Condition de durée de résidence pour le versement de prestations sociales
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales, présentée par Mme Valérie Boyer et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe Les Républicains.
Discussion générale
Mme Valérie Boyer, auteure de la proposition de loi . - Notre pays fait face à une immigration massive et incontrôlée. Les flux s'accélèrent et s'intensifient. Les Français demandent depuis longtemps une maîtrise de l'immigration.
En 2024, les visas ont augmenté de 16,8 %, à 2,858 millions ; les premiers titres de séjour de 1,8 %, à 336 700, après une hausse de 4 % en 2023. Les étrangers représentent entre 7 et 10 % de la population. Les Algériens sont les plus représentés, avec 649 000 titres, devant les Marocains, les Tunisiens et les Turcs. À cela, il faut ajouter l'immigration illégale, entre 700 000 et un million de personnes.
Rappelons que la dette française a atteint 3 200 milliards d'euros et le déficit de la sécurité sociale, 15 milliards d'euros en 2024.
La France est dans une situation extrêmement difficile. Nous devons faire des choix, car tout ne peut pas être financé. Veut-on préserver notre système social ou continuer d'accueillir, au risque de le voir s'effondrer ?
Le coût brut de l'immigration est chiffré à 75,1 milliards d'euros - 41 milliards net - pour les finances publiques. Nous dépensons 3,2 milliards d'euros pour le logement, dont la moitié pour l'hébergement d'urgence des personnes en situation irrégulière et 540 millions pour le logement social. Ce chiffrage est prudent, faute de données sur les dépenses discrétionnaires des collectivités, sur les subventions aux associations (soupirs consternés sur les travées du groupe SER), sur les dépenses de santé, insuffisamment documentées.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Donc vous n'avez rien.
Mme Valérie Boyer. - L'OCDE le dit, l'immigration coûte plus qu'elle ne rapporte.
M. Thomas Dossus. - C'est faux ! (On renchérit à gauche.)
M. Patrick Kanner. - C'est une richesse pour le pays !
Mme Valérie Boyer. - C'est pourquoi nous proposons depuis plusieurs années, avec Bruno Retailleau et Muriel Jourda, des conditions plus exigeantes pour les étrangers en matière de prestations sociales non contributives. Ainsi d'une durée minimale de résidence en situation régulière de deux années avant l'accès à certaines prestations, notamment l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et l'aide personnalisée au logement (APL).
À Mayotte, la condition de cinq ans de séjour régulier pour obtenir le RSA est portée à quinze ans - ce qui n'a donné lieu à aucune censure du Conseil constitutionnel.
Sur le texte Immigration, le Conseil avait censuré l'instauration d'une condition de durée de résidence de cinq ans, pour des raisons de forme. Dans sa décision du 11 avril 2024, il n'exclut pas par principe cette durée minimale, mais la juge disproportionnée. Il avait déjà admis une durée de cinq ans pour le RSA, et de dix ans pour l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa). (Mme Marie-Pierre de La Gontrie s'exclame.)
Tirant les conséquences de cette jurisprudence, j'ai proposé une durée de deux ans, en excluant les étrangers exerçant une activité professionnelle. Ma proposition a été modifiée en commission. Je remercie les rapporteurs Olivier Bitz et Florence Lassarade, même si je regrette que notre marge de manoeuvre soit si limitée, alors que les Français nous demandent d'agir. (Mme Laurence Rossignol proteste.)
Les contraintes sont nombreuses. D'abord, les conventions internationales, qui forment un véritable droit parallèle à l'entrée et au séjour des étrangers en France. (Mme Corinne Narassiguin proteste.) Nos 140 accords bilatéraux ont parfois des conséquences migratoires - en témoigne la situation avec l'Algérie.
Ensuite, l'interprétation très stricte que fait le Conseil constitutionnel de l'article 45, qui l'a conduit à censurer nombre de mesures de la loi Immigration. Il faudrait une clarification des sages sur la durée minimale. Cinq ans serait inconstitutionnel, mais pas deux ans ? Pourquoi pas trois ou quatre ? (Mme Raymonde Poncet Monge s'exclame.)
Il faudra réformer la Constitution pour répondre aux attentes des Français que la représentation nationale, entravée, ne peut satisfaire. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie ironise.)
Le Conseil constitutionnel a fermé la porte à des mesures de justice et d'équité. Je regrette qu'il ait refusé au peuple français de se prononcer par référendum sur l'immigration.
Lorsque nous votons le budget de la sécurité sociale, nous savons approximativement ce qui est versé au nom des conventions internationales, mais pas la ventilation par nationalité ou type de prestation. Les premiers chiffres du numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques (NIR) indiquent si la personne est née en France ou non, mais pas le pays de naissance ou la nationalité. Il serait utile que cette information figure sur la carte Vitale, pour nous permettre de mener notre mission constitutionnelle de contrôle.
Il faut mettre un terme au « quoi qu'il en coûte » permanent, où nous demandons toujours plus aux Français sans contrôler ce que nous versons aux étrangers. (Mme Raymonde Poncet Monge éclate de rire.) Pour faire des économies, nous réformons les retraites, nous augmentons le prix des médicaments et la fiscalité... Pourquoi ne pas faire la transparence sur les prestations versées aux étrangers ? Soit l'État s'y refuse, ce qui nous interdit d'exercer notre mission de contrôle ; soit il n'en a pas la capacité - ce qui nourrit les fake news et délires complotistes. (Rires et railleries sur les travées du groupe SER) Discutons-en sereinement, et non sous les quolibets !
Nous devons le respect aux Français qui paient des impôts et cotisent.
M. Patrick Kanner. - Les étrangers aussi paient des impôts !
Mme Valérie Boyer. - Ne pas faire cet état des lieux risque d'entraîner une rupture du contrat social. Ce texte sera une première étape vers plus d'équité et de transparence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Florence Lassarade, rapporteure de la commission des affaires sociales . - Cette proposition de loi, qui conditionne le versement de certaines prestations sociales à une durée de résidence, traduit la volonté de la majorité sénatoriale, exprimée déjà dans la loi Immigration, avant que la mesure ne soit censurée comme cavalier législatif.
Les Républicains ont alors déposé une proposition de loi référendaire. Tout en reconnaissant que les exigences constitutionnelles ne s'opposent pas à une condition de durée de résidence ou d'activité, le Conseil a estimé que la durée de cinq ans de résidence, ou de trente mois d'activité pour les travailleurs, n'était pas proportionnée.
Cette proposition de loi tire les conséquences de cette décision.
Le bénéfice des prestations sociales de droit commun est réservé aux étrangers en situation régulière, à partir de neuf mois de présence - seuls l'aide médicale de l'État (AME) et l'hébergement d'urgence sont ouverts sans condition de régularité du séjour. Les ressortissants de l'Union européenne ne sont pas concernés par la proposition de loi, puisqu'ils font l'objet d'une égalité de traitement avec les nationaux.
Des exceptions existent : il faut avoir un titre de séjour autorisant à travailler depuis cinq ans pour le RSA - quinze ans à Mayotte - et depuis dix ans pour l'Aspa. Le Conseil constitutionnel l'a validé.
La proposition de loi prévoit une durée de deux ans avant l'accès aux prestations familiales, à l'APA, à l'APL et au droit au logement opposable (Dalo), dans un contexte de densité particulière des flux migratoires.
La commission des affaires sociales a considéré qu'une condition de résidence préalable était légitime et même souhaitable. La protection sociale est l'expression de la solidarité nationale, elle traduit la participation à la vie de la nation. Passer de neuf mois à deux ans ne paraît pas disproportionné. L'Italie, l'Irlande, le Danemark ou Chypre ont fait un choix analogue ; en Grèce, le délai est même de cinq ans.
Un motif d'insatisfaction : les données de la Cnaf ne renseignent pas la nationalité des allocataires, ce qui empêche d'estimer le coût des prestations versées. Environ 10 % des allocataires auraient un titre de séjour - mais tous ne seraient pas concernés par la proposition de loi.
La commission a modifié le texte pour en garantir l'effectivité et la sécurité juridique.
Les universitaires auditionnés ont insisté sur la complexité et l'incertitude du raisonnement du juge constitutionnel. Celui-ci a estimé que la durée de cinq ans était « disproportionnée ». Une durée de deux ans nous paraît proportionnée aux enjeux.
En revanche, la commission a exclu le Dalo du champ du texte, car il fait l'objet d'une protection juridique plus forte en tant que droit fondamental. On recentre le texte sur les prestations sociales.
Autre sujet, la conventionnalité de la proposition de loi. Afin d'assurer la conformité avec la directive européenne Permis unique et éviter une sanction de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), nous avons retenu la notion de « possession d'un titre de séjour autorisant à travailler » plutôt que celle d'exercice d'une activité professionnelle.
Nous avons exclu du texte l'allocation journalière de présence parentale (AJPP), qui bénéficie aux parents d'enfants gravement malades, et maintenu l'exception permettant le versement du RSA aux mères isolées étrangères avant la durée de cinq ans de résidence, s'agissant d'un public particulièrement vulnérable.
De nombreuses conventions internationales ou accords bilatéraux prévoient des clauses de réciprocité en matière d'accès à la sécurité sociale. La direction de la sécurité sociale a signalé de tels accords avec les pays du Maghreb, la Turquie et de nombreux pays d'Afrique subsaharienne qui empêcheraient la proposition de loi de s'appliquer à leurs ressortissants. Cela ne doit pas nous freiner car ces conventions peuvent toujours être dénoncées ou réexaminées - je pense aux dissensions récentes avec l'Algérie. Ces conventions assurent au minimum que la solidarité soit réciproque.
Je vous invite à adopter ce texte qui traduit un objectif d'équité attendu par nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis de la commission des lois . - Cette proposition de loi s'inscrit dans la continuité de précédentes initiatives de notre assemblée. Elle tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 11 avril 2024, qui a jugé qu'une condition de durée de résidence de cinq ans - trente mois pour les étrangers exerçant une activité professionnelle - portait une atteinte disproportionnée aux exigences constitutionnelles tirées des dixième et onzième alinéas du Préambule de 1946. Mais il n'a pas exclu, par principe, l'institution d'une condition de durée minimale de résidence pour le bénéfice de certaines prestations.
Aussi, le texte réduit à deux ans la durée demandée ; il exempte les étrangers qui exercent une activité professionnelle, ainsi que les étudiants pour le bénéfice des APL.
La commission des lois l'a jugé légitime, tout en adoptant des amendements pour assurer sa conformité à la Constitution et au droit de l'Union européenne : retirer le Dalo du champ de la proposition de loi ; substituer au critère de l'activité professionnelle celui de la détention d'un titre de séjour autorisant à travailler ; exempter les bénéficiaires de la protection temporaire ; laisser aux organismes gestionnaires le temps d'adapter leurs systèmes d'information.
Du fait d'accords internationaux en matière de sécurité sociale, de nombreuses nationalités seraient exemptées. Le ministère de la santé a relevé 39 conventions bilatérales de sécurité sociale, dont la plupart prévoient une égalité de traitement en matière de prestations familiales.
D'autres accords bilatéraux comportent de telles stipulations. Par exemple, l'article 7 de la déclaration de principes de 1962, qui fait partie des accords d'Évian, consacre l'égalité de traitement en matière de prestations sociales des Algériens qui résident en France.
Il existe aussi des accords d'association conclus entre l'Union européenne et des États tiers comportant de telles clauses, ainsi que des accords multilatéraux, comme la convention sur l'égalité de traitement des nationaux et des non-nationaux en matière de sécurité sociale de l'Organisation internationale du travail. Cet enchevêtrement d'engagements mal connus entrave notre capacité à agir. Un travail de recensement et de révision s'impose.
Ces accords internationaux restreignent fortement la portée du texte dont la dimension symbolique demeure. Faut-il se résigner à l'impuissance ? Je ne le crois pas. Ces accords peuvent être révisés. La reprise en main de notre politique migratoire passe par une meilleure régulation des entrées et une amélioration des procédures d'éloignement.
La commission des lois a émis un avis favorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap . - Je partage, avec l'ensemble du Gouvernement, l'objectif de lutte contre l'immigration irrégulière.
M. Ian Brossat. - Ce n'est pas le sujet !
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - Le Premier ministre l'a dit, les attentes de nos concitoyens en faveur d'une plus grande maîtrise des flux migratoires sont fortes et légitimes. Le Gouvernement entend donc renforcer ce contrôle, via la généralisation d'une force frontière à nos frontières, une meilleure exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), ou la transcription en droit français du pacte européen pour la migration et l'asile.
La lutte contre l'immigration irrégulière passe aussi par la voie diplomatique, et le Gouvernement a réaffirmé sa détermination à agir.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Avec quel succès !
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - Les étrangers en situation irrégulière ne bénéficient d'aucune prestation sociale à l'exception de l'AME et de l'hébergement d'urgence. Les autres prestations ne peuvent être perçues que par des étrangers disposant d'un titre de séjour. En aucun cas ce texte ne permettra de lutter contre l'immigration illégale.
Il soulève des enjeux de constitutionnalité, qui ont fait débat en commission. Le Conseil constitutionnel a considéré une condition de résidence de cinq ans ou d'activité professionnelle de trente mois comme « portant une atteinte disproportionnée » et « contraire à la Constitution ». Rien ne permet de savoir si la condition de deux ans sera jugée proportionnée.
Au-delà, ce texte n'aura pas ou peu d'effet pour une quarantaine de pays avec lesquels la France a signé des conventions bilatérales de sécurité sociale. Le détricotage de nos conventions bilatérales serait un travail titanesque, sans parler des huit pays faisant l'objet d'un accord au niveau de l'Union européenne, qui ne peut être remis en cause.
Le travail demandé aux caisses de sécurité sociale se ferait au détriment d'autres priorités.
Enfin, les modifications apportées en commission réduisent le périmètre de la proposition de loi en termes de public cible, car rares sont les titres de séjour qui n'autorisent pas à travailler. Bref, on arrive rapidement à mille exceptions.
Reste que ce texte répond politiquement à une interrogation partagée par nombre de nos concitoyens sur un éventuel appel d'air pour une immigration non choisie. Le Gouvernement émet donc un avis de sagesse. (« Oh ! » sur les travées du GEST et du groupe SER)
M. Ian Brossat. - Quelle lâcheté !
Exception d'irrecevabilité
M. le président. - Motion n°1 rectifié de Mme Rossignol et du groupe SER.
Mme Laurence Rossignol . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Pourquoi cet entêtement de la majorité sénatoriale à réduire les droits sociaux des personnes étrangères vivant en toute légalité en France, que la France a décidé d'accueillir ?
Cette proposition de loi procède d'une volonté d'affichage idéologique, sans souci du réel. Son champ d'application est restreint par les conventions bilatérales qui nous lient à de nombreux pays. L'autrice s'en agace - oubliant que ces conventions de réciprocité procurent aux Français vivant à l'étranger l'accès aux droits sociaux sur place.
Mme Valérie Boyer. - C'est pour cela qu'il serait bon d'avoir un bilan, chère collègue...
Mme Laurence Rossignol. - Les ressortissants du Maghreb, de Turquie, de nombreux pays d'Afrique subsaharienne, du Brésil, de l'Union européenne seront exemptés. À qui le texte s'appliquera-t-il ?
Votre postulat est que le Conseil constitutionnel n'a jamais interdit de soumettre les prestations à une durée de résidence - mais il n'a jamais validé de disposition limitant la solidarité nationale aux seuls nationaux : les alinéas 10 et 11 du Préambule de 1946 disposent que chacun a droit à la santé, à la sécurité matérielle, au repos et aux loisirs. Quand le Préambule veut limiter la solidarité nationale, il le fait explicitement.
Puisque le Conseil constitutionnel a rejeté une durée de cinq ans, les auteurs proposent deux, au doigt mouillé, comme si ce n'était qu'affaire de curseur, ignorant que le contrôle de proportionnalité est lié à l'objet de la prestation sociale. Relisez la note de Samy Benzina !
Ce texte porte également atteinte à l'alinéa 3 du Préambule qui garantit l'égalité des droits entre les femmes et les hommes. En faisant une distinction entre les étrangers qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas, vous pénaliserez d'abord les femmes, car leur taux d'activité dans les familles immigrées est inférieur de 20 % à celui des hommes.
En privant les étrangers de l'allocation de soutien familial (ASF), versées aux familles monoparentales, vous leur infligez deux ans de misère. Avez-vous pensé aux femmes qui ne travaillent pas, qui subissent les violences de leur conjoint, qui ne pourront partir faute d'allocations pour nourrir leurs enfants ? Cette proposition de loi est une machine à créer de la pauvreté, et à maintenir les femmes sous emprise. En discriminant les enfants selon l'activité professionnelle de leurs parents, elle porte atteinte à la Convention des droits de l'enfant.
Enfin, il faut évaluer la proportionnalité à l'objectif de la prestation. Les allocations familiales, l'allocation de rentrée scolaire et I'ASF ont pour objectif d'assurer les meilleures conditions sanitaires, matérielles et morales aux enfants, et de lutter contre la pauvreté. C'est pourquoi l'école accueille tous les enfants, y compris ceux dont les parents sont clandestins. Près de 2 000 enfants sont sans abri, votre proposition de loi en jettera bien d'autres à la rue.
L'objectif des prestations que vous visez est d'assurer un droit universel aux enfants qui vivent en France. Par conséquent, cette proposition de loi n'est pas constitutionnelle, madame la ministre.
Quel est l'intérêt de présenter un texte dont le champ d'application n'est pas identifié et le risque de censure élevé ? Au lieu d'appeler à l'unité, vous choisissez la fracture, vous faites le choix idéologique de la préférence nationale.
M. Stéphane Ravier. - Bravo !
Mme Laurence Rossignol. - Mais les électeurs préfèrent toujours l'original à la copie...
M. Stéphane Ravier. - Absolument !
Mme Laurence Rossignol. - Vous fracturez le consensus politique sur les valeurs de la République - entre la droite et la gauche, mais aussi au sein du bloc central.
Cette proposition de loi est inconstitutionnelle, dangereuse, inefficace. Votons cette motion. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et du GEST)
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - Nous avons été très attentifs à la constitutionnalité de cette proposition de loi, et avons auditionné des professeurs de droit constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel précise bien que « les exigences constitutionnelles précitées ne s'opposent pas à ce que le bénéfice de certaines prestations sociales dont jouissent les étrangers en situation régulière sur le territoire français soit soumis à une condition de durée de résidence ou d'activité ». Cela justifie à soi seul le rejet de cette exception d'irrecevabilité.
Le droit en vigueur prévoit déjà un délai de neuf mois ; le porter à deux ans nous a paru proportionné et adéquat. Au passage, le RSA ne peut être demandé qu'après cinq ans de résidence, voire quinze ans à Mayotte, sans que cela pose problème au juge constitutionnel.
Le Dalo fait l'objet d'une protection spécifique, en tant que besoin fondamental et voie de recours, c'est pourquoi nous l'avons exclu.
Avis défavorable à la motion.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - Même avis. Le débat doit avoir lieu. On voit à quel point il est important. (Murmures sur les travées du groupe CRCE-K)
Mme Laurence Rossignol. - Un avis de sagesse serait bienvenu.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - Les parlementaires peuvent soumettre une proposition de loi au Conseil d'État pour avoir un avis sur sa constitutionnalité.
Mme Laurence Rossignol. - Ce sera le Conseil constitutionnel...
Mme Frédérique Puissat. - Nous ne partageons pas les arguments des auteurs de la motion, et considérons que le Conseil constitutionnel non plus. (Mme Laurence Rossignol éclate de rire.)
Il rappelle en effet que les exigences constitutionnelles ne s'opposent pas à ce que le bénéfice de certaines prestations sociales soit soumis à une condition de durée de résidence ou d'activité. Il existe d'ailleurs une condition de résidence pour le RSA.
Le Conseil constitutionnel a mis en balance les exigences nées des droits et libertés fondamentaux reconnus par les textes constitutionnels avec l'objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public, opérant un contrôle de proportionnalité. La proposition de loi en tire les conclusions, en abaissant la durée requise à deux ans, ce qui répond aux exigences constitutionnelles.
On peut ne pas souhaiter de conditionnalités - c'est une position politique, que nous respectons - mais il ne s'agit pas d'une atteinte à la Constitution.
En outre, il est curieux d'estimer que l'existence de nombreuses conventions internationales rendrait l'action du législateur inutile. L'abondance des exceptions à une règle ne suffit pas à disqualifier celle-ci. Nous voterons contre cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Raymonde Poncet Monge. - Le Conseil national des barreaux, qui représente 70 000 avocats, s'est réuni en assemblée générale. Il « déplore la fragilité du texte au regard des exigences constitutionnelles ». Déplorer est synonyme de s'affliger - et il y a de quoi, en effet.
Il y a trois critères à la proportionnalité, nous ont dit les juristes. À quelle nécessité cette proposition de loi répond-elle ? Est-elle adaptée ?
Les auteurs de la proposition de loi ont pris les prestations sociales en vrac, sans mesurer la nécessité, prestation par prestation.
Mme Silvana Silvani. - Cette motion dénonce les atteintes aux libertés publiques et aux droits et libertés constitutionnels. Nous avons entendu les remarques des juristes sur le caractère potentiellement anticonstitutionnel de cette proposition de loi.
Politiquement, il s'agit d'un texte d'affichage. Depuis la loi Immigration, nous savons qu'il est néanmoins susceptible de trouver à l'Assemblée nationale une majorité, allant de Renaissance au Rassemblement national en passant par LR et les centristes.
La majorité sénatoriale continue de faire la campagne de Bruno Retailleau pour la présidence des Républicains. (« Arrêtez ! » et marques d'exaspération à droite) Vous espérez marquer des points à la droite extrême pour 2027. Vous empruntez le chemin du trumpisme en balayant les conventions internationales et les principes constitutionnels, et attisez un discours xénophobe à l'encontre de nos concitoyens issus de l'immigration. Le groupe CRCE-K votera cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)
M. Éric Kerrouche. - Avec Valérie Boyer, on est rarement dans le parlementarisme, plutôt dans le militantisme.
Mme Valérie Boyer. - C'est votre appréciation. Quand on s'allie avec M. Mélenchon, on n'a pas de leçon à donner.
M. Éric Kerrouche. - On fait semblant de parler de droit, mais on est dans le pur bavardage. Ce texte reprend toutes les idées reçues, à commencer par le mythe de l'appel d'air. L'immigration coûterait 20,7 milliards d'euros ? Ce chiffre comprend l'ensemble des étrangers en France, y compris les résidents communautaires et les Français nés à l'étranger ! Et vous oubliez de dire que l'OCDE souligne une contribution nette des immigrés à la valeur ajoutée ! (On le conteste sur les travées du groupe Les Républicains.)
Les Français sont beaucoup plus tolérants que ce que vous croyez. L'indice longitudinal de tolérance baisse avec le temps - il est plus difficile de stigmatiser ! Vous vous contentez d'une politique identitaire. On assiste, avec tous ces textes, à une droitisation de la droite, pas des citoyens. Je vous invite à consulter les données de l'Insee.
Ce texte n'est qu'un prétexte pour mettre en avant des sujets qui ne sont pas ceux qui intéressent les Français. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Raymonde Poncet Monge applaudit également.)
Mme Élisabeth Doineau. - Je ne voterai pas cette proposition de loi, même si je la respecte, tout comme je respecte la motion.
Le groupe UC ne votera pas cette motion, non plus que la suivante, car il faut que le débat ait lieu et que les Français soient témoins de nos différences sur ce sujet. Analyse contre analyse, vérité contre vérité : poursuivons le débat.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. - L'utilisation du mot « xénophobe » est problématique. J'invite nos collègues à faire preuve de retenue et à employer un autre mot. (Applaudissements à droite ; M. Thomas Dossus lève les bras au ciel.)
M. Thomas Dossus. - Il faut appeler un chat un chat.
Mme Silvana Silvani. - C'est proportionné.
À la demande du groupe Les Républicains, la motion n°1 rectifiée est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°233 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 345 |
Pour l'adoption | 99 |
Contre | 246 |
La motion n°1 rectifiée n'est pas adoptée.
Question préalable
M. le président. - Motion n°2 de Mme Poncet Monge et alii.
Mme Raymonde Poncet Monge . - (Applaudissements sur les travées du GEST) L'unique motif de cette proposition de loi est de « limiter l'appel d'air migratoire » généré par un régime social généreux. Or cette notion d'appel d'air, loin d'être étayée par les faits, a été largement invalidée par de nombreuses recherches académiques. C'est un mythe !
Selon le philosophe Jérôme Lèbre, l'appel d'air correspond à ce que Gaston Bachelard appelait un obstacle épistémologique, une intuition vague d'autant plus efficace qu'elle simplifie la réalité, alors que la science avance en se libérant des intuitions.
La tentation est de se libérer de la démarche scientifique et rationnelle, de plus en plus malmenée. Le 7 mars, des mobilisations Stand Up For Science ont eu lieu de par le monde. Nous sommes dans ce moment-là. Revenons à une étude rationnelle de l'exposé des motifs de cette proposition de loi.
Dans une tribune, 700 chercheurs du CNRS concluent que « la répartition des migrants et des réfugiés à travers l'Europe n'a aucun lien avec la générosité de la protection sociale : l'appel d'air est un mythe jamais démontré ». Ils dénoncent la victoire de l'idéologie sur les faits et le triomphe des fantasmes sur les réalités. La France n'est pas submergée par une immigration hors contrôle. En revanche, les immigrés accomplissent des tâches indispensables, et sont surreprésentés dans les métiers difficiles.
Selon l'économiste britannique Corrado Giulietti, l'État providence n'est pas un facteur clé de la décision d'immigration. Selon Pascal Brice, ancien directeur général de l'Ofpra, les migrations sont le fait de l'activité naturelle ou de la contrainte, de la misère, des persécutions, des dégâts environnementaux.
Selon l'Institut Convergences Migrations, ce sont les facteurs push tels que les troubles politiques, économiques, sociaux ou religieux qui incitent les migrants à quitter leur pays, plutôt que les facteurs pull, à savoir l'attractivité, réelle ou fantasmée, des pays de destination.
Les migrants ne sont pas aspirés par les prestations sociales ; ils partent pour échapper à la souffrance, voire à la mort. Comme le fait observer Jérôme Lèbre, les soupçonner d'un calcul comparatif des systèmes sociaux est particulièrement sordide de la part d'États qui ont construit leur richesse par leur implication, directe ou indirecte, dans des guerres ayant rendu inhabitables des régions entières du monde.
Quand les migrants choisissent leur pays d'arrivée, ce qui est loin d'être toujours le cas, c'est en fonction des possibilités d'emploi et de la diaspora présente, indique Hélène Thiollet. Les diasporas sont souvent un héritage de la colonisation. Ainsi, après la Première Guerre mondiale, les autorités françaises ont recruté dans les colonies des centaines de milliers de soldats et de travailleurs. Cette histoire travaille encore notre société.
Par ailleurs, la France n'est pas si attractive pour les migrants que vous voulez le faire croire. (M. Laurent Duplomb s'exclame.) L'immigration dans notre pays s'explique en partie par sa situation géographique, qui en fait un pays de refuge provisoire et de transit.
Enfin, les régularisations non plus ne créent pas d'appel d'air. Les travaux de recherche montrent que, depuis le début des années 1980, aucune régularisation, même massive, n'a eu d'effet incitatif sur les départs.
Aucune aide sociale ne peut compenser les coûts et les risques de la migration : les migrants ne sont pas attirés par des aides sociales qu'ils ne toucheront probablement jamais, ou après un long délai. Au reste, il est surprenant, comme le fait remarquer le sociologue Smaïn Laacher, que les adeptes de l'appel d'air ne s'indignent jamais de la circulation des élites mondialisées, attirées par les meilleurs placements financiers et qu'aucune frontière n'arrête. Pas d'appel d'air pour l'optimisation fiscale...
Vous faites primer l'idéologie sur les faits (Mme Valérie Boyer ironise), l'intuition fausse sur la science. Même en situation régulière, l'étranger est votre cible ! Vous le présentez comme un profiteur et cherchez à le discriminer.
Vous savez pertinemment que cette proposition de loi sera sans effet. Si appel d'air il y a, il est idéologique : c'est celui de l'extrême droite, et cette proposition de loi en est une traduction. Monsieur le président Mouiller, quel autre nom pour qualifier cette dénonciation de l'étranger que la xénophobie ?
Mais si le fantasme de l'appel d'air n'a pas d'ancrage empirique, il a des conséquences. Il est prétexte à un durcissement des politiques migratoires comme des conditions d'accueil et de vie des étrangers, y compris en situation régulière.
Parce que la recherche de vérité est une condition de notre démocratie et qu'on ne légifère pas sur des mythes, le groupe écologiste vous appelle à voter cette motion. (Applaudissements à gauche)
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - En commission, nous avons insisté sur le fait que cette proposition de loi se justifie indépendamment des options de politique migratoire. Il s'agit de définir le système de protection sociale que nous voulons. Conditionner l'accès de plein droit aux prestations sociales à deux années de résidence, c'est considérer que la solidarité nationale s'exprime d'abord envers les personnes qui participent à la vie de la nation et qui y sont un tant soit peu intégrées. Plusieurs pays de l'Union européenne ont suivi cette voie, sans toujours être confrontés à des flux migratoires - voyez l'Irlande. Avis défavorable à la motion.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - Même avis.
M. Ian Brossat. - Avant même que la discussion générale n'ait commencé, nous avons assisté à deux aveux.
Dans la discussion du texte précédent, vous disiez ne vouloir vous attaquer qu'aux étrangers dangereux et en situation irrégulière. Or voici que vous vous en prenez même aux étrangers en situation régulière !
D'autre part, Mme Boyer a assumé de déposer des textes qui sont rendus inopérants. C'est ce que j'appelle les propositions de loi CNews !
Dire que vous prétendez, en faisant cela, préserver le modèle social français... Vous qui avez voté le report de l'âge légal de la retraite à 64 ans et voulez remplacer notre régime par répartition par un système par capitalisation !
Enfin, madame la ministre, l'avis de sagesses du Gouvernement relève de la lâcheté. Il est pitoyable que vous ne défendiez pas une position républicaine. (Applaudissements à gauche)
Mme Frédérique Puissat. - Cette proposition de loi est défendue par l'ensemble du groupe Les Républicains : nul besoin de prendre à partie personnellement Mme Boyer.
Conditionner l'accès aux prestations sociales à une durée de séjour revient à considérer que la participation à la vie de la nation fonde la solidarité nationale : ce n'est peut-être pas votre position, mais c'est la nôtre et nous l'assumons. Au reste, de nombreux pays ont fait un choix analogue. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Thomas Dossus. - Raymonde Poncet Monge a fait la démonstration implacable de vos fantasmes idéologiques et de votre dérive xénophobe. Lors de la loi Immigration, Mme Le Pen avait pris acte de sa victoire idéologique totale en vous voyant reprendre à votre compte la préférence nationale.
Il fut un temps où une bonne partie de la droite combattait, avec tous les républicains, les idées de l'extrême droite. Désormais, la préférence nationale est votre boussole et la xénophobie, votre doctrine. Les digues ont sauté et vous êtes engloutis dans la fange de l'extrême droite.
Votre texte ne changera rien pour les Français qui perçoivent ces allocations - ceux-là mêmes que vous présentez comme des assistés. Cessons les appels d'air aux idées xénophobes !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je suis effarée d'avoir entendu Mme Boyer dire et répéter que ces sujets ne seraient pas documentés, pas chiffrés. Vous assumez donc de légiférer dans un brouillard total ?
Quant à l'argument de l'appel d'air, combien de temps encore allez-vous l'avancer ? Renseignez-vous ! Non, les personnes qui viennent dans notre pays ne regardent pas les prestations sociales : elles regardent si elles peuvent y travailler, si elles y ont de la famille.
Les nombreuses conventions internationales qui nous lient à d'autres États font que cette loi n'aura pas de portée. Mais peu vous importe ! Vous voulez pouvoir en parler dans votre communication et prétendre que le droit international vous empêche d'agir.
Tout cela n'est pas à la hauteur du travail du Sénat, ni de ce que la droite a été ! (Applaudissements à gauche ; protestations à droite)
M. Daniel Chasseing. - Il est absolument faux de prétendre que le Sénat voudrait la fin de la retraite par répartition. Depuis des années, nous disons qu'il faut compléter ce système par un peu de capitalisation.
Mme Poncet Monge a donné un discours très étayé, expliquant notamment que le premier critère de choix du pays est professionnel. Il est vrai que c'est par le travail qu'on s'intègre. Mais les étrangers qui travaillent ne sont pas attaqués : dès qu'ils travaillent, ils perçoivent toutes les aides sociales.
Mme Laurence Rossignol. - Et les femmes ?
M. Daniel Chasseing. - Ce texte n'a donc rien à voir avec la loi Immigration. Pour les APL, les prestations sociales, l'allocation au logement, la durée minimale de résidence est portée à deux ans, mais il n'y a pas de modification pour le RSA et l'Aspa. Les étudiants sont exemptés. En outre, les ressortissants européens ne seront pas concernés, non plus que ceux des pays liés à la France par une convention.
Pour ces raisons, je voterai cette proposition de loi. (Applaudissement sur les travées du groupe INDEP)
À la demande du groupe Les Républicains, la motion n°2 est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°234 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l'adoption | 99 |
Contre | 243 |
La motion n°2 n'est pas adoptée.
Discussion générale (Suite)
Mme Corinne Narassiguin . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Nous voici saisis, une fois de plus, d'un texte sur l'immigration : chez certains, cela vire à l'obsession.
Après la loi Immigration de Gérald Darmanin et le référendum d'initiative partagée de Bruno Retailleau, vous tentez, pour la troisième fois, de restreindre les prestations sociales dont bénéficient les ressortissants étrangers hors Union européenne résidant légalement en France.
Votre argument ? La préférence nationale, principe que vous empruntez à l'extrême droite. « J'aime mieux mes filles que mes nièces, mes nièces que mes cousines, mes cousines que mes voisines », proclamait Jean-Marie Le Pen. « Il faut faire passer les nôtres avant les autres », résume Marine Le Pen.
Ce texte est une synthèse de ce qui se fait de mieux à droite : obsession des étrangers et politique antisociale.
L'universalité des allocations, décidée à la fin de la Seconde Guerre mondiale, a été consacrée par la loi du 4 juillet 1975, sous Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac. Vous tentez une nouvelle fois de revenir sur cet héritage de l'esprit du Conseil national de la Résistance, au détriment de centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants qui résident dans notre pays légalement et cotisent pour notre système social commun.
L'appel d'air contre lequel vous prétendez lutter est imaginaire : tous les travaux menés montrent qu'il n'y a aucune corrélation entre les politiques d'accueil et les flux migratoires et que les déterminants de la migration sont l'attractivité économique et la présence d'une diaspora.
Comme le dit avec aplomb le ministre de l'intérieur, la réalité dément les études : mais c'est une réalité virtuelle, que vous cherchez à imposer dans le débat public.
Ce texte est contraire à la Constitution, mais il n'y a plus rien là qui vous arrête. Heureusement, les rapporteurs ont eu quelques éclairs de lucidité.
D'abord, pour constater que ce texte est largement dépourvu d'objet, en raison des nombreux accords internationaux qui régissent les droits sociaux des étrangers hors Union européenne. Quel est l'intérêt de voter un texte qui ne s'appliquera à presque personne ? Ce ne sera qu'un nouvel effet de manche.
Ensuite, pour retirer le Dalo du texte. Car le droit au logement opposable est un principe constitutionnel.
Lorsque vous avez tenté de conditionner le bénéfice des prestations sociales à une durée minimale de cinq ans à travers la proposition de loi référendaire de M. Retailleau, le Conseil constitutionnel a censuré une atteinte disproportionnée à la politique de solidarité nationale. Vous tentez donc deux ans. Mais en quoi serait-il plus acceptable de maintenir dans la précarité des hommes, des femmes et des enfants pendant deux ans plutôt que cinq ?
Ce texte n'est pas seulement anti-étrangers, il est antisocial. Vous voulez priver des étrangers en situation régulière des aides nécessaires à leur insertion au moment où ils en ont le plus besoin. Souvent déjà en situation précaire, ces personnes et leurs familles verraient leur revenu disponible diminuer de plusieurs centaines d'euros par mois. Les enfants seront particulièrement touchés, alors qu'ils sont aussi l'avenir de notre pays, ne vous en déplaise.
Vous excluez de ce texte les étrangers qui travaillent, et c'est heureux. Mais n'y a-t-il pas contradiction à réserver le bénéfice des prestations aux étrangers qui travaillent et à en priver ceux qui ne travaillent pas et sont justement ceux qui en ont le plus besoin ?
Le RSA est subordonné à une condition de résidence stable de cinq ans. Mais les deux logiques sont complètement différentes ! Le Conseil constitutionnel a jugé ce délai conforme à la Constitution car cette prestation vise à inciter à l'exercice ou à la reprise d'une activité professionnelle. Notre pays soutient les étrangers arrivant sur son sol, mais les encourage à s'insérer par le travail, sans dépendre dès leur arrivée de revenus financés par la solidarité nationale. Les prestations visées par ce texte répondent, elles, à une logique de solidarité.
En réalité, vous avez un problème avec l'intégration. Vous n'aimez pas les étrangers et ne souhaitez pas les intégrer ! Vous faites même tout pour rendre leur intégration impossible, par exemple en augmentant le niveau de français exigé pour une carte de séjour tout en réduisant les moyens alloués aux cours, dans la loi Immigration.
Que proposez-vous pour faciliter l'accès aux cours de français, à l'emploi ? Pour sortir les personnes migrantes de la précarité afin qu'elles s'intègrent plus vite ? Rien !
Mme Laurence Rossignol. - Ils ne veulent pas qu'elles s'intègrent !
Mme Corinne Narassiguin. - Vous prônez la préférence nationale, la haine de l'étranger et l'attaque contre les plus pauvres : un bien triste projet de société. (Applaudissements à gauche)
M. le président. - Avant de suspendre la séance, je donne la parole à M. Ravier.
Mme Laurence Rossignol. - Tiens, voilà du soutien !
M. Stéphane Ravier . - (À mesure que l'orateur s'exprime, les sénatrices et sénateurs des groupes SER, CRCE-K et du GEST quittent l'hémicycle.) Les auteurs de ce texte veulent instaurer la priorité nationale en imposant une obligation de résidence d'au moins deux ans pour qu'un étranger qui ne travaille pas bénéficie des prestations familiales, de l'APA, de l'APL ou du Dalo.
Il y a un an, le Conseil constitutionnel avait interdit un référendum d'initiative partagé sur ce thème pour non-respect du principe de solidarité nationale. Pour le socialiste Laurent Fabius, la préférence nationale serait contraire à la Constitution. C'était consacrer l'ouverture de notre système social au monde entier, à l'heure des mouvements de population les plus importants de l'histoire de l'humanité. Inutile de chercher plus loin pourquoi nous sommes le plus taxé des pays développés...
Cette décision a marqué un tournant dans l'affirmation d'un gouvernement des juges ligotant un peu plus la souveraineté nationale. Même Michel Rocard est hors des clous, lui qui avait conditionné l'obtention du RMI à cinq ans de présence sur le territoire français !
Elle va à contre-courant de l'urgence française, alors que nous sommes menacés dans notre existence par le double record de la dette sociale et de l'immigration. À contre-courant, aussi, de la marche du monde : aux États-Unis, si vous êtes au chômage depuis trois mois, vous êtes expulsé - et c'était déjà vrai sous l'administration Biden. Même le Brésil de Lula pratique la préférence nationale !
La préférence nationale que la gauche criminalise n'est pas d'extrême-droite, mais d'extrême droit. Faire la différence entre un national et un non-national, c'est la définition même, la raison d'être de la nation. La vraie discrimination positive est là !
Ce texte est une avancée bien timide, mais je le voterai comme un moindre mal. Au reste, je m'oppose catégoriquement au financement de la famille étrangère : en France, c'est la famille et la natalité françaises exclusivement qu'il faudrait soutenir.
Si nous voulons reprendre le contrôle, souvenons-nous de ces paroles de bon sens de Saint Augustin : « Comme tu ne peux être utile à tous, tu dois surtout t'occuper de ceux qui, selon les temps et les lieux ou toute autre opportunité, te sont plus étroitement unis, comme par un certain sort ».
Une sagesse spirituelle que l'on retrouve dans le combat temporel de Jean-Marie Le Pen, dont le seul tort aura été d'avoir eu raison trop tôt. Nous nous apprêtons à lui apporter une reconnaissance politique en inscrivant dans la loi ce principe qu'il porta comme un étendard : les Français d'abord !
La séance est suspendue à 20 heures.
Présidence de Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente
La séance reprend à 21 h 30.
Mme Marie-Claude Lermytte . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Anne-Sophie Patru applaudit également.) La France est un pays ouvert et solidaire doté d'un modèle social parmi le plus généreux au monde. Elle consacre un tiers de son PIB aux prestations sociales, garantissant un filet de sécurité à ceux qui en ont besoin. Mais pour assurer la pérennité de ce modèle, il faut veiller à son équilibre et à son équité.
La proposition de loi est raisonnable et proportionnée, bien loin des neuf ans exigés au Danemark ou des cinq ans proposés par le Sénat en 2023. L'objectif est d'assurer la viabilité du modèle social tout en garantissant la solidarité.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ce n'est pas du tout l'objectif énoncé !
Mme Marie-Claude Lermytte. - Il s'agit de poser un cadre juste et responsable.
Ce texte conditionne le versement de certaines prestations sociales et familiales à une durée de résidence de deux ans, contre neuf mois actuellement.
D'autres prestations comme le RSA ou l'Aspa ne sont pas concernées, car elles répondent à des conditions plus strictes, respectivement cinq ans et dix ans de séjour régulier en France.
Cette proposition de loi harmonise notre système tout en tenant compte de nos finances publiques.
Combien de personnes seront-elles concernées ? Les données manquent et nous le déplorons.
Cette proposition de loi s'inscrit dans une réflexion plus large sur la pérennité de notre modèle social. Elle met en lumière nos engagements internationaux en matière sociale. La France a signé de nombreuses conventions bilatérales, notamment avec des pays du Maghreb ou le Liban, qui permettent aux ressortissants français de bénéficier des mêmes prestations que les locaux, mais est-ce équilibré ? La France est la plus généreuse... L'équité entre les citoyens français et les étrangers doit être respectée. Ce n'est pas seulement une question de finances mais de justice.
Ce texte est une première pierre pour la maîtrise de nos dépenses sociales.
Nos conventions internationales doivent être réexaminées, sinon ce texte ne portera que sur des exceptions.
La question de l'immigration illégale n'est pas traitée, alors que ce problème est important, notamment à Mayotte. Il nous faut une réponse globale sur la politique migratoire, la gestion des frontières et des finances publiques.
Cette proposition de loi est un premier pas qui affirme une volonté de responsabilité et de justice sociale. Le groupe INDEP la votera. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; Mme Anne-Sophie Patru applaudit également.)
Mme Laurence Muller-Bronn . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie Valérie Boyer de nous permettre de reprendre des débats antérieurs.
Il semble légitime de demander aux bénéficiaires des prestations sociales d'avoir été suffisamment longtemps sur notre sol.
Le Conseil constitutionnel avait censuré un article de la loi Immigration de 2024 au motif qu'il s'agissait d'un cavalier législatif, et non sur le fond.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Il l'a fait à d'autres occasions !
Mme Laurence Muller-Bronn. - Il a par ailleurs jugé la durée de cinq ans disproportionnée.
Sont exclues la prestation de compensation du handicap (PCH), l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH), l'AJPP et le Dalo.
Avec une condition de neuf mois de résidence, la France est l'un des pays les moins exigeants : l'Italie, Chypre, l'Irlande ou la Grèce conditionnent l'octroi des prestations à une durée allant jusqu'à cinq ans.
Les prestations sociales concernées sont : la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje), les allocations familiales, le complément familial, l'allocation logement, l'allocation enfant handicapé, l'ASF, l'allocation de rentrée scolaire, l'allocation en cas de décès d'un enfant, l'AJPP et le minimum vieillesse - ce dernier s'élève à 1 034 euros par mois pour une personne seule, 1 605 euros pour un couple. Alors que le conclave sur les retraites ne mènera nulle part et que les Français devront travailler au-delà de 64 ans, les femmes ou les seniors au chômage depuis leurs 55 ans n'auront guère plus, alors qu'ils ont travaillé toute leur vie ! (Mme Marie-Do Aeschlimann renchérit.)
Exiger deux ans de résidence préalable ne relève pas d'une idéologie réactionnaire...
Mme Laurence Rossignol. - Assumez !
Mme Laurence Muller-Bronn. - ... mais d'une exigence d'équité. (Mme Valérie Boyer applaudit.)
Il faudrait être aveugle pour ne pas voir la bombe sociale du logement qui pèse sur des familles modestes où les deux parents travaillent.
M. Daniel Salmon. - Vous les mettez dehors !
Mme Laurence Muller-Bronn. - Je ne parle même pas d'économies à réaliser ici ou là mais des difficultés à vivre de nos concitoyens qui sont appelés sans cesse à faire des efforts, dans un pays avec un niveau record d'impôts. (On ironise sur les travées du groupe SER)
J'assume le mauvais rôle assigné à ceux qui défendent cette proposition de loi. La générosité des idéaux portés par certains est malheureusement incompatible avec les réalités. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme Guylène Pantel . - La question est celle de la définition de notre modèle social. Selon Pierre Laroque, la sécurité sociale n'est pas une charge mais un investissement dans la dignité humaine. C'est une promesse, celle d'une République solidaire qui protège chacun face aux aléas de la vie.
Cette proposition de loi risque de remettre en cause le principe fondamental de solidarité nationale en créant une hiérarchie injustifiée entre les résidents, au nom du principe de préférence nationale - Marine Le Pen y voyait la consécration idéologique du RN.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Absolument !
Mme Guylène Pantel. - Est-ce cette direction que nous voulons suivre ? On nous explique qu'il faut limiter l'appel d'air, mais aucune étude ne démontre qu'une telle mesure aurait un effet sur les flux migratoires. L'eldorado social français est une fausse idée. Les migrations sont motivées par l'espoir de trouver un emploi, non par les prestations sociales. La proposition de loi n'aura aucun impact significatif.
Sa logique économique est contestable. Les prestations sociales réduisent les inégalités et favorisent la participation à la vie économique. Un système de prestations sociales qui fonctionne renforce la protection sociale.
Ce texte accroîtra la précarité des étrangers sur notre territoire. C'est les précipiter vers la pauvreté. Cela pèserait in fine sur les aides d'urgence, sur d'autres dispositifs publics et sur les collectivités.
La portée est bien limitée, l'efficacité illusoire. Les accords internationaux exempteraient nombre de nationalités. Je ne comprends pas l'acharnement de nos collègues à faire voter cette proposition de loi inapplicable.
L'intégration ne se décrète pas ; elle se construit. Comment peut-on se satisfaire d'un pays où l'on dit : « Attendez deux ans avant d'être considéré comme les autres ? »
La responsabilité, ce n'est pas stigmatiser une partie de la population et affaiblir le principe d'égalité.
Notre système de protection sociale est un pilier de notre pacte républicain. Il ne doit pas nourrir les divisions.
Le RDSE votera dans sa très grande majorité contre ce texte, car il est contraire à nos principes. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
M. Olivier Henno . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Cette proposition de loi soulève des enjeux en matière migratoire. Défendue par Valérie Boyer, elle vise à établir un délai de deux ans avant de bénéficier d'aides sociales, sauf en cas d'activité professionnelle. Cette exigence, ou l'établissement d'un lien avec le travail, est une forme de remise en cause. C'est le choix de l'immigration choisie et non subie.
Cette remise en cause largement souhaitée par l'opinion publique ne va pas de soi pour tous. Nous devons être pragmatiques, car nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde, comme l'a dit Michel Rocard... (Exclamations à gauche)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous tronquez la citation.
M. Olivier Henno. - Afin d'éviter des flux massifs, il faut envoyer le message selon lequel la France n'est pas un eldorado.
Sans démagogie, envoyons le message déterminé qu'une personne peut venir en France pour travailler, étudier, ou bénéficier de l'asile. Il n'y a pas de place pour l'immigration illégale.
Ce texte est surtout symbolique, mais en politique, ça compte ! Le symbole n'est pas un gros mot.
On peut vouloir réguler l'immigration sans être d'extrême droite ni xénophobe. (Mme Charlotte Parmentier-Lecocq acquiesce.) Laisser le monopole de la régulation de l'immigration à l'extrême droite, c'est lui faire un sacré cadeau.
Mme Valérie Boyer. - Bravo !
M. Olivier Henno. - Sur ce point, nous ne sommes pas d'accord, mais c'est un clivage républicain !
Mme Laurence Rossignol. - Non !
M. Olivier Henno. - Nous voulons assurer un accès équitable aux aides sociales.
Actuellement, une résidence de quelques mois et un titre de séjour valide suffisent pour toucher des prestations sociales. C'est sans lien avec l'effort contributif. L'accès aux prestations sociales doit dépendre d'un séjour stable. C'est le cas dans de nombreux pays. Le Danemark demande six ans de résidence pour toucher les allocations familiales, l'Allemagne six mois d'activité ; le Canada, pays d'immigration, encadre les prestations sociales versées.
Au moment où nous demandons des efforts pour réguler nos dépenses sociales et réduire notre déficit, il n'est pas illogique de demander des efforts aux étrangers.
M. Guillaume Gontard. - Quel symbole de solidarité...
M. Olivier Henno. - Au reste, n'est-il pas incroyable que l'on manque autant d'instruments de pilotage dans notre pays ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Cela ne vous empêche pourtant pas de légiférer...
M. Olivier Henno. - Certains affirment que la proposition de loi est discriminatoire. Le Conseil constitutionnel a reconnu que le principe de durée de résidence n'est pas contraire à la Constitution. Il avait jugé cinq années disproportionnées. Nous tenons compte de ses exigences.
Je salue le travail de Valérie Boyer, Florence Lassarade et Olivier Bitz.
Nous avons remplacé la condition de résidence stable par l'exigence d'être titulaire d'un titre de séjour. Cela permet une vérification plus fiable des critères d'éligibilité.
Nous avons exclu le Dalo, principe à valeur constitutionnelle. En réalité, ce texte n'est qu'un alignement sur nombre de pratiques européennes. Il n'a rien de scandaleux.
Cette proposition de loi s'inscrit dans une tendance visant à équilibrer accueil et obligations. (Mme Valérie Boyer renchérit.)
Nous voulons lutter contre l'effet d'attractivité de notre système social. Cette proposition de loi ne conclut pas la discussion.
Notre groupe, dans sa majorité, votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Anne-Sophie Romagny applaudit également.)
Mme Silvana Silvani . - Par deux fois déjà, la majorité sénatoriale a tenté de créer une condition de résidence pour le versement de certaines prestations sociales.
Elle avait proposé cinq ans de résidence dans la loi Immigration, avec le soutien de Gérald Darmanin, avant que le Conseil constitutionnel ne censure ce dispositif. En 2024, les sénateurs et députés Les Républicains ont déposé une proposition de loi référendaire, censurée par le Conseil constitutionnel.
Jamais deux sans trois ! Les Républicains retentent donc leur chance, espérant que cette fois sera la bonne.
Nous vous avons interrogés sur le nombre de potentiels bénéficiaires. Mais vous n'avez pas pu nous répondre, vous n'avez pas de chiffres. Mais l'essentiel n'est pas là, selon vous, n'est-ce pas ? Ce texte est avant tout un marqueur idéologique.
Ce texte est anticonstitutionnel. Il contrevient au principe même de notre modèle social.
Ce qui importe à la majorité sénatoriale, c'est d'occuper le terrain sur l'immigration, quitte à perdre des électeurs rationalistes, humanistes et gaullistes sociaux. Nous sommes surpris de l'unanimité du groupe Les Républicains derrière le ministre Retailleau. Nous sommes encore plus surpris de voir des centristes et des macronistes soutenir ce texte xénophobe et antisocial. (On s'en agace sur les travées du groupe Les Républicains.)
Vous aggravez la précarité, le nombre de travailleurs pauvres et de mal-logés. Vous jetez des gens chez les marchands de sommeil et créez des bidonvilles.
Vous allez restreindre les droits et engendrer plus de précarité, selon le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale.
Cette proposition de loi est une victoire pour le RN. Vous reprenez le mythe de l'appel d'air et le principe de préférence nationale du RN. Jordan Bardella ne s'exprimait pas autrement en disant que notre pays devait cesser d'être un « guichet social pour l'immigration du monde entier ».
Après l'austérité budgétaire, vous justifiez une sécurité sociale à deux vitesses, phase suprême du capitalisme.
Entre ceux qui ont voulu réduire les prestations sociales des étrangers et ceux qui ont voulu réduire le nombre d'étrangers pour améliorer les prestations sociales, il y a un point commun : la remise en cause de notre modèle social universel, auquel nous sommes attachés. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER)
Mme Raymonde Poncet Monge . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Voilà la troisième tentative d'inscrire dans la loi une mesure jugée inconstitutionnelle.
Vous voulez faire entrer dans la loi le concept d'appel d'air dont nous avons démontré l'ineptie lors de la présentation de notre question préalable. Instaurer une condition de résidence de deux ans et non de cinq afin de contourner la censure démontre une vision erronée du principe de proportionnalité. Ce n'est pas un simple quantum, il faut aussi respecter le principe de nécessité et d'adaptation.
L'introduction d'une exception d'opposabilité aux titulaires d'un titre de séjour autorisant à travailler reste sans rapport avec l'objet des prestations concernées.
Respectons le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Tout être humain a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».
Lorsqu'il était président du Conseil constitutionnel, Robert Badinter avait déposé sur son bureau l'affichette suivante : « Toute loi inconstitutionnelle est nécessairement mauvaise, mais toute loi mauvaise n'est pas nécessairement inconstitutionnelle » ; vous faites fort : votre loi est inconstitutionnelle et mauvaise ! Il s'agit de satisfaire un parti ouvertement xénophobe.
C'est un outil de communication politique.
Faute de pouvoir imposer la condition de nationalité dans le champ de la protection sociale, alors que l'immigration est devenue un problème dans le débat public, des restrictions ont été posées au nom d'une préférence nationale déguisée.
Il s'agit d'exclure le plus de personnes étrangères possible du droit aux prestations sociales. La rupture entre nationaux et étrangers s'élargit, une nouvelle distinction est créée entre ceux qui sont là depuis deux ans et les autres.
Qu'est-ce que la vulnérabilité digne d'exceptions ? C'est totalement arbitraire.
Les étrangers en situation régulière sont attaqués. C'est bien la figure de l'étranger qui est visée, en réalité. Comment appelle-t-on cette attaque obsessionnelle contre la figure de l'étranger ? Regardez dans le dictionnaire, car refuser de nommer, c'est aussi grave que mal nommer...
Vous n'avez aucune étude d'impact : cette proposition de loi est purement idéologique.
Dans son avis du 24 janvier 2024, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale a pointé « l'inéluctabilité de l'augmentation et de l'aggravation de la pauvreté des étrangers du fait de leur inaccessibilité aux prestations sociales ».
La régression des droits des uns prépare toujours celle des autres.
Notre groupe votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER ; M. Pascal Savoldelli applaudit également.)
Mme Solanges Nadille . - Cette proposition de loi est issue d'un amendement présenté durant les débats sur la loi Immigration et intégration, censuré par le Conseil constitutionnel, puis redéposé dans la proposition de loi référendaire et à nouveau censuré.
Pas de suspense, notre groupe est en désaccord avec l'auteur de ce texte.
Le texte prévoyait initialement de restreindre le Dalo, ce qui a été justement supprimé en commission, s'agissant d'un objectif à valeur constitutionnelle.
Le conditionnement du versement des prestations à une durée minimale de séjour existe déjà, par exemple pour bénéficier du RSA ou du minimum vieillesse. Il existe déjà une condition de neuf mois de résidence pour les prestations familiales.
Instaurer une carence de deux ans pour les étrangers extracommunautaires, est-ce réaliste ? Il est permis d'en douter. Le motif serait d'éviter l'appel d'air, notion réfutée par tous les chercheurs.
Ce texte cultive une France méfiante, refermée sur elle-même, incapable de tendre la main. Nous allons à l'encontre de l'esprit du Conseil national de la Résistance, fondateur de la sécurité sociale, alors même que ces étrangers cotisent pour notre système. Nous nous dirigeons en revanche vers une aggravation de la pauvreté et une détérioration des conditions de vie des ménages déjà précaires.
Ce texte, à la constitutionnalité douteuse, risque d'être contraire aux conventions internationales que la France a signées. Il y aurait 39 accords, selon le ministère de la santé, qui couvrent l'essentiel des pays du Maghreb, la Turquie et de nombreux pays d'Afrique subsaharienne.
La cohérence politique qui sous-tend cette proposition de loi ne nous apparaît pas clairement.
Nous n'avons aucun chiffre sur son impact faute de relevé de la nationalité des allocataires.
Le véritable sujet, c'est la lutte contre l'immigration irrégulière. Lors du récent comité interministériel, elle a été érigée au rang des priorités diplomatiques.
Ce texte discriminatoire et inapplicable est un pur produit de communication. Il n'est pas à la hauteur du Parlement. Notre groupe votera contre. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe SER, du GEST et du groupe CRCE-K)
Discussion des articles
Avant l'article 1er
Mme la présidente. - Amendement n°9 de Mme Rossignol et du groupe SER.
Mme Karine Daniel. - On parle de dépenses, mais il faut avoir l'honnêteté de parler de recettes. Or selon l'OCDE, la contribution des étrangers à la richesse nationale est positive. En France, c'est plus de 1 point de PIB qui est généré par l'activité des étrangers pour notre économie, quand on considère le delta entre les recettes et les dépenses. Répéter des poncifs xénophobes ne suffit pas à en faire une vérité.
M. Stéphane Ravier. - Répéter les vôtres non plus.
Mme Karine Daniel. - Il faut s'appuyer sur des statistiques fondées. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER)
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - S'agissant d'une demande de rapport, notre commission a émis un avis défavorable.
Mme Émilienne Poumirol. - Ce n'est pas un argument.
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - Nous ne remettons pas en cause l'apport des étrangers à notre système économique. (« Ben si ! » à gauche)
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - De nombreux rapports démontrent déjà que l'immigration a un impact positif pour notre économie. Nul besoin d'un nouveau rapport. Avis défavorable.
L'amendement n°9 n'est pas adopté.
Article 1er
M. Jean-Claude Tissot . - Collègues de la majorité sénatoriale, vous nous avez habitués à divaguer sur les étrangers en situation irrégulière, mais c'est désormais aux étrangers en situation régulière que vous vous attaquez.
Ce texte me choque. La France est historiquement le pays des droits de l'homme, le phare de l'accueil. Vous voulez créer un pays hostile à l'autre.
M. Stéphane Ravier. - Et ça, ce ne sont pas des poncifs ?
M. Jean-Claude Tissot. - Quelle sera la prochaine étape ? Vous repoussez toujours plus les limites de l'acceptable. J'admets la prévention pour de nombreux sujets, mais pas ici !
Vous êtes sur une ligne de crête constitutionnelle. Ce texte est aux frontières de la xénophobie. (M. Stéphane Ravier proteste.) Vous allez laisser des personnes dans le besoin. Qu'en est-il de la solidarité nationale ? Vous accentuez votre inhumanité. (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
Mme la présidente. - Amendement n°3 de Mme Silvani et du groupe CRCE-K.
Mme Silvana Silvani. - Non, l'immigration n'est pas attirée par notre modèle social et sa prétendue générosité. De plus, les personnes étrangères participent au financement de la protection sociale grâce aux cotisations du travail et à la TVA.
Allez lire les rapports du Secours catholique. Les personnes étrangères y représentent 52 % des ménages rencontrés dans leurs accueils ; la moitié sont sans ressources - c'est 10 points de plus qu'il y a dix ans. Près de 40 % des ménages étrangers ne recourent pas aux aides sociales - pas besoin de les leur retirer... Ajoutons que 71 % des étrangers perçoivent des prestations contre 94 % des ménages français, et que 84,6 % des personnes de nationalité étrangère vivent dans un logement précaire.
Votre article 1er privera des familles entières des allocations de soutien familial, des allocations de rentrée scolaire, des AJPP et des allocations journalières pour décès d'enfant. Nous refusons cette mesure injuste et antisociale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; M. Jean-Claude Tissot applaudit également.)
Mme la présidente. - Amendement identique n°4 de Mme Rossignol et du groupe SER.
Mme Laurence Rossignol. - Malgré une écoute attentive des arguments de mes collègues en faveur de cette proposition de loi, j'ai trouvé que leurs arguments, du point de vue du législateur, n'étaient pas clairs -, mais très clairs du point de vue propagandiste... Il s'agirait de reprendre le contrôle de nos frontières ? Mais ce texte ne concerne que les étrangers en situation régulière, donc ceux à qui la France a permis de s'y installer.
Vous prétendez également qu'il faut que ces personnes soient là de façon stable ; or si vous percevez des allocations familiales et que vos enfants sont scolarisés, c'est bien que vous êtes installés de manière stable. Oui, ces personnes ont vocation à rester, et c'est dans doute cela qui vous gêne.
Un mot n'apparaît jamais : « intégration ». Pour parler des étrangers, vous n'avez que les mots de « charges », « menaces » et « coûts » à la bouche.
Vous m'objectez qu'il s'agit d'un débat républicain ; que nenni, vous avez franchi le Rubicon ! Vous n'êtes même plus sur l'autre rive, on ne sait plus où vous êtes. Quand on s'affranchit ainsi du Préambule de la Constitution de 1946, c'en est fait du débat républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)
Mme la présidente. - Amendement identique n°11 de Mme Poncet Monge et alii.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je ne peux que constater l'hétérogénéité des prestations visées. L'APA est visée par la proposition de loi, mais pas la PCH : pourquoi ? Certaines prestations sont concernées, d'autres non. Ces ruptures d'égalité entre étrangers eux-mêmes soulèvent un problème de droit.
Il est impossible de justifier la moindre restriction contenue dans cette proposition de loi. À quelle nécessité répond-elle ? À aucune justification autre que celle de l'appel d'air, que nous avons déjà déconstruite. Supprimons donc l'article. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - Supprimer cet article vide de son sens la proposition de loi...
Plusieurs voix à gauche. - C'est le but !
Mme Laurence Rossignol. - On ne peut rien vous cacher.
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - ... qui a reçu un avis favorable des commissions des lois et des affaires sociales. Nous sommes cohérents et reprenons l'article 19 de la loi Immigration. (Protestations à gauche)
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - Avis de sagesse. (Murmures sur les travées du groupe SER)
Les amendements identiques nos3, 4 et 11 ne sont pas adoptés.
Mme la présidente. - Amendement n°5 de Mme Rossignol et du groupe SER.
Mme Corinne Narassiguin. - Il s'agit d'un amendement de repli, puisque nous n'avons plus beaucoup d'espoir de vous convaincre.
Il s'agit de supprimer la disposition selon laquelle un ressortissant étranger ne pourrait bénéficier des APL qu'au bout de deux ans. Il en résultera un système kafkaïen, où un étudiant recevant les APL ne les recevra plus s'il ne reçoit pas immédiatement son titre de séjour lui permettant de travailler ; or vous le savez peut-être, les parcours ne sont pas linéaires.
Vous allez rendre encore plus complexe le droit des étrangers. Vous ne ferez qu'aggraver la pauvreté et freiner l'accès à un logement décent.
Mme Émilienne Poumirol. - Très bien !
Mme la présidente. - Amendement n°12 de Mme Lassarade, au nom de la commission des affaires sociales.
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - C'est un amendement de coordination juridique pour Mayotte.
Mme la présidente. - Amendement n°6 de Mme Rossignol et du groupe SER.
Mme Laurence Rossignol. - Précision de méthode : nous défendrons chacun de ces trois amendements pour bien expliquer les conséquences de ce texte à ceux qui suivent nos débats, notamment aux associations ; in fine nous les retirerons, car votre texte, selon nous, ne mérite pas d'être amendé.
Chers collègues, je vous ai entendus dire pendant des années combien vous étiez attachés au principe d'universalité des prestations familiales. À vos yeux, il était impensable de réduire de quelques euros les allocations familiales pour les plus hauts revenus.
Ce soir, vous avez définitivement perdu toute légitimité pour défendre l'universalité des allocations familiales, car en réalité, sous ce couvert, ce que vous défendez, c'est la préférence nationale.
Qui seront les victimes ? Les femmes ! La délégation aux droits de femmes a produit un rapport sur les femmes dans la rue. Nous avons tous constaté que l'absence de titre de séjour est un obstacle majeur pour accéder à un logement et l'une des raisons pour lesquelles il y a tant de femmes et enfants dans la rue d'origine étrangère. Avec ce texte vous les sanctionnez, vous les maintenez chez elles, avec des maris violents, ou dans la rue.
Mes chers collègues, vous avez perdu aujourd'hui tout mon respect sur le sujet des politiques familiales.
Mme la présidente. - Amendement n°10 de M. Szczurek et alii.
L'amendement n°10 n'est pas défendu.
Mme la présidente. - Amendement n°7 de Mme Rossignol et du groupe SER.
Mme Annie Le Houerou. - Vous voulez exclure de l'APA les étrangers en situation régulière depuis moins de deux ans. Or c'est une aide fondamentale qui répond à des urgences sociales. Vous empêchez des femmes âgées de recourir à un accompagnement social, augmentant les risques d'hospitalisation et les dépenses afférentes. L'APA relève d'une logique de solidarité nationale. Il s'agit de soutenir les personnes vulnérables, quel que soit leur statut migratoire.
Je regrette que les situations concernées n'aient pas fait l'objet d'une analyse. Nous avons le devoir, par fraternité, de fournir à ces personnes des moyens de subsistance.
Votre texte relève du dogmatisme. Vous êtes contre l'intégration de toute personne étrangère.
Les amendements nos5, 6 et 7 sont retirés.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - Avis de sagesse sur l'amendement n°12.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Comment justifiez-vous que trois des huit prestations ne soient pas passées sous vos fourches caudines ? Selon quels critères triez-vous les vulnérabilités ? Qui peut argumenter qu'une personne âgée ne puisse pas bénéficier d'aides sociales ? Il semblerait toutefois que le handicap ait votre écoute. Votre position est une aberration du point de vue de l'autonomie.
J'espère une censure du texte.
L'amendement n°12 est adopté.
L'article 1er, modifié, est adopté.
Article 2
Mme la présidente. - Amendement n°13 de Mme Lassarade, au nom de la commission des affaires sociales.
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - Amendement rédactionnel.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - Sagesse.
L'amendement n°13 est adopté.
L'article 2, modifié, est adopté.
Après l'article 2
Mme la présidente. - Amendement n°8 de Mme Rossignol et du groupe SER.
Mme Laurence Rossignol. - Combien de fois ai-je entendu que nous n'avions pas de chiffres ? Mais la méthode qui consiste à légiférer par proposition de loi empêche de disposer d'études d'impact.
Il faut un rapport sur les effets des mesures que vous prônez ce soir sur la pauvreté des enfants.
Ce fut une grande cause du premier quinquennat du Président de la République. Personne ne peut être indifférent à une telle question. Êtes-vous d'accord avec cette proposition de rapport sur l'impact du texte sur la pauvreté des enfants ? Si vous vous opposiez, nous en déduirions que vous ne voulez surtout pas le savoir !
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - Conformément à sa position constante...
Mme Émilienne Poumirol. - Pas toujours constante !
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - ... la commission est défavorable.
Mme Émilienne Poumirol. - Vous ne répondez jamais sur le fond !
Mme Florence Lassarade, rapporteure. - Les familles monoparentales ne sont pas visées par la plupart des prestations visées par ce texte. (Mme Laurence Rossignol s'exclame.)
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. - Avis défavorable.
L'amendement n°8 n'est pas adopté.
M. Mickaël Vallet. - C'est la ministre des sports qu'il fallait faire venir ce soir !
Vote sur l'ensemble
Mme Élisabeth Doineau . - Je voterai contre cette proposition de loi.
D'une part, je ne me sens pas liée par un vote précédent ; et j'avais déjà voté contre la loi Immigration sur ce sujet.
D'autre part, on ne sait pas qui pourrait être en difficulté après le vote de cette loi. Je ne peux pas, en tant qu'élue, voter un texte dont je ne connais ni la cible ni les conséquences sur les familles. J'ai l'impression que je serais Guillaume Tell, les yeux bandés. Qui verra la misère en face ?
Enfin, quand je vois l'ensemble des populations n'étant pas concernée par cette proposition de loi, je m'interroge : à qui cette proposition de loi s'adresse-t-elle ? Ni aux Européens, ni aux réfugiés, ni aux apatrides, ni aux étrangers titulaires de la carte de résident, ni aux étudiants, ni aux ressortissants de pays ayant signé des conventions, tels que l'Algérie, la Tunisie, le Maroc, la Turquie, Israël, la Jordanie, ou nombre de pays d'Afrique subsaharienne ou d'Amérique du Sud. Vous le voyez, on ne sait pas qui sera concerné...
Mme Silvana Silvani . - Cette proposition de loi repose sur l'idée que la générosité d'un système social exposerait le pays à l'afflux d'étrangers et que la limitation des prestations sociales empêcherait quiconque de venir. Mais franchement, est-ce la perspective de recevoir l'allocation de rentrée qui motive un projet migratoire ?
Pourtant, vous persistez à vouloir créer deux niveaux de droits entre les Français et les étrangers ! Cette préférence nationale oppose nos concitoyens sur des bases xénophobes et rompt avec les principes qui ont présidé à la création de la sécurité sociale, selon lesquels toute exclusion fondée sur la nationalité devait disparaître. Pierre Laroque disait qu'il fallait considérer l'individu et la famille en eux-mêmes, indépendamment de leur pays d'origine.
L'universalité des prestations sociales est un fondement de notre République. Vous remettez en cause l'ensemble de notre pacte social. Nous voterons contre cette proposition de loi.
Mme Laurence Rossignol . - Nous voterons contre ce texte, car il est toxique, malsain. Il ne se préoccupe ni de ses effets ni de son champ d'application. Il veut juste faire passer aux Français un message : les Français en situation régulière, auxquels la France a accordé un titre de séjour, ne sont pas les bienvenus et ne doivent pas espérer s'intégrer.
Vous ne lancez pas un message à destination de l'immigration irrégulière, puisque - je veux bien le mettre à votre crédit - vous ne croyez pas vous-même à la théorie de l'appel d'air.
On a l'impression d'être pris pour des figurants d'un débat qui n'est pas le nôtre, mais celui du congrès des Républicains, expliquant cette surenchère. Ainsi, vous ciblez les immigrés.
Ne soyez pas étonnés que l'on utilise le terme de « xénophobie ». Cela fait quarante ans que nous subissons ceux qui font leur business politique et qui prospèrent sur la détestation et la stigmatisation des étrangers en situation régulière.
Malgré toutes vos rodomontades, c'est parce que vous êtes incapables de faire appliquer les OQTF que vous vous en prenez aux étrangers en situation régulière. Franchement, ce n'est pas glorieux. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Raymonde Poncet Monge . - Dans votre croisade contre les étrangers, vous attaquez les droits fondamentaux de notre bloc de constitutionnalité. Vous attaquez le droit à une vie familiale, ou encore l'objectif à valeur constitutionnelle qu'est le logement.
Les personnes privées d'APL verront leur taux d'effort augmenter, ce qui les privera d'un accès au logement. Elles basculeront dans l'hébergement. Ah ! Quel programme !
Vous n'hésitez pas à bafouer les droits fondamentaux. Sans surprise, nous voterons contre cette très mauvaise proposition de loi qui, de plus, est anticonstitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
Mme Frédérique Puissat . - Je remercie Mme Boyer, notre rapporteure, Mme Lassarade, et le président de la commission des affaires sociales, qui a donné une mesure plus juste à ce débat. (Marques d'ironie sur les travées du groupe SER) Chacun s'est exprimé sur ce texte. Des amendements ont été débattus. Nos positions divergent, dont acte.
Nous respectons vos positions.
Mme Laurence Rossignol. - Pas nous.
Mme Frédérique Puissat. - Respectez les nôtres.
M. Thomas Dossus. - Il faut appeler un chat un chat !
Mme Frédérique Puissat. - Oui, la protection sociale est l'expression de la solidarité nationale. La mise en place d'une durée de résidence préalable est donc souhaitable. Forts de ces convictions, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Marc Laménie . - Initialement, j'ai souhaité voter comme la majorité de mon groupe Les Indépendants. Je respecte les avis de tous les collègues. Après réflexion, et même si je n'aime pas trop l'abstention, je m'abstiendrai sur ce texte. Je salue le travail de la commission des affaires sociales et l'auteure de la proposition de loi.
Ces sujets sont très sensibles. Les Indépendants ont leur liberté de penser.
Mme Valérie Boyer. - Nous aussi !
M. Marc Laménie. - Je garde la mienne, en m'abstenant. (M. Thomas Dossus applaudit.)
M. Pascal Savoldelli . - Il ne faut faire aucune concession à l'antisémitisme, au racisme et aux discriminations.
Mme Valérie Boyer. - On est bien d'accord.
M. Pascal Savoldelli. - Depuis plusieurs semaines, nous discutons de textes de loi qui remettent en cause notre universalité et notre humanisme.
Je m'adresse avec beaucoup de respect à mes collègues de droite. Les arguments qui ont été évoqués confortent l'idée que l'extrême droite est une version radicalisée de la droite dite classique. Cela doit nous alerter.
Vous êtes passés par-dessus les condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l'homme et par-dessus toutes les entorses à la Convention internationale des droits de l'enfant. Vous savez très bien que l'appel d'air est un mythe. Vous écrivez noir sur blanc vouloir contourner l'avis constitutionnel sur la loi Immigration.
Vous calquez l'agenda de la vie politique française sur l'extrême droite. C'est un danger pour la démocratie.
Vous montrez du doigt, vous jugez des étrangers, et vous allez juger des Français, trier les familles et trier même au sein des familles.
Madame la ministre, votre appel à la sagesse est un égarement, une inconscience ! Je le dirai avec douceur... « À force de sagesse on peut être blâmable », lit-on dans Le Misanthrope : vous allez l'être politiquement, madame la ministre.
Nous ferons oeuvre de désobéissance et non de sagesse, et nous voterons contre, car nous sommes fiers de l'universalité et de l'humanisme de notre modèle social. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER et du GEST)
Mme Valérie Boyer . - Moi aussi, je suis fière de l'humanisme de notre protection sociale, et je tiens à le préserver.
L'Irlande, Chypre, le Danemark ou la Grèce ne sont ni racistes ni xénophobes. Certains sont mêmes socialistes ! À Chypre, il faut cinq ans de résidence, au Danemark il en faut six pour bénéficier de 100 % du montant maximal des allocations familiales.
Beaucoup de pays européens lient la carte d'identité et les prestations sociales, et ce ne sont pas de sombres dictatures... (Mme Silvana Silvani proteste.)
En France, les partenaires sociaux doivent absolument nous dire comment sont ventilées les prestations sociales par nationalité. Nous ne pouvons pas demander à la représentation nationale de voter aveuglément.
Notre protection sociale est un bien commun, on ne peut l'affaiblir par manque de transparence.
Je me désole de ce débat moralisateur et accusatoire, dans lequel vous ressassez le discours rayé du monopole du coeur. On ne peut pas accuser les Français de manquer de générosité.
Mme Laurence Rossignol. - Les Français, non ; vous, oui !
Mme la présidente. - Il faut conclure.
Mme Valérie Boyer. - Quand on frôle les 50 % d'impôts et de prestations sociales, on ne peut pas dire que la France manque de solidarité... (La voix de l'oratrice se perd dans le brouhaha à gauche.)
À la demande des groupes SER et Les Républicains, la proposition de loi, modifiée, est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°235 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 204 |
Contre | 136 |
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
(Mme Valérie Boyer s'en réjouit.)
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. - Je salue l'auteure de cette proposition de loi et remercie tout particulièrement notre rapporteure. Il est extrêmement difficile de travailler sur ces thématiques taboues, où l'on se fait réfuter, voire insulter. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)