Rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive, présentée par Mme Jacqueline Eustache-Brinio, à la demande du groupe Les Républicains.
Discussion générale
M. Roger Karoutchi, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Auteur, c'est beaucoup dire : je ne suis que cosignataire du texte de Mme Eustache-Brinio, absente pour raison de santé. Je me ferai son porte-voix en lisant le discours qu'elle a préparé.
La mort tragique d'une jeune étudiante en septembre dernier a mis en lumière les conséquences que peuvent entraîner les failles de notre cadre politique, administratif et juridique en matière de lutte contre l'immigration et le séjour illégal. Le suspect, connu des services de police pour des faits de viol et sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF), avait été libéré peu avant la délivrance du laissez-passer consulaire par son pays d'origine et quelques jours avant la mort de Philippine.
L'assassinat de cette jeune fille a provoqué une onde de choc et convaincu le groupe Les Républicains de déposer rapidement cette proposition de loi pour faire cesser la mise en danger d'autrui par des étrangers dangereux sous le coup d'une mesure d'éloignement.
L'attaque mortelle de Mulhouse, le mois dernier, a de nouveau bouleversé la France : le suspect, un Algérien fiché par les services de prévention du terrorisme et sous OQTF, a tué un passant à l'arme blanche et en a blessé plusieurs autres. L'Algérie avait refusé une bonne dizaine de fois de reprendre cet individu.
Il est nécessaire d'allonger le délai de rétention des étrangers les plus menaçants. Leur placement en rétention avant exécution des mesures d'éloignement est le moyen le plus efficace de protéger nos concitoyens. Même si je ne suis pas fanatique des sondages, il est intéressant de faire état d'une enquête d'octobre dernier : 84 % des Français sont favorables à l'emprisonnement systématique des étrangers sous le coup d'une OQTF auteurs de crime ou délit, avant leur expulsion. La dangerosité notoire de ces étrangers n'a pas à peser sur la vie de nos concitoyens ni sur leur sécurité du quotidien, déjà si dégradée.
Par ailleurs, il faudra trouver une solution pour rendre enfin effectives les OQTF, même lorsque les pays d'origine ne veulent pas récupérer leurs ressortissants. Je pense notamment à l'Algérie - nous aurons l'occasion d'en reparler.
La rétention fait l'objet d'un encadrement strict, indispensable s'agissant d'une mesure de privation de liberté. Sa durée normale peut aller jusqu'à un mois, mais le législateur a déjà judicieusement mis en place plusieurs mécanismes de prolongation de la rétention.
Ainsi, lorsqu'un étranger a été condamné à une peine d'interdiction du territoire pour des actes terroristes ou si la décision d'expulsion est liée à des activités terroristes pénalement constatées, la durée maximale de rétention peut atteindre 180 jours - et même 210 à titre exceptionnel.
Seulement, comme Mme Josende le fait observer dans son rapport, ce régime dérogatoire ne concerne qu'un nombre très réduit d'individus : dix-neuf en 2022, pour une durée moyenne de 93 jours ; quarante-et-un en 2023, pour une durée moyenne de 91 jours ; et trente-sept en 2024, pour une durée moyenne de 117 jours.
Non seulement ce dispositif est conforme au cadre européen, mais il reste en deçà des possibilités offertes : le droit européen autorise une rétention allant jusqu'à 18 mois, comme en Allemagne.
Il est donc à la fois raisonnable et conforme au droit européen d'autoriser une prolongation de rétention supplémentaire pour un étranger condamné à une interdiction du territoire français ayant commis une infraction sexuelle ou violente grave ou en lien avec le crime organisé. L'alignement du régime prévu en pareil cas sur celui applicable aux individus liés au terrorisme donnera des marges supplémentaires aux administrations pour prévenir les récidives.
La commission des lois du Sénat a adopté un dispositif similaire le 30 octobre dernier, à la faveur de la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes. Cette mesure fut toutefois supprimée en séance à la suite d'un échange avec le Gouvernement, qui avait soutenu cette initiative mais préférait voir figurer la mesure sous une forme amplifiée dans un texte spécifique.
Nous proposons cet après-midi de réadopter cette mesure, étendue aux infractions violentes graves commises par des majeurs, ainsi qu'au crime organisé. La procédure ne serait plus applicable seulement en cas d'interdiction du territoire français, mais aussi à la suite d'autres mesures d'éloignement. Nous élargissons aussi les circonstances dans lesquelles l'appel du préfet contre la décision du juge des libertés et de la détention relâchant une personne retenue revêt un caractère suspensif.
Je remercie la rapporteure, Lauriane Josende, qui a utilement fait adopter des amendements visant à étendre et à préciser le champ d'application du régime dérogatoire de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda). Ainsi, les étrangers qui constituent une menace particulièrement grave pour l'ordre public, même lorsqu'ils n'ont pas été condamnés, seront concernés. Les faits de provocation au terrorisme ou d'apologie de celui-ci provoqueront également l'application du régime dérogatoire.
La commission a introduit un article 3 qui simplifie le séquençage et les motifs de prolongation de la rétention. C'est bienvenu, compte tenu des difficultés de mise en oeuvre constatées et des erreurs d'interprétation ayant parfois conduit à des libérations prématurées aux conséquences dramatiques.
Cet article n'entraîne pas un allongement de la durée maximale de la rétention administrative, qui reste de 90 jours, et de 210 dans le régime dérogatoire ; il est sans conséquence sur l'exercice des droits des personnes retenues, qui peuvent solliciter leur remise en liberté à tout moment.
L'adoption de cette proposition de loi de bon sens et attendue par la grande majorité des Français permettra d'améliorer la sécurité de tous nos compatriotes en plaçant en rétention des étrangers susceptibles de porter atteinte à leur vie et à leur sécurité du quotidien. Il faudra probablement aller plus loin, mais il s'agit d'un premier pas.
Ni naïveté ni excès : c'est la ligne de ce texte, que nous voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Lauriane Josende, rapporteure de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Dominique Vérien applaudit également.) La proposition de loi de Mme Jacqueline Eustache-Brinio est une réponse aux difficultés rencontrées dans l'éloignement des ressortissants étrangers dont le comportement constitue une menace pour la sécurité de nos concitoyens. L'actualité offre, hélas, de nombreux exemples de ces difficultés et de leurs conséquences parfois tragiques.
L'éloignement des étrangers auteurs de troubles à l'ordre public, notamment ceux sortant de prison, a été affirmé comme une priorité par les gouvernements successifs. Plusieurs instructions et circulaires invitent les services de l'État à placer prioritairement en rétention les étrangers les plus dangereux en vue de leur éloignement.
Malheureusement, les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des efforts : en témoigne le taux d'éloignement des étrangers retenus en centre de rétention administrative (CRA), qui ne dépasse pas 40 %. Cette proposition de loi devrait favoriser l'éloignement effectif de ces étrangers, qui se heurte aux manoeuvres des intéressés, mais aussi aux réticences des États concernés et à la complexité du cadre juridique.
La proposition de loi ne permettra pas de lever l'obstacle majeur à l'éloignement que constitue le manque de coopération des États étrangers. Mais, alors que les autorités consulaires peuvent être tentées de jouer la montre, l'allongement de la rétention administrative affermira la position de l'État dans les négociations. Au reste, une part non négligeable des éloignements a lieu entre 60 et 90 jours, soit dans les dernières prolongations du régime de droit commun - sans parler des éloignements qui n'ont pu avoir lieu du fait d'un refus de prolongation, comme celui du meurtrier de Philippine.
L'intérêt d'un maintien en rétention pour les profils les plus dangereux se vérifie s'agissant du régime dérogatoire pour les auteurs d'infractions terroristes. L'année dernière, plus de la moitié des laissez-passer consulaires délivrés pour ces étrangers l'ont été au-delà du 90e jour de rétention, terme du régime de droit commun.
L'article 1er étend aux étrangers présentant une menace grave pour l'ordre public le régime dérogatoire prévu par l'article L. 742-6 du Ceseda, qui permet le maintien en rétention jusqu'à 180 jours d'un étranger condamné à une peine d'interdiction du territoire pour des actes de terrorisme ou faisant l'objet d'une décision d'expulsion liée à des activités à caractère terroriste pénalement constatées.
L'article L. 742-7 du même code permet, à titre exceptionnel, de prolonger cette rétention de deux périodes supplémentaires de quinze jours, pour une durée totale de 210 jours.
Le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution en juin 2011 ; il a toutefois censuré celles permettant une prolongation de rétention de douze mois supplémentaires, pour une durée totale de dix-huit mois pourtant conforme à la directive Retour.
La commission des lois a approuvé l'extension de ce régime aux étrangers constituant une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public, au regard de l'impérieuse nécessité d'éloigner ces personnes et des difficultés auxquelles cet éloignement se heurte aujourd'hui. Elle a relevé qu'aucune exigence constitutionnelle ni aucune disposition du droit de l'Union européenne ne s'y opposait.
Néanmoins, nous avons précisé les critères justifiant l'application de ce régime dérogatoire, en prévoyant trois conditions non cumulatives.
D'abord, la personne devra faire l'objet d'une décision d'éloignement au titre de faits ayant donné lieu à une condamnation définitive pour des crimes ou délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement.
Ensuite, elle devra être sous le coup d'une peine d'interdiction du territoire prononcée par une juridiction répressive, quelle que soit l'infraction à l'origine de la condamnation. Rappelons que, pour prononcer cette peine, la juridiction tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire et de l'intensité de ses liens avec la France.
Enfin, le comportement de l'étranger devra constituer une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public. Ce critère permet de prendre en compte, par exemple, les cas de radicalisation violente ou de liens avec un groupe terroriste.
Nous avons aussi prévu que la provocation au terrorisme ou l'apologie de celui-ci font partie des activités terroristes permettant l'application du régime dérogatoire.
À l'article 2, nous avons étendu aux mêmes catégories d'étrangers le dernier alinéa de l'article L. 743-22 du Ceseda, qui prévoit le caractère suspensif de l'appel contre un jugement mettant fin à la rétention.
Enfin, nous avons introduit un article 3 simplifiant le séquençage et les motifs de prolongation de rétention.
Le meurtre de Philippine a mis en lumière la complexité du régime des prolongations de rétention. Dans cette affaire, la libération du suspect a procédé d'une erreur dans l'interprétation de la condition tenant à la menace à l'ordre public. Contre la lettre du texte, le juge a exigé que cette menace à l'ordre public résulte d'un comportement survenu dans les quinze derniers jours, soit pendant la rétention administrative de l'intéressé : une absurdité !
En outre, l'obligation pour l'autorité administrative d'établir que la délivrance des documents de voyage interviendra à bref délai fait peser sur les services de l'État une charge de la preuve excessive. La directive Retour exige seulement une perspective raisonnable d'éloignement et des efforts raisonnables des autorités.
Afin de mettre fin à cette insécurité juridique et d'alléger la charge des services de l'État, notamment en matière d'escorte, l'article 3 fusionne les deux prolongations prévues par l'article L. 742-5 du Ceseda en une seule, de 30 jours. Les motifs de cette prolongation sont ceux de l'article L. 742-4, qui régit la deuxième prolongation de droit commun. Ces modifications valent aussi pour la dernière prolongation du régime dérogatoire, jusqu'à 210 jours.
Sans effet sur la durée maximale de la rétention administrative, cette mesure ne porte pas davantage atteinte aux droits des personnes retenues, qui peuvent solliciter leur remise en liberté à tout moment.
La commission est favorable aux amendements visant notamment la computation des délais du placement en rétention et les mentions devant figurer sur le procès-verbal dressé à l'issue de la retenue pour vérification du droit au séjour.
La commission des lois recommande l'adoption de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; M. Louis Vogel applaudit également.)
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur . - Il y a six mois, Philippine était enlevée à sa famille, à ses amis, à son pays. Son assassin n'aurait pas dû être en liberté, mais les arcanes d'un droit des étrangers complexe l'ont hélas permis.
À Mulhouse, le mois dernier, un nouveau périple criminel a fait un mort et six blessés. Le profil schizophrénique de l'assassin avait pourtant été détecté en 2023 et il s'était vu notifier une OQTF, malheureusement jamais mise en oeuvre.
Lorsque notre droit ne protège plus nos compatriotes, il faut essayer de le changer. Les Français attendent de nous que nous prenions toutes les mesures utiles pour les protéger de la criminalité et de l'insécurité. Peut-être cette jeune fille de 19 ans a-t-elle payé de sa vie pour que, enfin, nous ouvrions les yeux.
La proposition de loi de Mme Eustache-Brinio participe de cette réaction réclamée par nos compatriotes. Nous devons même réfléchir à la possibilité d'aller plus loin dans les limites permises par le droit européen, pour les profils les plus dangereux.
Je confesse à cette tribune ne pas toujours avoir été sur cette ligne, mais il faut bien se rendre à l'évidence.
Le risque de récidive de crime sexuel est important. Lorsque je siégeais sur vos bancs, j'avais déposé une proposition de loi comprenant des dispositions similaires : elle a été largement approuvée en janvier 2024.
Le Gouvernement est tout à fait favorable à ce texte, et je me félicite que la commission en ait précisé la teneur et la portée, pour qu'elle réponde le plus précisément possible à l'exigence de sécurité qui doit nous guider.
Nous soutenons pleinement l'élargissement du texte au-delà d'un quantum de peine pour sanctionner tous les étrangers dont le comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public. Nous soutenons aussi la distinction opérée entre ce quantum et les diverses mesures d'éloignement, également sanctionnées par l'élargissement de la rétention.
Cette rédaction présente l'avantage de prendre en considération tous les comportements particulièrement graves, y compris non pénalement constatés. Je pense aux étrangers que nous savons radicalisés, même s'ils n'ont pas commis d'infraction.
Vous donnez aux préfets une plus grande latitude dans l'appréciation et la documentation de la menace. Nous exigeons des préfets qu'ils obtiennent des résultats et faisons le choix de la subsidiarité. Le même principe doit guider notre action en matière d'immigration et de reconduite à la frontière.
Enfin, la commission a accru les chances de faire passer le texte sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel.
Je sais que certains d'entre vous souhaitent une plus grande fermeté. Le Gouvernement est disposé à étudier l'opportunité de leurs amendements.
Notre mission est simple : rétablir l'ordre et garantir la sécurité. Nous assumons de faire évoluer le droit lorsqu'il ne protège plus nos concitoyens.
Depuis octobre dernier, 9 063 étrangers en situation irrégulière ont quitté le territoire, soit 6 % de plus que l'an dernier à la même période. Dans le même temps, nous avons réduit de 9 % la délivrance de premiers titres de séjour et de 10 % l'admission exceptionnelle au séjour.
Malheureusement, le risque zéro n'existe pas ; mais il est de notre devoir de réduire le risque autant que possible. En augmentant la durée de rétention, nous nous plaçons dans une situation plus favorable dans les discussions avec les pays d'origine.
Le Gouvernement est favorable à l'adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)
Exception d'irrecevabilité
Mme la présidente. - Motion n°1 rectifiée de M. Chaillou et du groupe SER.
M. Patrick Kanner . - « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. » L'article 66 de notre Constitution est le fondement de cette exception d'irrecevabilité.
Il est des moments où notre devoir est de faire front contre les attaques visant, sous couvert de sécurité, à affaiblir les fondements de notre État de droit - à l'instar de ce texte, qui ouvre la porte à des dérives autoritaires et fragilise l'essence de notre République.
Il s'agit d'appliquer à des infractions de droit commun une durée de rétention jusqu'ici limitée à la matière terroriste, pouvant atteindre 210 jours. Or cette exception, fondée sur la sécurité nationale, est strictement encadrée, conformément à la Constitution et au droit européen.
L'extension du maintien en rétention pendant sept mois à des étrangers sous OQTF, qu'ils aient ou non commis des crimes ou des délits, porterait atteinte à l'un des principes les plus sacrés de notre État de droit : la proportionnalité. C'est peut-être la raison pour laquelle, monsieur le ministre, vous étiez hésitant en d'autres temps...
Vous prétendez transformer la rétention en une prison administrative, sans recours effectif ni garantie sérieuse, de surcroît dans des locaux et avec un personnel inadaptés. Un CRA n'est pas un Club Med ! Appliquer une durée de rétention aussi longue aux auteurs de faits non liés au terrorisme ou à des menaces graves pour l'ordre public, n'est-ce pas un retour aux heures les plus sombres de l'histoire française, lorsqu'on pensait que l'ordre pouvait primer la justice ? (M. Laurent Duplomb proteste.)
Pour nous, socialistes, certaines lignes rouges ne doivent pas être franchies. Notre attachement à la proportionnalité est constant : nous en avions déjà fait montre lors de l'examen de la proposition de loi de Mme Mercier.
L'État de droit n'est pas un concept abstrait : il est le rempart contre l'arbitraire et les dérives autoritaires. Depuis la Révolution française, il assure à chaque citoyen une place égale devant la loi, indépendamment de son origine, de sa condition ou de ses opinions, qu'il soit Français ou étranger. Il est l'essence même de notre démocratie. Mais cette construction précieuse est aussi fragile.
L'adoption de ce texte nous ferait franchir un Rubicon : l'ordre et la sécurité étoufferaient les libertés, coeur battant de notre République.
De plus, elle entraînerait une surcharge de nos CRA, donc un ralentissement des procédures d'éloignement, déjà complexes et souvent lentes. Loin de renforcer la sécurité, ce texte pourrait ainsi finir par l'entraver, en rendant l'application de notre politique migratoire encore plus difficile.
Notre responsabilité de législateurs est de protéger les libertés publiques contre les éventuels abus du pouvoir exécutif. Nous n'avons pas à être les relais dociles d'ordres ministériels. Hélas, nos errances politiques et institutionnelles nous ont conduits dans une situation ubuesque : nous n'examinons plus des projets de loi, mais des propositions de loi fondées sur deux obsessions, la sécurité et l'immigration. Le recours systématique aux propositions de loi témoigne d'un parlementarisme dévoyé, dans lequel chaque ministre commande des textes à ses relais parlementaires, incapable de défendre de réelles initiatives au sein du Gouvernement.
Depuis plusieurs années, vous testez les limites de l'État de droit. M. Retailleau incarne la volonté de faire céder ce principe essentiel de notre démocratie. En plus de chercher à diviser la société, il invite trop régulièrement à une remise en cause de l'égalité devant la loi et veut introduire dans notre quotidien une logique d'exclusion. Pour lui, la protection des libertés et les règles de droit entravent les politiques publiques. Mais la liberté n'est pas un luxe à céder au profit d'une politique de sécurité sans balise !
L'équilibre fragile entre ordre et liberté, sur lequel repose notre République, ne saurait être sacrifié sur l'autel de la course à l'échalote entre MM. Wauquiez et Retailleau. (Protestations à droite)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Eh oui !
M. Roger Karoutchi. - Il n'y a pas d'élections chez vous ?
M. Patrick Kanner. - Ce texte contribue à un tournant idéologique : la pensée de la droite est structurée non plus par un cadre juridique solide, mais par des faits divers, souvent alimentés par une rhétorique populiste. (M. André Reichardt s'indigne.) Amorcé sous la présidence de Nicolas Sarkozy, ce tournant s'aggrave de manière inquiétante.
Pour nous, l'État de droit est bien une notion intangible et sacrée. Montesquieu disait que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce que les lois permettent ». Cette liberté est aujourd'hui fragilisée par des coups de boutoirs législatifs répétés, qui menacent la base même de notre pacte républicain. C'est une menace directe contre la démocratie.
Résistons au vent de l'autoritarisme ! Si cette motion n'était pas adoptée et que la proposition de loi était adoptée, nous n'aurions d'autre choix que de saisir le Conseil constitutionnel sur les fondements que je viens de vous exposer. (Applaudissements à gauche)
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Avis défavorable. Je comprends que vous soyez en désaccord avec le texte de loi, mais il est regrettable que vous vous abritiez derrière le Conseil constitutionnel, à qui vous faites dire bien des choses. Nous débattrons de son extension, mais le régime dérogatoire a été jugé conforme à la Constitution.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Avis défavorable : nous souhaitons que le débat ait lieu sur ce texte. Les affaires récentes soulèvent plusieurs questions : est-il normal de ne pas pouvoir renvoyer un étranger en situation irrégulière parce que son pays ne l'accepte pas ? De devoir le remettre en liberté alors qu'il risque de commettre un crime ?
M. André Reichardt. - C'est scandaleux !
M. François-Noël Buffet, ministre. - La semaine dernière, dans le cadre du projet de règlement Retour, la Commission européenne a proposé d'étendre la durée de rétention de dix-huit à vingt-quatre mois : preuve que la prise de conscience est européenne.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Le groupe SER votera évidemment cette motion. Le ministre s'abrite derrière le règlement Retour, mais nous avons une Constitution. Or, examinant la loi Besson, le Conseil constitutionnel a rejeté la prolongation excessive de rétention. Vous faites preuve d'une grande désinvolture vis-à-vis de la Constitution, dans le seul but de satisfaire les ambitions de votre ancien président de groupe. Mais nous ne lâcherons rien ! Nous ne vous laisserons pas dériver vers l'extrême droite. (Protestations à droite) En réalité, vous allez au-delà même de ce que l'extrême droite demande ! Nous continuerons de dénoncer cette dérive.
M. Roger Karoutchi. - Et LFI ?
Mme Catherine Di Folco. - Notre objectif est de sécuriser l'éloignement des profils les plus menaçants.
Dans sa décision du 6 septembre 2018, le Conseil constitutionnel indique que les atteintes à la liberté individuelle doivent être adaptées, proportionnées et nécessaires.
C'est bien le cas dans ce texte, puisque nous visons les individus faisant peser une menace particulière sur l'ordre public, garantissons l'intervention régulière du juge et que la durée maximale de rétention demeure inchangée. Il n'y a donc aucune méconnaissance des exigences constitutionnelles. Le Parlement n'a pas à s'autocensurer en voyant des inconstitutionnalités là où elles n'existent pas !
M. Guy Benarroche. - Nous voterons la motion. Cette proposition de loi favorise l'arbitraire. Nous ne comprenons pas comment une décision administrative peut placer en rétention, dans un local inadapté, des personnes qui n'ont pas été condamnées ou qui ne le sont plus.
On comprendrait mieux des propositions sur les sorties sèches et les moyens d'éviter la récidive, sachant que 70 % des récidives concernent des personnes ayant fait l'objet de sorties sèches.
D'autres propositions de loi viendront, sur le droit de vote des détenus ou sur les délinquants mineurs - une débauche de textes, qui résulte de l'accord Bayrou-Retailleau, à savoir « open bar » pour les propositions de loi, sans étude d'impact ni avis du Conseil d'État.
Mme Dominique Vérien. - Notre groupe ne votera pas cette motion. Nous ne parlons pas de faits divers mais de crimes. (Applaudissements sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)
Nous ne souhaitons pas laisser en liberté ces personnes coupables de crimes ou de graves délits - et le pays qui refuse de les reprendre non plus... Débattons de ce texte, et votons-le. (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC ; Mme Marie-Do Aeschlimann applaudit également.)
Mme Silvana Silvani. - Nous voterons cette motion. L'inflation de la durée de rétention est inconstitutionnelle. Vous abîmez l'État de droit pour répondre à l'extrême droite par des mesures inefficaces et inefficientes.
La clé, c'est le laissez-passer consulaire. Pour cela, il ne suffit pas de s'agiter pour remporter la présidence d'un parti politique (protestations sur les travées du groupe Les Républicains), il faut faire de la diplomatie. Il faut que les laissez-passer soient reçus le plus rapidement possible, pour que la rétention soit la plus courte possible. La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) alerte sur les conditions indignes de détention. Nos policiers et gardiens de prison ne sont pas formés ni accompagnés pour ces nouvelles tâches. Nous ne voterons pas ce texte inconstitutionnel et inefficace.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Quelques précisions sur la proportionnalité de la décision et le risque d'inconstitutionnalité. La rétention est administrative : le retenu peut être remis en liberté à n'importe quel moment s'il décide de rentrer dans son pays ; il peut également saisir le juge.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Comme en détention.
M. François-Noël Buffet, ministre. - La grande différence, c'est la liberté pour le détenu de rentrer dans son pays à tout moment.
M. André Reichardt. - Mais il n'en a pas envie...
M. François-Noël Buffet, ministre. - Cela induit la proportionnalité et donc le fait que ce n'est pas inconstitutionnel.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Cela n'a rien à voir !
La motion n°1 rectifiée n'est pas adoptée.
Discussion générale (Suite)
M. Guy Benarroche . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Notre groupe est profondément opposé à ce texte. Les mesures dérogatoires et attentatoires aux libertés se pérennisent et s'étendent, avec un effet cliquet. Cette proposition de loi a été rédigée en réaction à la mort de Philippine, en septembre 2024. Contextualiser une loi est une chose, mais la frontière en l'espèce est ténue entre opportunité et opportunisme.
Ce texte nous interroge sur la sortie sèche des délinquants. Nous souhaitons lutter contre la récidive, sachant que près de 63 % des détenus sortis sans accompagnement récidivent dans les cinq ans. La réinsertion est nécessaire pour neutraliser les individus dangereux.
Cet allongement des délais avait été intégré dans la proposition de loi sur les violences sexistes et sexuelles (VSS), puis supprimée en séance publique, le Gouvernement ayant prévu d'y revenir dans un autre texte.
Nous l'avons compris, ce texte résulte de l'accord Bayrou-Retailleau, qui lui permet de survivre dans ce Gouvernement. Il traduit une confusion entre rétention administrative et détention. La rétention est détournée, instrumentalisée de façon politicienne. Ni le lieu ni le personnel ne sont adaptés pour fonctionner comme une prison.
Vous vous acharnez contre les étrangers, souvent précaires, vus comme des délinquants. Il faut sortir du cercle infernal du continuum de l'enfermement dont ils sont victimes.
Nous condamnons cette dérive sécuritaire et autoritariste.
Pas de confusion : notre groupe est réservé sur la rétention, pas sur l'éloignement. La rétention est utilisée comme peine complémentaire.
Il manque un avis du Conseil d'État sur l'effectivité de la mesure. De l'aveu même de la rapporteure, cet allongement n'a pas d'effet sur l'éloignement : 81 % des éloignements ont lieu dans les 45 premiers jours, sans attendre le 90e...
Notre groupe n'a de cesse de le répéter : c'est un sujet diplomatique - l'actualité le démontre. Pourquoi attendre le placement en CRA pour s'atteler à obtenir le laissez-passer consulaire ?
Cette proposition de loi ne permettra pas d'atteindre les objectifs fixés par ses auteurs. L'atteinte aux libertés fondamentales est disproportionnée et inefficace. Notre groupe votera contre ce texte inutile et dangereux. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur quelques travées du groupe SER)
M. Christophe Chaillou . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette proposition de loi permettra de retenir un étranger jusqu'à 210 jours. C'est une réaction au meurtre abject d'une jeune fille, qui nous a tous bouleversés.
Nous devons nous interroger sur les dysfonctionnements qui ont entouré cette affaire. L'OQTF avait été prise seulement deux jours avant la sortie de prison du criminel. Il ne faut pas céder à l'émotion, si légitime soit-elle, mais faire preuve de discernement. Ce drame n'exigeait pas de voter une loi spécifique.
Le cadre juridique du placement des étrangers en rétention administrative a évolué au regard de la menace terroriste. La loi Besson de 2011 a étendu la rétention jusqu'à 180 jours pour les auteurs d'actes terroristes ou visés par une décision d'expulsion ; la loi Collomb l'a portée à 210 jours. Les moyens alloués à la détention ont été renforcés, notamment par le plan CRA, qui prévoit l'ouverture de 3 000 nouvelles places d'ici à 2027.
La majorité sénatoriale avait déjà tenté d'étendre ce dispositif - la proposition a été supprimée en séance.
Patrick Kanner l'a dit, cette proposition de loi s'inscrit dans une surenchère obsessionnelle sur l'immigration et la sécurité menée par la majorité sénatoriale, encouragée par certains ministres, notamment ceux engagés dans la course pour 2027.
Le ministre de l'intérieur souhaite porter la durée maximale de rétention à dix-huit mois. Pas d'étude d'impact, pas de chiffres : ce texte n'est pas sérieux, il est juridiquement fragile, il sera donc inefficace.
Il s'éloigne des principes de la rétention administrative, à savoir l'éloignement rapide des personnes concernées et non leur maintien dans des CRA, qui ne sont pas des prisons. Le temps disponible doit être mis à profit pour préparer l'éloignement. Dans l'affaire qui a suscité ce texte, l'administration disposait d'assez de temps mais n'a pas engagé les démarches en temps voulu, et des erreurs de transmission ont encore ralenti la demande.
Ce texte, au lieu d'améliorer les procédures d'éloignement, opte pour la privation de liberté prolongée. Pour certains, la solution serait la rétention à perpétuité ! Si les pays refusent d'accueillir leurs ressortissants sur leur sol, il nous faudrait les garder ad vitam aeternam en rétention ?
La privation de liberté doit rester l'exception et être justifiée par une nécessité impérieuse. Or en allongeant la durée à 210 jours, ce texte crée un régime de privation de liberté qui contrevient à l'article 66 de la Constitution sur l'autorité judiciaire. Plutôt que de renforcer les effectifs chargés du traitement de dossier, on choisit d'enfermer plus longtemps, au mépris des droits fondamentaux.
Ce texte est fragile juridiquement, car il remet en cause le principe de proportionnalité entre préservation de l'ordre public et sauvegarde des libertés fondamentales.
Nous serons vigilants sur les propositions qui ne manqueront pas d'attirer l'attention du juge constitutionnel.
La rapporteure a amendé le texte pour autoriser le placement à 210 jours d'un étranger dont le comportement représenterait une menace d'une particulière gravité. Cette décision n'est pas proportionnée à l'objectif poursuivi.
Or nous ne disposons pas de données objectives - nombre d'éloignements effectifs, délais dans lesquels ils ont été réalisés... Ce n'est pas sérieux. Vous ne proposez aucune solution concrète, alors que des défaillances ont été pointées.
L'allongement de la durée de rétention aura un impact direct sur les contentieux du droit des étrangers. Depuis l'installation d'un CRA à Olivet, le tribunal d'Orléans constate une explosion des recours.
Ce n'est pas en allongeant la durée de rétention administrative que nous éloignerons plus facilement.
L'émotion ne doit pas nous faire renoncer à certains principes. Ressaisissez-vous, sortez de cette course mortifère avec l'extrême droite ! (On s'en agace à droite ; applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Stéphane Ravier . - Ce texte aura tout mon soutien, et pour cause : j'ai déposé un amendement en ce sens sur le projet de loi Immigration, auquel vous aviez émis un avis défavorable.
M. Guy Benarroche. - La perpétuité !
M. Stéphane Ravier. - Ce texte me pose trois problèmes. D'abord, celui de la sincérité politique : à quel Bruno Retailleau ai-je l'honneur de m'adresser aujourd'hui ? Au sénateur qui a rendu inexpulsable l'influenceur Doualemn par son amendement à la loi Immigration ? Au ministre, qui se plaint de ne pas pouvoir l'expulser ?
Et je n'évoque pas l'incohérence de votre famille politique : vos députés européens ont voté la directive Retour en 2008, donnant une base légale à la CJUE pour interdire des sanctions pénales à l'encontre des clandestins en 2011, conduisant Manuel Valls à supprimer le délit de séjour irrégulier en 2012. Cette directive a aussi servi de fondement pour interdire en 2023 le refoulement systématique d'un étranger entré irrégulièrement en France, rendant obsolètes les contrôles aux frontières. Elle a également rendu la rétention obsolète au bénéfice de l'éloignement, principe invoqué par le juge des libertés et de la détention pour autoriser la sortie de rétention du meurtrier de Philippine. À gauche, on évoque le coeur battant de la République ; le coeur de Philippine, lui, ne bat plus.
Deuxième problème, le sous-dimensionnement des moyens. Il y a eu 140 000 OQTF prononcées en 2024, or il y a entre 600 000 et 900 000 clandestins en France actuellement. Entre 2019 et 2022, 5 % des OQTF sont passés en CRA. Il faudrait multiplier par sept le nombre de places, c'est intenable.
Troisième problème : le texte sera anecdotique si vous ne remettez pas en cause le sans-frontiérisme. La première des rétentions, c'est la frontière. Or vous ne remettez pas en cause le pacte sur la migration et l'asile, l'espace Schengen ou la faiblesse de Frontex. Un détenu en CRA coûte 700 euros par jour, soit le salaire mensuel de nombre d'agriculteurs. Si la rétention est un mal nécessaire, elle doit être rendue inutile à long terme par une politique de maîtrise des flux migratoires.
M. Louis Vogel . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Dominique Vérien applaudit également.) Ce texte est un jalon important du débat sur l'éloignement des étrangers. Il nous invite à interroger certaines lectures du Ceseda.
Il s'agit d'allonger la durée de rétention d'un étranger en situation irrégulière à 210 jours, notamment ceux qui sont dangereux.
Nous ne devons pas nous habituer aux tragédies relayées dans l'actualité. Certains étrangers sont connus de la police et de la justice pour avoir fait l'objet de condamnations ou de décisions d'OQTF.
Ce texte constitue une avancée. Je salue l'auteure Jacqueline Eustache-Brinio et la rapporteure Lauriane Josende.
Un étranger ne peut être retenu au-delà de 90 jours, même si aucune solution n'a été trouvée. Or la réception des laissez-passer a lieu en moyenne après 90 jours. Cette réforme est donc tout à fait utile. Elle ne remet pas en cause le droit des personnes retenues : les étrangers concernés pourront toujours, à tout moment, saisir la justice, et ils ont accès à un avocat.
Dans un État de droit, il est préférable de ne pas recourir à la rétention administrative, mais c'est parfois le seul moyen de faire respecter la loi. C'est l'application pure et simple du principe de proportionnalité.
Cette proposition de loi ne résoudra pas tout. Une OQTF et un retrait de carte de résident constituent deux procédures distinctes ; il faut unifier les procédures. Le garde des sceaux souhaite supprimer l'avis de la commission départementale : cela devrait relever de la loi et non du règlement. Demeure pendante également la question du nombre de places supplémentaires dans les CRA.
Notre groupe votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Stéphane Le Rudulier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'examen de ce texte est capital : son impératif est la sécurité des Français.
Il s'inscrit dans la volonté d'assurer la protection de nos concitoyens face à des ressortissants étrangers dont les actes ont démontré qu'ils ne méritent plus de vivre parmi nous en toute liberté.
M. Jacques Grosperrin. - Très bien !
M. Stéphane Le Rudulier. - Sans sécurité, pas de liberté, pas de prospérité.
Chaque jour, des crimes violents affectent des familles entières. Il est temps d'admettre que certaines personnes qui sont une menace réelle et imminente pour notre société ne peuvent plus bénéficier de la confiance que notre système judiciaire accorde par principe à toute personne condamnée.
La justice n'est pas une simple question de réinsertion ou de réhabilitation, mais de préservation de l'ordre public. Ce ne sont pas des droits automatiques ; ils doivent être des privilèges, mesurés à l'aune du repentir de l'individu. (On proteste à gauche.) La liberté doit se mériter et non se concéder aveuglément.
Le législateur doit mettre en oeuvre tout dispositif prolongeant la rétention administrative de ceux qui n'ont pas montré de signes de changement. Le contraire procède d'une vision idéologique, déconnectée de la vie des citoyens.
Il s'agit de trouver le bon équilibre entre la protection des droits des étrangers et la sécurité des citoyens.
La justice doit être pragmatique et réaliste : la liberté d'un individu ne saurait l'emporter sur la sécurité collective, dès lors que sa libération met la vie d'autrui en péril.
Cette proposition de loi n'est pas contre les étrangers mais pour la société, pour protéger nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Teva Rohfritsch . - À mon tour, je souhaite un bon rétablissement à Jacqueline Eustache-Brinio. Dans certaines circonstances, il nous faut dépasser nos clivages partisans. La sécurité des Français est une exigence fondamentale de la République. Quand elle est malmenée, il ne faut jamais tergiverser.
Malgré les efforts déjà engagés, nous devons combler ces failles et ne pas accepter d'être surpris par nos propres lacunes.
Il faut agir avec pragmatisme, proportionnalité, humanité et dignité, mais aussi avec fermeté. Il y va de la confiance en nos institutions et de la cohésion de nos territoires.
Cette proposition de loi étend la durée maximale de rétention de certains profils à la dangerosité avérée. Il aligne les dispositions sur ce qui est valable pour les personnes ayant commis des actes terroristes. Ensuite, il suspend l'effet suspensif au recours contre la fin de rétention afin d'éviter des libérations prématurées en cas d'appel. Enfin, il modifie le séquençage des prolongations de la rétention administrative de droit commun, en une période de trente jours après la deuxième prolongation. Cela vise à limiter les potentielles erreurs d'appréciation, comme ce fut le cas dans l'affaire Philippine. C'est un gage envoyé à ceux qui enfreindraient la loi.
Ce n'est pas un débat idéologique, mais une mesure pragmatique. Il s'agit d'une mesure de sûreté. Le contrôle du juge apporte des garanties strictes. Le maintien en rétention administrative ne saurait être la seule solution face au blocage administratif.
Face aux drames de sang, l'incompréhension est forte et l'émoi terrible. Bien sûr, il nous faut rester vigilants, la justice ne doit se nourrir d'aucun excès.
L'exigence appelle à mieux articuler les moyens mis à disposition des préfectures. Sans opposer fermeté et humanisme, il faut garantir l'effectivité des décisions de justice et préserver la première des libertés, celle de vivre en sécurité.
La proposition de loi vise à nous doter d'un outil proportionné et rigoureux. La France est une terre d'accueil, une nation régie par des droits, des règles et des devoirs, un État de droit qui garantit la sécurité des Français, de ceux qui visitent la France où s'y réfugient. Pour toujours mieux protéger nos citoyens et préserver la cohésion républicaine, nous voterons cette proposition de loi.
M. Michel Masset . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Cette proposition de loi prolonge la durée de rétention administrative pour les auteurs de certaines infractions. Notre groupe est attaché à l'objectif d'assurer à tous une sécurité indispensable. Il faut écarter de nos rues les individus dangereux.
Dans cette quête, il y a de nombreux écueils. L'honneur d'une démocratie réside dans sa manière de faire respecter les droits et libertés.
La rétention administrative a pour objet d'aboutir à l'éloignement de l'intéressé et non de le punir, selon le Conseil constitutionnel.
La loi Immigration de 2011 a soumis les étrangers condamnés à une rétention administrative particulière, qui peut être étendue à 210 jours, en raison de leur dangerosité.
La prolongation ne peut avoir lieu que si l'éloignement constitue une perspective raisonnable.
La procédure pourrait relever plutôt du droit pénal que du droit des étrangers.
Il faudrait se garder de transformer la rétention administrative en une deuxième peine.
La proposition de loi, modifiée par la commission des lois, étend ce régime dérogatoire à toute personne condamnée à une interdiction du territoire français, une OQTF prononcée pour une infraction punie de cinq ans ou plus, pour apologie du terrorisme ou toute personne constituant une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public. Quels seront les effets d'une telle mesure sur l'éloignement ? Selon les chiffres, le nombre d'éloignements est important au début du placement en rétention.
De plus, il s'agit d'un sujet diplomatique, comme le montre l'actualité récente.
Le droit commun s'aligne davantage encore sur un régime d'exception.
Le groupe RDSE, encore partagé, prendra sa décision après les débats. (Applaudissements sur les travées du RDSE)
Présidence de M. Loïc Hervé, vice-président
Mme Dominique Vérien . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Comment ne pas penser au meurtre de Philippine ? Ce drame a indigné nombre de nos concitoyens et a montré les limites de nos procédures. L'excuse de minorité lors de son premier procès pour vol était-elle pertinente ? Pourquoi n'a-t-il pas exécuté l'intégralité de sa peine ? Comment le juge a-t-il pu autoriser sa remise en liberté avant la fin du délai de 90 jours ? C'est une faillite à bien des niveaux avec des conséquences dramatiques. C'est pourquoi la délégation aux droits des femmes et la commission des lois ont lancé une mission conjointe de contrôle sur la récidive du viol.
Le texte présente quelques solutions - j'en remercie Jacqueline Eustache-Brinio. Dès octobre 2024, le Sénat avait proposé des solutions en ce sens à l'initiative de Muriel Jourda, présidente de la commission des lois.
En allongeant la durée de rétention, ce texte donne plus de temps pour exécuter les OQTF et empêcher une libération par défaut. La rapporteure a visé les cas les plus graves. L'article 2, qui permet de maintenir en rétention avant une nouvelle procédure, en cas d'appel du préfet, est pertinent, pour éviter une libération prématurée. Le calendrier des prolongations est clarifié, la charge administrative est allégée et la sollicitation des forces de l'ordre est réduite.
Il serait pertinent que le service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip) transmette systématiquement son analyse au juge. Dans le cas du meurtrier de Philippine, il n'avait pas été interrogé. C'est un aspect réglementaire.
Si ce texte va dans le bon sens, il serait dangereux de nous en satisfaire. L'allongement de ces délais ne doit pas être une fuite en avant et ne remplace pas une vraie politique ambitieuse sur le sujet. Ces rétentions de longue durée ne doivent pas devenir la norme, mais l'exception. La priorité doit être l'exécution effective de ces expulsions.
La capacité d'accueil de nos CRA est un aspect à prendre en compte. Près de 47 000 personnes ont fait l'objet d'une décision de rétention administrative en 2023, dont 28 000 à Mayotte, avec une durée de rétention moyenne de 28,5 jours. L'allongement de la durée n'est rien sans de nouvelles places, cela risque même d'être contreproductif.
Le Gouvernement doit convaincre certains pays qui refusent d'accueillir leurs ressortissants.
Ce prolongement n'est qu'une partie de la réponse, mais le groupe UC le votera. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Ian Brossat . - Si l'on pouvait résumer l'esprit de la proposition de loi en un mot, ce serait : surenchère. On constate l'inflation normative des textes relatifs à l'immigration à notre ordre du jour : à chaque jour son texte sur l'immigration - aujourd'hui c'est même deux, après l'Algérie, les mariages blancs, etc.
Surenchère, encore, car il s'agit ici d'allonger la durée de rétention en CRA. Les personnes qui y sont retenues, rappelons-le, ont déjà purgé leurs peines. Comme si l'immigration était le seul sujet digne d'intérêt dans notre assemblée...
En 1981, la durée de rétention maximale était de 7 jours, puis 45 en 2011, 90 en 2018, et maintenant il s'agirait de passer à 210 jours. Et voilà que Bruno Retailleau propose 18 mois, alors que la proposition n'a pas encore été adoptée, petits bras !
Surenchère, enfin, car cette politique a un coût : 1,8 milliard d'euros chaque année et 602 euros par jour par personne retenue.
Il est paradoxal de voir les tenants de la baisse de la dépense publique considérer qu'en matière d'immigration, toutes les dépenses sont permises.
La reconduite à la frontière nécessite la délivrance d'un laissez-passer consulaire. Selon la Cour des comptes, 58 % des libérations en CRA, avant éloignement, résultent d'une impasse dans la délivrance des laissez-passer consulaires.
L'assassin de Philippine n'est pas allé au bout des 90 jours en CRA, il a été libéré au bout de 75 jours : l'allongement n'aurait rien changé à ce drame.
Ce texte ne vise qu'à répondre à l'opinion. C'est un texte CNews, il ne vise qu'à donner l'illusion qu'on agit, d'accréditer que la France est laxiste en matière d'immigration.
Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et du GEST)
Mme Catherine Belrhiti . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Combien de drames ? Combien de victimes ? Combien de Philippine et de Lola avant que nous décidions de mesures fortes et nécessaires ? Tel est le contexte de l'examen de cette proposition de loi, claire, nécessaire et équilibrée. Ce n'est pas une réforme idéologique, c'est une réponse pragmatique.
Nous avons le devoir d'agir : actuellement un cadre strict est prévu pour les personnes condamnées à des actes de terrorisme. Mais il faut l'élargir et l'étendre aux individus les plus dangereux.
Cette extension est nécessaire car les auteurs de violences sexuelles, les tueurs en série et les chefs de réseaux criminels ont des profils à haut risque de récidive.
Une étude de l'Insee relative à l'ensemble des personnes condamnées pour des crimes et délits nous donne l'ampleur du phénomène : 178 criminels et 70 000 délinquants étaient en récidive légale en 2019, c'est-à-dire 43,1 % des personnes condamnées à de la prison ferme. Les chiffres ne mentent pas : la France est face à un problème inquiétant et lancinant qui met à mal notre société et la justice.
À l'heure où nous parlons, un meurtrier ou un pédocriminel condamné ne peut être maintenu en rétention après sa peine. En 2023, plus de 45 000 personnes faisant l'objet d'une OQTF ont été placées en CRA. Le taux de retour forcé a péniblement atteint 42,3 %. Ainsi, plus de 25 000 personnes faisant l'objet d'une OQTF et parfois de condamnations pénales se retrouvent libres sur notre territoire. Il n'est plus possible de tolérer une telle réalité. Chaque récidive est un échec collectif, un signal d'alarme qui nous rappelle qu'il faut agir.
Ce texte ne remet pas en cause nos principes fondamentaux. Il s'agit d'une mesure de précaution, proportionnée à la menace.
En votant cette proposition de loi, nous affirmons notre volonté de défendre nos concitoyens par une réponse proportionnée (murmures à gauche) et responsable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Marie-Do Aeschlimann . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Les drames impliquant des personnes en situation irrégulière ou sous OQTF se multiplient et suscitent l'indignation de nos concitoyens. Le meurtre de Philippine en septembre 2024 a été commis par un individu dont la rétention n'avait pas été prolongée. Lino Sousa Loureiro, un homme de 69 ans, a été assassiné après s'être interposé face à un assaillant fiché pour terrorisme et sous OQTF.
Je salue le courage de Bruno Retailleau et lui fais part de notre soutien dans le bras de fer engagé avec l'Algérie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
C'est un combat que la majorité sénatoriale mène avec constance, par exemple en votant votre proposition de loi, monsieur le ministre, instituant la rétention de sûreté pour les condamnés terroristes.
J'avais défendu alors un amendement permettant de lever les protections pour les étrangers en situation irrégulière auteurs de faits de violence, notamment à l'encontre des élus, des policiers, des pompiers, des soignants, des magistrats, des avocats ou des enseignants.
Je salue l'auteure de la proposition de loi, Mme Eustache-Brinio, qui nous écoute.
Ce texte allonge le délai de rétention des étrangers condamnés pour infractions sexuelles, violences graves ou crimes organisés. Le délai de rétention passera à 180 jours. Les administrations auront le temps nécessaire pour mettre hors d'état de nuire les individus les plus menaçants. C'est une mesure raisonnable et conforme à la directive Retour.
Je salue le travail de Lauriane Josende qui a renforcé ce texte. La commission des lois a simplifié les conditions de prolongation de la rétention. Comme souvent, le droit français avait surtransposé.
Avec cette proposition de loi de bon sens, nous faisons un premier pas pour lutter contre le laxisme. Voter ce texte, c'est agir pour la sécurité de tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. - Quelques mots sur l'État de droit, dont on a beaucoup parlé. Il nous protège contre l'arbitraire de l'État ; mais, à mes yeux, son premier rôle est de stopper la loi du plus fort. Aujourd'hui, la loi du plus fort, c'est celle des délinquants !
M. Pierre Jean Rochette. - Exactement !
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission. - Monsieur Benarroche, les étrangers représentent 8 % de la population générale et 25 % de la population carcérale. C'est un fait. Vous aurez du mal à expliquer à vos concitoyens que retenir des gens dangereux contreviendrait à l'État de droit. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Guy Benarroche. - La justice ne sert à rien ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est une détention arbitraire ! C'est contraire à la Constitution.
Discussion des articles
Avant l'article 1er
M. le président. - Amendement n°6 de M. Chaillou et du groupe SER.
M. Christophe Chaillou. - Pourquoi placer en rétention pendant sept mois les étrangers qui ont été en détention, donc déjà privés de liberté, et qui doivent être expulsés du territoire une fois leur peine purgée ?
La question qui devrait être au coeur de notre débat, c'est comment tirer profit de cette période d'incarcération pour préparer l'éloignement, avec un objectif simple : éloigner dès la sortie de prison, sans passage par la rétention.
Cette proposition de loi nous prive d'étude d'impact et d'avis du Conseil d'État. Pourtant, il serait utile de disposer de données. Combien de temps avant la sortie de prison les laissez-passer consulaires sont-ils sollicités ? Ce qui n'a pas été fait pendant les derniers temps de la détention sera fait pendant la rétention ; et donc de rallonger sans cesse sa durée. Nous demandons que toutes les données utiles soient communiquées au Parlement.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Avis défavorable à cette demande de rapport, à laquelle la commission est défavorable par principe.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Votre demande est satisfaite par le droit positif. Retrait, sinon avis défavorable.
Le Ceseda dispose déjà qu'un rapport annuel soit remis au Parlement. De plus, le ministère de l'intérieur publie deux fois par an les chiffres clés de l'immigration : demandes d'asile enregistrées, accès à la nationalité française notamment. Enfin, autre arme absolue, la capacité de contrôle du Parlement par le biais de missions d'information.
L'amendement n°6 n'est pas adopté.
Article 1er
M. le président. - Amendement n°5 de M. Chaillou et du groupe SER.
M. Christophe Chaillou. - Le sujet de l'éloignement des étrangers devrait être traité en amont. Ce texte fait un autre choix, et se focalise sur la rétention administrative, la toute dernière phase. Pourquoi ne pas envisager une détention indéfinie ? En 1981, la durée maximale de rétention était de 7 jours. Puis 10 jours en 1993, 32 en 2003, 45 en 2011 et 90 jours en 2018 - et même 210 jours en matière terroriste.
Pour quel bilan ? Au regard du taux d'éloignement, cet allongement n'a pas atteint son objectif. C'est une véritable obsession qui vous fait perdre de vue la raison d'être de cette rétention administrative. Les personnels des CRA travaillent déjà dans des conditions difficiles. C'est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.
M. le président. - Amendement identique n°10 de M. Benarroche et alii.
M. Guy Benarroche. - La rétention administrative est de plus en plus assimilée à la détention carcérale. C'est à la seconde de protéger la société des personnes dangereuses puis d'assurer leur réinsertion. Notre groupe partage l'objectif de limiter la récidive, mais cette lutte ne peut être un prétexte pour multiplier les mesures répressives à l'égard des étrangers.
Nous avons déjà rappelé l'inefficacité de cette mesure. La rétention administrative nourrit toujours plus l'amalgame entre les personnes étrangères et les délinquants. Le taux élevé de libérations par les juges judiciaires témoigne de l'illégalité de certaines pratiques préfectorales. Sans aucune analyse sur cette mesure, notre groupe s'oppose à cet allongement.
M. le président. - Amendement identique n°13 rectifié bis de Mme Briante Guillemont et alii.
M. Michel Masset. - Quelque 81 % des éloignements ont lieu dans les 45 premiers jours de la rétention, et 8 % au cours de prolongations exceptionnelles, soit au-delà des 60 jours. Allonger la rétention n'éloignera pas davantage de personnes.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Avis défavorable. Il ne s'agit pas de sanctionner les intéressés, mais de favoriser leur éloignement. Or pour les profils les plus lourds, cela prend du temps.
Une part non négligeable des éloignements a lieu entre 60 et 90 jours, et pour les profils relevant du régime dérogatoire, plus de la moitié des éloignements ont lieu après 90 jours.
L'objet de l'amendement de Sophie Briante Guillemont évoque le cas du meurtrier de Philippine. Il nous semble qu'au contraire il justifie la mesure d'allongement du délai. Le meilleur moyen de lutter contre la récidive est l'éloignement, ce qui est le but de cet article.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Il faut éloigner dès la détention sans passer par un CRA, expose M. Chaillou : l'idée est juste. Mais des obstacles administratifs demeurent. La coopération des pays sources est perfectible. Plusieurs délais existent pour obtenir les laissez-passer consulaires ; parfois le greffe a fait la démarche, mais l'on n'obtient pas le laissez-passer à la fin de la détention.
Avis défavorable à ces amendements.
Les amendements identiques nos5, 10 et 13 rectifié bis ne sont pas adoptés.
M. le président. - Amendement n°7 rectifié bis de M. Reichardt et alii.
M. André Reichardt. - Cet amendement étend l'application du régime dérogatoire de rétention aux étrangers qui font l'objet d'une mesure d'éloignement édictée pour un comportement lié à des activités terroristes, et non plus seulement à ceux qui font l'objet d'une décision d'expulsion.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Voilà une modification utile. Le Ceseda ne mentionne que les mesures d'expulsion. Il faut prendre en compte les autres motifs d'éloignement. Pour ces raisons, avis très favorable de la commission.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Avis favorable. Néanmoins, des ajustements seront nécessaires au cours de la navette.
Tout d'abord, pour les terroristes, il ne faut pas distinguer les types d'éloignement - expulsion ou OQTF. Mais les décisions d'éloignement ne sont qu'exceptionnellement prévues en raison d'un comportement particulier d'un individu. Dans la grande majorité des cas, les OQTF résultent du constat de l'irrégularité du séjour sur le territoire national ou européen.
L'inclusion des OQTF prises à la suite d'un refus ou d'un retrait du titre de séjour prend toute sa mesure dans les actes d'apologie du terrorisme ; les mesures d'éloignement peuvent être plus faciles à appliquer que de réunir les éléments justifiant une mesure d'expulsion.
Le Gouvernement souhaite que, dans la suite de la navette, nous revenions sur cette disposition, afin de bien cibler toutes les personnes concernées.
L'amendement n°7 rectifié bis est adopté.
M. le président. - Amendement n°2 de M. Szczurek et alii.
M. Christopher Szczurek. - Le lien entre insécurité et immigration n'est plus à prouver ; 25 % des détenus sont étrangers. Nous souhaitons étendre le dispositif aux étrangers condamnés à des crimes ou délits punis de trois ans ou plus d'emprisonnement.
Ces étrangers doivent être immédiatement renvoyés chez eux.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Nous avons beaucoup parlé de proportionnalité et d'équilibre. Les délits punis de trois ans ne sont pas suffisamment graves pour justifier l'application d'un régime dérogatoire aujourd'hui réservé aux personnes condamnées pour terrorisme. Avis défavorable.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Même avis. Ce serait disproportionné.
L'amendement n°2 n'est pas adopté.
L'article 1er, modifié, est adopté.
Article 2
M. le président. - Amendement n°11 de M. Benarroche et alii.
M. Guy Benarroche. - Cet amendement s'oppose au caractère suspensif de l'appel du préfet contre la décision du juge des libertés et de la détention (JLD) de lever la décision de placement en CRA.
Ces longues périodes en CRA contribuent à la dégradation de la santé des personnes enfermées, à une hausse des tensions en CRA et à une saturation des juridictions.
De plus, la rétention administrative est utilisée abusivement par les préfets comme outil de gestion de la politique sécuritaire. Cet empiétement du pouvoir administratif sur le pouvoir judiciaire va à l'encontre du principe d'indépendance de ce dernier. Au vu de la multiplication des rétentions administratives, sans efficacité sur l'éloignement, nous nous opposons à cette mesure.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Avis défavorable. Contrairement à ce que vous laissez entendre, nous ne portons nullement atteinte à l'indépendance de l'autorité judiciaire.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Avis défavorable. La mesure ne concerne que les individus jugés dangereux, ne court que pour 72 heures et maintient la procédure d'appel. Le Conseil constitutionnel s'était déjà prononcé en 1997 sur ce point et avait admis le principe suivant : le but visé est de tenir la personne à disposition de la justice, pour qu'elle soit présente à l'audience. Rien de nouveau.
Par ailleurs, il faut mettre en parallèle ce texte avec les dispositions du Ceseda issues de la loi Immigration sur l'appel suspensif.
L'article 2 est parfaitement fondé.
L'amendement n°11 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°3 de M. Szczurek et alii.
L'amendement n°3 est retiré.
L'article 2 est adopté.
Article 3
M. le président. - Amendement n°12 de M. Benarroche et alii.
M. Guy Benarroche. - Par cet amendement, nous déplorons l'affaiblissement des services publics, d'autant plus quand il sert à restreindre les libertés fondamentales et l'accès au juge.
Le nombre d'escortes et de rotations exigées des forces de l'ordre devient compliqué à gérer, mais le manque d'investissements dans la fonction publique ne peut justifier de limiter l'accès au juge. Les citoyens seront de plus en plus éloignés de la justice.
Nous nous opposons à la fusion des prolongations.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Les prolongations prévues sont extrêmement brèves - 15 jours - et suscitent des présentations au juge fréquentes, comme le montre l'affaire du meurtre de Philippine.
Une unique prolongation de 30 jours n'est pas excessive, elle correspond à la deuxième prolongation de droit commun. C'est une mesure de simplification. Avis défavorable.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Avis évidemment défavorable. Cet article rationalise les prolongations de la rétention, en harmonisant les durées. Cette fusion supprime une saisine systématique du juge au 75e jour, évitant les escortes inutiles.
En outre, le retenu peut à tout moment saisir le juge.
L'amendement n°12 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°4 de M. Szczurek et alii.
M. Christopher Szczurek. - Le droit européen permet d'étendre les délais de rétention administrative, surtout pour les individus dangereux. Pour une fois que le droit européen va dans le bon sens ! Nous proposons d'étendre la rétention de droit commun à 182 jours, soit la durée maximale prévue par le droit européen, et, pour les cas exceptionnels, à 380 jours.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Avis défavorable. La commission n'a pas souhaité modifier la durée de rétention administrative de droit commun.
Nous en avons suffisamment discuté. Nous ne souhaitons pas aller au-delà de 210 jours. Peut-être reprendrons-nous ces discussions lors de la transposition de nouvelles règles européennes, puisque la Commission européenne réfléchit à étendre ce régime à 24 mois.
La capacité d'accueil des CRA est aussi en question. (M. Guy Benarroche ironise.)
M. François-Noël Buffet, ministre. - Même avis.
L'amendement n°4 n'est pas adopté.
L'article 3 est adopté.
Après l'article 3
M. le président. - Amendement n°9 de Mme Di Folco.
Mme Catherine Di Folco. - C'est un amendement de clarification qui facilite la computation des délais pour le placement en rétention et en zone d'attente. La Cour de cassation établit que le jour de placement en rétention doit être compté comme le premier jour. Nous proposons un décompte en heures, pour que l'État puisse disposer d'un délai effectif de quatre jours.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Avis favorable à cet amendement qui revient à une expression en heures. En effet, le décompte en jours entraîne une computation différente. Les services de l'État pourront utiliser pleinement les quatre jours prévus.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Avis favorable. C'est beaucoup plus clair et beaucoup plus simple. Cette nouvelle computation des délais est profitable à l'administration, mais aussi au retenu.
L'amendement n°9 est adopté et devient un article additionnel.
M. le président. - Amendement n°8 de Mme Vérien.
Mme Dominique Vérien. - Dans une décision du 28 mai 2024, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution un élément du Ceseda relatif au procès-verbal dressé à la fin de la retenue d'un étranger aux fins de vérification de son droit de circulation et de séjour.
Le Conseil constitutionnel a considéré que le défaut d'une mention à ce procès-verbal des conditions selon lesquelles un détenu a pu s'alimenter ne permettait pas d'évaluer les conditions de respect de la dignité de la personne humaine.
Je propose d'insérer l'obligation d'inscrire sur le procès-verbal les heures où le retenu a pu s'alimenter.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Avis favorable. Cet amendement tire les conséquences d'une décision du Conseil constitutionnel sur le procès-verbal de fin de séjour. Le temps presse, puisque le délai laissé au législateur par le Conseil constitutionnel expire le 1er juin prochain.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Avis favorable. Il n'est jamais simple d'écrire clairement sur des sujets compliqués.
L'amendement n°8 est adopté et devient un article additionnel.
M. le président. - Amendement n°15 du Gouvernement.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Cet amendement vise à assurer l'application de ces dispositions dans les collectivités à spécialité législative en matière de droit des étrangers : Wallis-et-Futuna, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Avis favorable.
L'amendement n°15 est adopté et devient un article additionnel.
M. le président. - Amendement n°16 de Mme Josende, au nom de la commission des lois.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Nous proposons de reporter l'entrée en vigueur de ces dispositions à une date fixée par décret en Conseil d'État, et au plus tard trois mois après la publication de la présente loi.
M. François-Noël Buffet, ministre. - Avis favorable.
L'amendement n°16 est adopté et devient un article additionnel.
Vote sur l'ensemble
M. Christophe Chaillou . - La proposition de loi s'éloigne de façon importante des principes fondamentaux qui régissent la rétention administrative. Celle-ci ne peut se fonder sur des motifs pénaux. Ce texte est fragile sur le plan constitutionnel.
De surcroît, il sera sans doute inefficace. L'allongement de la rétention administrative n'est pas pragmatique. L'émotion face à des crimes abjects ne doit pas nous conduire à adopter dans l'urgence des dispositions législatives inefficaces.
M. Daniel Salmon . - Les défenseurs de cette proposition de loi pensent que l'éloignement est l'alpha et l'oméga pour éviter des drames. Force est de constater que certains éloignements ne peuvent avoir lieu et que certains détenus sont libérés de façon « sèche ».
Après 90 jours passés dans ces CRA, ces individus seront-ils moins dangereux ? Les CRA sont pires que les prisons : ce sont des lieux où l'on déshumanise. Vous allez créer davantage d'insécurité, au lieu d'accompagner pour éviter la récidive.
M. Ian Brossat . - Le groupe CRCE-K votera contre cette proposition de loi. D'abord parce qu'elle est inefficace. Cette proposition de loi ne répond pas à la question des laissez-passer consulaires ; et la stratégie du Gouvernement en la matière vis-à-vis du gouvernement algérien n'a pas permis d'avancer d'un pouce. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains)
Ce texte aura des conséquences concrètes sur les conditions de rétention et les conditions de travail des personnels. Ces lieux sont censés être des sas, ce qu'ils ne sont plus puisque les personnes y restent indéfiniment. Enfin, les personnes retenues, au lieu d'être expulsées, finissent par être relâchées. Tout cela continuera de dégrader les conditions de travail en CRA.
Mme Frédérique Puissat . - À l'inverse de nos collègues, nous voterons ce texte des deux mains. Nous remercions Mme Jacqueline Eustache-Brinio de l'avoir déposé. Notre approche est différente sur le fond : ce texte est nécessaire. Ayons une pensée pour la famille de la petite Philippine.
Je salue le travail de la rapporteure qui a sécurisé le texte et je remercie le Gouvernement et le ministre pour leur soutien.
M. Guy Benarroche . - J'ai visité plus d'une dizaine de fois des CRA. Les personnels des CRA ne comprennent plus le sens de leur travail. La durée de rétention moyenne est de 28,4 jours alors que la possibilité offerte par la loi est de 90 jours. Allonger le délai de rétention relève d'une certaine incohérence.
Une fois libérées, les personnes restent dans la rue, commettent des délits et se retrouvent de nouveau en prison. Elles sortiront encore une fois sans aucune réinsertion préparée. Elles seront à nouveau sous OQTF et reviendront dans les CRA. Ce texte ne résout pas le problème, car, sans solution diplomatique, ces personnes ne peuvent être éloignées.
À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi, modifiée, est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°232 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l'adoption | 230 |
Contre | 109 |
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
La séance est suspendue quelques instants.