Pour garantir la sincérité du débat public, quelle mise en oeuvre des politiques françaises et européennes de régulation des plateformes en ligne ?

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Pour garantir la sincérité du débat public, quelle mise en oeuvre des politiques françaises et européennes de régulation des plateformes en ligne ? », à la demande du GEST.

M. Thomas Dossus, pour le GEST .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Nous sommes à un moment charnière, où nos choix politiques ou notre apathie peuvent nous emporter dans une grande bascule ou provoquer le sursaut qui protégera nos démocraties.

Les démocraties telles qu'elles se sont développées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale sont menacées par les régimes autoritaires illibéraux ou impérialistes, qui voient en elles des entraves à leur expansion et d'insupportables contre-modèles.

Leur travail de sape passe par la manipulation du débat public. Rien de nouveau : la tolérance illimitée ne peut conduire qu'à la disparition de la tolérance, selon le paradoxe de Karl Popper.

Ces adversaires de la démocratie ont largement investi les outils qui avaient été pensés pour développer la liberté d'expression : les grandes plateformes numériques et les réseaux sociaux.

La déstabilisation du débat public a atteint l'échelle industrielle, car ces plateformes numériques sont désormais les espaces incontournables de nos relations sociales, de nos loisirs, de nos achats, et même de nos opinions. On dépend de Google pour chercher, de YouTube pour comprendre, de Facebook pour échanger, de TikTok ou de X pour s'informer -  ou se désinformer. Ce sont les ingénieurs du chaos, comme les appelle Giuliano da Empoli. Ils accumulent les données et abusent des algorithmes pour diviser nos sociétés.

La Silicon Valley, comme la nation américaine, est construite sur de grands mythes, avec les grands patrons comme héros de légende et le mythe de la neutralité des plateformes. De nombreux décideurs, fascinés, ont laissé faire. Désormais, ces mythes se retournent contre nous.

Nous devons construire un regard critique sur ce capitalisme de la donnée et de la surveillance. Les plateformes orientent le débat public dans le sens de leurs intérêts. Ce que nous voyons sur nos écrans n'est pas un reflet neutre de l'opinion, mais un résultat arrangé et optimisé pour nous faire liker et consommer. Et ce n'est plus gratuit, nous payons avec nos données, nos comportements, notre attention. Le marché mondial de la publicité numérique pèse 600 milliards de dollars par an.

Au-delà de cette marchandisation de l'intime, c'est notre démocratie qui est fragilisée. L'ingérence des plateformes dans le débat public prend deux formes visibles. D'abord, la désinformation, via les fake news, qui ont pollué les élections américaines de 2016 et le référendum sur le Brexit. Les contenus les plus extrêmes ont été mis en avant. Mais l'Union européenne a réagi avec le Digital Services Act (DSA), que nous avons transposé dans la loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique.

Nos outils sont robustes, mais la loi ne vaut que si elle est appliquée avec rigueur. Il faut mettre fin à l'impunité numérique.

Deuxième forme d'ingérence, plus insidieuse : celle des algorithmes. Chaque plateforme décide à travers ses propres formules de ce que vous allez voir ou non. Les algorithmes façonnent le réel, créent des bulles, structurent des opinions, polarisent le débat.

Ils sont parfois délibérément utilisés pour influencer des processus électoraux ou déstabiliser des régimes. Voyez la Moldavie, la Géorgie ou les Balkans. Ne nous croyons pas à l'abri : la France, les États-Unis, toute l'Europe sont concernés.

Tout n'est pas fait dans l'ombre : le rachat de X par Elon Musk, au service de Donald Trump et des extrêmes droites européennes, se fait au su et au vu de tous. Il y avait une manipulation des algorithmes par des ingérences extérieures, désormais c'est le dirigeant lui-même qui manipule sa propre plateforme - fin de l'illusion de neutralité.

Avec le retour de la rhétorique toxique, toute régulation est vue comme une atteinte à la liberté d'expression. Or modérer les plateformes, ce n'est pas museler le peuple, contrairement à ce que pensent les trumpistes, mais préserver l'essence même de la démocratie.

Dans ce contexte, notre dépendance massive aux outils numériques, notamment américains, doit être remise en question.

Alors que faire ?

Sur la désinformation, le cap est clair. La France doit appliquer strictement le DSA, dès que les faits sont avérés. Il faut défendre bec et ongles notre souveraineté numérique. Chaque violation doit être sanctionnée, chaque manquement exposé publiquement.

Sur les algorithmes, beaucoup reste à faire. Certes, le DSA propose des outils, mais nous devons encourager les audits indépendants. Madame la ministre, nous voudrions vous entendre à ce sujet : nous avons besoin d'une capacité publique pour comprendre et contrôler ces outils.

La tâche est ardue, elle demande lucidité et détermination. Ce combat pour défendre le débat public n'est pas secondaire, il est central et urgent : c'est pour cela que nous ouvrons le débat aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du GEST, du RDSE, et des groupes CRCE-K, SER et INDEP.)

M. Vincent Louault .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Merci pour ce débat. J'évoquerai pour ma part la protection de nos enfants.

Que penser lorsque, malgré de nombreux textes, YouPorn est toujours accessible sans aucun contrôle parental ni contrôle d'âge ? Il faut une identité numérique fiable. J'attends toujours !

Que penser de ce qui est arrivé à Arthur, qui s'est pendu à 22 ans après un changement de genre effectué à 16 ans ? Ses parents ont clairement mis en cause les réseaux sociaux. La maison brûle, et nous regardons ailleurs - mais nous avons laissé les enfants dans la maison !

Que penser de l'inaction des pouvoirs publics qui n'ont jamais soutenu les scientifiques et les médecins qui ont dénoncé les vendeurs de tisanes anticancers et les fake news des antivax, et sont pour certains encore sous protection policière ?

En réalité, nous sommes totalement dépassés par ces interférences qui empêchent nos enfants de réfléchir librement. À nous, législateurs, de ne pas faiblir face au concept de pseudo-liberté d'expression. Nos enfants sont attaqués par des groupuscules de fanatiques. Mensonges et fake news sont véhiculés par des marchands de peur qui attaquent nos valeurs et nos institutions.

L'arsenal normatif de l'Union européenne sur les plateformes s'est étoffé. Le DSA oblige désormais les grandes plateformes à faire la lumière sur leur système de recommandation de contenu, à évaluer et à atténuer les risques qui découlent de leur utilisation. La Commission européenne a demandé à huit des principales plateformes de fournir des explications sur la prolifération des vidéos trompeuses générées par l'IA.

Les réseaux sociaux ne sont pas qu'une simple courroie de transmission. Nous devons responsabiliser et contraindre les plateformes qui voudraient se soustraire à leurs obligations. L'exercice est compliqué, car il faut répondre à deux exigences : l'identité numérique, pour protéger nos enfants, et la garantie d'une vraie traçabilité des informations.

Nous devons tout mettre en oeuvre en ce sens et instaurer de véritables moyens de contrôle et de véritables sanctions. Il y va de la qualité de nos débats et de la protection de notre démocratie. (Applaudissements)

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique.  - Merci, monsieur Dossus, d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour.

La protection de nos enfants en ligne est une priorité de mon action. La question de l'accès aux contenus pour adultes, sur laquelle la France a été précurseur avec la loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (Sren), est fondamentale. L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) pourra mettre en demeure les sites ne respectant pas la procédure de vérification d'âge. C'est un processus long, mais important, car l'Union européenne regarde ce que nous avons fait en France à cet égard. Quant aux sites domiciliés hors de l'Union européenne, ils sont en sursis : dans trois mois, l'Arcom aura le même pouvoir sur tous les sites, qui pourront être sanctionnés, et même mis hors ligne.

J'entends une petite voix selon laquelle, dans le contexte actuel de guerre commerciale, la régulation du numérique pourrait être mise dans la balance des négociations. Je n'accepterai pas que le DSA et le DMA (Digital Markets Act) servent à un quelconque marchandage. En Europe, on respecte nos règles.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Très bien !

M. Patrick Chaize.  - Je remercie nos collègues écologistes d'avoir inscrit ce sujet à l'ordre d'un jour.

Internet a apporté de nombreux bienfaits, en matière de lien social et d'accès aux connaissances. Mais le numérique, s'il est facteur de progrès, est aussi porteur de dangers. La communication est plus accessible que jamais, mais la désinformation et la manipulation menacent la sincérité du débat public. La régulation des plateformes en ligne et la promotion d'un environnement numérique sain sont essentielles pour garantir la qualité du débat démocratique.

Se pose aussi la question de l'anonymat. Je vous ferai des propositions dans quelques semaines à ce sujet, madame la ministre. Nous ne pouvons accepter plus longtemps cette protection à deux vitesses.

Pendant la crise sanitaire, les réseaux sociaux se sont fait la caisse de résonance des théories complotistes, voire de groupuscules qui cherchent à déstabiliser la démocratie représentative. On a vu les dangers qu'ils font peser sur les processus électoraux : lors des dernières élections américaines, la propagation de faits inexacts a atteint un niveau record. Une étude de la revue Science de 2018 démontre que les fausses informations se propagent sur les réseaux plus vite que les vraies, et plus largement ; une information fausse a 70 % de chances de plus d'être reprise qu'une information vraie !

Ces dérives sont facilitées par le mode de fonctionnement des plateformes, dont les recettes publicitaires sont proportionnelles au trafic généré par les utilisateurs, ce qui les incite à mettre en avant les contenus les plus virulents.

La désinformation va changer d'échelle avec l'IA générative, qui permet des trucages hyperréalistes qui touchent d'ores et déjà le monde politique - je vous renvoie à notre rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst).

La loi de 1881, qui fixe le cadre législatif pour l'exercice de la liberté d'expression, ne pouvait anticiper l'arrivée des réseaux sociaux. Notre droit a prévu certaines adaptations, comme la loi de novembre 2018 contre la manipulation de l'information qui impose aux plateformes de lutter contre les fake news, notamment pendant les campagnes électorales, prévoit des obligations de transparence sur les algorithmes et permet de signaler les contenus problématiques.

La réponse ne pouvait toutefois rester nationale, face à des géants du numérique aux capacités planétaires. Le DSA, applicable depuis le 17 février 2024, responsabilise les plateformes à travers de nombreuses mesures, graduées selon leur taille. Lorsqu'un signalement est effectué, l'accès au contenu illégal doit être rapidement bloqué. Les plateformes doivent rendre transparentes leurs décisions en matière de modération des contenus et proposer un système non fondé sur le profilage.

En France, le coordinateur national est l'Arcom. En cas de violation du DSA, la Commission européenne peut infliger des amendes allant jusqu'à 6 % du chiffre d'affaires mondial d'une plateforme, voire interdire l'activité sur le marché européen. Mais pour quelle efficacité ?

M. Vincent Louault.  - Aucune !

M. Patrick Chaize.  - Depuis l'application du DSA, seize enquêtes ont été ouvertes ; seule une, à l'encontre de TikTok, a conduit au retrait d'un programme. Le 18 décembre 2023, la Commission européenne a enclenché une procédure à l'encontre du réseau social X ; en juillet 2024, elle a estimé que X enfreignait ses obligations en matière de modération des contenus illégaux et de lutte contre la désinformation ; en juillet 2025, elle a annoncé des mesures techniques supplémentaires. Pour le moment, ses pouvoirs d'enquête et de contrôle semblent insuffisamment utilisés. La procédure doit suivre un long cheminement avant qu'une non-conformité soit prononcée. Madame la ministre, nous écouterons avec intérêt vos propos à ce sujet.

Plusieurs défis demeurent. D'abord, l'application effective des régulations : les plateformes doivent être tenues responsables de leurs actions. Mais cela nécessite des ressources, et une coopération entre États membres.

Ensuite, la transparence et l'impartialité des algorithmes : comment garantir que ces systèmes ne favorisent pas certaines voix ?

La sincérité du débat public dépend de la régulation des plateformes. Les politiques adoptées, françaises ou européennes, doivent être rigoureusement appliquées et adaptées aux évolutions technologiques. Nous devons veiller à ce que nos espaces de débat restent ouverts, diversifiés, sincères. La régulation des plateformes ne doit pas être perçue comme une censure, mais comme un moyen de faire prévaloir la vérité et la transparence. (Applaudissements)

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Nous sommes très vigilants sur l'application de la régulation européenne, qui ne saurait faire l'objet d'un quelconque marchandage - j'en ai fait une priorité.

J'ai réuni à Bercy les plateformes pour leur rappeler leurs obligations. J'ai aussi indiqué à la Commission européenne l'importance qu'attachait la France à l'aboutissement des enquêtes en cours. Si les plateformes ne sont pas en règle, les sanctions prévues par le DSA doivent être appliquées, quelle que soit leur nationalité.

L'article 50 du règlement sur l'IA est souvent montré du doigt, mais je suis très fière que les deep fakes soient interdits ! Il faut de la transparence dans les contenus : nous y veillerons.

Tout évolue très vite. J'ai demandé au réseau des régulateurs, prévu par la loi Sren, de nous faire des propositions pour voir s'il faut aller plus loin.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Très bien.

M. Patrick Chaize.  - Merci, madame la ministre. Nous ne devons rien nous interdire : il faut être innovant, et tendre vers la protection de nos concitoyens et de nos enfants. (Mme Clara Chappaz hoche la tête.)

Mme Nicole Duranton .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP) La sincérité du débat public à l'ère numérique est un sujet crucial. Les plateformes occupent une place centrale dans nos vies ; elles représentent un espace d'échange mais aussi de manipulation. Des campagnes de désinformation sont menées pour influencer l'opinion publique, perturber les élections et déstabiliser nos sociétés. Je pense au démantèlement par Viginum du réseau Portal Kombat, qui donnait une image positive de l'invasion russe en Ukraine, mais aussi aux campagnes de désinformation lors des élections, aux États-Unis ou en Europe. La désinformation est grave, car elle sème la confusion chez les citoyens et fragilise notre démocratie.

Ces abus sont protégés par l'anonymat quasi absolu dont bénéficient les internautes. Certes, l'anonymat est une garantie de la liberté d'expression, mais aussi une protection pour ceux qui propagent la haine, la violence, la désinformation. Il faut un débat parlementaire complet sur les avantages et inconvénients de la fin de l'anonymat sur les réseaux sociaux. Certains individus diffusent des informations fausses ou haineuses sans aucun contrôle. Identifier les internautes permettrait aux forces de l'ordre et à la justice d'agir plus efficacement : internet serait ainsi un espace plus sûr.

Cela dit, imposer le dévoilement des identités en ligne pourrait conduire à instaurer un climat de surveillance et de censure.

Jusqu'où protéger la liberté d'expression, poussée à l'extrême sur le réseau X depuis qu'il a été racheté par Elon Musk ? La question se pose de la légitimité des propriétaires de plateformes, qui outrepassent les réglementations.

Nous devons mieux réguler les plateformes, dans leur globalité. L'Union européenne a déjà entrepris plusieurs démarches en ce sens. Le DSA impose une série d'obligations en matière de modération, de transparence et de coopération avec les autorités de régulation. Le DMA renforce la compétitivité des marchés numériques, en luttant contre les pratiques anticoncurrentielles.

En France, la loi de 2018 impose aux plateformes de vérifier la véracité de l'information diffusée en période électorale : c'est nécessaire, mais insuffisant.

Il faut mieux protéger les utilisateurs des abus. Ce n'est qu'avec une régulation équilibrée, qui préserve la liberté d'expression tout en garantissant la responsabilité des utilisateurs, que nous pourrons assurer un espace numérique où chacun pourra s'exprimer librement tout en respectant les droits et la dignité des autres. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP)

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - L'anonymat n'est pas gage d'impunité, et ce qui est interdit hors ligne l'est aussi en ligne. Ce n'est pas le Far West ! Les cas de cyberharcèlement ont donné lieu à des peines importantes : il faut le faire savoir. Nous savons tracer les personnes derrière les pseudos. Les auteurs ne resteront jamais impunis.

Mme Maryse Carrère .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP) Merci au groupe GEST pour ce débat essentiel.

Comment faire en sorte que les plateformes respectent les principes fondamentaux de notre modèle républicain et démocratique ?

Plateformes et réseaux sociaux occupent une place prépondérante dans nos vies. Ils ont à présent des relais politiques dans les courants illibéraux qui contestent les principes de l'expression pluraliste.

Dans ce contexte, laisser l'organisation du débat public à des acteurs privés, qui privilégient la polarisation, est risqué.

La commission d'enquête, conduite par Dominique de Legge et Rachid Temal a montré notre vulnérabilité aux ingérences étrangères. Nos collègues proposent de reconnaître le rôle actif des plateformes en les requalifiant comme acteurs éditoriaux responsables, ce qui ouvre la voie à une responsabilité juridique.

Trop longtemps, nous avons fait confiance aux géants de la Tech. Depuis le rachat de Twitter par Elon Musk, sous couvert de liberté d'expression, des comptes sanctionnés pour incitation à la haine ont été rétablis. Les mineurs sont exposés à des contenus anxiogènes, sexualisés ou dangereux. Pire, les algorithmes de recommandation les enferment dans des boucles de contenus addictifs, délétères pour leur santé mentale.

La modération est très insuffisante, selon le rapport 2023 de l'Arcom ; la pratique de retrait des contenus haineux est incohérente.

L'information de l'opinion suppose un socle commun de vérité. Il est urgent de définir une doctrine nationale et d'articuler la coopération entre les services de renseignement et les régulateurs.

Les plateformes ne sauraient être considérées comme de simples hébergeurs techniques : le DSA est un progrès en la matière.

Dès qu'un système de recommandation favorise les contenus les plus polarisants, il faut sanctionner, sans céder à la facilité - je pense à la loi Avia, dont la disposition phare a été censurée en 2020.

Nous devons garantir un droit d'accès aux mécanismes de construction de ces algorithmes, pour donner du sens à la régulation.

Enfin, nous avons besoin d'une autorité de régulation dotée de moyens réels et dont les recommandations soient contraignantes. Il faut défendre le modèle de l'Arcom. Il serait de bon ton que les décideurs politiques respectent les décisions des régulateurs. (Applaudissements)

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Face à ces grandes plateformes, que d'aucuns ont qualifiées de prédateurs, nous devons répondre en Européens : avec 450 millions d'habitants, nous pesons lourd !

Le DSA est relativement nouveau : il vise à responsabiliser les plateformes. Je veillerai à ce que les enquêtes aillent à leur terme, et aient des conséquences réelles pour les plateformes.

Merci pour votre vigilance et pour les pistes que vous suggérez.

Mme Catherine Morin-Desailly .  - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, M. Thomas Dossus applaudit également.) L'arrivée d'internet devait révolutionner les communications, ouvrir l'accès à la connaissance, faire progresser le débat public. L'enthousiasme est retombé et le mythe a été brisé, depuis les révélations d'Edouard Snowden de 2014 sur l'espionnage massif rendu possible par des portes dérobées sur les réseaux.

À l'époque, le groupe UC avait réagi et soutenu ma proposition d'une mission d'information sur la gouvernance d'internet, qui a abouti à cinquante propositions. Seuls le règlement général sur la protection des données (RGPD) et la réforme du renseignement furent rapidement mis en place. Pour le reste, il aura fallu attendre l'affaire Cambridge Analytica en 2018, qui a révélé la manipulation de millions de comptes Facebook par les Russes pour influencer le vote en faveur de Trump ou du Brexit.

Depuis, internet est le nouveau terrain d'affrontement mondial, théâtre de cyberattaques, terreau pour la guerre informationnelle et les ingérences. Cible de tentatives de manipulations électorales en Moldavie ou en Roumanie, l'Europe est désormais prise en tenailles entre la Russie, la Chine et les États-Unis.

Les propriétaires de plateformes ne se gênent pas pour modifier leur algorithme et faire ouvertement campagne pour l'extrême droite. Ils ont un projet politique et préemptent le débat public pour façonner le monde selon leurs intérêts. Une stratégie du chaos est à l'oeuvre. La commission d'enquête sur TikTok a révélé que la Chine nous menait une véritable guerre cognitive, abrutissant nos enfants via un algorithme addictif tout en protégeant les siens.

L'intelligence artificielle amplifie encore les menaces, les hypertrucages prolifèrent. Demain, les chatbots se substitueront aux moteurs de recherche, en éditant les vérités qu'ils voudront.

Oui, bien sûr, l'Union européenne a fini par légiférer avec le DSA et le DMA, transposés dans la loi Sren.

Mais nos dépendances à ces technologies extra-européennes sont devenues très dangereuses, nous l'avons dit avec force avec Florence Blatrix Contat dans le cadre de nos travaux pour la commission des affaires européennes. Depuis trente ans, nous avons failli à développer des outils garantissant notre souveraineté et nos modèles de société. À force de ne penser qu'aux usages et non aux acteurs, on a laissé ces plateformes devenir des monstres : Google et Meta représentent 60 % du marché publicitaire mondial. (M. Pierre Ouzoulias renchérit.)

Nous appelons à la création d'outils souverains nouvelle génération, fondés sur des modèles économiques éthiques. Nous demandons la stricte application des règles européennes de modération des contenus et de transparence, n'en déplaise à MM. Musk et Zuckerberg.

La Commission européenne ne doit ni reculer ni trembler : les dispositions du DSA doivent être pleinement exploitées. La DG Connect doit inspecter les locaux des plateformes. Les chercheurs indépendants doivent accéder aux données des plateformes. Les manquements doivent être sanctionnés, quitte à suspendre les réseaux.

En réalité, il faudrait déjà réviser le DSA : il n'est pas normal que la Commission européenne ne soit pas contrainte à un délai pour les enquêtes, comme dans le DMA, et que les autorités de contrôle nationales, comme l'Arcom, ne soient pas plus étroitement associées.

Des normes éthiques minimales doivent être intégrées aux algorithmes de recommandation dès leur conception. Les états généraux de l'information réclament leur diversité, pour pouvoir choisir et non subir. La transparence doit être totale.

Mais le véritable sujet, c'est le statut de ces plateformes : elles ne sont pas simplement des hébergeurs, mais des éditeurs, responsables des dérives. Nous proposons de créer un Viginum européen, inspiré du Viginum français, qui est sollicité dans le monde entier. Tout cela devait être pris en compte dans le bouclier démocratique annoncé par la Commission européenne.

Je suis scandalisée par la manière dont le règlement IA est finalisé : Reporters sans frontières vient de claquer la porte des négociations, faute de mention - sous pression des Américains - du droit à l'information. Les droits fondamentaux comme l'intégrité des élections démocratiques seront relégués en annexe...

La survie de nos démocraties et la sincérité du débat public passent par la viabilité de nos médias, or la presse est menacée de destruction. L'opacité est totale sur les revenus engrangés par les plateformes, et la part de rémunération due sous forme de droits voisins paraît aléatoire. S'ajoute la prédation des contenus pour entraîner les modèles d'IA générative.

M. Pierre Ouzoulias.  - Absolument !

Mme Catherine Morin-Desailly.  - La Commission européenne doit réagir et investir massivement dans de nouveaux outils : cela participe du réarmement, du combat contre la propagande russe. Ainsi, Arte n'a pas les moyens de se développer en Moldavie, pourtant demandeuse.

Arte et France Médias Monde font pourtant un travail indispensable, alors que Donald Trump démantèle l'audiovisuel public extérieur américain et prive de financement Radio Free Europe, première ligne de défense informationnelle en Géorgie ou en Azerbaïdjan. La France soutiendra-t-elle Radio Free Europe, comme d'autres États membres ?

Pour assurer un débat public sincère, il faut que nos concitoyens soient formés dès le plus jeune âge à ces enjeux. J'ai écrit au Premier ministre avec Olivier Cadic pour que la montée en compétences numérique de tous devienne grande cause nationale en 2026. Pourrions-nous la porter ensemble ? (Applaudissements)

M. Pierre Ouzoulias.  - Très bien !

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Merci pour le travail que vous menez depuis des années sur ces questions.

L'engagement à respecter un délai maximum dans le cadre des enquêtes DSA est une très bonne idée.

Je plaide activement pour un Viginum européen. Les travaux sur le règlement IA doivent aboutir. Avec la ministre de la culture, nous avons lancé une grande concertation pour avancer dans le dialogue.

Oui, l'Union européenne doit être aux côtés de Radio Free Europe.

Toutefois, la vraie question est celle de notre souveraineté numérique. Nous devons sortir de notre situation de dépendance numérique. Dans le contexte géopolitique actuel, cette question est au coeur de l'agenda d'autonomie stratégique que porte le Président de la République. La seule réponse, c'est l'innovation. Nous l'avons souligné ce matin, autour du Premier ministre, lors du comité interministériel pour l'innovation. Ne freinons pas nos dépenses pour l'avenir : c'est en innovant et en offrant des alternatives que nous serons souverains.

M. Pierre Ouzoulias .  - Avec Laure Darcos et Agnès Evren, je travaille à un rapport d'information sur les rapports entre intelligence artificielle et création ; je les associe à mon intervention, tout en assumant l'entière responsabilité de mes propos.

Je souscris à l'analyse de Catherine Morin-Desailly, en particulier à ses craintes pour l'avenir de la presse indépendante, pilier de la démocratie. Plus largement, ce sont toutes les productions de l'esprit qui sont pillées sans vergogne par les plateformes numériques, au mépris du droit des journaux et de la propriété intellectuelle des auteurs. Littérature, science, cinéma : rien n'échappe à la rapacité des plateformes, la même qui pousse Trump à vouloir s'emparer des terres rares en Ukraine. Nous sommes entrés dans l'économie de la rapine.

Face à ce pillage des ressources de l'esprit et alors que les Gafam, après avoir porté Trump au pouvoir, entendent recueillir le bénéfice de leur investissement, nous devons défendre la presse et la propriété intellectuelle. Dans un mémorandum récent, OpenAI demande à l'administration américaine de tout mettre en oeuvre pour en finir avec la propriété intellectuelle en Europe... L'enjeu est civilisationnel.

Dans le bras de fer engagé avec les États-Unis sur les droits de douane, que pèseront les droits des auteurs par rapport aux intérêts immenses des constructeurs automobiles ? Bien peu, j'en ai peur. Reste que les États-Unis dégagent un excédent de 137 milliards d'euros dans le domaine des services, en particulier numériques. Nous avons là un véritable moyen de pression pour défendre la propriété intellectuelle et l'exception culturelle française.

Dans cette négociation, comment la France entend-elle mener ce combat ? Il s'agit de défendre ce que nous avons créé avec Beaumarchais à la fin du XVIIIe siècle. (Applaudissements)

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Je suis particulièrement soucieuse de défendre les droits d'auteur. Lors du Sommet pour l'action sur l'IA, le Président de la République a dit y être également attaché.

L'enjeu de l'innovation est crucial. Nous devons innover en Européens pour construire des technologies fidèles à nos valeurs et notre culture.

Avec Rachida Dati, j'ai lancé une grande consultation sur la question des droits d'auteur à l'ère de l'IA. Là aussi, il s'agit d'innover pour créer des modèles en accord avec nos principes. Le droit d'auteur n'est pas extraterritorial, et il faut trouver un juste équilibre.

M. Pierre Ouzoulias .  - Votre réponse m'inquiète beaucoup. Je pose une question politique de fond et vous me répondez technologie. Mais la réponse ne sera pas technologique. Je le dis comme un paysan corrézien : mordez les mollets des Gafam ! Le pillage auquel ils se livrent est illégal. Vous devriez être la première à défendre le droit d'auteur.

Lors du Comité de l'IA générative, il a été question de réformer la législation française pour mieux défendre les droits d'auteur. Êtes-vous prête à avancer dans ce sens ? (M. Vincent Louault félicite l'orateur ; Mme Clara Chappaz regrette de ne pouvoir répondre.)

M. Guillaume Gontard .  - (Applaudissements sur les travées du GEST) Notre groupe et la plupart de ses membres ont choisi de quitter ou de mettre en sommeil leur activité sur X. Nous avons vu, lors de la récente campagne législative allemande, combien cette plateforme contribue à la propagation d'opinions d'extrême droite. Pourtant, la manipulation des algorithmes et la multiplication des bots violent frontalement le DSA, dont l'application aurait pu permettre de suspendre X en Allemagne le temps de la campagne.

Le problème de sincérité et d'équité est évident. Le tropisme d'extrême droite de cette plateforme menace la vérité des faits. Une étude colossale de la presse néerlandaise portant sur 32 millions de tweets émanant de 8 000 parlementaires de vingt-six pays l'a montré : le populisme de droite radicale est le principal facteur de désinformation. L'équivalence est simple : « extrême droite » égal « fake news ».

La France n'est d'ailleurs pas épargnée. Le ministre de l'intérieur a refusé de démentir les chiffres faux qu'il avait donnés sur la fusillade de Poitiers, en novembre dernier, expliquant que son combat n'est pas statistique...

Comme le dit Maria Ressa, prix Nobel de la paix, si on laisse les mensonges se propager plus vite que les faits, notre réalité partagée se brisera et la démocratie deviendra impossible. Le défi est existentiel.

Le DSA est une première pierre essentielle pour protéger notre sphère publique : il empêche notamment Meta de renoncer à contrôler les contenus en Europe. Mais la démission fracassante de Thierry Breton nous inquiète. Nous devons continuer à être intransigeants avec les géants de la tech.

C'est l'identité même de l'Union européenne de casser l'oligopole de fait des Gafam, qui tue la concurrence, menace la neutralité du net et entrave l'autonomie stratégique européenne. Nous devons renforcer la réglementation, exiger une modération humaine, assurer la transparence des algorithmes et encadrer strictement les bots.

Il faut également favoriser la création de plateformes numériques européennes disposant de leurs propres algorithmes et transparentes sur leurs codes, pour permettre un contrôle des autorités de régulation comme des citoyens, sur le modèle de Wikipédia. Elles seraient, idéalement, non lucratives.

L'Union européenne peut et doit être la colonne vertébrale du développement de ces plateformes. En attendant, j'invite les membres du Gouvernement et toutes les institutions publiques à investir les plateformes qui existent, comme celle au papillon bleu, sinon à la place de X, du moins en complément de celle-ci. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Nous serons très attentifs à ce que les enquêtes menées au titre du DSA aillent à leur terme et à ce que les plateformes respectent leurs obligations.

Contrairement à ce qu'on entend parfois, le DSA n'est pas une régulation contre la liberté d'expression. Il a été voté de façon transpartisane. Le principe est simple : les plateformes sont responsables de leurs contenus, et ce qui est illicite hors ligne doit l'être aussi en ligne.

Des enquêtes sont en cours, que je ne commenterai pas. Mais si des entreprises sont en défaut, elles devront être sanctionnées.

J'ai demandé l'appui du service d'information du Gouvernement pour que nous disposions d'outils de multiposting, afin de nous adresser à nos concitoyens partout où ils sont.

Mme Florence Blatrix Contat .  - (MM. Patrick Chaize et Vincent Louault applaudissent.) L'avènement d'internet portait une promesse d'émancipation par la connaissance et d'éclosion d'une intelligence collective. Las, cette vision s'est obscurcie, cédant la place à un enfermement dans l'espace numérique.

Le temps passé par les utilisateurs sur les plateformes est maximisé dans le cadre d'un modèle marchand fondé sur la captation de l'attention. Cette logique favorise les contenus sensationnels, polémiques et parfois fallacieux ; elle exacerbe la désinformation et la polarisation en enfermant les utilisateurs dans des bulles de filtres.

Ces plateformes acquièrent ainsi un pouvoir de manipulation inédit, et leurs algorithmes deviennent de véritables leviers de contrôle, au service d'intérêts commerciaux mais aussi d'ambitions étatiques - voyez les ingérences étrangères dans la récente campagne électorale en Roumanie. La sincérité du débat démocratique est en péril.

L'Union européenne a fait le choix de la régulation, avec le RGPD puis le DMA et le DSA. Mais l'efficacité de ce cadre réglementaire dépend de sa mise en oeuvre rigoureuse, rapide et uniforme. Or la prudence relative de la Commission européenne, visiblement soucieuse de ne pas froisser la Maison Blanche, interroge. Elle se traduit par la lenteur des enquêtes, mais aussi le report des sanctions contre Apple et Meta au titre du DMA. La Commission n'est pas à la hauteur des enjeux.

Le groupe socialiste a déposé une proposition de résolution européenne, dont je suis la rapporteure avec Mme Morin-Desailly, appelant à l'application pleine et entière de la réglementation numérique européenne, y compris à d'éventuelles suspension de services en cas de crise. N'est-il pas paradoxal que, au moment où les États-Unis frappent nos industries, l'Europe s'autocensure dans l'application de ses règles en matière numérique ? (M. Pierre Ouzoulias et Mme Catherine Morin-Desailly renchérissent.)

Pour garantir la sincérité du débat public face aux ingérences et aux manipulations, il faut renforcer notre régulation et le rôle des autorités nationales dans la mise en oeuvre du DSA, créer un réseau européen inspiré de Viginum, mais aussi réformer le régime de responsabilité des plateformes, qui doivent être soumises à des obligations comparables à celles des éditeurs.

La portabilité des données et l'interopérabilité entre plateformes doivent également être garanties. (M. Pierre Ouzoulias renchérit.)

Pour les géants du numérique, les amendes sont considérées comme de simples taxes et intégrées à leur modèle économique. (Mme Catherine Morin-Desailly acquiesce.) C'est le techno-féodalisme dénoncé par Yánis Varoufákis et Cédric Durand, dans lequel des entreprises privées s'érigent en nouveaux seigneurs économiques, captant la richesse produite par le travail gratuit de leurs utilisateurs.

Quelles initiatives la France compte-t-elle prendre pour lutter contre les abus de position dominante ? À quand un bilan d'étape de l'application de la loi Sren ?

Pour préserver notre débat public et bâtir une souveraineté numérique européenne, nous devons créer nos propres plateformes, soutenues par l'investissement public.

M. Pierre Ouzoulias.  - Beau programme !

Mme Florence Blatrix Contat.  - L'Europe regorge d'entreprises talentueuses : nous devons les soutenir. Investissons pour ne pas rester dépendants de solutions venues d'ailleurs et échapper à la trappe à médiocrité technologique.

Cela suppose un changement d'échelle. Le numérique doit devenir une priorité budgétaire, notamment dans le prochain cadre financier pluriannuel européen. La commande publique doit aussi être réformée, au service de nos acteurs, via la règle de préférence européenne.

Partagez-vous cette ambition d'accompagner l'émergence de nouvelles plateformes européennes ? Quelles initiatives concrètes comptez-vous prendre en ce sens ?

Pour sauver la promesse initiale du numérique, réaffirmons la primauté de l'intérêt général sur les logiques mercantiles et investissons dans des infrastructures numériques souveraines (Applaudissements)

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - Non, l'Europe ne s'autocensure pas. La France est très ferme sur ce point, mais je puis vous assurer qu'un très grand nombre de mes homologues le sont aussi. Nous ne fléchirons pas sur le respect des réglementations ambitieuses que nous avons adoptées.

Vous avez raison : la commande publique doit être un levier. La présidente von der Leyen a parlé de préférence européenne en début d'année. Nous devons accélérer pour nous défaire de nos dépendances.

Mme la présidente.  - Veuillez poursuivre, pour votre conclusion.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique .  - Je vous remercie pour la richesse de nos échanges sur ce sujet fondamental, compte tenu de la place qu'a prise le numérique dans la vie de nos concitoyens.

La sincérité du débat public dans l'espace numérique est l'un des principaux défis de notre époque, le numérique étant devenu pour nombre de nos concitoyens le premier lieu d'information et, hélas, de désinformation. Ce bien commun qu'est notre démocratie est mis à l'épreuve dans les agoras numériques. Nous devons le défendre en Européens, fidèles à nos valeurs.

Le numérique offre de formidables opportunités : avancées scientifiques, émancipation... Mais je ne suis pas ambassadrice du numérique et de l'IA ; je suis ministre. Il est de notre responsabilité collective de regarder en face les défis qui se posent, pour que le numérique soit un outil de progrès et d'émancipation.

Alors que les plateformes influencent nos choix et parfois nos élections et qu'elles font trop souvent la part belle aux contenus trompeurs, la santé de notre démocratie ne doit pas dépendre d'algorithmes favorisant les contenus polarisants et outranciers. Hélas, la recherche de viralité remplace fréquemment celle de la véracité, et l'irruption de l'IA générative accentue ce phénomène.

La France et l'Union européenne n'ont pas attendu pour agir. Nous avons instauré un cadre, qui n'est pas une arme commerciale ou contre la liberté d'expression ; il est conforme à nos valeurs. Je pense à la création de Viginum, dont l'action est largement saluée, et à la loi Sren qui donne à l'Arcom de nouveaux pouvoirs d'injonction. Je pense aussi au développement de l'éducation aux médias et à l'information. À cet égard, j'entends la proposition de Catherine Morin-Desailly : la question des compétences numériques est cruciale.

En Europe aussi, nous nous sommes dotés d'un arsenal ambitieux : je veillerai à le faire respecter. On entend souvent dire que l'Europe régule, tandis que d'autres innovent. Il s'agit simplement de construire des technologies qui respectent nos valeurs : nous ne voulons pas, par exemple, que l'IA serve à déterminer l'orientation sexuelle des individus, ni qu'elle soit un outil de notation sociale.

Mme la présidente.  - Veuillez conclure.

Mme Clara Chappaz, ministre déléguée.  - La protection des plus vulnérables, à commencer par les mineurs, est une priorité : ne nous interdisons pas d'interdire l'accès aux réseaux sociaux avant 15 ans.

M. Thomas Dossus, pour le GEST .  - (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe CRCE-K) Je remercie la ministre pour ses réponses et nos collègues pour leurs interventions. Nous nous retrouvons en grande partie sur les constats et les solutions.

Nous attendons une détermination sans faille de l'Europe et du Gouvernement. J'ai bien entendu que le DMA et le DSA ne feraient pas l'objet de marchandages : c'est heureux, et nous espérons que vous tiendrez bon.

Merci d'avoir rappelé qu'il n'y a pas d'impunité en ligne. Votre soutien à un Viginum européen est bienvenu.

Oui, la France doit être le fer de lance de la lutte pour préserver nos sociétés multiculturelles, la démocratie et les libertés publiques. Nous devons nous prémunir contre l'avènement d'une société d'algorithmes, dans laquelle des décisions lourdes seraient prises sans transparence ni humanité.

Or, dans nos services publics, des algorithmes sont déjà utilisés pour détecter les fraudes, traquer les chômeurs ou hiérarchiser les urgences. Dix associations ont saisi le Conseil d'État pour souligner les dysfonctionnements de la plateforme Administration numérique pour les étrangers en France (Anef), qu'elles supposent volontaires, destinés à compliquer le parcours des demandeurs d'asile. Nous devons refuser cette vision du numérique, contraire à nos libertés. Ne laissons pas notre pays dériver vers ce que fait Elon Musk avec son Doge !

Il faut remettre de la transparence et des règles collectives dans le secteur, comme par le passé dans la presse ou pour les campagnes électorales. La solution est politique et non technophobe : comme l'a dit Catherine Morin-Desailly, nous devons construire nos propres infrastructures, dans le cadre d'un écosystème européen en phase avec nos valeurs.

Nos démocraties sont mortelles, mais elles sont aussi douées de résilience. Face aux ingénieurs du chaos, soyons des ingénieurs de démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et du GEST)

Prochaine séance, lundi 28 avril 2025, à 15 heures.

La séance est levée à 17 h 35.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du lundi 28 avril 2025

Séance publique

À 15 heures

Présidence : M. Didier Mandellli, vice-président

Secrétaires : Mme Sonia de La Provôté, M. Guy Benarroche

1Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic (demande du Gouvernement)

2Explications de vote puis vote sur la proposition de loi relative à la restitution d'un bien culturel à la République de Côte d'Ivoire, présentée par M. Laurent Lafon et plusieurs de ses collègues (procédure accélérée) (texte de la commission, n°530, 2024-2025) (demande de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport)

3. Débat sur l'intelligence artificielle (demande de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et de la délégation à la prospective)

4. Débat sur le thème : « Comment relancer le fret ferroviaire ? » (demande du groupe CRCE-K)