Accords franco-algériens dans le domaine de l'immigration et de la circulation des personnes

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les accords franco-algériens dans le domaine de l'immigration et de la circulation des personnes, à la demande du groupe Les Républicains.

Mme Muriel Jourda, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Pourquoi notre groupe a-t-il suscité ce débat ? Il s'agit non pas de reprendre l'historique des relations passées entre nos deux pays ; nous aurons du mal à trouver un accord sur un récit commun - le Président de la République a parlé, jusqu'à l'écoeurement parfois, d'une forme de dette de la France vis-à-vis de l'Algérie.

Il s'agit en fait d'aborder la politique migratoire entre nos deux pays, une politique qui consiste à définir qui rentre, qui reste et à quelles conditions.

En 1968, un accord unique en son genre a été signé entre nos deux pays. C'est un accord extrêmement complet, qui écarte presque tout le droit commun codifié dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda).

Cet accord comporte certaines dispositions plus défavorables que le droit commun, mais dans l'ensemble, il lui est plus favorable.

Pourquoi pas ? Les relations entre nos deux pays sont anciennes. Il y a beaucoup d'Algériens en France ; sur les 4 millions de titres de séjour en cours de validité, plus de 600 000 concernent des Algériens. Il y a aussi beaucoup de Franco-Algériens en France.

Mais cet accord, qui fait un traitement de faveur aux Algériens, n'est pas du tout réciproque. L'immigration irrégulière est presque aussi importante que l'immigration régulière. Avec Olivier Bitz, nous avions constaté que 40 % des personnes retenues dans les centres de rétention administrative étaient d'origine algérienne.

Le système est donc totalement déséquilibré : nos dispositions sont favorables à l'Algérie, laquelle ne respecte pas le droit international, puisque - vous l'avez vu - elle refuse de reprendre ses ressortissants.

Devons-nous accepter cette situation ? Non.

Faut-il négocier ? Pourquoi pas. Mais pas comme les bourgeois de Calais qui, la mine basse, remettent les clefs de la ville. Nous avons besoin d'armes juridiques pour négocier. Nous préconisons donc de ne pas écarter la possibilité de mettre fin aux accords migratoires favorables à l'Algérie, tant que ce pays n'aura pas un comportement normal vis-à-vis de la France.

Mettre fin à ces accords reviendrait à rétablir des relations équilibrées entre deux nations souveraines, qui ne se doivent plus grand-chose. La France reprendra ainsi fermement la main sur sa politique migratoire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Olivier Bitz applaudit également.)

M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe.  - Je remercie le Sénat d'avoir organisé ce débat. Nous partageons votre objectif, madame Jourda : maîtriser nos frontières et faire partir ceux qui n'ont pas vocation à y rester légalement. C'est l'objectif du ministre des affaires étrangères et du ministre de l'intérieur, Bruno Retailleau, et c'est aussi le mien, puisque ces questions se posent aussi à l'échelle de l'Union européenne.

Les relations entre nos deux pays sont le fruit de notre histoire commune. Elles sont régies par un certain nombre de textes, dont l'accord de 1968, déjà révisé à trois reprises, et qui doit, comme l'a demandé le Président de la République, faire l'objet d'une renégociation. En 2022, nous avions trouvé un point d'accord avec le gouvernement algérien à cet égard.

Sachez que les pseudo-influenceurs qui tiennent des discours de haine à l'égard de la République - et que le ministre de l'intérieur a, à juste titre, souhaité expulser - sont régis par un protocole qui date de 1994, et que l'Algérie ne respecte pas. Cela doit aussi faire l'objet d'un rapport de force.

Mme Corinne Narassiguin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Ian Brossat applaudit également.) « Une volonté nouvelle de réconciliation des peuples français et algérien » : c'est par ces mots qu'Emmanuel Macron a demandé à Benjamin Stora de rédiger un rapport sur les questions mémorielles liées à la colonisation et à la guerre d'Algérie. Nous en sommes loin.

Nous nous retrouvons encore une fois pour débattre de l'immigration, obsession de certains de nos collègues. (L'oratrice se tourne vers la droite de l'hémicycle.) Monsieur le ministre, je me réjouis de vous voir, plutôt que le ministre de l'intérieur, qui tourne en boucle sur ce sujet, qui n'est pourtant pas de sa compétence... (Murmures désapprobateurs sur les travées du groupe Les Républicains)

En raison des liens historiques, culturels et politiques qui lient nos deux pays, l'accord de 1968 déroge au droit commun ; mais il s'en est rapproché à la faveur de la signature d'avenants - dont deux sous des gouvernements de gauche.

Cela étant dit, l'attitude de l'Algérie n'est pas acceptable : elle n'a pas à refouler ses ressortissants présents illégalement sur notre territoire. Les déclarations du régime à l'encontre de Boualem Sansal sont également scandaleuses : il doit être libéré.

La France doit être ferme avec l'Algérie lorsqu'elle ne respecte pas nos accords. Le Président de la République et le ministre de l'Europe et des affaires étrangères doivent engager un dialogue exigeant.

Mais la population algérienne n'a pas à payer l'attitude de son gouvernement. Nous sommes donc fermement opposés à une dénonciation unilatérale de l'accord de 1968. Telle est aussi la position du Président de la République, qui a contredit son Premier ministre et son ministre de l'intérieur : cette cacophonie au sommet de l'État est insupportable et affaiblit la voix de la France.

Les tensions avec l'Algérie, qui s'accumulent depuis deux décennies, vont bien au-delà de la question migratoire. La reconnaissance soudaine de la marocanité du Sahara occidental, sans geste en direction d'Alger, a été une erreur grave ; la visite, la semaine passée, du président Larcher au Sahara occidental n'était sans doute pas la plus opportune. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains ; marques de soutien à l'oratrice sur les travées du GEST)

M. Christian Cambon.  - Comment pouvez-vous dire ça ?

Mme Corinne Narassiguin.  - Et le Gouvernement souffle sur ces braises. L'accord de 1968 ne traite pas d'immigration illégale ni de lutte contre le terrorisme. En menaçant de résilier l'accord de 1968, vous utilisez la rente mémorielle de notre douloureuse histoire commune à des fins de politique intérieure. (Mme Valérie Boyer proteste.)

Alors qu'il faudrait reprendre le dialogue, vous proposez de rompre un accord qui nous lie à l'Algérie. Le caractère dérogatoire de cet accord reste justifié par la profondeur de nos liens humains et historiques et par l'imbrication de nos liens économiques, sécuritaires et politiques. Cet accord est indissociable de l'histoire singulière et complexe de nos deux pays, marquée par cent trente-deux ans de colonisation, dont huit ans de guerre d'indépendance.

Oui, l'accord doit évoluer, par la voie diplomatique. Le Président de la République l'a rappelé hier, et c'est heureux. Une dénonciation unilatérale désarmerait la France, puisqu'elle signifierait la fin de la délivrance des laissez-passer consulaires -  3 000 en 2024.

Une dénonciation de l'accord serait aussi contraire au droit international : quel serait le régime juridique applicable aux mobilités régulières entre les deux pays ?

Pour votre groupe et pour son ancien président -  ministre de l'intérieur et candidat au sein des élections internes à son parti  - , la relation franco-algérienne se limite à un problème migratoire ; vous ne mesurez pas l'impact économique désastreux pour la France qu'aurait la suspension de cet accord. (Protestations à droite ; répliques à gauche)

Vous partez du terrible préjugé, au relent colonial, que l'Algérie et les Algériens ne seraient rien sans la France. Or en cas de rupture, la France a beaucoup à perdre. L'Algérie est un partenaire économique crucial - plus de 11 milliards d'euros d'échanges en 2023. Au reste, que direz-vous aux 450 entreprises françaises présentes en Algérie, aux 6 000 entreprises qui exportent vers l'Algérie, aux médecins algériens qui tiennent à bout de bras notre système hospitalier et à nos agriculteurs, dont les exportations de blé vers l'Algérie ont déjà chuté ? Et notre coopération avec l'Algérie permet de lutter contre le terrorisme au Sahel.

Vous courrez après l'extrême droite, mais vous nous emmenez dans le mur. Vous prétendez protéger la France par des coups de force ; en réalité, vous nous affaiblissez.

Selon Yazid Sabeg et Jean-Pierre Mignard, des milliers de familles, des millions de personnes - quelque 4 millions de binationaux - vivent dans un enchevêtrement d'appartenances, de souvenirs, de cultures. Ils sont la marque indélébile d'un destin partagé. Cette jeunesse, issue de l'immigration algérienne, ancrée dans la République, désireuse de concilier son appartenance à la nation française sans renier son algérianité, est le socle de notre avenir commun.

Mais c'est une réalité française que vous ne voulez pas voir. Mais dénoncer l'accord de 1968 ne la fera pas disparaître, bien au contraire.

Reprenons le dialogue avec l'Algérie et réactivons le groupe technique bilatéral de suivi de l'accord de 1968 afin de construire un nouveau cadre de relations diplomatiques apaisées, qui reconnaisse la complexité de notre histoire commune, pour mieux la dépasser. C'est notre intérêt économique et sécuritaire ; c'est le sens de notre histoire ; c'est réconcilier la France avec elle-même. (Applaudissements à gauche)

M. Benjamin Haddad, ministre délégué.  - Oui, nous souhaitons renégocier l'accord de 1968, déjà trois fois remanié, pour procéder à des alignements sur le droit commun, attirer des talents et être exigeants en matière d'intégration républicaine.

La France s'est beaucoup investie en faveur de la reconnaissance de la mémoire, dans un dialogue sincère et honnête, à la suite des travaux de l'historien Benjamin Stora. Mais le rapport à la France fait l'objet d'une rente mémorielle et politique en Algérie.

Je vous remercie d'avoir rendu hommage à Boualem Sansal, notre compatriote emprisonné sans fondement, héraut de la liberté d'expression et de l'universalisme. Son état de santé nous préoccupe. La diplomatie française se mobilise pour sa libération.

Il ne faut pas opposer nos relations avec le Maroc et avec l'Algérie. La France a une relation stratégique profonde avec le Maroc. Le Sahara occidental relève de la souveraineté marocaine, comme d'autres pays l'ont également reconnu. (M. Mickaël Vallet s'exclame.)

Mme Corinne Narassiguin.  - La voie diplomatique est la seule viable. Benjamin Stora l'a dit : la rente mémorielle est utilisée des deux côtés de la Méditerranée. Nous avons besoin de relations apaisées avec tous les pays du Maghreb, mais notre histoire est plus complexe avec l'Algérie. Ne laissez pas le ministre de l'intérieur faire de la relation franco-algérienne la victime de ses obsessions migratoires. (M. Thomas Dossus approuve ; vives protestations à droite.) La France doit parler d'une seule voix pour dire non à cette politique de la terre brûlée ! (Applaudissements à gauche)

Mme Vanina Paoli-Gagin .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) En 1830, la France se lance dans la conquête de la régence d'Alger, territoire de l'Empire ottoman. Les cent trente-deux années pendant lesquelles l'Algérie a été territoire français et la guerre qui a mis fin à cette situation constituent l'histoire douloureuse que nos deux pays ont en partage.

Six ans après la fin de la guerre, des accords ont été conclus visant à faciliter l'immigration des Algériens en France. II est souvent dit que la France cherchait à satisfaire ses besoins en main-d'oeuvre, et c'est juste. Mais si elle a offert des facilités aux Algériens, elle n'a forcé personne. Que de nombreux Algériens aient choisi d'en bénéficier montre que ces clauses ne leur étaient pas défavorables.

De fait, ces dispositions dérogatoires octroient aux Algériens des avantages appréciables. En 2023, la France comptait sur son sol 2,5 millions d'étrangers, dont près de 900 000 Algériens. Nombre de nos concitoyens ont la double nationalité.

Les relations entre nos deux peuples sont fortes et doivent être préservées. Hélas, le gouvernement algérien continue de ressasser le passé colonial. Il a même réintroduit dans l'hymne national algérien un couplet demandant à la France de rendre des comptes.

Les comptes, la France les a rendus depuis longtemps, et l'Algérie est un pays indépendant depuis près de soixante-trois ans. C'est le gouvernement algérien qui est responsable devant son peuple. La colonisation a eu son lot de conséquences néfastes, mais ne peut pas tout expliquer.

Le Vietnam aussi a été colonisé par la France, puis a obtenu son indépendance de haute lutte. Malgré l'énorme rente gazière de l'Algérie, la croissance de ce pays est très inférieure à celle du Vietnam. La rente mémorielle n'est pas un facteur de développement économique. Tant que le gouvernement algérien instrumentalisera le passé pour cacher ses propres lacunes, nos relations s'en trouveront dégradées.

La dégradation fâcheuse des relations franco-algériennes a été aggravée par plusieurs événements récents, à commencer par la reconnaissance française de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Pays souverain, la France est libre de ses positions diplomatiques. Puis, en novembre dernier, Alger a arrêté un écrivain franco-algérien de 75 ans, malade : accusé d'avoir porté atteinte à l'unité nationale algérienne, Boualem Sansal est en réalité puni pour avoir tenu des propos qui déplaisent au gouvernement. Enfin, le gouvernement algérien a décidé illégalement de refuser le retour de certains de ses ressortissants expulsés par la France, parmi lesquels des influenceurs douteux et l'auteur de l'attentat terroriste de Mulhouse.

Dans ces conditions, la France doit s'interroger sur le devenir des accords qui la lient à l'Algérie en matière d'immigration. Il y a deux ans déjà, Édouard Philippe insistait sur la nécessité de ce réexamen ; il a été rejoint par de nombreux responsables politiques.

L'une des premières conditions de l'application du droit international est la réciprocité. Les refus du gouvernement algérien d'accueillir sur son sol ses ressortissants ne peuvent perdurer. Déjà révisés plusieurs fois, ces traités peuvent très bien être renégociés de nouveau. Nous considérons qu'ils doivent l'être et souhaitons qu'un accord soit trouvé. Mais la France ne doit pas s'interdire de les dénoncer si aucune solution satisfaisante n'est trouvée. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains ; MM. Olivier Bitz et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent également.)

M. Benjamin Haddad, ministre délégué.  - Nous recherchons en effet une solution bénéfique pour nos deux peuples. Nous ne voulons pas cibler le peuple algérien, mais ceux qui prennent les décisions. L'accord de 2007, révisé en 2013, facilite notre relation diplomatique, mais est très avantageux pour les responsables algériens ; il peut aussi être mis sur la table. Nous avons d'ailleurs déjà durci son application, en visant la nomenklatura. Nous ne sommes pas dépourvus d'outils pour défendre nos intérêts dans la relation avec l'Algérie.

Mme Valérie Boyer .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les conséquences de cet accord sont considérables, et les Français en ignorent le poids budgétaire.

La France abrite une diaspora algérienne de 2,6 millions de personnes au minimum, dont 900 000 immigrés stricto sensu. Cette immigration a explosé : le nombre d'Algériens présents sur le sol français a été multiplié par 33 entre 1946 et 1972.

Or à peine plus de 10 % des Algériens expulsables ont été renvoyés de façon coercitive et 43 % des places en CRA sont occupées par des ressortissants algériens, comme l'a indiqué Muriel Jourda. Je rappelle que l'auteur présumé de la barbarie de Mulhouse, un Algérien en situation irrégulière, a été refusé dix fois par son pays !

La haine de la France est instrumentalisée par le président Tebboune, qui entend chasser notre langue des écoles privées et laisser en France de prétendus influenceurs qui, en réalité, nous menacent : « nous allons tous vous violer », annoncent certains... Sans parler du refrain anti-français réintroduit dans l'hymne algérien.

Mais je veux surtout vous parler d'un homme. Depuis plus de cent jours, notre compatriote et ami Boualem Sansal, pourtant gravement malade, est retenu en otage par un régime qui bafoue la liberté d'expression. Le régime autoritaire qui l'a arrêté brutalement et sans réel motif affiche en outre son antisémitisme en lui demandant de récuser son avocat parce que juif. Et que dire des traitements discriminants infligés aux femmes, aux Berbères, aux Kabyles ? Des campagnes racistes menées par les médias d'État contre les migrants, notamment africains ?

M. François Bonhomme.  - Tout à fait !

Mme Valérie Boyer. - Dans ces conditions, pourquoi le Président de la République a-t-il contredit le Premier ministre et le ministre de l'intérieur, offrant au président Tebboune la possibilité de se jouer de nos divisions ? Pourquoi exprimer une repentance perpétuelle alors que nous ne récoltons que mensonges et humiliations ? Lorsque nous nous engageons dans ce chemin avec l'Algérie, il n'y a ni limite ni fin. Il faut en finir avec les procès en culpabilisation et la rente mémorielle !

Comme le Sénat l'a demandé, sur l'initiative de Bruno Retailleau, dans sa résolution du 26 juin 2023, nous voulons que le Président de la République dénonce cet accord, non pour rompre toute diplomatie, mais pour la reconstruire sur de nouvelles bases, fermes, respectueuses et réciproques.

Nous devons lutter contre ceux qui entretiennent la haine de la France, sans oublier la main qui nourrit cette haine. Comme l'écrit Jean Sévillia, « nous pourrons regarder en face l'histoire de la présence française en Algérie le jour où l'opprobre ne sera plus jeté sur les Européens d'Algérie et les harkis et leurs descendants ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Benjamin Haddad, ministre délégué.  - Nous sommes nombreux à admirer l'oeuvre et le courage de Boualem Sansal dans son combat pour la liberté d'expression et l'universalisme.

S'agissant des laissez-passer consulaires, le taux de délivrance est passé de 6 à 41 %, mais cela reste très insuffisant. Certains ressortissants algériens sont refusés, alors même que les documents nécessaires sont remis aux autorités, en violation de toutes les règles. À l'issue du comité interministériel de contrôle de l'immigration du 26 février dernier, le Premier ministre a décidé qu'une liste d'individus serait soumise à Alger pour expulsion. Faute d'accord des autorités, nous réexaminerons l'ensemble de nos accords migratoires.

Mme Valérie Boyer.  - Quel est le coût de ces accords pour le contribuable ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Bonne question !

Mme Valérie Boyer. - Prestation par prestation, que verse la France aux ressortissants algériens ? Nous avons les plus grandes difficultés à obtenir ces chiffres. La représentation nationale et nos compatriotes ont besoin d'être éclairés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Nicole Duranton .  - La France et l'Algérie : un passé douloureux qui, plus de soixante ans après l'indépendance algérienne, continue de susciter incompréhensions et tensions.

L'accord de 1968, conçu pour faciliter l'installation de travailleurs algériens sur notre territoire, leur confère un régime dérogatoire. Les Algériens bénéficient notamment de facilités d'entrée et de délivrance de titres, dont la durée peut aller jusqu'à dix ans.

En 1968, il s'agissait de répondre à un besoin économique précis et d'amorcer un nouveau départ commun pour nos deux pays. Mais le contexte a évolué, et certains événements ont concouru à une véritable crise diplomatique.

En juillet dernier, l'Algérie s'est offusquée du soutien exprimé par la France au plan d'autonomie marocain au Sahara occidental. En novembre, Boualem Sansal a été arrêté à Alger : qualifié par le président Tebboune d'imposteur envoyé par la France, ce franco-algérien est toujours incarcéré, en dépit de sa santé fragile. L'attitude proprement hostile des autorités algériennes vis-à-vis de la France ne laisse pas d'inquiéter.

Dans ce contexte, il est légitime de se pencher sur les accords de 1968. Les facilités que la France accorde depuis des décennies aux Algériens semblent en décalage avec l'attitude de ce pays, dont la coopération en matière d'immigration irrégulière est très insuffisante. L'assaillant qui a tué une personne et en a blessé d'autres il y a quelques jours à Mulhouse est resté sur le sol français, car l'Algérie a refusé à dix reprises de le reprendre... Ce terroriste radicalisé et plusieurs fois condamné ne serait pas passé à l'acte sur notre sol si l'Algérie avait respecté ses obligations.

En janvier dernier, l'influenceur algérien Doualemn, expulsé légalement par la France, a été renvoyé à Paris le jour même. Les autorités algériennes bafouent ouvertement leurs engagements envers la France.

Nous ne pouvons l'accepter. C'est pourquoi, lors du comité interministériel de contrôle de l'immigration, le 26 février, le Premier ministre a défini une ligne claire : la France ne doit pas continuer à distribuer des visas ni à accorder des facilités d'accès aux ressortissants de pays ne respectant pas leurs obligations.

M. Christian Cambon.  - Il a bien fait !

Mme Nicole Duranton.  - Cette décision témoigne de toute la fermeté dont nous devons faire preuve envers les pays qui refusent de reprendre leurs ressortissants légalement expulsés.

En août 2022, les présidents Macron et Tebboune voulaient ouvrir une nouvelle ère dans les relations franco-algériennes. Nous ne devons pas renoncer à toute relation avec l'Algérie, en maintenant bien entendu une position de fermeté. L'Algérie doit respecter ses obligations envers la France, sans quoi nous serons dans notre droit en prenant les mesures propres à faire respecter notre souveraineté en matière migratoire.

Notre passé commun est complexe, marqué par des blessures encore vives, mais aussi animé par des liens humains et culturels indéniables. Nos deux pays sont unis par des rapports étroits, notamment sur le plan mémoriel, comme l'a montré la commission Stora. Nos liens économiques se sont renforcés depuis le début de la guerre en Ukraine - je pense notamment aux exportations algériennes d'hydrocarbures vers la France.

Par la reprise du dialogue diplomatique, nous devons trouver une nouvelle manière de collaborer avec l'Algérie, dans un cadre équilibré et respectueux de la souveraineté de chacun. (Applaudissements sur les travées du RDPI)

M. Ahmed Laouedj .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Akli Mellouli applaudit également.) Les tensions actuelles avec l'Algérie sont avant tout le fruit de surenchères politiques destinées à capter l'attention. Certains exacerbent les tensions par électoralisme. Nous devons être extrêmement vigilants face à ces dérives.

Le ministre des affaires étrangères a récemment déclaré : « si un pays ne coopère pas avec les autorités françaises, je proposerai que tous les pays européens en même temps puissent restreindre leur délivrance de visas. » Cette déclaration témoigne d'une vision simpliste, qui oublie que les relations internationales se bâtissent sur le respect et la coopération, non sur des menaces.

Loin d'être un privilège, l'accord franco-algérien de 1968 est le fruit d'une histoire partagée, faite de luttes et de réconciliations. Il a permis à des milliers de familles de contribuer à la richesse de notre nation, mais n'est plus aujourd'hui qu'une coquille vide : les procédures de visas et de résidence des ressortissants algériens sont devenues aussi complexes que pour les autres étrangers. Ce débat est donc un faux débat.

L'Algérie est un acteur clé sur le continent africain. Il est dans l'intérêt de nos deux pays de maintenir une coopération pragmatique. Je pense en particulier à la santé : de nombreux médecins algériens contribuent à combler nos déserts médicaux. L'Algérie est un marché clé pour nos exportations et reste un partenaire stratégique, notamment en matière de sécurité et de renseignement.

Derrière cette escalade, il y a des stratégies électorales. À l'approche des échéances de 2027, certains cherchent à se poser en défenseurs de l'identité nationale en jouant avec les peurs. Nous devons arrêter ce jeu dangereux, consistant à instrumentaliser l'immigration pour des raisons électorales.

À cet égard, la position du Président de la République mérite d'être soulignée. (Murmures à droite) Il a clairement sifflé la fin du jeu en rappelant que les relations entre la France et l'Algérie ne devaient pas être instrumentalisées à des fins politiques et que des millions de Français nés de parents algériens vivent en paix avec les valeurs de la République.

Gérard Araud, ancien ambassadeur de France aux États-Unis et ancien représentant permanent français à l'ONU, a lancé cet avertissement clairvoyant : « tôt ou tard, nous conclurons que la politique suivie vis-à-vis de l'Algérie nous mène dans une impasse, et on fera appel aux diplomates pour réparer le gâchis. »

Il est impératif que nous mettions de côté l'électoralisme pour agir dans l'intérêt de notre pays, mais aussi de la coopération internationale. Je vous invite à reconsidérer toute approche punitive et à favoriser une diplomatie pragmatique et constructive. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur de nombreuses travées à gauche)

M. Benjamin Haddad, ministre délégué.  - Le ministre des affaires étrangères a dit que nous devions avoir une politique européenne en matière de visas. C'est à l'échelle européenne que nous serons les plus efficaces pour maîtriser l'immigration et éviter le contournement des règles. La mise en oeuvre du pacte européen sur la migration et l'asile va dans ce sens. Nous devons aussi réviser la directive Retour, pour rendre les expulsions plus efficaces. Tout cela n'est pas incompatible avec le dialogue et la diplomatie. Dans tous les cas, nous devons défendre nos intérêts, en Européens.

M. Olivier Bitz .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le débat public s'est emparé de la relation franco-algérienne dans le contexte dramatique de l'attentat de Mulhouse, qui a illustré l'échec de l'État à exécuter une OQTF en raison du non-respect par l'Algérie du droit international. La détention arbitraire de Boualem Sansal et les affaires récentes concernant des influenceurs algériens sont autant de signes convergents envoyés par le pouvoir algérien.

Le Président de la République a pourtant essayé de renouveler notre relation avec l'Algérie. Mais sa démarche visant à la normaliser sera restée vaine.

Nous savons tous l'importance des liens humains entre nos deux pays : 650 000 Algériens vivent en France et 30 000 Français résident en Algérie. Plus de 3 millions de personnes ont la double nationalité, la très grande majorité en France. Ces liens si spécifiques rendent, à mon sens, un peu illusoire une réponse commune à l'échelle européenne.

Je considère que la renégociation de l'accord de 1968, voire sa dénonciation en cas d'échec des discussions, est nécessaire, indépendamment même de la crise du moment. Quant à l'accord de 2007, sa suspension me semble devoir être directement envisagée, d'autant qu'elle ne concernerait que les cadres du régime.

Rapprocher la situation algérienne du droit commun en matière migratoire et de droit au séjour ne ferait qu'exprimer notre volonté de réduire les flux entrants sur notre sol. Rapprocher la situation algérienne du droit commun en matière d'accès aux droits sociaux, en particulier au RSA, serait une mesure de bon sens alors que nos finances publiques sont dans une situation critique et que nous voulons rendre notre pays moins attractif pour les flux migratoires, dont l'importance ne nous permet plus d'accueillir ceux qui arrivent conformément à notre modèle républicain.

L'accord de 1968 a mis en place un régime dérogatoire au droit commun dans le domaine migratoire. Dans notre rapport sur les accords internationaux en la matière, Muriel Jourda et moi-même montrons qu'il est globalement plus favorable à l'immigration que le droit commun, malgré les trois avenants signés.

L'immigration algérienne se distingue des autres flux par son volume. Loin d'être une coquille vide, comme l'a prétendu le président Tebboune, l'accord de 1968 a entraîné l'année dernière la délivrance de plus de 250 000 visas et 30 000 nouveaux titres de séjour. Les certificats de résidence bénéficiant à des Algériens représentent 15 % du stock de titres valides. Nous ne pouvons réduire les flux si nous ne revenons pas sur un accord dérogatoire de cette importance.

Le Premier ministre a raison : ce qui rend la situation insupportable, c'est que l'Algérie, non seulement ne manifeste pas un surcroît de coopération dans la lutte contre l'immigration illégale, mais ne respecte même pas ses obligations internationales. En 2023, seuls 34,9 % des laissez-passer consulaires demandés par la France à l'Algérie ont été délivrés. En 2024, moins de 10 % des Algériens expulsables ont pu être renvoyés.

Muriel Jourda et moi-même avons recensé 197 instruments internationaux dans le domaine migratoire : un joli fouillis, loin de la politique cohérente dont nous avons besoin. Nous avons aussi identifié une différence d'approche ancienne entre le Quai d'Orsay et la place Beauvau. Nous appelons de nos voeux une meilleure structuration de notre diplomatie migratoire, en particulier un fonctionnement plus régulier du comité interministériel de contrôle de l'immigration, qui ne s'était pas réuni au niveau ministériel depuis 2023.

Si nous ne pouvons réduire une relation bilatérale à la dimension migratoire, elle en est un aspect fondamental en ce qui concerne l'Algérie. La révision en profondeur de notre approche est indispensable.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué.  - L'accord de 1968 ne régit pas les visas de court séjour, qui relèvent de Schengen. Cela illustre la nécessité de répondre à cette question à l'échelle européenne.

M. Ian Brossat .  - (Applaudissements à gauche) Je le dis d'emblée : la nécessité de libérer Boualem Sansal ne fait l'objet d'aucun débat entre nous. Aucun écrivain, artiste ou intellectuel ne doit être derrière les barreaux pour les opinions qu'il défend.

S'il s'agit d'affirmer qu'il n'est pas acceptable qu'un pays refuse de reprendre ses ressortissants visés par une OQTF, cela nous rassemble aussi.

Mais tout le monde voit bien que ce débat est d'une tout autre nature. J'en veux pour preuve le contexte dans lequel il s'inscrit, de monopolisation du débat public par les questions migratoires. Il suffit de regarder notre ordre du jour récent : interdiction du mariage pour les personnes sans papier, allongement de la durée de rétention en CRA, remise en cause du droit du sol à Mayotte, réduction des prestations sociales pour les étrangers en situation régulière. Le tout à peine plus d'un an après le vote d'une loi Immigration qui s'est soldée par un lamentable fiasco.

Il s'agit d'une stratégie délibérée : saturer l'espace médiatique afin de faire oublier les enjeux liés aux salaires et au pouvoir d'achat, pourtant premiers sujets de préoccupation des Français. Notre récente niche parlementaire a permis que le mot « salaire » soit enfin prononcé dans notre assemblée. Pour certains, l'immigration est une sorte d'ardoise magique, qui permet d'effacer tous les autres sujets.

La montée des tensions avec l'Algérie s'inscrit dans ce contexte. Il y a quelques jours, Éric Zemmour a affirmé que la colonisation de l'Algérie avait été une bénédiction. Quant au fils d'un ancien Président de la République, il a appelé à brûler l'ambassade d'Algérie en France. Sans oublier les propos d'une ancienne tête de liste aux élections européennes, selon lesquels « l'Algérie a du sang sur les mains ».

Fondée sur une avalanche de contre-vérités, cette escalade est dangereuse pour notre cohésion nationale, alors que 12 % des Français ont des liens avec l'Algérie. Les accords de 1968 n'ont pas ouvert les vannes de l'immigration : ils visaient au contraire à la contrôler.

Quand on est ministre, on est jugé sur ses résultats : qu'avons-nous obtenu du Gouvernement algérien dans la période récente ? Rien.

On prétend que l'Algérie surfe sur une forme de rente mémorielle - une expression qui n'est pas très belle. Je pense surtout que la haine de l'Algérie et des Algériens sert de rente électorale à des responsables politiques français en mal d'imagination. Puisse ce débat retrouver de la raison et être animé par l'intérêt général. (Applaudissements à gauche ; M. Ahmed Laouedj applaudit également.)

M. Akli Mellouli .  - Inscrire ce débat dans un contexte de manoeuvres politiciennes n'est ni sage ni responsable. De nombreuses femmes et de nombreux hommes, ponts entre nos deux pays, se sont sentis heurtés et blessés. Notre indignation est légitime, alors que de nombreux médecins algériens font fonctionner notre système de santé à bout de souffle.

Obsession de l'extrême droite et désormais du Gouvernement, l'accord de 1968 a déjà été révisé à trois reprises, Alger ayant toujours répondu favorablement. Aujourd'hui vidé de sa substance, il est plutôt un frein pour les Algériens, qui, par exemple, ne peuvent prétendre aux cartes compétences et talents instaurées en 2006. De même, les étudiants algériens sont soumis à une autorisation de travail, ce qui complique leur insertion professionnelle.

Ces débats relèvent donc plus du fantasme que de la réalité. Il y a d'un côté la propagande politique et de l'autre le droit, comme l'a rappelé une récente décision du tribunal administratif de Melun.

Au lieu de la retenue et du respect mutuel qui devraient s'imposer, le Gouvernement a opté pour l'outrance et le tapage. Cette surenchère a libéré une parole algérophobe, et nous assistons à d'inquiétantes dérives, comme si les polémiques faisaient une politique : ici, un membre du Gouvernement affirme que la colonisation a eu des effets positifs ; là, le fils d'un ancien Président de la République appelle à brûler l'ambassade d'Algérie. Pendant ce temps, le Premier ministre multiplie sommations et ultimatums.

S'agit-il d'une trumpisation de notre vie politique ? De la libération d'une algérophobie latente ? S'agit-il de donner des gages au RN, dont dépend la survie du Gouvernement ? Je crains que les trois explications ne se conjuguent.

J'ai toujours été engagé pour un rapprochement entre les deux rives de la Méditerranée et je suis convaincu que l'axe Paris-Alger peut se construire à l'exemple de l'axe Paris-Berlin. Mais cette relation doit être refondée sur la vérité, la justice et le respect mutuel.

Pour cela, il faut arrêter la reconnaissance mémorielle au compte-gouttes. L'histoire doit être assumée dans sa globalité, avec lucidité. Elle ne s'efface pas, ni ne se maquille pas au gré des opportunités électorales. Clemenceau, pourtant homme de son temps, disait déjà : « nous avons rempli l'Algérie de ruines et de cendres, nous avons à répondre de milliers d'hommes massacrés ». Le seul bienfait de la colonisation fut la décolonisation, ne vous en déplaise !

Nous approchons dangereusement du point de non-retour. Nous nous sommes brouillés avec le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Sénégal et le Tchad. Aujourd'hui, avec l'Algérie. Soit nous sommes des génies incompris, soit nous avons un sérieux problème dans notre manière d'aborder notre relation avec les nations africaines souveraines. Or pendant que nous accumulons brouilles et malentendus, d'autres avancent, travaillant à bâtir des relations fondées sur le respect mutuel et un partenariat gagnant-gagnant.

L'Algérie accueille près de 450 entreprises françaises, tandis que plus de 6 000 autres exportent vers ce marché. Avons-nous mesuré les conséquences de la crise actuelle sur ces entreprises et les milliers d'emplois qu'elles représentent ?

Dans le nouvel ordre international qui se dessine, il ne suffit plus d'imposer et de mépriser ; il faut écouter et construire des alliances solides. Si nous persistons à voir l'Afrique comme un théâtre où nous seuls dictons les règles du jeu, nous précipiterons notre déclassement.

M. le président.  - Il faut conclure.

M. Akli Mellouli.  - Adaptons notre logiciel diplomatique avant qu'il ne soit trop tard ! (Applaudissements à gauche)

M. Benjamin Haddad, ministre délégué.  - Ces sujets méritent de la sérénité.

Je rappelle que le Président de la République a fait beaucoup pour la reconnaissance de l'histoire et des mémoires. Avec la commission Stora, il a voulu engager un dialogue sincère et respectueux. Il vient de rappeler la nécessité de respecter nos compatriotes d'origine algérienne et les binationaux, qui ne doivent pas être pris en otage.

Mais le Gouvernement a raison de vouloir défendre nos intérêts et se donner les moyens d'expulser ceux qui n'ont pas vocation à rester sur notre territoire. Il est normal que nous envisagions une renégociation de l'accord de 1968, qui a déjà été révisé à trois reprises.

La diplomatie, ce sont aussi des rapports de force, des jeux d'intérêt, parfois des ingérences. Dans certains pays africains que vous avez cités, nous avons désormais des juntes militaires soutenues par la Russie de Poutine, qui se livrent parfois à une désinformation massive contre notre pays, alors que nos troupes méritent soutien et respect. Sachons reconnaître nos torts, mais aussi nommer nos adversaires géopolitiques, à commencer par la Russie qui s'en prend directement à nos intérêts.

M. Akli Mellouli.  - Le problème n'est pas que nous revendiquions la défense de nos intérêts. C'est que nous les défendions par l'invective et le mépris, au lieu du dialogue. Ces débats de caniveau n'honorent personne. Retrouvons la raison et renouons des échanges diplomatiques dans le respect mutuel. (On s'impatiente à droite.) Regardons la réalité en face : nous devons changer nos paradigmes !

M. Stéphane Le Rudulier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je m'exprime à cette tribune avec un sentiment d'urgence républicaine.

Les événements entre la France et l'Algérie dépassent de simples tensions diplomatiques. Nous sommes quasiment à un point de rupture. Le suspect de l'attentat de Mulhouse a été refusé quatorze fois par l'Algérie, et Boualem Sansal se meurt dans les geôles du régime algérien parce qu'il est trop libre et aime trop la France.

Plus de 2,5 millions de personnes d'origine algérienne vivent en France. En 2024, près de 250 000 visas ont été accordés aux Algériens, et 30 000 nouveaux titres de séjour. Dans le même temps, 33 000 Algériens ont été contrôlés en situation irrégulière en France et seules 3 000 personnes ont fait l'objet d'une procédure d'éloignement. Voilà qui illustre l'inefficacité de notre politique.

Mon propos n'est pas de stigmatiser le peuple algérien, qui aspire, comme nous, à la paix et à la prospérité. La source du problème est le régime algérien, un régime autoritaire qui a laissé prospérer une immigration irrégulière. Il faut répondre par des mesures graduées, comme le préconise le ministre de l'intérieur. Nous devons identifier les ressortissants algériens les plus dangereux pour les renvoyer dans leurs pays. Nous devons aussi nous interroger sur les accords de 1968 et de 2007. Il faut réfléchir à l'automaticité des visas et envisager la suspension des flux financiers vers l'Algérie.

Nous devons démontrer à l'Algérie que la France n'est plus une porte ouverte à ceux qui veulent abuser de notre générosité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Olivia Richard .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Ce sujet est sensible pour la sénatrice des Français de l'étranger que je suis. Je remercie Olivier Bitz d'avoir accepté de partager avec moi le temps de parole de notre groupe.

La diplomatie est la négociation de la paix par le dialogue - le contre-exemple américain nous le rappelle. L'actualité a montré le peu de cas que le régime algérien fait de l'accord de 1968. À l'évidence, il faut négocier un quatrième avenant, alors que seules 10 % des premières demandes de titres de séjour sont motivées par des raisons économiques. Du reste, la renégociation des accords a été actée en 2022.

Jean-Noël Barrot a rappelé que nous devions avoir des objectifs clairs. Cet espace de dialogue est indispensable pour nous : nous devons préserver les collaborations en matière de lutte contre le terrorisme et les trafics de drogue, notamment. Je rappelle que, l'année dernière, les éloignements vers l'Algérie ont été deux fois plus nombreux que vers le Maroc.

L'Algérie doit rester un partenaire ouvert aux exportations françaises, qui représentent 4,5 milliards d'euros par an. L'Algérie est notre deuxième fournisseur de gaz naturel et notre quatrième fournisseur de pétrole. Ce que nous perdons, c'est la Chine qui le gagne.

Radya Rahal envoie chaque jour à Olivier Cadic et moi-même les gros titres des médias algériens : ils soulignent la cacophonie des gouvernants français. Mme Rahal me fait régulièrement part des inquiétudes de la communauté française à Alger. Un dialogue exigeant, oui ; mais vers un nécessaire apaisement. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur de nombreuses travées à gauche)

M. François Bonhomme .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je ne rappellerai pas les multiples tentatives de révision de cet accord non suivies d'effets. Or les autorités algériennes le considèrent comme un droit acquis de l'histoire : ce n'est plus acceptable.

Nos compatriotes réclament en effet une politique migratoire plus restrictive, alors que la France a délivré 336 000 titres de séjour et accordé 160 000 demandes d'asile en 2024, soit près de 500 000 entrées sur notre territoire. Face aux tensions migratoires, l'accord signé il y a plus de cinquante ans semble désormais anachronique.

Nous devons aussi harmoniser le droit français avec le droit européen, pour plus de cohérence. Or le régime actuel fait obstacle à plus de régulation et de fermeté : ainsi de l'accès à un certificat de résidence de dix ans après seulement trois ans de séjour, contre cinq ans pour les ressortissants d'autres nationalités.

Le manque de coopération de l'Algérie -  une litote  - dans la délivrance des laissez-passer consulaires est la question la plus conflictuelle.

Ce point fait l'objet de tensions chroniques entre Paris et Alger ; ce fut encore le cas récemment lors du raccompagnement avorté de l'influenceur Doualemn. Plus grave encore : c'est un ressortissant algérien -  en situation irrégulière depuis 2014  - qui a tué une personne et blessé cinq autres à Mulhouse, alors qu'il sortait de prison après sa condamnation pour apologie du terrorisme. Or ce meurtrier avait été présenté dix fois sans succès aux autorités algériennes !

Face à cette intransigeance, la France doit instaurer un rapport de force. Plusieurs solutions sont possibles : la remise en cause de l'accord de juillet 2007 ; la restriction -  voire le blocage  - du nombre de visas délivrés, comme François-Noël Buffet l'a préconisé ; enfin, la dénonciation ou la renégociation de l'accord de 1968 : il est juridiquement possible de le modifier unilatéralement, car celui-ci est exorbitant et obsolète, selon Bruno Retailleau.

Il s'agit ainsi de revenir au droit commun, de limiter l'immigration et d'obliger Alger à enfin reprendre ses ressortissants faisant l'objet d'une OQTF.

Le Premier ministre a donné quatre à six semaines à l'Algérie pour réexaminer l'accord, sous peine de le dénoncer. Le Président de la République a été moins clair : il a affirmé qu'il ne dénoncerait pas l'accord de 1968 pour ne pas envenimer les relations entre les deux pays et s'est concentré sur la modification de l'avenant de 1994.

Pour reconstruire nos relations avec l'Algérie, il faut renégocier l'accord sur la base d'une réelle réciprocité. Il est temps de sortir de cinquante ans de rente mémorielle, des atermoiements et des propos déplorant la dégradation de nos relations avec l'Algérie -  et d'ailleurs surtout avec le gouvernement algérien, qui a pris son peuple en otage. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains)

M. Benjamin Haddad, ministre délégué chargé de l'Europe .  - Du fait d'une histoire partagée, l'Algérie est le premier pays d'immigration en France ; après la Chine et le Maroc, c'est le troisième pays auquel nous accordons le plus de visas. À l'heure où nos concitoyens nous demandent de mieux contrôler les flux migratoires, il est naturel de débattre sans tabous de l'accord de 1968.

Il faut distinguer plusieurs sujets. Concernant les OQTF, l'Algérie relève non d'un accord dérogatoire, mais du droit commun -  le protocole du 28 septembre 1994 relatif à la délivrance des laissez-passer consulaires. Nous rencontrons des difficultés significatives pour rendre effectifs les éloignements ; celles-ci ne sont pas propres à l'Algérie, malheureusement. En 2024, seuls 41 % des laissez-passer consulaires demandés à Alger ont été délivrés dans les délais. Cela a des conséquences dramatiques, comme l'attentat de Mulhouse l'a malheureusement illustré.

Nous sommes également confrontés à des difficultés spécifiques concernant les ressortissants algériens disposant de documents d'identité en règle, mais dont l'Algérie a refusé le retour, en violation, une fois de plus, du protocole. C'est pourquoi le Premier ministre a décidé de soumettre aux autorités algériennes une liste d'individus devant être renvoyés d'urgence en Algérie ; à défaut de réponse favorable, nous réexaminerions l'ensemble de nos accords. Je le répète : pas de naïveté, mais de la clarté, afin d'appliquer notre politique migratoire.

J'en viens aux accords bilatéraux, le plus important étant celui signé en 1968. Proportionnellement à sa population, l'Algérie n'a pas plus de ressortissants disposant d'un titre de séjour que ses voisins. Cependant, il est vrai que cet accord facilite l'immigration familiale au détriment de l'accueil de talents ou de professionnels ; il est moins exigeant en matière de contrôle ; il ne correspond pas aux besoins du temps présent.

Le régime de faveur est d'autant moins justifié qu'il ne s'accompagne pas d'une coopération satisfaisante en matière de lutte contre l'immigration irrégulière. D'où notre position en faveur de la renégociation de l'accord, avec un triple objectif : rapprocher du droit commun le régime s'appliquant aux Algériens, instaurer des dispositifs attractifs pour les talents et renforcer les exigences républicaines d'intégration.

L'accord a déjà été modifié à trois reprises - rien de nouveau, donc. Le Comité intergouvernemental de haut niveau franco-algérien d'octobre 2022 avait ouvert la voie à une quatrième modification.

Nous avons durci l'application de l'accord du 10 juillet 2007, avons pris des mesures restrictives, en contraignant la délivrance de visas diplomatiques pour les représentants de la nomenklatura algérienne, notamment. Notre objectif est non pas de faire peser ce différend sur la population algérienne ou franco-algérienne, mais de faire respecter nos intérêts et de faire entendre nos exigences.

Comme l'a rappelé le Président de la République il y a quelques jours, un travail de fond exigeant doit être mené, avec comme seule boussole l'intérêt de la France et des Français. Nous n'avons pas de difficultés à assumer les rapports de force et à utiliser les instruments à notre disposition, loin des polémiques ou de la rente mémorielle dont notre pays a fait l'objet.

M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La relation entre un ancien pays colonisateur et l'ancien pays colonisé n'est jamais facile. Il y a des aspects très négatifs dans la colonisation - mais pas seulement : pour l'Algérie, nous sommes loin de pouvoir parler de centaines d'Oradour-sur-Glane.

Alors installé à Damas, l'émir Abdelkader, dont la smala avait été prise en 1843, avait lui-même rédigé une lettre, après la mort du maréchal Bugeaud, dénonçant les excès et les exactions, mais reconnaissant en ce dernier un grand militaire. (M. Jean-Baptiste Lemoyne renchérit.) La question n'est pas de savoir qui peut faire le bilan de la colonisation ; nous n'avons pas forcément les mêmes analyses sur les deux rives de la Méditerranée. Je note que le débat n'a pas été plus modéré en Algérie qu'en France.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - C'est le moins que l'on puisse dire.

M. Roger Karoutchi.  - Chaque État est libre -  heureusement !  - de gérer ses affaires et sa politique migratoire : la France n'a pas à commenter la politique migratoire que l'Algérie, le Maroc ou la Tunisie appliquent aux populations subsahariennes -  même si on ne peut pas dire que celle-ci soit toujours respectueuse des droits de l'homme.

La France a la maîtrise de sa politique migratoire : c'est normal. Il existe des accords avec l'Algérie. Si cette dernière ne les respecte pas, il n'y a pas beaucoup de possibilités. Une remarque, au passage : puissent le Président de la République, le Premier ministre et le ministre de l'intérieur tenir le même discours, les téléphones existent... Face au gouvernement algérien, rien n'est pire que de laisser supposer que les dissensions internes à notre gouvernement empêchent de mener une politique d'équilibre entre nos deux pays.

Les choses sont donc simples. Soit les accords sont respectés : l'Algérie reprend les personnes frappées d'une OQTF, la France définit ses règles, et on continue ainsi. Soit ils ne le sont pas : dès lors, la France renégocie les accords, c'est aussi simple que cela.

Je connais beaucoup de responsables algériens en France, qui sont les premiers à dire que le gouvernement algérien a une tendance naturelle à penser que faire de l'anti-France est une manière de refaire l'unité autour de lui, alors que celui-ci est contesté par le Hirak, les intellectuels, les Kabyles...

Je n'appelle ni à la fermeté ni à la facilité. Faites respecter la France, les accords internationaux, et tout ira bien. Si l'Algérie les respecte, très bien. Si elle ne le fait pas, la France se fera respecter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)