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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.
Table des matières
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
M. François Bayrou, Premier ministre
Cyclone Garance à La Réunion (I)
M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
M. Philippe Tabarot, ministre chargé des transports
Fermeture des usines Michelin de Cholet et Vannes
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer
M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées
M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation
Tarif d'achat de l'électricité photovoltaïque
Cyclone Garance à La Réunion (II)
M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer
M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire
Renforcer le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer
M. Victorin Lurel, auteur de la proposition de loi
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur de la commission des affaires économiques
M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques
Encadrement des loyers et amélioration de l'habitat dans les outre-mer
Mme Audrey Bélim, auteure de la proposition de loi
Mme Micheline Jacques, rapporteur de la commission des affaires économiques
M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer
Reconnaissance du bénévolat de sécurité civile
M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe CRCE-K
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur
M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe CRCE-K
Ordre du jour du jeudi 6 mars 2025
SÉANCE
du mercredi 5 mars 2025
62e séance de la session ordinaire 2024-2025
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : Mme Sonia de La Provôté, M. Mickaël Vallet.
La séance est ouverte à 15 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Hommage à d'anciens sénateurs
M. le président. - (Mmes et MM. les sénateurs et les membres du Gouvernement se lèvent.) C'est avec émotion que nous avons appris le décès de notre ancien collègue Roger Romani.
Ce militant gaulliste a eu une véritable proximité avec Jacques Chirac, auquel il voua une fidélité sans faille et dont il fut le conseiller au sein de différents ministères.
En 1977, quand Jacques Chirac devient maire de Paris, il devient adjoint au maire, chargé de la Questure.
En septembre de la même année, il fait son entrée au Sénat, en même temps que Charles Pasqua. Il rejoint le groupe du Rassemblement pour la République (RPR) et devient membre de la commission des lois, puis sera membre de la commission des finances. Tout au long de sa vie politique, il sera un ardent défenseur du bicamérisme.
En 1986, Roger Romani remplace Charles Pasqua, qui devient ministre de l'intérieur, à la tête du groupe RPR du Sénat. J'aurai alors le plaisir de le côtoyer à mon arrivée dans cette assemblée.
De 1993 à 1995, Roger Romani est ministre délégué aux relations avec le Sénat et chargé des rapatriés, puis de 1995 à 1997 ministre des relations avec le Parlement dans le gouvernement d'Alain Juppé.
Il redevient sénateur en 2002. Au Sénat, il est membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
En 2008, Roger Romani est désigné pour occuper l'une de nos plus hautes fonctions, celle de vice-président du Sénat.
En ce moment de tristesse et de recueillement, je souhaite exprimer à son épouse Joëlle, à sa famille, à ses proches, à tous ceux à qui il était cher et qui sont dans la peine, les condoléances sincères de ses anciens collègues du Sénat de la République. Il repose aujourd'hui à Ghisoni, dans sa terre natale de Corse qui lui était si chère.
C'est toujours avec la même émotion que nous avons appris le décès de notre ancien collègue Jean Pierre Cantegrit.
Devenu sénateur des Français de l'étranger, en 1977, Jean-Pierre Cantegrit sera pionnier en matière de protection sociale des Français expatriés.
La loi du 17 juin 1980, sur la base de deux propositions de loi qu'il avait déposées au Sénat, étend la protection sociale aux Français de l'étranger non-salariés, pensionnés ou retraités.
En 1984, sur la base de sa proposition de loi, est adopté un projet de loi prévoyant l'extension de la couverture à l'ensemble des citoyens français résidant hors de France sur la base d'une adhésion volontaire. Le texte crée également une caisse autonome de sécurité sociale, la Caisse des Français de l'étranger. Il la présidera de 1985 à 2015.
Jean-Pierre Cantegrit siégera à la commission des affaires sociales pendant trente-quatre ans. Puis en 2011, il rejoint la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Il présidera le groupe d'amitié France-Sénégal, puis le groupe d'amitié France-Afrique centrale. Il effectuera de nombreux déplacements, avec moi-même puisque le président Sarkozy nous avait chargés de le représenter au cinquantième anniversaire des indépendances africaines.
Au nom du Sénat, je souhaite exprimer notre sympathie et notre profonde compassion à son épouse, à sa famille et à ses proches.
Je vous propose d'observer un instant de recueillement. (Mmes et MM. les sénateurs et les membres du Gouvernement observent un instant de silence.)
Questions d'actualité
M. le président. - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun sera attentif au respect des uns et des autres et au temps de parole.
Conseil européen exceptionnel
M. Emmanuel Capus . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) L'Europe est à un tournant critique de son histoire. Cette nuit, Donald Trump, devant le Congrès, a claironné qu'il obtiendrait le Groenland, « d'une manière ou d'une autre ». Ce matin, Dmitri Medvedev a affirmé que la Russie devait infliger une défaite maximale à l'Ukraine. Est-ce cela, donner des « signaux forts » de paix, selon l'expression de Donald Trump ? Poutine ne s'arrêtera pas à l'Ukraine, pas plus qu'il ne s'est arrêté à la Crimée en 2014.
La nécessité de bâtir une défense européenne doit devenir une évidence. Tous les Européens en prennent conscience, dans la douleur. La France défend depuis toujours l'autonomie stratégique européenne. Ursula von der Leyen vient de proposer un plan de 800 milliards d'euros pour une montée en puissance militaire en urgence ; le Conseil européen exceptionnel de demain y est consacré.
La sécurité de notre continent passe par le soutien à la résistance ukrainienne. Après l'abandon de l'aide américaine, les Européens devront redoubler d'efforts. Nous devons nous réarmer : défense antiaérienne, missiles, artillerie, drones...
Comment allons-nous accélérer, pour aider l'Ukraine et faire de notre base industrielle de défense le socle de la défense européenne ? Quelle position allez-vous défendre demain ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC et du RDSE)
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - Les déclarations d'outre-Atlantique appellent une réponse claire : les frontières de l'Union européenne ne sont pas négociables.
Sur l'Ukraine, ces derniers jours ont montré de manière éclatante la dépendance inacceptable des Ukrainiens et des Européens vis-à-vis des États-Unis en matière d'armement - nous en avons débattu hier.
Par le passé, nous avons accepté de réduire la part de nos dépenses militaires dans la richesse nationale - divisée par trois depuis les années 1950 - , mais depuis huit ans, sous l'impulsion du Président de la République, les deux lois de programmation militaire nous permettent de réarmer notre pays et d'approcher les 2 % du PIB.
Le Conseil européen sera l'occasion de réaffirmer que nous soutenons la résistance ukrainienne, première ligne de défense de l'Union européenne. Il sera l'occasion de nous accorder sur les moyens de réarmer les pays européens. Mme von der Leyen propose 800 milliards d'euros, avec un assouplissement des critères du pacte de stabilité et de croissance, une nouvelle facilité d'endettement à hauteur de 150 milliards d'euros et une nouvelle priorisation des fonds européens non utilisés.
Tout cela concourt à notre autonomie stratégique, que nous défendons inlassablement depuis huit ans, et à laquelle nos partenaires européens sont, enfin, en train de se rallier. (Applaudissements sur quelques travées du groupe INDEP ; M. François Patriat applaudit également.)
Ukraine (I)
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Près des deux tiers de nos concitoyens sont inquiets de la situation géopolitique depuis le retour de Trump. On les comprend : loi du plus fort, impérialisme russe, monétisation de la valeur paix par Washington...
Monsieur le Premier ministre, vous avez tenu hier des propos graves et responsables. Au nom du RDSE, j'ai rappelé notre attachement à ce que l'aide française et européenne soit maintenue à l'Ukraine, pour les Ukrainiens comme pour notre propre sécurité. Nous avons besoin d'une défense européenne crédible - cela ne peut plus attendre.
Aider l'Ukraine et défendre la souveraineté stratégique ferait de nous des va-t-en-guerre ? Relisez les comptes rendus des débats des années 1930... Ces mêmes mots, ces mêmes postures ont conduit à notre capitulation face aux nazis.
Mais on ne peut pas donner aux jeunes une économie de guerre comme seul horizon : il faut aussi de l'espoir. Quels sont les atouts de la France et de l'Europe pour défendre le monde libre ? (Applaudissements sur les travées du RDSE et du RDPI, ainsi que sur quelques travées du GEST et des groupes INDEP, UC et SER)
M. François Bayrou, Premier ministre . - Hier, vous avez affirmé à juste titre que notre priorité devait être l'autonomie stratégique. Ces mots peuvent sembler abstraits, mais cela veut dire, concrètement, être capable de se défendre par nos propres forces, en vertu de nos propres décisions.
Les Français et les Européens découvrent combien la situation est déstabilisée : aux Nations unies, les États-Unis ont voté avec la Russie et la Corée du Nord pour que l'agression ne soit pas évoquée dans les résolutions.
Or notre autonomie stratégique n'est pas acquise : le droit américain prévoit en effet que les armes achetées auprès des États-Unis ne peuvent être utilisées en cas de veto - soit deux tiers des armes en Europe !
Depuis le général de Gaulle, la France a défendu l'idée que l'armement des Européens devait être européen (M. Jean-Baptiste Lemoyne approuve) - pourtant, nombre de pays y ont renoncé.
Que faire, alors ? Nous devons convaincre les décideurs européens qu'il est temps de relancer notre base industrielle et technologique de défense. Pour cela, l'opinion publique doit prendre conscience que notre destin se joue en Ukraine, mais que nous l'avons entre nos mains. Je vous remercie de l'avoir rappelé. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE, ainsi que sur quelques travées des groupes INDEP et UC ; M. Cédric Perrin applaudit également.)
Cyclone Garance à La Réunion (I)
Mme Audrey Bélim . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Au nom de mon groupe, j'adresse nos condoléances et notre soutien aux victimes du cyclone Garance, ainsi que nos remerciements à tous ceux qui aident notre île à se relever.
Avec le dérèglement climatique, les cyclones s'intensifient : Belal, Chido, Garance... Météo-France confirme qu'ils seront de plus en plus forts dans l'océan Indien. Nous sommes-nous adaptés ?
Après Belal, j'avais plaidé pour l'enfouissement du réseau. À quoi bon élaguer les branches lorsque les arbres se couchent ? Il faudra que les 25 % du réseau électrique encore aériens fassent l'objet d'une réflexion si l'enfouissement n'est pas possible.
Après Belal, les fournisseurs d'eau devaient s'équiper de groupes électrogènes. Cela n'a pas encore été fait.
Il y a aussi le sujet des normes. Dans l'est de l'île, 80 % des toits emportés concernent des maisons construites il y a moins de quinze ans. (M. François Bayrou marque son approbation.) Vous avez décrété l'état de catastrophe naturelle, mais le prochain comité interministériel des outre-mer (Ciom) définira-t-il une stratégie à court, moyen et long termes ? Il y va de la protection des populations. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K, ainsi que sur quelques travées du GEST)
M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer . - Nous nous inclinons devant ces cinq vies emportées par le cyclone, cinq vies de trop. J'adresse mes condoléances et mon soutien à tous les Réunionnais.
La mobilisation a été forte sur le terrain, où je serai dès demain. Le ministre de l'intérieur a mobilisé des moyens très importants.
Il faut mieux anticiper, vous avez raison : nous devons travailler avec Sidélec et EDF pour améliorer l'enfouissement du réseau et sauvegarder son intégrité. L'alimentation électrique a aussi un impact sur l'eau potable, qui doit être sécurisée. Il faut lancer une démarche de résilience de l'approvisionnement en eau. Avec la ministre du logement, nous devons mieux analyser l'adaptation de la réglementation à des phénomènes de plus en plus violents.
Nous en tirerons toutes les leçons lors de l'examen de votre proposition de loi, dans quelques instants, et cette question au coeur du prochain Ciom.
Ukraine (II)
M. Pascal Savoldelli . - Trois ans de guerre en Ukraine...
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. - Guerre d'agression !
M. Pascal Savoldelli. - Trois ans d'échec face à l'odieuse agression de Poutine : échec d'avoir cru à la guerre comme unique issue ; échec d'une vision obsolète, celle d'un monde régenté par les États-Unis et où l'Europe est à la remorque. Et pourtant, votre atlantisme sous domination américaine perdure.
Le Gouvernement approuve-t-il le plan von der Leyen pour une économie de guerre et de rationnement ? L'Europe achète encore et toujours des armes américaines... Acceptons-nous que nos armées soient placées sous le commandement d'un général américain obéissant à Trump ? Quand allons-nous enfin sortir de l'Otan ? Le Président de la République, ce soir, fera-t-il le choix de l'escalade militaire ou de la paix et de la sécurité collective ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - L'escalade, ce n'est pas celle des Européens ou des Ukrainiens, mais celle de la Russie ! (Bravos et applaudissements nourris et prolongés sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDSE, du RDPI et du GEST, ainsi que sur plusieurs travées du groupe SER, qui couvrent la voix de l'orateur ; vives protestations sur les travées du groupe CRCE-K)
N'ayons aucune indulgence à l'égard de Vladimir Poutine : assassinats, déportations, crimes de guerre, asphyxie de sa propre économie, désinformation... (Mêmes mouvements) Est-ce que les Européens déportent les enfants de la Russie ? Provoquent-ils la Russie avec une rhétorique nucléaire ?
Mme Cécile Cukierman. - A-t-on dit le contraire ? C'est scandaleux !
M. Jean-Noël Barrot, ministre. - L'agresseur, c'est la Russie de Vladimir Poutine.
Le Premier ministre vient de le dire : la préférence européenne est une priorité française. Tous les pays européens ont pris conscience que notre dépendance vis-à-vis des États-Unis compromet notre indépendance.
Oui, les 800 milliards d'euros de Mme von der Leyen sont une opportunité historique pour développer notre base industrielle de défense européenne. C'est en étant forts et indépendants que nous pourrons défendre notre vision du monde, qui repose sur le droit international et la justice.
Notre objectif n'est pas de sortir de l'Otan.
Mme Silvana Silvani. - Au moins c'est clair !
M. Jean-Noël Barrot, ministre. - Notre objectif, c'est d'y développer nos capacités et notre stratégie, pour assurer notre propre sécurité, en Européens. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDSE, du RDPI, ainsi que sur plusieurs travées du groupe SER et du GEST)
M. Pascal Savoldelli. - Votre réponse est haineuse et fausse. J'ai bien parlé de « l'odieuse agression de Poutine » ! (Applaudissements sur quelques travées) Et je réfute les arguments technocratiques, quand les morts se comptent en dizaines de milliers en Ukraine. Stop : assumez le débat démocratique !
Les marchés applaudissent, les profits s'envolent, on commande des armes avec de la dette publique. Mais les Français ne veulent pas de la guerre ! (Protestations sur plusieurs travées ; Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit.)
Mme Cécile Cukierman. - Exactement !
M. Emmanuel Capus. - Personne ne veut la guerre !
M. Pascal Savoldelli. - Trump propose 500 milliards de dollars pour les terres rares en contrepartie d'une trêve éventuelle. Allons-nous nous aligner sur une telle position ? Nous devons sortir du duo Trump-Poutine, sinon les Ukrainiens n'auront ni la paix ni la souveraineté et notre sécurité n'en sera pas mieux garantie.
Le monde a changé : il est multipolaire. Il faut être aux côtés des Ukrainiens et des Européens. Il faut de vraies négociations de paix, dans un cadre multilatéral : nous voulons une conférence de la paix, pas le bruit des armes ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; protestations et huées sur d'autres travées)
Autoroute A69
Mme Marie-Lise Housseau . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le 27 février dernier, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'autorisation environnementale de l'A69, qui doit relier Castres à Toulouse, au motif que la raison impérative d'intérêt public majeur n'était pas prouvée. (Applaudissements sur les travées du GEST)
Pour les Tarnais, c'est un séisme et un désastre. Le chantier s'arrête à moins de dix mois de la mise en service, alors que 70 % des ouvrages d'art sont réalisés et que plus de 300 millions d'euros ont été dépensés. C'est un désastre social pour les 1 000 ouvriers sur le carreau, un désastre économique pour les entreprises, un désastre écologique et paysager pour les habitants (on ironise sur les travées du GEST), un désastre politique pour tous les élus et un désastre financier pour l'État et le contribuable.
Que va devenir le chantier ? Monsieur le ministre, merci d'avoir fait appel et demandé un sursis à exécution, mais quelles sont les chances de reprise du chantier ?
Ce jugement, qui pourrait faire jurisprudence, est une épée de Damoclès pour tous nos projets d'infrastructures. Ne faudrait-il pas modifier la loi pour que le pays ne soit pas mis sous cloche ? (Bravos et vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; MM. Xavier Iacovelli et Hussein Bourgi applaudissent également.)
M. Philippe Tabarot, ministre chargé des transports . - Ce dossier suscite de vives réactions - c'est un euphémisme. Contrairement à ce que certains ont hurlé hier à l'Assemblée nationale, je ne remets pas en cause l'indépendance de la justice. (Mme Antoinette Guhl et M. Yannick Jadot applaudissent.) Je respecte l'État de droit. Mais je ne me résigne pas à l'insensé et ne suis pas davantage insensible à la situation des 1 000 personnes qui se retrouvent du jour au lendemain sans travail.
L'A69 est le projet d'un territoire qui se bat depuis plus de trois décennies pour son désenclavement. (M. Philippe Folliot le confirme.) La région Occitanie, le département du Tarn, les collectivités territoriales et les entreprises l'attendent. Comment ne pas être stupéfait qu'un projet déclaré d'utilité publique, qui a fait l'objet de six recours rejetés et dont les travaux sont avancés à 70 %, puisse être ainsi arrêté ?
M. Philippe Folliot. - C'est scandaleux !
M. Philippe Tabarot, ministre. - Alors, bien sûr, l'État fera appel et demandera un sursis à exécution, car les travaux doivent reprendre au plus vite.
L'empilement de procédures, qui paralyse notre action publique, est un mal profond. Tous nos projets de demain - routes, voies ferrées - sont menacés. (Marques d'approbation à droite)
Le droit environnemental est essentiel (M. Yannick Jadot ironise), sauf lorsqu'il devient un instrument d'obstruction systématique. (Protestations sur les travées du GEST ; applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; M. Hussein Bourgi applaudit également.)
M. Max Brisson. - Bravo !
M. Philippe Tabarot, ministre. - C'est pourquoi nous simplifierons les procédures, sans renoncer à nos exigences environnementales. L'État de droit doit garantir la sécurité juridique des projets d'intérêt général ; il ne doit pas en être le fossoyeur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; M. Hussein Bourgi applaudit également.)
M. Yannick Jadot. - Alors, supprimez-le !
Mme Marie-Lise Housseau. - Il faut mieux définir la raison impérative d'intérêt public majeur, qui ne doit pas être laissée à la seule appréciation, subjective, du juge administratif. (Protestations sur les travées du GEST) Ou alors, écrivons dans la loi que l'A69 est d'intérêt public majeur ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP ; M. Hussein Bourgi applaudit également.)
Fermeture des usines Michelin de Cholet et Vannes
M. Grégory Blanc . - (Applaudissements sur les travées du GEST) L'inspection du travail reconnaît la détresse psychologique des salariés Michelin de Cholet et Vannes : certains pensent au suicide. Après l'annonce brutale de la fermeture, l'entreprise demande à ses salariés de continuer à produire à des cadences soutenues, pour le même salaire qu'il y a six ans.
En 2024, Michelin a réalisé 3,4 milliards d'euros de résultat opérationnel, mais refuse de lâcher quelques millions pour reconnaître le travail d'une vie. Plus que du mépris, c'est de la maltraitance ! Et les syndicats alertent déjà sur la situation à Montceau-les-Mines et à Troyes.
Licencier pour raison économique quand l'entreprise réalise des bénéfices records est illégal. Comptez-vous faire appliquer la loi ?
J'ai ici le procès-verbal d'une réunion de janvier, qui évoque le démantèlement des machines qui vont être délocalisées. Cela viole la loi Florange. Comment comptez-vous sanctionner et récupérer les aides versées à Michelin ? (Applaudissements sur les travées du GEST, ainsi que sur quelques travées du groupe SER)
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi . - L'annonce des fermetures à Cholet et à Vannes a été un choc. La priorité du Gouvernement, c'est la continuité professionnelle et salariale pour les salariés et la continuité économique pour les territoires.
L'État ne décide pas d'un plan social, mais il s'assure que tout est fait pour la sauvegarde de l'emploi, via un repreneur ou la revitalisation du territoire. La loi Florange impose de rechercher un repreneur pendant la durée de négociation du plan de sauvegarde de l'emploi.
Michelin a prévu 300 millions d'euros pour la reconversion des salariés. (M. Fabien Gay s'exclame.) Toutes les entreprises ne font pas le même effort ! Michelin s'est engagé à créer un emploi dans le territoire pour chaque emploi supprimé et participe à la recherche d'un repreneur.
Le Gouvernement est actif via son réseau de commissaires aux restructurations économiques et travaille avec le cabinet mandaté par l'entreprise pour identifier des repreneurs. France Travail est aux côtés des salariés pour élargir son offre. Nous devons absolument travailler, avec les partenaires sociaux, à la simplification drastique des dispositifs de reconversion.
Mais il nous faut aussi veiller à la compétitivité de nos entreprises. Lors de son audition ici même, le directeur général de Michelin a comparé les structures de coûts en France avec celles des filiales canadienne et allemande... À nous de préserver notre patrimoine industriel. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains et du RDPI)
M. Grégory Blanc. - Délocaliser les machines est illégal. Comment comptez-vous faire respecter la loi ? L'année dernière encore, Michelin alternait temps de travail à plein régime et chômage partiel - c'est nous qui avons payé ! L'année dernière encore, le groupe percevait des aides à l'emploi. Les 1 200 familles de Cholet et de Vannes vous regardent. Pour qu'un Gouvernement dure, il faut poser des actes. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées des groupes SER et CRCE-K)
Ordre international
M. Roger Karoutchi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Au nom du groupe Les Républicains et de tout le Sénat, je veux réaffirmer notre solidarité avec le peuple ukrainien. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées des groupes UC, INDEP et du RDPI)
Monsieur le ministre, n'avez-vous pas le sentiment que les événements en Ukraine sont le révélateur de la fin du système international fondé en 1945, sur deux valeurs : la démocratie et la liberté ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Marie-Arlette Carlotti approuve.)
M. Jacques Grosperrin. - Vous avez quatre heures ! (Sourires)
M. Pascal Savoldelli. - Il n'a rien dit sur Poutine !
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - Merci pour cette excellente question ! (Sourires)
Nous ne savons pas très bien ce que l'avenir nous réserve. (Mme Cécile Cukierman proteste.) Nous assistons au réveil des logiques d'empire, qui foulent aux pieds l'ordre international, fondé sur le droit, que nous avons bâti sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale. Les Nations unies ont été fondées pour écarter le risque de la guerre, sur le principe de l'intangibilité des frontières - sa Charte le rappelle.
Nous retrouvons dans les déclarations de la nouvelle administration américaine les germes de cet impérialisme. (Mme Cécile Cukierman proteste.)
Allons-nous renier cet héritage et rentrer, à notre tour, dans des logiques d'empire ? Non, car nous considérons que seuls le droit et la justice peuvent garantir une paix durable, et que les logiques d'empire nous entraîneraient dans des guerres que nous n'aurions pas choisies.
Mais pour défendre nos intérêts et notre vision du monde, nous n'avons d'autre choix que d'être plus forts, plus indépendants. Si nous restons dans la situation de vassalisation et d'asservissement dans laquelle nous nous sommes laissés enfermer, nous laisserons les empires dicter la loi et n'aurons plus voix au chapitre.
En renforçant l'Europe et la France, nous pouvons infléchir le cours des choses et faire entendre notre voix. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Cécile Cukierman. - Lunaire !
M. Roger Karoutchi. - Où était l'ONU, censée assurer la paix dans le monde, lors de la crise entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan ? Où est-elle pour les Kurdes, pour les chrétiens d'Orient ? Quel jeu ambigu joue-t-elle au Proche-Orient ?
L'ONU a changé de nature. Elle fut fondée par des États majoritairement démocratiques, or les États démocratiques ne sont plus majoritaires dans le monde - et donc à l'ONU. Le système déraille.
Si nous voulons éviter d'autres Ukraine, il faut réformer profondément le fonctionnement de l'ONU. Et l'Europe et l'Occident doivent se réarmer moralement et militairement. La France a un rôle éminent à jouer : elle ne peut se laisser engluer dans des organisations internationales qui ne jouent plus le leur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC, du RDSE et du groupe INDEP)
Une voix à gauche. - Il nous fait du Villepin !
Crise de l'eau en Guadeloupe
Mme Solanges Nadille . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) D'abord, une pensée pour nos amis de La Réunion, frappés par le cyclone Garance.
Les Guadeloupéens pâtissent de coupures d'eau récurrentes. Il y a trois semaines, les agents du Syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe ont entamé une grève, qui s'est muée en conflit autour du paiement des jours de grève. Au plus fort de la crise, la moitié de la population a été privée d'eau.
Les conséquences sont humaines et sanitaires, mais aussi économiques. De nombreux secteurs sont pénalisés et chaque jour de restriction menace l'activité des entreprises et l'emploi de milliers de Guadeloupéens.
Si le droit de grève est légitime, il est inadmissible de prendre en otage les habitants en les privant d'accès à l'eau.
Je salue l'action des collectivités locales qui investissent pour moderniser les infrastructures de production et de distribution d'eau.
La Guadeloupe n'est pas le seul territoire ultramarin où les difficultés, techniques, financières, et de gouvernance, impactent la continuité du service public de l'eau.
Le comité interministériel des outre-mer (Ciom) de juillet 2023 avait acté le renforcement du plan Eau DOM. Où en est-on ? Il n'est plus possible qu'en 2025, nos concitoyens n'aient pas un accès continu à l'eau potable ! (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP)
M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer . - La question de l'eau dans les outre-mer, notamment en Guadeloupe, nous mobilise. C'est l'objet du plan Eau DOM, et ce sera une priorité du prochain Ciom.
Le mouvement de grève lancé voilà trois semaines a donné lieu à des dégradations volontaires qui ont privé d'eau jusqu'à 112 000 habitants, soit 30 % de la population. Je condamne ces méthodes irresponsables. Les auteurs de ces actes de malveillance doivent être identifiés et poursuivis. Je salue les agents non-grévistes qui ont relancé les sites de production, sécurisés par les forces de l'ordre.
Le Syndicat mixte de Guadeloupe fait l'objet d'un contrat d'accompagnement renforcé depuis 2023 ; l'État lui apporte un soutien financier et technique. Les élus ont joué pleinement leur rôle, j'attends que chacun en fasse autant. C'est vital pour les Guadeloupéens. (M. François Patriat applaudit.)
Attentat de Mulhouse
Mme Muriel Jourda . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Monsieur le ministre de l'intérieur, il y a une semaine, un homme mourait poignardé à Mulhouse (murmures à gauche), tandis qu'un autre, étranger, en situation irrégulière était interpellé. Il faisait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF), mais l'Algérie a refusé de reprendre cet individu à plusieurs reprises. C'est un fait divers, peut-être, mais ce fait divers se reproduit si souvent que cela en devient un phénomène attentant à la sécurité des Français et à nos relations avec l'Algérie.
Monsieur le ministre, qu'entendez-vous faire pour assurer la sécurité des Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, M. Franck Menonville applaudit également.)
M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur . - Une évidence : si l'Algérie avait respecté le droit, nos accords et ses obligations, il n'y aurait pas eu d'attentat à Mulhouse ni de victimes.
Une certitude : malgré des approches différentes sur les relations entre nos deux pays, si nous pouvons nous retrouver sur un point, c'est bien la sécurité de nos compatriotes. La sécurité est ma priorité en tant que ministre de l'intérieur.
Enfin, ma réponse : quelque 43 % des personnes retenues dans les centres de rétention administrative (CRA) sont de nationalité algérienne. Celles-ci seront libérées pour la majorité au bout de quatre-vingt-dix jours en l'absence de laissez-passer consulaire. C'est pourquoi le comité interministériel de contrôle de l'immigration, présidé par le Premier ministre, a adopté des réponses graduées vis-à-vis des autorités algériennes.
Je l'ai souvent répété : à titre personnel, j'estime que nous ne devons pas écarter la discussion sur l'accord de 1968, ...
M. Jacques Grosperrin. - Très bien !
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - ... car celui-ci procure des avantages aujourd'hui injustifiés, alors que l'Algérie ne respecte pas l'accord de 1994.
Il faut protéger tous les Français, y compris Boualem Sansal. Que lui reproche-t-on ? D'avoir choisi un avocat français, juif ?
Une voix au centre. - C'est une honte !
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - Que lui reproche-t-on ? D'être un amoureux de la langue française ? De trop aimer la France ? On veut le faire taire ? Nous ne nous tairons pas ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et sur quelques travées du groupe INDEP)
Mme Muriel Jourda. - L'État doit la sécurité à chaque citoyen français. Vous en êtes convaincu. Puissiez-vous convaincre le Président de la République comme vous avez convaincu le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Alain Cazabonne applaudit également.)
Ukraine (III)
Mme Hélène Conway-Mouret . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Georges Berthoin, dont je voulais évoquer la mémoire en ces heures sombres, a participé à la création du traité créant la Communauté européenne de défense (CED) avec Jean Monnet. Plus tard, il admit être heureux que ce projet n'ait pas abouti : certes, le volet militaire était prêt, mais pas le volet politique.
Aujourd'hui, c'est l'inverse : le sommet de Londres et le Conseil européen qui se tiendra demain illustrent une volonté politique susceptible de donner corps au projet de défense européenne.
Reste néanmoins le volet militaire : les achats hors Union européenne représentent plus de 80 % du budget militaire des États membres ; les États-Unis fournissent 63 % des commandes européennes.
L'industrie européenne de défense souffre de faiblesses structurelles. Les coûts de production sont bien plus élevés en Europe.
Dès lors, à qui bénéficieront les 800 milliards d'euros d'investissements évoqués par la présidente de la Commission européenne ? Nous n'avons ni les chaînes de montage ni le personnel. Doubler le budget des armées sans renforcer les ressources humaines du secteur n'aurait aucun sens. À qui l'Union européenne achètera-t-elle le matériel dans les mois à venir ? À Israël, à la Turquie ou à la Corée du Sud ? (M. Philippe Folliot applaudit.)
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées . - En quatre ou cinq ans, la part des armes françaises vendues en Europe a largement augmenté : en 2024, cela représente 10 milliards d'euros pour des exportations s'élevant au total à 18 milliards d'euros.
La situation politique de la Corée du Sud n'a pas rassuré les capitales européennes et les lignes de production américaines ne sont pas passées en économie de guerre. Surtout, le réarmement américain profitera à l'industrie américaine.
Les capitales européennes n'ont plus le choix : si elles veulent vraiment se réarmer, elles devront acheter au sein d'une base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne.
Je ne serai pas aussi catégorique que vous : certes, nos capacités de production ont diminué, mais nous avons préservé les ressources humaines. L'aide octroyée à l'Ukraine nous a permis de renforcer la production de munitions simples. Toutefois, le vrai segment critique concerne les munitions complexes, à l'instar du futur missile Aster 30 B1NT.
L'économie de guerre fonctionne : entre 2026 et 2030, les industries françaises pourront absorber 7 milliards d'euros de commandes nouvelles en matière de munitions. Les effets de l'économie de guerre se font sentir, les commandes doivent suivre. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Hélène Conway-Mouret. - Ces chiffres sont rassurants, même s'ils restent insuffisants. Les Ukrainiens n'ont plus le temps d'attendre. (M. Rachid Temal applaudit.)
Zéro artificialisation nette
M. Jean-Baptiste Blanc . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Guislain Cambier applaudit également.) Le Zéro artificialisation nette (ZAN) : quatre ans d'incompréhensions et de discorde.
Avec Guislain Cambier, Amel Gacquerre, Jean-Marc Boyer, Hervé Maurey à mes côtés, le Sénat se bat pour contrecarrer la logique planificatrice et dirigiste des gouvernements successifs. Depuis quatre ans, nous essayons de concilier sobriété foncière et accompagnement des élus.
Mais nous sommes las : une note de Matignon laisse à penser que l'État reviendra, encore une fois, sur sa parole.
M. Jean-François Husson. - Impossible !
M. Jean-Baptiste Blanc. - L'État veut maintenir des industries dans les territoires, mais refuse de prendre à son compte la consommation foncière qui en résulte. Il prétend être aux côtés des maires, mais ne fait rien pour que les préfets tiennent compte de la loi votée par le Parlement. Il annonce vouloir territorialiser, mais maintient la date couperet de 2034 pour l'application du ZAN à toutes les communes. Il veut plus de logements sociaux, mais continue de priver les communes de leur pouvoir d'agir sur le foncier.
Ma question est simple, monsieur le ministre : peut-on enfin vous faire confiance, alors que la proposition de loi Trace sera examinée au Sénat la semaine prochaine ? On trace ou on ne trace pas ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mme Mireille Jouve et M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent également.)
M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation . - Traçons notre chemin ensemble : nous en aurons l'occasion lors de l'examen de la proposition de loi que vous avez déposée avec M. Cambier, la semaine prochaine.
Une remarque, en préambule : avec le ZAN, nous avons choisi une approche descendante - c'est une habitude dans notre pays. Je pense au contraire qu'il faut partir des territoires. C'est du bon sens. (Applaudissements sur quelques travées des groupes Les Républicains et UC)
C'est ce que nous faisons en essayant d'assouplir les dispositions en vigueur, en tenant compte des remarques de chacun.
L'objectif de sobriété foncière est déjà au coeur de l'action des élus de terrain, qui, depuis longtemps, préservent leur territoire d'une trop grande artificialisation.
J'ai proposé de décaler l'échéance, en prenant pour date de référence non pas 2021, mais 2024. La situation est complexe, car certaines régions n'ont pas encore mis en place leur Sraddet.
Je sais que vous n'y êtes pas favorable, mais je propose de conserver dans la loi une disposition tendant à vérifier que le dispositif a bien été respecté en 2034.
Votre objectif est le même que tous les maires de France : la sobriété foncière. (M. François Patriat applaudit.)
M. Jean-Baptiste Blanc. - Dont acte, mais j'espère que c'est vous - et non votre administration - qui l'emporterez. (Applaudissements et « Bravos ! » sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Cédric Chevalier applaudit également.)
Je remercie Matignon d'avoir demandé à Bercy de nous aider à chiffrer des propositions financières et fiscales sur le ZAN. C'est pour cela qu'il nous faut voter la proposition de loi Trace. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Pierre-Antoine Levi applaudit également.)
Tarif d'achat de l'électricité photovoltaïque
M. Claude Kern . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Au Sénat, le 20 janvier dernier, le Gouvernement évoquait son intention de rationaliser son soutien aux énergies renouvelables, notamment vers les installations photovoltaïques les plus efficaces.
Depuis, un projet de révision de l'arrêté tarifaire nous alerte. Si je comprends la nécessité de réduire la dépense publique, ce changement abrupt de cap heurterait de plein fouet des initiatives vertueuses menées au niveau local. S'appuyer sur des leviers citoyens est formidable. (M. Jacques Fernique applaudit.) Nos voisins européens l'ont bien compris : l'Allemagne et les Pays-Bas, notamment.
Nous sommes le mauvais élève de l'Europe pour le photovoltaïque. La suppression du segment de 100 à 500 kilowatt-crête (kWc) risque d'aggraver notre retard, mais aussi d'exposer le pays à des sanctions financières.
Allez-vous revenir sur cette décision contraire à nos objectifs de décarbonation ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du GEST, ainsi que sur quelques travées du groupe SER)
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire . - Premièrement, l'État soutient le photovoltaïque depuis de nombreuses années. Depuis octobre 2021, l'arrêté que vous citez est un succès. En janvier dernier, nous avons atteint près d'un gigawatt de demande de contrat sur le segment que vous évoquez, soit la moitié de l'objectif annuel. Nous constatons un véritable emballement.
M. Yannick Jadot. - Cela s'appelle un succès !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. - Cela nous conduit à ajuster le soutien de l'État.
Il ne sert à rien de produire ce qui ne peut être consommé ; les prix négatifs en sont une illustration.
Deuxièmement, vous évoquez un changement brutal : ce constat n'est pas partagé par les filières, qui ont été consultées. Le tarif proposé - 95 euros par mégawattheure - est compatible avec son développement.
Troisièmement, la filière elle-même a proposé des dispositions alternatives pour résoudre ce problème - un appel d'offres simplifié, entre autres. Les discussions continueront demain au sein du Conseil supérieur de l'énergie (CSE).
Nous poursuivrons le dialogue pour que le développement du photovoltaïque, auquel nous sommes très attachés, soit compatible avec les besoins énergétiques du pays.
M. Claude Kern. - De nombreux comités de citoyens se sont créés et de nombreux projets en cours risquent d'être abandonnés. Espérons que les discussions iront dans le bon sens ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP et du GEST)
Cyclone Garance à La Réunion (II)
Mme Viviane Malet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le cyclone Garance a fait cinq morts à La Réunion : avec mon groupe, j'adresse tout notre soutien à leurs familles. Aux centaines de familles sinistrées, nous exprimons notre solidarité. Je salue l'action de nos élus, des pompiers et des soignants, ainsi que de tous les agents qui ont contribué à secourir la population.
Après la dévastation de l'archipel mahorais, La Réunion est à son tour durement éprouvée : 21 pylônes de très haute tension à terre, des familles sans toit, 30 000 foyers toujours privés d'eau. Des commerces, des entreprises et des bâtiments publics sont fortement endommagés. La production agricole est totalement détruite, alors que les aides liées au cyclone Belal tardent encore à être versées. Le CHU a été inondé, dans un contexte où le risque d'épidémies est réel.
Monsieur le ministre d'État, vous serez sur l'île à compter de demain. Outre la mobilisation du fonds Barnier et la déclaration d'état de catastrophe naturelle et de calamité agricole, annoncerez-vous des mesures exceptionnelles pour aider les familles, soulager les entreprises et accompagner les collectivités ? Comment comptez-vous renforcer la prévention et l'anticipation des risques climatiques ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer . - Vous avez raison de saluer la mobilisation de tous, services de l'État comme collectivités. Les effectifs engagés sont importants : 900 personnels des forces de sécurité, 245 personnels de secours et, depuis hier, 100 personnels de la sécurité civile, dépêchés sur place à la demande du ministre de l'intérieur.
Je suis particulièrement attentif à la restauration de l'accès à l'électricité, à l'eau potable et aux réseaux de télécommunications sur l'ensemble de l'île.
Je me rends sur place dès ce soir. Nous dresserons un état des lieux précis des actions prioritaires pour soutenir les sinistrés et lancer la reconstruction.
La procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle est en cours ; elle devrait aboutir en urgence avant la fin de la semaine.
La situation des agriculteurs, dont la production a été anéantie, doit être examinée avec attention et rapidement. La direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Daaf) et le préfet travaillent à la reconnaissance de calamité agricole. Je veillerai au versement rapide des indemnisations.
Je compléterai ces annonces sur place. Nous répondrons le plus vite possible à l'attente, forte, de nos compatriotes réunionnais.
Fusillade en Avignon
M. Lucien Stanzione . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Avignon mitraillée, Avignon meurtrie, Avignon terrorisée. (Sensation) Ce dimanche, une nouvelle fusillade a éclaté dans la cité des Papes, deux semaines après celle du quartier Saint-Chamand. La mécanique implacable continue de broyer des vies.
Comment ne pas penser au capitaine de police Éric Masson, assassiné en pleine ville sur un point de deal ? Trois ans plus tard, la situation a empiré : la délinquance s'affirme, les deuils se multiplient, la peur paralyse les habitants.
À Grenoble ou à Dijon, on brûle des bibliothèques en représailles contre les pouvoirs publics. En Avignon, on tire pour intimider et contrôler : l'an dernier, six narchomicides ont été commis, alors que les guerres de territoire s'intensifient.
Monsieur le ministre, vous avez intégré Avignon au dispositif des villes à sécurité renforcée ; je salue cette décision.
Il faut tirer les leçons des échecs passés. Gérald Darmanin multipliait les opérations spectaculaires, censées faire place nette. Mais une place nette sans projet, c'est une place vide, perdue pour notre République. À Saint-Chamand, Monclar ou La Rocade, combien de services publics, de centres sociaux et d'associations ont été laissés à l'abandon ? Or un quartier abandonné se remplit d'autres lois que celles de la République.
Nous avons besoin d'un État qui protège, d'une police formée et dotée de moyens suffisants, d'une justice efficace et juste. Je salue le travail du préfet Thierry Suquet, des forces de l'ordre et des acteurs de terrain menés par la maire Cécile Helle, qui tentent de ralentir cette spirale avec des moyens contraints.
Quels moyens durables allez-vous mettre en place en Avignon ? Nous vous attendons sur place dans les prochains jours. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Olivier Cadic applaudit également.)
M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur . - Je vous remercie d'avoir rendu hommage au capitaine Éric Masson, dont la compagne était enceinte lorsqu'il a été tué.
En Avignon comme dans d'autres grandes villes, nous menons une lutte acharnée contre les trafiquants de drogue. La réponse durable de l'État, ce sera le vote de la proposition de loi de MM. Blanc et Durain dans quelques jours, j'espère, à l'Assemblée nationale.
Sans attendre, nous avons défini une nouvelle stratégie, globale, expérimentée à Grenoble et en Avignon : les coups de filet sont préparés avec l'autorité judiciaire, notamment en matière de renseignement ; nous occupons l'espace public et les transports et menons des fouilles ; nous tapons les narcotrafiquants au portefeuille en visant le système des blanchisseuses et en menant des enquêtes patrimoniales.
Mme Nathalie Goulet. - Bien !
M. Bruno Retailleau, ministre d'État. - Les premiers résultats sont visibles : 200 trafiquants interpellés, 30 kg de cannabis, 5 kg de cocaïne et 5 kg de kétamine saisis, 230 amendes forfaitaires délictuelles délivrées.
Nous continuerons de combattre les narcoracailles pied à pied. J'espère pouvoir vous dire un jour : Avignon libérée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Daniel Chasseing et Jean-Baptiste Lemoyne applaudissent également.)
Avenir du Nutriscore
M. Jean-Claude Anglars . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) En 2017, la France a commencé l'expérimentation du Nutriscore, censé indiquer la qualité nutritionnelle des aliments.
Cet étiquetage est contesté, car défavorable aux produits traditionnels, comme le fromage au lait cru et la charcuterie. Il soulève de nombreuses craintes au sein de nos filières de qualité.
En 2020, la Commission européenne a envisagé de rendre ce système obligatoire. Il y a quelques jours, le retrait de l'obligation a été voté, la France s'abstenant. Cet abandon est heureux, car l'obligation aurait fragilisé les filières de qualité.
Au lendemain du Salon de l'agriculture et du concours général agricole et alors que nous célébrons les cent ans de l'AOP Roquefort (exclamations amusées sur de nombreuses travées), la plus ancienne de France, je rappelle que la filière roquefort a été la première à dénoncer les incohérences et dangers du Nutriscore.
Quel est l'avenir de l'étiquetage nutritionnel dans notre pays ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Marc Laménie et Cédric Chevalier applaudissent également.)
Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire . - Quand le Nutriscore a été mis en place, on pensait que toute l'Europe s'en emparerait. En réalité, seuls sept pays l'ont adopté.
La filière roquefort a été la première à souligner les problèmes causés par cet étiquetage.
L'intention de départ était bonne : il est souhaitable de renseigner le consommateur sur la qualité nutritionnelle des produits. Le problème pour le roquefort, chez vous, le comté, chez moi, ou pour toutes les magnifiques salaisons françaises, c'est que le classement de ces produits remarquables était très mauvais, car jugés trop gras, parfois trop sucrés.
Mme Raymonde Poncet Monge. - C'est la réalité !
Mme Annie Genevard, ministre. - Ce système pose donc des problèmes à des filières de grande qualité.
Quand, en 2020, la Commission européenne a voulu rendre obligatoire cet étiquetage, la France a voté non. En 2023, l'algorithme a été revu, mais les effets négatifs du système n'ont pas été corrigés. Pis, le lait a été classé dans les boissons, ce qui lui a fait perdre le bénéfice de sa note A - c'est, à mon sens, proprement scandaleux.
D'un côté, nos politiques encouragent la consommation de produits laitiers : deux par jour pour les adultes, trois à quatre pour les enfants. De l'autre, on laisse entendre que ces produits ne seraient pas très bons. Il y a donc un problème.
M. le président. - Il faut conclure.
Mme Annie Genevard, ministre. - La décision a été prise il y a plus d'un an : l'arrêté est à ma signature, et je ne sais pas quelles sont mes marges de manoeuvre pour en corriger les effets négatifs. Je m'y intéresse de très près. Cela étant (marques d'amusement sur de nombreuses travées), les consommateurs apprécient le Nutriscore ; il faut en tenir compte aussi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC)
M. Bernard Jomier. - Tout de même !
Filière photovoltaïque
M. Stéphane Piednoir . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis plusieurs années, nos orientations en matière énergétique sont sinueuses, pour ne pas dire branchées sur courant alternatif...
Avec sa récente formule « plug, baby, plug », le Président de la République a laissé entrevoir une trajectoire un peu plus rectiligne vers une électrification des usages. Mais l'éclipse totale de la programmation pluriannuelle que nous réclamons depuis deux ans se poursuit.
Notre électricité est à 95 % décarbonée, grâce au nucléaire bien sûr, mais aussi à des installations photovoltaïques intégrées aux bâtiments et qui ne dénaturent donc pas les sols. Je pense en particulier aux installations de moins de 500 kWc, dites S21. Nombre de projets sont déjà lancés, par des collectivités, des particuliers ou des agriculteurs.
Mais les professionnels de la filière craignent un nouveau court-circuit général : le Gouvernement s'apprêterait, par décret, à mettre un terme brutal aux aides à ces petites installations. Quelles sont vos intentions ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC)
M. Jean-François Longeot. - Bravo !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire . - L'État soutient depuis plusieurs années le développement du photovoltaïque, notamment sur les toitures. Mais toute politique doit être budgétairement soutenable.
Or les installations photovoltaïques sur toiture coûtent deux fois plus cher que les installations au sol. C'est pourquoi nous souhaitons recentrer le soutien sur les installations les plus performantes.
L'arrêté tarifaire en vigueur depuis 2021 a donné lieu à une demande très forte : 1 gigawatt en janvier dernier, soit la moitié de l'objectif annuel.
Un ajustement est en cours, dans deux directions : pour les plus petites installations, nous favoriserons l'autoconsommation ; pour les injections sur le réseau, nous orientons le soutien vers les installations de plus grande puissance, économiquement viables. L'électricité ne se stocke pas, et il n'est pas du tout vertueux d'en produire plus qu'on ne peut en consommer.
Un arrêté sur le photovoltaïque au sol sera publié avant la fin du mois pour favoriser la performance et la diversification. L'État soutient le photovoltaïque, en favorisant l'autoconsommation et en orientant les aides vers les solutions les plus efficaces. Les contrats en cours ne seront pas concernés par ces modifications.
M. Stéphane Piednoir. - Certains contrats non encore signés sont déjà bien engagés, sur la base des aides actuelles. Les acteurs de la filière ne sont pas contre une évolution des règles du jeu, mais dénoncent la brutalité de ce changement et les modifications réglementaires incessantes. Plus de 60 000 emplois locaux sont en jeu, du maçon au poseur. Ne fragilisons pas toute cette filière par une mesure brutale ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP et du GEST)
La séance est suspendue à 16 h 25.
Présidence de M. Alain Marc, vice-président
La séance reprend à 16 h 35.
Renforcer le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à lutter contre la vie chère en renforçant le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer, présentée par M. Victorin Lurel et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe SER.
Conformément à l'article 74 de la Constitution ainsi qu'aux articles L.O. 6213-3, L.O. 6313-3 et L.O. 6413-3 du code général des collectivités territoriales, le Sénat a consulté les conseils territoriaux de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon et l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna sur cette proposition de loi.
Dans sa délibération du 24 février 2025, le conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon a émis un avis favorable sur ce texte.
Discussion générale
M. Victorin Lurel, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; M. Marc Laménie applaudit également.) Je remercie le président Kanner qui a accepté de consacrer notre espace réservé entièrement à l'outre-mer ; c'est un beau symbole.
Ces deux textes posent la même question : quels outils nouveaux pour lutter contre la vie chère ? Le combat pour le pouvoir d'achat est au fondement de mon action politique. En 2012, j'ai tenu à ce que le premier texte présenté par la gauche revenue au pouvoir concerne la régulation économique outre-mer. Injonctions structurelles, réglementation des marchés de gros, interdiction des accords d'exclusivité d'importation et de distribution, renforcement des pouvoirs de l'Autorité de la concurrence (ADLC), décret carburant, création des boucliers qualité prix : nous avons agi vite et puissamment. Redevenu député, sur demande de Manuel Valls, alors Premier ministre, j'ai été rapporteur d'une loi Égalité réelle complétant la loi de 2012, en synergie avec mon homologue, Mathieu Darnaud.
En 2025, les structures de marché n'ont que trop peu évolué : l'opacité perdure, les rentes persistent, les concentrations demeurent. Loin de verser dans l'accusatoire ou le déclaratoire, je souhaite répondre à une urgence, celle de la salubrité économique, en intensifiant la pression concurrentielle, seule solution pour que les prix baissent réellement.
Sans dogmatisme, je crois pouvoir dire que nous avons bien travaillé avec Mme le rapporteur : notre dialogue compétitif, si j'ose dire (sourires), nous a ouvert la voie d'un compromis autour d'un texte équilibré, pouvant recueillir l'agrément de notre assemblée.
Mais je suis convaincu que nous devons aller plus loin. Je présenterai cinq amendements pour cranter de nouvelles avancées, dont trois mesures fortes en particulier : plafonner les marges arrière, sécuriser les commerçants locaux face aux oligopoles qui contournent la loi de 2012 et intégrer les outre-mer dans les conditions générales de vente (CGV).
Monsieur le ministre d'État, vous avez érigé la lutte contre la vie chère en priorité. Hier était mise en oeuvre la TVA à 0 % pour les 69 familles de produits de grande consommation en Martinique, à la suite du protocole signé avec l'État. Merci de veiller au déploiement de toutes les mesures du protocole et surtout d'encourager une symétrie territoriale pour préserver le marché unique antillais, en demandant au président du conseil régional de Guadeloupe d'agir en faveur du pouvoir d'achat.
Vos mots sont forts, vos engagements fermes, une nouvelle volonté s'affirme. Qu'elle se traduise en actes ! Vous voulez, vous pouvez, vous devez donc agir. Obtenez un renforcement des moyens de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), approfondissez les outils de contrôle de l'ADLC, réformez les décrets carburant. Nous devons tous nous saisir des outils à notre disposition : État, collectivités, citoyens, consommateurs et Parlement.
Je regrette que le travail que j'ai effectué depuis 2017 ait été remisé dans les tiroirs, et soumis à la critique rongeuse des souris... (Sourires)
Nos peuples sont en attente de mesures fortes. Cette discussion peut utilement alimenter une nouvelle grande loi contre la vie chère soutenue par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur de la commission des affaires économiques . - (Mme Dominique Estrosi Sassone applaudit.) Je suis fière d'avoir été désignée rapporteur sur ce texte, qui m'a fait découvrir le fléau de la vie chère de nos compatriotes d'outre-mer. Je comprends désormais leurs mobilisations récurrentes. Je remercie Victorin Lurel d'avoir partagé ses connaissances ; de notre travail conjoint - de nos disputes conjointes (sourires) - est sorti un texte consensuel, largement adopté par la commission.
Nos 2,8 millions de compatriotes ultramarins subissent des prix plus élevés de 9 % à 21 % ; pour les produits alimentaires, c'est 30 % à 70 % de plus qu'en métropole. Les causes sont identifiées : la production locale étant faible, on recoure massivement aux importations depuis l'Hexagone ou l'étranger - mais en l'absence d'accords de libre-échange, les produits étrangers doivent préalablement passer par le territoire métropolitain. Les importations depuis l'Hexagone impliquent des coûts de transport élevés, auxquels s'ajoute une taxe spécifique - l'octroi de mer - l'étroitesse des marchés qui empêche les économies d'échelle, la rigidité des coûts du travail. Peu d'entreprises peuvent s'y maintenir, si bien que des oligopoles ou des monopoles se forment, ouvrant la voie à un gonflement des marges, la clientèle étant captive.
À l'article 1er, nous avons trouvé un compromis avec l'auteur du texte : le préfet pourra demander au président du tribunal de commerce d'enjoindre aux dirigeants défaillants de publier leurs comptes au tribunal de commerce sous astreinte - je vous proposerai de la préciser.
À l'article 2, nous autorisons les observatoires des marges, des prix et des revenus (OPMR) à saisir les agents de la DGCCRF et les départements d'outre-mer à saisir l'ADLC.
Le réel problème réside moins dans la transmission de documents par des entreprises que dans la communication par les services de l'État des informations déjà obtenues. Cela nuit à la transparence et à la compréhension de la structure des marges.
Les groupes mutualisent leurs coûts d'approche, maîtrisent le coût financier et foncier. Cela empêche l'émergence d'opérateurs alternatifs. Ces grands groupes sont donc des passages obligés. Réfléchissons ensemble à des solutions acceptables pour toutes les parties. Certains amendements proposent des avancées significatives, telles que l'uniformisation des CGV entre fournisseurs et distributeurs ou l'exclusion des frais d'approche du seuil de vente à perte.
Notre commission sera attentive à toute mesure permettant d'améliorer la situation des outre-mer.
Les territoires d'outre-mer ont besoin de vous, monsieur le ministre, pour transformer leur économie : concurrence renforcée, réduction des rigidités du marché, amélioration du paiement des petites entreprises, modernisation des ports et infrastructures énergétiques, développement de l'agriculture locale, intégration régionale. L'exode des talents pénalise ces territoires ; rendons-les attractifs, pour maintenir nos forces vives. (MM. Marc Laménie, Victorin Lurel et Lucien Stanzione applaudissent, ainsi que Mme Dominique Estrosi Sassone.)
M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer . - « L'histoire des outre-mer dans la République est celle d'une longue marche vers l'égalité, vers l'égalité réelle. » Ces mots sont de Victorin Lurel, alors ministre des outre-mer, présentant au Sénat son projet de loi, le 26 septembre 2012. Treize ans plus tard, cette marche n'est pas terminée, mais Victorin Lurel et d'autres l'ont fait avancer - je pense en particulier au bouclier qualité prix (BQP).
La lutte contre la vie chère est une priorité de mon action. L'écart de prix entre outre-mer et Hexagone est de 15 % en moyenne ; pour les produits alimentaires, il dépasse les 40 %. C'est insoutenable. Cette fracture sociale crée un sentiment d'inégalité et met en péril la cohésion de la nation. Il nous faut un plan de bataille structuré, sérieux, crédible, qui s'attaque à tous les facteurs.
Ce plan tient en cinq mots. Concurrence, d'abord. Oui, le partage et la chaîne de valeur outre-mer ne sont pas équitables ; les grands groupes, performants, étouffent l'économie et les populations. Pour y mettre un terme, je ne crois pas seulement à la bonne volonté des acteurs ; je veux renforcer les moyens de l'ADLC et créer un service d'instruction spécialisé pour les outre-mer, renforcer les moyens de la DGCCRF, augmenter les saisines possibles de l'Autorité de la concurrence - nous soutenons cette proposition à l'article 2.
Transparence, ensuite. Trop d'entreprises ne respectent pas l'obligation de publication des comptes. L'article 1er est une avancée.
Autre mot, l'exigence. Les efforts doivent être partagés. La réforme de l'octroi de mer doit être mise sur la table. Je me rendrai aux Antilles mi-mars ; nous aborderons ce sujet. Nous avons avancé. La promulgation de la loi de finances permet d'appliquer une TVA à taux 0 % pour les produits de première nécessité. J'ai demandé à l'Inspection générale des finances de travailler sur un mécanisme permettant d'abaisser les frais d'approche - ce ne sera pas du copié collé. Les distributeurs, enfin, ont déjà réalisé un effort sur leurs marges, mais les marges arrière ajoutent à l'opacité.
Quatrième mot, la renaissance. Mon projet est celui d'une transformation économique. Les économies ultramarines souffrent des stigmates de la colonisation : pour sortir d'une économie de comptoir, il faut rompre avec la dépendance aux importations, favoriser la production locale et l'autonomie alimentaire.
Cinquième mot, le bon sens. Limitons les importations de l'Union européenne ou de l'Hexagone, très coûteuses, au strict indispensable. Mayotte, en plein ramadan, a besoin notamment de bananes - or il est difficile d'en importer des pays voisins. Les normes doivent être adaptées à la réalité des sociétés ultramarines ; nous en débattrons autour de la proposition de loi d'Audrey Bélim. Je remercie le groupe SER, et son président, d'avoir consacré son espace réservé aux outre-mer. Je salue les travaux en cours de la délégation aux outre-mer, présidée par Micheline Jacques, qui a déposé une proposition de loi. Il faudra faire converger toutes ces initiatives. Comptez sur ma détermination. Je suis attendu sur les actes, je le sais.
Il y a ce qui relève des réalités économiques, mais aussi ce qui relève de la tromperie et de l'abus de position dominante. En la matière, il faut être intraitable. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe SER)
M. Marc Laménie . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) À La Réunion, en Guadeloupe et en Martinique, les manifestations contre la vie chère sont légitimes, même si nous condamnons les violences. Les prix y sont bien plus élevés outre-mer que dans l'Hexagone. Cela touche tous les secteurs : outre le logement, les soins coûtent 17 % plus cher que dans l'Hexagone, l'alimentation 50 %, les communications jusqu'à 35 % ; le panier alimentaire moyen est 46 % plus cher à La Réunion. Or le niveau de pauvreté est aussi plus élevé. Les écarts ne cessent de se creuser sous l'effet de l'inflation. L'étroitesse des marchés, l'éloignement géographique, les productions limitées expliquent cette situation.
Des solutions existent. La possibilité accordée aux collectivités d'outre-mer de déroger aux marquages CE dans le domaine de la construction est bienvenue. Je pense aussi aux outils définis en 2012 à l'initiative de Victorin Lurel, comme le bouclier qualité-prix.
Ce texte obligeait certaines entreprises à transmettre leur comptabilité analytique annuelle. Cette procédure trop lourde aurait pu dissuader des entreprises de s'implanter. Nous soutenons donc le choix de la commission, qui offre la possibilité aux préfets de demander une injonction à l'encontre des entreprises fautives.
Une réflexion plus globale sera néanmoins nécessaire, même si ce texte pose déjà des questions essentielles. Sous réserve des modifications en cours d'examen, nous le voterons. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, SER et RDSE)
Mme Annick Petrus . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie Victorin Lurel et le groupe SER de permettre ce débat sur la vie chère en outre-mer, où le coût de la vie est en moyenne plus élevé de 40 %.
Ce texte apporte des avancées en stimulant la concurrence et en améliorant la transparence. Mais comment activer ces deux leviers essentiels si les marchandises peinent à arriver à destination ou si les coûts logistiques sont insoutenables ?
À Saint-Martin, victime de la double insularité, les coûts logistiques font grimper les prix. Avec la suppression de certaines dessertes maritimes directes, nous sommes encore plus dépendants des plateformes portuaires régionales. Les commerçants locaux, déjà confrontés à la concurrence de la partie néerlandaise de l'île, subissent de plein fouet les retards de livraison. Un container retardé, c'est tout un stock qui manque en rayon.
Cela met en péril la rentabilité des restaurateurs ou des artisans et affecte le pouvoir d'achat.
Nous devons sortir d'une dépendance excessive aux routes d'importation traditionnelles et mieux intégrer nos territoires au circuit économique de la Caraïbe, par une meilleure coopération avec les îles voisines qui pourraient devenir des plateformes logistiques stratégiques et ainsi diversifier nos sources d'approvisionnement.
Nous devons renforcer notre partenariat avec les acteurs régionaux du commerce et du transport pour ne pas être dépendants des grands groupes. Saint-Martin doit tirer parti de sa géographie et s'ouvrir sur le reste de la région.
Mais nous devons rester lucides. Les mécanismes de régulation économique ne produiront pas leurs effets si les coûts de transport continuent de s'envoler. Il faut un cadre de régulation des armateurs.
L'État doit aussi surveiller les coûts du fret maritime. Il est vital que les biens essentiels arrivent vers nos territoires. Nous ne devons pas être à la merci de décisions lointaines.
Cette proposition de loi est une avancée, mais sans logistique fiable, il n'y aura ni concurrence ni perspective. Nous ne pouvons rester spectateurs des bouleversements du commerce maritime. Nous devons agir pour que la régulation maritime devienne une réalité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP, du GEST et du RDSE ; M. Lucien Stanzione applaudit également.)
M. Teva Rohfritsch . - L'écho de la vie chère traverse les décennies et les océans. Il y a plus de quarante ans, les premières contestations dénonçaient les prix plus élevés qu'en métropole - en Polynésie française, c'est 50 % de plus. Les rapports pointaient déjà la concentration économique et les marges exorbitantes. Les causes sont connues, comme l'étroitesse des marchés ou l'éclatement des chaînes de valeur, qui conduisent à des monopoles et des oligopoles.
Depuis la crise économique de 2009, des jalons ont été posés par les lois de 2012 et de 2017, des avancées ont eu lieu. Nous tentons de régler le problème des prix et des marges depuis longtemps, mais vivre dignement reste un combat quotidien dans les outre-mer.
La proposition de loi prévoit des outils supplémentaires. Mais ce sont des mesures encore trop isolées, qui ne pourront régler le problème. Un sursaut est nécessaire ; il ne peut être que collectif.
Le problème de la vie chère appelle une réponse globale. Nous avons besoin d'un engagement ferme et d'une vision renouvelée. Ce sursaut doit passer par des mesures de régulation économique, mais aussi par des mesures sur l'emploi, la jeunesse, l'aménagement du territoire et la fiscalité énergétique.
Ce sursaut passe aussi par le dépassement d'une vision simpliste, binaire - départements et régions d'outre-mer (Drom) contre collectivités d'outre-mer (COM) - mais je prêche des convaincus...
Je suis corapporteur d'une mission sur la vie chère menée sous la direction de la présidente de la délégation aux outre-mer : nous formulerons le mois prochain des propositions pour agir contre ce fléau. Nos territoires français des trois océans s'épuisent d'être chéris dans les discours, mais trop peu considérés dans les faits. Monsieur le ministre, nous aurons besoin de vous.
La Polynésie française combat ces maux, mais l'État doit l'accompagner. La précarité nourrit une désaffection à l'égard de l'État et des discours politiques qui divisent au lieu de rassembler.
La vie chère est une bombe à retardement que nous devons désamorcer.
J'appelle à une prise de conscience collective : mobilisons toutes les forces vives, dépassons les postures politiciennes. Ne laissons pas la vie chère éroder le lien précieux qui nous unit au sein de la République.
Le RDPI, dans sa grande majorité, se prononcera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Georges Patient applaudit également.)
M. Jean-Marc Ruel . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) J'adresse au nom des Saint-Pierre-et-Miquelonnais et du RDSE notre soutien aux victimes du cyclone Garance, ainsi qu'aux Réunionnais : nous sommes de tout coeur avec eux.
Deux propositions de loi sur les outre-mer, c'est une bonne nouvelle, mais le timing est malheureux : en période de jours gras, quand on sait l'importance du carnaval dans nos territoires ! Certains de nos collègues brûlent le roi Vaval au soleil ; à Saint-Pierre-et-Miquelon, nous l'appelons Bulot et il brûlera sur le quai, sous la neige. C'est aussi ça, la richesse de nos outre-mer. (On apprécie.)
Cette proposition de loi est intéressante, mais a été édulcorée, vidée en partie de sa substance. Notons toutefois l'amendement commun du RDPI et de M. Lurel visant à ne plus assimiler nos collectivités à des territoires d'exportation et donc à leur donner accès aux prix et aux conditions, notamment promotionnelles. Je souhaite y intégrer mon archipel, malheureusement oublié.
Je regrette que l'on ne renforce pas les informations données aux OPMR, qui peuvent apporter la concertation et la cohésion nécessaires. Je proposerai qu'ils évaluent les décisions concernant la desserte maritime internationale en fret via une étude d'impact. Tout changement dans ce domaine ne serait pas sans conséquence.
Je ne veux pas gâcher la fête, mais cet amendement ne doit pas partir en confettis et être réduit en cendres aux côtés du roi Bulot. (Sourires) Le RDSE y sera attentif, y compris au moment de voter le texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP)
Mme Jocelyne Guidez . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Imaginez de devoir payer 40 % plus cher votre panier de courses : pour nos compatriotes ultramarins, ce n'est pas de la science-fiction, mais la réalité. Ce chiffre traverse les décennies et cristallise les colères.
Je remercie Victorin Lurel et la rapporteure qui sont parvenus à un texte équilibré.
La vie chère en outre-mer est une réalité, aux causes multiples. Les coûts logistiques sont importants, la production locale interdit les économies d'échelle. L'octroi de mer renchérit les produits de première nécessité alors que les revenus des Ultramarins ne suivent pas.
Les conséquences sociales sont alarmantes, avec des mobilisations récurrentes. Depuis septembre 2024, la Martinique est secouée par les contestations contre la vie chère.
Certains citent parmi ces facteurs le manque de concurrence. Il est vrai que, dans la grande distribution, les carburants ou les télécommunications par exemple, quelques acteurs bénéficient d'une position privilégiée. En 2016, 73 groupes contrôlaient plus de 50 % des marchés des Antilles et de la Guyane, pour près de 18 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Ces structures, souvent familiales, sont accusées de verrouiller l'accès à de nouveaux entrants et dégagent des marges importantes. C'est une réalité, même s'il ne faut pas confondre pas marge brute et marge nette.
Ce texte renforce le contrôle des concentrations. La commission a abaissé le seuil de notification des fusions de 5 à 3 millions d'euros. Les entreprises ne doivent toutefois pas devenir des boucs émissaires, au risque d'affaiblir l'économie locale. La concurrence ne sera pas efficace sans la confiance. Je salue les inflexions de la commission dans ce sens.
Autre enjeu du texte : la transparence des prix et des marges. Seules 24 % des entreprises déposent leurs comptes, contre 85 % dans l'Hexagone. La commission a fait des propositions : la transmission automatique est remplacée par une injonction, avec sanction en cas de non-transmission.
Gardons-nous de l'excès de bureaucratie. Chaque obligation supplémentaire augmente les coûts, ce qui est répercuté sur le consommateur. La première version du texte imposait aux entreprises de transmettre trimestriellement leurs taux de marge, leurs prix d'achat et de vente et leurs évolutions, ainsi que les prix de cessions internes à la fois au préfet, à l'Insee et à l'OPMR : bienvenue dans la République de la bureaucratie !
En octobre dernier, nous adoptions le projet de loi de simplification de la vie économique, autour du principe « dites-le-nous une fois » ; il serait temps de l'appliquer aux entreprises outre-mer. Évitons l'inflation réglementaire, qui nuit à la croissance et à l'investissement.
La délégation aux outre-mer proposera une politique d'ensemble dans le cadre de son rapport de mission. Encourager l'agriculture locale, développer les industries de transformation, investir dans des infrastructures logistiques modernes sont autant de leviers.
Lutter contre la vie chère est une question d'égalité économique et sociale. Le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du RDSE et du groupe SER)
M. Robert Wienie Xowie . - J'adresse mes sincères condoléances aux Réunionnais, victimes du cyclone Garance.
Aux catastrophes naturelles qui frappent nos pays s'ajoute la vie chère.
Entre le champagne pour quelques-uns et l'eau potable pour tous, il faut choisir, disait Thomas Sankara. Entre survivre et vivre, le choix est vite fait. Nos peuples aspirent à une vie digne. Ils ont le droit de manger au même prix que les Français de l'Hexagone.
Mais notre vraie richesse, c'est vivre de nos terres. Cette proposition de loi s'inscrit dans une logique de lutte contre un système colonial, une économie de comptoir, tenue par quelques familles sans scrupule qui s'affranchissent des règles ayant cours dans l'Hexagone.
Les événements en outre-mer ont mis en lumière ce que vivent nos peuples. Non à l'économie coloniale, oui à la dignité ! Nous défendons indéfectiblement l'émancipation sociale et économique des nôtres. L'État a favorisé les monopoles, amoindrissant le potentiel humain de nos peuples et leur capacité à aspirer à la souveraineté.
La source de la vie chère n'est pas l'éloignement, mais une violence économique héritée du colonialisme. Marges abusives et manque de transparence n'en sont qu'un symptôme. L'écart des prix des produits alimentaires entre l'Hexagone et les outre-mer atteint 40 %. En Nouvelle-Calédonie, les prix de l'alimentation ont grimpé de 5,7 % en un an.
Cette proposition de loi adresse un signal aux grandes entreprises. On ne peut pas importer massivement, faire de telles marges, ne pas transmettre les comptes et faire payer les consommateurs ultramarins ! De fait, les pratiques de ces groupes sont cautionnées par l'État depuis des années.
Nous regrettons que les modifications en commission aient réduit la portée de ce texte. Il nous faut redonner espoir à nos peuples. Le groupe CRCE-K votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER)
M. Akli Mellouli . - (Applaudissements sur les travées du GEST) J'exprime à mon tour ma solidarité aux familles des victimes du cyclone Garance. La République doit soutenir La Réunion.
L'outre-mer est une composante essentielle de notre nation, de notre identité républicaine. « La République est une et indivisible, mais elle ne doit pas être uniforme », disait l'ancien président du Sénat Gaston Monnerville. Il faut prendre en compte les spécificités et les défis des outre-mer, afin que nos compatriotes ne soient pas condamnés à l'injustice économique.
La vie chère façonne une fracture avec l'Hexagone que nous ne pouvons plus ignorer. Le coût excessif des produits de première nécessité, des services essentiels et des biens de consommation courante alimente le sentiment d'abandon et le malaise social. Celui-ci s'est exprimé à plusieurs reprises. Qui pourrait oublier la grève générale de 2009 aux Antilles ? Ou les révoltes sociales récurrentes en Guyane ou à La Réunion ? Derrière ces colères, il y a des familles, des travailleurs, des jeunes qui ne voient pas d'avenir digne sur leur territoire.
Les chiffres sont accablants : les écarts de prix entre la métropole et les outre-mer atteignent 10 à 15 % en moyenne, 30 % pour les produits alimentaires, parfois jusqu'à 40 %. Quelque 900 000 personnes vivent sous le seuil de pauvreté. Ce n'est pas tolérable.
Les mesures ponctuelles ne suffisent plus. Nous devons faire preuve de volonté politique : régulation des circuits d'importation et de distribution, lutte contre les monopoles, soutien au pouvoir d'achat, plan de développement économique adapté aux spécificités ultramarines, encouragement à la production locale, réduction de la dépendance à l'importation. Il nous faut apporter des réponses au désespoir de nos compatriotes, faire de la justice sociale une réalité tangible, faire vivre la promesse républicaine sur tout le territoire national.
Que nos débats soient le point de départ d'un engagement renouvelé. Cette proposition de loi ouvre des perspectives, mais il faudra aller plus loin et répondre aux aspirations de nos concitoyens, qui n'attendent pas la charité mais une vie digne. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
M. Lucien Stanzione . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La vie chère n'est pas une fatalité, mais la conséquence de déséquilibres structurels. Nous voulons une économie plus juste pour nos concitoyens ultramarins - c'est la cause que porte Victorin Lurel depuis 2012.
Ce texte, resserré, est un levier pour la suite. Il adresse un signal clair : les Ultramarins ne peuvent plus être prisonniers d'un système inéquitable. Il renforce la pression sur les entreprises qui ne respectent pas l'obligation légale de dépôt des comptes sociaux. La transparence est essentielle pour assurer une concurrence loyale.
D'autres mesures permettront d'alerter plus en amont sur les opérations de concentration. Les lois Lurel de 2012 et 2017 doivent être pleinement effectives, pour protéger les distributeurs locaux. Les CGV nationales doivent s'appliquer de manière transparente et non discriminatoire outre-mer. Nous défendrons enfin le plafonnement des marges arrière, qui renchérissent le coût de la vie ; c'est essentiel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Akli Mellouli applaudit également.)
Discussion des articles
Article 1er
M. le président. - Amendement n°16 de Mme Renaud-Garabedian, au nom de la commission des affaires économiques.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Pour contraindre le dirigeant défaillant à déposer les comptes de la société, nous prévoyons une astreinte coercitive, payée directement par le chef d'entreprise, plafonnée à 1 000 euros par jour de retard.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - S'agissant d'une personne physique, le montant maximum prévu paraît disproportionné. Sans doute faudrait-il viser plutôt la personne morale. Avis favorable néanmoins.
M. Victorin Lurel. - Faute d'un sous-amendement du Gouvernement qui soit plus dissuasif - par exemple, 5 % du chiffre d'affaires, payé par la personne morale - je voterai l'amendement de la rapporteure.
L'amendement n°16 est adopté.
L'article 1er, modifié, est adopté.
Après l'article 1er
M. le président. - Amendement n°11 de M. Lurel et du groupe SER.
M. Victorin Lurel. - Je le retire, au profit du suivant.
L'amendement n°11 est retiré
M. le président. - Amendement n°12 de M. Lurel et du groupe SER.
M. Victorin Lurel. - C'était un amendement de repli, mais qui a ma préférence. Je suis prêt à le rectifier pour trouver un compromis avec le Gouvernement et la commission : nous pourrions prévoir une expérimentation.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Pour la clarté de nos débats, je rappelle que la marge arrière est la rémunération perçue par le distributeur en contrepartie des services rendus à un fournisseur - mise en avant d'un produit, attribution d'emplacement privilégié - qui améliore la rentabilité. Mais la pratique, critiquée, ne contribue pas à la transparence et, contrairement aux remises et rabais, ne réduit pas le prix d'achat. Certaines marges arrière représentent jusqu'à 35 % du prix facturé. Il faut une grande rigueur dans leur mise en oeuvre. Elles peuvent être légitimes, mais doivent être régulées.
L'amendement ne précise pas le chiffre d'affaires retenu - global, ou par ligne de produit ? Je m'interroge également sur la lisibilité d'un ticket de caisse faisant apparaître l'ensemble des marges arrière. Avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Vous me laissez seul face à Victorin Lurel ! (Sourires)
Cet amendement vise à encadrer les marges arrière et à renforcer la transparence concernant les remises sur les tickets de caisse.
Je l'ai dit, je veux m'attaquer aux pratiques qui pénalisent les producteurs locaux. Outre-mer, le niveau global des marges arrière est bien supérieur à celui constaté dans l'Hexagone. Le manque de transparence pénalise les fournisseurs, complique le contrôle de l'État et empêche que ces marges arrière soient répercutées sur le prix de vente. Nous devons agir.
Toutefois, votre amendement pourrait se heurter à la liberté du commerce garantie par la Constitution.
Par ailleurs, un tel encadrement pourrait aboutir à renchérir les prix, si les distributeurs ne peuvent répercuter les remises, ristournes et rabais sur le prix final, ou mener des campagnes promotionnelles. Il y a des marges arrière plus vertueuses que d'autres.
En revanche, faire figurer les avantages obtenus sur les factures d'achat facilitera les contrôles par la DGCRF.
Nous devons améliorer la transparence. Aussi je vous propose de travailler ensemble dans les prochaines semaines pour mieux calibrer le dispositif. Essayons de trouver le bon chemin, grâce à nos débats.
M. Victorin Lurel. - Nous ne voulons pas interdire les marges arrière, mais les plafonner ; il n'est pas question de toucher à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre. D'où notre rédaction.
L'article L. 441-3 du code de commerce distingue clairement ce qui est autorisé dans les marges de ce qui ne l'est pas. Nous ne visons que les prestations fictives : boosters, assortiments, chiffre d'affaires par paliers... Les vraies prestations, elles, méritent d'être payées.
Je propose un taux de 10 %, sachant que les marges arrière peuvent atteindre 30 % - Leclerc fait 22 % en Martinique, GBH plus de 25 %. Des fournisseurs locaux se retrouvent ruinés par les restitutions exigées !
Je propose un encadrement équilibré, qui respecte la Constitution, le code de commerce, sans renchérir les prix. Je rectifie mon amendement pour prévoir une expérimentation de cinq ans, avec une entrée en vigueur six mois après la promulgation de la loi, le temps d'y travailler encore. Je précise qu'il s'agit du chiffre d'affaires par ligne de produit. C'est un compromis. J'espère à tout le moins un avis de sagesse.
M. le président. - Ce sera l'amendement n°12 rectifié.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Retrait, sinon avis défavorable. On se précipite ! D'autres textes vont venir prochainement, prenons le temps d'y travailler.
Les marges arrière doivent être cantonnées à 10 %, faire l'objet de contrôles intelligents. Elles pourront alors devenir des marges avant, et ainsi faciliter les ventes à perte, ce qui bénéficie aux consommateurs. Je vous rejoins sur le fond, mais ne nous précipitons pas.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Même avis.
M. le président. - Monsieur Lurel, retirez-vous votre amendement ?
M. Victorin Lurel. - Tout ce que demande Mme la rapporteure se trouve dans le texte. En vingt jours, nous avons eu le temps d'approfondir ! Pour tenir compte de vos objections, je simplifie le ticket de caisse et je prévois une expérimentation sur cinq ans. Si le ministre présente une grande loi, il pourra y revenir. Je maintiens mon amendement.
M. Georges Patient. - La pratique des marges arrière suscite de vives critiques. Nous ne pouvons renvoyer la question aux calendes grecques. Je proposais moi aussi d'expérimenter pendant cinq ans un plafonnement, et de supprimer la mention sur le ticket de caisse. (M. Victorin Lurel approuve.)
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - S'il s'agit du chiffre d'affaires par ligne de produit, et si l'on renonce à un ticket détaillé (M. Victorin Lurel le confirme), nous pourrions être d'accord pour l'expérimentation. (M. Manuel Valls le confirme.)
M. le président. - C'est donc un double avis favorable sur l'amendement rectifié.
L'amendement n°12 rectifié est adopté et devient un article additionnel.
M. le président. - Amendement n°9 de M. Lurel et du groupe SER.
M. Victorin Lurel. - Je suis prêt à reculer sur les marques de distributeurs (MDD) et les produits premier prix, et à ne retenir que le deuxième alinéa, qui prévoit un préavis en cas de rupture abusive.
M. le président. - Il devient l'amendement n°9 rectifié.
M. Victorin Lurel. - Sous prétexte de respecter la loi Lurel, certains groupes, comme Carrefour, se sont retirés brutalement. Le préavis de dix-huit mois en cas de rupture abusive est bien prévu dans le code de commerce, mais n'est pas appliqué dans les outre-mer.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - D'accord sur le principe, mais votre amendement est satisfait : l'article L. 442 du code de commerce oblige à réparer le préjudice causé en cas de non-respect d'un préavis de dix-huit mois. La jurisprudence est constante sur le sujet. Avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. - La manière de travailler au Sénat est... très créative. (Sourires) C'est in vivo.
Mme Évelyne Perrot. - C'est familial !
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Votre amendement vise à protéger les entreprises victimes d'une rupture de contrat à la suite d'un accord exclusif d'importation, prohibé par l'article L. 420-2-1 du code de commerce. Ces entreprises peuvent déjà saisir le juge pour obtenir réparation du préjudice subi. À ce stade, sagesse, car cet amendement pourrait être retravaillé.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Avis défavorable : je suis contre l'empilement de textes qui ont le même objet.
Mme Solanges Nadille. - Vaval est bien au Sénat ! Merci, madame la rapporteure, de dire que ce n'est pas comme ça que l'on modifie un texte, pour s'arranger. Les Ultramarins méritent mieux que cela. Prenons le temps d'élaborer un texte qui améliore réellement la vie dans les outre-mer, comme s'y est engagé le ministre.
Certains voudraient se faire mousser, tirer gloriole d'une mesure - comme ils l'ont fait sur les sargasses, sans voter ensuite le texte !
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Jusqu'ici, ça allait...
M. Victorin Lurel. - Cela fait vingt ans que je lutte contre la vie chère. Effets de manche, coups de menton - je suis un vieux parlementaire, je n'ai plus l'âge de ces gamineries... (Sourires)
Il n'y a aucune jurisprudence concernant les outre-mer, aucune sanction des pratiques illicites. La DGCCRF ne fait pas son travail, les textes ne sont pas respectés !
La menace pèse sur tous les produits, car lorsque l'on dit non à un grand groupe sur un produit, il peut remettre en cause tout le contrat.
Il manque une réelle sanction, faute de volonté politique. Le texte existe : nous voulons une application concrète.
L'amendement n°9 rectifié est adopté, et devient un article additionnel.
Article 2
M. le président. - Amendement n°4 rectifié de M. Teva Rohfritsch et alii.
M. Teva Rohfritsch. - L'article L. 420-5 du code de commerce régule les pratiques commerciales lorsqu'il existe une concurrence entre les produits locaux et ceux, similaires ou identiques, importés à bas coût. Nous l'élargissons aux produits dits « comparables » aux produits locaux, à définir par décret, pour viser notamment les produits surgelés importés, dont le prix est souvent inférieur à celui des produits frais locaux. Il s'agit ainsi renforcer la compétitivité des produits locaux et de garantir une concurrence équitable.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Avis défavorable, car cet amendement soutient une offre commerciale plus coûteuse, à l'inverse de l'objectif de la proposition de loi, même si je comprends votre souhait de lutter contre les produits dits de dégagement, peu chers et de mauvaise qualité.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Le représentant de l'État tient compte de certains critères lors des négociations avec les acteurs : baisse des prix, mais aussi promotion de la production locale, indispensable pour engager la transformation économique des territoires ultramarins. Malgré mes réserves sur cet amendement, sagesse.
M. Victorin Lurel. - Les produits de dégagement ont un coût marginal zéro : le porc breton est quasiment vendu à perte. Mon frère producteur de porc, lui, souffre. Que fait le conseil régional ? Il augmente le taux d'octroi de mer : cela enrichit les collectivités, mais pas le consommateur. Cet amendement, qui ajoute « comparable », est de bon sens. Ce n'est pas de la bureaucratie !
M. Georges Patient. - Je voterai contre cet amendement, à regret. En Guyane, le poulet surgelé importé, contrôlé par les services sanitaires, est à 2 euros le kilo, quand le poulet local est à 15 euros le kilo. Cet amendement créera des dégâts.
L'amendement n°4 rectifié est adopté.
M. le président. - Amendement n°5 de M. Teva Rohfritsch et alii.
M. Georges Patient. - Limiter le renforcement de groupes déjà en position dominante sur les marchés ultramarins est un objectif louable, mais les spécificités de chaque territoire doivent être prises en compte : la densité commerciale n'est pas la même partout. En Guyane, où la population augmente fortement, il faut favoriser l'implantation de grandes surfaces commerciales, absentes de certaines parties du territoire. Cet article risque d'empêcher le déploiement des commerces, faute de groupes suffisamment dimensionnés.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Créer une exception au seuil de part de marché à partir duquel l'ADLC peut être saisie en vue d'autoriser une exploitation commerciale irait à rebours de l'objectif de la proposition de loi, qui est d'accroître la concurrence dans les outre-mer.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Même avis.
M. Georges Patient. - Mon amendement ne concerne que les territoires où la densité commerciale est faible : la Guyane, c'est trois habitants au kilomètre carré, contre quatre cents pour la Guadeloupe, la Martinique ou La Réunion ! Le PIB de la Guyane est de 15 000 euros par habitant, contre 25 000 euros aux Antilles et 40 000 en Île-de-France. Sans compter que les communes sont distantes les unes des autres, et souvent inaccessibles, faute de routes. À situations différentes, dispositions différentes.
Mme Micheline Jacques. - Je souscris aux arguments de M. Patient. Certaines communes guyanaises sont isolées, or il faut pouvoir accéder aux produits de première nécessité.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Je comprends les besoins en Guyane, mais le texte concerne tout l'outre-mer. Pour La Réunion, pour les Antilles, cet amendement ferait obstacle à votre objectif, monsieur Lurel.
M. Victorin Lurel. - Vous avez raison...
L'amendement n°5 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°2 de M. Rohfritsch et du RDPI.
M. Teva Rohfritsch. - Cet amendement clarifie le statut des OPMR afin d'assurer leur pleine capacité opérationnelle, dans l'intérêt des consommateurs et des acteurs locaux. Actuellement, leurs moyens sont trop faibles.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Avis favorable à cet amendement d'appel. Il faut doter les OPMR de moyens leur permettant d'assurer leur mission.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - La loi de finances pour 2019 a porté les moyens des OPMR de 300 000 à 600 000 euros - budget reconduit chaque année depuis, contre la tendance actuelle... Au cours des exercices 2023 et 2024, ce budget de 600 000 euros n'a pas été entièrement consommé ; on peut donc considérer qu'il suffit. Nous pourrons l'évoquer en loi de finances.
Le secrétariat de chaque OPMR est en outre assuré par les services de l'État.
Cela dit, il nous faut interroger nos outils d'évaluation et de contrôle des coûts et des prix. Avis favorable.
L'amendement n°2 est adopté.
M. le président. - Amendement n°8 rectifié bis de M. Ruel et alii.
M. Jean-Marc Ruel. - Cet amendement prévoit que l'OPMR réalise une étude d'impact avant toute modification structurelle des conditions de la desserte maritime internationale en fret à Saint-Pierre-et-Miquelon - colonne vertébrale de l'activité économique et de la consommation du territoire. Une étude d'impact est nécessaire pour optimiser la prise de décision. C'est aussi un gage de concertation, puisque les représentants de l'État, les élus et les forces économiques du territoire siègent au sein de l'OPMR : il n'y a plus de place pour l'arbitraire.
Dans le contexte international actuel, entre les négociations souvent difficiles avec le voisin canadien et la politique protectionniste et agressive des États-Unis de Donald Trump, Saint-Pierre-et-Miquelon ne peut se permettre de naviguer à vue !
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - Avis défavorable. Un tel dispositif ferait des OPMR un espace de discussion ad hoc, les éloignant de leur mission d'origine.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Même avis.
L'amendement n°8 rectifié bis n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°1 de M. Rohfritsch et du RDPI.
M. Teva Rohfritsch. - Il s'agit de rendre public le rapport annuel rédigé par chaque OPMR pour leur donner plus de visibilité et renforcer la confiance des consommateurs.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - La publication de tels rapports n'aura de sens que lorsque ces observatoires auront du personnel pour les concevoir. Ils n'ont pas de moyens humains - les présidents sont des magistrats bénévoles. En revanche, si des garanties sont apportées, je ne vois aucune raison de s'y opposer. Avis du Gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d'État. - L'autorité administrative peut se charger du rapport annuel, qui pourra être mis en ligne sur le site des services de l'État du territoire concerné. Avis favorable.
L'amendement n°1 est adopté.
L'article 2, modifié, est adopté.
Après l'article 3 (Supprimé)
M. le président. - Amendement n°13 rectifié de M. Lurel.
M. Victorin Lurel. - Les plateformes de vente et centrales d'achat traitent les outre-mer comme des territoires étrangers. Avec cet amendement, nous affirmons expressément que les CGV, à la base de toute relation commerciale, s'appliquent de plein droit aux outre-mer.
Mon collègue Teva Rohfritsch a déposé un amendement similaire : je préfère néanmoins ma rédaction, car elle ne confond pas le statut douanier et fiscal avec l'appartenance à la République. Les outre-mer sont considérées, au sens douanier et fiscal, comme des territoires d'exportation, d'où l'octroi de mer et les taux de TVA réduits.
Votons cet amendement pour garantir une égalité réelle.
M. le président. - Amendement n°3 rectifié de M. Rohfritsch et du RDPI.
M. Teva Rohfritsch. - Défendu.
M. le président. - Sous-amendement n°15 de M. Ruel.
M. Jean-Marc Ruel. - Il s'agit d'inclure Saint-Pierre-et-Miquelon dans ce dispositif très intéressant pour nos territoires ultramarins.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian, rapporteur. - La question des CGV est fondamentale : leur uniformisation réduira les coûts imposés aux distributeurs. Mais cette mesure ne sera pas suffisante à elle seule pour pallier les écarts de prix.
Je suis favorable à l'amendement n°10 rectifié qui va suivre. Pour une fois, M. Lurel a fait simple. (Rires) Je demande le retrait des amendements nos3 rectifié et 13 rectifié et du sous-amendement n°15 au profit de l'amendement n°10 rectifié.
M. Manuel Valls, ministre d'État. - Sur le plan fiscal, les territoires ultramarins sont définis comme des zones d'exportation. Veillons à ne pas créer d'effets de bords juridiques, avec des formulations positives en apparence, mais qui, en fait, auraient des conséquences si elles étaient inscrites dans la loi.
Les CGV auxquelles se réfèrent les contrats doivent tenir compte des spécificités et de l'éloignement des outre-mer. L'amendement n°10 rectifié est mieux rédigé. Aussi le Gouvernement est-il par avance favorable à cet amendement. Retrait des amendements nos13 rectifié et 3 rectifié et du sous-amendement n°15.
L'amendement n°13 rectifié est retiré, de même que l'amendement n°3 rectifié et le sous-amendement n°15.
M. le président. - Amendement n°10 rectifié de M. Lurel et du groupe SER.
M. Victorin Lurel. - Défendu.
L'amendement n°10 rectifié, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté et devient un article additionnel.
L'article 4 est adopté.
Vote sur l'ensemble
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques . - La lutte contre la vie chère en outre-mer est une réalité que nous voulons tous combattre. Nous le prouverons en adoptant cette proposition de loi.
Victorin Lurel a bien travaillé avec notre rapporteur ; le dialogue a été musclé, mais aussi compétitif, pour reprendre le terme utilisé lors de la discussion générale. Je remercie Évelyne Renaud-Garabedian pour son travail.
M. Victorin Lurel. - Moi aussi !
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission. - Nous avons encore besoin de travailler, car les outils de cette proposition de loi ne sont pas suffisants. Nous le ferons dans un esprit positif. Je remercie Micheline Jacques, présidente de la délégation aux outre-mer, ainsi que l'ensemble des membres de la délégation.
Je remercie également M. le ministre d'État, dont je salue l'engagement. (Applaudissements)
Mme Solanges Nadille . - Ce soir, je suis déçue.
Monsieur Lurel, je ne fais pas des gamineries lorsque je m'adresse à vous et à nos collègues ; je décris la réalité des territoires. Il ne faut pas tromper nos concitoyens, même ceux qui vivent à 8 000 kilomètres d'ici.
Pourquoi ajouter un texte à un autre texte ? Vous avez vous-même souligné que celui que vous aviez commis en 2012 était resté dans les tiroirs. Vous en ajoutez un autre, mais je ne sais pas bien ce qu'il contient. En fait, vous demandez simplement que votre texte de 2012 soit appliqué ! Or nous savons tous que ce n'est pas le cas.
Je déplore l'absence de la majorité de nos collègues représentant les outre-mer. Je prends mes responsabilités ; je ne suis pas satisfaite. En 2009, le Liyannaj Kont Pwofitasyon (LKP) nous alertait sur la vie chère en Guadeloupe. Cela fait seize ans !
La proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER, du GEST, du RDSE, et des groupes INDEP, UC et Les Républicains ; M. Teva Rohfritsch applaudit également.)
Encadrement des loyers et amélioration de l'habitat dans les outre-mer
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi expérimentant l'encadrement des loyers et améliorant l'habitat dans les outre-mer, présentée par Mme Audrey Bélim et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe SER.
Discussion générale
Mme Audrey Bélim, auteure de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je souhaite d'abord rendre hommage aux victimes du cyclone Garance.
Le Sénat s'honore toujours à exercer son rôle de chambre des territoires. Je remercie Patrick Kanner qui a souhaité consacrer un espace réservé entier à des textes sur l'outre-mer.
Cette proposition de loi, qui contient deux mesures particulièrement attendues par nos territoires, doit beaucoup au travail de sénateurs d'outre-mer.
Ces dernières années, des jalons importants ont été posés, notamment grâce aux travaux du Sénat : le rapport fondateur sur le BTP au pied du mur normatif, le rapport sur la politique du logement dans les outre-mer et le livre blanc de la construction durable en outre-mer, préfacé par Micheline Jacques.
Madame la rapporteure, vous avez indiqué qu'il était urgent que les outre-mer disposent de référentiels propres, compte tenu des bouleversements géopolitiques et des enjeux climatiques. Vous avez mon plein et entier soutien ; avançons ensemble vers ces référentiels communs de construction.
Je salue Dominique Estrosi Sassone pour son regard bienveillant. Monsieur Valls, je vous remercie aussi pour votre investissement dans votre ministère, si difficile. Je tiens aussi à remercier Valérie Létard, ministre déterminée qui connaît les politiques de la construction, et Mathieu Darnaud, qui a toujours un oeil attentif pour les outre-mer. (M. Olivier Rietmann fait mine de jouer du violon.)
Certes, nous avons des divergences, mais nous nous rejoignons sur l'essentiel : l'égalité des territoires et cette conviction simple que la République doit être partout chez elle, en Ardèche, à La Réunion, en Essonne ou en Guyane.
L'article 1er de la proposition de loi prévoit l'expérimentation de l'encadrement des loyers en outre-mer. Lors du lancement de l'expérimentation initiale, nos territoires n'étaient pas classés en zones tendues et n'ont donc pas pu participer aux premières phases. Pourtant, les chiffres sont incontestables : avec 80 % des foyers éligibles au logement social, les Ultramarins n'ont d'autre choix que de se tourner massivement vers le parc locatif privé.
De Mayotte à la Guyane en passant par la Guadeloupe, l'expérimentation dans les communes volontaires - j'insiste sur ce terme - est ardemment souhaitée.
L'article 2, qui réformait la cartographie des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), a été supprimé en commission : un décret, publié après le dépôt de ce texte, a récemment élargi le nombre de QPV dans les outre-mer.
J'accepte ce compromis, même si je ne suis pas entièrement satisfaite.
L'article 3 prévoit d'adapter des normes de construction dans les outre-mer. Grâce à une remarquable mobilisation du Gouvernement et des eurodéputés français, le Parlement européen a exempté les outre-mer de l'obligation du marquage CE pour les matériaux de construction en avril 2024. Nous devons être à la hauteur de ce vote historique. La maison des territoires, c'est nous.
Nous faisons face à une triple urgence : économique, environnementale et sociale, surtout. Le surcoût lié à l'importation des matériaux pourrait être réduit en utilisant des matériaux produits sur place. Ainsi, nous agirons sur le coût des loyers, et donc sur le pouvoir d'achat, le pouvoir de vivre.
Il faut rompre avec un modèle infantilisant, parfois ubuesque : ainsi, Mayotte importe son bois de Lettonie !
Pourtant, des solutions existent : la brique de terre compressée utilisée à Mayotte, le registre de construction adapté à la réalité de la Nouvelle-Calédonie, par exemple.
Le passage de Garance à La Réunion nous montre que nous pouvons encore progresser. Dans l'Est, 80 % des constructions ayant perdu leur toit datent de moins de 15 ans. Ne pouvons-nous pas nous inspirer de ce qui se passe ailleurs ?
Nous vous proposons la création de comités relatifs aux produits de construction. Ceux-ci contribueront à l'exemption du marquage CE et accompagneront l'innovation, via des référentiels de locaux. Ils soutiendront l'innovation locale dans les matériaux et les procédés de construction pour élaborer des référentiels adaptés aux territoires. Ils devront impérativement compter les acteurs locaux en leur sein.
Les matériaux doivent être sélectionnés selon des procédures rigoureuses, en associant les services de l'État et les instances nationales de normalisation.
Le dialogue et la concertation doivent présider à la rédaction des décrets d'application. Nous devons y associer le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique et les acteurs locaux. C'est ce que prévoit l'amendement n°4 rectifié bis, qui dépasse les clivages politiques ; quinze sénateurs ultramarins ont ainsi publié une tribune à ce sujet hier.
L'adaptation des normes dans les outre-mer est non plus une option, mais une nécessité.
Le Sénat est la maison des territoires : il doit faire confiance aux élus et à tous les acteurs des territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; MM. Teva Rohfritsch, Philippe Grosvalet et Cédric Chevalier applaudissent également.)
Mme Micheline Jacques, rapporteur de la commission des affaires économiques . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UC ; M. Teva Rohfritsch applaudit également.) J'ai une pensée pour nos compatriotes réunionnais frappés par le cyclone Garance ; le bilan est trop lourd. Nous pouvons compter sur l'État et les acteurs locaux pour les soutenir.
Je salue l'engagement d'Audrey Bélim. Il s'agit d'adapter les normes applicables dans trois domaines dans les outre-mer : le logement abordable, les QPV et les normes de construction.
En commission, avec l'accord de Mme Bélim, nous avons resserré le dispositif autour du logement abordable. En effet, l'expérimentation actuelle prévue par la loi Élan n'a pas été ouverte aux collectivités ultramarines, les 48 communes bénéficiaires étant toutes situées dans l'Hexagone. La carte des zones tendues, qui rend les communes éligibles au dispositif, a été revue en août 2023. Mais le délai prévu par la loi Élan pour candidater à l'expérimentation était déjà échu. La commission a estimé légitime d'offrir la possibilité aux collectivités d'outre-mer qui le souhaitent la possibilité de le faire.
Cela s'inscrit dans la lutte contre la vie chère même si le poste le plus emblématique reste l'alimentation. Mais les loyers ne sont pas en reste.
L'encadrement des loyers doit rester facultatif, aux mains des élus locaux et ne doit pas nous conduire à investir dans la construction, alors que 110 000 logements manquent en outre-mer.
Seules quelques collectivités seront concernées par l'expérimentation ; 38 communes sont situées en zone tendue. Seules celles disposant d'un observatoire local des loyers pourront en bénéficier.
La commission a renforcé le dispositif de la proposition de loi, sans pour autant interférer dans l'expérimentation menée actuellement en métropole. Nous avons donc créé une nouvelle expérimentation ad hoc pour les collectivités d'outre-mer.
L'article 2 vise à rendre la définition des QPV moins restrictive. Son objectif - accroître le nombre de QPV en outre-mer - est en grande partie satisfait par la réforme de décembre dernier, qui a permis de revenir sur la méthode du carroyage. On compte désormais 247 QPV en outre-mer, contre 218 auparavant. En accord avec Mme Bélim, la commission a supprimé cet article, pour tenir compte de cette réforme intervenue après le dépôt de la proposition de loi.
L'article 3 prévoit des marquages spécifiques dans la construction pour les régions ultrapériphériques (RUP). Le règlement européen de décembre 2024 a ouvert la voie à des dérogations : c'est une avancée substantielle, soutenue de longue date par le Sénat. En témoignent le rapport de la délégation en 2017 et celui consacré à la politique du logement dans les outre-mer. Un pas important a été franchi en octobre 2024 avec la publication du livre blanc des assises de la construction durable. Preuve que ces sujets requièrent un temps de réflexion long.
L'assurabilité devient complexe dans les outre-mer, frappés par des aléas climatiques intenses.
L'évolution du droit européen est une avancée importante. Mais les travaux pour aboutir à des progrès concrets sont encore en cours : voilà pourquoi la commission a supprimé l'article 3, avec l'accord de Mme Bélim.
L'adaptation des normes aux spécificités ultramarines dépasse le domaine de la seule construction ; tel est l'objet de la proposition de résolution européenne que j'ai déposée avec Christian Cambon, Stéphane Demilly et de Georges Patient.
Il est important de recourir à la concertation, de laisser aux collectivités et aux acteurs locaux des marges de négociation. L'échec des différents plans logement conçus et pilotés de Paris le souligne.
Je remercie encore une fois Mme Bélim pour sa disponibilité et son engagement.
En tant que présidente de la délégation aux outre-mer, je me félicite que le Sénat mette à l'ordre du jour les problématiques des outre-mer. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, du RDSE, du RDPI et sur quelques travées du groupe SER et du GEST)
M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer . - Je m'associe à vos propos sur la situation de La Réunion, où je partirai ce soir. Je salue également l'esprit qui règne ici, au Sénat.
En matière de vie chère, on se concentre souvent sur les prix à la consommation, mais le constat est le même pour le logement. Les loyers sont plus élevés en outre-mer que dans l'Hexagone : plus 3 % en Martinique, 5 % en Guadeloupe ou encore 10 % en Guyane, selon l'Insee. Ils représentent aussi une part plus importante des dépenses des ménages.
Nous devons assurer un logement digne à tous, c'est fondamental pour lutter contre la vie chère.
Mais l'enjeu est plus large. La réussite de nos politiques publiques est souvent conditionnée par l'accès au logement. La ligne budgétaire unique (LBU) finance la construction de logements locatifs sociaux, la lutte contre l'habitat insalubre ou encore l'accession à la propriété. Elle a été consommée à hauteur de 98 % en 2024, permettant la construction et la rénovation de 8 000 logements.
La nouvelle géographie de la politique de la ville, entrée en vigueur le 1er janvier dernier, est une autre avancée. Des dispositifs fiscaux existent aussi, à l'instar d'une TVA réduite, par exemple.
Mais beaucoup reste à faire. Il faut entre 8 000 et 10 000 logements de plus par an. Il y a plus de 150 000 habitats insalubres et l'offre abordable est insuffisante.
Nous devons accélérer, grâce à une action forte et collective et plus d'ingénierie. Tous les acteurs doivent être au rendez-vous.
Je souhaite signer d'ici à cet été le plan Logement outre-mer 3 (Plom 3), qui fixera une stratégie globale et des actions territoire par territoire ; j'y travaille avec Mme Létard.
Le Gouvernement soutiendra votre proposition de loi, madame Bélim. Je salue votre ténacité.
L'article 1er crée une expérimentation ad hoc dans les outre-mer, qui avaient été privés de celle prévue par la loi Élan de 2018. Cette expérimentation serait facultative. C'est une avancée réelle, mais pas une solution magique.
L'article 3 prévoyait des dérogations au marquage CE pour l'utilisation des matériaux de construction dans les territoires ultramarins.
J'en suis convaincu : l'adaptation des normes applicables aux outre-mer est une priorité de bon sens. Il faut en finir avec l'économie de comptoir et le tout-importation.
Le Gouvernement soutiendra l'amendement n°4 rectifié bis de l'auteure de la proposition de loi, pour rétablir l'article 3 dans une rédaction améliorée. Le Gouvernement l'endosse financièrement - parole magique... (On apprécie à gauche.)
Très concrètement, nous ferons ainsi baisser les coûts de matériaux, valorisant les matériaux locaux et les importations depuis les pays voisins.
Avec cette proposition de loi, vous faites plus que lutter contre la vie chère : vous faites le choix du bon sens, de la simplification et de la proximité, valeurs chères à votre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mmes Jocelyne Guidez et Lauriane Josende applaudissent également.)
Mme Annick Petrus . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie à mon tour Audrey Bélim pour cette proposition de loi.
Trop souvent, nos territoires sont les oubliés des politiques du logement nationales, alors même que les difficultés y sont exacerbées : normes de construction inadaptées, accès au foncier limité, habitat insalubre...
Ce texte propose des solutions pragmatiques et adaptées à nos réalités locales.
Le logement est un enjeu crucial. À Saint-Martin, la collectivité a acquis cette compétence en 2012 ; depuis, nous appréhendons progressivement cette compétence.
Le marché immobilier de Saint-Martin est tendu. Les loyers sont élevés, les ménages modestes ne peuvent se loger. Quelque 1 295 logements sont vacants ; près de 1 700 bâtiments sont à reconstruire à la suite de l'ouragan pour atteindre le niveau du parc avant son passage.
L'augmentation des locations saisonnières réduit l'offre de logements de longue durée : 11 % des logements sont des résidences secondaires.
Saint-Martin a engagé des actions concrètes, comme l'adoption du programme local de l'habitat (PLH), afin d'encourager la réhabilitation du parc existant.
Le 13 février 2025, la collectivité a signé une convention tripartite avec Action Logement et l'État, afin de renforcer l'offre de logements, en sécurisant les bailleurs et en proposant des prêts adaptés et des mesures ciblées, par exemple pour les travailleurs. Nous devons maintenant stabiliser ces dispositifs.
Ajouter de nouvelles régulations complexifierait le cadre que nous venons d'organiser. Nous avons besoin de clarté et d'efficacité.
Depuis le 10 avril 2024, grâce au Parlement européen, nous pouvons déroger au marquage CE. C'est une avancée majeure pour notre territoire encore marqué par les séquelles de l'ouragan. Je voterai l'amendement précisant les modalités de mise en oeuvre de cette mesure. Les comités prévus sécuriseront les choix techniques en associant tous les acteurs. Nous ne disperserons pas les efforts.
L'adaptation doit se faire dans un cadre rigoureux, en concertation avec les acteurs économiques et les collectivités. Saint-Martin doit être un acteur majeur de cette évolution, en développant une filière de construction plus autonome, plus durable.
Par ailleurs, un troisième QPV, Saint-James, s'ajoute aux deux déjà existants, Sandy Ground et Quartier d'Orléans. Depuis 2015, les contrats de ville ont permis d'investir plusieurs millions d'euros au profit d'une centaine d'actions.
La signature du futur contrat de ville 2025-2030 est prévue avant l'été ; il faudra un financement stable et immédiat. Grâce à un amendement que j'avais déposé au PLF pour 2025, nous avons évité tout blocage.
Le nombre de QPV augmente, mais les financements doivent suivre. Nous devons maintenant agir avec pragmatisme. Le logement est un enjeu fondamental pour nos concitoyens. Nous devons apporter des réponses durables à ces défis.
Je voterai, à titre personnel, cette proposition de loi. Le groupe Les Républicains suivra la position de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées des groupes UC et SER)
Mme Solanges Nadille . - Les territoires ultramarins sont marqués par une pression immobilière croissante. Les loyers atteignent les coûts des grandes villes de l'Hexagone ; l'offre est insuffisante ou peu adaptée aux réalités locales.
La rareté du foncier entraîne des conflits d'usages entre habitat, agriculture et conservation des espaces protégés.
La Fondation pour le logement des défavorisés constate que les habitats informels et indignes restent un problème crucial que la puissance publique peine à résorber.
L'encadrement des loyers, introduit par la loi Élan du 23 novembre 2018, est un levier d'action potentiel. Toutefois, il n'a pas été appliqué en outre-mer, par manque de cadrage spécifique. L'article 1er de cette proposition de loi y remédie. La commission des affaires économiques a souhaité recentrer le texte sur cette question, alors que le texte initial abordait aussi la question des normes.
C'est très intéressant, mais c'est un travail de long terme ; il est assez périlleux de l'intégrer dans une proposition de loi centrée sur l'encadrement des loyers. Nous voulons un texte plus complet, fondé notamment sur les travaux de la délégation aux outre-mer.
Une concertation de tous les acteurs de terrain est nécessaire. En l'absence de garantie des assureurs présents sur nos territoires, la portée de l'article 3 serait annihilée.
Il faudra se fonder également sur le rapport Refaire ville ensemble, remis par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) il y a quelques jours. Celui-ci préconise un programme de renouvellement urbain spécifique à l'outre-mer.
Le RDPI souhaite prendre à bras-le-corps la question du logement outre-mer. Le texte a certes un intitulé accrocheur, mais ne propose qu'une réponse balbutiante. Ne jouons pas avec les attentes des Ultramarins. Je refuse les compromis anesthésiants, au risque de créer un effet déceptif. (Applaudissements sur les travées du RDPI)
M. Philippe Grosvalet . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Est-il nécessaire d'égrener la longue liste des mouvements sociaux dans nos outre-mer ? En 2009, grève générale en Guyane, en Guadeloupe et en Martinique ; le 20 mars 2017, la Guyane se soulève de nouveau ; en 2018, Mayotte se déclare « île morte » et les Gilets jaunes embrasent La Réunion, en mars 2022, les Antilles françaises sont le théâtre de violences ; à l'automne dernier, la Martinique crie son désespoir.
Les mouvements de colère se transforment en révolte, faute de solutions politiques.
Les inégalités sont criantes, surtout en matière de logement. Les loyers sont proches de ceux pratiqués dans l'Hexagone.
Il manque 110 000 logements. Dans un contexte de très grande tension, l'encadrement des loyers serait un premier outil de régulation du marché et un levier de sanction envers les propriétaires pratiquant des loyers excessifs.
Cependant, les collectivités ultramarines doivent se doter d'un observatoire des loyers, pour celles n'en disposant pas encore.
Le RDSE votera ce texte, mais l'encadrement ne peut constituer l'alpha et l'oméga de la réponse. (Mme Dominique Estrosi Sassone renchérit.)
Aussi, nous regrettons la suppression de l'article 3. Cette approche prometteuse est considérée comme mâture par le Gouvernement et par les acteurs économiques. Nous voterons l'amendement de Mme Bélim tendant à le rétablir.
Enfin, pour apporter des réponses durables, nous ne pourrons nous dispenser d'un combat pour le logement décent et d'une réforme de la politique foncière, adaptée au changement climatique. Le Gouvernement doit, avec le Parlement, prolonger et approfondir les mesures du texte. Notre groupe y prendra toute sa part. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du groupe SER)
Mme Évelyne Perrot . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) La crise du logement dans les outre-mer est un constat connu. Comme toujours, le défi est d'apporter des réponses concrètes. L'encadrement des loyers, à lui seul, ne répondra guère à l'urgence, mais si elle reste facultative, cette mesure est un outil utile à disposition des élus locaux.
Légiférer consiste à arbitrer : quels enseignements tirer de l'encadrement des loyers ou des deux plans Logement outre-mer depuis 2015 ?
Le groupe UC votera le texte issu des travaux de la commission. L'expérimentation ad hoc en outre-mer est bienvenue.
La crise du logement ne doit pas être abordée uniquement sous le prisme des loyers. Il faut un éventail de mesures plus larges sur le foncier, la rénovation ou l'adaptation des techniques de construction.
En supprimant l'article 3, la commission ouvre un débat plus large sur l'impérieuse question de l'adaptation des normes ; la construction et l'urbanisme ne sont pas les seuls domaines concernés.
Enfin, nous devons aborder de manière plus exhaustive la question de la vie chère. Les loyers représentent une part significative du budget des ménages ultramarins, encore plus que dans l'Hexagone, compte tenu d'un niveau de revenus moindre.
Nous savons combien la définition des QPV a été défavorable aux Ultramarins. Les critères n'étaient pas pertinents et les données statistiques manquaient. La méthode de carroyage ne peut s'appliquer partout.
La variable logement a joué un rôle majeur lors des derniers scrutins électoraux. Lorsque les loyers augmentent plus vite que les revenus, lorsqu'ils sont indécents, tous les ingrédients d'un cocktail explosif sont réunis...
Le groupe UC votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Audrey Bélim applaudit également.)
Mme Marianne Margaté . - J'exprime la solidarité de notre groupe avec nos compatriotes réunionnais touchés par le cyclone.
Nous venons de débattre de la vie chère. S'il y a bien un facteur qui rend la vie chère, c'est le coût du droit au logement, particulièrement outre-mer. Dans certaines parties des outre-mer, les niveaux des loyers sont aussi élevés qu'à Bordeaux, Lyon ou Marseille, alors que les logements sont souvent vétustes.
L'accès au logement des populations les plus précaires est ainsi très difficile. Selon l'Insee, La Réunion et la Martinique sont les deux régions les plus pauvres, avec des taux de 36 et 27 % respectivement, loin de la moyenne nationale, de 15 %.
Sur le marché du logement, en fait de libre concurrence, c'est la loi du plus riche qui s'applique : 3,5 % des propriétaires possèdent la moitié des logements privés dans notre pays. Nous sommes en présence d'un monopole de multipropriétaires, dont certains profitent de la pénurie pour augmenter les loyers au-delà de toute décence.
Ce n'est pas une fatalité. L'encadrement des loyers, dont Mme Bélim propose l'extension outre-mer, permettrait d'endiguer leur hausse continue. Il faut aussi une politique de rénovation et de construction de logements sociaux - hélas, le Gouvernement s'y refuse. Nous devons aussi améliorer la qualité des logements pour tenir compte de l'urgence écologique.
Outre-mer, nous imposons des normes en complet décalage avec les réalités locales. Des matériaux comme le bois et la terre crue sont à la fois adaptés et disponibles dans ces territoires. Les mieux placés pour définir les normes pertinentes sont les acteurs du logement et du bâtiment, les scientifiques et tous ceux qui vivent dans ces territoires. C'est pourquoi nous voterons l'amendement de rétablissement de l'article 3, en espérant que le Gouvernement publie rapidement les décrets d'application.
Le chemin est encore long pour traiter la crise du logement outre-mer. Mais l'encadrement des loyers est un moyen simple et nécessaire pour avancer. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Akli Mellouli . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; Mme Audrey Bélim applaudit également.) Je m'associe aux pensées qui ont été exprimées pour nos compatriotes réunionnais et salue le travail d'Audrey Bélim, dont la proposition de loi fera avancer les choses.
Avec plus de 2,6 millions de demandes de logements sociaux non satisfaites, la crise du logement atteint dans notre pays des proportions alarmantes. Ce sont autant de familles qui ne peuvent offrir à leurs enfants des conditions de vie dignes, nécessaires à la construction de leur avenir. Selon la Fondation Abbé Pierre, le mal-logement est une blessure qui ronge notre pacte républicain.
C'est encore plus vrai outre-mer, où la fracture économique et sociale avec la métropole ne cesse de se creuser. Pas moins de 75 % des ménages ultramarins éligibles au logement social en sont exclus. Or un logement, ce ne sont pas seulement quatre murs et un toit ; c'est le socle d'une vie digne, un environnement stable offert à ses enfants. Combien d'élèves peinent à se concentrer à l'école, rongés par la précarité de leurs conditions de vie ? À Mayotte, dès avant le cyclone, combien de familles survivaient dans des bidonvilles insalubres sans perspective d'en sortir ? Comment accepter qu'en France, en 2025, l'accès à un logement digne soit un luxe ? C'est encore plus intolérable pour les personnes en situation de handicap ou en perte d'autonomie.
Le problème de fond est connu : le coût du logement est devenu insoutenable. Outre-mer, les loyers atteignent des niveaux comparables à ceux de la métropole, alors que 18 % des Français vivant dans la grande pauvreté résident sur ces territoires. Cette injustice, nourrie par la spéculation foncière, est inacceptable. Le logement est un droit fondamental.
L'encadrement des loyers a été expérimenté avec succès en métropole. Pourquoi ce qui fonctionne ici ne serait-il pas appliqué là-bas ?
Mais nous devons aussi garantir des logements durables, construits avec des matériaux adaptés aux réalités locales. Chido a montré l'urgence de repenser la construction et la rénovation en outre-mer. Je salue l'excellent travail mené à cet égard par Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel.
La République ne peut plus détourner le regard. Trop longtemps, on n'a fait que poser des pansements sur une plaie béante. Il est temps d'apporter des réponses à la hauteur des besoins pour garantir des conditions de logement dignes à nos compatriotes ultramarins. Nous voterons ce texte qui ouvre de nouvelles perspectives, mais il faudra aller plus loin en travaillant sur un grand plan du logement et du parcours locatif en outre-mer. Nul ne doit plus vivre sans toit sur sa tête. (Applaudissements sur les travées du GEST, du groupe SER et du RDSE)
Mme Viviane Artigalas . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) J'associe à cette intervention notre collègue Saïd Omar Oili, qui ne peut être présent cet après-midi, faute d'avion depuis Mayotte ; il soutient fortement ce texte.
La crise du logement est plus grave en outre-mer qu'en métropole. Dans les territoires ultramarins, 80 % des ménages sont éligibles au logement social, mais seuls 25 % y résident ; et 70 % de la population peut prétendre au logement très social, contre 29 % en métropole. Le parc privé concentre l'essentiel des habitants, mais l'offre est faible, la demande élevée et les loyers ont explosé. Les difficultés structurelles sont les mêmes qu'en métropole : déficit de construction, coût des matériaux, problèmes de foncier et de zonage.
La proposition de loi de notre collègue Audrey Bélim a l'avantage d'être simple et précise. Elle autorise l'encadrement des loyers dans les communes ultramarines considérées comme tendues. Ce dispositif a fait ses preuves, mais le décret du 25 août 2023 élargissant la liste des communes tendues n'a pas permis à de nombreuses communes ultramarines de se porter candidates. Il est donc prévu d'allonger d'un an la durée de l'expérimentation et de rouvrir les candidatures jusqu'au 25 novembre prochain.
L'article 3, supprimé par la commission, portait sur la nécessaire adaptation des normes de construction en outre-mer et le recours aux matériaux locaux. L'Union européenne autorise désormais la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte, La Réunion et Saint-Martin à déroger au marquage CE et à importer des produits issus de leur environnement. C'est un gain de temps et d'argent ; c'est aussi du bon sens écologique. Le texte proposait donc de nouveaux mécanismes locaux de contrôle et d'homologation des matériaux. Mme Bélim proposera une nouvelle rédaction de cet article, fondée sur des comités référentiels associant toutes les parties prenantes.
Dans leur rapport, nos collègues Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel préconisent une telle adaptation des normes de construction. Cette proposition s'inscrit aussi dans la continuité du Livre blanc sur la construction durable en outre-mer, préfacé par Mme la rapporteure.
Ce texte ne résoudra pas tout, mais il est bienvenu. Il devra être complété par la proposition de loi de la délégation aux outre-mer, dont je remercie la présidente pour son travail sur ces questions. Pour l'heure, adoptons ces mesures simples et adaptées aux spécificités des territoires ultramarins. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
M. Cédric Chevalier . - (M. Marc Laménie applaudit.) J'ai à mon tour une pensée pour nos concitoyens de La Réunion.
Le logement dans les outre-mer est un enjeu majeur : nombre d'habitants vivent dans des conditions insalubres ou précaires, ou sont exposés à des problèmes de confort sévères - isolation insuffisante, humidité, par exemple. Accéder à un logement décent est un défi. À Mayotte après Chido, mais aussi dans d'autres territoires, l'accès à l'eau est régulièrement coupé.
Ces difficultés sont d'autant plus marquées que les revenus en outre-mer sont plus faibles que dans l'Hexagone, et le taux de pauvreté, plus élevé. Si 80 % des foyers ultramarins répondent aux critères d'attribution d'un logement social, seuls 15 % en disposent effectivement : près de 45 000 demandes sont en attente à La Réunion, 10 000 en Guadeloupe, 12 000 en Guyane. Les habitants n'ont d'autre choix que de se tourner vers le parc privé, où les loyers atteignent parfois les niveaux de certaines métropoles de l'Hexagone. Dans certaines communes de La Réunion, les dépenses liées au logement représentent 80 % des revenus des familles.
Lorsque la loi Élan a instauré un encadrement expérimental des loyers dans les zones tendues, les territoires ultramarins ont été exclus du dispositif. Depuis six ans, malgré les revendications constantes des élus locaux, cette expérimentation ne leur a jamais été offerte.
Cette proposition de loi vise à créer une expérimentation spécifique d'encadrement des loyers outre-mer pour cinq ans. Dans l'Hexagone, près de 70 communes encadrent déjà les loyers. Il serait injuste de ne pas accorder la même possibilité aux communes ultramarines volontaires.
Cette mesure s'inscrit pleinement dans le combat plus large contre la vie chère en outre-mer, qui exige des solutions multiples et adaptées aux réalités locales. Nous voterons donc cette proposition de loi légitime et nécessaire. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, du RDSE, du GEST et du groupe SER)
Discussion des articles
Article 1er
M. le président. - Amendement n°3 de Mme Margaté et du groupe CRCE-K.
Mme Marianne Margaté. - L'encadrement des loyers est toujours considéré comme une expérimentation. Pourtant, la mesure convainc partout où elle est mise en oeuvre. Elle produit ses effets, surtout quand les communes l'assortissent de sanctions en cas de non-respect. Déjà appliqué par 69 communes, ce dispositif de bon sens a vocation à s'étendre, pas à s'éteindre.
Grâce à ce texte, la crise du logement, particulièrement préoccupante outre-mer, est à notre ordre du jour. Hélas, le droit au logement ne semble pas faire partie des priorités du Premier ministre.
À un an des élections municipales, la pérennisation de l'encadrement des loyers contribuera au renforcement du pouvoir des maires, que nous soutenons tous dans cette assemblée.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'expérimentation de l'encadrement des loyers arrivera à échéance en 2026. Elle est en cours d'évaluation par le Gouvernement. Attendons ce bilan global avant de décider d'une éventuelle pérennisation. Avec Audrey Bélim, nous sommes convenues de ne pas rouvrir le débat sur la mise en oeuvre de l'expérimentation dans l'Hexagone. Avis défavorable.
Mme Valérie Létard, ministre chargée du logement. - L'article 140 de la loi Élan prévoit une expérimentation de l'encadrement des loyers pour les communes volontaires. Il est nécessaire d'attendre l'évaluation de ce dispositif, de ses incidences et éventuels effets de bord. Ce rapport sera remis au Parlement six mois avant le terme de l'expérimentation. La pérennisation n'est pas souhaitable sans que ce travail fin ait été préalablement mené. Avis défavorable.
L'amendement n°3 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°5 de Mme Bélim et du groupe SER.
Mme Audrey Bélim. - Cet amendement vise à tenir compte des spécificités ultramarines. Il renvoie pour les conditions d'application du complément de loyer aux règles de décence fixées par l'article 6 de la loi de 1989, et non aux critères spécifiques prévus par la loi Élan, conçus pour l'Hexagone.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - Je souscris à votre objectif, mais les règles de décence que vous visez sont moins-disantes. Un logement indécent à cette aune ne devrait même pas être loué ! Un logement sans eau chaude, par exemple, doit-il pouvoir faire l'objet d'un complément de loyer en outre-mer, au motif que la fourniture d'eau chaude n'y est pas une condition obligatoire de décence ? Même s'ils sont considérés comme décents, quelque 22 000 logements sont précaires à La Réunion et 9 % du parc ne dispose pas d'eau chaude, comme Victorin Lurel, Guillaume Gontard et moi-même l'avons montré dans notre rapport. Avis défavorable.
Mme Valérie Létard, ministre. - Les critères définis par la loi Élan ont été pensés pour l'Hexagone : ils sont manifestement inadaptés aux territoires ultramarins : signes d'humidité, mauvaise exposition de la pièce principale... Il faut adapter ces critères pour permettre l'application d'un complément de loyer lorsque les caractéristiques du logement le justifient raisonnablement. C'est l'objet de l'amendement, qui renvoie aux critères généraux de décence prévus par la loi de 1989. Avis favorable.
L'amendement n°5 est adopté.
L'article 1er, modifié, est adopté.
Article 2 (Supprimé)
M. le président. - Amendement n°2 de Mme Margaté et du groupe CRCE-K.
Mme Marianne Margaté. - Nous voulons rétablir l'article 2 dans sa rédaction initiale, prévoyant que la géographie de la politique prioritaire de la ville doit être définie d'une manière non restrictive en termes d'accès. Certes, le nombre de quartiers prioritaires est passé de 218 à 247 au 1er janvier dernier, mais il était précédemment de 330. Nous regrettons que les critères d'éligibilité ne correspondent pas aux réalités des outre-mer. Plus généralement, nous déplorons le manque de moyens alloués à la politique de la ville dans le budget 2025 et la suppression alarmante de 100 000 contrats adultes-relais.
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - Votre amendement est satisfait par la récente actualisation de la géographie prioritaire. Les critères de délimitation prévus sont spécifiques aux outre-mer. Avis défavorable.
Mme Valérie Létard, ministre. - Je comprends l'intention, mais les critères d'éligibilité ont été rendus moins restrictifs et harmonisés entre territoires par un décret du 27 décembre dernier. Depuis l'entrée en vigueur de cette réforme, leur nombre est passé de 218 à 247. En outre, les préfets peuvent ajuster les périmètres aux limites de ces zones. Avis défavorable.
L'amendement n°2 n'est pas adopté.
L'article 2 demeure supprimé.
Après l'article 3 (Supprimé)
M. le président. - Amendement n°4 rectifié bis de Mme Bélim.
Mme Audrey Bélim. - L'adaptation des normes en outre-mer est une nécessité. Nous proposons d'avancer dans cette voie en créant des comités référentiels construction, chargés localement de la mise en oeuvre de l'exemption au règlement européen. La rédaction proposée est issue d'un travail avec les cabinets de Manuel Valls et de Valérie Létard, mais aussi avec France Assureurs ou encore la Fédération des entreprises d'outre-mer. Elle est soutenue par le Bureau de normalisation des techniques et équipements de la construction du bâtiment et le Conseil de l'Ordre national des architectes. L'adaptation des normes n'est plus une option !
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - Je salue votre engagement pour l'adaptation des normes. Il est aussi le mien, depuis longtemps. C'est un sujet complexe, sur lequel il faut d'aboutir à un consensus. L'amendement proposé est intéressant, mais veillons à ne pas créer un énième comité qui travaillerait en silo.
M. Olivier Rietmann. - Tout à fait !
Mme Micheline Jacques, rapporteur. - C'est une base de travail pour l'avenir. Sagesse.
Mme Valérie Létard, ministre. - Il s'agit d'assurer la mise en oeuvre d'une dérogation obtenue de haute lutte à Bruxelles, grâce notamment à la mobilisation des élus locaux. Le Gouvernement est favorable à l'amendement.
Merci à la délégation aux outre-mer, et à vous toutes et tous, pour ce dispositif qui marque une première avancée sur ce sujet épineux.
M. Victorin Lurel. - Nous vous remercions aussi !
L'amendement n°4 rectifié bis est adopté et devient un article additionnel.
L'article 4 est adopté.
Vote sur l'ensemble
M. Patrick Kanner . - Après les drames récents en Nouvelle-Calédonie, à Mayotte et La Réunion, les débats de cet après-midi et le large consensus qu'ils ont rencontré sont rassurants pour nos 2,5 millions de compatriotes d'outre-mer, auxquels nous envoyons de bons signaux. Je remercie M. Lurel et Mme Bélim, ainsi que Mme Jacques. Nous avons plaisir à travailler avec Manuel Valls, qui a contribué au succès de ces deux textes. Leur adoption est une bonne nouvelle pour le Sénat, les outre-mer et la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Guillaume Gontard . - Je remercie Audrey Bélim et l'ensemble du groupe SER pour ce texte, qui constitue une avancée importante. Je remercie aussi Mme Jacques et M. Lurel, avec qui j'ai coécrit le rapport sur le logement en outre-mer.
L'encadrement des loyers et les matériaux de construction sont des sujets importants. Les normes doivent être adaptées au contexte local. Les avancées européennes récentes sont encourageantes, mais il reste beaucoup à faire - je pense par exemple à la terre crue à Mayotte. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur des travées du groupe SER)
La proposition de loi est adoptée.
M. le président. - À l'unanimité.
La séance est suspendue à 20 h 15.
Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente
La séance reprend à 21 h 45.
Reconnaissance du bénévolat de sécurité civile
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur la reconnaissance du bénévolat de sécurité civile, à la demande du groupe CRCE-K.
M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe CRCE-K . - (Applaudissements) Ce sujet me tient particulièrement à coeur. Le Pas-de-Calais a connu une vague d'inondations d'ampleur à la fin 2023 et au début 2024, laissant les habitants dans des situations préoccupantes, même s'il n'y a pas eu de victimes. Chacun a pu noter l'engagement et l'utilité des associations agréées de sécurité civile, notamment la Protection civile. C'est aussi le cas à Mayotte, où dix bénévoles du Pas-de-Calais se sont rendus, ou encore à La Réunion, vers laquelle trois bénévoles du département s'envoleront demain.
Une proposition de loi déposée en avril 2023 par le député Yannick Chenevard, présent dans notre tribune, a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale en mars 2024, mais n'a toujours pas été inscrite à l'ordre du jour du Sénat.
Le Président de la République déclarait en 2017 à ces bénévoles : « Vous incarnez toutes et tous le visage d'une France solidaire, ouverte, généreuse. Je suis fier de cette énergie que chacun de vous déploie en ces moments difficiles et éprouvants par le seul souci de l'autre et le seul intérêt de la France ».
J'ai participé à la mission commune d'information sur le sauvetage en mer organisée après la mort tragique de sauveteurs en Vendée. Les problématiques étaient proches : il fallait là encore mieux reconnaître les bénévoles pour sauvegarder le modèle de la Société nationale des sauveteurs en mer (SNSM).
Pas moins de 200 000 bénévoles oeuvrent au sein des associations agréées, assurent les secours pour les grands événements, font de la formation et agissent durant les crises aux côtés des pompiers. Dans le Pas-de-Calais, il y a 250 bénévoles et 10 salariés - 50 en période estivale pour la surveillance des plages. Ils totalisent 8 antennes, 150 000 heures de bénévolat en 2024, 2 700 personnes secourues et 1 800 personnes assistées, des postes de secours à l'Enduro du Touquet ou au Main Square Festival d'Arras, mais aussi dans 300 autres manifestations.
On compte 200 mobilisations par an par le préfet avec 64 véhicules dont 6 de premier secours, auxquelles s'ajoute la mission, sur le littoral du Pas-de-Calais, de la prise en charge des migrants, après l'intervention des forces de l'ordre. Les crises géopolitiques, sanitaires et climatiques s'intensifient.
Le texte adopté à l'Assemblée nationale, réclamé de longue date par les associations, comprend des avancées significatives pour la reconnaissance des bénévoles : amélioration de l'articulation avec leur activité professionnelle, prise en compte le temps de bénévolat au titre du compte personnel de formation, octroi de trimestres supplémentaires pour le calcul de leur retraite, distinctions. Je pense aussi à une réduction sur les prix de carburant.
Toutefois, la proposition de loi adoptée a éludé la question du renforcement des moyens des associations agréées. Différents articles ont été retirés du texte, en raison de l'état inquiétant de nos finances publiques, créant notamment un fonds de garantie et des avantages fiscaux. L'ambition du texte initial n'a pas été conservée.
Dans mon département, seuls six des dix postes de permanents sont financés par l'État. L'État ne finance pas autrement la Protection civile du Pas-de-Calais et tarde à rembourser les frais engagés : 150 000 euros de carburant et de consommables n'ont pas été remboursés depuis l'hiver 2023-2024.
Un Beauvau de la sécurité civile a été lancé, mais seul un chantier sur cinq a été ouvert. Nous aimerions avoir accès aux quatre autres, notamment celui relatif au financement.
La proposition de loi était déjà le fruit d'une concertation avec les acteurs de terrain. Combien de temps les bénévoles devront-ils attendre pour qu'elle soit votée ? La loi Matras de 2021 prévoyait déjà la consolidation de l'organisation des associations, mais n'a pas été véritablement suivie d'effets sur le terrain.
Que répondre aux associations confrontées aux difficultés financières ou aux carences de matériels ? Nous devons identifier les mécanismes pour les conforter : réduction du prix du carburant, mais aussi du malus écologique et de la taxe foncière... Quel calendrier pour la clôture des travaux du Beauvau ? Quels sont les résultats de l'enquête en ligne ouverte en juin 2024 et toujours ouverte à ce jour ? Il faut urgemment inscrire ce texte à l'ordre du jour. C'est le moins que l'on puisse faire pour tous ceux qui agissent de manière désintéressée pour nos concitoyens. (Applaudissements)
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. - Sur le calendrier du Beauvau de la sécurité civile, la démarche a été engagée en 2024. Elle a repris dès janvier 2025, des déplacements ont été réalisés. Nous sommes en train d'analyser toutes les contributions issues des concertations, très riches.
Dans le courant du mois de mars, nous aurons une nouvelle concertation avec les associations départementales et les parlementaires intéressés, dans un format plus réduit. Ensuite, nous préparerons un projet de loi, pour qu'il soit près avant l'été. (Mme Émilienne Poumirol s'en réjouit.) Sera-t-il présenté à cette date au Parlement ? Je ne le sais pas. Il sera sans doute prêt à être débattu courant septembre.
Toutes les associations agréées sont parfaitement prises en compte au sein de ces discussions. Il existera un volet pour le monde bénévole : c'est une part essentielle de la stratégie.
Mme Patricia Schillinger . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Notre modèle de sécurité civile unique en Europe repose sur une complémentarité entre professionnels et bénévoles. Il nous protège lors de crises climatiques notamment.
Aux 200 000 sapeurs-pompiers volontaires s'ajoutent 200 000 bénévoles de sécurité civile qui font le choix de consacrer leur temps à la protection des autres.
La sécurité civile française est l'une des plus efficaces au monde, reposant sur un maillage territorial important. Mais le modèle est fragilisé. Il faut garantir la pérennité du volontariat. La jurisprudence Matzak, qui assimile les sapeurs-pompiers volontaires à des travailleurs, représente une menace pour tous les bénévoles de la sécurité civile. Si elle s'imposait, elle découragerait des vocations.
Notre assemblée s'est déjà prononcée : elle plaide pour une directive européenne spécifique pour éviter toute requalification par le droit du travail. Qu'en pense le Gouvernement ?
Ces associations jouent un rôle fondamental pour secourir les populations sinistrées, faire de la formation ou encadrer de grands événements. Il faut renforcer leur rôle complémentaire de celui des sapeurs-pompiers. Le Gouvernement veut-il améliorer leur coordination avec ces derniers ?
Comme eux, elles rencontrent des difficultés de recrutement, en raison des difficultés à lier vie professionnelle, familiale et bénévolat. La loi Matras et le projet de loi de finances rectificative pour 2023 ont permis une valorisation de l'engagement des sapeurs-pompiers en matière de retraite ou de formation. Le Gouvernement entend-il étendre ces mesures aux bénévoles ? Ne faudrait-il pas créer un véritable statut du bénévole de la sécurité civile ?
Enfin, il faut un financement stable et durable. Le système repose sur des dons et mécénats précaires.
Yannick Chenevard proposait un fonds de garantie pour assurer un financement pérenne, des incitations fiscales et l'exonération des locaux de taxe foncière. Le Gouvernement y est-il favorable ?
Le Beauvau de la sécurité civile, en concertation avec les acteurs concernés, a-t-il permis d'identifier des solutions concrètes ?
La sécurité civile est un pilier de notre résilience. Nous devons être à la hauteur. (Applaudissements)
M. François-Noël Buffet, ministre. - Effectivement, notre modèle de sécurité civile est l'un des plus performants en Europe, reposant sur une complémentarité entre sapeurs-pompiers et autres bénévoles. Mais le modèle est fragile : son financement doit être pérennisé et l'augmentation des risques climatiques influe sur ses missions. Ensuite, nous devons aussi renouveler les moyens, à l'image des Canadair.
Le Gouvernement soutiendrait-il une directive européenne spécifique ? Oui. Les choses sont claires.
Le statut fait partie des débats en cours dans le Beauvau de la sécurité civile.
Concernant l'attractivité de cette activité, la question est fondamentale. Notre système repose sur le volontariat et le bénévolat.
Mme Mireille Jouve . - (Applaudissements) Merci au groupe CRCE-K pour ce débat. Selon le code de la sécurité intérieure, la sécurité civile a pour objet la prévention des risques de toute nature, l'information et l'alerte de la population, auxquelles s'ajoute la protection des personnes, des animaux, des biens et de l'environnement contre les accidents, les sinistres et les catastrophes. Il faut donc des moyens appropriés, qui relèvent de l'État et des collectivités.
Professionnels et bénévoles coexistent : 250 000 sapeurs-pompiers volontaires, 13 000 pompiers militaires, 1 500 sauveteurs pilotes d'avions et d'hélicoptères coexistent avec 200 000 bénévoles qui ont effectué 4 millions d'heures de bénévolat en 2023. Ils sont un pilier incontournable.
Mais la fatigue se fait sentir, car la pression augmente : jeux Olympiques et Paralympiques (JOP), attentats, crise sanitaire, effets violents du dérèglement climatique, avec les feux de 2022 - je pense, dans les Bouches-du-Rhône, aux incendies de la Montagnette dans les Alpilles et des Pennes-Mirabeau.
Comment ne pas saluer la mobilisation des bénévoles lors des inondations dans le Nord ou des cyclones à Mayotte et à La Réunion ?
Cet essoufflement est le résultat d'une crise du sens, une crise du « à quoi bon ? » face au relâchement de certains comportements. Et puis les bénévoles nous disent combien il est difficile de concilier le bénévolat avec la vie professionnelle et la vie familiale. Le don de soi ne va plus de soi...
Nous devons donc fidéliser les bénévoles et mieux les reconnaître. La proposition de loi du député du Var Yannick Chenevard, adoptée en mars 2024, est bienvenue. Seule ombre : elle alignerait les bénévoles sur les sapeurs-pompiers alors qu'ils n'ont pas les mêmes obligations. Il ne faudrait pas que ces droits deviennent un cadeau empoisonné, après l'arrêt Matzak. (Applaudissements)
M. François-Noël Buffet, ministre. - La sécurité civile compte 100 000 bénévoles, dont 30 000 secouristes.
Madame Schillinger, la coordination des services est une préoccupation. Les réponses sont différentes selon les départements.
Certains départements fonctionnent très bien, comme la Haute-Savoie, qui gère un plateau de concentration des appels - cela coûte cher, mais fonctionne très bien. Dans d'autres départements, les choses vont moins bien. Nous devons harmoniser, mais chacun doit pouvoir disposer de moyens appropriés.
M. Olivier Bitz . - (Applaudissements) Ce débat nous permet de donner un coup de projecteur sur les 200 000 concitoyens engagés dans des associations de sécurité civile.
Les bénévoles de la sécurité civile ne sont pas les plus visibles, mais jouent un rôle essentiel, dans les missions d'assistance sur la voie publique. Ils permettent le bon déroulement des manifestations - ce fut le cas pendant les JOP. Ils participent aussi au sauvetage en mer et à la surveillance des plages et jouent un rôle fondamental en période de crise.
Les bénévoles répondent présent à chaque fois. Nous aurons encore besoin d'eux demain avec la multiplication des risques. Les difficultés du secteur sanitaire ne peuvent se reporter sur les sapeurs-pompiers et les associations agréées.
Le coût de l'intervention des bénévoles est sans commune mesure avec celui des autres forces de sécurité civile : s'appuyer sur leur compétence est donc dans l'intérêt de nos finances publiques.
Notre modèle économique fait appel au bénévolat, à la générosité du public et à la facturation de prestations. Ce modèle ne pourra rester pérenne. L'engagement financier de l'État et des collectivités est modeste financièrement - il faut bien le reconnaître.
Nous connaissons une crise de l'engagement : nous devons nous emparer de ce sujet afin de susciter et de pérenniser les vocations.
La loi Matras de 2021 a permis une première avancée, mais il faut aller plus loin. Monsieur le ministre, j'en profite pour vous interpeller sur la bonification des retraites des sapeurs-pompiers volontaires, adoptée par le Parlement : nous attendons toujours le décret d'application.
Je salue le travail du député Chenevard, présent dans notre tribune, dont la proposition de loi a été votée à l'unanimité à l'Assemblée nationale. Celle-ci va dans le bon sens, en reconnaissant l'engagement du bénévole et de son employeur. Il faut mieux valoriser le rôle de ce dernier : la création d'un label employeur partenaire des associations agréées y contribuerait.
Se pose également la question du droit à la formation ou de la bonification au titre de la retraite.
Faisons en sorte que le Sénat se saisisse de ce sujet en inscrivant à son ordre du jour la proposition de loi Chenevard, qui pourrait d'ailleurs être enrichie par les conclusions du Beauvau de la sécurité civile. (Applaudissements)
M. François-Noël Buffet, ministre. - Le budget global de la sécurité civile s'élève à 6,8 milliards d'euros ; la participation de l'État représente 831 millions d'euros.
Sur la retraite des sapeurs-pompiers, les travaux interministériels reprennent à l'occasion du débat national en cours sur les retraites. Le ministre de l'intérieur souhaite valoriser l'engagement dans le calcul de la retraite ; le sujet est complexe.
Nous nous inspirons des mesures de la proposition de loi Chenevard : libérer les bénévoles de leur activité professionnelle, créer un label employeur, travailler sur le compte personnel de formation. Nous pourrions les intégrer au dispositif issu du Beauvau de la sécurité civile.
M. Gérard Lahellec . - (Applaudissements) Je remercie notre collègue Jean-Pierre Corbisez, à l'initiative de ce débat.
Je salue les 250 000 bénévoles participant à la sécurité civile, qu'ils soient bénévoles, professionnels, militaires.
Je relève toutefois une contradiction : faire de la sécurité une priorité et diminuer les crédits de l'État alloués à la sécurité civile. Résultat : les associations sont encore plus sollicitées.
Les événements extrêmes que nous avons connus accentuent nos besoins en sécurité civile. S'y ajoute la politique de régulation des urgences dans nos hôpitaux. Tout cela déstabilise l'ensemble de la chaîne de la sécurité civile.
Les associations sont fragilisées. C'est pourquoi je salue l'adoption de la proposition de loi Chenevard à l'Assemblée nationale. Il faut discuter des modalités d'un tel renforcement législatif. Il ne s'agit pas de donner un blanc-seing : si cette proposition de loi est inscrite à l'ordre du jour du Sénat - je le souhaite -, nous devrons prendre garde à soutenir correctement ces associations et ces bénévoles.
Le financement actuel du bénévolat est fragile. Nous ne répondrons pas à ce défi uniquement avec des allègements d'impôts. Non, la solidarité nationale doit jouer son rôle. Nous regrettons qu'un fonds de garantie des associations de la sécurité civile ait été supprimé par l'Assemblée nationale. Par exemple, une contribution assise sur les contrats d'assurance habitation pourrait financer ces associations.
La sécurité de tous ne peut reposer sur le choix personnel d'individus de faire un don. Le financement du bénévolat doit être géré avec sérieux. Cela vaut aussi pour les enjeux humains ; les associations de sécurité civile peinent à recruter.
Je suis très réservé sur la mise à disposition de congés pour les bénévoles de sécurité civile : à première vue, cela peut sembler généreux, mais cela peut aussi avoir des effets sur l'engagement des personnes elles-mêmes. Faire reposer le bénévolat sur la solidarité individuelle pourrait les culpabiliser.
Il est urgent d'agir en faveur du bénévolat de la sécurité civile, mais agissons bien. Cette proposition de loi pourrait nous en donner l'occasion ; je souhaite que nous en débattions rapidement. (Applaudissements)
M. François-Noël Buffet, ministre. - Vous ouvrez un débat sur le financement du dispositif, dont on sait qu'il est fragile.
Comment faire aussi bien avec moins de moyens ? Il faut mutualiser et gagner en efficacité financière sur certains postes. Les pistes existent ; il convient de les évaluer afin de ne pas diminuer la qualité du service rendu.
Des pistes existent aussi pour augmenter les ressources ; vous avez ainsi évoqué une contribution assise sur les assurances. Ne l'évacuons pas d'un revers de main et prenons le temps d'expertiser cette proposition.
Un point essentiel à ne pas perdre de vue : ne faisons pas de nos bénévoles des professionnels. Ce serait contraire à leur engagement citoyen. Cela dit, nous pouvons réfléchir à quelques avancées pour ces personnes qui s'engagent.
Les associations peuvent facturer les heures de formation qu'elles dispensent. Le panel de ressources est large, mettons-y un peu d'ordre.
M. Grégory Blanc . - (Applaudissements sur les travées du GEST, du groupe SER et du RDSE) Je remercie le groupe CRCE-K pour ce débat. Il faut intégrer les dispositions de la proposition de loi Chenevard dans le Beauvau de la sécurité civile.
Le 8 mai 2024, Parnay, paisible commune rurale de Maine-et-Loire, voit 10 000 ravers débarquer pour une rave party sauvage. Face à un territoire dépassé, la préfecture s'organise et réquisitionne en urgence les associations agréées de sécurité civile. Le bilan est lourd : un décès, quatre gendarmes blessés. Le reste à charge s'élève à plus de 25 000 euros pour l'association, qui attend toujours des remboursements. (On renchérit sur les travées du groupe CRCE-K.) Ensuite, ces associations n'arrivent plus à assurer leur équilibre financier pour mener à bien leurs missions.
Je distingue trois axes.
Premier axe : en matière de formation, il faut réfléchir à un grand plan visant à augmenter la formation des Français aux gestes de premier secours ; seuls 40 % des Français sont qualifiés, contre 80 % des Allemands.
Deuxième axe : l'activité de secourisme doit être facturée aux organisateurs de grands événements. Il faut mieux accompagner les associations, qui ne disposent pas toujours des compétences nécessaires pour établir une facturation au plus juste.
Troisième axe : les indemnisations ne sont pas à la hauteur des mobilisations en urgence. L'État doit compenser le coût de ces interventions via un fonds créé à cet effet.
Selon la Fédération nationale de protection civile (FNPC), les recettes moyennes d'une association s'élèvent à 150 000 euros, avec un excédent disponible moyen de 15 000 euros. Ces chiffres sont valables seulement lorsque les formations sont au rendez-vous, mais ce n'était pas le cas durant les années covid. Résultat : le déficit de ces années pas si lointaines n'est toujours pas apuré.
Les opérations d'urgence, avec le dérèglement climatique, se multiplieront. Il nous faut nous préparer à un monde qui dépassera très vite les 2 degrés, avec un horizon à plus 4 degrés. Des réformes structurelles s'imposent : une meilleure coordination, un meilleur financement.
Dans la loi de finances pour 2025, le budget de la police de l'immigration progresse, tandis que celui de la sécurité civile baisse. Nous considérons pour notre part que la priorité devrait aller au secours des victimes avant la chasse aux étrangers.
Si nous voulons encourager les bénévoles et leur démontrer notre reconnaissance, permettons-leur d'évoluer dans un cadre pérenne. (Applaudissements sur les travées du GEST, ainsi que sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du RDSE)
M. François-Noël Buffet, ministre. - Oui, des réformes structurelles sont nécessaires.
La sécurité civile a bénéficié d'investissements importants dans le cadre du pacte capacitaire : cela a rendu des moyens aux Sdis et a permis l'achat de 8 Dash. Cette année, le PLF marque un rééquilibrage des crédits en faveur de la police, qui avait besoin de matériel. Mais nous n'oublions pas la sécurité civile : notre flotte de Canadair devra être renouvelée d'ici à 2030 ou 2031.
L'axe 5 du Beauvau de la sécurité civile prévoit une formation aux premiers secours dès l'école primaire. Il faut poursuivre les efforts à l'âge adulte, notamment grâce à une application « Tous préparés, mieux protégés ». C'est en sensibilisant les jeunes que nous avons le plus de chances d'atteindre l'objectif de 80 % de la population formée, comme en Allemagne.
M. Grégory Blanc. - Merci pour votre réponse. Il est vrai que les moyens des pompiers ont augmenté grâce au pacte capacitaire. Mais nous avons besoin d'un pacte capacitaire pour prévenir les inondations : il y a urgence.
M. Hussein Bourgi . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST, du RDSE et du groupe UC) Je salue nos collègues qui ont inscrit ce débat à l'ordre du jour. Notre modèle de sécurité civile est singulier, avec 212 000 sapeurs-pompiers volontaires et 43 000 sapeurs-pompiers professionnels.
Ce débat nous permet de saluer ces femmes et ces hommes qui s'engagent pour sauver des vies, combattre les incendies et lutter contre les inondations.
Je saisis l'occasion pour saluer également les 200 000 bénévoles engagés dans les associations. Ces personnes forcent l'admiration pour leur dévouement. Elles sont des relais, des sentinelles, des gardiens et des acteurs de la sécurité civile : nous leur devons des compliments et des éloges.
L'enjeu de la formation est essentiel. Comment faire pour passer de 70 000 à 100 000 les bénévoles concernés ? Se former, c'est être en mesure d'accomplir les bons gestes en intervention tout en se protégeant soi-même. Se former, c'est monter en compétence et bénéficier d'une meilleure reconnaissance tant des acteurs institutionnels que des employeurs.
Je salue Yannick Chenevard, présent ce soir. Sa proposition de loi a été transmise au Sénat le 27 mars dernier. Quand le Gouvernement envisage-t-il d'inscrire ce texte à l'ordre du jour du Sénat ?
Tout en préservant la distinction entre les bénévoles de sécurité civile et les sapeurs-pompiers volontaires, il convient de faire partager aux uns et aux autres une culture commune.
Notre sécurité civile doit faire face à de nombreux défis.
Premièrement, la directive européenne sur le temps de travail, véritable épée de Damoclès, troublant la sérénité des soldats du feu. Quelle indication pouvez-vous nous donner en la matière ?
Deuxièmement, le renouvellement et la massification de nos forces de sécurité civiles, face au vieillissement de la population et au changement climatique.
Comment assurer un maillage territorial serré ? Alors que le maillage territorial Sdis avait été sanctuarisé, 2 000 centres de secours ont disparu en dix ans, d'où une dégradation de la couverture opérationnelle.
Troisièmement, la disponibilité des sapeurs-pompiers.
Quatrièmement, la montée des agressions contre les forces de sécurité civile. Il faut des équipements de protection individuelle pour chacun.
Pour conclure, je souhaite témoigner ma considération à ces hommes et à ces femmes, quelle que soit la couleur de leur uniforme.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Les discussions sont en cours sur la directive européenne relative au temps de travail. Nous essayons de faire prévaloir l'idée que des bénévoles n'ont pas à être soumis aux mêmes règles qu'un salarié, dans la mesure où ils agissent dans le cadre d'un engagement citoyen. Nous avons bon espoir d'être entendus.
Sur la formation, nous réfléchissons, dans le cadre du Beauvau, à la création d'une Académie de sécurité civile, en renforçant le rôle de l'École nationale supérieure des officiers sapeurs-pompiers (Ensosp).
M. Joshua Hochart . - Merci pour ce débat sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur.
Nos sapeurs-pompiers sont le pilier incontournable de la sécurité civile. À cet égard, je vous alerte sur la situation difficile au sein du Sdis 59, qui reste sourd aux souhaits des élus de tous bords, obligeant l'agglomération de la porte du Hainaut à suspendre un financement de 8 millions d'euros.
Mais on oublie trop souvent les 200 000 bénévoles de la sécurité civile. Bénévole moi-même depuis mes 16 ans, je sais que nous leur devons beaucoup. Emmanuel Macron lui-même leur a rendu hommage, parlant du visage d'une France solidaire, généreuse et qui n'a pas peur. Ce soir même, certains contribuent à la sécurisation du match PSG-Liverpool. C'est en partie grâce à eux que les JOP se sont bien passés. Je me souviens aussi du rôle qu'ils ont joué lors des récentes inondations dans le Nord.
Quid de l'harmonisation des agréments ? Les disparités entre départements sont trop fortes. Et quelle reconnaissance de l'engagement ? La proposition de loi de M. Chenevard, que j'ai connu autrefois comme bénévole, propose des réponses en matière de formation et de retraite. Comment améliorer l'attractivité des associations de sécurité civile ? Envisagez-vous de faciliter leur participation aux opérations de secours du quotidien, comme c'est déjà le cas, notamment, en région parisienne ?
Quant à la formation aux premiers secours à l'école primaire, elle existe déjà : c'est le programme « Apprendre à porter secours », hélas peu appliqué. Une proposition de loi avait été déposée pour l'inclure dans la formation au permis de conduire : qu'en pense le Gouvernement ?
Enfin, des reconnaissances mutuelles des formations dispensées par les différentes structures sont-elles à l'étude ?
Monsieur le ministre, serez-vous, concrètement, aux côtés de ces bénévoles qui donnent beaucoup de leur temps libre ?
M. François-Noël Buffet, ministre. - Une harmonisation en matière d'agréments est nécessaire.
Pour l'intervention des associations agréées en matière de secours aux personnes, elle est possible depuis 2021. Mais les pratiques varient beaucoup selon les départements. Là aussi, nous travaillons à une harmonisation.
Notre dispositif de sécurité civile est remarqué à l'étranger, singulièrement en Europe. On vient de nombreux autres pays se former à l'Ensosp. Si nous voulons conserver ce leadership, nous devons créer des structures pérennes et uniformiser l'action menée.
Mme Marie-Claude Lermytte . - Hommage, respect et gratitude aux 250 000 bénévoles de la sécurité civile, qui font preuve d'un engagement sans faille au service des populations. Nous savons pouvoir compter sur eux au quotidien pour protéger, soigner, réconforter. Lors de la crise de la covid, ils ont organisé les dépistages et les vaccinations. Ils ont aidé les départements du Nord et du Pas-de-Calais lors des inondations de 2023. Ils étaient présents, l'été dernier, sur la majorité des sites des JOP. Notre nation leur doit beaucoup.
Nous devons mieux reconnaître l'engagement de tous les acteurs de la communauté du secours, dont le tissu est dense. Je pense à la Croix-Rouge, à la FNPC, à la SNSM et à d'autres encore. La loi Matras a déjà amélioré la reconnaissance de leur engagement et fait évoluer leurs missions, mais il faut aller plus loin.
Merci à M. Corbisez d'avoir suscité ce débat et au député Chenevard pour la proposition de loi qu'il a déposée. Nous devons encourager l'engagement et mieux reconnaître le rôle de chacun. Envisagez-vous d'accorder à tous les bénévoles de la sécurité civile la possibilité d'acquérir des droits en euros sur leur compte personnel de formation (CPF) ? Comptez-vous améliorer leur retraite par l'attribution de trimestres complémentaires, une mesure qu'il est urgent d'appliquer pour les sapeurs-pompiers volontaires ?
M. François-Noël Buffet, ministre. - L'abondement du CPF est une piste très sérieuse. Il fait partie des petites compensations qui peuvent accompagner l'engagement bénévole.
Les risques changent, les missions doivent changer aussi. Les pompiers n'interviennent que dans 6 % des cas pour éteindre des incendies. Ils interviennent beaucoup pour le secours aux personnes, mais, parfois, il ne s'agit que de transport. Il faut optimiser la coordination des interventions. En la matière, je mise beaucoup sur les plateformes de gestion des appels, qui me semblent des outils efficaces.
Mme Françoise Dumont . - Cette initiative du groupe CRCE-K est fort opportune. Nous devons protéger le bénévolat, un pilier essentiel du modèle français de sécurité civile. L'abnégation, le courage et le sens du service de nos bénévoles sont dignes d'éloges.
Les 250 000 bénévoles des associations agréées constituent un maillon souvent méconnu, bien qu'essentiel, de la chaîne de sécurité civile. Alliant bénévolat et spécialisation, ces associations diffusent la culture du risque dans la société et renforcent sa résilience.
L'amélioration de leur reconnaissance est défendue depuis longtemps par la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France dans le cadre d'une approche ouverte aux citoyens sauveteurs, collaborateurs occasionnels du service public. La Fédération appelle aussi à mieux valoriser les anciens sapeurs-pompiers en les incitant à rejoindre les réserves citoyennes des Sdis et à systématiser les réserves communales de sécurité civile.
Améliorer la reconnaissance des associations agréées est au coeur de la proposition de loi de mon collègue varois, le député Yannick Chenevard, adoptée par l'Assemblée nationale le 27 mars dernier, et que la Haute Assemblée s'honorerait à inscrire rapidement à son ordre du jour. Elle prévoit notamment de faciliter les absences professionnelles, d'instaurer un label à destination des employeurs et de mieux valoriser l'engagement bénévole.
J'ai travaillé dans le même sens comme animatrice du groupe de travail interne au groupe Les Républicains du Sénat sur la sécurité civile. Nous avons notamment préconisé de renforcer les efforts de reconnaissance honorifique et symbolique des sapeurs-pompiers comme des bénévoles, d'améliorer la visibilité des formations au premier secours, de renforcer la formation des élèves du secondaire et de mieux sensibiliser les décideurs publics au rôle des associations. (Applaudissements)
M. François-Noël Buffet, ministre. - Je constate une présence puissante du Var...
Mme Françoise Dumont. - Absolument !
M. François-Noël Buffet, ministre. - Vous avez commis un rapport en mai 2024, dont vous présenterez les conclusions dans le cadre du Beauvau. Au-delà du matériel, les distinctions symboliques sont essentielles : cela participe de ce qui fait nation. Nous connaissons tous l'importance dans nos villes ou nos villages des sapeurs-pompiers et de tous les acteurs de la société civile. S'agissant de la formation au premier secours, je le répète : plus tôt elle démarrera, mieux ce sera.
Mme Anne-Sophie Patru . - Je ne puis commencer cette intervention sans saluer les 250 000 bénévoles de la sécurité civile. Qu'ils oeuvrent au sein de la Croix-Rouge, de la Protection civile ou de la SNSM, ils jouent un rôle indispensable. Je l'ai constaté lors des récentes inondations en Ille-et-Vilaine et tout dernièrement lors de la mise en place de centres de vaccination contre la méningite à Rennes.
Entre autres initiatives, la proposition de loi du député Chenevard, présent dans nos tribunes, vise à renouveler et mieux valoriser le volontariat. Mais le mieux est souvent l'ennemi du bien. Prenons garde à ne pas mettre en concurrence les différentes formes d'engagement. (M. François-Noël Buffet approuve.) L'extension aux bénévoles des droits dont bénéficient les sapeurs-pompiers volontaires depuis la loi Matras ne doit pas créer cette concurrence, dont tout notre modèle pâtirait. Il y a en la matière une alchimie à préserver.
Il est essentiel de faciliter l'engagement au quotidien, en agissant d'abord dans le milieu professionnel. C'est le cas pour les sapeurs-pompiers, mais aussi les élus. Nous pourrions notamment créer une charte de déontologie, un label « employeur partenaire » et faciliter les absences.
L'octroi de trimestres de retraite supplémentaires est certainement aussi un levier à envisager, toujours dans le respect de l'alchimie délicate sur laquelle repose notre modèle.
Comme souvent, il faut simplifier, simplifier encore, et toujours simplifier. Le récent décret qui simplifie les modalités d'habilitation, allège l'instruction des demandes par les préfectures et rend plus lisible la réglementation des acteurs du secourisme va dans le bon sens.
Veillons à l'équilibre entre acteurs et valorisons chacun comme il se doit pour permettre une action efficace sur tout le territoire, au quotidien comme en temps de crise. (Applaudissements)
M. François-Noël Buffet, ministre. - À Rennes, lors des inondations, nous avons en effet constaté que le nombre de bénévoles présents a facilité la gestion de la situation.
Nous sommes très favorables à la création d'un label employeur.
Enfin, je vous rejoins sans réserve lorsque vous dites : pas de concurrence entre acteurs. L'enjeu du continuum de la sécurité civile, c'est la complémentarité des interventions.
Mme Émilienne Poumirol . - Les hommes et les femmes dont nous parlons ce soir incarnent au quotidien les valeurs de civisme, de solidarité et d'altruisme. Nous devons mieux reconnaître leur engagement.
Notre système hybride est reconnu. Les 200 000 sapeurs-pompiers volontaires représentent 78 % des effectifs des sapeurs-pompiers et assurent 75 % des opérations de secours. C'est le premier service d'urgence de notre pays.
Les 200 000 bénévoles de la sécurité civile jouent un rôle complémentaire, également essentiel.
Mais ce système connaît des tensions, du fait notamment d'une activité opérationnelle en hausse de 30 % en vingt ans, sous l'effet du délitement de nos services publics. La Cour des comptes l'a constaté en 2019 : les sapeurs-pompiers compensent la désertification médicale dans les territoires ruraux. Par ailleurs, le dérèglement climatique fait que les événements climatiques augmentent, tandis que les effectifs stagnent.
La loi Matras a permis un certain nombre de progrès, mais des chantiers restent à mener. La jurisprudence Matzak est source de risques, car elle assimile les bénévoles à des travailleurs. J'avais déjà interpellé Mme Schiappa sur le sujet. La France doit non seulement soutenir une nouvelle directive, mais en être à l'initiative, car son modèle est en jeu.
Sur le décret d'application pour les trimestres supplémentaires des sapeurs-pompiers volontaires, une mesure très attendue, le gouvernement Borne voulait vider le dispositif de sa substance en le réservant à ceux qui n'avaient pas d'activité professionnelle. Ce détricotage a entraîné une vive réaction des sapeurs-pompiers. Le décret devait paraître fin 2023, mais on attend toujours... Quand sera-t-il publié ? (Applaudissements)
M. François-Noël Buffet, ministre. - Le décret est lié au débat national sur les retraites. Si un accord intervient à l'issue du « conclave », il sera pris rapidement. C'est un peu comme le refroidissement du fût du canon... (Mme Poumirol s'amuse.) Au mieux, ce sera avant l'été, sinon, ce sera au début de l'automne.
Nous devons être proactifs sur la directive européenne.
Les missions de nos sapeurs-pompiers changent profondément : 6 % de lutte contre les incendies seulement pour 86 % d'aide à la personne. Il faut retrouver un équilibre et plus d'efficacité.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée . - Il est des vies consacrées à des causes plus grandes que soi ; l'engagement des 250 000 bénévoles de la sécurité civile, ces femmes et hommes qui répondent présents quand l'urgence l'impose, en est une illustration incontestable. Inondations, incendies, crises sanitaires, ils sont toujours là.
Ils sont là aussi lors des épreuves de la vie ; j'ai participé à des maraudes assistant des personnes à la rue : j'ai vu leur expertise pour la prise en charge des blessures physiques et psychiques des plus fragiles.
Chido puis Garance nous interpellent sur le manque de culture du risque dans nos populations. Je parle de vulnérabilité géographique, sociale et culturelle. Il faut faire confiance à l'expertise de terrain des bénévoles, qui leur fait vivre la solidarité en action.
La proposition de loi de Yannick Chenevard, que je salue, marque des avancées décisives en matière de reconnaissance des bénévoles et de leurs employeurs, avancées qui ne relèvent pas du privilège, mais de la justice.
Nous devrons revenir aux dispositions non adoptées à l'Assemblée nationale, améliorant notamment le modèle économique des associations de sécurité civile. Le Beauvau de la sécurité civile doit s'en saisir, de même qu'il devra prévoir des progrès en matière d'implication citoyenne.
La loi du 13 août 2004, voulue avec Jacques Chirac, affirmait un principe essentiel : la sécurité civile est l'affaire de tous. Vingt ans après, nous n'y sommes pas du tout. Les rares outils technologiques mis en place sont destinés uniquement à l'information de la population. Chaque citoyen peut être un acteur et sauver des vies à proximité. De même que l'application Staying alive permet d'être alerté qu'une personne en arrêt cardiaque à proximité a besoin d'aide, pourquoi ne disposerions-nous pas sur nos smartphones d'une application pour nous former et nous guider en cas de catastrophe naturelle ?
Faisons de chaque citoyen un acteur de la sécurité civile. Loin de la désorganiser, nous en multiplierons ainsi la puissance. Mettons en place une application pour sauver des vies ! (MM. Jean-Pierre Corbisez et Christian Bilhac applaudissent.)
M. François-Noël Buffet, ministre. - La formation la plus large de nos concitoyens est un sujet considérable. Il doit faire partie des réflexions du Beauvau. Il faut former les collégiens, mais la majorité des adultes ne sait pas comment réagir. Je pense au risque technologique : dans la vallée du Rhône d'où je viens, je suis certain que la majorité de la population ne saurait pas quoi faire.
Une application pratique visant à indiquer les premiers comportements à avoir en cas de pollution ou de risque climatique pourrait être utile. Toutes les contributions sont les bienvenues.
Nous avons conscience que ce Beauvau de la sécurité civile se tient à un moment stratégique. L'appropriation par le grand public des gestes de premier secours est fondamentale ; nous devons l'aborder, sans quoi nous raterons notre objectif.
Mme Sabine Drexler . - Le contexte impose de mieux reconnaître le bénévolat. La pression opérationnelle va s'accentuer et les besoins de secours à la personne seront croissants avec le vieillissement de la population.
J'espère que la proposition de loi adoptée à l'Assemblée nationale sera bientôt étudiée, à moins que le Gouvernement dépose un projet de loi.
La proposition de loi Chenevard est très complète. De ce que je connais du Haut-Rhin, où le tissu associatif est dynamique, la reconnaissance est essentielle pour motiver et éviter l'épuisement.
Formation, bonification de la retraite, indemnités peuvent être utiles, mais aussi la reconnaissance honorifique.
Comme nos forces de l'ordre, les bénévoles pourraient recevoir une décoration. Depuis 2012, votre ministère remet la médaille de la sécurité intérieure, trop peu connue et qui mériterait d'être démocratisée. Sur les 2 400 récipiendaires de la promotion du 1er janvier 2024, seuls trois portaient les agrafes « Sécurité civile » ou « Engagement citoyen ». Au regard des dizaines de milliers de bénévoles, c'est insignifiant.
Dans mon département, le président de la section de la Croix-Rouge des Trois Frontières est un bénévole actif depuis quarante-sept ans... C'est presque autant qu'une vie de travail. Un tel engagement ne mériterait-il pas d'être publiquement reconnu ?
Paulo Coelho écrit que les choses simples sont les plus extraordinaires. Nous avons un moyen simple pour reconnaître cet engagement. Seriez-vous prêts à inciter les préfets à proposer des dossiers de bénévoles de la sécurité civile pour bénéficier de ces décorations ? (Applaudissements)
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur . - Madame Drexler, nous avons déjà fait cette démarche auprès des préfets. Ils doivent nous faire remonter l'information.
Je remercie le sénateur Corbisez d'avoir suscité ce débat. L'Assemblée nationale a adopté la proposition de loi Chenevard ; les initiatives se croiseront peut-être pour aboutir à un beau texte - j'entends par là un texte instaurant des solutions pragmatiques dans la durée.
La question fondamentale reste celle des moyens : tout promettre serait une folie, ne rien faire en serait une autre. Trouvons un chemin entre les deux.
Dans quelques semaines, nous ferons des propositions. C'est un enjeu pour la nation et nos compatriotes. Il faut apporter des réponses adaptées aux territoires. Le défi majeur est celui des sapeurs-pompiers : les départements doivent pouvoir tenir dans la durée. Cet équilibre est aussi fragile que fondamental. Nous travaillons avec beaucoup de minutie. Tels des horlogers suisses, nous devrons faire en sorte que ce modèle dure.
Il y a quelques semaines, lors d'une réunion européenne, j'ai mesuré à quel point nos partenaires européens considéraient la sécurité civile française comme un modèle à suivre.
C'est une fierté nationale, pour nous mais aussi pour les professionnels et les bénévoles qui interviennent. C'est pourquoi nous devons réussir cette réforme. Merci pour cette soirée de débat : nous nous reverrons lors de l'examen du projet de loi, lorsque celui-ci aura été déposé.
M. Jean-Pierre Corbisez, pour le groupe CRCE-K . - Il y a dix ans, la sécurité civile du Pas-de-Calais avait un bel hélicoptère rouge et jaune - un Dragon - mais une ancienne députée de Guyane, devenue ministre, l'a pour ainsi dire détourné !
C'est désormais un vieux Dauphin de la Marine nationale, aux sièges défoncés et sans caméra thermique, qui intervient pour sauver les migrants en mer, mais il serait envisagé d'y affecter un Guépard d'ici à 2028 - les promesses n'engagent que ceux qui y croient...
Vous parlez d'investissement, de Canadair canadiens... Pourrait-on glisser dans les commandes un hélicoptère Eurocopter pour le Pas-de-Calais ?
Les bénévoles de la sécurité civile jouent un rôle essentiel d'assistance auprès de la population en situation de crise. L'actualité récente en fournit des exemples ; nous l'avons vu dans le Pas-de-Calais.
Nous avons exploré ce soir différentes facettes de la reconnaissance de la sécurité civile. Certains prétendent qu'une reconnaissance trop institutionnelle pourrait altérer le désintéressement. Je n'y crois pas !
Encourageons une meilleure prise en compte des compétences acquises. Il ne s'agit pas de remettre en question le caractère altruiste des bénévoles, mais de reconnaître leur rôle clé et de faire en sorte qu'ils disposent des moyens nécessaires. Les mesures évoquées ce soir, par exemple pour la retraite, sont des mesures de reconnaissance légitimes. Même chose pour les distinctions honorifiques. J'ai demandé au préfet du Pas-de-Calais d'honorer des bénévoles - si vous êtes disponible, monsieur le ministre, je vous accueillerai à Arras.
Il est indispensable d'encourager la participation de la population à la sécurité civile.
Monsieur le ministre, nous attendons rapidement votre texte. Nous connaissons votre pugnacité sénatoriale ; aussi sommes-nous impatients de vous retrouver pour en débattre ! (Applaudissements)
Prochaine séance demain, jeudi 6 mars 2025, à 10 h 30.
La séance est levée à 23 h 40.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du jeudi 6 mars 2025
Séance publique
De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures, à l'issue de l'espace réservé au groupe UC et au plus tard de 16 heures à 20 heures
Présidence : Mme Sylvie Robert, vice-présidente, M. Pierre Ouzoulias, vice-président
Secrétaires : Mme Marie-Pierre Richer, M. Guy Benarroche
1. Proposition de loi visant à protéger l'école de la République et les personnels qui y travaillent, présentée par M. Laurent Lafon et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°366, 2024-2025)
2. Proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre le risque incendie lié aux batteries au lithium et aux cartouches de protoxyde d'azote dans les installations de collecte, de tri et de recyclage, présentée par MM. Jean-François Longeot, Cyril Pellevat et plusieurs de leurs collègues (procédure accélérée) (texte de la commission, n°368, 2024-2025)
3. Proposition de loi visant à soutenir les collectivités territoriales dans la prévention et la gestion des inondations, présentée par MM. Jean?Yves Roux, Jean-François Rapin et plusieurs de leurs collègues (procédure accélérée) (texte de la commission, n°362, 2024-2025)
4. Proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les usages détournés du protoxyde d'azote, présentée par M. Ahmed Laouedj et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°360, 2024-2025)