagements internationaux et à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Manifestement, vous êtes assez plastique : vous pouvez dire aujourd'hui le contraire de ce que vous disiez hier. (Mme Valérie Boyer s'exclame.)
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Attaque personnelle !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Affirmer que rien n'encadre les mariages n'est pas exact : il y a des circulaires.
Nous souscrivons aux propos de Fabien Gay. Vous avez voulu faire un tract, le premier d'une série. Comme Bruno Retailleau n'a pas de projet de loi, il aura des propositions de loi. Vive Bruno Retailleau !
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. - Vive Bruno Retailleau !
M. Olivier Paccaud. - Stéphane Demilly a un art subtil du calendrier : même si sa proposition de loi date de fin 2023, elle tombe à point nommé, la semaine où les Français ont appris que leur doit nuptial est bancal, voire kafkaïen. Des maires, dont le seul crime est de vouloir faire respecter la loi, deviennent des délinquants... C'est une proposition de loi de bon sens et de clarté. Évitons de noyer Marianne dans les tourbillons de la contradiction. Comment comprendre qu'une personne obligée de quitter un territoire puisse s'y marier ? Je voterai contre cette motion, évidemment.
Cette proposition de loi clarifie la situation, protège les édiles et évite que les mairies deviennent des bureaux d'aide à la régularisation de hors-la-loi et de sans-papiers.
M. Thomas Dossus. - Des chiffres ! (Mme Marie-Pierre de La Gontrie renchérit.)
M. Olivier Paccaud. - L'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen décline les quatre droits naturels et imprescriptibles de l'homme : liberté, sûreté, propriété, résistance à l'oppression. On n'y parle pas de mariage !
M. Fabien Gay. - Nous avons un débat gauche-droite.
M. Olivier Paccaud. - Droite-gauche !
M. Fabien Gay. - Gauche-droite, assumez. On est là pour débattre des idées, des faits. Monsieur le garde des sceaux, combien de faits ?
M. Francis Szpiner. - Un suffit !
M. Fabien Gay. - On m'avait dit qu'au Sénat, on légiférait sur l'essentiel...
Je fais attention aux mots : je n'ai pas dit que vous étiez d'extrême droite, mais que vous courriez après l'extrême droite.
M. Olivier Paccaud. - Jésuitisme.
M. Fabien Gay. - Nous vivons un moment d'inversion des valeurs - certains défendent la liberté d'expression pour autoriser les propos racistes...
Mais moi, je ne fais pas partie d'un gouvernement qui est tenu en laisse par Mme Le Pen !
M. Francis Szpiner. - Vous avez voté la censure avec elle !
M. Fabien Gay. - Nous nous battons contre les idées racistes du RN, alors que vous leur passez les plats.
C'est vrai, je n'ai jamais célébré de mariage. Mais nous sommes tous des élus ; nous légiférons à égalité.
M. le président. - Veuillez conclure.
M. Fabien Gay. - J'ai été dix ans au Smic, je comprends mieux pourquoi beaucoup d'entre vous ne parlent jamais de salaire ni de Smic : c'est qu'ils ne l'ont pas vécu ! (Sourires et applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER)
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Ne vous inquiétez pas, je l'ai vécu.
À la demande du groupe UC, la motion est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°206 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l'adoption | 100 |
Contre | 243 |
La motion n°1 n'est pas adoptée.
Discussion de l'article unique
Avant l'article unique
M. le président. - Amendement n°10 de M. Le Rudulier, au nom de la commission des lois.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Nous cherchons une voie de passage pour concilier les objectifs de la proposition de loi et la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il s'agit de s'appuyer sur une pièce justifiant la régularité du séjour pour autoriser le mariage. Cette pièce, qui aurait un caractère obligatoire, ne suffirait pas à la saisine automatique du procureur de la République. Elle alimenterait le faisceau d'indices dont disposerait le maire pour repérer un mariage frauduleux.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Avis favorable.
Mme Corinne Narassiguin. - Nous doutons de la constitutionnalité de cet amendement. (Mme Valérie Boyer s'exclame.) Ceux qui ne pourraient apporter la preuve de la régularité de leur séjour ne pourraient donc pas se marier ; mais le Conseil constitutionnel considère que le caractère irrégulier du séjour du futur époux ne saurait faire obstacle à son mariage.
Ensuite, un étranger en situation irrégulière risquerait d'être dissuadé de se marier, par crainte d'une mesure d'éloignement. Il renoncerait ainsi à une liberté garantie par la Constitution.
Mme Valérie Boyer. - C'est l'inverse !
Mme Colombe Brossel. - Ce texte ne fait qu'exposer encore plus les maires.
Je me prête aussi au jeu des confessions : je n'ai pas été maire de Paris - pas encore - (sourires), mais j'ai célébré quelques mariages. Ce que vous proposez relève du rôle du procureur, pas du maire. Vous mettez les maires en première ligne.
Mme Valérie Boyer. - C'est l'inverse !
Mme Colombe Brossel. - Le rôle des maires et de leurs adjoints est de vérifier le consentement. Lors de son audition, l'AMF l'a rappelé, à plusieurs reprises. Elle n'a recensé que peu de cas. Vous voulez nous faire croire que c'est la priorité des maires ; mais c'est faux.
Mme Valérie Boyer. - Au contraire, demander systématiquement ce papier protège les maires, qui sinon sont soumis à des pressions. Il faut une égalité de droit entre les territoires. Ce dispositif permet de faire baisser la pression, mais aussi de mettre l'État face à ses responsabilités. (M. Thomas Dossus s'exclame.)
M. Stéphane Demilly. - Maire pendant trente ans, je soutiens bien sûr cet amendement de bon sens, qui complète utilement ma proposition de loi. Le mariage est un contrat juridique : pourquoi ne pas vérifier que ceux qui se marient respectent les règles de droit ?
Présenter un titre de séjour lors de la constitution du dossier de mariage est une démarche simple, et c'est une garantie pour le maire, qui n'a plus à jouer les enquêteurs conjugaux.
L'exigence d'un titre de séjour protège le maire. Le mariage ne doit pas être un stratagème pour contourner nos lois. Le garde des sceaux l'a dit : le mariage est un droit et non un passe-droit. (Mme Valérie Boyer renchérit.)
L'amendement n°10 est adopté et devient un article additionnel.
M. le président. - Amendement n°3 rectifié de Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. - L'absence de justification sur la régularité d'un des époux entraînera la saisine automatique du procureur. C'est une façon de protéger les maires, d'éviter les différences entre les mairies, et que ne se forment des filières.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Cet amendement va moins loin que l'article unique. Retirez-le, d'autant plus que la jurisprudence du Conseil Constitutionnel est limpide sur le fait que l'irrégularité du séjour ne peut constituer à elle seule un motif de saisine du procureur. Mais le Conseil constitutionnel peut être saisi sur le fondement de l'article 61 de la Constitution - certains ne manqueront pas de le faire - et faire connaître sa position sur la solution de l'article unique.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Même avis.
Mme Valérie Boyer. - Je porte ce sujet depuis 2018. Je maintiens donc mon amendement ; cela n'empêchera pas le Conseil constitutionnel de se prononcer - et de changer d'avis.
Mme Corinne Narassiguin. - Le rapporteur l'a dit : la jurisprudence est limpide...
Mme Valérie Boyer. - On n'est pas au Conseil Constitutionnel, ici !
Mme Corinne Narassiguin. - Je m'inquiète que le rapporteur espère obtenir une décision différente. Cela reviendrait à dire que toute personne en situation irrégulière veut frauder.
Mme Valérie Boyer. - Non !
Mme Corinne Narassiguin. - Cela créerait une présomption de fraude. Cela nourrit tous les fantasmes. C'est faire de la politique contre notre loi fondamentale.
Mme Mélanie Vogel. - Je n'ai pas été maire, mais beaucoup de maires combattent cette idée. Beaucoup d'entre nous sont élus par des maires...
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je ne connais pas beaucoup de maires français de l'étranger... (On s'en amuse à droite.)
Mme Mélanie Vogel. - Les maires qui se plaignent sont ceux qui ont des problèmes avec la jurisprudence du Conseil Constitutionnel... (On ironise à droite.) Aujourd'hui, les maires doivent saisir le procureur quand ils doutent de la sincérité de l'intention matrimoniale. Par cet amendement, même s'ils n'ont aucune suspicion de mariage blanc, de mariage arrangé, de mariage gris, ils saisiraient le procureur. Pourquoi ? Eh bien, parce que vous voulez contourner, par tous les artefacts possibles, la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui vous empêche de légiférer comme vous voulez - Roger Karoutchi l'a dit assez librement...
M. Roger Karoutchi. - Vous n'avez rien compris !
Mme Mélanie Vogel. - Si, j'ai bien compris : vous voulez une décision qui aille cette fois-ci dans votre sens.
M. Roger Karoutchi. - N'importe quoi !
Mme Mélanie Vogel. - Vous avez un problème avec la Constitution, les engagements internationaux de la France et la jurisprudence constitutionnelle !
M. Roger Karoutchi. - Et vous, vous avez un problème avec le Parlement !
L'amendement n°3 rectifié n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°6 rectifié de Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. - Défendu.
M. le président. - Amendement identique n°11 de M. Le Rudulier, au nom de la commission des lois.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Cet amendement reprend le dispositif que le Sénat avait voté, avec l'avis favorable du ministre de l'intérieur de l'époque, en novembre 2023. Il consiste en deux mesures : doubler le délai pendant lequel le procureur peut demander de surseoir à un mariage soupçonné d'être frauduleux ; instaurer le principe selon lequel le silence vaut sursis. Cet amendement est compatible avec l'article unique.
M. le président. - Amendement n°7 rectifié de Mme Valérie Boyer.
Mme Valérie Boyer. - Amendement de repli. Je remercie la commission d'avoir repris l'amendement que j'avais fait voter en novembre 2023.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - L'amendement n°7 rectifié est moins ambitieux que les deux premiers. Retrait ?
L'amendement n°7 rectifié est retiré.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Sagesse.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Je voterai cet amendement, que j'aurais aimé avoir cosigné, identique à un amendement que j'avais moi aussi déposé en novembre 2023.
Les amendements identiques nos6 rectifié et 11 sont adoptés et deviennent un article additionnel.
Article unique
Mme Marie-Do Aeschlimann . - Le maire de Béziers, Robert Ménard, a été poursuivi en justice pour avoir refusé de célébrer le mariage d'une personne sous OQTF ; idem pour le maire d'Hautmont alors que le futur époux, non content d'être sous OQTF, faisait l'apologie du djihad armé. Il est inacceptable que des maires soient poursuivis par la justice de notre pays pour avoir refusé de se rendre complice d'une fraude manifeste. C'est ubuesque !
Cette proposition de loi, excellente, supprime les injonctions contradictoires que reçoivent les maires d'un État schizophrène : ils doivent vérifier scrupuleusement les documents des futurs mariés, mais l'absence de titre de séjour ou l'OQTF ne suffisent pas à empêcher l'union - c'est une aberration !
Le Sénat doit défendre le travail des maires et des agents municipaux qui signalent le contournement de la loi. Le mariage n'est pas un instrument de régularisation administrative. Il ne s'agit pas de stigmatiser, mais de vérifier la réalité de la volonté matrimoniale. Rendons aux maires les moyens de faire respecter la loi.
M. Jean-Claude Tissot . - Je m'exprime non parce que j'ai été maire, élu et réélu...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Bravo !
M. Jean-Claude Tissot. - ... mais parce que je suis l'un des 348 sénateurs - tous aussi légitimes pour s'exprimer.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Merci !
M. Jean-Claude Tissot. - Je suis effaré : cette proposition de loi va à l'encontre de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. La commission des lois a rappelé que la liberté de mariage avait valeur constitutionnelle. La proposition de loi est donc inconstitutionnelle, comme en témoigne la jurisprudence.
En interdisant à un Français et un étranger sans papiers de se marier, vous faites de la démagogie. Mes chers collèges centristes, je vous avais connus plus modérés... (Protestations sur quelques travées du groupe UC)
Le maire, qui devrait juger de la légalité d'un mariage, deviendrait un acteur du contrôle de l'immigration ? (M. Gérald Darmanin le confirme.)
Les mariages blancs sont déjà interdits par l'article L823-11 du Ceseda. Cette proposition de loi est donc inutile et immorale. (Mme Anne-Sophie Romagny s'insurge contre ce mot.) Que tous les républicains de cet hémicycle s'élèvent contre cette mascarade. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Fabien Gay applaudit également.)
M. Fabien Gay. - Très bien !
M. Joshua Hochart . - Je m'attendais à un débat animé ce matin. Cette proposition de loi, en luttant contre l'immigration, défend les intérêts de la France - vous devriez vous y essayer, mesdames et messieurs de la gauche, c'est un beau combat ! Elle permet aussi de protéger les élus d'une situation inconfortable - cela devrait nous rassembler !
Monsieur le garde des sceaux, vous avez détourné mes propos. J'ai dit que les policiers avaient protégé le maire d'Hautmont, mais que très peu d'autorités l'avaient soutenu, notamment le procureur de la République.
Étant ministre de l'intérieur, vous avez effectivement protégé un maire, c'était un minimum. Mais pourquoi n'avez-vous pas déposé de projet de loi, alors que vous aviez la majorité à l'Assemblée nationale, comme le font les élus Les Républicains aujourd'hui ?
Grand diseux, petit faiseux, comme on dit chez moi.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Quel rapport avec le texte ?
M. le président. - Amendement n°2 de Mme Mélanie Vogel et alii.
Mme Mélanie Vogel. - Nous venons d'avoir la démonstration - s'il en fallait une - que cette proposition de loi est parfaitement alignée avec le projet défendu par l'extrême droite : M. Hochart, qui en est le représentant, vient de s'en faire l'ardent défenseur. Prenez conscience de ce glissement, chers collègues de l'Union centriste. (M. Fabien Gay renchérit.)
Monsieur Hochart, on ne défend pas la France en s'attaquant aux principes fondamentaux qui ont fait la force de sa démocratie. La Constitution garantit le respect de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, laquelle fait du mariage une liberté fondamentale. Le Conseil constitutionnel dit que faire du séjour irrégulier un obstacle à l'exercice de cette liberté est contraire à la Constitution. Y a-t-il plus français que la Constitution ?
Cette proposition de loi ne lutte pas contre les mariages blancs, mais contre ce qui a fait de la France une grande démocratie, défendant les libertés fondamentales. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; on ironise sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. - Amendement identique n°8 de Mme Narassiguin et du groupe SER.
Mme Corinne Narassiguin. - On prétend que le texte repose sur le bon sens ? Ce n'est rien d'autre que le faux-nez du populisme (Exclamations à droite), puisque certains nous expliquent que ce bon sens aurait désormais une valeur supérieure à la Constitution, à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, à la Convention européenne des droits de l'homme...
Il y aurait une contradiction entre deux prérogatives du maire : celle d'officier de police judiciaire du maire, qui fait de lui le garant de la protection de l'ordre public dans sa commune, et celle d'officier d'état civil. Mais quel est le lien ? Est-ce à dire qu'il serait impossible d'expulser un étranger au motif qu'il est marié avec un Français ? C'était déjà faux avant la loi Immigration, et ça l'est encore plus depuis !
S'il y a un lien, il faudrait pousser la logique jusqu'au bout, en refusant le mariage aux Français qui troublent l'ordre public, quitte à imposer un casier judiciaire vierge pour pouvoir se marier ! (Protestations à droite)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - C'est tellement gros !
Mme Corinne Narassiguin. - Seul le procureur a autorité pour s'opposer à un mariage. Dès lors, de quoi les maires seraient-ils protégés, s'ils doivent faire face demain à une multitude de recours et qu'ils doivent vérifier la régularité du séjour de leurs administrés ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. le président. - Amendement identique n°9 de Mme Margaté et du groupe CRCE-K.
Mme Marianne Margaté. - Le texte est inconstitutionnel.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Absolument !
Mme Marianne Margaté. - De quoi parle-t-on, précisément ? Quels sont les chiffres ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Il n'y en a pas !
Mme Marianne Margaté. - On les attend depuis le début. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie applaudit.)
M. Thomas Dossus. - Cela ne sert à rien !
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Avis défavorable. En 2012, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a été infléchie. Rien ne dit qu'il n'y aura pas de nouveau revirement si vous sollicitez le Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 61.
Monsieur Hochart, le maire d'Hautmont, qui a été entendu par notre commission, nous a dit avoir été soutenu par les services de l'État, notamment le préfet de région.
Madame Vogel, ce n'est pas parce que le Rassemblement national dit que le soleil est jaune qu'on est obligé de dire l'inverse. Il y a des questions de bon sens dont chacun doit se saisir.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Vous pensez que je ne vous réponds pas, car je vous cacherais des choses... (Mme Marie-Pierre de La Gontrie le confirme.) La réalité, c'est qu'on ne peut pas connaître les chiffres, puisqu'on ne peut pas demander les documents prouvant la régularité du séjour. (Applaudissements à droite) Aujourd'hui, il y a 30 000 mariages entre Français et étrangers, mais on ne connaît pas la proportion d'illégaux.
Mme Mélanie Vogel. - Et on légifère quand même ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Bien sûr, notamment pour pouvoir le mesurer ! (Franche hilarité sur les travées du GEST)
M. Fabien Gay. - Vous êtes notre maître à tous ! (Sourires)
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Vous êtes de mauvaise foi : le mariage est une voie d'accès à la régularité du séjour et à la nationalité, même si ce n'est pas automatique, bien sûr.
Ne faites pas semblant de vous intéresser au nombre ; M. Szpiner a eu raison de le dire : un seul cas suffirait - celui, par exemple, du maire d'Hautmont, qui a refusé de marier un imam radicalisé étranger sous procédure d'expulsion après la fermeture de sa mosquée radicalisée.
Je suis d'ailleurs étonné que des républicains comme vous trouvent scandaleux ce qu'il a fait, alors que cela devrait tous nous réunir.
Monsieur Gay...
M. Fabien Gay. - Je n'ai rien dit ! Vous êtes obsédé par moi, c'est sentimental !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - C'est important, les sentiments ! (Sourires)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Cela devient ridicule !
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Vous savez que dans mon département du Nord, une grande partie des électeurs communistes a voté RN. Il est regrettable qu'un homme aussi respectable que M. Roussel ait ainsi été battu à Saint-Amand-les-Eaux. Mes grands-parents ont voté communiste, car ils étaient attachés aux conditions du prolétariat. Or les conditions du prolétariat, cela ne justifie pas qu'on doive marier des imams radicalisés dans les mairies de la République.
M. Fabien Gay. - J'aurais dit cela ? C'est une vérité alternative ! Qui a dit cela ?
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Que les groupes socialiste et CRCE-K ne soutiennent pas le maire d'Hautmont, car il a refusé de marier un imam radicalisé, c'est cela qui fait monter le RN. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Fabien Gay. - C'est du trumpisme !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - (Marques d'impatience sur les travées du groupe Les Républicains) Nous voterons ces amendements. Depuis le début de la séance, la droite fait comme si c'était cela ou rien ; mais il existe bel et bien actuellement des possibilités. Je peux citer une circulaire de Michèle Alliot-Marie, ministre de votre ancien parti, monsieur le garde des sceaux...
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Je n'avais pas encore le bac !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - ... ou encore une circulaire de Manuel Valls, qui demande aux préfets d'évaluer les fraudes au consentement à un mariage.
D'après le garde des sceaux, il faudrait légiférer pour savoir ? C'est particulier...
Lorsque vous avez défendu la loi Immigration, vous vous êtes opposé à cette proposition...
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - C'était un cavalier.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous n'avez pas non plus proposé d'aménagement pour régler la situation de ces maires qui sont, si je compte bien, au nombre de deux...
Ne nous racontons pas d'histoires : vous étiez LR, vous êtes devenu macroniste, mais vous avez compris récemment que ce n'est pas une étiquette porteuse...
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Socialiste non plus !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous avez donc décidé de vous rapprocher à nouveau des LR. (M. Jean-Claude Tissot applaudit.)
À la demande du groupe UC, les amendements identiques nos2, 8 et 9 sont mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°207 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l'adoption | 113 |
Contre | 230 |
Les amendements identiques nos2, 8 et 9 ne sont pas adoptés.
À la demande du groupe UC, l'article unique est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°208 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l'adoption | 229 |
Contre | 113 |
L'article unique est adopté.
(Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Anne-Sophie Romagny applaudit également.)
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. - Amendement n°12 de M. Le Rudulier, au nom de la commission des lois.
M. Stéphane Le Rudulier, rapporteur. - Nous mettons en adéquation le titre avec nos votes en incluant le ministère public.
Dans le rapport, nous avons pu avancer des chiffres : il y aurait 507 mis en cause au titre de l'article L. 823-11 du Ceseda en 2024 et plus de 700 en 2019. (Mme Mélanie Vogel ironise.)
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Sagesse
L'amendement n°12 est adopté.
Vote sur l'ensemble
M. Stéphane Demilly . - Simple, univoque et laconique, cette proposition de loi n'a pour objet que de sécuriser les maires et d'égaliser les pratiques. L'AMF la soutient. Dans cette maison des élus qu'est notre assemblée, trouvons un large consensus en leur faveur. Nous avons mis le sujet sur la table. Puisse le vote des autres groupes être dicté par le bon sens, pour protéger ces fantassins de la République. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains ; marques d'ironie à gauche.)
Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Ah, le bon sens...
Mme Corinne Narassiguin . - Nous sommes ici nombreux à avoir été maires ou à être élus par des maires. Beaucoup nous disent qu'ils sont inquiets de cette proposition de loi.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Lesquels ?
Mme Corinne Narassiguin. - Nous saisirons le Conseil constitutionnel, car cette proposition de loi les expose à des situations plus difficiles. Vous ne faites qu'encourager des polémiques politiques.
Monsieur le garde des sceaux, vous prétendez lutter contre l'instrumentalisation du mariage... Mais c'est vous qui l'instrumentalisez. Il y a une douzaine d'années, c'était au détriment des homosexuels... (Plusieurs « Oh » à droite)
Mme Mélanie Vogel. - Mais oui !
Mme Corinne Narassiguin. - En 2023, vous avez regretté votre position sur le mariage pour tous. J'espère que vous reconnaîtrez être, une nouvelle fois, du mauvais côté de l'histoire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du groupe CRCE-K ; vives protestations à droite)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Et vous, encore une fois dans le déni !
À la demande du groupe UC, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°209 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Pour l'adoption | 227 |
Contre | 110 |
La proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
La séance, suspendue à 13 h 05, reprend à 14 h 35.
Mise au point au sujet de votes
Mme Maryse Carrère. - Lors du scrutin public n°205, Véronique Guillotin souhaitait s'abstenir ; lors du scrutin public n°206, Philippe Grosvalet souhaitait voter pour.
Acte en est donné.
Lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur(Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur, présentée par MM. Pierre-Antoine Levi, Bernard Fialaire et plusieurs de leurs collègues.
M. Pierre-Antoine Levi, auteur de la proposition de loi . - C'est avec solennité que je m'adresse à vous. Cette proposition de loi dépasse le cadre législatif. C'est une question de conscience, un appel à défendre l'essence même de notre pacte républicain face à un mal insidieux qui ressurgit. L'antisémitisme, ce poison ancien, trouve aujourd'hui un écho inquiétant dans nos universités. Ces lieux, qui devraient incarner la raison, l'ouverture, deviennent, pour certains de nos concitoyens, des espaces de peur, d'exclusion et de haine.
Dans Le Monde d'hier, Stefan Zweig raconte comment, dans la Vienne du début du XXe siècle, l'antisémitisme s'insinue dans la société : « à l'université, les jeunes gens commencèrent à éviter les étudiants juifs et prirent l'habitude de les regarder avec mépris ». Cette description résonne douloureusement. Nous voyons, dans nos universités, l'étouffement progressif de nos valeurs humanistes.
La mission d'information que nous avons menée avec Bernard Fialaire a mis en lumière une situation alarmante. Nous avons entendu des étudiants raconter les insultes dans les couloirs, les affiches infamantes, le harcèlement en ligne. Ce n'est pas une accumulation d'incidents isolés, mais un climat empoisonné qui s'installe : ces comportements sont banalisés, tolérés.
Cette proposition de loi est née de la nécessité de protéger les étudiants victimes d'antisémitisme, mais aussi l'idéal même de l'université comme lieu de savoir, de débat et de tolérance.
Depuis les attaques terroristes du 7 octobre 2023, la parole antisémite s'est libérée, notamment dans nos universités. Le nombre d'actes antisémites recensés dans les établissements d'enseignement supérieur a doublé - or ils sont sous-déclarés.
Nous ne pouvions rester les bras croisés. Les présidents d'université eux-mêmes nous disent leur désarroi. Ils peinent à distinguer ce qui relève de la critique politique légitime d'un acte antisémite, alors que l'antisémitisme avance masqué derrière des revendications idéologiques.
Les dispositifs de signalement sont hétérogènes, souvent inefficaces ; les sanctions disciplinaires trop rares. Entre octobre 2023 et avril 2024, seules six commissions disciplinaires ont été saisies, quand 67 incidents avaient été recensés. Ce fossé est inacceptable.
Le silence des victimes et des témoins engendre une sous-déclaration. Les pratiques des équipes dirigeantes sont hétérogènes. Une zone grise entoure les actes survenant dans des contextes péri-universitaires - soirées étudiantes, réseaux sociaux.
Laisser ces comportements se banaliser, c'est accepter que les valeurs de notre République soient foulées aux pieds.
Sans une action législative forte, cette situation intolérable perdurera.
Cette proposition de loi, nécessaire, est un signal fort envoyé à tous. Nos principes de liberté, d'égalité et de fraternité ne sauraient être remis en cause. Elle donnera aux universités les moyens d'agir efficacement, tout en préservant les libertés académiques.
Nous créons un cadre dans lequel chaque étudiant pourra étudier librement, sans peur ni discrimination. Nous avons pris soin de préserver l'autonomie des universités tout en leur fournissant des outils efficaces.
Cette approche équilibrée reconnaît la place singulière de la lutte contre l'antisémitisme tout en l'intégrant dans le combat plus large contre le racisme, les discriminations, les violences et la haine.
Ce combat est un combat pour notre République. Il y va de notre honneur de garantir qu'aucun étudiant ne soit discriminé, menacé ou agressé en raison de sa foi ou de ses origines.
Zweig écrit : « Ce fut notre faute, à nous autres intellectuels, de ne pas avoir pris assez tôt conscience du danger et de l'avoir sous-estimé. » Ne commettons pas la même erreur. (Applaudissements)
M. Bernard Fialaire, rapporteur de la commission de la culture . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et des groupes UC et Les Républicains) Je n'aurais pas cru devoir, en 2025, présenter un tel texte. Mais les travaux que nous conduisons depuis un an ont montré qu'une intervention du législateur était nécessaire et urgente. Les conclusions alarmantes de notre mission d'information ont conduit à formuler onze recommandations, dont certaines sont reprises dans ce texte, enrichi depuis grâce à des auditions de suivi.
Ce texte répond à l'essor d'une nouvelle expression antisémite dans nos établissements, qui passe par des actes du quotidien - tags, mises à l'écart, plaisanteries douteuses - et prend également une forme politique à travers le thème ambigu de l'antisionisme. Ce climat d'antisémitisme est difficile à combattre, car difficile à repérer.
Le cadre législatif et réglementaire laisse les établissements désarmés, et la réponse apportée au phénomène est très hétérogène.
Cette atmosphère tend à s'enraciner, les discours antisémites se banalisent. Notre réponse repose sur trois piliers : l'éducation, la prévention et la sanction.
En commission, nous avons étendu le champ de la proposition de loi, initialement limité à la lutte contre l'antisémitisme associé au racisme, à la lutte contre les discriminations, les violences et la haine. Il ne s'agit pas de concurrencer les actions déjà déployées par les établissements, qui concernent souvent le racisme ou les violences sexuelles et sexistes, mais de s'insérer dans le cadre existant. D'où une rédaction d'équilibre, faisant une place particulière à la lutte contre l'antisémitisme.
L'article 1er prévoit une formation obligatoire à la lutte contre l'antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine dans les établissements publics d'enseignement, de l'école au supérieur. De tels enseignements existent déjà, mais en les inscrivant dans la loi, nous assurons leur pérennité. Il faudra s'appuyer sur la définition de l'antisémitisme fixée par l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste (IHRA) et faire intervenir des acteurs associatifs spécialisés.
La commission a étendu l'obligation de formation aux établissements privés du supérieur et aux élus étudiants, aux référents antisémitisme et racisme et aux membres des sections disciplinaires.
L'article 2 porte sur les dispositifs de lutte et de signalement des établissements. La loi impose seulement la mise en place de missions « égalité entre les hommes et les femmes » ; en pratique, de nombreux établissements se sont dotés de missions « égalité et diversité ». Mais faute d'obligation unifiée, les disparités entre établissements sont importantes. Nous généralisons donc ces missions, avec un champ étendu à la lutte contre l'antisémitisme, le racisme, les violences, les discriminations et la haine, et prévoyons la désignation systématique en leur sein d'un référent antisémitisme et racisme. Elles devront aussi déployer un dispositif de signalement anonyme.
La procédure disciplinaire actuelle est centrée sur la fraude académique et les « atteintes à l'ordre, au bon fonctionnement ou à la réputation de l'université » - ce qui ne garantit pas que tous les faits d'antisémitisme font l'objet de poursuites. L'article 3 ajoute les actes d'antisémitisme et de racisme aux motifs permettant d'engager une procédure disciplinaire, et prévoit l'information des victimes. Deux amendements créant une nouvelle voie disciplinaire viendront l'enrichir.
Il faudra que les responsables d'établissements s'emparent de ces dispositifs et leur donnent les moyens de fonctionner. Nos recommandations de juin dernier restent d'actualité ; nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour les faire appliquer.
Replaçons les principes républicains au coeur des établissements d'enseignement supérieur, qui doivent redevenir le lieu du débat, de l'ouverture humaniste et du dépassement des préjugés. (Applaudissements)
M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche . - « Des jeunes gens antisémites, ça existe donc, cela ? Il y a donc des cerveaux neufs, des âmes neuves, que cet imbécile poison a déjà déséquilibrés ? Quelle tristesse, quelle inquiétude, pour le vingtième siècle qui va s'ouvrir ! » Ainsi s'exprimait Émile Zola en 1897.
L'antisémitisme n'a pas disparu et en 2025, certains étudiants français peuvent craindre de se rendre en cours parce que juifs. Tout acte antisémite doit être condamné. Il est encore plus odieux à l'université, dont il fracasse toutes les promesses, toutes les valeurs.
L'université doit rester le lieu du débat, y compris sur les sujets difficiles, y compris sur la situation à Gaza, mais elle ne peut tolérer l'invective, l'essentialisation, l'assignation identitaire.
J'ai été alerté à de très nombreuses reprises. Si l'université est le lieu de la lutte informationnelle, je veux lutter contre son instrumentalisation à des fins politiques.
Au moins cinquante cas d'actes proprement antisémites ont été relevés : tags, insultes, voire violences physiques. Ces données sont cohérentes avec celles du ministère de l'intérieur, mais je n'ignore pas le sous-signalement. Chaque acte doit être identifié, signalé, sanctionné.
J'ai reçu les présidents d'université pour leur rappeler ma ligne : tolérance zéro. Ils partagent le constat d'une atmosphère pesante envers les étudiants juifs. Ils souhaitent être mieux accompagnés, réfléchir au dispositif disciplinaire. J'ai également reçu l'Union des étudiants juifs de France (UEJF), qui attend des réponses claires.
J'ai voulu agir vite. J'ai saisi le garde des sceaux pour que les signalements faits au titre de l'article 40 soient mieux pris en compte, ce qui a été transcrit dans une circulaire de politique pénale. Nous travaillons aussi à améliorer la coordination au niveau local.
Je sais que les présidents d'université et les recteurs sont engagés. Je leur ai demandé instamment de jouer tout leur rôle.
Un programme de recherche spécifique sur l'antisémitisme sera lancé. Je souhaite une formation systématique sur le sujet. J'ai confirmé la mission confiée à Khaled Bouabdallah et Pierre-Arnaud Cresson.
Merci aux sénateurs Levi et Fialaire pour leur important rapport. Vous y appeliez à améliorer la détection des actes antisémites, à prévenir les dérives, à poursuivre et sanctionner les auteurs. Comptez sur moi.
Merci aussi pour ce texte, dont je soutiens l'ambition. Il permet de porter la voix des présidents d'université, en particulier via l'amendement du sénateur Piednoir qui renforce les moyens des sections disciplinaires.
J'espère que le Sénat soutiendra ces mesures. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations . - « Dire que je suis juif est devenu un risque. Je suis devenu une cible. En deux jours, j'ai reçu une centaine de messages d'insultes, de menaces. C'est dur, à 20 ans, de se faire traiter de génocidaire. » Ces mots insupportables, nous les avons entendus lors des Assises de lutte contre l'antisémitisme, la semaine dernière. Lycéens et étudiants y ont décrit un climat pesant, car une minorité d'agitateurs de haine rend l'atmosphère irrespirable. Ils nous ont raconté comment les insultes deviennent des habitudes, les blagues des agressions, les silences des complicités.
Depuis les attaques terroristes du 7 octobre 2023, au cours desquelles quarante-deux de nos compatriotes ont été assassinés, nous constatons un regain massif d'actes antisémites, un ré-enracinement.
Car l'antisémitisme est une obsession qui traverse le temps, les régimes et les frontières. Il épouse les angoisses, les fractures propres à chaque époque, à chaque société. Il mue, il mute, il se renouvelle.
On pourrait haïr Israël sans haïr les juifs ? En réalité, c'est une obsession maladive, à mille lieues de la critique légitime d'un gouvernement, qui ne touche aucun autre pays au monde. L'antisionisme et la haine décomplexée d'Israël sont les masques modernes de la haine anti-juive, à l'heure de l'écoeurante propagande du Hamas sur le rapatriement des corps des jeunes otages. Jamais nous ne pardonnerons à ceux qui ont excusé ces actes, osé parler de « résistance », arraché les affiches de leurs visages innocents.
Nos universités n'ont pas été épargnées par cette vague de haine. Mais l'absence de système efficace de remontée des signalements rend difficile un recensement précis. Vous avez raison de faire de l'identification des actes antisémites une priorité, car les chiffres existants ne sont qu'une fraction de la réalité.
Il y a aussi un antisémitisme plus insidieux, alimenté par l'extrême gauche et l'islam radical. Un antisémitisme d'atmosphère, qui pousse les jeunes juifs à cacher leur identité, à retirer leur étoile de David, à éviter certains sujets : il vaut mieux se taire, disparaître...
Face à l'antisémitisme, aucun compromis n'est acceptable ; face à toutes les formes de haine anti-juive, aucune indifférence possible. La réponse de la République est un refus total, en bloc.
C'est le sens de l'engagement du Président de la République et du Gouvernement, des Assises, des deux groupes de travail que j'ai créés. Le premier, composé de magistrats, avocats et universitaires, proposera des évolutions de notre arsenal juridique et législatif : à chaque acte, l'État doit sanctionner. Le second, consacré à l'éducation, identifiera les leviers pédagogiques pour éduquer nos jeunes et sensibiliser leurs parents et enseignants. Ils auront deux mois pour formuler des propositions opérationnelles.
Le Gouvernement est très favorable à votre proposition de loi. Je connais l'engagement des deux corapporteurs. Ce texte et les amendements adoptés en commission apportent des réponses claires en matière de formation, de prévention, de signalement, de sanction.
Nous sommes à un moment de vérité, pour nos universités et notre démocratie. Nous ne pouvons fermer les yeux et laisser prospérer la haine. Nous devons dire que la République ne cédera pas : cette proposition de loi y contribue. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ainsi qu'au banc des commissions)
M. Pierre Ouzoulias . - L'antisémitisme sévit depuis plus de deux mille ans : il lie la destruction du temple juif d'Éléphantine en 410 avant notre ère, l'anathème lancé par Justin de Naplouse au IIe siècle contre le « peuple déicide », l'antisémitisme racial de Drumont et Barrès et la Shoah. Selon David Nirenberg, il est un pilier de la pensée occidentale, car il offre un cadre théorique qui donne un sens au monde.
Combattre l'antisémitisme exige de regarder avec lucidité l'histoire de notre pays et ses supposées racines judéo-chrétiennes. Louis IX, dit Saint Louis, dont la statue nous regarde, organisa en 1240 une controverse publique sur le Talmud, déclaré « livre infâme » : un autodafé fut organisé place de Grève. En 1269, il imposa à tous les juifs de porter une rouelle jaune sur leur vêtement. Napoléon Bonaparte, dont le buste orne notre hémicycle, prit trois décrets pour « arracher plusieurs départements à l'opprobre de se trouver vassaux des juifs », visant des « pratiques contraires à la civilisation et au bon ordre de la société ».
L'antisémitisme n'est pas un racisme comme les autres, car, selon François Rachline, si « le racisme est un rejet de l'autre, l'antisémitisme est le refus d'une éthique ». Ses résurgences affaiblissent l'idéal républicain en réduisant l'individu à ses origines supposées. La lutte contre les discriminations n'est plus conduite au nom de l'égalité, mais par l'affirmation victimaire des identités particulières, au risque d'aboutir à une vitrification de la société.
L'université est traversée par ces conflits idéologiques, exacerbés par le pogrom du 7 octobre et la guerre de Gaza. Elle aurait dû être lieu du débat rationnel ; elle a été le théâtre d'anathèmes violents et d'ostracismes idéologiques. La hausse avérée d'expressions antisémites sur les campus est irrémissible. J'ai honte que neuf étudiants juifs sur dix se sentent menacés par un antisémitisme manifeste ou latent.
Certes, cette proposition de loi ne changera pas les mentalités, mais elle réaffirme notre soutien à tous les étudiants juifs. Chers frères et soeurs en humanité, la République ne vous oublie pas. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, du RDSE et sur quelques travées du groupe SER et du GEST)
Mme Mathilde Ollivier . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Notre pays fait face à une montée de l'antisémitisme, un climat de haine qui impacte notre vivre-ensemble. Entre octobre 2023 et mars 2024, France Universités a recensé 67 actes antisémites, deux fois plus que durant l'année 2022-2023. Le climat d'antisémitisme prend diverses formes, difficiles à quantifier. Face à ces actes, et à la complexité des recours disciplinaires, de nombreux étudiants juifs renoncent à dénoncer, voire à étudier dans certaines universités.
L'université, lieu d'apprentissage et d'ouverture, ne saurait devenir un espace de peur et d'exclusion.
Dans le contexte des attaques terroristes du 7 octobre, des otages retenus par le Hamas, des crimes contre l'humanité commis à Gaza, gare aux amalgames. « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur de ce monde », dit Camus ; ne pas les nommer, c'est nier notre humanité. Les juifs de France ne doivent pas être assimilés aux crimes du gouvernement israélien. Relativiser les crimes envers les juifs, c'est leur dénier le statut de victimes. Se battre pour un État palestinien, en reconnaissant le droit à la sécurité d'Israël, ce n'est pas être antisémite.
Le GEST soutient l'ensemble des mesures de ce texte. Nous nous satisfaisons de la suppression en commission de la possibilité pour les présidents d'université d'accéder aux messageries privées : cela doit demeurer une prérogative de l'enquête judiciaire.
Il faut aborder conjointement toutes les formes d'antisémitisme, de racisme et de discrimination. C'est pourquoi nous souhaitons modifier l'intitulé de la proposition de loi, en cohérence avec le reste du texte. Nous défendrons également un amendement visant à mieux informer les étudiants, enseignants et personnels sur les dispositifs existants.
Je remercie les rapporteurs pour leur travail et leur écoute. Les auditions ont été nombreuses et les débats sereins. Continuons ainsi, en évitant les sous-entendus envers le monde universitaire ou les étudiants engagés. Je ne reviendrai pas sur le triste spectacle offert par notre mission d'information lors de l'audition de responsables d'universités.
Le Sénat doit rappeler son attachement à la liberté académique et à la liberté d'information et d'expression des étudiants, consacrée par l'article L811-1 du code de l'éducation.
Le GEST votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
M. David Ros . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Il y a une semaine, j'assistais à Sainte-Geneviève-des-Bois, dans l'Essonne, au dix-neuvième anniversaire de l'assassinat d'Ilan Halimi, torturé par le « gang des barbares » parce que juif.
Cette affaire peut nous paraître lointaine, mais l'antisémitisme, lui, n'est jamais bien loin. Les attentats perpétrés du 7 octobre 2023 ont rappelé qu'il reste tapi dans l'ombre, prompt à ressurgir, alimenté par la haine, la jalousie et la bêtise. Il est aussi attisé par certaines personnes qui occupent des fonctions de premier plan, à des fins électoralistes.
L'antisémitisme est un fléau et un péril pour la République. « Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l'oreille : on parle de vous », disait Frantz Fanon.
Lors de la cérémonie de la semaine dernière, les élèves et étudiants ont présenté les travaux grâce auxquels ils ont pu dépasser les préjugés et croyances véhiculées par les réseaux sociaux. Une lauréate, élève de troisième, a conclu en ces termes : si nos religions peuvent nous éloigner, le savoir doit nous réunir.
Nos universités sont le lieu de la transmission des connaissances. C'est pourquoi nous sommes choqués par la multiplication des actes antisémites dans l'enseignement supérieur.
La présente proposition de loi arrive fort à propos. Je remercie les deux rapporteurs pour leur travail, notamment dans le cadre de la mission flash. Ils ont procédé à de nombreuses auditions et pris le temps d'échanges libres et non faussés. Leur texte tient compte de ces différentes contributions : je les félicite pour cette démarche exemplaire. Cette attitude constructive a permis de retisser un lien de confiance avec les présidents d'université, qui avaient parfois le sentiment d'être injustement accusés de passivité.
Ce texte se fonde sur les onze recommandations adoptées à l'unanimité par la mission d'information en matière de formation des personnels, de prévention et de signalement des actes antisémites et de renforcement des procédures disciplinaires.
Les chefs d'établissement confirment l'intérêt du texte, même s'il n'est pas exclusif d'autres actions. Il prolonge le combat mené par les ministres successifs, avec un mot d'ordre : tolérance zéro pour les actes antisémites. L'application Dialogue, développée l'an dernier et pour laquelle l'université Paris-Saclay a été pilote, sera-t-elle pérennisée ?
Un bémol : nous regrettons que les amendements visant à étendre la formation à l'ensemble du personnel aient été déclarés irrecevables au titre de l'article 40. Là où il y a une volonté, il y a un chemin. Nous espérons que le Gouvernement reprendra cette proposition à son compte dans la suite de la navette.
Malgré cette réserve, le groupe SER votera la proposition de loi, en espérant une adoption à l'unanimité. (Applaudissements à gauche)
M. Aymeric Durox . - Nous abordons ce débat avec esprit de responsabilité, les yeux grands ouverts sur l'antisémitisme qui gangrène nombre de nos universités.
Les étudiants juifs sont 91 % à avoir subi un acte d'antisémitisme dans leur université. Depuis le 7 octobre 2023, les actes et propos antisémites recensés par France Universités ont doublé. Face à la multiplication des bousculades, blagues antisémites, intimidations et même violences physiques, il est urgent d'agir.
Le travail préparatoire à ce texte a mis en lumière une réalité alarmante : des présidents d'université expliquent qu'il est difficile de distinguer entre la critique politique légitime du gouvernement israélien et des déclarations antisémites ; de nombreux étudiants n'ont pas intégré l'enseignement moral et civique du primaire et du secondaire ; les mobilisations et blocages organisés par l'extrême gauche, qui essentialise le débat pour des raisons électoralistes, entretiennent l'amalgame entre la politique d'Israël et nos compatriotes juifs.
Plus ignominieux encore : les affiches réclamant la libération des otages du Hamas éhontément arrachées dans nombre d'universités. J'espère que les responsables ressentent un peu de dégoût pour eux-mêmes en apprenant cette semaine que Kfir Bibas, 9 mois, son frère Ariel, 4 ans, et leur mère sont morts, tués par le Hamas.
Notre devoir est d'imposer les lois de la République dans l'enseignement supérieur pour protéger nos étudiants. L'autonomie des universités n'est pas le séparatisme, la liberté d'expression ne peut justifier le racisme et l'antisémitisme. Elles doivent sévir chaque fois que nécessaire. À nous de mettre à leur disposition les outils législatifs nécessaires : c'est l'objet de cette proposition de loi. Elle prévoit une formation à la lutte contre l'antisémitisme, crée une mission égalité et diversité pour améliorer le suivi des signalements et renforce les pouvoirs des présidents d'université en matière d'investigation et de discipline.
Tout en déplorant qu'il soit encore nécessaire de légiférer contre l'antisémitisme dans la France de 2025, les sénateurs du Rassemblement national voteront ce texte.
Mme Samantha Cazebonne . - Ce texte est important, alors que notre pays connaît une nouvelle vague d'antisémitisme, notamment dans l'enseignement supérieur.
La mission flash menée l'an dernier par MM. Levi et Fialaire a mis des mots sur la montée de l'antisémitisme dans les universités et réaffirmé l'urgence de les doter de moyens nouveaux pour lutter contre ce fléau. En 2024, 1 570 plaintes pour actes antisémites ont été comptabilisées, contre 436 en 2022 - et ces chiffres sont probablement sous-estimés. Neuf étudiants juifs sur dix disent avoir été victimes d'actes antisémites.
Nos étudiants doivent se sentir en sécurité dans leur université. Cette proposition de loi donne aux établissements de nouveaux outils en ce sens, sans porter atteinte à leur indépendance.
Comme éducatrice, je me réjouis de l'instauration d'une formation contre l'antisémitisme pour les personnels. C'est indispensable : trop longtemps, les enseignants n'ont pas été assez accompagnés.
Le RDPI soutient aussi la création d'une mission égalité et diversité, à l'article 2, pour clarifier les obligations des établissements et renforcer les actions menées, y compris contre les violences sexistes et sexuelles. La systématisation du signalement des actes antisémites devrait remédier aux difficultés d'identification des victimes, qui, trop souvent, n'ont d'autre choix que de se taire.
L'article 3 étend les compétences des instances disciplinaires. Nous nous félicitons que la commission ait écarté le risque relatif à la protection des données personnelles.
Le RDPI votera évidemment cette proposition de loi, afin de mieux protéger nos étudiants. Chacun d'eux doit pouvoir grandir dans un climat d'ouverture, de débat et de lumières. Ne baissons pas les bras face à l'obscurantisme ! (Applaudissements)
M. Max Brisson . - Au XIXe siècle, la France était un modèle pour les juifs d'Europe centrale et orientale ; l'adage « heureux comme un juif en France » en témoigne. Depuis le Moyen-Âge, les juifs ont beaucoup apporté à l'édifice du génie français. Un lien particulier s'est noué entre la France, la République et le judaïsme français, qui se sont mutuellement nourris.
Hélas, cette exception française est aujourd'hui malmenée par un relativisme venu d'outre-Atlantique, hostile à notre universalisme républicain, et de nouvelles formes d'antisémitisme. L'audition, en avril dernier, de Guillaume Gellé, président de France Universités, et d'Isabelle de Mecquenem, membre du Conseil des sages de la laïcité, ne nous a pas rassurés, tant elle a donné l'impression d'un déni absolu des nouvelles modalités de l'antisémitisme.
Oui, il y a une spécificité intrinsèque à l'antisémitisme et il existe un lien entre wokisme, islamisme et antisémitisme : c'est une nouveauté à laquelle notre République doit faire face.
Les chiffres font froid dans le dos : 91 % des étudiants juifs sont victimes d'actes antisémites, ce qui les conduit parfois à s'interroger sur leur place dans la nation. Il est temps de réagir avec fermeté pour arrêter cet engrenage, auquel concourent des forces politiques qui se sont affranchies de toute décence et font régner la terreur sur les campus.
Je remercie MM. Levi et Fialaire pour cette proposition de loi utile.
Comme eux, je suis convaincu qu'il est indispensable de détecter systématiquement les actes antisémites. Comme eux, j'ai été interpellé par l'insupportable impuissance des autorités universitaires. Comme eux, je déplore que la discipline universitaire se borne à renvoyer vers les instances judiciaires. Comme eux, je suis fatigué de la culture de l'excuse, indécente quand il s'agit d'antisémitisme.
Mettons fin au relativisme ambiant et à la repentance forcée ! Il faut sanctionner systématiquement les auteurs, renforcer le lien entre universités et parquets et le pouvoir de sanction des établissements. Je salue l'amendement du Gouvernement qui redéfinit les motifs de poursuites disciplinaires et celui de M. Piednoir qui créé une section disciplinaire commune aux établissements d'une même région académique, pour un examen plus serein des dossiers sensibles.
Cette proposition de loi est la première pierre d'une action plus globale. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, et vous nous trouverez toujours à vos côtés pour lutter implacablement contre l'antisémitisme, le pire des cancers de la République. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Laure Darcos . - Quatre-vingts ans après la libération du camp d'Auschwitz Birkenau, nous débattons d'un texte qui inscrit la lutte contre l'antisémitisme parmi les priorités de notre nation. Comment en sommes-nous arrivés à devoir, en 2025, lutter contre la résurgence d'un passé qui fait honte à l'humanité ?
« Nous sommes en présence d'un crime qui n'a pas de nom » : ainsi parlait Winston Churchill à la BBC en août 1941, après avoir appris les premiers crimes perpétrés contre les juifs par les unités d'extermination allemandes en territoire soviétique.
Le 7 octobre 2023, le Hamas a commis un pogrom épouvantable, le pire depuis la Seconde Guerre mondiale. J'ai une pensée émue pour les otages juifs encore retenus à Gaza et pour ceux qui ont été tués, dont la famille Bibas.
La décision de l'État hébreu de traquer cette organisation terroriste sur le territoire des Gazaouis, transformés en boucliers humains, n'a pas tardé à déchaîner sur notre sol les plus vils instincts. Des cités communautarisées aux amphithéâtres chauffés à blanc par des étudiants fanatisés d'extrême gauche, le diable a ressurgi. Souvenons-nous de l'occupation de Sciences Po par des militants prétendument antisionistes, encouragés par des députés de La France Insoumise, un parti qui a fait de l'instrumentalisation de ces événements son fonds de commerce. L'antisionisme de la gauche radicale n'est qu'une façade masquant une réalité qui lui est consubstantielle.
Depuis le 7 octobre 2023, notre pays fait face à une explosion de l'antisémitisme, en particulier dans l'enseignement supérieur. Neuf étudiants de confession juive sur dix ont été confrontés à un acte antisémite, une réalité glaçante. Trop souvent, l'idéologie l'emporte sur le débat d'idées, alors que l'extrême gauche étudiante impose une forme de terreur physique et psychologique dans les universités, sous couvert de défense de la Palestine - qu'une députée LFI ne sait même pas situer sur une carte. Il est plus que temps d'agir !
Notre commission a créé une mission d'information pour déterminer les moyens d'endiguer la diffusion de l'antisémitisme à l'université. J'ai été émue par les témoignages des représentants de la communauté juive sur la haine quotidienne, dans ce qui devrait être des hauts lieux de la connaissance.
Je salue le travail remarquable de MM. Levi et Fialaire. Les mesures proposées visent à mieux détecter les actes antisémites, mobiliser les équipes dirigeantes et sanctionner. Il faut agir dès l'école primaire pour déconstruire les stéréotypes. Or l'enseignement de la laïcité et du fait religieux reste difficile, en témoignent les assassinats des professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard.
Cette proposition de loi vise à sensibiliser les jeunes tout au long de leur parcours scolaire et universitaire. La généralisation de la mission égalité et diversité donnera une assise solide aux signalements. Enfin, la procédure disciplinaire est rénovée.
Face à la haine qui déferle, le temps est à l'action. Notre groupe votera ce texte avec conviction et espère son application pleine et efficace. (Applaudissements au centre et sur des travées à droite)
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Il est consternant que nous devions, en 2025, légiférer contre l'antisémitisme et le racisme. Nos grands-parents et parents ont lutté contre ces fléaux et notre République s'est construite sur les valeurs d'égalité et de fraternité. Or la haine s'exprime toujours, notamment dans les établissements d'enseignement supérieur. Les mécanismes existants ne suffisent pas à la combattre.
Il n'est pas normal que des étudiants aient du mal à poursuivre leur formation en raison de leur origine, ni que des enseignants aient du mal à enseigner. Ces incidents répétés portent atteinte à la dignité des personnes et au bon fonctionnement de l'université, qui devrait être un lieu de production du savoir et d'émancipation.
La proposition de loi n'établit aucune hiérarchie entre les formes de haine et de discrimination, mais les nomme pour mieux les combattre. Antisémitisme, racisme, homophobie : sous des formes diverses, c'est le même poison qui est à l'oeuvre. Notre responsabilité est de former des esprits capables de combattre les discours toxiques.
La prévention ne peut se résumer aux signalements. Nous devons mettre en place une approche globale et coordonnée, fondée sur la formation et un continuum de l'école primaire à l'université.
Ne relâchons pas notre vigilance. Toutes les formes de violence et de haine nécessitent une mobilisation constante, pour qu'à l'avenir, nous n'ayons plus à légiférer. Le RDSE votera ce texte. (Applaudissements au centre et à droite ; M. Yan Chantrel applaudit également.)
M. le président. - Le président Lafon renonce à s'exprimer, pour que le texte puisse être voté avant le terme du délai imparti.
M. Stéphane Piednoir . - Parmi les discriminations de toute sorte, l'antisémitisme tient une place particulière. J'ai une pensée pour les otages retenus à Gaza, et la famille Bibas. La barbarie du Hamas ne sera ni pardonnée ni oubliée.
Sous couvert de positionnement politique ou idéologique, le débat s'embrase, alors que le combat contre l'antisémitisme ne saurait prêter à discussion. La France est attachée à l'universalité des droits de l'homme.
Les universités ne sont pas des citadelles : elles sont particulièrement confrontées à la résurgence de l'antisémitisme, ce péril séculaire. Depuis le 7 octobre 2023, le nombre d'actes antisémites dans l'enseignement supérieur a doublé. Nous ne tolérerons pas l'intolérable.
C'est tout l'enjeu du travail mené par MM. Fialaire et Levi, que je salue. Leur proposition de loi répond à un besoin impératif de protection.
À l'instar de ce qui a été fait pour d'autres formes de discrimination, instaurer un référent identifié pourra faciliter la dénonciation. Si le combat contre l'antisémitisme a ses spécificités, il faut une mécanique commune de lutte contre toutes les haines.
L'antisémitisme n'est pas une opinion, mais un délit. Et la liberté académique a parfois bon dos. Il faut avoir le courage de s'opposer à ceux qui prennent ouvertement des positions antisémites et ont encouragé les débordements, notamment, à Sciences Po. Ne laissons pas la gangrène antisémite attaquer notre République. Les chefs d'établissement et présidents d'université doivent être d'une fermeté absolue. Je défendrai un amendement pour des dispositions plus opérationnelles à cet égard.
Cette proposition de loi ne résoudra pas tout, mais il est de notre devoir de la voter pour garantir à tous un environnement propice à l'élévation intellectuelle. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Chapitre Ier : Formation à la lutte contre l'antisémitisme dans les établissements d'enseignement
M. le président. - Amendement n°6 de M. Ros et du groupe SER.
M. David Ros. - Le travail à mener va au-delà de l'antisémitisme. Nous mettons en conformité l'intitulé du chapitre Ier avec le dispositif de l'article 1er, en visant la lutte contre le racisme et l'antisémitisme.
M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - Comme l'a dit Pierre Ouzoulias, l'antisémitisme n'est pas un racisme comme les autres. Avis défavorable.
M. Philippe Baptiste, ministre. - Sagesse.
L'amendement n°6 n'est pas adopté.
L'article 1er est adopté.
Article 2
M. le président. - Amendement n°13 de MM. Levi et Fialaire, au nom de la commission de la culture.
L'amendement rédactionnel n°13, accepté par le Gouvernement, est adopté.
M. le président. - Amendement n°3 rectifié de Mme Ollivier et du GEST.
Mme Mathilde Ollivier. - Les établissements doivent informer les étudiants, enseignants et membres du personnel de l'existence des dispositifs de lutte contre l'antisémitisme, renforcés par ce texte.
M. Bernard Fialaire, rapporteur. - Cette disposition ne nous a pas paru nécessaire à première vue, mais nous en partageons l'objectif. Avis favorable.
M. Philippe Baptiste, ministre. - Cette question relève plutôt du réglementaire. Retrait, sinon avis défavorable.
L'amendement n°3 rectifié est adopté.
M. le président. - Amendement n°12 de MM. Levi et Fialaire, au nom de la commission de la culture.
M. Bernard Fialaire, rapporteur. - Nous retirons cet amendement d'appel, mais l'appel est lancé...
L'amendement n°12 est retiré.
L'article 2, modifié, est adopté.
Article 3
M. le président. - Amendement n°1 rectifié de M. Piednoir.
M. Stéphane Piednoir. - Les sections disciplinaires des établissements ont parfois du mal à se saisir des actes antisémites. C'est pourquoi je propose d'instaurer une instance commune aux établissements d'une même région académique, placée sous l'autorité d'un magistrat professionnel. Elle permettra un dépaysement des affaires et allégera la charge des commissions disciplinaires d'établissement. Ses modalités de constitution et de réunion seront fixées par décret.
M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - Cet amendement très intéressant apporte une réponse aux limites de la procédure disciplinaire actuelle, notamment l'inflation du nombre de dossiers et la fragilité des procédures. Il reprend une proposition de notre rapport d'information. Avis favorable.
M. Philippe Baptiste, ministre. - Avis favorable.
L'amendement n°1 rectifié est adopté.
M. le président. - Amendement n°11 du Gouvernement.
M. Philippe Baptiste, ministre. - Nous redéfinissons les motifs susceptibles de justifier des poursuites disciplinaires, en les élargissant. La liste prévue n'est pas exhaustive.
M. le président. - Sous-amendement n°15 de Mme Ollivier et du GEST.
Mme Mathilde Ollivier. - Nous voulons supprimer la possibilité pour les établissements de lancer des poursuites disciplinaires en cas d'atteinte aux dispositions nationales de nature législative ou réglementaire, afin d'éviter une para-judiciarisation.
M. le président. - Amendement n°4 de Mme Ollivier et du GEST.
Mme Mathilde Ollivier. - Défendu.
M. le président. - Amendement n°9 de M. Ros et du groupe SER.
M. David Ros. - Nous retirerons cet amendement si l'amendement n°11, sous-amendé, est adopté.
M. le président. - Dans ce cas, le vôtre deviendra sans objet.
M. Bernard Fialaire, rapporteur. - L'amendement n°11 réécrit les motifs de saisine de la commission disciplinaire. Cette rédaction a plusieurs avantages : une description objective, la suppression de la notion d'atteinte à la réputation de l'établissement, plusieurs précisions qui offriront des outils supplémentaires aux présidents d'établissement pour répondre aux faits de haine, faire respecter le règlement intérieur et assurer le bon fonctionnement de l'université. Avis favorable.
Avis défavorable aux amendements nos4 et 9, ainsi qu'au sous-amendement n°15, satisfait.
M. Stéphane Piednoir. - Je ne suis pas spécialiste en droit - cela n'empêche pas d'atteindre les plus hautes fonctions juridiques dans notre pays... (Marques d'approbation et d'ironie sur de nombreuses travées) - mais l'amendement du Gouvernement me semble poser une difficulté, liée au « notamment ». De façon générale, il faut se méfier des adverbes dans la rédaction des textes. Je crains que celui-ci ne soit source de contentieux. L'amendement du Gouvernement peut-il être rectifié ?
M. Philippe Baptiste, ministre. - Avis défavorable au sous-amendement n°15 et aux amendements nos4 et 9. Monsieur Piednoir, le « notamment » ouvre le champ : les présidents d'université auront la possibilité de se saisir de sujets plus larges.
M. David Ros. - Je me félicite de l'abandon de la notion de réputation. On nous a objecté, il y a quelques instants, qu'on voulait se concentrer sur la lutte contre l'antisémitisme. Or l'amendement du Gouvernement élargit le champ des faits visés. Je veux bien tout, mais pas tout et son contraire. Le groupe SER s'abstiendra sur l'amendement n°11.
Mme Mathilde Ollivier. - Des présidents d'université estiment que les procédures disciplinaires, dans certains cas, peuvent affaiblir la procédure judiciaire portant sur les mêmes faits.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - L'amendement n°11 est essentiel pour renforcer l'aspect disciplinaire du texte, qui crédibilise la démarche. On pourra y retravailler dans la navette, mais il serait regrettable de ne pas intégrer cette dimension. (Mme Anne-Sophie Romagny et M. Max Brisson renchérissent.)
M. Pierre Ouzoulias. - Tout à fait !
Le sous-amendement n°15 n'est pas adopté.
L'amendement n°11 est adopté.
Les amendements nos4 et 9 n'ont plus d'objet.
L'article 3, modifié, est adopté.
Article 4
M. le président. - Amendement n°14 de MM. Levi et Fialaire, au nom de la commission de la culture.
M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - Cet amendement prévoit l'application du texte en outre-mer.
M. Philippe Baptiste, ministre. - Avis favorable.
L'amendement n°14 est adopté.
L'article 4, modifié, est adopté.
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. - Amendement n°5 de M. Ros et du groupe SER.
M. David Ros. - Un seul mot : cohérence !
M. Max Brisson. - C'est nouveau...
M. le président. - Amendement n°2 de Mme Ollivier et du GEST.
Mme Mathilde Ollivier. - Défendu.
M. Bernard Fialaire, rapporteur. - Avis défavorable.
M. Philippe Baptiste, ministre. - Sagesse.
L'amendement n°5 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°2.
Vote sur l'ensemble
Mme Sabine Drexler . - L'université et les grandes écoles sont censées être des lieux de débat éclairé, de respect mutuel et de promotion des valeurs républicaines.
Mais les tensions internationales, notamment le conflit israélo-palestinien, sont importées et instrumentalisées sur nos campus et sont le prétexte à la propagation de discours et d'actes antisémites. S'y ajoute l'influence croissante d'idéologies raciales d'extrême droite, d'extrême gauche et islamistes, prônant la haine de l'autre et un antisémitisme plus ou moins assumé.
Qu'en sera-t-il demain dans nos institutions, nos entreprises et nos médias, si nos futurs décideurs sont nourris par ces idéologies ? Quid des magistrats qui auraient appris à fermer les yeux sur cette haine ? Quel type de médias aurons-nous si les journalistes se forment dans un climat où la désinformation et le complotisme prospèrent ?
L'antisémitisme impose une réponse collective et déterminée. Faute de quoi, ce qui est toléré aujourd'hui sera notre quotidien demain !
M. David Ros . - Quatre mots : unanimité, bravo, mais cohérence. (Sourires)
M. Francis Szpiner. - C'est un rébus ?
M. Pierre Ouzoulias . - On combat l'antisémitisme par la connaissance. Or les études sur le judaïsme sont en pleine déshérence - six thèses sur le judaïsme contre vingt il y a cinq ou six ans. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour relancer les études dans ce domaine. (Applaudissements)
À la demande du groupe UC, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°210 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l'adoption | 344 |
Contre | 0 |
La proposition de loi est adoptée.
(Bravos et applaudissements ; plusieurs sénateurs se lèvent.)
M. Pierre-Antoine Levi, rapporteur. - Je remercie le président Lafon : les six minutes qu'il a abandonnées dans la discussion générale ont été précieuses pour voter cette proposition de loi, attendue à l'université. (Applaudissements) Objectif rempli !
Nous espérons une application à la rentrée 2025. Merci également aux ministres pour leur soutien. Nous comptons sur eux pour une inscription rapide du texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. (Applaudissements)
M. Laurent Lafon, président de la commission. - J'ai appris aujourd'hui qu'il pouvait être utile de se taire... (Sourires) Au printemps dernier, la conférence des présidents avait lancé une mission flash. Un an plus tard, nous adoptons une proposition de loi. Je remercie nos deux rapporteurs, qui ont travaillé main dans la main même si leurs regards, au départ, étaient différents. (Applaudissements)
Oui, nous envoyons un message : chacun a sa place dans l'enseignement supérieur, sans essentialisation ni ostracisme. Mais cette proposition de loi n'est pas qu'un message : elle offre un panel d'outils juridiques. Monsieur, madame les ministres, nous avons besoin de vous pour l'inscrire rapidement à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Merci pour cette belle unanimité ! (Applaudissements)
M. Philippe Baptiste, ministre. - Je remercie le Sénat pour la qualité de ses débats et ce vote. Comptez sur moi pour lutter quotidiennement contre l'antisémitisme. (Applaudissements)
Mises au point au sujet de votes
M. Bernard Buis. - Lors du scrutin public n°207, M. Georges Patient souhaitait voter pour.
Lors des scrutins publics nos208 et 209, il souhaitait voter contre.
M. David Ros. - Lors du scrutin public n°192, M. Olivier Jacquin souhaitait voter contre.
Acte en est donné.
Modification de l'ordre du jour
M. le président. - Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l'inscription à l'ordre du jour du mardi 4 mars d'une déclaration, en application de l'article 50-1 de la Constitution, portant sur la situation en Ukraine et la sécurité en Europe. Ce débat pourrait avoir lieu à 16 h 30. Le délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat pourrait être fixé au lundi 3 mars, à 15 heures.
Il en est ainsi décidé.
Souveraineté alimentaire et agricole (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture.
M. Franck Menonville, rapporteur pour le Sénat de la CMP . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Laurent Burgoa applaudit également.) À moins de 48 heures de l'ouverture du Salon international de l'agriculture, nous nous apprêtons à conclure une très longue séquence agricole, dont ce projet de loi est le point d'orgue.
Je remercie toutes les personnes qui se sont investies, et en premier lieu mon corapporteur Laurent Duplomb. Nous avons enrichi ce projet de loi, au point de déposer une proposition de loi complémentaire, qui sera examinée début avril à l'Assemblée nationale.
Je remercie la présidente Estrosi Sassone pour son soutien sans faille. Je remercie aussi Marc Fesneau et vous madame la ministre pour votre obstination, car le sort de ce texte était incertain au sortir de la dissolution. (Mme Anne-Sophie Romagny renchérit.) Merci aussi pour votre soutien à notre proposition de loi, qui bénéficiera de la procédure accélérée.
Je remercie les anciens et les nouveaux rapporteurs du texte à l'Assemblée nationale, Pascal Lavergne, Éric Girardin, Nicole Le Peih et Pascal Lecamp. Notre écoute mutuelle nous a permis des compromis et d'aboutir à un texte ambitieux.
Le texte qui nous est soumis reflète cet état d'esprit. Il conserve l'essentiel des apports de fond du Sénat, convergents, en réalité, avec ceux des députés. C'est ce qui explique sa très large approbation, hier soir, à l'Assemblée nationale.
Je pense aux notions d'intérêt général majeur, d'intérêt fondamental de la nation et au principe de non-régression de la souveraineté alimentaire. Nos apports pour un enseignement agricole résolument tourné vers l'entrepreneuriat ont été maintenus. Nous avons accepté de revenir à France Services Agriculture, dénomination à laquelle la ministre était très attachée. (Mme Annie Genevard le confirme.) L'aide au passage de relais et le droit à l'essai ont été conservés.
De nombreux apports de nos collègues ont également été maintenus : pas d'interdiction sans solution, grâce à Daniel Gremillet ; facilitation de la construction de bâtiments agricoles dans les communes insulaires métropolitaines, grâce à Annick Billon ; exclusion de ces bâtiments du zéro artificialisation nette (ZAN), grâce à Jean-Claude Anglars ; création d'un représentant de l'enseignement agricole indépendant, grâce notamment à Christian Bruyen.
Soyons fiers du travail accompli collectivement. Je vous invite, à la suite du large soutien des députés, à voter ce projet de loi en disant un oui franc et massif à l'avenir de l'agriculture. Nos agriculteurs nous diront merci. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDPI)
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - (MM. Laurent Burgoa et Patrick Chaize applaudissent.) « On marche sur la tête » : tel était le message du monde paysan du mouvement de protestation historique de l'an dernier. Nos agriculteurs nous criaient leur ras-le-bol d'une politique trop hors solution, trop en décalage avec leurs besoins. Je salue Marc Fesneau, mon prédécesseur : la dernière de ses promesses est entre vos mains.
Ce texte est une oeuvre collective qui témoigne de la capacité de notre nation à s'unir autour de notre agriculture.
Je remercie les rapporteurs pour leur travail acharné, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. Je remercie également les présidentes de commission, Mmes Estrosi Sassone et Trouvé, ainsi que tous les négociateurs de la CMP, qui ont abouti à un compromis ambitieux et responsable.
À deux jours de l'ouverture du Salon, notre agriculture, notre pêche et notre forêt sont reconnues d'intérêt général majeur. L'objectif est clair : accroître le potentiel agricole de notre nation, pour nous débarrasser des dépendances inutiles.
Notre enseignement agricole va être régénéré grâce à 30 % d'apprenants supplémentaires d'ici à 2030, à une sixième mission pour former la relève au grand défi des transitions climatique et environnementale, à un effort de sensibilisation des plus jeunes aux métiers du vivant et à la création du bachelor agro.
Nous allons agir pour l'installation et la transmission grâce à un accompagnement renforcé par le réseau France Services Agriculture et grâce au diagnostic modulaire. L'essai d'association sera possible.
Nous avons renforcé l'attractivité du métier d'agriculteur, en dépénalisant les atteintes non intentionnelles à l'environnement et en réduisant le délai de recours contentieux contre les ouvrages agricoles et hydrauliques - c'est un gage de sérénité.
Nous abaissons substantiellement les contraintes sur nos exploitants par la création d'un régime unique de la haie. Enfin, nos éleveurs verront leurs troupeaux mieux protégés contre la prédation lupine, grâce aux tirs de défense et aux patous.
La place des femmes en agriculture - qui me tient à coeur - sera revalorisée : l'amélioration de leur statut figure explicitement dans nos objectifs ; l'accès au statut de chef d'exploitation sera facilité ; le réseau France Services Agriculture les accompagnera.
Avec ce texte, nous réancrons les deux pieds de la France dans le socle le plus solide qui soit : l'agriculture. La parole de l'État est tenue. Un seul mot d'ordre, désormais : votez ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP et du RDPI)
Discussion du texte élaboré par la CMP
M. le président. - En application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la CMP, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.
Article 3
M. le président. - Amendement n°6 du Gouvernement.
Mme Annie Genevard, ministre. - Rédactionnel.
M. le président. - Amendement n°1 du Gouvernement.
Mme Annie Genevard, ministre. - Rédactionnel.
M. le président. - Amendement n°8 du Gouvernement.
Mme Annie Genevard, ministre. - Nous supprimons les mots « ou aquacoles », inutiles puisque l'aquaculture fait partie de l'agriculture. Nous aurons ainsi une définition identique pour les établissements publics et privés.
M. le président. - Amendement n°7 du Gouvernement.
Mme Annie Genevard, ministre. - Les exploitations des établissements privés doivent bénéficier des mêmes aides que celles des établissements publics.
M. le président. - Amendement n°2 du Gouvernement.
Mme Annie Genevard, ministre. - Coordination juridique.
Article 5 bis
M. le président. - Amendement n°3 du Gouvernement.
Mme Annie Genevard, ministre. - Coordination juridique.
Article 10
M. le président. - Amendement n°4 du Gouvernement.
Mme Annie Genevard, ministre. - Coordination juridique.
Article 14 bis A
M. le président. - Amendement n°5 du Gouvernement.
Mme Annie Genevard, ministre. - Correction d'une erreur de référence juridique.
Article 21
M. le président. - Amendement n°9 du Gouvernement.
Mme Annie Genevard, ministre. - Nous portons de six à douze mois le délai de l'ordonnance sur l'enseignement agricole en outre-mer.
Certes, il faut aller vite, mais le délai de six mois semble trop court. Nous devons d'abord recenser toutes les dispositions à mettre en cohérence, ainsi que celles devenues sans objet.
M. Franck Menonville, rapporteur. - Avis favorable à tous les amendements.
Vote sur l'ensemble
M. Yannick Jadot . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Chers collègues de la majorité sénatoriale, votre victoire est totale, sans compromis ni nuance, avec la complaisance coupable du Gouvernement. Mais la fête risque d'être courte et les lendemains, bien sombres.
Car si votre victoire sert une minorité d'agriculteurs, les plus puissants, l'agro-industrie et l'agrochimie, elle se fait au détriment de tous les autres, qui expriment tous les jours leur colère et leur mal-être face à des revenus indignes, à l'isolement, à l'épuisement, à une bureaucratie absurde et à une nature malade.
Cette loi est un déni. De la nature, d'abord. Ignorer les impacts de l'agriculture sur la biodiversité, l'eau, les sols et le climat est irresponsable - les agriculteurs en sont les premières victimes. Tout comme rabaisser les vérités scientifiques à de l'idéologie ou de simples opinions : acter les faits, ce n'est ni insulter ni culpabiliser tous les agriculteurs.
En remettant en cause le travail de l'Office français de la biodiversité (OFB), de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et de l'Anses, vous vous êtes enfermés dans une forme d'obscurantisme. Deux administrateurs de l'Anses dénoncent dans Le Monde d'aujourd'hui l'usine à gaz que vous avez inventée pour subordonner les avis de l'agence aux intérêts économiques de certains.
Mme Annie Genevard, ministre. - Ce n'est pas dans ce texte !
M. Yannick Jadot. - Souvenez-vous de l'amiante !
Votre principe - pas d'interdiction sans solution - nous rappelle les arguments évoqués par les planteurs de bananes pour retarder la fin de l'utilisation du chlordécone dans les Antilles, malgré la catastrophe sanitaire annoncée et connue. Les scientifiques alertent sur l'explosion du nombre de cancers, notamment chez les jeunes. Chacun d'entre nous devra un jour rendre des comptes.
Cette loi est aussi un déni des attentes de la société. Le contrat entre l'agriculture et la société repose sur la reconnaissance, le respect et la confiance. Jusqu'à présent, nul ne remet en cause le financement public de l'agriculture - 200 euros par Français et par an. Mais les Français attendent en retour une agriculture nourricière, une alimentation de qualité, le respect de l'environnement et de la santé et certainement pas une zone de non-droit et d'impunité en matière d'atteinte à l'environnement. (Mme Annie Genevard le conteste.) La confiance est fragile, or cette loi l'abîme.
Déni enfin sur le revenu des agriculteurs. Vous ne vous attaquez pas au rapport brutal liant les agriculteurs à l'agro-industrie qui écrase nos paysans. Ce texte ne contient rien pour garantir des prix rémunérateurs et des revenus dignes.
En ce triste jour, nous, écologistes, gardons espoir : sur le terrain, les agriculteurs prennent plus au sérieux qu'ici les enjeux environnementaux et les attentes de la société. Ils sont plus lucides qu'ici sur le combat à mener pour obtenir des revenus dignes, particulièrement les jeunes, si maltraités par ce texte : pour eux, la souveraineté agricole et alimentaire, ce ne seront jamais les fermes usines fonctionnant au soja brésilien pour vendre de la viande à l'autre bout de la planète. Pour eux, l'agroécologie, que vous avez voulu rayer de ce texte de loi, n'est pas un grand mot : c'est la seule option sérieuse et responsable.
Nous leur devons une autre loi. Le GEST votera évidemment contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Annie Genevard, ministre. - Où avez-vous vu qu'il était question de l'Anses ? Vous vous trompez de texte...
M. Yannick Jadot. - J'ai bien écouté les débats !
M. Jean-Claude Tissot . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La crise agricole du printemps dernier nous oblige. Nul ne peut la nier.
Cette crise, multidimensionnelle, est d'abord sanitaire et environnementale, avec la résurgence d'épidémies. Les conséquences du changement climatique sont de plus en plus visibles. Le malaise agricole est aussi la crise du renouvellement des générations : l'avenir est inquiétant. N'oublions pas qu'il n'existe pas de pays sans paysans.
Cette crise est aussi économique : les paysans veulent pouvoir vivre dignement de leur travail. Après ce texte, quelles réponses ?
Les paysans n'auront qu'une loi bavarde, programmatique, nullement à la hauteur de leurs revendications. Oui, ce texte comporte quelques avancées : le guichet unique départemental, même si ses contours sont flous ; le nouveau diplôme, mais son impact réel interroge ; le diagnostic modulaire, mais il sera facultatif et tourné vers la compétitivité.
Rien sur des thématiques centrales comme le revenu des agriculteurs, le rééquilibrage des relations commerciales, le foncier, les aides toujours liées au productivisme.
L'occasion manquée est terrible. On n'avance pas. Pis : on recule. Je déplore cette logique libérale d'allègement des charges environnementales. On recule, avec le principe de non-régression de la souveraineté alimentaire, avec le refus d'interdire les produits phyto : c'est la porte rouverte à la réintroduction des néonicotinoïdes. On recule avec l'abaissement des sanctions en cas de destruction illicite d'espèces, d'habitats naturels ou de sites protégés. On recule avec la dépénalisation de certaines infractions. On recule avec l'accélération des recours contre certains projets agricoles ou les mégabassines.
Nous nous rejoignons sur un point : l'agriculture française doit rester compétitive et d'excellence. Non, nous ne voulons pas réduire l'agriculture à néant. Le virage agroécologique est indispensable, alliant performances économique, environnementale et sociale.
Nous devons promouvoir tous les modes de production et un plus grand pluralisme dans les instances agricoles. Nous voulons une loi de régulation foncière contre les agrandissements incontrôlés, l'accaparement des terres et la financiarisation de l'agriculture. Nous voulons une grande réforme des aides de la PAC, pour en finir avec le modèle dominant des aides à l'hectare. Nous voulons que le rôle majeur des opérateurs de l'État - et notamment l'OFB, l'Inrae et l'Anses - soit reconnu. Nous voulons supprimer tous les reculs environnementaux.
Ceux qui voteront ce texte porteront la responsabilité de ne pas avoir engagé l'agriculture sur la voie de sa survie. Le groupe SER votera contre ce texte, il n'a pas d'autre choix. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Laure Darcos . - Nous y sommes ! Certes, in extremis, à deux jours du Salon de l'agriculture.
Présenté en réponse à la colère du monde agricole, ce texte avait l'ambition de donner un cap clair vers la souveraineté alimentaire. Simplicité et pragmatisme, voilà le cap et la méthode.
Nous nous réjouissons que la version du Sénat ait été reprise pour l'essentiel, donnant plus de souplesse à nos agriculteurs.
Mais certaines dispositions de ce texte échappent à cette logique de simplification. Les Indépendants ont été les seuls à s'abstenir sur la proposition de loi en faveur de la haie. Son intégration dans l'article 14 nous laisse perplexes : nous resterons attentifs à son application.
Nous regrettons aussi que les dispositions sur les compétences eau et assainissement n'aient pas été retenues en CMP, car le Sénat y est très attaché.
Toutes ces mesures de simplification faciliteront la transmission et l'installation. Mais pour cela, il faut de la rentabilité : qui souhaiterait s'installer dans une exploitation non viable ? Les agriculteurs veulent vivre de leur métier.
Madame la ministre, ce texte n'est pas le vôtre, mais merci pour votre engagement et votre capacité à tenir vos engagements. En ce moment même, Vincent Louault échange avec vos services sur les zones humides, comme vous l'aviez promis.
Les sujets restent nombreux. Ce texte n'est qu'une première étape : la prochaine sera l'examen de la proposition de loi visant à lever les contraintes du métier d'agriculteur à l'Assemblée nationale. Ces deux textes sont les deux jambes d'un même corps.
Nous avons réaffirmé que l'agriculture est stratégique pour la souveraineté de la nation. Cette nouvelle méthode - simplification et pragmatisme - doit maintenant s'appliquer à d'autres secteurs : l'industrie, l'énergie, les PME...
Les Indépendants voteront unanimement ce texte. (M. Bernard Buis applaudit.)
M. Jean-Claude Anglars . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Un an après son dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale, nous achevons l'examen de ce texte au parcours chaotique.
La colère agricole a connu plusieurs épisodes depuis un an. Les agriculteurs attendent des réponses ; le Sénat y contribue via la proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur.
La loi d'orientation a été améliorée et clarifiée par les commissions ; je salue le travail des rapporteurs.
Nous avons défendu notre vision lors des débats : promouvoir une agriculture compétitive et durable sur l'ensemble du territoire, capable de produire une alimentation saine, conformément au principe de la souveraineté alimentaire. Nous devons faire confiance aux agriculteurs, qui donnent tout pour leur métier.
La version finale du texte est satisfaisante, avec la conservation de nombreux apports du Sénat.
Plus que d'orientation, c'est un texte de circonstance qui ne résoudra pas tous les problèmes, mais aborde des sujets parfois plus urgents que structurants.
Certains lui reprochent d'être hétéroclite, mais il apporte des réponses ambitieuses et utiles : l'inscription de la souveraineté alimentaire comme intérêt fondamental de la nation, le droit à l'essai en agriculture, les aides au passage de relais, la présomption de bonne foi des agriculteurs lors des contrôles et la simplification de l'article sur les haies.
Je salue deux points importants retenus en CMP, issus d'amendements que j'avais déposés : l'exclusion des bâtiments agricoles du ZAN, car l'avenir de l'agriculture exige de ne pas mettre en concurrence les bâtiments pour l'élevage et les nouvelles habitations ; l'autorisation de la valorisation des produits lainiers sous forme d'engrais, jusqu'alors interdite par une surtransposition du droit européen, alors qu'elle était autorisée en Allemagne, en Italie et en Espagne.
D'autres enjeux nous attendent : la loi Trace et l'accord avec le Mercosur, sur lequel nous devons être vigilants - mais vous l'êtes, madame la ministre.
Le groupe Les Républicains votera ce texte et souhaite une promulgation rapide. Madame la ministre, nous comptons sur vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Franck Menonville applaudit également.)
M. Bernard Buis . - Après un marathon budgétaire historique, voici la dernière épreuve d'un pentathlon agricole inédit.
Deux jours après la CMP, nous avons l'occasion d'apporter un point final au parcours législatif de ce texte.
Je salue les rapporteurs, tant de l'Assemblée nationale que du Sénat. Leur travail a permis d'aboutir à une CMP conclusive cette semaine, pour adopter définitivement le texte avant l'ouverture du Salon de l'agriculture.
Le RDPI votera ce texte, qui contient de nombreuses avancées. Je me réjouis de l'évolution du cadre juridique applicable à la haie grâce à la préservation de l'article 14 bis A, introduit par un amendement déposé avec Daniel Salmon pour intégrer sa proposition de loi de sauvegarde de la haie dans ce projet de loi.
Je salue la création du bachelor agro et la mise en place du réseau France Services Agriculture, ainsi que l'introduction du précepte selon lequel il n'y a pas d'interdiction sans solution.
Je salue le droit à l'erreur, qui aidera les agriculteurs de bonne foi. Ces derniers ont besoin de simplification et de bienveillance : ce texte y pourvoit.
Il est urgent de voter ce texte, car les décrets d'application doivent être publiés rapidement. Madame la ministre, je compte sur vous pour renouer la confiance avec les agricultrices et les agriculteurs, qui font la fierté de notre pays. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Anne-Sophie Patru et M. Franck Menonville applaudissent également.)
M. Henri Cabanel . - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; Mme Anne-Sophie Patru applaudit également.) Il y a deux jours, vous aviez conclu en déclarant que vous ne vouliez pas démarrer le Salon de l'agriculture en disant que les agriculteurs n'avaient pas été entendus.
C'est le seul engagement tenu : le texte sera voté avant le Salon. En effet, il ne répond pas aux attentes ; il fait même craindre des retours en arrière, avec des effets irréversibles, tant les agriculteurs dépendent de l'évolution des écosystèmes.
Pour autant, la sémantique a son importance : la notion de « transition climatique et environnementale » a été réintroduite, en lieu et place de celle d'adaptation. Je regrette cependant la disparition du terme d'agroécologie. Contre la nature, on ne lutte pas.
Je me satisfais du retour de l'objectif de porter l'agriculture bio à 21 % de la surface agricole utilisée (SAU) en 2031. Sa suppression par le Sénat aurait été un très mauvais signal : n'oublions pas qu'elle attire la moitié des agriculteurs qui veulent s'installer.
Idem pour le fait de circonscrire à l'agriculture la dépénalisation de certaines atteintes non intentionnelles à l'environnement. Il faut concilier non-régression environnementale et allègement des normes. Je comprends les craintes de nos collègues qui s'opposent au texte, mais nous devons changer de paradigme et faire davantage confiance aux agriculteurs.
Je me réjouis que France installations-transmissions devienne France Services Agriculture, ce qui ouvre la porte à d'autres fonctions.
Je regrette en revanche que la CMP soit revenue sur la gratuité du diagnostic modulaire. Je m'interrogeais déjà sur son effectivité, sur la base du volontariat, mais sa réalisation risque d'en devenir encore plus hypothétique. Une évaluation de l'efficacité du dispositif me semble nécessaire dans les années à venir.
Un texte cherchant à renforcer notre souveraineté alimentaire qui ne traite pas du foncier agricole est une anomalie. En 2021, lors de l'adoption de la proposition de loi Accès au foncier agricole, le Sénat avait regretté que le Gouvernement n'ait pas déposé une grande loi foncière. Quatre ans plus tard, le constat reste le même : l'éviction des agriculteurs eux-mêmes et un appauvrissement collectif. Madame la ministre, je compte sur vous pour approfondir le sujet.
Je ne peux pas raisonnablement voter contre ce texte, mais je ne peux pas non plus m'abstenir : les attentes du monde agricole nous obligent. Certes incomplet, ce texte comporte des compromis recevables qui m'amènent à voter pour, à l'instar de la majorité de mon groupe. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP)
Mme Marie-Lise Housseau . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Neuf mois après son adoption en première lecture à l'Assemblée nationale, nous voici au terme de l'examen de ce texte, qui répond à la détresse des agriculteurs. Malgré l'instabilité politique ambiante, ce projet de loi a pu aboutir : je salue le travail des rapporteurs, ainsi que l'implication des sénateurs, tous bords politiques confondus, dans des débats certes houleux, mais qui montrent notre attachement à l'agriculture et aux hommes et aux femmes qui nous nourrissent.
Je me réjouis que la version définitive soit proche de celle que nous avions adoptée au Sénat.
Cette loi résoudra-t-elle tous les problèmes ? Non. Les agriculteurs sont en première ligne de la qualité de notre alimentation, de notre autonomie collective, de la préservation de notre environnement. Notre principal défi ? Leur permettre de vivre dignement de leur métier. Or cette question du juste prix demeure entière.
Mais cette loi apporte quelques réponses : la souveraineté alimentaire est considérée comme relevant de l'intérêt fondamental de la nation. Alors que le libre-échange cède la place à un protectionnisme de plus en plus assumé et que des bruits de bottes se font entendre, c'est une bonne chose.
La CMP reconnaît la nécessité de favoriser les transitions climatiques et environnementales et fixe aux surfaces bio un objectif chiffré, reconnaissant tout leur intérêt.
La loi répond à la crise des vocations agricoles avec le guichet unique France Services Agriculture et propose des formations pour rendre le métier plus attractif, tout en sensibilisant à l'environnement.
Enfin, la loi réduit la pression coercitive et punitive sur l'agriculteur, qui ne peut plus être un bouc émissaire. On a fait peser sur ses épaules - comme Atlas - des exigences toujours plus lourdes, mais impossibles à atteindre - comme Sisyphe. Il était temps de rééquilibrer cette situation pour rassurer la majorité de bonne foi sans pour autant cautionner l'indéfendable. (Mme Anne-Sophie Romagny renchérit.)
Je salue l'intégration de la proposition de loi Romagny obligeant les aménageurs à mettre en place des zones de non-traitement en limite des zones agricoles quand il y a des habitations. Pour une fois, tout ne repose pas sur les agriculteurs.
Cette proposition de loi noue un nouveau contrat social. Elle constitue une première marche en cohérence avec les annonces faites hier par l'Union européenne sur la réciprocité des normes.
Le groupe UC restera engagé et à l'écoute du monde agricole. Il votera les conclusions de cette CMP. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et du RDPI ; M. Franck Menonville applaudit également.)
M. Gérard Lahellec . - L'élan populaire que suscite, chaque année, le Salon de l'agriculture, risque de supplanter assez vite les suites discrètes de cette petite loi d'orientation agricole. On nous avait promis une grande loi, mais la montagne accouche d'une souris. Nous ne devons pourtant pas perdre de vue la crise structurelle de l'agriculture.
Ce texte devrait être un compromis, mais il est quasiment aligné sur celui du Sénat. Le rôle de la CMP change de nature : ce sont onze parlementaires sur 925, soit 1,9 % de la représentation nationale, qui décident du contenu du texte...
Mme Anne-Sophie Romagny. - C'est la procédure !
M. Gérard Lahellec. - Certes, la procédure est parfaitement légale. (Mme Anne-Sophie Romagny et M. Antoine Lefèvre apprécient.) Mais ce texte souffrira d'un manque de légitimité ; il ne faudrait pas que cela devienne une habitude.
Nous sommes loin de la véritable loi d'orientation agricole dont nous aurions besoin pour nourrir durablement notre population et assurer le renouvellement des générations : la moitié des agriculteurs partiront à la retraite d'ici à 2050. Chaque jour, deux paysans se suicident, tandis que les actionnaires de l'industrie agroalimentaire captent la moitié de la valeur ajoutée : nonobstant les lois Égalim, celle-ci va vers l'aval et non vers la ferme, qui en est pourtant la source de production.
Ce système, faisant baisser la part de l'alimentation dans le budget des ménages et poussant les prix vers le bas, enserre les travailleurs paysans dans un étau : ils sont les extracteurs d'un minerai, comme si l'alimentation était une marchandise comme une autre, et non un bien commun. Toutes les filières sont touchées.
Dans les Côtes-d'Armor, entre 2021 et 2023, nous avons perdu la production de 10 millions de litres de lait. Dès 2027, il n'est pas impossible que nous importions du lait en France !
Plutôt que de remettre en cause ce système, on nous parle des normes... Certes, il y a de la paperasserie, mais ce n'est pas ce qui fait baisser le revenu paysan. Le jour où les normes auront disparu, nous n'aurons plus d'arguments pour nous opposer aux traités de libre-échange ou défendre nos AOP.
Cette loi d'orientation agricole ne traite pas du foncier agricole. En ignorant ce sujet délicat, nous prenons le risque d'une privatisation des terres où le propriétaire ne sera plus paysan.
La pêche est l'autre grande absente du texte, alors qu'elle a besoin d'être soutenue.
Il y a loi d'orientation et loi d'orientation. Ici, on nous propose de continuer à faire comme avant, mais en allant plus vite - c'est-à-dire de continuer à marcher sur la tête. C'est pourquoi nous nous y opposons. (Applaudissements à gauche)
À la demande de la commission des affaires économiques et du GEST, le projet de loi, modifié, est mis aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°211 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l'adoption | 236 |
Contre | 103 |
Le projet de loi, modifié, est adopté définitivement.
(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et du RDSE)
Prochaine séance, mardi 4 mars 2025, à 16 h 30.
La séance est levée à 17 h 10.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mardi 4 mars 2025
Séance publique
À 16 h 30, 18 h 30 et 21 h 30
Présidence : M. Gérard Larcher, président, M. Pierre Ouzoulias, vice-président, Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente
Secrétaires : Mme Catherine Di Folco, Mme Patricia Schillinger
1. Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, portant sur la situation en Ukraine et la sécurité en Europe
2. Débat sur les accords franco-algériens dans le domaine de l'immigration et de la circulation des personnes (demande du groupe Les Républicains)
3. Proposition de loi relative à la consultation du Parlement sur la nomination de membres français dans certaines institutions européennes, présentée par M. Jean-François Rapin (texte de la commission, n°358, 2024-2025) (demande de la commission des affaires européennes)