Renforcer le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à lutter contre la vie chère en renforçant le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer, présentée par M. Victorin Lurel et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe SER.
Conformément à l'article 74 de la Constitution ainsi qu'aux articles L.O. 6213-3, L.O. 6313-3 et L.O. 6413-3 du code général des collectivités territoriales, le Sénat a consulté les conseils territoriaux de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon et l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna sur cette proposition de loi.
Dans sa délibération du 24 février 2025, le conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon a émis un avis favorable sur ce texte.
Discussion générale
M. Victorin Lurel, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; M. Marc Laménie applaudit également.) Je remercie le président Kanner qui a accepté de consacrer notre espace réservé entièrement à l'outre-mer ; c'est un beau symbole.
Ces deux textes posent la même question : quels outils nouveaux pour lutter contre la vie chère ? Le combat pour le pouvoir d'achat est au fondement de mon action politique. En 2012, j'ai tenu à ce que le premier texte présenté par la gauche revenue au pouvoir concerne la régulation économique outre-mer. Injonctions structurelles, réglementation des marchés de gros, interdiction des accords d'exclusivité d'importation et de distribution, renforcement des pouvoirs de l'Autorité de la concurrence (ADLC), décret carburant, création des boucliers qualité prix : nous avons agi vite et puissamment. Redevenu député, sur demande de Manuel Valls, alors Premier ministre, j'ai été rapporteur d'une loi Égalité réelle complétant la loi de 2012, en synergie avec mon homologue, Mathieu Darnaud.
En 2025, les structures de marché n'ont que trop peu évolué : l'opacité perdure, les rentes persistent, les concentrations demeurent. Loin de verser dans l'accusatoire ou le déclaratoire, je souhaite répondre à une urgence, celle de la salubrité économique, en intensifiant la pression concurrentielle, seule solution pour que les prix baissent réellement.
Sans dogmatisme, je crois pouvoir dire que nous avons bien travaillé avec Mme le rapporteur : notre dialogue compétitif, si j'ose dire (sourires), nous a ouvert la voie d'un compromis autour d'un texte équilibré, pouvant recueillir l'agrément de notre assemblée.
Mais je suis convaincu que nous devons aller plus loin. Je présenterai cinq amendements pour cranter de nouvelles avancées, dont trois mesures fortes en particulier : plafonner les marges arrière, sécuriser les commerçants locaux face aux oligopoles qui contournent la loi de 2012 et intégrer les outre-mer dans les conditions générales de vente (CGV).
Monsieur le ministre d'État, vous avez érigé la lutte contre la vie chère en priorité. Hier était mise en oeuvre la TVA à 0 % pour les 69 familles de produits de grande consommation en Martinique, à la suite du protocole signé avec l'État. Merci de veiller au déploiement de toutes les mesures du protocole et surtout d'encourager une symétrie territoriale pour préserver le marché unique antillais, en demandant au président du conseil régional de Guadeloupe d'agir en faveur du pouvoir d'achat.
Vos mots sont forts, vos engagements fermes, une nouvelle volonté s'affirme. Qu'elle se traduise en actes ! Vous voulez, vous pouvez, vous devez donc agir. Obtenez un renforcement des moyens de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), approfondissez les outils de contrôle de l'ADLC, réformez les décrets carburant. Nous devons tous nous saisir des outils à notre disposition : État, collectivités, citoyens, consommateurs et Parlement.
Je regrette que le travail que j'ai effectué depuis 2017 ait été remisé dans les tiroirs, et soumis à la critique rongeuse des souris... (Sourires)
Nos peuples sont en attente de mesures fortes. Cette discussion peut utilement alimenter une nouvelle grande loi contre la vie chère soutenue par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur de la commission des affaires économiques . - (Mme Dominique Estrosi Sassone applaudit.) Je suis fière d'avoir été désignée rapporteur sur ce texte, qui m'a fait découvrir le fléau de la vie chère de nos compatriotes d'outre-mer. Je comprends désormais leurs mobilisations récurrentes. Je remercie Victorin Lurel d'avoir partagé ses connaissances ; de notre travail conjoint - de nos disputes conjointes (sourires) - est sorti un texte consensuel, largement adopté par la commission.
Nos 2,8 millions de compatriotes ultramarins subissent des prix plus élevés de 9 % à 21 % ; pour les produits alimentaires, c'est 30 % à 70 % de plus qu'en métropole. Les causes sont identifiées : la production locale étant faible, on recoure massivement aux importations depuis l'Hexagone ou l'étranger - mais en l'absence d'accords de libre-échange, les produits étrangers doivent préalablement passer par le territoire métropolitain. Les importations depuis l'Hexagone impliquent des coûts de transport élevés, auxquels s'ajoute une taxe spécifique - l'octroi de mer - l'étroitesse des marchés qui empêche les économies d'échelle, la rigidité des coûts du travail. Peu d'entreprises peuvent s'y maintenir, si bien que des oligopoles ou des monopoles se forment, ouvrant la voie à un gonflement des marges, la clientèle étant captive.
À l'article 1er, nous avons trouvé un compromis avec l'auteur du texte : le préfet pourra demander au président du tribunal de commerce d'enjoindre aux dirigeants défaillants de publier leurs comptes au tribunal de commerce sous astreinte - je vous proposerai de la préciser.
À l'article 2, nous autorisons les observatoires des marges, des prix et des revenus (OPMR) à saisir les agents de la DGCCRF et les départements d'outre-mer à saisir l'ADLC.
Le réel problème réside moins dans la transmission de documents par des entreprises que dans la communication par les services de l'État des informations déjà obtenues. Cela nuit à la transparence et à la compréhension de la structure des marges.
Les groupes mutualisent leurs coûts d'approche, maîtrisent le coût financier et foncier. Cela empêche l'émergence d'opérateurs alternatifs. Ces grands groupes sont donc des passages obligés. Réfléchissons ensemble à des solutions acceptables pour toutes les parties. Certains amendements proposent des avancées significatives, telles que l'uniformisation des CGV entre fournisseurs et distributeurs ou l'exclusion des frais d'approche du seuil de vente à perte.
Notre commission sera attentive à toute mesure permettant d'améliorer la situation des outre-mer.
Les territoires d'outre-mer ont besoin de vous, monsieur le ministre, pour transformer leur économie : concurrence renforcée, réduction des rigidités du marché, amélioration du paiement des petites entreprises, modernisation des ports et infrastructures énergétiques, développement de l'agriculture locale, intégration régionale. L'exode des talents pénalise ces territoires ; rendons-les attractifs, pour maintenir nos forces vives. (MM. Marc Laménie, Victorin Lurel et Lucien Stanzione applaudissent, ainsi que Mme Dominique Estrosi Sassone.)
M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer . - « L'histoire des outre-mer dans la République est celle d'une longue marche vers l'égalité, vers l'égalité réelle. » Ces mots sont de Victorin Lurel, alors ministre des outre-mer, présentant au Sénat son projet de loi, le 26 septembre 2012. Treize ans plus tard, cette marche n'est pas terminée, mais Victorin Lurel et d'autres l'ont fait avancer - je pense en particulier au bouclier qualité prix (BQP).
La lutte contre la vie chère est une priorité de mon action. L'écart de prix entre outre-mer et Hexagone est de 15 % en moyenne ; pour les produits alimentaires, il dépasse les 40 %. C'est insoutenable. Cette fracture sociale crée un sentiment d'inégalité et met en péril la cohésion de la nation. Il nous faut un plan de bataille structuré, sérieux, crédible, qui s'attaque à tous les facteurs.
Ce plan tient en cinq mots. Concurrence, d'abord. Oui, le partage et la chaîne de valeur outre-mer ne sont pas équitables ; les grands groupes, performants, étouffent l'économie et les populations. Pour y mettre un terme, je ne crois pas seulement à la bonne volonté des acteurs ; je veux renforcer les moyens de l'ADLC et créer un service d'instruction spécialisé pour les outre-mer, renforcer les moyens de la DGCCRF, augmenter les saisines possibles de l'Autorité de la concurrence - nous soutenons cette proposition à l'article 2.
Transparence, ensuite. Trop d'entreprises ne respectent pas l'obligation de publication des comptes. L'article 1er est une avancée.
Autre mot, l'exigence. Les efforts doivent être partagés. La réforme de l'octroi de mer doit être mise sur la table. Je me rendrai aux Antilles mi-mars ; nous aborderons ce sujet. Nous avons avancé. La promulgation de la loi de finances permet d'appliquer une TVA à taux 0 % pour les produits de première nécessité. J'ai demandé à l'Inspection générale des finances de travailler sur un mécanisme permettant d'abaisser les frais d'approche - ce ne sera pas du copié collé. Les distributeurs, enfin, ont déjà réalisé un effort sur leurs marges, mais les marges arrière ajoutent à l'opacité.
Quatrième mot, la renaissance. Mon projet est celui d'une transformation économique. Les économies ultramarines souffrent des stigmates de la colonisation : pour sortir d'une économie de comptoir, il faut rompre avec la dépendance aux importations, favoriser la production locale et l'autonomie alimentaire.
Cinquième mot, le bon sens. Limitons les importations de l'Union européenne ou de l'Hexagone, très coûteuses, au strict indispensable. Mayotte, en plein ramadan, a besoin notamment de bananes - or il est difficile d'en importer des pays voisins. Les normes doivent être adaptées à la réalité des sociétés ultramarines ; nous en débattrons autour de la proposition de loi d'Audrey Bélim. Je remercie le groupe SER, et son président, d'avoir consacré son espace réservé aux outre-mer. Je salue les travaux en cours de la délégation aux outre-mer, présidée par Micheline Jacques, qui a déposé une proposition de loi. Il faudra faire converger toutes ces initiatives. Comptez sur ma détermination. Je suis attendu sur les actes, je le sais.
Il y a ce qui relève des réalités économiques, mais aussi ce qui relève de la tromperie et de l'abus de position dominante. En la matière, il faut être intraitable. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe SER)
M. Marc Laménie . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) À La Réunion, en Guadeloupe et en Martinique, les manifestations contre la vie chère sont légitimes, même si nous condamnons les violences. Les prix y sont bien plus élevés outre-mer que dans l'Hexagone. Cela touche tous les secteurs : outre le logement, les soins coûtent 17 % plus cher que dans l'Hexagone, l'alimentation 50 %, les communications jusqu'à 35 % ; le panier alimentaire moyen est 46 % plus cher à La Réunion. Or le niveau de pauvreté est aussi plus élevé. Les écarts ne cessent de se creuser sous l'effet de l'inflation. L'étroitesse des marchés, l'éloignement géographique, les productions limitées expliquent cette situation.
Des solutions existent. La possibilité accordée aux collectivités d'outre-mer de déroger aux marquages CE dans le domaine de la construction est bienvenue. Je pense aussi aux outils définis en 2012 à l'initiative de Victorin Lurel, comme le bouclier qualité-prix.
Ce texte obligeait certaines entreprises à transmettre leur comptabilité analytique annuelle. Cette procédure trop lourde aurait pu dissuader des entreprises de s'implanter. Nous soutenons donc le choix de la commission, qui offre la possibilité aux préfets de demander une injonction à l'encontre des entreprises fautives.
Une réflexion plus globale sera néanmoins nécessaire, même si ce texte pose déjà des questions essentielles. Sous réserve des modifications en cours d'examen, nous le voterons. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, SER et RDSE)
Mme Annick Petrus . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie Victorin Lurel et le groupe SER de permettre ce débat sur la vie chère en outre-mer, où le coût de la vie est en moyenne plus élevé de 40 %.
Ce texte apporte des avancées en stimulant la concurrence et en améliorant la transparence. Mais comment activer ces deux leviers essentiels si les marchandises peinent à arriver à destination ou si les coûts logistiques sont insoutenables ?
À Saint-Martin, victime de la double insularité, les coûts logistiques font grimper les prix. Avec la suppression de certaines dessertes maritimes directes, nous sommes encore plus dépendants des plateformes portuaires régionales. Les commerçants locaux, déjà confrontés à la concurrence de la partie néerlandaise de l'île, subissent de plein fouet les retards de livraison. Un container retardé, c'est tout un stock qui manque en rayon.
Cela met en péril la rentabilité des restaurateurs ou des artisans et affecte le pouvoir d'achat.
Nous devons sortir d'une dépendance excessive aux routes d'importation traditionnelles et mieux intégrer nos territoires au circuit économique de la Caraïbe, par une meilleure coopération avec les îles voisines qui pourraient devenir des plateformes logistiques stratégiques et ainsi diversifier nos sources d'approvisionnement.
Nous devons renforcer notre partenariat avec les acteurs régionaux du commerce et du transport pour ne pas être dépendants des grands groupes. Saint-Martin doit tirer parti de sa géographie et s'ouvrir sur le reste de la région.
Mais nous devons rester lucides. Les mécanismes de régulation économique ne produiront pas leurs effets si les coûts de transport continuent de s'envoler. Il faut un cadre de régulation des armateurs.
L'État doit aussi surveiller les coûts du fret maritime. Il est vital que les biens essentiels arrivent vers nos territoires. Nous ne devons pas être à la merci de décisions lointaines.
Cette proposition de loi est une avancée, mais sans logistique fiable, il n'y aura ni concurrence ni perspective. Nous ne pouvons rester spectateurs des bouleversements du commerce maritime. Nous devons agir pour que la régulation maritime devienne une réalité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP, du GEST et du RDSE ; M. Lucien Stanzione applaudit également.)
M. Teva Rohfritsch . - L'écho de la vie chère traverse les décennies et les océans. Il y a plus de quarante ans, les premières contestations dénonçaient les prix plus élevés qu'en métropole - en Polynésie française, c'est 50 % de plus. Les rapports pointaient déjà la concentration économique et les marges exorbitantes. Les causes sont connues, comme l'étroitesse des marchés ou l'éclatement des chaînes de valeur, qui conduisent à des monopoles et des oligopoles.
Depuis la crise économique de 2009, des jalons ont été posés par les lois de 2012 et de 2017, des avancées ont eu lieu. Nous tentons de régler le problème des prix et des marges depuis longtemps, mais vivre dignement reste un combat quotidien dans les outre-mer.
La proposition de loi prévoit des outils supplémentaires. Mais ce sont des mesures encore trop isolées, qui ne pourront régler le problème. Un sursaut est nécessaire ; il ne peut être que collectif.
Le problème de la vie chère appelle une réponse globale. Nous avons besoin d'un engagement ferme et d'une vision renouvelée. Ce sursaut doit passer par des mesures de régulation économique, mais aussi par des mesures sur l'emploi, la jeunesse, l'aménagement du territoire et la fiscalité énergétique.
Ce sursaut passe aussi par le dépassement d'une vision simpliste, binaire - départements et régions d'outre-mer (Drom) contre collectivités d'outre-mer (COM) - mais je prêche des convaincus...
Je suis corapporteur d'une mission sur la vie chère menée sous la direction de la présidente de la délégation aux outre-mer : nous formulerons le mois prochain des propositions pour agir contre ce fléau. Nos territoires français des trois océans s'épuisent d'être chéris dans les discours, mais trop peu considérés dans les faits. Monsieur le ministre, nous aurons besoin de vous.
La Polynésie française combat ces maux, mais l'État doit l'accompagner. La précarité nourrit une désaffection à l'égard de l'État et des discours politiques qui divisent au lieu de rassembler.
La vie chère est une bombe à retardement que nous devons désamorcer.
J'appelle à une prise de conscience collective : mobilisons toutes les forces vives, dépassons les postures politiciennes. Ne laissons pas la vie chère éroder le lien précieux qui nous unit au sein de la République.
Le RDPI, dans sa grande majorité, se prononcera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Georges Patient applaudit également.)
M. Jean-Marc Ruel . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) J'adresse au nom des Saint-Pierre-et-Miquelonnais et du RDSE notre soutien aux victimes du cyclone Garance, ainsi qu'aux Réunionnais : nous sommes de tout coeur avec eux.
Deux propositions de loi sur les outre-mer, c'est une bonne nouvelle, mais le timing est malheureux : en période de jours gras, quand on sait l'importance du carnaval dans nos territoires ! Certains de nos collègues brûlent le roi Vaval au soleil ; à Saint-Pierre-et-Miquelon, nous l'appelons Bulot et il brûlera sur le quai, sous la neige. C'est aussi ça, la richesse de nos outre-mer. (On apprécie.)
Cette proposition de loi est intéressante, mais a été édulcorée, vidée en partie de sa substance. Notons toutefois l'amendement commun du RDPI et de M. Lurel visant à ne plus assimiler nos collectivités à des territoires d'exportation et donc à leur donner accès aux prix et aux conditions, notamment promotionnelles. Je souhaite y intégrer mon archipel, malheureusement oublié.
Je regrette que l'on ne renforce pas les informations données aux OPMR, qui peuvent apporter la concertation et la cohésion nécessaires. Je proposerai qu'ils évaluent les décisions concernant la desserte maritime internationale en fret via une étude d'impact. Tout changement dans ce domaine ne serait pas sans conséquence.
Je ne veux pas gâcher la fête, mais cet amendement ne doit pas partir en confettis et être réduit en cendres aux côtés du roi Bulot. (Sourires) Le RDSE y sera attentif, y compris au moment de voter le texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP)
Mme Jocelyne Guidez . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Imaginez de devoir payer 40 % plus cher votre panier de courses : pour nos compatriotes ultramarins, ce n'est pas de la science-fiction, mais la réalité. Ce chiffre traverse les décennies et cristallise les colères.
Je remercie Victorin Lurel et la rapporteure qui sont parvenus à un texte équilibré.
La vie chère en outre-mer est une réalité, aux causes multiples. Les coûts logistiques sont importants, la production locale interdit les économies d'échelle. L'octroi de mer renchérit les produits de première nécessité alors que les revenus des Ultramarins ne suivent pas.
Les conséquences sociales sont alarmantes, avec des mobilisations récurrentes. Depuis septembre 2024, la Martinique est secouée par les contestations contre la vie chère.
Certains citent parmi ces facteurs le manque de concurrence. Il est vrai que, dans la grande distribution, les carburants ou les télécommunications par exemple, quelques acteurs bénéficient d'une position privilégiée. En 2016, 73 groupes contrôlaient plus de 50 % des marchés des Antilles et de la Guyane, pour près de 18 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Ces structures, souvent familiales, sont accusées de verrouiller l'accès à de nouveaux entrants et dégagent des marges importantes. C'est une réalité, même s'il ne faut pas confondre pas marge brute et marge nette.
Ce texte renforce le contrôle des concentrations. La commission a abaissé le seuil de notification des fusions de 5 à 3 millions d'euros. Les entreprises ne doivent toutefois pas devenir des boucs émissaires, au risque d'affaiblir l'économie locale. La concurrence ne sera pas efficace sans la confiance. Je salue les inflexions de la commission dans ce sens.
Autre enjeu du texte : la transparence des prix et des marges. Seules 24 % des entreprises déposent leurs comptes, contre 85 % dans l'Hexagone. La commission a fait des propositions : la transmission automatique est remplacée par une injonction, avec sanction en cas de non-transmission.
Gardons-nous de l'excès de bureaucratie. Chaque obligation supplémentaire augmente les coûts, ce qui est répercuté sur le consommateur. La première version du texte imposait aux entreprises de transmettre trimestriellement leurs taux de marge, leurs prix d'achat et de vente et leurs évolutions, ainsi que les prix de cessions internes à la fois au préfet, à l'Insee et à l'OPMR : bienvenue dans la République de la bureaucratie !
En octobre dernier, nous adoptions le projet de loi de simplification de la vie économique, autour du principe « dites-le-nous une fois » ; il serait temps de l'appliquer aux entreprises outre-mer. Évitons l'inflation réglementaire, qui nuit à la croissance et à l'investissement.
La délégation aux outre-mer proposera une politique d'ensemble dans le cadre de son rapport de mission. Encourager l'agriculture locale, développer les industries de transformation, investir dans des infrastructures logistiques modernes sont autant de leviers.
Lutter contre la vie chère est une question d'égalité économique et sociale. Le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du RDSE et du groupe SER)
M. Robert Wienie Xowie . - J'adresse mes sincères condoléances aux Réunionnais, victimes du cyclone Garance.
Aux catastrophes naturelles qui frappent nos pays s'ajoute la vie chère.
Entre le champagne pour quelques-uns et l'eau potable pour tous, il faut choisir, disait Thomas Sankara. Entre survivre et vivre, le choix est vite fait. Nos peuples aspirent à une vie digne. Ils ont le droit de manger au même prix que les Français de l'Hexagone.
Mais notre vraie richesse, c'est vivre de nos terres. Cette proposition de loi s'inscrit dans une logique de lutte contre un système colonial, une économie de comptoir, tenue par quelques familles sans scrupule qui s'affranchissent des règles ayant cours dans l'Hexagone.
Les événements en outre-mer ont mis en lumière ce que vivent nos peuples. Non à l'économie coloniale, oui à la dignité ! Nous défendons indéfectiblement l'émancipation sociale et économique des nôtres. L'État a favorisé les monopoles, amoindrissant le potentiel humain de nos peuples et leur capacité à aspirer à la souveraineté.
La source de la vie chère n'est pas l'éloignement, mais une violence économique héritée du colonialisme. Marges abusives et manque de transparence n'en sont qu'un symptôme. L'écart des prix des produits alimentaires entre l'Hexagone et les outre-mer atteint 40 %. En Nouvelle-Calédonie, les prix de l'alimentation ont grimpé de 5,7 % en un an.
Cette proposition de loi adresse un signal aux grandes entreprises. On ne peut pas importer massivement, faire de telles marges, ne pas transmettre les comptes et faire payer les consommateurs ultramarins ! De fait, les pratiques de ces groupes sont cautionnées par l'État depuis des années.
Nous regrettons que les modifications en commission aient réduit la portée de ce texte. Il nous faut redonner espoir à nos peuples. Le groupe CRCE-K votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER)
M. Akli Mellouli . - (Applaudissements sur les travées du GEST) J'exprime à mon tour ma solidarité aux familles des victimes du cyclone Garance. La République doit soutenir La Réunion.
L'outre-mer est une composante essentielle de notre nation, de notre identité républicaine. « La République est une et indivisible, mais elle ne doit pas être uniforme », disait l'ancien président du Sénat Gaston Monnerville. Il faut prendre en compte les spécificités et les défis des outre-mer, afin que nos compatriotes ne soient pas condamnés à l'injustice économique.
La vie chère façonne une fracture avec l'Hexagone que nous ne pouvons plus ignorer. Le coût excessif des produits de première nécessité, des services essentiels et des biens de consommation courante alimente le sentiment d'abandon et le malaise social. Celui-ci s'est exprimé à plusieurs reprises. Qui pourrait oublier la grève générale de 2009 aux Antilles ? Ou les révoltes sociales récurrentes en Guyane ou à La Réunion ? Derrière ces colères, il y a des familles, des travailleurs, des jeunes qui ne voient pas d'avenir digne sur leur territoire.
Les chiffres sont accablants : les écarts de prix entre la métropole et les outre-mer atteignent 10 à 15 % en moyenne, 30 % pour les produits alimentaires, parfois jusqu'à 40 %. Quelque 900 000 personnes vivent sous le seuil de pauvreté. Ce n'est pas tolérable.
Les mesures ponctuelles ne suffisent plus. Nous devons faire preuve de volonté politique : régulation des circuits d'importation et de distribution, lutte contre les monopoles, soutien au pouvoir d'achat, plan de développement économique adapté aux spécificités ultramarines, encouragement à la production locale, réduction de la dépendance à l'importation. Il nous faut apporter des réponses au désespoir de nos compatriotes, faire de la justice sociale une réalité tangible, faire vivre la promesse républicaine sur tout le territoire national.
Que nos débats soient le point de départ d'un engagement renouvelé. Cette proposition de loi ouvre des perspectives, mais il faudra aller plus loin et répondre aux aspirations de nos concitoyens, qui n'attendent pas la charité mais une vie digne. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
M. Lucien Stanzione . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La vie chère n'est pas une fatalité, mais la conséquence de déséquilibres structurels. Nous voulons une économie plus juste pour nos concitoyens ultramarins - c'est la cause que porte Victorin Lurel depuis 2012.
Ce texte, resserré, est un levier pour la suite. Il adresse un signal clair : les Ultramarins ne peuvent plus être prisonniers d'un système inéquitable. Il renforce la pression sur les entreprises qui ne respectent pas l'obligation légale de dépôt des comptes sociaux. La transparence est essentielle pour assurer une concurrence loyale.
D'autres mesures permettront d'alerter plus en amont sur les opérations de concentration. Les lois Lurel de 2012 et 2017 doivent être pleinement effectives, pour protéger les distributeurs locaux. Les CGV nationales doivent s'appliquer de manière transparente et non discriminatoire outre-mer. Nous défendrons enfin le plafonnement des marges arrière, qui renchérissent le coût de la vie ; c'est essentiel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Akli Mellouli applaudit également.)
Discussion des articles
Article 1er
M. le président. - Amendement n°16 de Mme Renaud-Garabedian, au nom de la commission des affaires économiques.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Pour contraindre le dirigeant défaillant à déposer les comptes de la société, nous prévoyons une astreinte coercitive, payée directement par le chef d'entreprise, plafonnée à 1 000 euros par jour de retard.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - S'agissant d'une personne physique, le montant maximum prévu paraît disproportionné. Sans doute faudrait-il viser plutôt la personne morale. Avis favorable néanmoins.
M. Victorin Lurel. - Faute d'un sous-amendement du Gouvernement qui soit plus dissuasif - par exemple, 5 % du chiffre d'affaires, payé par la personne morale - je voterai l'amendement de la rapporteure.
L'amendement n°16 est adopté.
L'article 1er, modifié, est adopté.
Après l'article 1er
M. le président. - Amendement n°11 de M. Lurel et du groupe SER.
M. Victorin Lurel. - Je le retire, au profit du suivant.
L'amendement n°11 est retiré
M. le président. - Amendement n°12 de M. Lurel et du groupe SER.
M. Victorin Lurel. - C'était un amendement de repli, mais qui a ma préférence. Je suis prêt à le rectifier pour trouver un compromis avec le Gouvernement et la commission : nous pourrions prévoir une expérimentation.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Pour la clarté de nos débats, je rappelle que la marge arrière est la rémunération perçue par le distributeur en contrepartie des services rendus à un fournisseur - mise en avant d'un produit, attribution d'emplacement privilégié - qui améliore la rentabilité. Mais la pratique, critiquée, ne contribue pas à la transparence et, contrairement aux remises et rabais, ne réduit pas le prix d'achat. Certaines marges arrière représentent jusqu'à 35 % du prix facturé. Il faut une grande rigueur dans leur mise en oeuvre. Elles peuvent être légitimes, mais doivent être régulées.
L'amendement ne précise pas le chiffre d'affaires retenu - global, ou par ligne de produit ? Je m'interroge également sur la lisibilité d'un ticket de caisse faisant apparaître l'ensemble des marges arrière. Avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Vous me laissez seul face à Victorin Lurel ! (Sourires)
Cet amendement vise à encadrer les marges arrière et à renforcer la transparence concernant les remises sur les tickets de caisse.
Je l'ai dit, je veux m'attaquer aux pratiques qui pénalisent les producteurs locaux. Outre-mer, le niveau global des marges arrière est bien supérieur à celui constaté dans l'Hexagone. Le manque de transparence pénalise les fournisseurs, complique le contrôle de l'État et empêche que ces marges arrière soient répercutées sur le prix de vente. Nous devons agir.
Toutefois, votre amendement pourrait se heurter à la liberté du commerce garantie par la Constitution.
Par ailleurs, un tel encadrement pourrait aboutir à renchérir les prix, si les distributeurs ne peuvent répercuter les remises, ristournes et rabais sur le prix final, ou mener des campagnes promotionnelles. Il y a des marges arrière plus vertueuses que d'autres.
En revanche, faire figurer les avantages obtenus sur les factures d'achat facilitera les contrôles par la DGCRF.
Nous devons améliorer la transparence. Aussi je vous propose de travailler ensemble dans les prochaines semaines pour mieux calibrer le dispositif. Essayons de trouver le bon chemin, grâce à nos débats.
M. Victorin Lurel. - Nous ne voulons pas interdire les marges arrière, mais les plafonner ; il n'est pas question de toucher à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre. D'où notre rédaction.
L'article L. 441-3 du code de commerce distingue clairement ce qui est autorisé dans les marges de ce qui ne l'est pas. Nous ne visons que les prestations fictives : boosters, assortiments, chiffre d'affaires par paliers... Les vraies prestations, elles, méritent d'être payées.
Je propose un taux de 10 %, sachant que les marges arrière peuvent atteindre 30 % - Leclerc fait 22 % en Martinique, GBH plus de 25 %. Des fournisseurs locaux se retrouvent ruinés par les restitutions exigées !
Je propose un encadrement équilibré, qui respecte la Constitution, le code de commerce, sans renchérir les prix. Je rectifie mon amendement pour prévoir une expérimentation de cinq ans, avec une entrée en vigueur six mois après la promulgation de la loi, le temps d'y travailler encore. Je précise qu'il s'agit du chiffre d'affaires par ligne de produit. C'est un compromis. J'espère à tout le moins un avis de sagesse.
M. le président. - Ce sera l'amendement n°12 rectifié.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Retrait, sinon avis défavorable. On se précipite ! D'autres textes vont venir prochainement, prenons le temps d'y travailler.
Les marges arrière doivent être cantonnées à 10 %, faire l'objet de contrôles intelligents. Elles pourront alors devenir des marges avant, et ainsi faciliter les ventes à perte, ce qui bénéficie aux consommateurs. Je vous rejoins sur le fond, mais ne nous précipitons pas.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Même avis.
M. le président. - Monsieur Lurel, retirez-vous votre amendement ?
M. Victorin Lurel. - Tout ce que demande Mme la rapporteure se trouve dans le texte. En vingt jours, nous avons eu le temps d'approfondir ! Pour tenir compte de vos objections, je simplifie le ticket de caisse et je prévois une expérimentation sur cinq ans. Si le ministre présente une grande loi, il pourra y revenir. Je maintiens mon amendement.
M. Georges Patient. - La pratique des marges arrière suscite de vives critiques. Nous ne pouvons renvoyer la question aux calendes grecques. Je proposais moi aussi d'expérimenter pendant cinq ans un plafonnement, et de supprimer la mention sur le ticket de caisse. (M. Victorin Lurel approuve.)
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - S'il s'agit du chiffre d'affaires par ligne de produit, et si l'on renonce à un ticket détaillé (M. Victorin Lurel le confirme), nous pourrions être d'accord pour l'expérimentation. (M. Manuel Valls le confirme.)
M. le président. - C'est donc un double avis favorable sur l'amendement rectifié.
L'amendement n°12 rectifié est adopté et devient un article additionnel.
M. le président. - Amendement n°9 de M. Lurel et du groupe SER.
M. Victorin Lurel. - Je suis prêt à reculer sur les marques de distributeurs (MDD) et les produits premier prix, et à ne retenir que le deuxième alinéa, qui prévoit un préavis en cas de rupture abusive.
M. le président. - Il devient l'amendement n°9 rectifié.
M. Victorin Lurel. - Sous prétexte de respecter la loi Lurel, certains groupes, comme Carrefour, se sont retirés brutalement. Le préavis de dix-huit mois en cas de rupture abusive est bien prévu dans le code de commerce, mais n'est pas appliqué dans les outre-mer.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - D'accord sur le principe, mais votre amendement est satisfait : l'article L. 442 du code de commerce oblige à réparer le préjudice causé en cas de non-respect d'un préavis de dix-huit mois. La jurisprudence est constante sur le sujet. Avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. - La manière de travailler au Sénat est... très créative. (Sourires) C'est in vivo.
Mme Évelyne Perrot. - C'est familial !
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Votre amendement vise à protéger les entreprises victimes d'une rupture de contrat à la suite d'un accord exclusif d'importation, prohibé par l'article L. 420-2-1 du code de commerce. Ces entreprises peuvent déjà saisir le juge pour obtenir réparation du préjudice subi. À ce stade, sagesse, car cet amendement pourrait être retravaillé.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Avis défavorable : je suis contre l'empilement de textes qui ont le même objet.
Mme Solanges Nadille. - Vaval est bien au Sénat ! Merci, madame la rapporteure, de dire que ce n'est pas comme ça que l'on modifie un texte, pour s'arranger. Les Ultramarins méritent mieux que cela. Prenons le temps d'élaborer un texte qui améliore réellement la vie dans les outre-mer, comme s'y est engagé le ministre.
Certains voudraient se faire mousser, tirer gloriole d'une mesure - comme ils l'ont fait sur les sargasses, sans voter ensuite le texte !
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Jusqu'ici, ça allait...
M. Victorin Lurel. - Cela fait vingt ans que je lutte contre la vie chère. Effets de manche, coups de menton - je suis un vieux parlementaire, je n'ai plus l'âge de ces gamineries... (Sourires)
Il n'y a aucune jurisprudence concernant les outre-mer, aucune sanction des pratiques illicites. La DGCCRF ne fait pas son travail, les textes ne sont pas respectés !
La menace pèse sur tous les produits, car lorsque l'on dit non à un grand groupe sur un produit, il peut remettre en cause tout le contrat.
Il manque une réelle sanction, faute de volonté politique. Le texte existe : nous voulons une application concrète.
L'amendement n°9 rectifié est adopté, et devient un article additionnel.
Article 2
M. le président. - Amendement n°4 rectifié de M. Teva Rohfritsch et alii.
M. Teva Rohfritsch. - L'article L. 420-5 du code de commerce régule les pratiques commerciales lorsqu'il existe une concurrence entre les produits locaux et ceux, similaires ou identiques, importés à bas coût. Nous l'élargissons aux produits dits « comparables » aux produits locaux, à définir par décret, pour viser notamment les produits surgelés importés, dont le prix est souvent inférieur à celui des produits frais locaux. Il s'agit ainsi renforcer la compétitivité des produits locaux et de garantir une concurrence équitable.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Avis défavorable, car cet amendement soutient une offre commerciale plus coûteuse, à l'inverse de l'objectif de la proposition de loi, même si je comprends votre souhait de lutter contre les produits dits de dégagement, peu chers et de mauvaise qualité.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Le représentant de l'État tient compte de certains critères lors des négociations avec les acteurs : baisse des prix, mais aussi promotion de la production locale, indispensable pour engager la transformation économique des territoires ultramarins. Malgré mes réserves sur cet amendement, sagesse.
M. Victorin Lurel. - Les produits de dégagement ont un coût marginal zéro : le porc breton est quasiment vendu à perte. Mon frère producteur de porc, lui, souffre. Que fait le conseil régional ? Il augmente le taux d'octroi de mer : cela enrichit les collectivités, mais pas le consommateur. Cet amendement, qui ajoute « comparable », est de bon sens. Ce n'est pas de la bureaucratie !
M. Georges Patient. - Je voterai contre cet amendement, à regret. En Guyane, le poulet surgelé importé, contrôlé par les services sanitaires, est à 2 euros le kilo, quand le poulet local est à 15 euros le kilo. Cet amendement créera des dégâts.
L'amendement n°4 rectifié est adopté.
M. le président. - Amendement n°5 de M. Teva Rohfritsch et alii.
M. Georges Patient. - Limiter le renforcement de groupes déjà en position dominante sur les marchés ultramarins est un objectif louable, mais les spécificités de chaque territoire doivent être prises en compte : la densité commerciale n'est pas la même partout. En Guyane, où la population augmente fortement, il faut favoriser l'implantation de grandes surfaces commerciales, absentes de certaines parties du territoire. Cet article risque d'empêcher le déploiement des commerces, faute de groupes suffisamment dimensionnés.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Créer une exception au seuil de part de marché à partir duquel l'ADLC peut être saisie en vue d'autoriser une exploitation commerciale irait à rebours de l'objectif de la proposition de loi, qui est d'accroître la concurrence dans les outre-mer.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Même avis.
M. Georges Patient. - Mon amendement ne concerne que les territoires où la densité commerciale est faible : la Guyane, c'est trois habitants au kilomètre carré, contre quatre cents pour la Guadeloupe, la Martinique ou La Réunion ! Le PIB de la Guyane est de 15 000 euros par habitant, contre 25 000 euros aux Antilles et 40 000 en Île-de-France. Sans compter que les communes sont distantes les unes des autres, et souvent inaccessibles, faute de routes. À situations différentes, dispositions différentes.
Mme Micheline Jacques. - Je souscris aux arguments de M. Patient. Certaines communes guyanaises sont isolées, or il faut pouvoir accéder aux produits de première nécessité.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Je comprends les besoins en Guyane, mais le texte concerne tout l'outre-mer. Pour La Réunion, pour les Antilles, cet amendement ferait obstacle à votre objectif, monsieur Lurel.
M. Victorin Lurel. - Vous avez raison...
L'amendement n°5 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°2 de M. Rohfritsch et du RDPI.
M. Teva Rohfritsch. - Cet amendement clarifie le statut des OPMR afin d'assurer leur pleine capacité opérationnelle, dans l'intérêt des consommateurs et des acteurs locaux. Actuellement, leurs moyens sont trop faibles.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Avis favorable à cet amendement d'appel. Il faut doter les OPMR de moyens leur permettant d'assurer leur mission.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - La loi de finances pour 2019 a porté les moyens des OPMR de 300 000 à 600 000 euros - budget reconduit chaque année depuis, contre la tendance actuelle... Au cours des exercices 2023 et 2024, ce budget de 600 000 euros n'a pas été entièrement consommé ; on peut donc considérer qu'il suffit. Nous pourrons l'évoquer en loi de finances.
Le secrétariat de chaque OPMR est en outre assuré par les services de l'État.
Cela dit, il nous faut interroger nos outils d'évaluation et de contrôle des coûts et des prix. Avis favorable.
L'amendement n°2 est adopté.
M. le président. - Amendement n°8 rectifié bis de M. Ruel et alii.
M. Jean-Marc Ruel. - Cet amendement prévoit que l'OPMR réalise une étude d'impact avant toute modification structurelle des conditions de la desserte maritime internationale en fret à Saint-Pierre-et-Miquelon - colonne vertébrale de l'activité économique et de la consommation du territoire. Une étude d'impact est nécessaire pour optimiser la prise de décision. C'est aussi un gage de concertation, puisque les représentants de l'État, les élus et les forces économiques du territoire siègent au sein de l'OPMR : il n'y a plus de place pour l'arbitraire.
Dans le contexte international actuel, entre les négociations souvent difficiles avec le voisin canadien et la politique protectionniste et agressive des États-Unis de Donald Trump, Saint-Pierre-et-Miquelon ne peut se permettre de naviguer à vue !
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Avis défavorable. Un tel dispositif ferait des OPMR un espace de discussion ad hoc, les éloignant de leur mission d'origine.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Même avis.
L'amendement n°8 rectifié bis n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°1 de M. Rohfritsch et du RDPI.
M. Teva Rohfritsch. - Il s'agit de rendre public le rapport annuel rédigé par chaque OPMR pour leur donner plus de visibilité et renforcer la confiance des consommateurs.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - La publication de tels rapports n'aura de sens que lorsque ces observatoires auront du personnel pour les concevoir. Ils n'ont pas de moyens humains - les présidents sont des magistrats bénévoles. En revanche, si des garanties sont apportées, je ne vois aucune raison de s'y opposer. Avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. - L'autorité administrative peut se charger du rapport annuel, qui pourra être mis en ligne sur le site des services de l'État du territoire concerné. Avis favorable.
L'amendement n°1 est adopté.
L'article 2, modifié, est adopté.
Après l'article 3 (Supprimé)
M. le président. - Amendement n°13 rectifié de M. Lurel.
M. Victorin Lurel. - Les plateformes de vente et centrales d'achat traitent les outre-mer comme des territoires étrangers. Avec cet amendement, nous affirmons expressément que les CGV, à la base de toute relation commerciale, s'appliquent de plein droit aux outre-mer.
Mon collègue Teva Rohfritsch a déposé un amendement similaire : je préfère néanmoins ma rédaction, car elle ne confond pas le statut douanier et fiscal avec l'appartenance à la République. Les outre-mer sont considérées, au sens douanier et fiscal, comme des territoires d'exportation, d'où l'octroi de mer et les taux de TVA réduits.
Votons cet amendement pour garantir une égalité réelle.
M. le président. - Amendement n°3 rectifié de M. Rohfritsch et du RDPI.
M. Teva Rohfritsch. - Défendu.
M. le président. - Sous-amendement n°15 de M. Ruel.
M. Jean-Marc Ruel. - Il s'agit d'inclure Saint-Pierre-et-Miquelon dans ce dispositif très intéressant pour nos territoires ultramarins.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - La question des CGV est fondamentale : leur uniformisation réduira les coûts imposés aux distributeurs. Mais cette mesure ne sera pas suffisante à elle seule pour pallier les écarts de prix.
Je suis favorable à l'amendement n°10 rectifié qui va suivre. Pour une fois, M. Lurel a fait simple. (Rires) Je demande le retrait des amendements nos3 rectifié et 13 rectifié et du sous-amendement n°15 au profit de l'amendement n°10 rectifié.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Sur le plan fiscal, les territoires ultramarins sont définis comme des zones d'exportation. Veillons à ne pas créer d'effets de bords juridiques, avec des formulations positives en apparence, mais qui, en fait, auraient des conséquences si elles étaient inscrites dans la loi.
Les CGV auxquelles se réfèrent les contrats doivent tenir compte des spécificités et de l'éloignement des outre-mer. L'amendement n°10 rectifié est mieux rédigé. Aussi le Gouvernement est-il par avance favorable à cet amendement. Retrait des amendements nos13 rectifié et 3 rectifié et du sous-amendement n°15.
L'amendement n°13 rectifié est retiré, de même que l'amendement n°3 rectifié et le sous-amendement n°15.
M. le président. - Amendement n°10 rectifié de M. Lurel et du groupe SER.
M. Victorin Lurel. - Défendu.
L'amendement n°10 rectifié, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté et devient un article additionnel.
L'article 4 est adopté.
Vote sur l'ensemble
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques . - La lutte contre la vie chère en outre-mer est une réalité que nous voulons tous combattre. Nous le prouverons en adoptant cette proposition de loi.
Victorin Lurel a bien travaillé avec notre rapporteur ; le dialogue a été musclé, mais aussi compétitif, pour reprendre le terme utilisé lors de la discussion générale. Je remercie Évelyne Renaud-Garabedian pour son travail.
M. Victorin Lurel. - Moi aussi !
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission. - Nous avons encore besoin de travailler, car les outils de cette proposition de loi ne sont pas suffisants. Nous le ferons dans un esprit positif. Je remercie Micheline Jacques, présidente de la délégation aux outre-mer, ainsi que l'ensemble des membres de la délégation.
Je remercie également M. le ministre d'État, dont je salue l'engagement. (Applaudissements)
Mme Solanges Nadille . - Ce soir, je suis déçue.
Monsieur Lurel, je ne fais pas des gamineries lorsque je m'adresse à vous et à nos collègues ; je décris la réalité des territoires. Il ne faut pas tromper nos concitoyens, même ceux qui vivent à 8 000 kilomètres d'ici.
Pourquoi ajouter un texte à un autre texte ? Vous avez vous-même souligné que celui que vous aviez commis en 2012 était resté dans les tiroirs. Vous en ajoutez un autre, mais je ne sais pas bien ce qu'il contient. En fait, vous demandez simplement que votre texte de 2012 soit appliqué ! Or nous savons tous que ce n'est pas le cas.
Je déplore l'absence de la majorité de nos collègues représentant les outre-mer. Je prends mes responsabilités ; je ne suis pas satisfaite. En 2009, le Liyannaj Kont Pwofitasyon (LKP) nous alertait sur la vie chère en Guadeloupe. Cela fait seize ans !
La proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER, du GEST, du RDSE, et des groupes INDEP, UC et Les Républicains ; M. Teva Rohfritsch applaudit également.)