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Table des matières
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques
Mme Pascale Gruny, vice-président de la commission des affaires sociales
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi
M. Daniel Gremillet, rapporteur pour le Sénat de la CMP
Mise au point au sujet d'un vote
Restauration de la sécurité en Haïti
Mme Hélène Conway-Mouret, auteure de la proposition de résolution
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
Modifications de l'ordre du jour
M. Thomas Dossus, pour le GEST
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique
M. Thomas Dossus, pour le GEST
Ordre du jour du lundi 28 avril 2025
SÉANCE
du jeudi 10 avril 2025
80e séance de la session ordinaire 2024-2025
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : Mme Nicole Bonnefoy, Mme Sonia de La Provôté.
La séance est ouverte à 10 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Apprentissage
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur l'apprentissage, à la demande des commissions des affaires sociales, des affaires économiques et de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport.
Pierre Ouzoulias présidera la suite de la séance sur les conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) sur la proposition de loi relative au secteur agroalimentaire.
Je voudrais dire aux apprentis en tribune : les sénateurs présents - en nombre plus restreint que pour les questions d'actualité au Gouvernement - débattent d'un sujet spécifique, le vôtre. Vous êtes dans une assemblée où, il y a quatre-vingts ans, se tenait l'assemblée consultative provisoire. C'était le retour de la démocratie après la Seconde Guerre mondiale et le général de Gaulle, président de l'assemblée consultative provisoire, s'exprimait à cette tribune.
Je salue, à la tribune d'honneur, Joël Fourny, président des chambres de métiers et de l'artisanat, CMA France.
Le débat de ce matin est l'occasion de montrer l'attachement du Sénat à l'apprentissage, voie de formation et d'accès à l'emploi, et à l'artisanat, première entreprise de France.
En notre nom à tous, je salue le président, les apprentis et les maîtres d'apprentissage.
En salle Clemenceau, j'ai rencontré une autre délégation d'apprentis.
Je salue la ministre au banc. L'apprentissage est aussi une préoccupation de l'exécutif.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du RDSE ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.) À mon tour, je souhaite la bienvenue aux apprentis présents en tribune, que nous recevons à l'occasion des vingtièmes rencontres sénatoriales de l'apprentissage organisées par le Sénat et CMA France.
Vingt-cinq ans après la première édition, le bilan est positif pour ces rendez-vous, marqués par le dialogue et l'engagement. Le Sénat est aux côtés de ceux qui croient en la valeur travail, la puissance de l'expérience et la transmission des savoirs et des savoir-faire.
Les enjeux de l'apprentissage sont plus que jamais au coeur de notre avenir.
Il y a d'abord l'enjeu de l'orientation. Il faut faire de l'apprentissage un choix d'ambition valorisé dans nos collèges.
Il y a ensuite l'enjeu de l'adaptation des compétences. Les besoins des entreprises évoluent rapidement. Les transitions numérique, écologique, technologique et industrielle transforment les métiers et les attentes. L'apprentissage, par sa souplesse et sa proximité avec le terrain, est l'une des meilleures réponses à ces mutations.
Il y a enfin l'enjeu de l'égalité des chances. L'apprentissage répond à un objectif de justice sociale. Quel que soit son lieu de naissance ou son origine, chaque jeune doit pouvoir trouver sa voie.
L'apprentissage est une voie d'excellence, une passerelle entre école et entreprise, mais aussi un levier pour relever les défis économiques, sociaux et environnementaux.
Les apprentis présents ce jour montrent que le talent n'a pas d'âge. La détermination vaut tous les diplômes et l'alternance forge des professionnels complets et adaptables. Les apprentis font la fierté de notre pays. Débattre de l'apprentissage marque l'engagement du législateur à toujours mieux valoriser vos parcours.
Élus des territoires, nous soutenons tous l'apprentissage, car c'est une voie d'excellence, d'émancipation par le travail et de progrès.
Je vous souhaite un excellent débat et j'espère que les échanges répondront à vos attentes et conforteront l'apprentissage. (Applaudissements)
M. le président. - La commission des affaires économiques et la commission des affaires sociales, que nous entendons ce matin, sont chargées des sujets ayant trait au développement économique pour la première, et au travail pour la seconde.
Mme Pascale Gruny, vice-président de la commission des affaires sociales . - Je me réjouis que le Sénat renoue avec la tradition des rencontres de l'apprentissage. Je me félicite que nous puissions débattre devant des apprentis et des élus des chambres des métiers et de l'artisanat.
Que de chemin parcouru depuis les dernières rencontres, organisées avant la crise sanitaire : on recensait 367 000 contrats d'apprentissage en 2019, contre 849 000 en 2023, soit une augmentation de 131 %. La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a été couronnée d'un succès quantitatif indéniable, qui témoigne de la voie d'excellence que l'apprentissage constitue et de ses avantages évidents pour les employeurs et les jeunes.
Toutefois, la politique de l'apprentissage n'est pas stabilisée. Le modèle de financement n'est pas équilibré. France Compétences est en déficit depuis 2020 et son dernier budget fait apparaître un solde déficitaire d'un demi-milliard d'euros.
La commission des affaires sociales a été force de proposition en recentrant France Compétences sur ses missions premières.
Le montant total des dépenses nationales en faveur de l'apprentissage est également devenu considérable. En cumulant les dépenses de tous les financeurs, il a atteint 15,3 milliards d'euros en 2023.
La rationalisation déjà engagée ne doit néanmoins pas sacrifier l'apprentissage, filière historique de formation.
Lors des dernières discussions budgétaires, la commission des affaires sociales a évité tout freinage brusque et accordé la priorité au soutien des TPE-PME. Depuis février, le montant est différencié selon la taille de l'entreprise.
Je regrette les difficultés liées au ciblage des aides aux employeurs. Elles ont changé quatre fois depuis le 1er janvier 2019, ce qui brouille la lisibilité pour les entreprises.
L'idée de différencier les aides selon les niveaux de qualification des formations ne doit pas non plus être abandonnée. Or la création de l'aide exceptionnelle lors de la crise sanitaire est allée de pair avec une uniformisation. Il faut peut-être retrouver l'esprit de la loi de 2018 et accorder la priorité aux formations historiques de l'apprentissage.
Voilà quelques axes de réforme à venir. L'apprentissage est en phase de consolidation. Au-delà des objectifs quantitatifs, nous devons nous doter d'un modèle pérenne et cohérent.
Je souhaite une pleine réussite aux apprentis présents, ainsi qu'à tous ceux qui les accompagnent vers la vie active. (Applaudissements)
M. le président. - Chaque groupe politique va maintenant prendre la parole, selon un ordre tiré au sort.
Mme Cathy Apourceau-Poly . - Je salue les apprentis présents ce matin, ainsi que ceux qui assurent leur formation.
« La seule source de connaissance est l'expérience », a dit Albert Einstein. L'apprentissage donne la possibilité aux jeunes de 16 à 29 ans de découvrir le monde du travail tout en préparant leur diplôme. Il doit être un choix personnel, et non par défaut.
La France compte de très bons lycées professionnels. Nous devons les développer car ils correspondent à de nombreux jeunes.
Ces dernières années, les gouvernements successifs ont développé l'apprentissage en multipliant les aides aux entreprises. Nous n'y sommes pas opposés, à condition qu'elles soient contrôlées avec rigueur. Selon l'économiste Bruno Coquet, les aides publiques à l'apprentissage étaient estimées à 25 milliards d'euros en 2023.
Mais en trois ans, elles ont été divisées par quatre. En 2022, les entreprises recevaient 8 000 euros par apprenti ; depuis février, ce n'est plus que 5 000 euros, pour les entreprises de moins de 250 salariés. Les boulangers, bouchers, coiffeurs, ébénistes, commerçants ou entreprises de la communication et du digital l'ont ressenti comme un coup dur. Il sera plus difficile pour nos jeunes de trouver une entreprise.
Le statut des apprentis mériterait d'être amélioré. L'assujettissement à la CSG et la CRDS décidé dans le PLFSS 2025 se traduit par une perte de 25 euros par mois pour ceux qui perçoivent au moins 50 % du Smic. C'est une injustice pour ces jeunes qui travaillent et vivent pour certains dans une grande précarité. S'y ajoutent des conditions de travail parfois difficiles.
Selon la Dares, un jeune sur quatre en CAP ou en bac pro met un terme à son apprentissage au bout d'une année scolaire. Comment rebondir, retrouver un établissement scolaire ? Trop de jeunes, après un échec, se retrouvent sur le bord du chemin.
Mais n'oublions pas que l'apprentissage est une source d'excellence, qui conduit de nombreux jeunes du CAP au titre de meilleur ouvrier de France. Il redonne à certains le goût des études et les mène vers l'enseignement supérieur.
Madame la ministre, à l'heure où l'on parle de souveraineté alimentaire, de cyberattaques, d'intelligence artificielle, ne faudrait-il pas renforcer les aides aux entreprises et aux apprentis, et non les couper ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi. - L'effort de la nation en matière d'aides à l'apprentissage est important. Nous avons introduit une différenciation selon la taille de l'entreprise : la baisse des aides, de 6 000 à 5 000 euros pour les entreprises de moins de 250 salariés, concerne 85 % des apprentis.
Nous améliorons la régulation, dans une démarche de concertation.
Les taux d'abandon et de rupture seront bien plus surveillés.
Le régime des apprentis est plus favorable que celui des étudiants et des salariés : il bénéficie d'exonérations de charges et les périodes de stage sont fiscalement plus favorables aux apprentis qu'aux stagiaires.
L'apprentissage est une voie d'excellence qui offre une meilleure garantie d'insertion sur le marché du travail.
Mme Ghislaine Senée . - La politique en faveur de l'apprentissage a vu son budget passer de 7 à 25 milliards d'euros, soit une hausse de 250 % en quatre ans. Dans le PLF 2025, le Gouvernement a réduit la voilure, mais sans donner beaucoup de précisions. Le Sénat a voté, dès décembre, un meilleur ciblage des aides sur les TPE-PME et la réduction des niveaux de prise en charge (NPEC), pour les étudiants du supérieur. Il a fallu attendre fin février pour connaître les conditions d'emploi en apprentissage pour 2025 : la prime à l'embauche a été baissée à 5 000 euros pour les PME et à 2 000 euros pour les plus grandes entreprises.
Difficile pour les acteurs d'anticiper, d'autant que les décrets relatifs NPEC ne sont toujours pas parus.
La massification de l'apprentissage, pour respecter le voeu présidentiel du million d'apprentis, aura entraîné des effets d'aubaine et la multiplication d'organismes de formation privés lucratifs pas toujours très regardants sur la qualité pédagogique, avec parfois des offres exclusivement en distanciel, sans réel accompagnement. Le référentiel Qualiopi n'est qu'un contrôle de conformité administrative. Le Gouvernement poursuivra-t-il le travail de certification de la qualité des formations en alternance sur Parcoursup, entamé par Sylvie Retailleau ?
Comment comptez-vous agir contre la fragilisation financière de certains centres de formation d'apprentis (CFA) ?
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Nous avons lancé une concertation mi-novembre, dont je donnerai les résultats le 23 avril. Je peux néanmoins vous en livrer les grandes lignes.
Les débats du PLF se sont concentrés sur les aides à l'apprentissage, mais l'essentiel de l'effort porte sur le financement de la formation.
Les branches professionnelles doivent jouer un rôle accru dans la définition des priorités de financement. Elles pourront bonifier certains coûts-contrats en fonction des besoins des entreprises et des compétences d'avenir.
Nous renforcerons la régulation de la qualité, en poursuivant la révision de la certification Qualiopi.
Nous améliorerons la transparence des résultats avec la plateforme InserJeunes, qui éclaire les futurs apprentis sur les taux d'insertion et les rémunérations attendues.
Nous renforcerons les mécanismes de lutte contre la fraude.
Une bonification spécifique est prévue pour les CFA outre-mer.
Une régulation du distanciel est aussi nécessaire. J'en ai parlé longuement avec le président Fourny. En effet, les coûts varient selon les plateaux techniques.
Mme Karine Daniel . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je salue l'organisation de ce débat, au croisement de l'économie, de l'éducation et des solidarités.
L'apprentissage est un levier stratégique pour répondre à de nombreux défis.
Je salue la présence au Sénat de jeunes de Loire-Atlantique, accompagnés de Frédéric Brangeon, président de la chambre de métiers et de l'artisanat des Pays de la Loire, et celle du président Fourny. Derrière les chiffres, il y a des visages, des parcours, des projets.
L'artisanat, pilier essentiel de notre économie, incarne la richesse de nos savoir-faire et l'importance de la transmission. En 2023, près de 20 % des apprentis des Pays de la Loire travaillaient dans le secteur artisanal, preuve de l'attractivité de ces métiers. Cela nous oblige à penser un accompagnement à la hauteur.
Derrière chaque maître d'apprentissage, il y a un engagement fort qui doit être soutenu.
Il faut une prise en compte réaliste des coûts pédagogiques, car l'adaptation aux technologies représente des charges importantes.
L'accès à l'apprentissage ne doit pas être lié au lieu de résidence ou aux liens familiaux.
Nous devons élargir l'offre de formation en fonction des besoins des filières en tension. Il y a une crise des vocations dans les métiers de l'animation, du social, de l'aide à domicile. Les métiers de bouche peinent également à recruter.
Y développer l'apprentissage suppose une concertation renforcée entre l'État, les branches professionnelles et les territoires.
L'apprentissage reste encore trop genré : aux garçons les filières industrielles et artisanales, aux filles les secteurs du soin et de l'éducation. Nous devons renforcer la féminisation de l'apprentissage et la mixité dans chaque filière, dès l'orientation et dans les représentations.
Près de 40 % des contrats concernent les niveaux bac+3 à bac+5, dans les écoles d'ingénieurs, IUT ou universités. Ce développement est positif, il diversifie les profils et favorise l'égalité des chances et la connexion entre formation et emploi. Toutes les filières se trouvent ainsi valorisées. Mais nous ne pouvons ignorer certaines dérives, notamment le captage massif des aides par des structures privées lucratives, parfois très loin de la qualité attendue. Nous saluons la volonté du Gouvernement de réformer le modèle de financement. Il faut une juste allocation de l'argent public au service de l'intérêt général et non au bénéfice de stratégies commerciales.
L'apprentissage doit aussi être un levier de développement local. La filière navale, l'agroalimentaire, le bois, l'économie circulaire, l'économie du soin sont autant de secteurs à développer en Loire-Atlantique. Dans certains territoires, il existe des secteurs de niche - je pense aux couvreurs spécialisés en chaume dans le parc naturel régional de Brière. Ces savoir-faire spécifiques doivent être soutenus.
La territorialisation de l'offre, souple et concernée, assure l'adéquation entre compétences et besoins.
La réforme de la rémunération des apprentis est entrée en vigueur pour les contrats signés depuis le 1er mars 2025 - hélas à la baisse : baisse des exonérations de cotisations sociales, qui ne portent plus que sur 50 % du Smic, contre 79 % auparavant, et fin de l'exonération totale de CSG et de CRDS pour les nouveaux contrats : la part de salaire au-delà de 50 % du Smic y est désormais soumise. Cet alignement sur les stagiaires pèse sur les filières les plus fragiles, comme l'artisanat. Chaque euro pèse dans la décision de recruter ou non un apprenti ! Gare à ce que cette réforme ne freine pas l'essor de l'apprentissage ni ne décourage les entreprises.
L'apprentissage doit être un pilier de notre pacte républicain. Il forme des professionnels, mais aussi des citoyens, en s'appuyant sur des liens intergénérationnels forts. Il est tourné vers l'innovation. Soutenons ceux qui s'y engagent et ceux qui oeuvrent pour la qualité de ces formations.
Portons une vision exigeante et humaniste de l'apprentissage, ancré dans les territoires, ouvert à tous et équitablement financé, au service du bien commun. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K)
M. le président. - Avant de laisser la ministre répondre, je vous signale qu'une séance d'échanges particulièrement riche a lieu en ce moment même en salle Clemenceau entre les apprentis et les sénateurs.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Nous axons notre démarche sur la réponse aux besoins des entreprises et sur les compétences à développer, particulièrement pour la fixation des coûts-contrats. Les branches professionnelles seront tête de pont, avec leurs entreprises adhérentes et les partenaires sociaux, pour déterminer les priorités. Les niveaux III et IV de qualification seront une priorité.
Nous allons plafonner les dépenses de communication, qui posent effectivement problème dans le secteur lucratif.
L'État bonifiera aussi certaines priorités de formation : métiers du lien, réindustrialisation, transition environnementale...
La baisse des exonérations se justifie par le souci d'une meilleure égalité salariale entre les apprentis les mieux rémunérés et les salariés dont la rémunération nette est inférieure. Ne créons pas de dette sociale avec les exonérations, notamment sur les retraites. Nous souhaitons aussi éviter une baisse de la rémunération nette lors du recrutement post-apprentissage.
Mme Karine Daniel. - L'apprentissage est un investissement sur l'avenir. Quand on baisse moins, on baisse quand même !
Votre comparaison entre petites et grandes entreprises n'est pas opérante, quand on est centré sur le fonctionnement de son entreprise.
J'entends votre argument sur la rémunération des moins qualifiés, mais évitons de décourager l'embauche d'apprentis aux plus hauts niveaux de qualification, alors qu'ils méritent une reconnaissance de leur diplôme.
M. Jean-Luc Brault . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Qui, dans cet hémicycle, conseillerait à ses enfants de choisir un lycée professionnel ou un CFA plutôt qu'un lycée général ? Souvent, c'est bien, c'est beau, mais pas chez moi...
L'apprentissage est encore un tabou. Cette semaine, un parent d'élève m'a dit qu'un professeur était content de ne pas envoyer d'élève en lycée professionnel cette année. Les yeux m'en sont sortis de la tête !
Nous parlons de l'apprentissage avec nostalgie, alors qu'il devrait être un étendard.
Nous avons tous dans notre entourage quelqu'un qui a débuté avec un CAP ou un BTS et occupe un poste demandant des années d'études, ou un salarié d'une TPE-PME qui a pris son envol en montant sa boîte et a fait fortune.
Qui n'a jamais entendu : « Gamin, plus tu feras d'études, moins tu bosseras et plus tu gagneras ! » ?
En 2018, on a réformé l'apprentissage pour en faire une voie d'excellence et un moyen de lutter contre le chômage des jeunes.
Les entreprises, désormais, se battent pour recruter des apprentis car c'est la certitude d'avoir des salariés opérationnels et surtout déjà intégrés. À défaut, on recrute de la main-d'oeuvre étrangère. Je l'ai fait, souvent... Après quelques années, par la volonté d'apprendre et de gagner leur vie, ces travailleurs connaissent des réussites impensables au début.
C'est le chef d'entreprise qui vous le dit : les apprentis sont des pépites rares à dénicher.
Le paradoxe, c'est que la dépense publique pour soutenir l'apprentissage est une folie financière.
Nous proposons deux pistes : réviser les NPEC et évaluer le taux d'insertion dans l'emploi pour concentrer l'aide publique sur les formations qui permettent véritablement d'insérer nos jeunes.
Investir dans l'apprentissage, c'est investir dans l'avenir et garantir notre souveraineté économique et industrielle. L'apprentissage, c'est aussi de l'emploi, donc des cotisations sociales. Le retour sur investissement est imbattable ! Que Bercy sorte les calculettes, c'est tout vu.
Mais comment donner l'envie aux jeunes de devenir apprentis ? En Allemagne, le numéro un de Mercedes est passé par l'apprentissage.
Nombre de formateurs se démènent corps et âme : je les salue. Je salue aussi le président de la CMA du Centre-Val de Loire, présent ici.
Je suis passé par le collège technique Benjamin Franklin à Orléans ; j'ai monté ma propre entreprise qui affiche aujourd'hui 70 millions d'euros de chiffre d'affaires. Il est important de passer par l'apprentissage.
C'est un cri du coeur : ne dévalorisons plus la voie professionnelle ! L'apprentissage est un trampoline qui peut vous faire décoller rapidement, et vous retombez toujours sur vos pieds. Loin d'être une voie de garage, c'est une voie d'excellence et de liberté. La main est le prolongement de l'esprit.
Si vous voulez monter votre boîte après avoir roulé votre bosse dans une TPE-PME, vous vous heurtez à des difficultés administratives, à la pression fiscale, à l'instabilité politique nationale et à la folie des géants de ce monde qui flinguent votre business du jour au lendemain.
Monsieur le président, vous l'avez dit, un mot d'ordre : simplification !
Il est trop rare d'intégrer une grande entreprise et de progresser en interne. On préfère embaucher un ingénieur ou un bac+5. Trop souvent, la réalité, c'est : faites une école de management, n'apprenez surtout pas à travailler et à faire quelque chose de vos mains !
Nous devons changer notre culture de l'entrepreneuriat. J'entends souvent dire que les jeunes ont perdu le goût de l'effort. Mais nous passons plus de temps à chercher des niches fiscales qu'à produire de la richesse. (Mme Astrid Panosyan-Bouvet acquiesce.) Ce n'est pas aux jeunes de changer, mais à nous de revoir notre logiciel, en valorisant le goût de l'effort, du risque et de la réussite. (Mme Évelyne Perrot applaudit.)
Je vous remercie et souhaite à tous ces jeunes d'être ambitieux et forts et d'écouter leurs professeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDSE ; M. Gérard Lahellec applaudit également.)
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Merci pour ce plaidoyer qui rappelle que les intelligences du coeur, de la tête et de la main sont indissociables.
Nous voulons définir des priorités, résolument, pour les plus petites entreprises au détriment des plus grandes, et pour les niveaux de qualification III et IV. Nous voulons aussi une meilleure adéquation entre formations et besoins des entreprises.
Oui, l'apprentissage garantit une insertion professionnelle rapide, tous niveaux de qualification confondus. Mais si l'on compare la France à l'Allemagne, même hors apprentissage, les étudiants allemands bénéficient d'une meilleure insertion professionnelle que nos jeunes. Il y a donc un problème, même dans la voie générale, où il faut des enseignements plus pratiques et plus adaptés à nos besoins.
Mme Frédérique Puissat . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue les apprentis de France, présents au Sénat, particulièrement les apprentis de l'Isère, beau département de France. (Sourires)
En juin 2022, avec Martin Lévrier et Corinne Féret, nous avons présenté un rapport d'information intitulé France Compétences face à une crise de croissance. La réforme de la loi du 5 septembre 2018 a enclenché une dynamique considérable, mais n'a pas assez anticipé les besoins de financement. Il fallait réguler le système pour garantir sa soutenabilité, disions-nous dans nos conclusions.
France Compétences a réuni quatre établissements. Elle est financée par la dotation versée aux opérateurs de compétences (Opco) et le financement du compte personnel de formation (CPF) via la Caisse des dépôts et consignations. Mais son déficit cumulé depuis sa création avoisine les 11 milliards d'euros. La réforme de l'apprentissage n'a donc pas été financée et elle a contribué à creuser notre déficit public.
Pourtant, il faut encore et toujours encourager l'apprentissage, qui s'adresse à tous les publics, donc ceux qui sont en difficulté. Pour y parvenir, il faut fiabiliser ses mécanismes et équilibrer ses outils financiers.
Depuis longtemps, je propose plusieurs solutions.
Premièrement, recentrer France Compétences sur deux missions seulement : l'apprentissage et le CPF, en mettant fin au financement du plan d'investissement dans les compétences (PIC) par France Compétences - 8 milliards d'euros sur les 11 milliards de déficit...
Deuxièmement, il faut faire une pause dans la logique de guichet en n'allant pas au-delà de 900 000 apprentis financés.
Troisièmement, il faut soit augmenter la subvention à France Compétences - 2 milliards d'euros - , soit relancer une concertation avec les régions, CFA et organisations professionnelles et syndicales pour trouver des marges de manoeuvre supplémentaires, soit transférer des crédits du budget de l'éducation nationale vers celui du travail.
L'apprentissage est un investissement de long terme.
Nous croyons à l'apprentissage, mais, disons-le, il n'est pas financé. Comment financer la formation de 900 000 apprentis en mettant autour de la table tous les partenaires concernés ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Vous posez les bonnes questions. La concertation que nous avons lancée vise justement à retrouver une soutenabilité financière. Ce n'est pas parce que nous introduisons des mécanismes de régulation financière que nous ne croyons plus à l'apprentissage !
Le renforcement des mécanismes de régulation par la qualité et de lutte contre la fraude est nécessaire. Je vous sais en première ligne sur ces sujets. Révision de la certification Qualiopi, meilleure transparence sur les résultats, lutte contre la fraude, tels sont nos objectifs.
Nous avions aussi discuté de la participation obligatoire des employeurs d'apprentis de niveaux VI et VII durant le PLF 2025, à partir d'un amendement sénatorial.
J'aime l'idée de recentrer France Compétences sur l'apprentissage et le CPF. Sur ce dernier, pour limiter la mécanique inflationniste, nous avons revu le ticket modérateur, supprimé des formations non qualifiantes comme l'aide à la création d'entreprise et amélioré la lutte contre la fraude.
Je vous rejoins sur la nécessité d'une vision plus structurelle, et de recentrer France Compétences sur les grands dispositifs de droit commun.
Mme Frédérique Puissat. - Structurelle et concertée, car nous devons retrouver autour de la table les acteurs qui font l'apprentissage et faire en sorte qu'ils ne subissent pas des décisions imposées d'en haut.
Mme Nicole Duranton . - Bienvenue aux jeunes apprentis présents pour les vingtièmes rencontres sénatoriales de l'apprentissage !
L'intelligence de la main vaut celle de l'esprit, c'est ma conviction.
L'apprentissage est une priorité stratégique, une voie privilégiée pour l'avenir de nos jeunes et leur insertion sur le marché du travail.
L'apprentissage progresse en France depuis quelques années, sous l'impulsion de la loi de 2018 et le plan « 1 jeune, 1 solution ». En 2024, 880 000 contrats ont été signés, soit plus 3,2 % par rapport à 2023. Le modèle est un succès.
L'apprentissage est aussi un outil de lutte contre le chômage des jeunes, qui atteignait 20,5 % en France l'an dernier, contre 15,3 % en moyenne européenne.
Un décret du 23 février dernier a fait évoluer les aides à l'embauche, qui passent de 6 000 à 5 000 euros pour les petites entreprises et à 2 000 euros pour les plus grosses. En application d'un second décret paru il y a quelques jours, les apprentis sont soumis au paiement de la CSG et de la CRDS dès que leur rémunération dépasse un demi-Smic.
Lors des débats budgétaires, le groupe RDPI avait craint que le mauvais signal adressé au monde économique vienne casser la bonne dynamique de l'apprentissage.
Oui, il faut faire évoluer notre politique d'apprentissage, pour continuer à investir dans la qualité des parcours, l'orientation et l'accompagnement des jeunes et leur garantir une insertion durable.
J'ai rencontré la semaine dernière la présidente et le directeur du CFA interconsulaire de Val-de-Reuil, l'un des plus grands de France. La diminution des aides à l'embauche ne devrait pas décourager les artisans de recruter des apprentis dans les secteurs en tension - restauration, boulangerie, coiffure, couverture - en raison de la pénurie de main-d'oeuvre.
La question du financement de l'apprentissage demeure centrale. Nous saluons le bon déroulement des concertations tenues depuis novembre dernier. Leurs conclusions sont attendues.
Les fonds alloués à l'apprentissage sont importants, c'est une bonne chose. Le coût de l'apprentissage serait de 24,9 milliards d'euros par an. Nous devons mieux flécher ces dépenses, tout en préservant l'excellence de notre modèle.
L'apprentissage reste un pilier central de la politique de la formation et de l'emploi. Il faut continuer d'en faire un modèle satisfaisant pour tous.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Merci d'évoquer la concertation. Nous souhaitons écouter l'ensemble des acteurs. Je rassure Mme Puissat, le processus n'est ni vertical ni centralisé. Cette réforme puissante du financement de l'apprentissage sera coconstruite.
Compte tenu du contexte budgétaire, nous faisons des choix résolus, pour favoriser les niveaux IV et V, les entreprises les plus petites et nous sommes fermes sur la fraude et la qualité.
Les 25 milliards d'euros évalués par M. Coquet relèvent d'une vision très extensive. Il s'agirait plutôt de 14 milliards d'euros, si l'on exclut les dépenses fiscales - exonération de l'impôt sur le revenu des apprentis, exonérations pour les entreprises...
M. Michel Masset . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) En préambule, j'adresse mes salutations à M. Jean-François Blanchet, président de la chambre des métiers et de l'artisanat de Lot-et-Garonne et au président Gérard Larcher.
L'apprentissage subit des choix politiques discutables. C'est pourtant un bon moyen de former les jeunes, moins onéreux que les lycées professionnels et qui propose une meilleure insertion.
Depuis 2018, les étudiants de l'enseignement supérieur sont massivement formés par l'apprentissage - 60 % des apprentis.
La politique en faveur de l'apprentissage est généreuse et parfois en décalage avec les besoins. Selon la Cour des comptes, le cadre législatif de l'apprentissage a été rénové, sans stratégie nationale ni financement adapté. L'objectif louable du Gouvernement d'un million d'apprentis n'a pas été associé à des critères d'utilité de la dépense. Primes, exonérations, dérogations sont distribuées sans tenir compte de la taille de l'entreprise ou de la formation concernée.
On constate aussi l'ouverture de nombreux centres de formation, notamment privés. Les grandes entreprises du bâtiment, les écoles de commerce ont ouvert leurs propres centres de formation, concurrençant parfois directement les CFA publics.
La baisse des aides a fragilisé les entreprises artisanales, or c'est à ces niveaux de formation que l'apprentissage est efficace. Nos jeunes artisans devront reprendre environ 300 000 entreprises dans les dix prochaines années. Ce sont nos boulangers, nos charpentiers, nos plombiers, nos agriculteurs que nous risquons de voir disparaître.
Les CFA sont laissés sans solution. En Nouvelle-Aquitaine, les CFA du secteur du BTP verront leurs revenus diminuer de 7 % et leurs charges augmenter d'autant. À Agen, on annonce un déficit de 500 000 euros. La dérive du système menace nos métiers traditionnels.
Préserver l'apprentissage, c'est préserver l'école de la vie. Un jeune apprend les gestes de son futur métier avec l'aide d'un sachant.
Quel modèle de transmission des services et des entreprises souhaitons-nous promouvoir ? Voulons-nous faire contribuer les grandes entreprises ? Quelle place pour le secteur privé ?
Enfin, selon la Cour des comptes, il faut clarifier notre financement public de l'apprentissage. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe UC ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Seuls 14 % des 15-29 ans sont apprentis : c'est trop peu ! Nous avons trop de jeunes qui ne sont qu'en études, sans aucune application pratique.
Nous voulons prioriser les niveaux III et IV, les PME, la qualité et la lutte contre la fraude.
Nous n'avons pas de religion sur les CFA privés. Mais la qualité doit être au rendez-vous. Nous devons informer les apprentis et leurs familles, en amont, grâce à la plateforme InserJeunes. L'important est de mieux former nos jeunes et de les accompagner vers l'insertion professionnelle, que les CFA soient publics ou privés. Nous serons intraitables sur la fraude, avec notamment la proposition de loi Cazenave.
Mme Annick Billon . - Nous partageons une conviction commune : l'apprentissage est un puissant levier d'insertion, qui a fait ses preuves. Encore faut-il lever certains freins.
La mobilité est la première marche vers l'apprentissage, mais pour certains jeunes elle est trop haute. Alors que les jeunes peuvent désormais passer leur permis dès 17 ans, ils doivent attendre 18 ans pour obtenir l'aide à l'obtention du permis B. Cela pénalise les jeunes ruraux. Yves Bleunven a interpellé le Gouvernement cette semaine : comment comptez-vous corriger cette anomalie ?
La rupture d'un contrat d'apprentissage se fait par simple signature d'un formulaire par l'employeur et l'apprenti. Mais le jeune est-il libre, quand la relation est aussi asymétrique avec son maître d'apprentissage ? Pourquoi ne pas confier un rôle d'accompagnement au CFA pour limiter le nombre de ruptures ?
Près de 30 % des contrats d'apprentissage sont rompus avant leur terme selon la Dares. Prévoyez-vous d'impliquer systématiquement les organismes de formation dans les ruptures de contrats ?
En Vendée, deux établissements dont la certification Qualiopi a été renouvelée avec retard ont été considérés comme non conformes : ils ne pouvaient plus signer de nouveaux contrats, les aides aux entreprises ont été bloquées et ils n'apparaissaient plus sur Parcoursup... Un délai de grâce de deux mois ne pourrait-il pas être envisagé ?
En 2023, les collectivités territoriales ont signé 18 000 contrats. Mais en 2024, seuls 9 000 contrats sont financés par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), contre 21 000 prévus. Les collectivités territoriales doivent faire des choix douloureux.
Nous avons besoin d'un modèle pérenne de financement, car l'apprentissage n'est pas une dépense, mais un investissement pour demain. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Les difficultés d'accès au permis de conduire sont un risque majeur de rupture. Nous envisageons donc très sérieusement d'élargir l'aide à l'obtention du permis B dès 17 ans. Vous connaissez le contexte budgétaire, mais c'est un investissement qui vaut la peine. J'y suis donc très favorable.
Les CFA assurent un rôle d'accompagnement et de prévention des ruptures ainsi qu'un rôle de médiation. Nous pourrions soit l'inscrire dans le code du travail, soit - c'est plutôt ma recommandation - le partager dans les bonnes pratiques.
Mes services vont examiner la difficulté rencontrée par les deux établissements vendéens que vous mentionnez.
Le CNFPT bénéficie d'aides pour financer les CFA : une contribution de l'État, un financement complémentaire de France Compétences, et un financement pérenne de 0,1 % versé par les employeurs territoriaux - c'est 0,68 % pour les employeurs privés, d'où un décalage.
Mme Annick Billon. - Je remercie la ministre de ses réponses encourageantes. Le Sénat est investi dans l'apprentissage. En 2022, j'ai pris une apprentie et elle est toujours à mes côtés. On recense 29 contrats d'apprentissage signés au sein des directions du Sénat. Le Sénat, lui aussi, s'engage !
M. Laurent Lafon. - Très bien !
Mme Marie-Do Aeschlimann . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis 2018, l'apprentissage a connu un essor sans précédent, passant de 448 0000 contrats à près de 1 million en 2024. Cette mobilisation de tous les acteurs contribue à redonner ses lettres de noblesse à l'apprentissage qui assure une insertion rapide et durable dans le monde du travail.
C'est aussi une ouverture sociale : près de 60 % des apprentis sont dans l'enseignement supérieur. Cela signifie que de nombreux jeunes accèdent à un haut niveau de formation, alors qu'ils n'en auraient pas eu les moyens autrement.
Mais cela a un coût faramineux - 25 milliards d'euros selon certaines estimations. Face à cet emballement budgétaire, le soutien public à l'apprentissage doit être optimisé.
Certaines évolutions de la réforme de 2018 imposent une exigence renforcée sur la qualité des formations. Le développement rapide de l'offre facilité par une certaine dérégulation a permis la multiplication d'établissements à but lucratif qui n'ont d'autre objectif que le rendement financier. Cet effet d'aubaine et l'absence de contrôle de la qualité pédagogique ont conduit la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale à déplorer, dans un rapport d'information, un contrôle qualité défaillant et un niveau de prise en charge identique pour toutes les formations, même celles dont les standards pédagogiques sont discutables. Le soutien public doit reposer sur des critères objectifs. C'est pourquoi j'ai fait adopter un amendement à la loi de finances initiale pour 2025 visant à réduire le niveau de prise en charge des formations dispensées intégralement à distance.
La France doit continuer de nourrir une ambition forte pour l'apprentissage. Il ne doit pas être un marché, mais une voie royale d'accès à l'emploi et un vivier de compétences pour nos PME.
Vos prédécesseurs, madame la ministre, avaient envisagé de créer un label qualité pour certifier les établissements privés. Le Gouvernement semble y renoncer pour privilégier la certification Qualiopi, qui a des défauts.
Comment garantir que les fonds publics aillent aux établissements réellement engagés dans la réussite des jeunes ? Comment allez-vous renforcer Qualiopi ? Quelles garanties pour que l'apprentissage continue de rimer avec exigence et qualité ? (Mme Agnès Evren applaudit.)
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Les apprentis de niveau VI et VII représentent 38 % des apprentis. Cela participe de la montée en gamme de l'économie française et de la démocratisation, c'est une très bonne chose.
Toutefois, il faut réguler. Une mission d'inspection interministérielle sur l'enseignement supérieur lucratif sera prochainement lancée. Nous allons renforcer les contrôles Qaliopi ainsi que les contrôles de France Compétences sur les organismes certificateurs, plafonner les dépenses de marketing et différencier les coûts-contrats entre les établissements qui ont des plateaux techniques et ceux qui forment en distanciel.
Mme Anne-Sophie Romagny . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) C'est avec une pensée pour les jeunes générations, avenir de notre pays, que je m'adresse à vous. Merci pour ce débat.
Voilà quelques mois, nous étions face à un dilemme cornélien : réduire les dépenses de l'État en sabrant les aides à l'apprentissage ou maintenir ces dernières sans contribuer à l'effort de réduction des dépenses publiques. Nous avons unanimement constaté les bénéfices de l'apprentissage ; le supprimer aurait été désastreux.
Lors du PLF 2025, j'avais déposé des amendements pour moduler les aides en fonction de la taille des entreprises. Madame la ministre, vous avez été à l'écoute et avez tenu vos engagements : le Gouvernement a établi un barème juste et proportionné.
Le décret du 28 mars dernier prévoit une exonération totale de cotisations sociales pour les rémunérations inférieures à 50 % du Smic - au lieu de 79 % auparavant. C'est un alignement sur les conditions prévues pour les stagiaires et cela améliorera les recettes de la sécurité sociale de 278 millions d'euros. Un point d'étape à l'automne - avant le prochain budget - sur l'incidence de cette mesure serait intéressant.
Dans un monde en plein chahut, l'apprentissage est un atout.
Nous devons être vigilants sur la qualité de l'apprentissage. Il s'agit d'argent public, mais aussi de l'avenir de nos jeunes. Ne laissons pas la voie libre à des structures peu scrupuleuses. Comment les Opco et l'État peuvent-ils mieux contrôler les organismes de formation ?
Je ne suis pas favorable à la suppression de l'aide aux apprentis de qualification bac+4 ou bac+5 car les TPE-PME n'embauchent pas que les premiers niveaux de diplôme : elles ont besoin d'apprentis qualifiés.
Aider moins, oui, mais aider mieux, assurément, tel devrait être notre slogan. Il faut sans doute faire évoluer les conditions d'accompagnement des apprentis très qualifiés dans les grandes entreprises.
Faire dans la dentelle, c'est faire preuve de prudence pour ne pas casser la dynamique ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Frédérique Puissat applaudit également.)
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - La proposition de loi relative à la lutte contre les fraudes aux aides publiques adoptée au Sénat et qui sera examinée en CMP le 6 mai nous donnera des leviers supplémentaires pour amplifier les contrôles dans les établissements privés à but lucratif. L'État et les Opco pourront mieux communiquer sur les contrôles passés et en cours.
Vous avez raison de parler d'un travail de dentelle. Notre défi est d'industrialiser ces contrôles tout en faisant du sur-mesure.
Mme Agnès Evren . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Annick Billon applaudit également.) Trop d'entreprises peinent à recruter, trop de jeunes doutent de leur avenir, trop de déterminismes sociaux pèsent encore sur notre système éducatif, trop de talents passent entre les mailles du filet faute d'avoir été bien orientés et formés.
Le travail nous responsabilise, nous émancipe, nous offre une place dans la société. C'est la mission de l'apprentissage, qui joue un rôle central dans l'insertion professionnelle.
Au 31 décembre 2024, nous comptions 900 000 apprentis, un record. Si ce succès a bénéficié à l'enseignement supérieur, les premiers niveaux de qualification ont crû de 76 % entre 2018 et 2024, signe que l'apprentissage est bien devenu une voie de formation à part entière.
Mais le chemin est encore long. Il faut une vision structurelle et concertée. À 19 %, le taux de chômage des 15-25 ans est deux fois supérieur à la moyenne nationale. Il faut réconcilier l'école et l'entreprise, briser le tabou en renforçant la coopération entre acteurs de l'éducation et monde économique.
L'apprentissage n'est pas une voie de garage mais un chemin vers l'emploi, les savoir-faire et l'indépendance. Il progresse d'ailleurs dans tous les secteurs : artisanat, tourisme, services. Le soutenir, c'est relancer l'emploi, faciliter la transmission des petites entreprises, valoriser le travail comme valeur républicaine.
C'est aussi une réussite collective impliquant les chefs d'entreprise qui embauchent et forment. Je salue leur engagement. Il faudra veiller aux effets de la baisse du plafond d'exonérations de cotisations sociales, décidée dans le projet de loi de finances. N'oublions pas que l'embauche d'un apprenti demeure un investissement non négligeable, particulièrement pour les entreprises de moins de 250 salariés.
La ville de Paris doit participer à cette dynamique, en nouant des partenariats avec des CFA pour adapter l'offre de formation aux besoins.
L'enjeu est aussi de favoriser l'apprentissage dès le secondaire. Réfléchissons à un statut scolaire de l'apprentissage, qui devrait être possible dès 14 ans, sans condition, pour mieux orienter les collégiens.
Enfin, il faut redonner à la région le rôle qui était le sien avant la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. L'apprentissage n'est pas seulement une politique éducative, c'est une composante de notre souveraineté économique.
Paris manque de places en CFA dans des filières stratégiques comme les métiers du soin ou le numérique. Comptez-vous développer l'apprentissage en fonction des besoins du terrain ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Le système éducatif français est celui qui produit le plus de déterminismes sociaux, voire les aggrave, selon le classement du programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa).
La réforme des lycées professionnels se poursuit, avec une meilleure articulation entre lycée et apprentissage. J'ai visité un lycée professionnel de La Celle Saint-Cloud qui, en ayant des apprentis en bac pro, conserve ses meilleurs éléments et s'ouvre sur le monde de l'entreprise. Nous réfléchissons aussi à des formations plus courtes, pour permettre d'autres spécialisations.
Avec la concertation, nous redonnons la main aux branches professionnelles pour fixer les priorités ; avec la bonification, nous donnerons les bonnes incitations. Outre les métiers du lien, je pense aussi à la réindustrialisation, au numérique, à la transition écologique.
J'étudie avec François Bonneau, de Régions de France, comment caler les priorités des branches professionnelles avec les priorités territoriales, notamment à travers les comités régionaux de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (Crefop). Ce travail est en cours au niveau régional. Je compte sur les élus des départements pour bien flécher leurs priorités.
M. le président. - Au Sénat, nous avons 43 apprentis (Mme Annick Billon applaudit), auprès des services du Sénat, des sénateurs et de la présidence. Ils nous apportent une forme d'oxygène bienvenue.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi . - Merci pour la précision de vos questions, qui montre l'engagement et l'exigence de votre assemblée. Je salue la ténacité du président Larcher, qui a relancé les rencontres sénatoriales de l'apprentissage, interrompues depuis la crise sanitaire. Ce débat a été l'occasion d'aller au fond des choses.
Depuis 2018, nous avons lancé une révolution de l'apprentissage, en adaptant nos dispositifs, en amplifiant le soutien budgétaire et en changeant les mentalités. Nous devons consolider ces acquis, dans un contexte budgétaire contraint.
Après la phase d'expansion, il nous faut améliorer le dispositif.
Premier enjeu : l'adéquation entre l'offre et les besoins en emplois et en compétences. Certaines filières connaissent des tensions de recrutement. Les transitions démographique, écologique, numérique et stratégique nécessitent des compétences clés. Les branches professionnelles et l'État doivent définir des priorités ; la région devra jouer son rôle.
Le second enjeu, c'est la qualité des formations. Les moyens mobilisés sont importants, les attentes des apprentis et de leurs familles aussi. La remise à plat de la certification Qualiopi garantira que les formations répondent aux attentes des entreprises et des jeunes. La plateforme InserJeunes permet de mieux orienter les futurs apprentis vers les bonnes formations et les bons métiers.
Le pilotage par la qualité implique de renforcer le rôle des entreprises et des branches, d'autant que l'écosystème de l'apprentissage s'est élargi : tous les niveaux de qualification sont désormais concernés et de nouveaux CFA sont apparus.
Troisième enjeu : zéro tolérance pour les fraudeurs ! J'ai suivi attentivement vos travaux sur la proposition de loi relative à la lutte contre la fraude aux aides publiques. Le Sénat a renforcé nos moyens pour lutter contre la fraude dans le domaine de la formation professionnelle : nous pourrons désormais suspendre la déclaration d'activité en cas de suspicion de fraude - et donc la capacité à accueillir de nouveaux apprentis ou à percevoir des financements. Les services pourront communiquer, dans un cadre juridique sécurisé, sur les contrôles qu'ils réalisent. Réactivité et coordination sont clé.
Sélectivité, qualité et tolérance zéro pour la fraude, voilà nos mots d'ordre. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et du RDSE)
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport . - Je remercie Dominique Estrosi Sassone et Philippe Mouiller pour la co-organisation de ce débat, ainsi que tous ceux qui y ont participé.
L'apprentissage est un outil essentiel au service de l'emploi et de nos territoires : 60 % des jeunes qui sortent de formation trouvent un CDI dans les six mois. Plus d'un apprenti sur quatre est embauché dans l'entreprise où il a effectué son apprentissage.
En 2004, les rencontres sénatoriales sur l'apprentissage avaient pour thématique « Un autre regard sur l'apprentissage ». Vingt ans après, elle demeure d'actualité. Les métiers manuels restent mal appréciés dans notre système scolaire, car mal connus. Il faut les faire découvrir, car l'orientation est trop souvent subie et non choisie.
L'apprentissage reste un modèle fragile, qui a besoin de prévisibilité. Les entrées en apprentissage ont baissé de 14 % en janvier 2025, selon la Dares. Les hésitations lors de l'examen du PLF ont secoué le monde de l'apprentissage et expliquent l'attentisme des employeurs. Nous attendons toujours le décret fixant la participation de l'employeur pour les formations de niveau VI et plus.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre. - Le 23 avril !
M. Laurent Lafon. - Je souhaite une meilleure prévisibilité et une stabilité à moyen terme.
Au nom de la commission de la culture, je réitère nos mises en garde concernant les formations non diplômantes dispensées par l'enseignement supérieur privé lucratif. Nous appelons depuis des années à une meilleure régulation de ce secteur, avec un encadrement plus strict de l'accès aux financements de l'apprentissage. Nous serons attentifs à l'efficacité des mesures annoncées, madame la ministre.
La question de la formation des jeunes est généralement abordée ici sous le prisme de la répartition des compétences entre État et régions, ou lors du débat budgétaire. Les divergences politiques sont souvent fortes. Dans ce contexte, les rencontres sénatoriales de l'apprentissage permettent un débat apaisé, qui a l'avantage de donner la parole aux premiers concernés : les jeunes et leurs formateurs (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. le président. - Je remercie les orateurs et collègues présents ainsi que ceux qui ont animé les échanges en salle Clemenceau. Notre journée consacrée à l'apprentissage se poursuit. (Applaudissements)
La séance est suspendue quelques instants.
Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président
Renforcer la stabilité économique et la compétitivité du secteur agroalimentaire (Conclusions de la CMP)
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer la stabilité économique et la compétitivité du secteur agroalimentaire.
M. Daniel Gremillet, rapporteur pour le Sénat de la CMP . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Avec Anne-Catherine Loisier, nous avons formé, comme pour les lois Égalim, un duo passionné, mais vigilant et raisonné. Je la remercie.
Nous nous félicitons que cette CMP ait abouti. Il a fallu rapprocher des positions très éloignées.
Les lois Égalim, qui visent un prix « marche en avant » afin de préserver la rémunération de l'amont agricole, n'empêchent pas le décrochage de la ferme France dans les rayons.
Il fallait répondre à l'urgence de la fin de l'expérimentation du seuil de revente à perte majoré de 10 % (SRP+10), qui arrive à échéance le 15 avril. Certes, le SRP+10 suscite des réserves, mais l'abandonner serait plus grave que de le maintenir. Il vise des conditions de négociation plus favorables aux fournisseurs en limitant les écarts de prix entre produits d'appel et produits plus onéreux. Nous refusons de relancer une guerre des prix qui déstabiliserait les filières et les relations commerciales. La proposition de loi répond à cet enjeu.
Nous avons maintenu l'harmonisation des durées d'expérimentation des dispositifs, pour le SRP+10 comme pour l'encadrement des promotions, y compris pour les produits de droguerie, parfumerie et hygiène (DPH). Dans une logique de compromis avec les députés, les taux de promotion sur ces produits DPH ont été portés de 34 % à 40 %. Attention toutefois à l'année 2025 : les négociations commerciales étant terminées, ce nouveau taux doit concerner les années 2026-2028, au risque sinon de fragiliser les entreprises. Le Sénat sera vigilant ; vous devrez l'être aussi, madame la ministre.
Les sanctions en cas de violation du SRP ou de non-respect de l'obligation de justifier du surplus de marge généré pourront atteindre 0,4 % du chiffre d'affaires. La CMP a également étendu le SRP+10 aux produits sous marque de distributeur (MDD) et prévu la publicité du rapport du Gouvernement sur la mise en oeuvre du SRP+10, pour plus de transparence. Ces évolutions ont conduit à l'adoption du texte par l'Assemblée nationale hier.
Je vous invite à mon tour à adopter largement les conclusions de la CMP. Nous pourrons ainsi poursuivre les expérimentations du SRP+10 et l'encadrement des promotions jusqu'au 15 avril 2028, avec des sanctions renforcées. Dans un souci de pédagogie, le Gouvernement préparera une méthodologie relative aux informations transmises par les distributeurs, comme il s'y est engagé devant nous.
En agriculture, un dicton dit que le provisoire dure. Il s'agit d'une expérimentation. Nous sommes demandeurs de ses conclusions pour évaluer la pertinence de la prolonger ou non. Nous nous donnons rendez-vous pour un projet de loi Égalim 4, qui devra fixer des perspectives pour les revenus des agriculteurs, sans les piéger au vu du contexte communautaire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l'économie sociale et solidaire . - Le Gouvernement se réjouit que la CMP ait dégagé un consensus entre des copies pourtant très différentes.
Ce texte concilie stabilité de la filière agroalimentaire, soutien à la consommation et nécessaire transparence.
Je salue le travail des députés Julien Dive et Stéphane Travert, de vos rapporteurs Daniel Gremillet et Anne-Catherine Loisier, ainsi que de la présidente Estrosi Sassone.
Ce texte prolonge donc de trois ans l'expérimentation du SRP+10, dont l'abandon se serait traduit par une guerre des prix immédiate, au préjudice de toute la chaîne agroalimentaire et plus particulièrement de l'amont agricole, plus fragile.
Je connais les doutes du Sénat sur le SRP+10, exprimés avec constance depuis la loi Égalim 1. Mais nous aspirons à une pacification des relations commerciales et à une stabilisation de la chaîne.
J'ai entendu les insatisfactions concernant la traçabilité du dispositif. La sanction pourra atteindre 0,4 % du chiffre d'affaires, si un distributeur ne communique pas les informations chiffrées nécessaires à l'évaluation du SRP+10. Je me suis engagée devant vous à travailler sur une méthodologie pour mieux définir ce qui est attendu des acteurs.
Enfin, la CMP a souhaité que le rapport synthétisant les informations chiffrées puisse être rendu public. Un rapport sera confié à l'IGF sur les marges et la péréquation dans la grande distribution. Je ne doute pas de son utilité en vue des prochains débats.
Le texte initial prévoyait une libération immédiate des promotions sur les produits DPH ; le Sénat proposait, lui, une prolongation de l'expérimentation en vigueur jusqu'en 2028. La CMP a opté pour une augmentation du taux de promotion à 40 %, tout en prolongeant l'expérimentation. Cela concilie l'intérêt des consommateurs et celui des fournisseurs, qui financent ces promotions. Je vous ai entendu, monsieur le rapporteur, sur l'impact de ce taux en 2025, j'y veillerai.
La CMP a maintenu l'extension du SRP+10 aux MDD, ce qui lève les incertitudes juridiques.
Je travaille avec Annie Genevard sur le schéma Égalim. J'ai entendu votre souhait de disposer d'un état des lieux sur la répartition de la valeur. Il s'agit avant tout de renforcer l'amont agricole et de simplifier l'aval commercial. Nous devons impérativement faire plus simple et apaiser le climat des négociations commerciales. Je forme le voeu que nous puissions aborder prochainement ces sujets très attendus, pour oeuvrer à une meilleure répartition de la valeur ajoutée dans l'ensemble de la chaîne agroalimentaire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Ronan Dantec . - Depuis 2018, le SRP+10 n'a pas fait ses preuves : il est de peu d'effet dans les négociations commerciales et a profité surtout à la grande distribution et aux agro-industriels, selon une étude récente d'UFC-Que Choisir.
L'enjeu pour l'avenir du monde agricole n'est pas celui des normes, fantasmé et souvent manipulé, mais celui du revenu agricole décent - Laurent Duplomb l'a parfaitement montré dans un précédent débat. (Mme Dominique Estrosi Sassone rit.)
Toutefois, le GEST ne s'opposera pas à la prolongation de ce dispositif, dont l'abandon sans encadrement des marges aggraverait la pression à la baisse sur les revenus des agriculteurs. Reste qu'une nouvelle prolongation sans renforcement de la transparence ni des contrôles ne sera bénéfique ni aux agriculteurs ni aux consommateurs. C'est pourquoi nous souhaitions qu'elle soit plus limitée dans le temps et plaidions pour des sanctions réellement dissuasives.
Il est regrettable que la commission ait supprimé la plupart des avancées introduites à l'Assemblée nationale, dont le renforcement de la transparence sur les surplus de marge, l'instauration de sanctions assises sur le chiffre d'affaires en cas de non-transmission des informations exigées et la transparence des marges des distributeurs sur les produits bio.
Nous saluons en revanche le compromis trouvé par la CMP sur la sanction à 0,4 % du chiffre d'affaires : c'est une vraie avancée, le texte du Sénat ne prévoyant qu'une amende dérisoire.
En l'absence de données fiables pour juger de l'efficacité du SRP+10, sa prolongation aurait dû être limitée à un an. Les documents transmis par la distribution ne seront pas rendus publics : cette opacité est regrettable. Enfin, plafonner à 40 % les promotions sur les produits DPH est une forme de cadeau à la grande distribution.
Compte tenu de ce bilan très mitigé, nous nous abstiendrons. La prolongation du SRP+10 ne sera pas suffisante pour répondre à l'enjeu essentiel d'un partage équilibré de la valeur. Le GEST défend des mesures bien plus structurantes pour soutenir le revenu des agriculteurs et favoriser l'accès de tous à une alimentation durable et de qualité.
M. Jean-Claude Tissot . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Un cinquième des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté ; onze mille perçoivent le RSA socle, signe qu'ils ne dégagent aucun revenu. Nous refusons d'y voir une fatalité. La défense d'un revenu digne pour les paysans est depuis longtemps au coeur de mon engagement ; elle est aussi au coeur de l'action du groupe SER.
La précarité des paysans est d'autant plus inacceptable que d'autres acteurs cumulent des revenus indécents en préemptant la valeur. Avec 22 milliards d'euros, le PDG de Lactalis détient la cinquième fortune de France, selon le dernier classement Forbes.
Alors que lois Égalim n'ont pas atteint leur objectif de rééquilibrage, nous demandons la transparence des données et un droit de suite très rapide. Ne signons pas un chèque en blanc à la grande distribution. Nous aurions préféré une prolongation du SRP+10 limitée à un an.
Ce serait se leurrer que de croire au ruissellement par le libre jeu du marché. Nous appelons donc au renforcement des obligations de transparence de la grande distribution et des sanctions en cas de refus de transmission des informations. Nous soutenions les mesures adoptées par l'Assemblée nationale pour rééquilibrer le rapport de force. Hélas, la majorité sénatoriale est revenue sur la plupart d'entre elles : c'est à croire qu'elle ne veut pas que le dispositif fonctionne...
La CMP a toutefois retenu une sanction de 0,4 % du chiffre d'affaires en cas de non-transmission des données. Elle a opportunément conforté l'annonce par le Gouvernement d'un rapport de l'IGF. Elle a entériné la hausse à 40 % du plafond de promotion sur les produits DPH pour soutenir le pouvoir d'achat et les entreprises françaises.
En responsabilité, et compte tenu des avancées réalisées, le groupe SER votera les conclusions de la CMP. Mais ce texte n'est pas une fin en soi. Nous devons évaluer les effets du SRP+10 et mettre un terme à l'opacité. Nos agriculteurs ne doivent plus être les victimes de la guerre des prix !
M. Jean-Luc Brault . - Des lois Égalim aux manifestations agricoles en passant par les débats sur l'accord avec le Mercosur, l'enjeu du revenu des agriculteurs est central - dans la Sologne pouilleuse, on ne le sait que trop.
Ce texte contribuera à améliorer la rémunération des producteurs par une répartition plus juste de la valeur. Le compromis final répond aux objectifs initiaux, tout en intégrant - modérément - des apports de l'Assemblée nationale. Je salue le travail de la CMP et de l'ensemble des rapporteurs.
Les deux expérimentations sont prolongées jusqu'en 2028 : rappelons que l'évaluation d'une expérimentation requiert du temps. Les acteurs s'accordent à reconnaître que l'abandon du SRP+10 serait catastrophique. Les opérateurs ont besoin de stabilité et de lisibilité.
S'agissant des promotions sur les produits DPH, le relèvement du plafond à 40 %, décidé par l'Assemblée nationale, est conservé. Nous verrons dans les mois à venir si cette mesure a un effet positif sur le pouvoir d'achat.
Une loi Égalim 4 a été annoncée : cela doit être l'occasion d'approfondir les réflexions sur l'amélioration du revenu des agriculteurs et les moyens de leur donner plus de poids dans les négociations. Dans le Loir-et-Cher, les discussions évoluent dans le bon sens - je pense notamment à Andros et St Michel. Le futur texte devra traiter du rôle des centrales d'achat européennes ainsi que du hard discount.
L'Assemblée nationale avait prévu des sanctions exorbitantes en cas de non-transmission des informations liées au SRP+10. Le compromis trouvé en CMP est plus acceptable.
Certaines mesures inadaptées ou trop complexes ont opportunément été écartées.
Le groupe Les Indépendants votera ce texte qui stabilise la situation et offre aux acteurs un cadre clair. (M. Daniel Gremillet applaudit.)
Mme Dominique Estrosi Sassone . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) Je félicite les rapporteurs, Stéphane Travert et nos collègues Anne-Catherine Loisier et Daniel Gremillet, pour le compromis trouvé en CMP ; ils n'ont pas ménagé leurs efforts pour aboutir à un texte assez consensuel, dans des délais extrêmement contraints liés à l'expiration de l'expérimentation du SRP+10 au 15 avril.
Je remercie également Mme Loisier et M. Gremillet pour le travail au long cours mené dans le cadre du groupe de suivi des lois Égalim.
Nous avons opéré un recentrage pertinent du texte sur la prolongation du SRP+10 et l'harmonisation des durées de cette expérimentation et de celle de l'encadrement des promotions sur les produits DPH. Nos rapporteurs ont également obtenu du Gouvernement l'engagement de travailler avec les distributeurs à une méthodologie clarifiant les données à fournir sur les surplus de marge issus du SRP+10, alors que tout le monde s'accorde sur la nécessité d'une plus grande transparence.
Nous partions de positions très éloignées, et il a fallu trouver des voies de rapprochement. C'est chose faite grâce aux concessions réalisées, des deux côtés. L'Assemblée nationale a adopté les conclusions de la CMP hier et je souhaite que le Sénat fasse de même à une large majorité.
Alors qu'un projet de loi Égalim 4 est en préparation, nous devons veiller à la stabilité des dispositifs, souhaitée par les acteurs économiques. Nous devons faire mieux respecter la logique de ces lois, celle de la marche en avant, au moment où la guerre des prix se poursuit au détriment des producteurs.
Nos rapporteurs et l'ensemble de la commission des affaires économiques continueront de défendre nos filières, d'oeuvrer pour la stabilité législative et de mener un travail de fond dans un climat de confiance, dans la perspective de la loi Égalim 4. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Frédéric Buval . - Instauré à titre expérimental en 2018, prolongé en 2021, le SRP+10 aurait dû prendre fin dans cinq jours. Ce mécanisme a reçu un accord globalement favorable des acteurs, qui en demandent la poursuite.
Les évaluations ont relativisé les critiques initiales portant sur le risque de hausse des prix alimentaires. Mais les effets de cette mesure sur la rémunération des producteurs restent insuffisamment démontrés.
Le RDPI appelle à poursuivre les évaluations et à assurer la stabilité des règles dans le contexte de négociations particulièrement tendues. Dans trois ans, nous disposerons d'une évaluation plus juste des effets du SRP+10.
Le monde agricole est en crise, et les agriculteurs se sont mobilisés de façon inédite l'année dernière. Ils dénoncent des charges excessives et une concurrence étrangère déloyale, mais aussi une instabilité réglementaire chronique.
Le compromis trouvé sur une amende de 0,4 % du chiffre d'affaires va dans le bon sens : ce niveau est suffisamment élevé pour inciter au respect des règles.
Le RDPI votera les conclusions de la commission mixte paritaire. (M. Daniel Gremillet et Mme Frédérique Puissat applaudissent.)
M. Henri Cabanel . - Nous légiférons en urgence pour pérenniser deux expérimentations. Nous sommes conscients que leur efficacité pour l'amélioration du partage de la valeur reste à démontrer, mais leur arrêt pénaliserait trop les agriculteurs, qui ont besoin de clarté et de stabilité. Ne prenons pas le risque de les exposer à une nouvelle guerre des prix.
La CMP a abouti à un juste compromis, qui répond aux attentes. Nous voterons ses conclusions.
Nous sommes favorables au renforcement des outils incitatifs comme des sanctions en cas de non-transmission des données exigées.
La prolongation du SRP+10 a fait l'objet de nombreux débats, et il faut lever les doutes sur l'efficacité de ce dispositif. Reste que son abandon aurait conduit à l'étranglement de nos producteurs.
Ce qui manque, c'est la capacité à imposer aux distributeurs que ce mécanisme serve à améliorer la rémunération des producteurs plutôt qu'à alimenter des systèmes de cagnottage et de fidélité. N'atteignons-nous pas là les limites de la loi ? Jusqu'où peut aller l'obligation de publicité ? Pouvons-nous corriger par la loi un manque de volonté de partager la valeur ?
Les lois Égalim souffrent d'une mauvaise application et de contournements. Mais ce qu'il faut surtout, c'est un vrai dialogue entre les acteurs, mené dans un climat de confiance. Dans les conditions actuelles, la suspicion l'emporte et, à la fin, ce sont toujours les agriculteurs qui perdent.
Il faudrait réunir à nouveau tous les acteurs, comme lors des états généraux de l'alimentation, afin d'aboutir à des principes de partage de la valeur. En Allemagne, c'est par un tel dialogue, non une loi, que le revenu des agriculteurs a été amélioré.
Du soutien au revenu des agriculteurs dépend une part de notre souveraineté et notre force commerciale. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Daniel Gremillet et Mme Dominique Estrosi Sassone applaudissent également.)
M. Daniel Fargeot . - (M. Jean-Luc Brault et Mme Frédérique Puissat applaudissent.) Un cadre lisible et stable au service de la compétitivité et de la souveraineté : tel est le voeu des acteurs économiques.
Je salue la rigueur, la cohérence et l'écoute d'Anne-Catherine Loisier, qui, avec Daniel Gremillet, a recentré le texte décousu de l'Assemblée nationale. Stabiliser sans complexifier : c'est ce à quoi le Sénat s'est employé. Nous ne réglerons pas les difficultés structurelles du secteur agroalimentaire en empilant les dispositifs et en changeant les règles tous les deux ans. En matière de relations commerciales, la simple lecture du code de commerce est déjà un exercice d'endurance...
Ce texte n'est ni un engrais miracle ni une herse idéologique. Nous faisons le choix pragmatique de la stabilité, tout en déplorant le défaut d'évaluation des dispositifs, mal bien français. Une sortie sèche du SRP+10 rouvrirait les vannes de la guerre des prix ; ce sont les producteurs qui en pâtiraient. En responsabilité, prolongeons ce dispositif et renforçons son évaluation.
Quand certains, à l'Assemblée nationale, ont cédé au populisme économique, nous avons refusé de faucher ceux qui cultivent la valeur et l'emploi. L'encadrement des marges par coefficients multiplicateurs ou la publication des marges ligne par ligne auraient fragilisé les PME françaises et complexifié les relations commerciales. Ne brouillons pas ce message simple : nous voulons produire et transformer en France.
Nous voterons ce texte qui représente un compromis équilibré, proche de la version sénatoriale. Il ne doit pas être une haie décorative sans portée réelle pour les revenus des agriculteurs. Nos réserves demeurent sur les MDD : l'objectif n'est pas de consolider les marges réalisées sur des produits à bas coût importés.
Le relèvement à 40 % du plafond de promotion sur les produits DPH est inoffensif, car commercialement inopérant. Le vrai débat porte sur le soutien à notre tissu industriel.
Ce texte n'est pas une grande récolte, et Égalim 4 est encore en germination. Mais nous remettons un peu de structure dans le paysage et contribuons à l'apaisement des tensions en sécurisant jusqu'en 2028 des équilibres fragiles. L'économie de la confiance commence par la stabilité du droit. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Henri Cabanel applaudit également.)
M. Gérard Lahellec . - Les conclusions de la CMP ne modifient pas fondamentalement notre appréciation sur ce texte.
Nous regrettons l'abandon des dispositifs introduits par l'Assemblée nationale pour mieux corréler le prix payé à la ferme et le prix de vente au consommateur. Certes, les coefficients multiplicateurs ne sont pas aisés à mettre en oeuvre et peuvent s'avérer lourds, voire dissuasifs. Reste que cette hypothèse, souvent considérée avec condescendance, nous semble d'autant moins décalée que les dispositifs envisagés aux États-Unis ne sont rien d'autre qu'un protectionnisme autoritaire et unilatéral. Nous ne devons rien nous interdire et n'exclure aucun mécanisme de régulation pouvant favoriser une juste rémunération des producteurs.
Les entreprises de l'abattage et de la découpe, par exemple, alertent sur un risque de crise, lié au recul de l'offre. Le site Charal de Sablé-sur-Sarthe est transformé en plateforme logistique. Si nous avions entendu plus tôt la détresse des éleveurs, la situation serait peut-être différente. Lorsqu'une exploitation réduit son cheptel, il y a rarement retour en arrière : pour reprendre la formule d'un éditorialiste de la presse agricole, « on ne tue les vaches qu'une fois ». Il n'est pas dit que tous les éleveurs tireront avantage de la hausse de prix attendue d'une réduction de l'offre. Leurs trésoreries sont exsangues, et les viandes importées risquent de déferler.
Rien ne prouve l'efficacité du SRP+10, mais ne pas le prolonger ouvrirait la voie au retour de la guerre des prix. Le revenu des agriculteurs ne doit pas redevenir la variable d'ajustement des négociations entre supermarchés et industriels.
Soucieux d'éviter de nouvelles pressions sur les prix, nous voterons ce texte. (Mme Dominique Estrosi Sassone s'en félicite ; M. Henri Cabanel applaudit.)
La proposition de loi est définitivement adoptée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée. - Je remercie les rapporteurs pour leur engagement constant sur ces questions, la présidente de la commission des affaires économiques et tous les membres de la CMP. Ils ont oeuvré dans un esprit de responsabilité à la construction d'un consensus sur la base de positions assez éloignées.
Je me réjouis que nous offrions de la visibilité aux acteurs pour trois ans, par-delà plusieurs échéances électorales. Il faudra profiter de cette période pour objectiver les effets des dispositifs, à partir des données beaucoup plus précises qu'il nous faut obtenir de l'ensemble des acteurs.
Mise au point au sujet d'un vote
Mme Frédérique Puissat. - Lors du scrutin public n°259, Mme Micheline Jacques souhaitait voter contre.
Acte en est donné.
La séance est suspendue à 13 h 15.
Présidence de Mme Sylvie Robert, vice-présidente
La séance reprend à 14 h 45.
Restauration de la sécurité en Haïti
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution invitant à favoriser la restauration de la sécurité en Haïti afin de créer les conditions nécessaires à la mise en place d'un processus politique de sortie de crise, présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par Mme Hélène Conway-Mouret et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe SER.
Mme Hélène Conway-Mouret, auteure de la proposition de résolution . - (Applaudissements) Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre présence, d'autant plus appréciable au vu de la lourdeur de votre agenda. (M. Jean-Noël Barrot apprécie.)
Je me réjouis de l'examen de cette proposition de résolution, porteuse d'une belle ambition. Voilà dix-huit mois que nous y travaillons, afin de mobiliser davantage la communauté internationale pour aider ce pays avec qui nous avons noué une relation unique.
Comment qualifier l'urgence, quand elle dure depuis si longtemps ? Les cris et les pleurs du peuple haïtien ne transpercent plus les murs des médias. Mais le Parlement et avec lui la France entière n'oublient pas Haïti.
Le groupe d'amitié France-Caraïbes a mené un travail important, notamment avec les deux ambassadeurs - je salue la présence de l'ambassadeur haïtien dans notre tribune. J'ai échangé avec Leslie Voltaire, président du Conseil présidentiel de transition (CPT). Le dernier sommet de la Caricom en 2025 a aussi été l'occasion d'échanger avec la délégation haïtienne, pour définir les axes prioritaires d'action.
Je remercie tous les collègues ayant participé à ce travail et cosigné cette proposition de résolution, notamment tous les présidents de groupe.
Nous souhaitons un engagement fort en faveur de la restauration de la sécurité en Haïti, préalable indispensable à toute sortie de crise dans ce pays frère meurtri et épuisé, mais digne et résilient.
Nous le devons à ce peuple, qui a fait siens les idéaux des Lumières. Nous avons en partage de nombreuses valeurs, qui nous obligent. Le lien entre nos deux pays est indéfectible. L'humanité du peuple haïtien nous invite à réagir.
La France est aussi un pays caribéen : les territoires d'outre-mer sont aux premières loges du désolant spectacle de l'effondrement de Haïti. Si nous ne réagissons pas, le danger pointera. La violence ne pourra toujours pas être circonscrite à la perle des Antilles, dont nous souhaitons qu'elle retrouve tout son lustre.
Les gangs armés ont pris le contrôle de pans entiers de Port-au-Prince : ils contrôlent 80 % de la capitale, les accès aux routes et au port, et commettent de nombreuses violences et exactions - enlèvements, viols collectifs... L'année dernière, au moins 5 601 personnes ont été tuées, 2 212 blessées, 1 494 kidnappées : ce sont les chiffres d'une guerre qui ne dit pas son nom. En particulier, les violences sexuelles sont devenues une arme pour soumettre les communautés, anéantissant tout espoir de reconstruction.
S'ajoute à ce tableau une série de catastrophes naturelles. Le séisme de 2010 a fait 280 000 morts. Quelque 1 million de déplacés internes, une recrudescence du choléra, 80 000 malades du VIH, seuls 28 % des établissements hospitaliers pleinement opérationnels : les chiffres donnent le tournis.
La France participe à la coalition des volontaires, notamment grâce à 16 millions d'euros d'aide humanitaire versés en 2024. Mais le désengagement américain rebat les cartes. Monsieur le ministre, pouvez-vous garantir que le budget consacré à l'aide humanitaire sera préservé ?
Sans avancée sur la sécurité, c'est tout le fonctionnement du pays qui se trouve empêché. La résolution du 2 octobre 2023 du Conseil de sécurité des Nations unies a marqué une première étape, avec le déploiement d'une mission multinationale d'appui à la sécurité (Mmas) : le Kenya a pris la tête de cette force de sécurité qui rassemble 1 000 personnes, dont 750 Kényans, 75 policiers salvadoriens et 25 policiers de la Jamaïque. Mais ce déploiement est trop lent et les forces sont sous-équipées, malgré le courage exceptionnel de ces hommes.
Principal obstacle : le financement de la mission, qui repose uniquement sur des contributions des États. Sur les 110 millions de dollars d'aides, le Canada est le premier contributeur, pour 63 millions de dollars. Ensuite viennent les États-Unis, avec 15 millions. La France a contribué à hauteur de 8 millions d'euros l'année dernière.
S'ajoutent des aides directes : les États-Unis de Joe Biden avaient mobilisé plus de 300 millions de dollars en fonds et en équipements directement à la Mmas, dont des dizaines de véhicules blindés. La France a consacré 2 millions d'euros en 2024 au soutien des forces de sécurité haïtiennes.
Compte tenu de l'ampleur de la tâche, de la poussée des gangs et de l'incertitude sur les aides américaines, la communauté internationale doit accentuer ses efforts et sécuriser les financements. La proposition du secrétaire général des Nations unies de financements hybrides permettrait de financer la logistique de la mission internationale. Monsieur le ministre, la France appuiera-t-elle cette proposition ? Quel sera le montant de la contribution française à la Mmas cette année ?
Nous avons un devoir de fraternité, une responsabilité partagée : Haïti, terre de fierté et de douleurs, a plus que jamais besoin d'un partenaire ambitieux et constant dans son engagement. Sachons être à la hauteur de l'histoire qui nous lie à ce pays ! (Applaudissements)
M. Jean-Marc Vayssouze-Faure . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le Sénat lance cet après-midi une nouvelle alerte face au drame qui se joue dans le pays le plus peuplé des Caraïbes. Cette proposition de résolution prouve notre capacité à marquer une détermination commune, au-delà de nos différences. Je salue l'initiative d'Hélène Conway-Mouret, qui s'inscrit dans son engagement de longue date sur le sujet.
Haïti est un pays avec lequel la France partage des liens intimes, une histoire sombre, parfois, une langue et une relation récemment restaurée. La première visite d'un chef d'État français s'est tenue en mai 2015, avec François Hollande.
Haïti fut l'une des premières voix de la liberté, de l'indépendance et de l'abolition de l'esclavage. La France a engagé depuis quelques années une coopération avec ce pays, que nous devons accentuer, tant la situation sur place est accablante.
Il y a une semaine, à Mirebalais, les gangs armés confirmaient que leur stratégie n'est que la propagation du chaos. Un assaut récent a eu lieu contre un établissement pénitentiaire : 529 détenus évadés, des policiers fuyant le commissariat, des morts, des blessés parmi la population locale, des autorités débordées, des gangs sur le point de s'emparer d'infrastructures-clés. L'île est au centre d'un cataclysme sécuritaire, comme le montrent les 5 601 personnes tuées l'an passé.
Au nom du groupe SER, j'ai une pensée pour la population haïtienne, marquée par l'assassinat de son président, Jovenel Moïse, puis la démission, en mars 2024, du Premier ministre Ariel Henry.
La population, à jamais marquée par le séisme de janvier 2010, est victime d'assassinats, de viols collectifs et de pillages. Le 20 mars dernier, l'ambassade de France a dû fermer son accès au public.
La tenue de ce débat témoigne d'une prise de conscience. La proposition de résolution confirme l'urgence : venir en aide à la population haïtienne et restaurer la sécurité dans le pays sont un préalable indispensable à un processus politique de sortie de crise. L'accord conclu le 3 avril 2024 fait de la sécurité une priorité.
La Mmas, de 1 000 hommes, a des effectifs structurellement insuffisants. Nous soutenons l'appel de Hélène Conway-Mouret pour que la France soutienne la police haïtienne. La France a renforcé son soutien à la sécurité en Haïti, avec 10 millions d'euros l'an dernier.
Face à l'aggravation de la crise, nous devons aller plus loin. Ce texte est aussi un appel au sursaut humanitaire, à agir plus vite, plus fort, pour les millions de femmes et d'enfants déplacés dans les 142 camps, souvent dans des abris de fortune. Plus de 60 000 personnes ont été au coeur de ces mouvements entre mi-février et mi-mars.
La France doit amplifier son soutien humanitaire, car 5,6 millions de personnes, soit la moitié de la population, sont en situation d'insécurité alimentaire. Les personnes vulnérables, susceptibles d'être recrutées par les gangs dont elles sont les victimes, doivent faire l'objet d'une attention particulière. Dans les camps, les populations pourraient se trouver privées d'eau et de soins.
En 2024, la France a octroyé 16 millions d'euros au titre de l'aide humanitaire, qui a notamment financé des cantines scolaires ayant servi 80 000 repas par jour. L'an dernier, 2 millions d'euros ont été déployés en soutien aux personnes déplacées et 2 millions d'euros supplémentaires pour les Haïtiens renvoyés de République dominicaine. Ils seraient 200 000 dans cette situation.
Nous devons maintenir les crédits d'aide humanitaire, les besoins financiers étant estimés à 908 millions de dollars en 2025, en hausse de 35 % par rapport à 2024.
Sur la sécurité comme sur l'aide humanitaire, la France doit être au rendez-vous, alors que la reconfiguration géopolitique entraînera un recul de l'aide américaine. Actuellement, l'aide humanitaire est portée à 60 % par les Américains ; ce taux atteint 90 % pour la lutte contre le sida.
Le groupe SER votera naturellement cette proposition de résolution.
Monsieur le ministre, je saisis cette occasion pour renouveler nos alertes concernant la réduction des crédits de l'aide publique au développement, qui a supporté seule 10 % des coupes budgétaires en 2025, alors qu'elle représente 1 % du budget de l'État. Nous devons agir concrètement et résolument en faveur des programmes vitaux pour la santé, l'agriculture et les droits des femmes.
Face aux défis mondiaux, c'est fidèle à ses valeurs, à la fraternité et à l'esprit des Lumières que la France doit agir. (Applaudissements)
M. Marc Laménie . - Je remercie Hélène Conway-Mouret ainsi que ses collègues du groupe SER.
Cela fait un peu plus d'un an que le Premier ministre Ariel Henry a démissionné de ses fonctions de chef de gouvernement par intérim.
Haïti est considéré comme un État failli. L'autorité n'existe plus, le droit a disparu, ne reste que la loi du plus fort. Les gangs se disputent le territoire ; leurs affrontements font de nombreuses victimes, en leur sein comme chez les civils. Pas moins de 4 239 personnes ont été tuées au cours des dix-huit derniers mois.
C'est dire l'ampleur du chaos, mais aussi les moyens dont disposent les gangs. Les viols collectifs se multiplient. Le sort des filles et des femmes est alarmant. Certaines sources font état de traite d'enfants.
La communauté internationale ne peut laisser faire. En mars, plus de 60 000 personnes ont été déplacées. Les forces de l'ordre sont dépassées, démoralisées, et passent elles-mêmes parfois dans les gangs, comme Jimmy Chérizier, ancien policier devenu chef de gang.
De nombreux Haïtiens fuient vers l'État voisin de République dominicaine, où des manifestations hostiles à l'égard des migrants haïtiens ont éclaté.
Ce chaos intervient après plusieurs catastrophes naturelles qui ont affaibli la population comme les institutions.
La communauté internationale s'accorde sur la nécessité d'agir. La Mmas est en cours, pour tenter de restaurer l'ordre.
Les États-Unis, deuxième bailleur de cette mission, ont récemment annoncé diminuer leurs financements - un coup dur pour un État déjà fragile.
Pour la population haïtienne, le danger est permanent. Tant que la sécurité ne sera pas rétablie sur le territoire, la situation humanitaire ne pourra s'améliorer et l'économie restera paralysée.
La France concourt à la Mmas à hauteur de plusieurs millions d'euros. Cet engagement indispensable doit être poursuivi, et la mission réexaminée à l'issue du désengagement américain. La communauté internationale doit renforcer son soutien logistique, médical et humanitaire.
Mais il faudra aussi aider Haïti à reconstruire un tissu social, économique, institutionnel. Il faudra créer les conditions d'une paix durable, soutenir un renouveau politique avec des processus démocratiques solides. L'urgence, c'est le retour à l'ordre, en engageant des moyens à hauteur de la catastrophe.
Le groupe INDEP votera unanimement ce texte. (Applaudissements)
M. Bruno Belin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Oui à la solidarité internationale !
Parler de Haïti, c'est parler d'un attachement jamais démenti pour un pays dans lequel j'ai eu la chance de me rendre à l'occasion de huit missions, entre 2009 et 2018, notamment quelques semaines avant et après le séisme de 2010.
J'ai vu Haïti entamer sa descente aux enfers, par incurie, par impuissance face à la violence intérieure imposée par les gangs, qui n'ont d'autre légitimité que la peur des peuples.
En moyenne, les habitants disposent d'un dollar par jour pour vivre. Haïti est un pays failli, où l'unité d'usage monétaire, la gourde, dit elle-même tout le poids qui pèse sur ce pays.
Haïti est le carrefour de toutes les misères, de toutes les violences ; mais c'est aussi une géographie et une histoire qui nous interpellent et nous obligent.
Commencée avec la France au début du XIXe siècle, avec Toussaint Louverture et la proclamation de la Première République, cette histoire est celle du premier État francophone des Caraïbes.
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien !
M. Bruno Belin. - La marijuana venue de Jamaïque, la cocaïne de Colombie... Les trafics sont nombreux.
Cette proposition de résolution crée une espérance essentielle. Je salue l'ambassadeur, en tribune, et le ministre, dont la présence montre l'engagement de la France.
Non loin de la ville de Marigot, au sud-est de Haïti, à Macary, une école a été créée au début des années 2010 : celle-ci porte le nom d'une jeune fille, Fanny Lefebvre, à qui je dédie mon intervention.
Vive Haïti ! (Applaudissements)
M. Pierre Ouzoulias. - Bravo !
M. Frédéric Buval . - Cette proposition de résolution a pour ambition de donner une impulsion politique en faveur d'une intervention internationale et d'un soutien accru à Haïti, et rétablir la sécurité face aux violences et à la barbarie des gangs.
Haïti traverse l'une des pires crises de son histoire : instabilité politique, insécurité grandissante, situation humanitaire alarmante. Dans ce pays des Caraïbes déjà fragilisé par les troubles politiques et les catastrophes naturelles, la population subit une détérioration sans précédent de ses conditions de vie.
Dans environ 80 % de Port-au-Prince, les viols, enlèvements et affrontements sont devenus monnaie courante. Les forces de l'ordre, parfois corrompues, ne peuvent rétablir la sécurité. L'accès à l'eau potable, l'éducation et les soins de santé restent très limités. L'insécurité alimentaire atteint des niveaux critiques, plus de la moitié de la population étant sous-alimentée. Plus de 1 million de personnes ont dû quitter leur lieu de vie, nombre qui a triplé en un an.
Depuis plus de deux siècles, la France a une dette historique envers ce peuple martyr, de qui elle a exigé le paiement d'une indemnité de 150 millions de francs or en l'échange de la reconnaissance de son indépendance. Cette somme exorbitante - l'équivalent de 21 milliards de dollars actuels - était la compensation exigée par les colons pour la perte de l'outil de travail que représentaient les esclaves. Une telle dette était indigne de la France. Elle a retardé le développement haïtien. (M. Pierre Ouzoulias acquiesce.)
Ce long héritage nous oblige. Haïti ne peut s'en sortir sans la solidarité internationale et sans la France.
La stabilité et la sécurité de la région des Caraïbes sont menacées. La France a une responsabilité particulière dans cette zone. La Martinique, la Guadeloupe et la Guyane, qui ont des liens historiques avec Haïti, font face à une hausse massive de l'immigration haïtienne, légale comme irrégulière. Les capacités d'accueil des autorités locales sont sous pression. Les demandes d'asile augmentent, alors que les services administratifs sont saturés.
Les municipalités font face à une hausse des besoins dans les domaines du logement, de l'éducation et de la santé. Les systèmes de santé guadeloupéens et martiniquais sont pourtant déjà fragilisés par le manque d'effectifs et de moyens.
Nous devons agir pour le peuple haïtien, pour rétablir la sécurité et faciliter une transition démocratique.
Le RDPI votera naturellement cette proposition de résolution.
Mme Sophie Briante Guillemont . - Haïti, pays brisé, le plus pauvre des Amériques, subit une crise sans précédent. Son récit est celui d'une longue descente aux enfers.
Le 1er janvier 1804, Haïti a proclamé son indépendance à l'issue d'une longue révolte, devenant ainsi la première République noire. Mais elle n'a gagné son indépendance qu'après le paiement à la France d'une dette colossale, dont elle a réglé le principal en 1883 et les intérêts dans les années 1950 : au total, cela représenterait entre 20 et 110 milliards d'euros de pertes de croissance, montants que certains n'hésitent pas à qualifier de véritable rançon.
Si on ajoute à tout cela l'occupation du pays par les États-Unis au début du XXe siècle, la corruption politique et les catastrophes naturelles, on comprend pourquoi il s'agit d'un des pays les plus pauvres des Amériques.
Depuis plusieurs années, des gangs font régner la terreur : plus de 5 000 homicides l'année dernière, soit 1 000 de plus qu'en 2023.
Le pays est noyé dans une profonde instabilité politique depuis l'assassinat de Jovenel Moïse, et la démission forcée d'Ariel Henry n'a pas enrayé la spirale de la violence. Si la sécurité fait partie des priorités du CPT, celui-ci peine à asseoir sa légitimité.
On recense plus de 1 million de déplacés. D'après les ONG, la moitié de la population est en insécurité alimentaire. Haïti vit une véritable crise humanitaire. L'arrêt de l'aide américaine ne peut qu'aggraver cette crise : ONG et associations locales ferment boutique.
Environ 900 de nos compatriotes vivent encore en Haïti. Nous avons perdu la moitié voire un tiers de la communauté française en quelques années. L'accès à l'aéroport étant restreint, le moyen le plus sûr de quitter le territoire reste l'hélicoptère, ce qui est hors de portée de nombreux Français.
Je salue l'action de l'ambassade de France et de notre marine nationale, qui, en mars 2024, a évacué plus de 200 personnes. (M. Jean-Noël Barrot apprécie.) Le lycée français Alexandre-Dumas est contraint de fermer régulièrement. Les enseignants improvisent au jour le jour, comme le personnel. Nous saluons leur engagement.
La restauration de la sécurité dans le pays est vitale, et je remercie Hélène Conway-Mouret et le groupe socialiste pour cette proposition de résolution.
Il faudra un effort international considérable. La mission menée par le Kenya est une première étape, malheureusement insuffisante. Un embargo sur les armes doit être instauré, car Haïti ne produit pas d'armes. Puis viendra une réponse politique. Que faire des 15 000 hommes, pour moitié mineurs, membres des gangs ? Pourront-ils être réintégrés dans la société haïtienne ?
La France, par l'histoire qui nous lie, doit être motrice. Nous voterons cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe SER)
Mme Évelyne Perrot . - Merci, chère Hélène Conway-Mouret, de nous donner la possibilité de parler de Haïti.
Les défis du pays sont multiples et interconnectés : sécuritaires, économiques, politiques et humanitaires. Le pays, déjà éprouvé par les séismes de 2010 et 2021, peine à se relever. Et il est en proie à une insécurité croissante. Pas moins de 85 % de la zone métropolitaine de Port-au-Prince est sous le contrôle des gangs.
Des tirs de gangs sur des avions de ligne américains ont entraîné la fermeture de l'aéroport et la suspension des liaisons aériennes.
Pas moins de 5 millions de personnes souffrent d'insécurité alimentaire aiguë et 2 millions vivent en situation d'urgence alimentaire ; ils sont 6 000 à vivre en situation de famine. Les conséquences sont dévastatrices, notamment sur le développement des enfants.
Plus de 40 000 enfants ont dû quitter leur foyer depuis le début de l'année 2025 en raison de l'escalade des violences - et nous ne sommes que le 10 avril ! Les violences sexuelles à l'encontre des enfants ont augmenté de 1 000 % entre 2023 et 2024. Les recrutements d'enfants dans les groupes armés ont augmenté de 70 %.
Sur le plan économique, les défis sont immenses. Ainsi, 64 % de la population vit avec moins de 3,45 dollars par jour. L'accès aux ressources essentielles, notamment alimentaires, est compromis pour une grande partie de la population.
Le processus politique est fragile et les institutions sont en ruine : l'instabilité politique s'est aggravée depuis l'assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021. Les dernières élections présidentielles et législatives remontent à 2016 et le Parlement n'est plus opérationnel depuis janvier 2020. Les tensions entre le CPT et le Premier ministre ont conduit à des changements fréquents dans le Gouvernement.
Corruption et impunité sont omniprésentes. Les efforts de la police nationale haïtienne et de la mission de soutien à la sécurité n'ont pas réussi à enrayer la violence. L'État perd inexorablement du terrain face aux gangs, qui étendent leur contrôle et imposent leurs propres lois.
La communauté internationale doit aider Haïti à sortir de cette crise. Tel est l'objet de cette proposition de résolution transpartisane.
Il est impératif d'accélérer le déploiement de la mission de soutien à la sécurité et de s'assurer que des mécanismes de conformité aux droits de l'homme soient pleinement en place. La coopération policière entre la France et Haïti doit être accentuée.
L'accord de Kingston, signé le 11 mars 2024, est un bon début.
La proposition de résolution appelle à un acheminement rapide et sécurisé de l'aide humanitaire, vitale pour la population. Naturellement, le groupe UC la votera. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et INDEP)
M. Pierre Ouzoulias . - La situation en Haïti est dramatique. L'État haïtien peine à assurer la sécurité de sa population, faute de moyens suffisants et d'appareils institutionnels stables. Les gangs exercent une emprise inquiétante sur de larges pans du territoire et de la société.
En octobre 2022, le Gouvernement haïtien a sollicité l'appui d'une force multinationale, ce que le Conseil de sécurité des Nations unies a accepté. La majorité de notre groupe soutient le principe de ce déploiement, car chaque citoyen a droit à la dignité et à la sécurité.
Mais soyons lucides : l'approche uniquement sécuritaire de ce texte risque de réduire cette crise politique à une simple urgence humanitaire.
Les interventions armées étrangères - une dizaine en trente ans - , même motivées par de bonnes intentions, n'ont pas permis de stabiliser le pays : leur échec tient souvent à une analyse partielle de la crise.
L'insécurité est non pas une cause, mais une conséquence. La crise tient à un enchevêtrement de facteurs : effondrement institutionnel, corruption, inégalités sociales, absence de perspectives économiques, liens entre élites et groupes armés.
C'est pourquoi une intervention internationale sans véritable feuille de route politique et sans coordination avec des acteurs légitimes risquerait de ne rien changer à la situation. Le Gouvernement non élu ne bénéficie en effet d'aucune légitimité politique.
Une telle mission risquerait de renforcer une police décriée pour sa corruption, et non les institutions. L'épidémie de choléra, introduite par des Casques bleus, appelle à une vigilance extrême. Les victimes des précédentes missions attendent toujours justice et réparation.
La seule issue durable passe par un processus politique inclusif et souverain. L'accord de Montana, élaboré par un large éventail de la société civile haïtienne, est une initiative sérieuse. Il propose une rupture avec les pratiques actuelles, des élections libres et le rétablissement des trois pouvoirs de l'État.
Il est urgent d'ouvrir un débat international sur la dette haïtienne, notamment la dette dite de l'indépendance imposée par la France. Il faudrait annuler les dettes et reconnaître cette dette historique.
Nous ne pouvons nous contenter d'une réponse armée : il y a besoin d'une vision globale, respectueuse de la souveraineté du peuple haïtien et construite avec toutes les forces du pays. La sécurité certes, mais jamais au détriment de la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, du GEST et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Guillaume Gontard . - La situation de Haïti est catastrophique sur tous les plans. C'est le pays le plus pauvre des Amériques ; 36 % de sa population survit avec moins de 2 dollars par jour. Le pays est régulièrement frappé par les catastrophes naturelles, avec des morts par milliers. Le choléra fait des ravages, la faim sévit...
Depuis 2020, le pouvoir législatif a cessé de fonctionner. L'année suivante, le président Jovenel Moïse était assassiné. Depuis deux ans, il n'y a plus aucun élu en fonction à Haïti. La légitimité du Premier ministre par intérim, Ariel Henry, est très faible.
L'État haïtien est donc en déliquescence totale. La nature ayant horreur du vide, les mafias prennent le relais et s'affrontent pour contrôler le territoire. La violence est endémique : en 2024, plus de 5 600 personnes ont été tuées et Port-au-Prince détient le macabre record de la ville la plus violente au monde.
Cela ne peut plus durer. La résolution du Conseil de sécurité des Nations unies du 2 octobre 2023 est un premier pas. Comme souvent, la France et les États-Unis ont été les plus actifs. Mais ces deux nations ont perdu toute légitimité pour résoudre les problèmes de la perle des Antilles, qui s'est libérée du joug de l'esclavage à partir de 1791, puis est devenue indépendante en 1804, grâce à Toussaint Louverture.
Malheureusement, la France monarchiste de Charles X obligea les esclaves à rembourser leur ancien maître... Cet épisode honteux est totalement oublié chez nous, mais pas à Haïti : 80 % de son budget a été consacré au remboursement de cette dette illégitime pendant 122 ans !
Le soutien de la France et des États-Unis à la dynastie des Duvalier, sanguinaires dictateurs qui ont ruiné le pays, ont achevé de plomber notre réputation. Avec un tel passif, la population haïtienne n'attend pas grand-chose de la France...
Il est donc positif que la Mmas ait été placée sous commandement kényan, mais soyons vigilants à ce que les forces kényanes ne commettent pas d'exécutions sommaires.
Humilité et aide utile : voilà ce que permet cette résolution. Je remercie Hélène Conway-Mouret, qui nous permet d'envoyer un signal fort aux Haïtiens. Nous avons cosigné cette proposition de résolution et nous la voterons. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes CRCE-K, SER et INDEP)
Mme Annick Petrus . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue M. l'ambassadeur de Haïti, présent en tribune.
Il y a quelques jours, des milliers de Haïtiens manifestaient à Port-au-Prince, pour dénoncer l'insécurité et l'inaction des autorités : écoles et commerces fermés, commissariats attaqués, prisons vidées, familles entières jetées sur les routes...
Haïti est victime non pas d'une crise passagère, mais d'une détresse durable. La situation se dégrade depuis plusieurs années, mais aujourd'hui il y a urgence. Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Volker Türk, a récemment parlé d'un nouveau point de crise pour les droits humains en Haïti. La communauté internationale ne peut plus rester spectatrice.
La France a une responsabilité particulière. Nos territoires ultramarins sont aux avant-postes. Je redis ma solidarité avec le peuple haïtien, car la communauté haïtienne est nombreuse à Saint-Martin. Notre île, à quelques encablures de Haïti, ressent chaque onde de choc de la crise : partageant des liens humains, familiaux, économiques, nous ne pouvons être indifférents.
La résolution appelle au déploiement effectif de la Mmas et au renforcement de la coopération policière ; elle soutient le processus politique. Ce sont de bonnes orientations, mais il faut désormais des actes, car chaque jour compte.
Il est de notre devoir de rester fidèles à nos valeurs, de ne pas détourner le regard et d'agir avec humanité, constance et respect pour la souveraineté d'un peuple aspirant à la paix, à la dignité et à la reconstruction. (Applaudissements)
Mme Micheline Jacques . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Louault applaudit également.) Haïti occupe une place singulière dans la Caraïbe et dans le monde. Personne ne peut regarder ailleurs, alors que ce pays s'enfonce dans une crise sécuritaire, alimentaire et économique majeure.
Hier, Bruno Retailleau qualifiait la situation de chaotique et réaffirmait l'engagement de la France aux côtés d'Haïti.
Je salue la présence en tribune du chargé d'affaires Louino Volcy.
Je salue l'initiative d'Hélène Conway-Mouret ; cette proposition de résolution a été cosignée par l'ensemble des groupes. La volonté française ne fait pas de doute.
La situation d'Haïti nous concerne universellement, car c'est elle qui a fait entrer la démocratie et la liberté dans l'universalité.
Haïti se situe à 900 km de la France, soit la distance entre Paris et Rome. C'est pourquoi aider Haïti, c'est aider les outre-mer, où vivent plus de 150 000 Haïtiens. La violence en Haïti est alimentée par les cartels du narcotrafic. Ne laissons pas se créer dans la Caraïbe un hub de la drogue et des armes.
Les défis ne sont pas que sécuritaires : un million de personnes déplacées ; la moitié de la population qui vit sous le seuil de pauvreté...
L'élection de Donald Trump pourrait se traduire par un retrait de l'aide budgétaire américaine. Il ne faudrait pas que les liquidités liées aux trafics remplacent ces devises.
Le rapport d'Amnesty International sur la situation des enfants est atroce. Mais les mineurs représentent 30 % des gangs : comment engager l'armée contre des enfants ? C'est un dilemme moral cornélien.
La force multinationale n'a pas tenu ses promesses. Nous savons l'engagement de la France en faveur du rétablissement de l'ordre en Haïti. Il faut une force internationale de maintien de la paix sur le fondement du chapitre V de la Charte des Nations unies.
Sans sécurité, point de développement. Mais le rétablissement de la sécurité ne saurait être le seul horizon : Haïti est aussi un territoire agricole fertile, porteur d'une jeunesse à qui il faut redonner espoir.
L'année 2025 marque le bicentenaire des relations diplomatiques entre la France et Haïti. Privée de l'équivalent de trois années de PIB, la jeune république en 1825 n'a pas pu investir dans des institutions suffisamment solides pour résister aux contingences de l'histoire.
Le groupe Les Républicains votera à l'unanimité cette proposition de résolution et soutient l'action du Gouvernement aux côtés d'Haïti. (Applaudissements)
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - La France soutient le peuple haïtien, qui traverse l'épreuve de la violence et du chaos, en raison de la guerre des gangs. La France est un État caribéen : nous sommes donc solidaires des défis qui se posent à Haïti.
Je remercie Hélène Conway-Mouret pour son engagement, ainsi que celui du groupe d'amitié France-Caraïbes. Je salue également l'engagement et le sang-froid de notre ambassadeur à Port-au-Prince.
Haïti est entrée dans une phase de transition politique, avec l'accord du 3 avril 2024 et la mise en place d'un exécutif bicéphale, composé du CPT et du Gouvernement. Ce dernier a deux priorités : libérer la population de l'emprise des gangs et organiser des élections générales.
La France soutient les autorités de transition haïtiennes et leur agenda. En 2024, nous avons versé 750 000 euros à l'organisation internationale de la francophonie pour accompagner le processus électoral.
La situation sécuritaire ne cesse de se dégrader : plus de 5 600 morts et 1 million de déplacés en 2024, et 1 000 morts et 78 000 déplacés depuis le début de 2025. Le 1er avril, 500 détenus se sont échappés de prison...
Les forces de sécurité nationales, fortes de 10 000 hommes, ne parviennent pas à contenir cette violence. Résultat : les Haïtiens sont privés de l'accès aux services de base, ainsi qu'à l'aide humanitaire. La moitié de la population souffre de la faim. La France est pleinement engagée : elle est le dernier État de l'Union européenne, avec l'Espagne, encore présent à Port-au-Prince. Avec 40 millions d'euros de dons, nous sommes le troisième bailleur d'Haïti, derrière les États-Unis et le Canada.
Des liens indéfectibles unissent nos deux pays : histoire, géographie, langue. Nos relations diplomatiques sont étroites. Le 29 janvier dernier, le Président de la République a reçu le président du CPT.
Notre priorité est le rétablissement de la sécurité. Depuis 2023, nous avons mobilisé plus de 11 millions d'euros pour soutenir la Mmas, la police nationale et les forces armées haïtiennes. À ce stade, le secrétaire général des Nations unies a écarté la transformation de la Mmas en opération de maintien de la paix, privilégiant son renforcement sur le modèle somalien. La France est favorable à une plus grande implication des Nations unies.
Nous voulons des sanctions contre les chefs de gangs et ceux qui les financent. La France a voté le régime de sanctions décidé par l'ONU et est à l'origine des sanctions décidées à Bruxelles en juillet 2023 : trois chefs de gangs ont été désignés en décembre 2024, de nouveaux dossiers, préparés par mes équipes, sont en cours d'examen.
Quelque 16,5 millions d'euros d'aides ont été alloués en 2024, avec 8,5 millions d'euros pour l'aide humanitaire, 2 millions pour l'aide aux migrants haïtiens expulsés par la République dominicaine et 1 million d'euros pour notre coopération culturelle et éducative. Plus de 4 000 étudiants haïtiens sont présents en France.
Vous l'avez rappelé : 2025 marque le bicentenaire de la reconnaissance de l'indépendance de Haïti par la France. Le Président de la République a indiqué que notre passé commun ne devait pas être oublié et qu'il fallait faire vivre la mémoire de l'esclavage sur l'ensemble du territoire national, comme en Haïti. Le 17 avril, le Président de la République fera des annonces. La date est symbolique : il s'agit de la date anniversaire de l'ordonnance du 17 avril 1825 de Charles X de reconnaissance de l'indépendance de Haïti, en contrepartie d'une indemnité. La France est ouverte à un dialogue apaisé sur les questions mémorielles.
Nous ne pouvons ignorer la décision américaine de geler son aide internationale - c'est 60 % de l'aide humanitaire à Haïti. Et les expulsions d'Haïtiens en situation illégale depuis les États-Unis ont démarré. En dépit des restrictions budgétaires, nous voulons continuer à soutenir Haïti et sa population en 2025.
Je salue nos presque 1 000 compatriotes sur place, qui craignent pour leur sécurité, et je rends un hommage appuyé à notre ambassadeur et à ses équipes : célibat géographique, déplacement dans des véhicules blindés, évacuation des bureaux de l'ambassade. Leur courage et leur dévouement font honneur à la France. Je compte sur vous, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, pour les saluer. (Applaudissements)
Haïti vit l'une des pires crises de son histoire. Notre soutien doit être à la hauteur des liens qui unissent nos deux peuples. Cela passe par la préservation de nos moyens diplomatiques, de nos moyens de coopération sécuritaire et de notre aide publique au développement.
Plus que jamais, les Haïtiennes et les Haïtiens ont besoin du soutien de la France. Je resterai pleinement engagé sur le sujet et sais pouvoir compter sur votre mobilisation. (Applaudissements)
À la demande du groupe SER, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°261 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 334 |
Pour l'adoption | 332 |
Contre | 2 |
La proposition de résolution est adoptée.
(Applaudissements)
Accords en CMP
Mme la présidente. - Les commissions mixtes paritaires chargées d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic et de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République national anticriminalité organisée sont parvenues chacune à l'adoption d'un texte commun.
Modifications de l'ordre du jour
Mme la présidente. - Le Gouvernement demande le retrait de l'ordre du jour du lundi 5 mai de la proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle, et en conséquence le retrait de la suite de la proposition de loi sur la profession d'infirmier inscrite le mardi 6 mai, l'inscription en premier point de l'ordre du jour du mardi 6 mai d'une déclaration suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, portant sur la souveraineté énergétique de la France, l'inscription en deuxième point de l'ordre du jour du mardi 6 mai de la deuxième lecture de la proposition de loi portant reconnaissance par la nation et réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982, et en conséquence le retrait de la suite de cette deuxième lecture inscrite le mercredi 7 mai, et enfin l'inscription en deuxième point de l'ordre du jour du mercredi 7 mai de la suite éventuelle de la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé.
Acte en est donné.
Pour garantir la sincérité du débat public, quelle mise en oeuvre des politiques françaises et européennes de régulation des plateformes en ligne ?
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Pour garantir la sincérité du débat public, quelle mise en oeuvre des politiques françaises et européennes de régulation des plateformes en ligne ? », à la demande du GEST.
M. Thomas Dossus, pour le GEST . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Nous sommes à un moment charnière, où nos choix politiques ou notre apathie peuvent nous emporter dans une grande bascule ou provoquer le sursaut qui protégera nos démocraties.
Les démocraties telles qu'elles se sont développées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale sont menacées par les régimes autoritaires illibéraux ou impérialistes, qui voient en elles des entraves à leur expansion et d'insupportables contre-modèles.
Leur travail de sape passe par la manipulation du débat public. Rien de nouveau : la tolérance illimitée ne peut conduire qu'à la disparition de la tolérance, selon le paradoxe de Karl Popper.
Ces adversaires de la démocratie ont largement investi les outils qui avaient été pensés pour développer la liberté d'expression : les grandes plateformes numériques et les réseaux sociaux.
La déstabilisation du débat public a atteint l'échelle industrielle, car ces plateformes numériques sont désormais les espaces incontournables de nos relations sociales, de nos loisirs, de nos achats, et même de nos opinions. On dépend de Google pour chercher, de YouTube pour comprendre, de Facebook pour échanger, de TikTok ou de X pour s'informer - ou se désinformer. Ce sont les ingénieurs du chaos, comme les appelle Giuliano da Empoli. Ils accumulent les données et abusent des algorithmes pour diviser nos sociétés.
La Silicon Valley, comme la nation américaine, est construite sur de grands mythes, avec les grands patrons comme héros de légende et le mythe de la neutralité des plateformes. De nombreux décideurs, fascinés, ont laissé faire. Désormais, ces mythes se retournent contre nous.
Nous devons construire un regard critique sur ce capitalisme de la donnée et de la surveillance. Les plateformes orientent le débat public dans le sens de leurs intérêts. Ce que nous voyons sur nos écrans n'est pas un reflet neutre de l'opinion, mais un résultat arrangé et optimisé pour nous faire liker et consommer. Et ce n'est plus gratuit, nous payons avec nos données, nos comportements, notre attention. Le marché mondial de la publicité numérique pèse 600 milliards de dollars par an.
Au-delà de cette marchandisation de l'intime, c'est notre démocratie qui est fragilisée. L'ingérence des plateformes dans le débat public prend deux formes visibles. D'abord, la désinformation, via les fake news, qui ont pollué les élections américaines de 2016 et le référendum sur le Brexit. Les contenus les plus extrêmes ont été mis en avant. Mais l'Union européenne a réagi avec le Digital Services Act (DSA), que nous avons transposé dans la loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique.
Nos outils sont robustes, mais la loi ne vaut que si elle est appliquée avec rigueur. Il faut mettre fin à l'impunité numérique.
Deuxième forme d'ingérence, plus insidieuse : celle des algorithmes. Chaque plateforme décide à travers ses propres formules de ce que vous allez voir ou non. Les algorithmes façonnent le réel, créent des bulles, structurent des opinions, polarisent le débat.
Ils sont parfois délibérément utilisés pour influencer des processus électoraux ou déstabiliser des régimes. Voyez la Moldavie, la Géorgie ou les Balkans. Ne nous croyons pas à l'abri : la France, les États-Unis, toute l'Europe sont concernés.
Tout n'est pas fait dans l'ombre : le rachat de X par Elon Musk, au service de Donald Trump et des extrêmes droites européennes, se fait au su et au vu de tous. Il y avait une manipulation des algorithmes par des ingérences extérieures, désormais c'est le dirigeant lui-même qui manipule sa propre plateforme - fin de l'illusion de neutralité.
Avec le retour de la rhétorique toxique, toute régulation est vue comme une atteinte à la liberté d'expression. Or modérer les plateformes, ce n'est pas museler le peuple, contrairement à ce que pensent les trumpistes, mais préserver l'essence même de la démocratie.
Dans ce contexte, notre dépendance massive aux outils numériques, notamment américains, doit être remise en question.
Alors que faire ?
Sur la désinformation, le cap est clair. La France doit appliquer strictement le DSA, dès que les faits sont avérés. Il faut défendre bec et ongles notre souveraineté numérique. Chaque violation doit être sanctionnée, chaque manquement exposé publiquement.
Sur les algorithmes, beaucoup reste à faire. Certes, le DSA propose des outils, mais nous devons encourager les audits indépendants. Madame la ministre, nous voudrions vous entendre à ce sujet : nous avons besoin d'une capacité publique pour comprendre et contrôler ces outils.
La tâche est ardue, elle demande lucidité et détermination. Ce combat pour défendre le débat public n'est pas secondaire, il est central et urgent : c'est pour cela que nous ouvrons le débat aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du GEST, du RDSE, et des groupes CRCE-K, SER et INDEP.)
M. Vincent Louault . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Merci pour ce débat. J'évoquerai pour ma part la protection de nos enfants.
Que penser lorsque, malgré de nombreux textes, YouPorn est toujours accessible sans aucun contrôle parental ni contrôle d'âge ? Il faut une identité numérique fiable. J'attends toujours !
Que penser de ce qui est arrivé à Arthur, qui s'est pendu à 22 ans après un changement de genre effectué à 16 ans ? Ses parents ont clairement mis en cause les réseaux sociaux. La maison brûle, et nous regardons ailleurs - mais nous avons laissé les enfants dans la maison !
Que penser de l'inaction des pouvoirs publics qui n'ont jamais soutenu les scientifiques et les médecins qui ont dénoncé les vendeurs de tisanes anticancers et les fake news des antivax, et sont pour certains encore sous protection policière ?
En réalité, nous sommes totalement dépassés par ces interférences qui empêchent nos enfants de réfléchir librement. À nous, législateurs, de ne pas faiblir face au concept de pseudo-liberté d'expression. Nos enfants sont attaqués par des groupuscules de fanatiques. Mensonges et fake news sont véhiculés par des marchands de peur qui attaquent nos valeurs et nos institutions.
L'arsenal normatif de l'Union européenne sur les plateformes s'est étoffé. Le DSA oblige désormais les grandes plateformes à faire la lumière sur leur système de recommandation de contenu, à évaluer et à atténuer les risques qui découlent de leur utilisation. La Commission européenne a demandé à huit des principales plateformes de fournir des explications sur la prolifération des vidéos trompeuses générées par l'IA.
Les réseaux sociaux ne sont pas qu'une simple courroie de transmission. Nous devons responsabiliser et contraindre les plateformes qui voudraient se soustraire à leurs obligations. L'exercice est compliqué, car il faut répondre à deux exigences : l'identité numérique, pour protéger nos enfants, et la garantie d'une vraie traçabilité des informations.
Nous devons tout mettre en oeuvre en ce sens et instaurer de véritables moyens de contrôle et de véritables sanctions. Il y va de la qualité de nos débats et de la protection de notre démocratie. (Applaudissements)
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique. - Merci, monsieur Dossus, d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour.
La protection de nos enfants en ligne est une priorité de mon action. La question de l'accès aux contenus pour adultes, sur laquelle la France a été précurseur avec la loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (Sren), est fondamentale. L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) pourra mettre en demeure les sites ne respectant pas la procédure de vérification d'âge. C'est un processus long, mais important, car l'Union européenne regarde ce que nous avons fait en France à cet égard. Quant aux sites domiciliés hors de l'Union européenne, ils sont en sursis : dans trois mois, l'Arcom aura le même pouvoir sur tous les sites, qui pourront être sanctionnés, et même mis hors ligne.
J'entends une petite voix selon laquelle, dans le contexte actuel de guerre commerciale, la régulation du numérique pourrait être mise dans la balance des négociations. Je n'accepterai pas que le DSA et le DMA (Digital Markets Act) servent à un quelconque marchandage. En Europe, on respecte nos règles.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Très bien !
M. Patrick Chaize. - Je remercie nos collègues écologistes d'avoir inscrit ce sujet à l'ordre d'un jour.
Internet a apporté de nombreux bienfaits, en matière de lien social et d'accès aux connaissances. Mais le numérique, s'il est facteur de progrès, est aussi porteur de dangers. La communication est plus accessible que jamais, mais la désinformation et la manipulation menacent la sincérité du débat public. La régulation des plateformes en ligne et la promotion d'un environnement numérique sain sont essentielles pour garantir la qualité du débat démocratique.
Se pose aussi la question de l'anonymat. Je vous ferai des propositions dans quelques semaines à ce sujet, madame la ministre. Nous ne pouvons accepter plus longtemps cette protection à deux vitesses.
Pendant la crise sanitaire, les réseaux sociaux se sont fait la caisse de résonance des théories complotistes, voire de groupuscules qui cherchent à déstabiliser la démocratie représentative. On a vu les dangers qu'ils font peser sur les processus électoraux : lors des dernières élections américaines, la propagation de faits inexacts a atteint un niveau record. Une étude de la revue Science de 2018 démontre que les fausses informations se propagent sur les réseaux plus vite que les vraies, et plus largement ; une information fausse a 70 % de chances de plus d'être reprise qu'une information vraie !
Ces dérives sont facilitées par le mode de fonctionnement des plateformes, dont les recettes publicitaires sont proportionnelles au trafic généré par les utilisateurs, ce qui les incite à mettre en avant les contenus les plus virulents.
La désinformation va changer d'échelle avec l'IA générative, qui permet des trucages hyperréalistes qui touchent d'ores et déjà le monde politique - je vous renvoie à notre rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst).
La loi de 1881, qui fixe le cadre législatif pour l'exercice de la liberté d'expression, ne pouvait anticiper l'arrivée des réseaux sociaux. Notre droit a prévu certaines adaptations, comme la loi de novembre 2018 contre la manipulation de l'information qui impose aux plateformes de lutter contre les fake news, notamment pendant les campagnes électorales, prévoit des obligations de transparence sur les algorithmes et permet de signaler les contenus problématiques.
La réponse ne pouvait toutefois rester nationale, face à des géants du numérique aux capacités planétaires. Le DSA, applicable depuis le 17 février 2024, responsabilise les plateformes à travers de nombreuses mesures, graduées selon leur taille. Lorsqu'un signalement est effectué, l'accès au contenu illégal doit être rapidement bloqué. Les plateformes doivent rendre transparentes leurs décisions en matière de modération des contenus et proposer un système non fondé sur le profilage.
En France, le coordinateur national est l'Arcom. En cas de violation du DSA, la Commission européenne peut infliger des amendes allant jusqu'à 6 % du chiffre d'affaires mondial d'une plateforme, voire interdire l'activité sur le marché européen. Mais pour quelle efficacité ?
M. Vincent Louault. - Aucune !
M. Patrick Chaize. - Depuis l'application du DSA, seize enquêtes ont été ouvertes ; seule une, à l'encontre de TikTok, a conduit au retrait d'un programme. Le 18 décembre 2023, la Commission européenne a enclenché une procédure à l'encontre du réseau social X ; en juillet 2024, elle a estimé que X enfreignait ses obligations en matière de modération des contenus illégaux et de lutte contre la désinformation ; en juillet 2025, elle a annoncé des mesures techniques supplémentaires. Pour le moment, ses pouvoirs d'enquête et de contrôle semblent insuffisamment utilisés. La procédure doit suivre un long cheminement avant qu'une non-conformité soit prononcée. Madame la ministre, nous écouterons avec intérêt vos propos à ce sujet.
Plusieurs défis demeurent. D'abord, l'application effective des régulations : les plateformes doivent être tenues responsables de leurs actions. Mais cela nécessite des ressources, et une coopération entre États membres.
Ensuite, la transparence et l'impartialité des algorithmes : comment garantir que ces systèmes ne favorisent pas certaines voix ?
La sincérité du débat public dépend de la régulation des plateformes. Les politiques adoptées, françaises ou européennes, doivent être rigoureusement appliquées et adaptées aux évolutions technologiques. Nous devons veiller à ce que nos espaces de débat restent ouverts, diversifiés, sincères. La régulation des plateformes ne doit pas être perçue comme une censure, mais comme un moyen de faire prévaloir la vérité et la transparence. (Applaudissements)
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. - Nous sommes très vigilants sur l'application de la régulation européenne, qui ne saurait faire l'objet d'un quelconque marchandage - j'en ai fait une priorité.
J'ai réuni à Bercy les plateformes pour leur rappeler leurs obligations. J'ai aussi indiqué à la Commission européenne l'importance qu'attachait la France à l'aboutissement des enquêtes en cours. Si les plateformes ne sont pas en règle, les sanctions prévues par le DSA doivent être appliquées, quelle que soit leur nationalité.
L'article 50 du règlement sur l'IA est souvent montré du doigt, mais je suis très fière que les deep fakes soient interdits ! Il faut de la transparence dans les contenus : nous y veillerons.
Tout évolue très vite. J'ai demandé au réseau des régulateurs, prévu par la loi Sren, de nous faire des propositions pour voir s'il faut aller plus loin.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Très bien.
M. Patrick Chaize. - Merci, madame la ministre. Nous ne devons rien nous interdire : il faut être innovant, et tendre vers la protection de nos concitoyens et de nos enfants. (Mme Clara Chappaz hoche la tête.)
Mme Nicole Duranton . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP) La sincérité du débat public à l'ère numérique est un sujet crucial. Les plateformes occupent une place centrale dans nos vies ; elles représentent un espace d'échange mais aussi de manipulation. Des campagnes de désinformation sont menées pour influencer l'opinion publique, perturber les élections et déstabiliser nos sociétés. Je pense au démantèlement par Viginum du réseau Portal Kombat, qui donnait une image positive de l'invasion russe en Ukraine, mais aussi aux campagnes de désinformation lors des élections, aux États-Unis ou en Europe. La désinformation est grave, car elle sème la confusion chez les citoyens et fragilise notre démocratie.
Ces abus sont protégés par l'anonymat quasi absolu dont bénéficient les internautes. Certes, l'anonymat est une garantie de la liberté d'expression, mais aussi une protection pour ceux qui propagent la haine, la violence, la désinformation. Il faut un débat parlementaire complet sur les avantages et inconvénients de la fin de l'anonymat sur les réseaux sociaux. Certains individus diffusent des informations fausses ou haineuses sans aucun contrôle. Identifier les internautes permettrait aux forces de l'ordre et à la justice d'agir plus efficacement : internet serait ainsi un espace plus sûr.
Cela dit, imposer le dévoilement des identités en ligne pourrait conduire à instaurer un climat de surveillance et de censure.
Jusqu'où protéger la liberté d'expression, poussée à l'extrême sur le réseau X depuis qu'il a été racheté par Elon Musk ? La question se pose de la légitimité des propriétaires de plateformes, qui outrepassent les réglementations.
Nous devons mieux réguler les plateformes, dans leur globalité. L'Union européenne a déjà entrepris plusieurs démarches en ce sens. Le DSA impose une série d'obligations en matière de modération, de transparence et de coopération avec les autorités de régulation. Le DMA renforce la compétitivité des marchés numériques, en luttant contre les pratiques anticoncurrentielles.
En France, la loi de 2018 impose aux plateformes de vérifier la véracité de l'information diffusée en période électorale : c'est nécessaire, mais insuffisant.
Il faut mieux protéger les utilisateurs des abus. Ce n'est qu'avec une régulation équilibrée, qui préserve la liberté d'expression tout en garantissant la responsabilité des utilisateurs, que nous pourrons assurer un espace numérique où chacun pourra s'exprimer librement tout en respectant les droits et la dignité des autres. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP)
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. - L'anonymat n'est pas gage d'impunité, et ce qui est interdit hors ligne l'est aussi en ligne. Ce n'est pas le Far West ! Les cas de cyberharcèlement ont donné lieu à des peines importantes : il faut le faire savoir. Nous savons tracer les personnes derrière les pseudos. Les auteurs ne resteront jamais impunis.
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP) Merci au groupe GEST pour ce débat essentiel.
Comment faire en sorte que les plateformes respectent les principes fondamentaux de notre modèle républicain et démocratique ?
Plateformes et réseaux sociaux occupent une place prépondérante dans nos vies. Ils ont à présent des relais politiques dans les courants illibéraux qui contestent les principes de l'expression pluraliste.
Dans ce contexte, laisser l'organisation du débat public à des acteurs privés, qui privilégient la polarisation, est risqué.
La commission d'enquête, conduite par Dominique de Legge et Rachid Temal a montré notre vulnérabilité aux ingérences étrangères. Nos collègues proposent de reconnaître le rôle actif des plateformes en les requalifiant comme acteurs éditoriaux responsables, ce qui ouvre la voie à une responsabilité juridique.
Trop longtemps, nous avons fait confiance aux géants de la Tech. Depuis le rachat de Twitter par Elon Musk, sous couvert de liberté d'expression, des comptes sanctionnés pour incitation à la haine ont été rétablis. Les mineurs sont exposés à des contenus anxiogènes, sexualisés ou dangereux. Pire, les algorithmes de recommandation les enferment dans des boucles de contenus addictifs, délétères pour leur santé mentale.
La modération est très insuffisante, selon le rapport 2023 de l'Arcom ; la pratique de retrait des contenus haineux est incohérente.
L'information de l'opinion suppose un socle commun de vérité. Il est urgent de définir une doctrine nationale et d'articuler la coopération entre les services de renseignement et les régulateurs.
Les plateformes ne sauraient être considérées comme de simples hébergeurs techniques : le DSA est un progrès en la matière.
Dès qu'un système de recommandation favorise les contenus les plus polarisants, il faut sanctionner, sans céder à la facilité - je pense à la loi Avia, dont la disposition phare a été censurée en 2020.
Nous devons garantir un droit d'accès aux mécanismes de construction de ces algorithmes, pour donner du sens à la régulation.
Enfin, nous avons besoin d'une autorité de régulation dotée de moyens réels et dont les recommandations soient contraignantes. Il faut défendre le modèle de l'Arcom. Il serait de bon ton que les décideurs politiques respectent les décisions des régulateurs. (Applaudissements)
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. - Face à ces grandes plateformes, que d'aucuns ont qualifiées de prédateurs, nous devons répondre en Européens : avec 450 millions d'habitants, nous pesons lourd !
Le DSA est relativement nouveau : il vise à responsabiliser les plateformes. Je veillerai à ce que les enquêtes aillent à leur terme, et aient des conséquences réelles pour les plateformes.
Merci pour votre vigilance et pour les pistes que vous suggérez.
Mme Catherine Morin-Desailly . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, M. Thomas Dossus applaudit également.) L'arrivée d'internet devait révolutionner les communications, ouvrir l'accès à la connaissance, faire progresser le débat public. L'enthousiasme est retombé et le mythe a été brisé, depuis les révélations d'Edouard Snowden de 2014 sur l'espionnage massif rendu possible par des portes dérobées sur les réseaux.
À l'époque, le groupe UC avait réagi et soutenu ma proposition d'une mission d'information sur la gouvernance d'internet, qui a abouti à cinquante propositions. Seuls le règlement général sur la protection des données (RGPD) et la réforme du renseignement furent rapidement mis en place. Pour le reste, il aura fallu attendre l'affaire Cambridge Analytica en 2018, qui a révélé la manipulation de millions de comptes Facebook par les Russes pour influencer le vote en faveur de Trump ou du Brexit.
Depuis, internet est le nouveau terrain d'affrontement mondial, théâtre de cyberattaques, terreau pour la guerre informationnelle et les ingérences. Cible de tentatives de manipulations électorales en Moldavie ou en Roumanie, l'Europe est désormais prise en tenailles entre la Russie, la Chine et les États-Unis.
Les propriétaires de plateformes ne se gênent pas pour modifier leur algorithme et faire ouvertement campagne pour l'extrême droite. Ils ont un projet politique et préemptent le débat public pour façonner le monde selon leurs intérêts. Une stratégie du chaos est à l'oeuvre. La commission d'enquête sur TikTok a révélé que la Chine nous menait une véritable guerre cognitive, abrutissant nos enfants via un algorithme addictif tout en protégeant les siens.
L'intelligence artificielle amplifie encore les menaces, les hypertrucages prolifèrent. Demain, les chatbots se substitueront aux moteurs de recherche, en éditant les vérités qu'ils voudront.
Oui, bien sûr, l'Union européenne a fini par légiférer avec le DSA et le DMA, transposés dans la loi Sren.
Mais nos dépendances à ces technologies extra-européennes sont devenues très dangereuses, nous l'avons dit avec force avec Florence Blatrix Contat dans le cadre de nos travaux pour la commission des affaires européennes. Depuis trente ans, nous avons failli à développer des outils garantissant notre souveraineté et nos modèles de société. À force de ne penser qu'aux usages et non aux acteurs, on a laissé ces plateformes devenir des monstres : Google et Meta représentent 60 % du marché publicitaire mondial. (M. Pierre Ouzoulias renchérit.)
Nous appelons à la création d'outils souverains nouvelle génération, fondés sur des modèles économiques éthiques. Nous demandons la stricte application des règles européennes de modération des contenus et de transparence, n'en déplaise à MM. Musk et Zuckerberg.
La Commission européenne ne doit ni reculer ni trembler : les dispositions du DSA doivent être pleinement exploitées. La DG Connect doit inspecter les locaux des plateformes. Les chercheurs indépendants doivent accéder aux données des plateformes. Les manquements doivent être sanctionnés, quitte à suspendre les réseaux.
En réalité, il faudrait déjà réviser le DSA : il n'est pas normal que la Commission européenne ne soit pas contrainte à un délai pour les enquêtes, comme dans le DMA, et que les autorités de contrôle nationales, comme l'Arcom, ne soient pas plus étroitement associées.
Des normes éthiques minimales doivent être intégrées aux algorithmes de recommandation dès leur conception. Les états généraux de l'information réclament leur diversité, pour pouvoir choisir et non subir. La transparence doit être totale.
Mais le véritable sujet, c'est le statut de ces plateformes : elles ne sont pas simplement des hébergeurs, mais des éditeurs, responsables des dérives. Nous proposons de créer un Viginum européen, inspiré du Viginum français, qui est sollicité dans le monde entier. Tout cela devait être pris en compte dans le bouclier démocratique annoncé par la Commission européenne.
Je suis scandalisée par la manière dont le règlement IA est finalisé : Reporters sans frontières vient de claquer la porte des négociations, faute de mention - sous pression des Américains - du droit à l'information. Les droits fondamentaux comme l'intégrité des élections démocratiques seront relégués en annexe...
La survie de nos démocraties et la sincérité du débat public passent par la viabilité de nos médias, or la presse est menacée de destruction. L'opacité est totale sur les revenus engrangés par les plateformes, et la part de rémunération due sous forme de droits voisins paraît aléatoire. S'ajoute la prédation des contenus pour entraîner les modèles d'IA générative.
M. Pierre Ouzoulias. - Absolument !
Mme Catherine Morin-Desailly. - La Commission européenne doit réagir et investir massivement dans de nouveaux outils : cela participe du réarmement, du combat contre la propagande russe. Ainsi, Arte n'a pas les moyens de se développer en Moldavie, pourtant demandeuse.
Arte et France Médias Monde font pourtant un travail indispensable, alors que Donald Trump démantèle l'audiovisuel public extérieur américain et prive de financement Radio Free Europe, première ligne de défense informationnelle en Géorgie ou en Azerbaïdjan. La France soutiendra-t-elle Radio Free Europe, comme d'autres États membres ?
Pour assurer un débat public sincère, il faut que nos concitoyens soient formés dès le plus jeune âge à ces enjeux. J'ai écrit au Premier ministre avec Olivier Cadic pour que la montée en compétences numérique de tous devienne grande cause nationale en 2026. Pourrions-nous la porter ensemble ? (Applaudissements)
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien !
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. - Merci pour le travail que vous menez depuis des années sur ces questions.
L'engagement à respecter un délai maximum dans le cadre des enquêtes DSA est une très bonne idée.
Je plaide activement pour un Viginum européen. Les travaux sur le règlement IA doivent aboutir. Avec la ministre de la culture, nous avons lancé une grande concertation pour avancer dans le dialogue.
Oui, l'Union européenne doit être aux côtés de Radio Free Europe.
Toutefois, la vraie question est celle de notre souveraineté numérique. Nous devons sortir de notre situation de dépendance numérique. Dans le contexte géopolitique actuel, cette question est au coeur de l'agenda d'autonomie stratégique que porte le Président de la République. La seule réponse, c'est l'innovation. Nous l'avons souligné ce matin, autour du Premier ministre, lors du comité interministériel pour l'innovation. Ne freinons pas nos dépenses pour l'avenir : c'est en innovant et en offrant des alternatives que nous serons souverains.
M. Pierre Ouzoulias . - Avec Laure Darcos et Agnès Evren, je travaille à un rapport d'information sur les rapports entre intelligence artificielle et création ; je les associe à mon intervention, tout en assumant l'entière responsabilité de mes propos.
Je souscris à l'analyse de Catherine Morin-Desailly, en particulier à ses craintes pour l'avenir de la presse indépendante, pilier de la démocratie. Plus largement, ce sont toutes les productions de l'esprit qui sont pillées sans vergogne par les plateformes numériques, au mépris du droit des journaux et de la propriété intellectuelle des auteurs. Littérature, science, cinéma : rien n'échappe à la rapacité des plateformes, la même qui pousse Trump à vouloir s'emparer des terres rares en Ukraine. Nous sommes entrés dans l'économie de la rapine.
Face à ce pillage des ressources de l'esprit et alors que les Gafam, après avoir porté Trump au pouvoir, entendent recueillir le bénéfice de leur investissement, nous devons défendre la presse et la propriété intellectuelle. Dans un mémorandum récent, OpenAI demande à l'administration américaine de tout mettre en oeuvre pour en finir avec la propriété intellectuelle en Europe... L'enjeu est civilisationnel.
Dans le bras de fer engagé avec les États-Unis sur les droits de douane, que pèseront les droits des auteurs par rapport aux intérêts immenses des constructeurs automobiles ? Bien peu, j'en ai peur. Reste que les États-Unis dégagent un excédent de 137 milliards d'euros dans le domaine des services, en particulier numériques. Nous avons là un véritable moyen de pression pour défendre la propriété intellectuelle et l'exception culturelle française.
Dans cette négociation, comment la France entend-elle mener ce combat ? Il s'agit de défendre ce que nous avons créé avec Beaumarchais à la fin du XVIIIe siècle. (Applaudissements)
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. - Je suis particulièrement soucieuse de défendre les droits d'auteur. Lors du Sommet pour l'action sur l'IA, le Président de la République a dit y être également attaché.
L'enjeu de l'innovation est crucial. Nous devons innover en Européens pour construire des technologies fidèles à nos valeurs et notre culture.
Avec Rachida Dati, j'ai lancé une grande consultation sur la question des droits d'auteur à l'ère de l'IA. Là aussi, il s'agit d'innover pour créer des modèles en accord avec nos principes. Le droit d'auteur n'est pas extraterritorial, et il faut trouver un juste équilibre.
M. Pierre Ouzoulias . - Votre réponse m'inquiète beaucoup. Je pose une question politique de fond et vous me répondez technologie. Mais la réponse ne sera pas technologique. Je le dis comme un paysan corrézien : mordez les mollets des Gafam ! Le pillage auquel ils se livrent est illégal. Vous devriez être la première à défendre le droit d'auteur.
Lors du Comité de l'IA générative, il a été question de réformer la législation française pour mieux défendre les droits d'auteur. Êtes-vous prête à avancer dans ce sens ? (M. Vincent Louault félicite l'orateur ; Mme Clara Chappaz regrette de ne pouvoir répondre.)
M. Guillaume Gontard . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Notre groupe et la plupart de ses membres ont choisi de quitter ou de mettre en sommeil leur activité sur X. Nous avons vu, lors de la récente campagne législative allemande, combien cette plateforme contribue à la propagation d'opinions d'extrême droite. Pourtant, la manipulation des algorithmes et la multiplication des bots violent frontalement le DSA, dont l'application aurait pu permettre de suspendre X en Allemagne le temps de la campagne.
Le problème de sincérité et d'équité est évident. Le tropisme d'extrême droite de cette plateforme menace la vérité des faits. Une étude colossale de la presse néerlandaise portant sur 32 millions de tweets émanant de 8 000 parlementaires de vingt-six pays l'a montré : le populisme de droite radicale est le principal facteur de désinformation. L'équivalence est simple : « extrême droite » égal « fake news ».
La France n'est d'ailleurs pas épargnée. Le ministre de l'intérieur a refusé de démentir les chiffres faux qu'il avait donnés sur la fusillade de Poitiers, en novembre dernier, expliquant que son combat n'est pas statistique...
Comme le dit Maria Ressa, prix Nobel de la paix, si on laisse les mensonges se propager plus vite que les faits, notre réalité partagée se brisera et la démocratie deviendra impossible. Le défi est existentiel.
Le DSA est une première pierre essentielle pour protéger notre sphère publique : il empêche notamment Meta de renoncer à contrôler les contenus en Europe. Mais la démission fracassante de Thierry Breton nous inquiète. Nous devons continuer à être intransigeants avec les géants de la tech.
C'est l'identité même de l'Union européenne de casser l'oligopole de fait des Gafam, qui tue la concurrence, menace la neutralité du net et entrave l'autonomie stratégique européenne. Nous devons renforcer la réglementation, exiger une modération humaine, assurer la transparence des algorithmes et encadrer strictement les bots.
Il faut également favoriser la création de plateformes numériques européennes disposant de leurs propres algorithmes et transparentes sur leurs codes, pour permettre un contrôle des autorités de régulation comme des citoyens, sur le modèle de Wikipédia. Elles seraient, idéalement, non lucratives.
L'Union européenne peut et doit être la colonne vertébrale du développement de ces plateformes. En attendant, j'invite les membres du Gouvernement et toutes les institutions publiques à investir les plateformes qui existent, comme celle au papillon bleu, sinon à la place de X, du moins en complément de celle-ci. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. - Nous serons très attentifs à ce que les enquêtes menées au titre du DSA aillent à leur terme et à ce que les plateformes respectent leurs obligations.
Contrairement à ce qu'on entend parfois, le DSA n'est pas une régulation contre la liberté d'expression. Il a été voté de façon transpartisane. Le principe est simple : les plateformes sont responsables de leurs contenus, et ce qui est illicite hors ligne doit l'être aussi en ligne.
Des enquêtes sont en cours, que je ne commenterai pas. Mais si des entreprises sont en défaut, elles devront être sanctionnées.
J'ai demandé l'appui du service d'information du Gouvernement pour que nous disposions d'outils de multiposting, afin de nous adresser à nos concitoyens partout où ils sont.
Mme Florence Blatrix Contat . - (MM. Patrick Chaize et Vincent Louault applaudissent.) L'avènement d'internet portait une promesse d'émancipation par la connaissance et d'éclosion d'une intelligence collective. Las, cette vision s'est obscurcie, cédant la place à un enfermement dans l'espace numérique.
Le temps passé par les utilisateurs sur les plateformes est maximisé dans le cadre d'un modèle marchand fondé sur la captation de l'attention. Cette logique favorise les contenus sensationnels, polémiques et parfois fallacieux ; elle exacerbe la désinformation et la polarisation en enfermant les utilisateurs dans des bulles de filtres.
Ces plateformes acquièrent ainsi un pouvoir de manipulation inédit, et leurs algorithmes deviennent de véritables leviers de contrôle, au service d'intérêts commerciaux mais aussi d'ambitions étatiques - voyez les ingérences étrangères dans la récente campagne électorale en Roumanie. La sincérité du débat démocratique est en péril.
L'Union européenne a fait le choix de la régulation, avec le RGPD puis le DMA et le DSA. Mais l'efficacité de ce cadre réglementaire dépend de sa mise en oeuvre rigoureuse, rapide et uniforme. Or la prudence relative de la Commission européenne, visiblement soucieuse de ne pas froisser la Maison Blanche, interroge. Elle se traduit par la lenteur des enquêtes, mais aussi le report des sanctions contre Apple et Meta au titre du DMA. La Commission n'est pas à la hauteur des enjeux.
Le groupe socialiste a déposé une proposition de résolution européenne, dont je suis la rapporteure avec Mme Morin-Desailly, appelant à l'application pleine et entière de la réglementation numérique européenne, y compris à d'éventuelles suspension de services en cas de crise. N'est-il pas paradoxal que, au moment où les États-Unis frappent nos industries, l'Europe s'autocensure dans l'application de ses règles en matière numérique ? (M. Pierre Ouzoulias et Mme Catherine Morin-Desailly renchérissent.)
Pour garantir la sincérité du débat public face aux ingérences et aux manipulations, il faut renforcer notre régulation et le rôle des autorités nationales dans la mise en oeuvre du DSA, créer un réseau européen inspiré de Viginum, mais aussi réformer le régime de responsabilité des plateformes, qui doivent être soumises à des obligations comparables à celles des éditeurs.
La portabilité des données et l'interopérabilité entre plateformes doivent également être garanties. (M. Pierre Ouzoulias renchérit.)
Pour les géants du numérique, les amendes sont considérées comme de simples taxes et intégrées à leur modèle économique. (Mme Catherine Morin-Desailly acquiesce.) C'est le techno-féodalisme dénoncé par Yánis Varoufákis et Cédric Durand, dans lequel des entreprises privées s'érigent en nouveaux seigneurs économiques, captant la richesse produite par le travail gratuit de leurs utilisateurs.
Quelles initiatives la France compte-t-elle prendre pour lutter contre les abus de position dominante ? À quand un bilan d'étape de l'application de la loi Sren ?
Pour préserver notre débat public et bâtir une souveraineté numérique européenne, nous devons créer nos propres plateformes, soutenues par l'investissement public.
M. Pierre Ouzoulias. - Beau programme !
Mme Florence Blatrix Contat. - L'Europe regorge d'entreprises talentueuses : nous devons les soutenir. Investissons pour ne pas rester dépendants de solutions venues d'ailleurs et échapper à la trappe à médiocrité technologique.
Cela suppose un changement d'échelle. Le numérique doit devenir une priorité budgétaire, notamment dans le prochain cadre financier pluriannuel européen. La commande publique doit aussi être réformée, au service de nos acteurs, via la règle de préférence européenne.
Partagez-vous cette ambition d'accompagner l'émergence de nouvelles plateformes européennes ? Quelles initiatives concrètes comptez-vous prendre en ce sens ?
Pour sauver la promesse initiale du numérique, réaffirmons la primauté de l'intérêt général sur les logiques mercantiles et investissons dans des infrastructures numériques souveraines (Applaudissements)
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. - Non, l'Europe ne s'autocensure pas. La France est très ferme sur ce point, mais je puis vous assurer qu'un très grand nombre de mes homologues le sont aussi. Nous ne fléchirons pas sur le respect des réglementations ambitieuses que nous avons adoptées.
Vous avez raison : la commande publique doit être un levier. La présidente von der Leyen a parlé de préférence européenne en début d'année. Nous devons accélérer pour nous défaire de nos dépendances.
Mme la présidente. - Veuillez poursuivre, pour votre conclusion.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l'intelligence artificielle et du numérique . - Je vous remercie pour la richesse de nos échanges sur ce sujet fondamental, compte tenu de la place qu'a prise le numérique dans la vie de nos concitoyens.
La sincérité du débat public dans l'espace numérique est l'un des principaux défis de notre époque, le numérique étant devenu pour nombre de nos concitoyens le premier lieu d'information et, hélas, de désinformation. Ce bien commun qu'est notre démocratie est mis à l'épreuve dans les agoras numériques. Nous devons le défendre en Européens, fidèles à nos valeurs.
Le numérique offre de formidables opportunités : avancées scientifiques, émancipation... Mais je ne suis pas ambassadrice du numérique et de l'IA ; je suis ministre. Il est de notre responsabilité collective de regarder en face les défis qui se posent, pour que le numérique soit un outil de progrès et d'émancipation.
Alors que les plateformes influencent nos choix et parfois nos élections et qu'elles font trop souvent la part belle aux contenus trompeurs, la santé de notre démocratie ne doit pas dépendre d'algorithmes favorisant les contenus polarisants et outranciers. Hélas, la recherche de viralité remplace fréquemment celle de la véracité, et l'irruption de l'IA générative accentue ce phénomène.
La France et l'Union européenne n'ont pas attendu pour agir. Nous avons instauré un cadre, qui n'est pas une arme commerciale ou contre la liberté d'expression ; il est conforme à nos valeurs. Je pense à la création de Viginum, dont l'action est largement saluée, et à la loi Sren qui donne à l'Arcom de nouveaux pouvoirs d'injonction. Je pense aussi au développement de l'éducation aux médias et à l'information. À cet égard, j'entends la proposition de Catherine Morin-Desailly : la question des compétences numériques est cruciale.
En Europe aussi, nous nous sommes dotés d'un arsenal ambitieux : je veillerai à le faire respecter. On entend souvent dire que l'Europe régule, tandis que d'autres innovent. Il s'agit simplement de construire des technologies qui respectent nos valeurs : nous ne voulons pas, par exemple, que l'IA serve à déterminer l'orientation sexuelle des individus, ni qu'elle soit un outil de notation sociale.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
Mme Clara Chappaz, ministre déléguée. - La protection des plus vulnérables, à commencer par les mineurs, est une priorité : ne nous interdisons pas d'interdire l'accès aux réseaux sociaux avant 15 ans.
M. Thomas Dossus, pour le GEST . - (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe CRCE-K) Je remercie la ministre pour ses réponses et nos collègues pour leurs interventions. Nous nous retrouvons en grande partie sur les constats et les solutions.
Nous attendons une détermination sans faille de l'Europe et du Gouvernement. J'ai bien entendu que le DMA et le DSA ne feraient pas l'objet de marchandages : c'est heureux, et nous espérons que vous tiendrez bon.
Merci d'avoir rappelé qu'il n'y a pas d'impunité en ligne. Votre soutien à un Viginum européen est bienvenu.
Oui, la France doit être le fer de lance de la lutte pour préserver nos sociétés multiculturelles, la démocratie et les libertés publiques. Nous devons nous prémunir contre l'avènement d'une société d'algorithmes, dans laquelle des décisions lourdes seraient prises sans transparence ni humanité.
Or, dans nos services publics, des algorithmes sont déjà utilisés pour détecter les fraudes, traquer les chômeurs ou hiérarchiser les urgences. Dix associations ont saisi le Conseil d'État pour souligner les dysfonctionnements de la plateforme Administration numérique pour les étrangers en France (Anef), qu'elles supposent volontaires, destinés à compliquer le parcours des demandeurs d'asile. Nous devons refuser cette vision du numérique, contraire à nos libertés. Ne laissons pas notre pays dériver vers ce que fait Elon Musk avec son Doge !
Il faut remettre de la transparence et des règles collectives dans le secteur, comme par le passé dans la presse ou pour les campagnes électorales. La solution est politique et non technophobe : comme l'a dit Catherine Morin-Desailly, nous devons construire nos propres infrastructures, dans le cadre d'un écosystème européen en phase avec nos valeurs.
Nos démocraties sont mortelles, mais elles sont aussi douées de résilience. Face aux ingénieurs du chaos, soyons des ingénieurs de démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et du GEST)
Prochaine séance, lundi 28 avril 2025, à 15 heures.
La séance est levée à 17 h 35.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du lundi 28 avril 2025
Séance publique
À 15 heures
Présidence : M. Didier Mandellli, vice-président
Secrétaires : Mme Sonia de La Provôté, M. Guy Benarroche
1. Sous réserve de leur dépôt, conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic (demande du Gouvernement)
2. Explications de vote puis vote sur la proposition de loi relative à la restitution d'un bien culturel à la République de Côte d'Ivoire, présentée par M. Laurent Lafon et plusieurs de ses collègues (procédure accélérée) (texte de la commission, n°530, 2024-2025) (demande de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport)
3. Débat sur l'intelligence artificielle (demande de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et de la délégation à la prospective)
4. Débat sur le thème : « Comment relancer le fret ferroviaire ? » (demande du groupe CRCE-K)