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Table des matières
Déclaration du Gouvernement sur la souveraineté énergétique de la France
M. François Bayrou, Premier ministre
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie
Personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 (Deuxième lecture)
M. Francis Szpiner, rapporteur de la commission des lois
Intitulé de la proposition de loi
Sécurité des professionnels de santé (Procédure accélérée)
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure de la commission des lois
Ordre du jour du mercredi 7 mai 2025
SÉANCE
du mardi 6 mai 2025
85e séance de la session ordinaire 2024-2025
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : M. Jean-Michel Arnaud, M. Bernard Buis.
La séance est ouverte à 14 h 30.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Accords en CMP
M. le président. - Les commissions mixtes paritaires chargées d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi renforçant la lutte contre les fraudes aux aides publiques et de la proposition de loi visant à aménager le code de la justice pénale des mineurs et certains dispositifs relatifs à la responsabilité parentale sont parvenues chacune à l'adoption d'un texte commun.
Déclaration du Gouvernement sur la souveraineté énergétique de la France
M. le président. - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, sur la souveraineté énergétique de la France.
M. François Bayrou, Premier ministre . - (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP, ainsi que sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains) La question de la souveraineté énergétique est celle de notre indépendance.
Aujourd'hui, nous sommes en situation de dépendance : 60 % de l'énergie que nous consommons provient des énergies fossiles que nous importons - 40 % du pétrole, 20 % du gaz.
Cela pose un problème géopolitique, d'abord, en entraînant une dépendance et une vulnérabilité stratégiques vis-à-vis de pays producteurs comme l'Arabie saoudite, la Russie et les États-Unis.
Un problème écologique, ensuite, car ces 1 000 térawattheures (TWh) émettent 280 millions de tonnes de CO2, ce qui entre en contradiction avec nos engagements à atteindre la neutralité carbone en 2050.
Un problème financier, enfin : notre déficit commercial s'élève à 100 milliards d'euros, dont la moitié pour les hydrocarbures.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - C'est vrai !
M. François Bayrou, Premier ministre. - Nous sommes dans un état d'urgence énergétique.
Bonne nouvelle, il existe une stratégie pour sortir de cette impasse. Nous disposons des ressources et maîtrisons les technologies nécessaires.
La question est celle de l'équilibre de notre politique énergétique. Quelles sources d'énergie mobiliser ? Quel choix de mix énergétique ? C'est là que s'ouvre notre débat.
Un mot sur la méthode : la précédente programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) date d'avril 2020 ; la loi prévoit une révision tous les cinq ans. Au-delà de la loi, les faits commandent de la réviser, car l'état du monde renverse les anciennes doctrines. Comment continuer comme si de rien n'était, alors que le texte de 2020 prévoyait de fermer quatorze réacteurs nucléaires et qu'à Belfort, en février 2022, le Président de la République annonçait en créer quatorze nouveaux ? Mesure-t-on à quel point le monde a changé en cinq années ?
En juillet dernier, la commission d'enquête sénatoriale sur l'électricité a souligné la nécessité de relancer le nucléaire. Nous devons assurer notre propre équilibre énergétique, éclairés par les neuf autorités compétentes, auxquelles nous ajoutons l'Académie des sciences.
Cet équilibre doit également être défini avec les forces politiques, sociales et économiques de notre pays. Deux concertations ont déjà eu lieu, en 2023 et 2024, une consultation début 2025. Maintenant, le Gouvernement souhaite écouter la représentation nationale. Lundi dernier, un débat s'est tenu à l'Assemblée nationale. Au tour du Sénat cet après-midi. Le Gouvernement s'engage à prendre en compte chaque avis, chaque observation. J'ai annoncé le lancement d'un groupe de travail parlementaire sur la PPE et demandé à Daniel Gremillet et au député Antoine Armand d'en assurer la conduite.
La publication du décret interviendra après l'examen de la proposition de loi Gremillet à l'Assemblée nationale. Je salue le travail du Sénat, qui a abouti à un texte portant une programmation ambitieuse mais réaliste, visant la souveraineté et la neutralité carbone.
Le Gouvernement n'a rien à imposer dans ce débat. Cette PPE n'est pas écrite à l'avance. Toutes les analyses seront prises en compte avant sa rédaction finale - tel était votre souhait, monsieur le Président.
Le Gouvernement souhaite avant tout un retour à la raison énergétique et budgétaire, qui s'appuie sur la science et les faits. Nous ne pouvons nous permettre de faire de mauvais placements. Nos choix d'investissement doivent s'inscrire dans une stratégie claire et durable, suivant les quatre critères exposés lors du discours de Belfort : une énergie abondante, compétitive, décarbonée et souveraine.
Pour sortir de notre dépendance aux énergies fossiles, trois moyens. Premièrement, nous devons encourager l'efficacité et la sobriété énergétiques. Le kilowattheure (KWh) le plus sobre et le moins cher est celui qui est économisé. La PPE vise une baisse de la consommation en énergie finale de 38 TWh par an sur la période 2024-2030, par une meilleure efficacité énergétique.
D'autre part, nous devons accroître l'électrification des usages, tant pour les foyers, la mobilité que l'industrie. Nous n'explorons pas assez certaines technologies : la chaleur renouvelable issue de la biomasse, mais aussi la géothermie, gisement inépuisable et potentiellement gratuit à terme, qui permet d'économiser 80 % pour le chauffage et 90 % pour la climatisation. Le Gouvernement veut accélérer le développement de ce mode non polluant. Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) estime à 100 TWh annuels le potentiel d'économies de gaz grâce à la géothermie de surface, soit environ 20 % de la production de nos centrales nucléaires. Nous sommes assis - ou plutôt debout - sur un trésor !
J'ai moi-même proposé des études sur le sujet lorsque j'étais haut-commissaire au plan. Je ne suis pas seul : Rémi Cardon a publié l'an dernier pour la Fondation Jean-Jaurès une note sur la réindustrialisation, dans laquelle il encourage le développement de cette énergie. « Aucune autre vision territorialisée de la réindustrialisation ne saurait mieux s'incarner qu'à travers la géothermie », écrit-il. Je souscris à cette vision.
Toutefois, il faut remplir des conditions pour saisir cette chance. Le Gouvernement formulera en juin des propositions pour soutenir la filière française de forage - nous ne formons pas assez de foreurs -, de production et d'installation des pompes à chaleur. Il faut aussi trouver des modèles de financement efficaces facilitant l'installation des pompes à chaleur dans les foyers français, à des coûts moins prohibitifs.
Toutes ces actions complémentaires réduiront notre dépendance aux énergies fossiles. L'électricité décarbonée prendra progressivement la place du gaz et du pétrole.
La production d'électricité a triplé entre 1973 et 2010, mais elle ne représente encore que 27 % de l'énergie finale consommée. L'Académie des sciences a noté une stagnation de notre consommation d'électricité depuis 2010, autour de 450 TWh.
Nous devons poursuivre l'électrification de notre industrie, nos transports et du bâtiment. Dans le secteur industriel, des trajectoires sont engagées pour décarboner les cinquante sites les plus émetteurs de dioxyde de carbone, avec un soutien public fort via France 2030.
Il est dans l'intérêt des industriels de disposer d'une électricité compétitive, et dans l'intérêt d'EDF d'encourager cette demande adaptée à son outil de production nucléaire. Tout le pays bénéficiera de cet accord gagnant-gagnant, essentiel à notre réindustrialisation.
Dans le secteur des transports, le bonus, le leasing social, les incitations à l'électrification des flottes d'entreprises stimuleront la demande de véhicules électriques fabriqués en Europe.
Dans le bâtiment, grâce à MaPrimeRénov' et aux certificats d'économies d'énergie (C2E), le Gouvernement encourage le passage aux pompes à chaleur, souvent fabriquées en France.
Si la production devait augmenter plus vite que la demande, l'exportation fournira un débouché : la surproduction est un mal moindre que la sous-production, vu le déficit de notre balance commerciale.
Chaque source d'électricité doit être jugée objectivement, à l'aune des critères énoncés : souveraine, abondante, compétitive, décarbonée ? Si la réponse est oui, nous devons investir. Si non, nous devons remettre en cause nos choix.
Je relève une convergence entre les orientations du Gouvernement et celles de la proposition de loi Gremillet. (On renchérit sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Fabien Gay ironise.)
Première conviction commune : le nucléaire doit être le socle de notre mix électrique. Il remplit tous les critères. C'est grâce au nucléaire que la France est la première exportatrice d'électricité en Europe en 2023, que notre système électrique actuel a l'un des taux de CO2 par kilowattheure le plus bas au monde : 21,3 grammes, contre 350 grammes pour nos voisins allemands, qui se sont privés de cet atout.
La France a développé une filière industrielle nationale complète : nous maîtrisons toutes les étapes, de la conception au recyclage. Le nucléaire permet à la France d'être indépendante et souveraine.
Nous n'avons plus de mines actives, mais disposons de stocks d'uranium pour plusieurs années. Le Conseil de politique nucléaire a validé une stratégie de développement des activités minières d'Orano.
La Commission de régulation de l'énergie (CRE) estime le coût complet de l'électricité nucléaire à 60 euros le MWh, ce qui est particulièrement compétitif par rapport aux autres moyens de production.
Tout cela justifie les investissements en faveur de cette filière et de sa relance.
Mais nous ne saurions nous reposer sur des investissements réalisés si judicieusement dans les années 1970, dans le cadre du plan Messmer. Si nous ne faisons rien, un abîme risque de s'ouvrir sous nos pieds. L'essentiel du parc a été mis en service entre 1980 et 1995 ; ses capacités de production pourraient s'arrêter d'ici 2040, avec un effet falaise brutal. Pour le lisser, nous devons prolonger notre parc nucléaire à 60 ans, voire au-delà, en respectant les exigences de sûreté.
Nous devons aussi préparer l'avenir et investir dans le nouveau nucléaire français. Le Gouvernement soutient le programme EPR2 qui vise à construire six nouveaux réacteurs de forte puissance, pour une mise en service d'ici 2038. Ces réacteurs seront plus coûteux, mais ils produiront une électricité à 100 euros le MWh.
M. Fabien Gay. - Cent euros, vraiment ?
M. François Bayrou, Premier ministre. - Ce programme est la priorité d'EDF, avant d'envisager d'autres nouveaux réacteurs - au moins quatorze d'ici 2050 - dont le coût unitaire baissera grâce à l'effet de série.
Nous devons repousser la frontière technologique, en développant les projets français de petits réacteurs nucléaires et en avançant dans la fermeture du cycle nucléaire, au travers d'installations de traitement-recyclage et de réacteurs de quatrième génération à neutrons rapides, ainsi que l'a décidé le dernier Conseil de politique nucléaire.
Grâce à ce nouveau nucléaire, nous espérons annuler la moitié de l'effet falaise d'ici 2050.
L'accident ayant touché récemment la péninsule ibérique montre qu'il est dangereux de concentrer l'ensemble de la consommation sur une seule source d'énergie.
M. Guillaume Gontard. - Exactement !
M. François Bayrou, Premier ministre. - Notre meilleure garantie est un équilibre qui comprend les énergies renouvelables - surtout les plus pilotables, comme l'hydroélectricité, qui mérite d'être soutenue, ...
Mme Cécile Cukierman. - C'est pourquoi nous luttons contre la privatisation de l'hydroélectricité !
M. François Bayrou, Premier ministre. - ... mais aussi d'autres, plus intermittentes. C'est la position du Sénat dans sa proposition de loi.
Un soutien raisonné aux énergies renouvelables, c'est un soutien progressif, suivant les quatre critères énoncés plus haut. Une énergie décarbonée ? Oui, mais il faut prendre en compte le CO2 émis lors de la fabrication des équipements.
Une énergie abondante ? La question est celle de la disponibilité de ces énergies, intermittentes, donc non pilotables. Pour le solaire, les pics de production, à la mi-journée, ne correspondent pas aux pics de consommation. Il faut donc accentuer la flexibilité de nos usages, déplacer la demande via les heures creuses. Nous devons également développer les capacités de stockage et promouvoir le repowering, comme le préconise le président Longeot.
Les énergies renouvelables sont-elles souveraines et compétitives ? Nous ne maîtrisons pas la filière photovoltaïque - c'est le moins que l'on puisse dire.
Mme Cécile Cukierman. - Et pour cause !
M. François Bayrou, Premier ministre. - Nous importons la quasi-totalité des panneaux photovoltaïques, à 85 % de Chine, d'où un déficit de 1,1 milliard d'euros en 2024. Le Gouvernement appuiera les projets de gigafactories pour localiser la production en France - ils sont essentiels, mais il faut les consolider.
L'énergie photovoltaïque revient à 100 euros le MWh quand elle est installée en toiture, mais peut être très compétitive avec de grandes installations au sol, dans des endroits très ensoleillés : 40 euros le MWh en Espagne. Sommes-nous prêts à accepter l'artificialisation de très grandes surfaces pour la développer là où cela s'y prête ?
Mme Cécile Cukierman. - Le problème n'est pas l'artificialisation !
M. François Bayrou, Premier ministre. - L'éolien terrestre fonctionne avec des équipements importés. Il est assez compétitif, entre 80 et 90 euros le MWh, mais son acceptabilité baisse à mesure que le nombre d'éoliennes augmente. (MM. Jean-Baptiste Lemoyne et Guillaume Chevrollier acquiescent.) C'est pourquoi nous privilégions l'augmentation de puissance des champs éoliens existants.
Pour l'éolien en mer, la France a été en retard par rapport aux pays de la mer du Nord, ce qui nous évite d'essuyer les plâtres. Une filière se développe, avec la fabrication de turbines au Havre, de pales à Cherbourg, de sous-stations électriques à Saint-Nazaire, un projet d'usine de câbles sous-marins porté par RTE. Le coût total de l'éolien posé est de 70 à 80 euros par MWh, en intégrant le coût de raccordement. Mais cette technologie, très adaptée à la mer du Nord, peu profonde, l'est beaucoup moins pour nos autres façades maritimes, surtout s'il faut éloigner les éoliennes de la côte pour des raisons d'acceptabilité. L'éolien flottant, lui, coûte 150 euros le MWh, raccordement compris. La France se situe à la frontière technologique, nous devons avancer avec mesure.
Aucune question ne doit être écartée du débat, à commencer par celle de la coexistence à long terme des énergies renouvelables et du nucléaire dans notre mix électrique.
Je souhaite répondre à trois des inquiétudes émises par les députés.
Les énergies renouvelables risquent-elles de déstabiliser le système de production ? La modulation du nucléaire afin de suivre les variations de la consommation est une réalité déjà ancienne. Si nous électrifions davantage nos usages, si nous réussissons notre réindustrialisation, la demande électrique augmentera et le nucléaire devra moins moduler à la baisse ; cela limitera les effets de concurrence avec le renouvelable.
La situation de la France n'est pas comparable à celle de l'Espagne, victime d'un black-out la semaine dernière. Les énergies renouvelables comptent pour 27 % chez nous, contre 52 % en Espagne en 2023. Nous avons l'atout de l'énergie hydroélectrique, et bénéficions de plus grandes interconnexions grâce à notre situation géographique. Nous sommes donc structurellement moins à risque, mais nous continuerons à veiller à la sécurité et à la continuité de notre approvisionnement.
Vu leur prix, les énergies renouvelables risquent-elles d'augmenter la facture d'électricité des Français ? Nous devons comparer les coûts complets, comprenant coûts de production, besoins en flexibilité et coûts d'adaptation du réseau, sans oublier le coût du soutien public. Nous devons déployer les filières les plus compétitives, tout en misant sur les filières en devenir afin de rester à la frontière technologique.
Le coût pour la collectivité des énergies renouvelables s'élève-t-il à 300 milliards d'euros, comme nous avons pu l'entendre ? Soyons mesurés. Ce chiffre inclut les coûts réseau jusqu'en 2040 : 100 milliards d'euros pour les réseaux de transport, 100 milliards pour les réseaux de distribution, dont une partie seulement pour les énergies renouvelables, 100 milliards pour le coût du soutien jusqu'en 2060 par le tarif d'achat garanti de l'électricité, dans une estimation maximaliste. Le projet actuel de PPE envisage un scénario de prix médian, avec un coût du soutien public compris entre 31 et 50 milliards d'euros. Si les prix sont bas, le coût pourrait avoisiner les 100 milliards ; s'ils sont élevés, c'est l'État qui empocherait 42 milliards d'euros. Quoi qu'il en soit, je veillerai à ce que la PPE optimise le coût pour la collectivité.
Je n'oublie pas nos barrages hydroélectriques, qui permettent de produire rapidement de grandes quantités d'électricité. Il est nécessaire de relancer les investissements, en sortant du contentieux avec la Commission européenne qui nous paralyse depuis quinze ans. L'hydroélectricité est à ce jour le moyen le plus efficace pour stocker de grandes quantités d'électricité. C'est une énergie souveraine qui nous permet d'assurer 10 à 15 % de notre production électrique.
Enfin, l'hydrogène est une méthode de stockage direct non dépendante des réseaux. L'État a présenté le 15 avril sa nouvelle stratégie nationale, qui met l'accent sur le développement de l'hydrogène dans l'industrie et les mobilités lourdes, avec des dispositifs de soutien afin de décarboner les usages. Le développement des biogaz, biocarburants et carburants de synthèse va aussi en ce sens.
Dernière source d'électricité dont nous disposons : les énergies fossiles, qui représentent 3,7 % de notre production totale. La France est engagée dans la fermeture des dernières centrales à charbon d'ici à 2027, conformément à l'engagement du Président de la République. À ce titre, le Gouvernement a soutenu la proposition de loi permettant la conversion au gaz de la centrale de Saint-Avold, qu'il faudra traduire dans la PPE. Le gaz émet deux à trois fois moins de CO2 que le charbon, encore moins pour le biogaz. Nos quatorze centrales à gaz n'ont pas vocation à fonctionner beaucoup dans l'année mais représentent des moyens de production flexibles, très utiles en complément des barrages.
Dans notre réflexion sur la souveraineté énergétique de notre pays, deux mots doivent nous guider : prospective et perspective.
Vous avez entendu une parole fondée sur des faits, sur des données précises et rigoureuses. Vous avez aussi entendu les interrogations qui demeurent. Alors que s'ouvre le débat, nous serons très attentifs à tous les arguments développés. Nous n'hésiterons pas à intégrer dans notre raisonnement des faits, des arguments fondés qui nous auraient échappé. Nos choix engageront l'avenir de notre pays. Le débat doit être honnête et exigeant, guidé par la raison et le sens de l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du groupe INDEP, du RDSE et sur quelques travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Daniel Gremillet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC ; Mme Véronique Guillotin applaudit également.) Il est heureux que la programmation énergétique soit à nouveau à l'agenda. Dans sa déclaration de politique générale, Michel Barnier avait annoncé la relance du nucléaire. Dans la vôtre, monsieur le Premier ministre, vous avez confirmé la reprise de ces travaux. Le 28 avril dernier, vous avez annoncé l'examen à l'Assemblée nationale, d'ici fin juin, de la proposition de loi adoptée au Sénat le 16 octobre 2024, et la publication du décret sur la PPE. Un groupe de travail, que je conduis avec Antoine Armand, rendra ses conclusions sur ce décret prochainement.
Ce sont de bonnes nouvelles. Le socle commun démontre sa capacité à légiférer sur le sujet hautement sensible de l'énergie.
Je me réjouis que le Gouvernement ait choisi la voie parlementaire : un débat public rationnel nous permettra de définir ensemble la trajectoire industrielle nécessaire à notre souveraineté et à notre transition énergétiques.
Au législateur de définir un cap. La commission des affaires économiques a plaidé de façon constante pour actualiser notre PPE et pour légiférer. Elle a fixé le principe d'une loi quinquennale sur l'énergie dans la loi Énergie et climat, elle a fait adopter la proposition de loi déposée par Dominique Estrosi Sassone, Bruno Retailleau et moi-même. Ce texte a été coconstruit avec le Gouvernement, dont onze amendements ont été adoptés ; la ministre Olga Givernet avait d'ailleurs levé le gage. Il fait l'objet d'échanges tout aussi constructifs avec Marc Ferracci. Je salue l'engagement du Premier ministre et du ministre. Cette proposition de loi est cruciale pour conférer au décret sur la PPE la sécurité juridique nécessaire, car l'article L. 100-1-A du code de l'énergie fait primer une loi de programmation sur le décret sur la PPE.
En outre, nos objectifs nationaux ne sont plus conformes aux objectifs européens fixés dans le paquet Ajustement 55 de 2021. Il faut donc transposer, en choisissant les options les moins créatrices de normes et les plus protectrices de nos intérêts.
La souveraineté énergétique suppose un État stratège, une programmation claire, des moyens suffisants. La filière nucléaire a besoin d'une assise législative qui la protège des soubresauts politiques - on a trop souvent reproché au plan Messmer d'avoir été pris par décret. La filière des renouvelables la demande aussi, pour diversifier la production ou modérer la consommation. Je me réjouis de l'accueil favorable réservé à cette proposition de loi, tant par les filières que par les acteurs institutionnels.
Le secteur de l'énergie n'a jamais été aussi stratégique. Face au protectionnisme américain et au bellicisme russe, maîtriser notre approvisionnement énergétique est crucial.
Cela suppose un changement de politique et de mentalités. Il faut d'abord sortir de la logique décroissante. Trop longtemps nous avons négligé notre outil productif ; la fermeture prématurée de Fessenheim ou des quatre dernières centrales à charbon a constitué une cruelle erreur.
Plus encore, il faut sortir d'une logique oppositionnelle. Cessons d'opposer nucléaire et renouvelables. En vérité, nous avons besoin de toutes les énergies décarbonées, à court comme à long terme. Cessons aussi d'opposer marché national et marché européen de l'électricité. Notre pays est de loin le premier exportateur. Nous devons défendre notre mix énergétique, qui dépend de nous et non de Bruxelles.
L'utilité de nos centrales nucléaires et la pérennité de nos concessions hydroélectriques doivent être reconnues dans la législation européenne. Il n'y a pas de fatalité et les choses progressent depuis la création de l'Alliance européenne du nucléaire, le 4 mars 2024.
Enfin, il faut sortir d'une logique attentiste. Trois ans après le discours de Belfort, la construction des six EPR annoncés, voire des huit autres envisagés, reste au stade du discours. Il faut dire que quatre Premiers ministres, quatre ministres de l'énergie et trois PDG d'EDF se sont succédé... Nous pouvons corriger le tir, en inscrivant le nouveau nucléaire dans le décret sur la PPE et dans la proposition de loi sénatoriale. Si la plupart des objectifs convergent, le décret est en retrait sur plusieurs points - sur le nucléaire, l'hydroélectricité, les bioénergies ou la rénovation énergétique.
Le décret sur la PPE confirme la construction de six EPR2 quand la proposition de loi en prévoit six d'ici à 2026 et huit autres d'ici à 2030, afin d'atteindre 27 GW de nouveau nucléaire d'ici 2050. Nous voulons cranter le scénario N03 de RTE, le plus nucléarisé. La nécessité de préserver un mix fortement nucléarisé a été mise en évidence par la commission d'enquête sur le prix de l'électricité.
La recherche est cruciale pour diversifier la production et modérer la consommation d'énergie - notamment dans le nucléaire, industrie du temps long. Je regrette que le décret ne reprenne pas l'objectif de 4 GW de petits réacteurs modulaires d'ici 2050, et qu'il soit moins ambitieux que l'actuelle PPE s'agissant des réacteurs à neutrons rapides (RNR). Je vous renvoie au rapport de Stéphane Piednoir pour l'Opecst.
En matière d'hydroélectricité, le décret évoque la « résolution autour du renouvellement des concessions hydroélectriques ». C'est positif, mais il faudrait être plus explicite, pour EDF et pour la Compagnie nationale du Rhône (CNR), dont la concession a été prolongée pour vingt ans. Le décret évoque une capacité additionnelle de 2,8 GW d'ici 2035 ; je préfère le chiffrage global de 29 GW, proposé par la filière.
Les bioénergies sont essentielles pour décarboner l'industrie ou les transports. Je propose que le décret autorise le recours aux biocarburants pour les automobiles, car tous nos concitoyens n'ont pas les moyens d'acheter un véhicule électrique.
M. Laurent Burgoa. - Très bien.
M. Daniel Gremillet. - Le décret sur la PPE fixe un objectif de 15 % de biogaz dans la consommation de gaz d'ici 2030. Retenons plutôt l'objectif de 20 %, suggéré par la filière.
Pour l'hydrogène, nucléaire ou renouvelable, le décret fixe un objectif de 4,5 GW d'ici à 2030, très en deçà de la proposition de loi sénatoriale et de l'ancienne stratégie nationale hydrogène, qui visent 6,5 GW. C'est un mauvais signal pour la filière, qui attend toujours le soutien public prévu par la loi Climat résilience de 2021.
Enfin, le décret sur la PPE évoque 600 000 rénovations énergétiques par an d'ici 2030 et 825 TWh d'économies par an d'ici à 2026, contre 900 000 et 1 250 TWH respectivement dans la proposition de loi sénatoriale. Il faut une plus grande cohérence et une plus grande ambition.
Au total, le décret sur la PPE est positif, mais il doit être conforté par notre proposition de loi et ajusté sur ces différents points.
Nous avons l'opportunité d'achever enfin ce chantier de la programmation. Il est crucial, pour notre souveraineté et notre transition énergétiques, que nous disposions rapidement d'un cadre législatif et réglementaire cohérent et robuste.
D'autres défis nous attendent. Le premier est financier : la nouvelle régulation du nucléaire doit fournir des recettes suffisantes à EDF, tout en maintenant un prix abordable pour les consommateurs. Le second est juridique : la résolution du contentieux sur les concessions hydroélectriques, sur laquelle nous menons une mission d'information.
Je ne doute pas de la détermination du Gouvernement. Le groupe Les Républicains sera un allié exigeant. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Franck Montaugé . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg (murmures sur les travées du groupe Les Républicains) disait : « l'énergie, c'est l'industrie de l'industrie ». Oui, l'énergie est fondamentale pour l'avenir de la France, les conditions de vie et de pouvoir d'achat des Français.
La stratégie française énergie-climat, traduite dans une loi de programmation quinquennale, devait traiter l'adaptation au changement climatique, à travers le plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc), la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et la PPE. À ce jour, aucun de ces sujets majeurs n'a été soumis à notre vote.
Or le code de l'énergie prévoit pourtant qu'une loi « détermine les objectifs et fixe les priorités d'action de la politique énergétique nationale pour répondre à l'urgence écologique et climatique ». Ces objectifs précisent les réductions d'émissions de gaz à effet de serre, de consommation d'énergie finale, le niveau de développement des énergies renouvelables, la diversification du mix et les priorités de rénovation énergétique. Il existe des objectifs spécifiques pour les outre-mer, en vue de maintenir ou d'atteindre l'autonomie énergétique.
La dernière révision quinquennale aurait dû intervenir avant le 1er juillet 2023. Il n'en est rien. La loi votée au Sénat n'aborde pas ces sujets fondamentaux. Depuis 2022, nous demandons, sur tous les bancs, le respect du code de l'énergie.
Sur son volet énergie, la PPE version 3, prise par décret, aurait été l'une des résultantes de cette loi de programmation Énergie-climat...
Depuis la dissolution en 2024, plus aucun Gouvernement ne veut engager ce débat parlementaire.
La troisième version de la PPE serait donc promulguée sans véritable débat parlementaire. Tous les acteurs ont fait des propositions - sauf les parlementaires ès qualités. Le Gouvernement ne s'est conformé ni à la lettre ni à l'esprit de la Constitution. C'est un déni de démocratie et un contournement des institutions de la République !
M. Fabien Gay. - Très bien !
M. Franck Montaugé. - Comment interpréter le débat de ce jour ? Il n'oblige en rien le Gouvernement, à la différence d'une loi votée en bonne et due forme. Aussi, nous lui demandons de soumettre un projet de loi de programmation quinquennale Énergie-climat.
Selon l'ancien ministre Antoine Armand, « la construction de cette loi énergétique doit être un temps fort de société. Pour redonner toute sa place au Parlement, elle devrait être mise en cohérence avec le temps énergétique qui est un temps de l'industrie et de la souveraineté. » On ne saurait mieux dire !
À ce projet doit être jointe une étude d'impact robuste, mettant en exergue les efforts financiers à venir, notamment pour les collectivités territoriales.
Quel sens donner au concept de « souveraineté énergétique » ? Nous sommes vulnérables, et nous le resterons. À l'État de tenir compte de ces vulnérabilités, tant externes qu'internes. Cela passe par une loi de programmation fixant nos objectifs sur un horizon de vingt à trente ans.
Le rapport Pisani-Ferry - Mahfouz pose clairement les enjeux et les besoins de financement.
L'absence d'une telle démarche dans les années 1980-1990 nous a coûté cher. Les enjeux stratégiques de la filière nucléaire ont été laissés de côté ; la dimension productive nationale des énergies renouvelables n'a jamais été un objectif politique majeur. Le Parlement doit régulièrement évaluer l'efficience des politiques publiques en la matière.
L'État doit se doter des moyens de sécuriser les approvisionnements et de réduire nos dépendances. Au-delà de ce que font le service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (Sisse) ou l'Observatoire français des ressources minérales pour les filières industrielles (Ofremi), que faites-vous, monsieur le Premier ministre, pour réduire nos vulnérabilités ?
Le rapport de RTE Futurs énergétiques 2050 met en exergue la sécurité des approvisionnements en métaux. Une politique spécifique doit en résulter, et le Parlement être associé à cette réflexion.
Je rappelle les positions de principe du groupe SER sur le mix énergétique.
L'électrification des usages - transport, bâtiment, industrie - conduira à des volumes d'électricité variant sensiblement. La profondeur de la réindustrialisation affectera directement la consommation d'électricité.
Au vu de la situation d'ArcelorMittal et d'autres, quelles sont les projections du Gouvernement en matière de renouveau industriel à court, moyen et long termes ? Les décisions sur le mix énergétique se prennent pour cinquante ans. Quels sont vos plans d'action par secteur ? Quels moyens financiers souhaitez-vous investir, dans un contexte dégradé ? Nous manquons de visibilité en matière de rénovation énergétique ou de transition énergétique des industries. RTE ne devrait-il pas proposer un scénario plus réaliste de moindre consommation d'électricité ? Quelles sont vos trajectoires de consommation, et quelle composition du mix en déduisez-vous ?
Vos prédécesseurs ne se sont pas référés au scénario de mix à horizon 2050 de RTE. Pourtant, les déploiements des énergies renouvelables projetés sont proches du scénario N03 à 50 % de nucléaire et 50 % de renouvelable. Quelle est votre projection des différents modes de production à horizon 2060 ? Comment prendre en compte les risques et incertitudes ?
Les coûts complets des différents moyens de production doivent être objectivement pris en compte pour la formation des tarifs. Deux principes doivent être respectés : la rémunération des producteurs doit couvrir les coûts complets - coûts moyens actualisés (LCOE), coûts système et externalités. Les tarifs de rachat doivent être fixés en conséquence. Ensuite, les tarifs réglementés doivent être réintroduits, notamment pour certains consommateurs, et refléter les coûts complets du MWh produit.
Comment l'État arbitrera-t-il ce différend qui, avec la participation de l'État au financement des investissements d'EDF, a été un motif de non-reconduction de Luc Rémont à la tête de l'entreprise ?
Il est dans l'intérêt de la France et de l'Europe de décorréler les prix de l'électricité et du gaz. Passer d'une dépendance à la Russie à une dépendance aux États-Unis n'est pas souhaitable. Quelles sont vos pistes de travail, notamment sur le biogaz ?
Le Gouvernement doit obtenir au plus tôt le statut de quasi-régie pour les concessions hydrauliques. Veillons à la production hydrolienne.
De nombreuses questions restent sans réponse. Ne tardez pas à soumettre un projet de loi de programmation Énergie-climat.
Prendre prétexte du contexte politique actuel n'est pas à la hauteur des défis de souveraineté énergétique. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du groupe CRCE-K)
M. Patrick Chauvet . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) Ce débat était très attendu. Son intitulé ne doit pas nous faire perdre de vue l'essentiel : quel pays voulons-nous en 2050 ? Si en 2050, la France est désindustrialisée, désarmée et devenue une colonie numérique (M. François Bayrou le réfute par un geste de la main), même un système énergétique réduit à la portion congrue pourra suffire à reconquérir notre souveraineté énergétique. Quand on ne produit plus rien, il est moins difficile d'atteindre la neutralité carbone ! (M. Yannick Jadot lève les bras au ciel.)
Nous devons anticiper nos besoins. Notre stratégie doit reposer sur deux piliers : une réduction considérable de la consommation d'énergie ; une augmentation de la production d'énergie décarbonée.
Poursuivre la tendance dans les proportions requises par la PPE est très volontariste. Dans un monde en croissance, cela ne peut reposer que sur l'efficacité, non sur la sobriété. Toute notre stratégie est fondée sur les gains attendus de l'électrification des usages. Il faudra beaucoup d'électricité pour réduire la consommation et satisfaire les besoins.
Les projections de la PPE surévaluent nos besoins de moyen terme, sur la période 2025-2035, et sous-évaluent les besoins sur la période 2035-2045, qui correspondent à des natures d'équipements énergétiques différentes : renouvelables pour la première période, nouveau nucléaire pour la seconde.
Comment réaliser les grandes ambitions de la PPE en matière de renouvelable, au vu des difficultés d'obtention de permis de construction d'éoliennes, des difficultés techniques d'installation, de la faible acceptation sociale, de l'instabilité réglementaire ?
RTE a alerté sur une production trop abondante au regard de la demande. Comment construire un système durable si la demande ne suit pas l'offre ? Nous allons à l'encontre de graves problèmes entre 2035 et 2050, période qui repose sur une inconnue majeure : la prolongation des réacteurs actuels.
S'ils ne peuvent être prolongés aussi longtemps, même le nombre maximal d'EPR serait insuffisant, laissant un mix dominé par les énergies renouvelables, avec de sérieux enjeux de pilotabilité et de sécurité d'approvisionnement. Il est essentiel de clarifier le potentiel de prolongation des réacteurs.
Autre inconnue majeure : l'opérateur chargé de mettre en oeuvre cette mission. EDF est-elle capable de la mener à bien ? C'est à l'entreprise de le prouver.
Les réacteurs ne doivent pas devenir une variable d'ajustement des énergies renouvelables. Selon le haut-commissaire à l'énergie atomique, « le risque est de se payer deux parcs entiers utilisés à moitié. »
Face à ces interrogations stratégiques, notre groupe a plusieurs convictions. D'abord, nous défendons un mix énergétique équilibré. Ce n'est pas une posture, mais la conclusion du scénario N03 de RTE, repris dans la proposition de loi Gremillet.
Deuxième conviction : face aux impératifs de décarbonation, de réindustrialisation et de réarmement, une part minimale de nucléaire dans notre socle énergétique s'impose. Il faut lancer rapidement le programme EPR2, alors que nous sommes déjà en retard pour 2035.
Troisième conviction : le nucléaire ne peut devenir une variable d'ajustement, au risque de devoir moduler sans cesse la production. Or le parc nucléaire est capable de fournir davantage d'électricité. Selon les travaux de la commission d'enquête sur l'électricité, il faut développer une approche fondée sur les coûts complets du système électrique, incluant les investissements massifs dans les réseaux.
Or pour les renouvelables, les coûts de production sont différents des coûts de raccordement au réseau, ce qui pose un problème majeur pour les collectivités, propriétaires des réseaux via les syndicats d'énergie.
Surévaluer nos objectifs de développement des énergies renouvelables en sous-estimant l'investissement en réseau correspondant risque de créer des déserts énergétiques et une bombe à retardement financière pour nos collectivités territoriales. Elles ont besoin de transparence et l'assurance d'un soutien adéquat, par exemple via le compte d'affectation spéciale (CAS) « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » (Facé).
Autre problème, le coût du programme EPR2. Selon la PPE, entre 2025 et 2060, le soutien public aux renouvelables représenterait entre 98 et 135 milliards d'euros. Dès lors, la commission d'enquête propose une objectivation des choix énergétiques. L'application de ces critères commanderait de réduire nos ambitions en matière d'énergies renouvelables, comme nous y invite la présidente de la CRE, et de lancer la construction d'EPR2. Sinon, la variable d'ajustement sera le prix.
En 2023, les prix de l'électricité ont augmenté de 14 % pour les ménages et de 57 % pour les entreprises. Depuis la fin de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), les tensions tarifaires s'accentuent ; cela augmentera le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (Turpe), ce qui se répercutera directement sur les factures.
La commission d'enquête recommande de réduire la fiscalité selon trois leviers : une accise différenciée selon la consommation, une TVA réduite sur la consommation de base, et la substitution d'une dotation budgétaire à la contribution tarifaire d'acheminement. Il faut réduire la fiscalité sur l'électricité pour encourager l'électrification des usages, tout en réduisant les dépenses fiscales brunes qui coûtent entre 7,6 et 19 milliards d'euros par an et qui sont en contradiction avec nos objectifs climatiques.
La souveraineté énergétique doit être construite sur une programmation réaliste, un pilotage rigoureux, un effort de transparence, une maîtrise des coûts et une adhésion citoyenne.
Le futur énergétique de la France se dessine sous nos yeux, soyons à la hauteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, INDEP, et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Bernard Buis applaudit également.)
M. Vincent Louault . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe Les Républicains) « L'énergie est au coeur du combat essentiel que mènent notre pays et notre continent européen », disiez-vous, monsieur le Premier ministre. Depuis quelques mois, nous sommes plusieurs à alerter, mais rien ne bouge : au royaume de France, les technocrates sont apparemment plus puissants que les politiques. Néanmoins, certaines fenêtres semblent s'ouvrir.
Le décret n'est pas encore signé, et je vous en remercie, ce n'était pas évident. Je vous remercie, à Matignon et à l'Élysée, de votre écoute, et du début de rectification sur la trajectoire folle des renouvelables intermittentes.
Il est temps, car l'absence de vision et de stratégie tue notre économie. Nos industriels attendent une trajectoire de prix politique. Ils ont besoin d'électrons 365 jours par an, 24 heures sur 24, à un prix proche de celui des autres continents. À la différence du pétrole, il n'y a pas de cours mondial de l'électricité - elle est peu transportable et peu stockable.
Il faut rebâtir ce qui a été sabordé par les antinucléaires comme Mme Voynet, qui veut même s'inviter à votre table parce qu'elle seule aurait tout compris. (M. Daniel Chasseing applaudit ; marques d'approbation sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP) D'autres antinucléaires sont un peu plus subtils, mais souvent faibles.
M. Yannick Jadot. - On arrive !
M. Vincent Louault. - Monsieur le Premier ministre, avec vous j'ai l'espoir de retrouver un peu de bon sens - paysan ? - sur cette PPE. (On s'en amuse sur les travées du GEST.)
Cette PPE, c'est la feuille de route des lobbyistes des énergies renouvelables, sans véritable décarbonation. C'est l'aboutissement de ceux qui prônent la décroissance. On risque la révolte, tant les factures augmenteront avec cette politique. On veut produire des électrons intermittents, alors que nous avons assez d'électricité et que l'évolution de la consommation promise n'arrive pas. La cible de la décarbonation nécessaire de nos usages est ratée : c'est le néant.
Nous doublons nos capacités de production intermittente, en priant pour que cela se passe bien et en même temps, nous devons garantir la stabilité grâce à l'inertie du nucléaire et de l'hydroélectricité. On marche sur la tête, tout ça pour un pognon de dingue qu'on nous a caché.
Aveuglées, nos têtes bien pensantes ont fait l'erreur de croire que l'électricité resterait à plus de 100 euros le MWh. (M. Bruno Sido renchérit.) C'est comme des paysans qui voient le prix du blé exploser et imaginent qu'il restera toujours aussi haut. À ce prix-là, même les électrons les plus farfelus deviennent rentables, alors que les autres continents se fixent l'objectif de produire le MWh à 50 euros.
Les charges de service public de l'énergie coûteront 12 milliards d'euros en 2035, selon la page 134 de la PPE. Je voulais la ramener, mais le dossier est un peu lourd... Douze milliards, c'est le prix d'un EPR - si M. Fontana nous écoute ; c'est 400 euros sur chaque compteur d'électricité. Avec 12 milliards, imaginez ce que vous pourriez faire pour décarboner notre industrie, monsieur le ministre de l'industrie !
Je vous demande solennellement de stopper cette PPE intermittente folle, fondée sur deux mensonges : mensonge sur la capacité à avoir des prix bas. Le dernier marché de la CRE sur l'éolien en mer atteint 90 euros le MWh, sans une partie de connexion estimée à 20 euros le MWh. Ensuite, mensonge sur la capacité à préserver une pseudo-industrie logistique en France. (Mme Sonia de La Provôté applaudit.) Au Havre, c'est une usine de pales d'éoliennes, il n'y a pas de moteurs ; on les assemble comme un Mikado, ce n'est pas de l'industrie.
M. Jean-François Husson. - C'est un vrai sujet !
M. Vincent Louault. - Nous sommes sur le point d'acter, monsieur le rapporteur général, 10 milliards d'euros de dépenses annuelles pour rien. Commençons par faire des économies ! Je n'ai pas oublié la ligne 320 de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC). Celle-ci rabâche sans cesse ses éléments de langage sur la pseudo-épée de Damoclès en 2039 si l'on ne produit pas assez de renouvelables, mais l'on oublie que la durée de vie des cuves des centrales augmente - c'est scientifique, l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) nous le dira.
C'est l'excellence de nos ingénieurs pour la construction des barrages hydrauliques après la guerre qui a permis la construction du programme nucléaire Messmer jusque dans les années 1990. Depuis, plus rien n'a été fait.
L'enjeu est de construire notre outil industriel. Avec cette PPE, on va payer trois fois : une fois pour augmenter les capacités des intermittents de 12 milliards d'euros, une fois pour investir 100 milliards d'euros dans le nucléaire et garantir la stabilité du mix énergétique et une troisième fois pour subventionner, puisque les Américains et les Chinois produiront de l'électricité à 30 dollars le mégawattheure.
La moitié de la puissance nucléaire de la France - 30 GWh - est en attente à la CRE.
Il faut être fort pour faire de la décarbonation de nos usages la priorité de notre pays.
Vous aviez raison : l'énergie est au coeur du combat existentiel de notre pays et de notre continent. Mais si cette PPE n'est pas lourdement modifiée, alors le combat ne servira à rien et la guerre sera perdue d'avance ! (Applaudissements à droite et au centre)
M. Bernard Buis . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Le XIXe siècle a vu naître l'électricité, le XXe, le nucléaire et la mondialisation. Le XXIe sera celui des énergies décarbonées et de la reconquête de notre souveraineté.
La guerre en Ukraine a montré qu'il fallait renforcer notre souveraineté énergétique. Mais elle ne se décrète pas, elle se construit dans la durée à travers des choix stratégiques.
Monsieur le Premier ministre, notre groupe prend acte des orientations que vous avez exprimées. Vous avez fixé un cap clair : à nous de le concrétiser, territoire par territoire.
Depuis 2022, notre stratégie pour une France souveraine repose sur deux jambes : la sobriété et la décarbonation.
La sobriété est un levier structurant de notre autonomie, non une contrainte. Il ne s'agit pas simplement de consommer moins, mais de consommer mieux. Ainsi, moderniser l'éclairage public, c'est soulager les finances communales.
Si nous renforçons l'accompagnement, si la sobriété devient un automatisme collectif, notre pays gagnera en souveraineté, sans mise en place d'un réacteur ou d'une éolienne.
La seconde jambe est la décarbonation de notre production d'énergie. Le discours de Belfort de février 2022 a marqué un tournant : en assumant une relance du nucléaire, la France a décidé d'investir pour l'avenir. Cette énergie garantit une continuité historique de notre pays. Depuis les années 1950 jusqu'au plan Messmer, la France a bâti une filière nucléaire civile parmi les plus avancées au monde. Quelque 65 % de notre électricité proviennent du nucléaire. C'est un socle pour notre avenir. Nous avons donc choisi de relancer le nucléaire : soyons-en fiers. Les EPR2 et SMR seront plus flexibles et adaptés à des usages territorialisés.
Le site du Tricastin, dans la Drôme, participe de cette dynamique. Nous serions fiers d'accueillir une paire d'EPR2 : avez-vous des précisions sur le nombre d'installations prévues, les échéances et les sites d'implantation ?
La relance du nucléaire est une fierté et une responsabilité. La souveraineté se joue sur la capacité de mobiliser les compétences et de former les jeunes afin d'accompagner les filières industrielles.
Si le nucléaire occupe une place essentielle dans notre mix, il faut aussi développer les énergies renouvelables. Il y a deux ans, le Parlement a adopté la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables et la loi du 22 juin2023 relative à l'accélération des procédures de construction de nouvelles installations nucléaires. Ces deux textes sont essentiels, mais nous devons être vigilants : il faut une concertation territoriale sincère et le respect d'une dynamique locale. C'est un enjeu démocratique et énergétique.
Nous devons construire un mix raisonné, fondé sur la complémentarité. Opposer nucléaire et énergies renouvelables n'a pas de sens : le nucléaire pallie l'intermittence des renouvelables, il faut coupler les deux pour atteindre nos objectifs. Développer certaines énergies renouvelables est indispensable. Mais lesquelles ? Dans quelle proportion ? Comment le Gouvernement envisage-t-il de développer davantage l'éolien offshore ?
L'hydroélectricité est une énergie souvent oubliée. Dans la Drôme, nous avons de petits moulins et barrages qui pourraient produire une électricité propre. Pourtant, la législation défavorise les porteurs de projets. Ne faut-il pas valoriser davantage l'hydroélectricité ? Celle-ci mérite une plus grande place dans le débat national.
Il est urgent de mettre un terme au conflit juridique entre la France et la Commission européenne sur les concessions hydroélectriques.
Quelle place pour les énergies du futur, à l'instar de l'hydrogène ? Il occupe une place croissante pour la mobilité lourde. Environ 40 % du réseau ferroviaire français n'est pas encore électrifié, souvent sur les petites lignes. Pourtant, les trains à hydrogène, à batterie ou bimodes sont des réponses pour les zones peu denses. Le train à hydrogène Coradia iLint est actuellement commercialisé, notamment pour les dessertes régionales.
Le transport fluvial pourrait lui aussi bénéficier de nouvelles sources de propulsion : le trafic a progressé de 8,6 % sur le Rhône en 2023 et 2024, il faut avancer.
Notre groupe partage les objectifs du Gouvernement : indépendance, neutralité carbone et innovation. Mais pour que cela devienne réalité, veillons à ce que chaque territoire ait les moyens d'agir et que chaque énergie soit développée à bon escient. Nous avons les ressources et les talents. Restons cohérents dans nos choix ! (Applaudissements sur les travées du RDPI ; M. Vincent Louault applaudit également.)
M. Fabien Gay . - Nous débattons aujourd'hui de la souveraineté énergétique de la France. Ou plutôt des solutions pour tenter de rattraper un immobilisme politique orchestré par les derniers gouvernements, qui naviguent à vue, dans un déni démocratique inacceptable.
La PPE 2025-2035, censée retracer notre avenir, a en effet été retardée depuis trois ans. Toutes les excuses ont été utilisées pour retarder un vote et la publication d'un texte. Pendant ce temps, on amusait le Parlement avec des textes sans cohérence les uns avec les autres, et sans vision stratégique pour accélérer des projets à l'arrêt. Votre méthode : rester au point mort, en appuyant fort sur l'accélérateur. Comme dans une voiture, ça fait ronfler le moteur, mais on n'avance pas d'un mètre ! (Sourires sur plusieurs travées ; MM. Bruno Sido et David Margueritte applaudissent.)
Aujourd'hui, vous vous présentez devant le Parlement, sans aucun vote ! Comble du déni démocratique : on apprend qu'un groupe de travail avec deux parlementaires de la majorité sera mis en place.
Nous vous demandons donc de stopper cette méthode, qui n'est qu'une pantalonnade, et de travailler à un projet de loi soumis au vote. Cela légitimerait ce texte, au lieu d'agir en catimini. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du GEST)
L'énergie n'est pas une marchandise, mais un bien commun. Il faut revenir sur la libéralisation du secteur, qui a fait gonfler les prix artificiellement sous l'effet du trading et des requins du secteur.
La souveraineté énergétique suppose le contrôle des ressources et des choix d'avenir. L'énergie est le sang qui irrigue notre économie, nos industries et nos foyers.
Le marché, par essence, ne connaît ni le long terme ni l'intérêt général. Il ne planifie pas, il ne sécurise pas, il optimise. Il ne protège pas, il spécule. Il n'investit pas, il optimise jusqu'à épuisement.
Pour notre part, nous sommes favorables à un mix énergétique : nous n'opposerons jamais les énergies renouvelables au nucléaire. L'urgence est de sortir des énergies fossiles, qui représentent encore 40 % de notre consommation énergétique.
La priorité devrait être donnée à l'électrification des usages dans tous les domaines. Cela nécessite des moyens, des politiques publiques de long terme, et non de la politique à la petite semaine, des primes annuelles rabotées l'année d'après. Et ce, sans faire peser cette transition sur les plus faibles d'entre nous ! Or vous avez prévu un rabot de 700 millions sur MaPrimeRénov' et la fin de la prime à la conversion, alors que vous préparez la mise en place des futures zones à faibles émissions (ZFE) pour 2026 !
Il faut investir ! D'abord dans le nucléaire : six EPR2, peut-être quatorze, des petits SMR. Et après ? Où sont l'étude d'impact et l'avis du Conseil d'État ? Six EPR2, c'est 67 milliards d'euros au bas mot. Qui paiera ?
Le Président de la République peut limoger les PDG d'EDF les uns après les autres, mais est-ce EDF, exsangue, qui devra payer ? Ou les Français ? Où sont les milliards promis par l'État ? Nulle part !
Oui, nous avons besoin des énergies renouvelables. Mais pas dans une logique de financiarisation où des multinationales maximisent leurs profits. Où est la planification écologique ? Pourquoi le coût des raccordements ou la folie des prix garantis est toujours en vigueur ?
Même quand on ne produit pas, on est payé à ne rien faire.
M. Vincent Louault. - Bravo !
M. Fabien Gay. - Pas un mot sur les tarifs réglementés, sur la protection des consommateurs. Nous déposerons prochainement une proposition de loi pour mieux protéger les usagers.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Exact !
M. Fabien Gay. - En quatre ans, le prix des factures a augmenté de 72 % pour l'électricité et de 99 % pour le gaz ! Avec le dispositif succédant à l'Arenh, ce sera au moins 10 % d'augmentation !
Il faut d'urgence changer le mode de calcul des tarifs réglementés de vente (TRV) et s'attaquer aux taxes, qui représentent un tiers de la facture : il existe même une taxe sur une autre taxe, puisque la TVA se rajoute aux trois taxes existantes. (MM. Bruno Sido et Jean-Jacques Panunzi le confirment ; marques d'approbation sur les travées du groupe CRCE-K)
Notre pays compte 12 millions de Français en précarité énergétique. Baissons à 5,5 % la fiscalité sur l'électricité, bien de première nécessité.
Il faut des choix courageux. Premièrement, la fin de la libéralisation pour l'hydroélectricité : il faut que l'énergie reste dans le domaine public.
Mme Cécile Cukierman. - Exactement.
M. Fabien Gay. - Il faut nationaliser Engie et TotalEnergies, aux côtés d'EDF. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains) Soixante-dix-neuf ans après Marcel Paul, il faut une nouvelle loi de nationalisation pour grand service public de l'énergie.
M. Stéphane Piednoir. - Cela finit mal. (Sourires à droite)
Mme Cécile Cukierman. - Il ne faudra pas alors pleurer pour les collectivités !
M. Fabien Gay. - Déposez un projet de loi, nous en débattrons et nous voterons. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, INDEP, du RDSE et des groupes UC et Les Républicains)
Mme Maryse Carrère . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Ce débat est symbolique d'un contexte politique difficile, où l'intérêt général est oublié, sur fond de majorité relative.
Voilà un an, le Haut Conseil pour le climat (HCC) s'alarmait déjà de la dérive du calendrier. Notre souveraineté énergétique dépend de nos tergiversations. Or point de souveraineté sans souveraineté énergétique.
Toute puissance a besoin de sources adéquates d'énergie. Il est essentiel que la troisième PPE puisse être mise en oeuvre malgré les incertitudes géopolitiques actuelles.
Monsieur le Premier ministre, je vous encourage à maintenir un cap clair et ambitieux et à poursuivre les efforts de décarbonation. La continuité de l'action publique est essentielle. Le financement de la transition énergétique doit être cohérent avec l'évolution des besoins d'investissement et ne pas constituer une variable d'ajustement budgétaire.
Pour reconquérir notre souveraineté et atteindre nos objectifs climatiques, il faut miser sur le renouvelable et le nucléaire.
Souveraineté et décarbonation constituent un seul et même défi. Nous devons regarder en face les limites de notre puissance. Nous n'avons pas d'autre choix que de réorganiser l'industrie, l'agriculture, les transports, pour que ces forces économiques vitales soient aussi peu consommatrices que possible en énergie. En effet, le kilowattheure le moins cher est celui qui n'est pas consommé.
Conjuguer électrification des usages, efficacité et sobriété stoppera la catastrophe climatique, tout en échappant aux contraintes pesant sur l'accès aux énergies fossiles.
Pour cela, il faut un discours de vérité envers les Français. Nous ne pouvons faire de mauvais placements : il faut donc une stratégie claire et durable.
Comment atteindre ces objectifs, alors que 550 millions d'euros de crédits de la mission « Écologie » sont supprimés ? Nos émissions de gaz à effet de serre ont baissé de 1,8 % en 2024, bien moins qu'en 2023.
Nous sommes aussi en retard sur nos objectifs de décarbonation. Je sais le contexte contraint de nos finances publiques. Notre économie repose à 71 % sur les énergies fossiles.
Oui, décarboner est la clé pour réduire la vulnérabilité de la France. Nous devons adopter une approche par minimisation des risques et maximiser nos choix : nucléaire, énergies renouvelables, chaleur bas-carbone et biomasse doivent être encouragés.
Se priver de l'une des filières mettrait davantage de pression sur les autres. Cela réduirait la robustesse de notre trajectoire de décarbonation.
Les limites sont nombreuses : le lancement des EPR2 n'est pas prévu avant la fin des années 2030 et les renouvelables peinent à se développer. Nous l'avons rappelé lors du débat sur la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie, en octobre dernier.
Un mot sur l'énergie hydroélectrique : la pression écologique rend difficile la création de nouvelles ressources. Or il faut relancer les investissements dans cette énergie vertueuse.
Comment en finir avec le contentieux européen qui nous paralyse ? Il faut soustraire définitivement nos barrages aux logiques de concurrence.
Sans sobriété, la souveraineté énergétique de notre pays et nos objectifs de décarbonation ne pourront être tenus.
La consommation électrique de la France devra être divisée par deux d'ici à 2050 pour assurer l'ensemble des approvisionnements. Pourtant, nous manquons de perspectives. Cette année, les incitations en faveur des énergies décarbonées sont moindres. Pis : l'instabilité normative a été l'un des grands reproches des acteurs de la filière. Ces derniers ont besoin de lisibilité.
Certes, l'équation est complexe : je m'interroge sur le bon équilibre. Espérons que vous nous apporterez la solution miracle, monsieur le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du RDSE ; M. Marc Laménie applaudit également.)
M. Yannick Jadot . - (Applaudissements sur les travées du GEST ; M. Marc Laménie applaudit également.) Un débat. Pas de vote, juste un débat pour adapter notre système énergétique, pour tirer les conséquences de la guerre en Ukraine, alors que les investissements se comptent en centaines de milliards d'euros et que nous nous engageons jusqu'à la fin du siècle.
Monsieur le Premier ministre, il y a quelques jours, sur le budget, vous avez dit : « la vérité permet d'agir ». Ce qui vaut pour le budget vaut aussi pour la transition énergétique.
Certes, il y a un parc nucléaire, mais il faut rééquilibrer notre mix. Vous avez parlé de raison, mais cette dernière n'est pas toujours présente dans cet hémicycle lorsqu'on parle de nucléaire.
Le nouveau nucléaire n'est plus simplement un moyen de produire de l'électricité, mais un projet de société, un mythe, une foi. Pourtant, les faits sont sans appel : vous voulez construire six, plus huit EPR2. Coût prévisionnel : 51 milliards d'euros en 2020. Désormais, on parle de 100 milliards d'euros pour six EPR, soit 16 milliards l'unité. Rien de surprenant, quand le coût de Flamanville est passé de 3 à 23 milliards et celui d'Hinkley Point de 22 à 40 milliards de livres, selon la Cour des comptes. Excusez du peu !
Monsieur le Premier ministre, vous avez saisi la Cour des comptes pour les retraites ; pourquoi pas pour le nucléaire ? La Cour est très précise : elle recommande « de retenir la décision finale d'investissement du programme EPR2 jusqu'à la sécurisation du financement et l'avancée des études de conception détaillées. » À ce stade, le programme EPR2 n'est ni finançable ni rentable.
Le coût de l'électricité serait alors de 100 euros le MWh : les Français paieront, au final.
L'urgence climatique est là. Notre addiction aux énergies fossiles nous a coûté 60 milliards d'euros l'année dernière. Le pouvoir d'achat des Français est en berne. Il faut agir vite et fort.
Si les énergies renouvelables sont immédiatement disponibles, aucun EPR2 ne verra le jour d'ici à 2040, sans parler des retards. Il y a eu douze ans de retard pour Flamanville, quatorze ans pour l'EPR finlandais, déjà sept ans pour Hinkley Point. Décidément, le nouveau nucléaire, c'est trop tard, et c'est trop cher. Et limoger le patron d'EDF n'y changera rien !
Pourquoi mettre tous nos oeufs dans le même panier, surtout s'il est percé ? Par nostalgie gaulliste ? Je peux l'entendre. (Murmures désapprobateurs à droite) Par adoration technique ? Un réacteur, ce n'est qu'une cocotte-minute, même perfectionnée... Par foi ? En l'occurrence, il s'agirait plutôt de créationnisme ! Et, en matière d'énergie comme de la laïcité, la foi ne doit pas faire la loi. (On renchérit sur les travées du GEST.)
Les énergies renouvelables représentent la majorité des capacités qui s'installent en Europe : c'est sur ce terrain que se déploie le génie de l'innovation et que se joue la résilience des économies.
Malgré votre discours, monsieur le Premier ministre, votre action casse toute dynamique de transition. En sabordant les aides à la rénovation énergétique, en sapant le budget de l'électrification des transports, vous fragilisez le pouvoir d'achat des Français et de nombreuses filières d'artisans, d'industriels et de services, dont dépendent des centaines de milliers d'emplois.
Vous brandissez la souveraineté comme étendard, mais en sapez un à un les fondements en aggravant notre dépendance aux énergies fossiles venues d'ailleurs, à commencer par le gaz de Poutine, le gaz de schiste de Trump et l'uranium du Kazakhstan ou de l'Ouzbékistan. Pendant ce temps, en France, les usines de panneaux photovoltaïques ou d'éoliennes ferment, faute d'action contre le dumping chinois. Nos filières sont menacées par la procrastination permanente et l'absence d'objectifs précis.
Monsieur le Premier ministre, le seul fait que l'extrême droite soutienne le tout-nucléaire en assumant son climatoscepticisme devrait vous alerter. Sa complaisance vis-à-vis de Trump et de Poutine en fait le premier fossoyeur de notre souveraineté. Ne les écoutez pas.
L'extrême droite et, hélas, une partie de la droite s'attaquent à l'État de droit en même temps qu'à l'agenda climatique. Si le centre-droit, dont vous êtes un leader, se laisse embarquer dans cette dérive, l'habitabilité de notre pays sera menacée et la bascule illibérale enclenchée.
Alors que l'Allemagne investit 100 milliards d'euros dans la décarbonation, nos émissions de gaz à effet de serre repartent à la hausse. Il est urgent d'investir pour la sobriété, l'efficacité et la souveraineté à travers un mix énergétique responsable : c'est sur votre action que nous jugerons votre vérité. (Applaudissements sur les travées du GEST et sur des travées du groupe SER)
M. Joshua Hochart . - En matière énergétique comme pour le réseau électrique, des enjeux vitaux, tout est affaire d'équilibre.
L'affreuse guerre en Ukraine l'a montré : les infrastructures électriques, la dépendance à des partenaires d'hier pouvant devenir demain des adversaires et nos systèmes d'approvisionnement sont des enjeux de sécurité nationale.
De toutes les fautes commises ces vingt dernières années, le sabordage conscient de notre parc électronucléaire est sans doute l'une des plus graves. La France pouvait se targuer de disposer du modèle énergétique le plus propre du monde occidental et d'offrir un prix parmi les plus compétitifs à ses ménages et ses entreprises.
Hélas, depuis 2007, les prix de l'énergie ont doublé. Votre attachement servile au mécanisme européen de fixation des prix de l'électricité a précipité le pays dans une spirale inflationniste et une crise économique dont il n'est sorti que par l'affaissement de ses comptes publics.
Contrairement à ce qui est prétendu, le Rassemblement national ne propose nullement de nous reposer sur notre seul parc électronucléaire.
Certes, celui-ci doit être puissamment renforcé. À cet égard, nous avons été les seuls - avec, il faut le dire, la majorité sénatoriale - à proposer un plan pérenne de développement du nucléaire. Nous devons construire 10 GW supplémentaires d'ici à 2035, doubler le parc actuel d'ici à 2050 et investir massivement dans les technologies de l'avenir, dont la fusion nucléaire, pour laquelle la France fait la course en tête.
Mais nous ne nous opposons pas par principe aux énergies renouvelables. Nous avons même été les seuls ou presque à défendre la propriété publique de nos barrages, le développement de l'hydrogène ou encore la valorisation de la biomasse. En revanche, nous nous opposons à des technologies inefficaces, polluantes et dangereuses, comme l'éolien et le solaire.
En Espagne et au Portugal, les premiers rapports d'experts reconnaissent, avec embarras, qu'un dysfonctionnement dans la production électrique non pilotable des énergies dites renouvelables est à l'origine du chaos récent. (On le conteste sur les travées du GEST.)
Nous saluons, monsieur le Premier ministre, votre décision de remettre l'ouvrage sur le métier. La PPE initialement prévue était inacceptable : elle favorisait des énergies dont l'inefficacité ne cesse d'être démontrée, sans offrir à la France les moyens de redevenir un paradis énergétique, favorable à la réindustrialisation.
Face aux décroissants, aux lubies faussement écologiques et aux forces de l'abandon, vous nous trouverez toujours du côté de la puissance et de la grandeur de la France.
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie . - Je remercie l'ensemble des intervenants pour ce débat utile, qui enrichira nos convictions et contribuera à définir la PPE. Car il ne s'agit pas de débattre pour débattre, mais bien de faire évoluer notre stratégie. Je souhaite que le caractère documenté et factuel des arguments demeure le fil directeur de nos échanges.
Un principe guide notre stratégie énergétique : sortir de la dépendance aux énergies fossiles. Cette dépendance est extrêmement coûteuse, puisqu'elle pèse 60 à 70 milliards d'euros chaque année dans notre balance commerciale - et davantage encore quand la Russie utilise le gaz comme arme de guerre. Elle nous empêche de prétendre à la souveraineté énergétique.
Notre objectif est de bâtir un système énergétique résilient, pilotable et compétitif. Comme le Premier ministre s'y est engagé, le débat se poursuivra et les analyses qui en résulteront seront prises en compte. La proposition de loi de M. Gremillet sera examinée par l'Assemblée nationale à la mi-juin. Elle pèsera sur la prochaine PPE, de même que les conclusions du groupe de travail Armand-Gremillet.
Monsieur Gremillet, vous avez évoqué la nécessité d'adapter les objectifs de la PPE. Non seulement nous y souscrivons, mais ces objectifs ont déjà été adaptés, fin 2024. Par exemple, la fourchette du photovoltaïque est passée de 75 à 100 MWh à 65 à 90 MWh. Nous avons aussi introduit un principe de suivi fin des consommations électriques et du processus d'électrification.
Vous appelez à lutter contre la logique de la décroissance. La PPE ne s'inscrit aucunement dans cette logique. Certes, l'objectif de consommation globale baisse, mais cela n'est pas synonyme de limitation de l'activité. Nous entendons nous appuyer sur la sobriété et l'efficacité.
En effet, nous ne devons pas opposer énergies renouvelables et nouveau nucléaire : votre proposition de loi va dans le sens de cet équilibre.
Non, en revanche, la construction des EPR n'est pas de l'ordre du discours. Le dernier conseil de politique nucléaire, présidé par le Président de la République, a décidé d'accélérer la fabrication des six EPR2 et de confirmer la recherche de solutions liées aux SMR. Le schéma de financement de ce nouveau nucléaire sera très bientôt finalisé avec la direction d'EDF et notifié à la Commission européenne.
Vous appelez de vos voeux une augmentation de la capacité hydroélectrique. Cette hausse dépend d'investissements sur les installations existantes, que nous pourrons réaliser dans un cadre sécurisé une fois le contentieux avec l'Union européenne réglé. Nous attendons à cet égard les conclusions de la mission d'information Bolo-Battistel.
Notre stratégie hydrogène serait-elle décevante ? Ce n'est pas mon sentiment. Certes, les objectifs de capacité installée ont été recalibrés sur la base d'une analyse des modèles économiques des différents usages, mais la filière hydrogène attendait la visibilité que lui offre cette stratégie.
Monsieur Montaugé, vous dénoncez un déni démocratique, mais le décret relatif à la PPE est prévu par la loi. La PPE est compatible dans ses objectifs, avec quelques nuances, avec la proposition de loi Gremillet : certes, ce n'est pas un projet de loi, mais le Parlement aura donc bien voté sur cette programmation. Le Premier ministre s'est engagé à prendre en compte les modifications apportées à ce texte dans la PPE. Notre méthode laisse donc sa place au débat démocratique.
Toutes les énergies entraînent des dépendances. C'est le cas du nucléaire avec l'uranium comme des métaux rares, dont le lithium et le graphite, pour les batteries électriques. Le conseil de politique nucléaire a fixé le principe d'un approvisionnement sécurisé et diversifié en combustible. Le problème de la dépendance peut aussi être résolu par la recherche scientifique, s'agissant notamment de la fermeture du cycle nucléaire, c'est-à-dire de la réutilisation du combustible. Le conseil de politique nucléaire a confirmé le soutien aux recherches menées en ce sens. La promesse est formidable, et les chercheurs y croient.
En matière de métaux rares aussi nous menons une stratégie de diversification des approvisionnements. C'est dans cet esprit que j'ai relancé l'inventaire minier de notre territoire par le BRGM. Nous avons des potentialités à explorer, notamment de tungstène et de lithium. Nous devons aussi structurer davantage la filière du recyclage des batteries.
Vous m'avez interpellé également sur la politique industrielle : nous aurons d'autres occasions d'en débattre plus globalement. Mais je considère qu'il faut inverser votre logique : nous devons créer les conditions du développement de l'emploi industriel en France en offrant aux acteurs économiques un prix de l'énergie compétitif.
S'agissant du scénario de RTE, c'est tout l'objet du débat de faire un choix ; je ne veux pas préempter son résultat.
Monsieur Chauvet, nous menons une action volontariste en matière d'électrification. Certains ont des doutes, compte tenu de la stagnation de la consommation d'électricité. Mais nous oeuvrons fortement pour décarboner l'industrie et accompagner les industriels électro-intensifs. Un data center de grande puissance a une consommation annuelle de 8 TWh : or nous devons concrétiser les ouvertures annoncées par le Président de la République lors du sommet de Paris sur l'IA.
Nous maintenons un bonus sur les mobilités, en dépit du contexte budgétaire. Nous maintenons le leasing social et incitons à l'électrification des flottes professionnelles, alors qu'un véhicule électrique neuf sur deux est acheté par une flotte d'entreprise.
Nous continuerons à soutenir aussi la filière des pompes à chaleur.
Oui, certains projets d'énergies renouvelables s'accompagnent de conflictualité. Nous devons privilégier le développement des infrastructures existantes sans artificialiser davantage. Les enjeux de création d'emplois dans nos territoires sont aussi un facteur de conviction.
Vous avez souligné le risque de déséquilibre entre demande et production, mais nous avons besoin de garder des marges de capacité. L'exportation constitue un débouché naturel : l'année dernière, nous avons exporté 90 TWh nets.
Je le répète, le schéma de financement des EPR sera très bientôt notifié à la Commission européenne. La construction des composantes des futurs réacteurs a commencé, notamment à l'usine Framatome du Creusot. La filière recrutera 100 000 personnes au cours de la prochaine décennie.
Oui, monsieur Louault, nos industriels ont besoin de prix compétitifs. Je rappelle que les industriels les plus électro-intensifs bénéficient déjà d'un taux d'accise fortement réduit, de 50 centimes d'euros. Mais il faut aller plus loin. Vous avez cité les contrats d'allocation de production nucléaire (CAPN) : j'ai confiance dans la capacité des acteurs à signer un volume significatif de contrats avant le 1er janvier prochain. Bernard Fontana, désormais à la tête d'EDF, présente un parcours qui témoigne de sa sensibilité aux enjeux des industriels. Nous aurons l'occasion de faire ensemble un bilan des contrats signés.
Je redis que la PPE n'a aucune dimension décroissante. Nous voulons favoriser l'efficacité et la sobriété, certainement pas désindustrialiser.
Nous devons débattre de la contribution au service public de l'électricité (CSPE). Les projections qui figurent dans la PPE dépendent des prix de marché, très difficiles à prévoir à des horizons aussi lointains. La CSPE coûte à l'État, mais elle peut aussi lui rapporter : près de 6 milliards d'euros sont rentrés dans ses caisses en 2022-2023. (M. Yannick Jadot acquiesce.) Il est délicat de critiquer ce principe pour les énergies renouvelables et de l'accepter pour le nucléaire.
M. Vincent Louault. - Ce n'est pas ce que j'ai dit...
M. Marc Ferracci, ministre. - Certaines énergies renouvelables sont compétitives. Par exemple, le quatrième appel d'offres pour l'éolien en mer a conduit à des contrats pour 45 euros le mégawattheure : c'est compétitif même par rapport au nucléaire existant !
M. Yannick Jadot. - Très bien !
M. Marc Ferracci, ministre. - Mais ce n'est pas le cas de toutes les énergies renouvelables. Nous ne devons pas mettre toutes les solutions énergétiques dans le même panier.
Vous affirmez qu'on pourrait prolonger jusqu'à 70 ou 80 ans les réacteurs actuels sans difficulté. C'est à l'ASNR de se prononcer sur ce point, sur la base des analyses d'EDF. Je me suis prononcé en faveur du grand carénage, mais ne mettons pas la charrue avant les boeufs en préemptant la décision de l'ASNR. Ne troquons pas la précaution nécessaire contre un volontarisme effréné.
Oui, monsieur Buis, la souveraineté passe par la décarbonation.
Vous m'avez interrogé sur les EPR supplémentaires qui pourraient être annoncés d'ici à la fin 2026. Le processus d'instruction est en cours : douze sites sont envisagés, dont cinq ont déjà fait l'objet d'une étude par EDF. La décision sera prise avant la fin de l'année prochaine, au moment où les investissements seront annoncés.
La meilleure façon de développer l'éolien offshore, c'est de publier le décret sur la PPE... De fait, il est nécessaire au lancement des appels d'offres, dont l'un est prêt. Notre objectif est de maximiser l'empreinte industrielle des projets et d'offrir de la visibilité à la filière.
Comme vous, nous sommes attachés à l'hydroélectricité. Nous attendons à cet égard les conclusions de la mission Bolo-Battistel et celles de la commission des affaires économiques du Sénat.
Notre stratégie hydrogène repose sur l'identification des modèles économiques les plus solides. De ce point de vue, les expérimentations menées sur le train ne sont pas à la hauteur des résultats obtenus par d'autres usages.
M. Gay a prétendu qu'il y aurait un déni démocratique. Je rappelle que 50 000 citoyens ont participé aux consultations, que la proposition de loi Gremillet est débattue au Parlement et qu'un groupe de travail composé de parlementaires, autour de MM. Armand et Gremillet, est à la tâche. Il me semble qu'on est loin du déni de démocratie...
Par ailleurs, lorsque les énergies renouvelables ne produisent pas, elles ne sont pas payées à ne rien faire : il n'y a pas de rendement à ne pas produire.
Le rabot sur MaPrimeRénov' est lié aux circonstances budgétaires, mais nous maintenons ce dispositif. Aucun gouvernement avant 2020 ne s'était engagé aussi résolument en faveur de la rénovation énergétique !
Il est faux de dire que rien ne serait fait pour contrer le photovoltaïque chinois. Nous avons en France deux usines de panneaux photovoltaïques, et plusieurs gigafactories vont voir le jour avec le soutien de l'État.
Affirmer que les prix de l'électricité augmenteront de 10 % l'année prochaine ne repose sur aucun fondement. Au demeurant, ces tarifs ont baissé de 15 % au 1er février dernier.
Madame Carrère, je partage votre souci de peser chaque denier public, notamment pour décarboner l'industrie. Il s'agit de savoir combien coûte l'abattement d'une tonne de CO2. Prêchant pour ma paroisse, je souligne que les dépenses de décarbonation consenties en matière industrielle sont plus efficaces que dans d'autres secteurs.
Oui, nous devons minimiser les risques, mais restons prudents sur l'épisode espagnol : nous ne disposons à l'heure actuelle d'aucune certitude sur les causes de la panne récente. (M. Yannick Jadot renchérit.) Reste que nous devons, à l'évidence, diversifier nos sources d'énergie. En 2023, lorsque sont apparus les problèmes de corrosion sous contrainte, les énergies renouvelables ont pris le relais.
Monsieur Jadot, j'ai la faiblesse de croire que ce n'est pas « juste un débat ». (Mme Mélanie Vogel s'exclame.)
Oui, nous devons prendre en compte le contexte géopolitique. De ce point de vue, la guerre en Ukraine confirme la nécessité de sortir de la dépendance aux énergies fossiles et de renforcer notre souveraineté.
L'hypothèse de coût des EPR2 est de 67 milliards d'euros, non de 100 milliards. Le nouveau nucléaire ne serait-il pas finançable ? Je ne suis pas d'accord : nous proposerons un schéma de financement reposant sur un prêt bonifié dans la phase de construction et un contrat pour différence dans la phase d'exploitation. Le nouveau nucléaire coûte plus ou moins cher, mais il est assurément finançable.
La France n'est d'ailleurs pas le seul pays à investir dans ce domaine. Je suis à la tête d'une alliance européenne d'une dizaine de pays qui défendent le nucléaire et la neutralité technologique. Nous ne sommes pas un îlot en Europe : il y a une dynamique aussi en faveur du nucléaire ! (Marques d'ironie sur les travées du GEST)
Nous ne freinons pas l'électrification : nous continuons de la soutenir, en tenant compte des contraintes budgétaires.
Enfin, nous attaquerions l'agenda climatique ? C'est faux : nous défendons l'agenda issu des accords de Paris, mais estimons que nos objectifs de décarbonation doivent être rendus compatibles avec une politique industrielle ambitieuse - je l'ai rappelé à tous les commissaires européens que j'ai rencontrés.
Enfin, M. Hochart a prétendu que les premiers rapports d'experts en Espagne et au Portugal tendraient à mettre en cause un modèle fondé majoritairement sur les énergies renouvelables. Après avoir échangé avec mon homologue espagnole et RTE, je considère qu'il est impossible à ce stade d'avoir quelque certitude que ce soit sur l'origine de la panne qui s'est récemment produite. (Applaudissements sur les travées du RDPI, sur des travées du RDSE et du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
La séance est suspendue quelques instants.
Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président
CMP (Nominations)
M. le président. - Des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire (CMP) chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi autorisant la ratification de la résolution LP.3(4) portant amendement de l'article 6 du Protocole de Londres de 1996 à la Convention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l'immersion de déchets et autres matières ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la Présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre règlement.
Personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 (Deuxième lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, portant reconnaissance par la nation et réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982.
Discussion générale
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations . - Le devoir de mémoire n'est pas un exercice de confort ; c'est une exigence de vérité et un acte de justice.
Avec cette proposition de loi, nous parlons d'une histoire trop longtemps étouffée, trop longtemps tue par ceux-là mêmes qui l'ont subie, tant la honte et l'invisibilité les empêchaient de parler. Aujourd'hui encore, malgré les travaux menés depuis les années 1990, l'histoire de la répression de l'homosexualité en France demeure méconnue.
Nous parlons aussi de l'histoire d'un mythe : celui d'une France pionnière, patrie des Lumières et modèle de tolérance, qui, en 1791, supprima le crime de sodomie, qui pouvait conduire au bûcher.
Notre pays n'en est pas moins resté un espace où l'homosexualité demeurait stigmatisée et poursuivie. De fait, le droit s'est reconfiguré pour continuer à punir, de manière déguisée, à travers d'autres infractions : outrage public à la pudeur, excitation de mineurs à la débauche, atteinte aux bonnes moeurs, racolage, proxénétisme... Derrière la légalité de façade, un ciblage systématique.
L'outrage public à la pudeur est devenu l'un des principaux outils de répression : dans la plupart des cas, l'outrage n'avait rien de public et la pudeur offensée était celle d'un ordre profondément réactionnaire. Souvent, la police provoquait elle-même l'infraction.
En 1942, un cap est franchi : le régime de Vichy introduit dans le code pénal des dispositions explicitement discriminatoires envers les homosexuels. La loi du 6 août institue en effet une majorité sexuelle différenciée : 13 ans pour les hétérosexuels, 21 ans pour les homosexuels. Il s'agit de faciliter les condamnations et, dans le contexte de Vichy, les déportations et l'extermination.
À la Libération, cette loi est confirmée par l'ordonnance du 8 février 1945, dont l'exposé des motifs affirme : « cette réforme, inspirée par le souci de prévenir la corruption des mineurs, ne saurait, en son principe, appeler aucune critique ». Cette continuité s'enracine dans une société d'après-guerre qui valorise la virilité, redoute le désordre et efface le rôle des résistants homosexuels et lesbiennes.
C'est dans une atmosphère de croisade morale que le député Paul Mirguet, en 1960, fait classer l'homosexualité dans la liste des « fléaux sociaux » : l'ordonnance du 25 novembre instaure une circonstance aggravante pour l'outrage à la pudeur commis entre personnes de même sexe, justifiant un doublement des peines.
Nous parlons de l'histoire de milliers de vies humaines, profondément et durablement marquées par cette répression : l'histoire de ceux dont le seul délit était d'aimer une personne du même sexe.
Traqués par Vichy, marqués d'un triangle rose, ils ont été internés, déportés, exterminés. La République a continué de les poursuivre. Ils étaient ouvriers, manoeuvres agricoles, manutentionnaires, cuisiniers, coiffeurs, étudiants, maîtres-nageurs, porteurs de valises... Ils aimaient en cachette, dans des lieux de fortune, parce que c'était cela ou rien.
Ils ont été piégés, provoqués, embarqués dans les paniers à salade. On leur cassait la gueule, leur disait au commissariat : « vous êtes pédé, vous l'avez bien cherché ». Au tribunal, on leur demandait : « Monsieur, êtes-vous un inverti ? » Leur nom paraissait dans le journal local comme une deuxième sentence. Ils ont connu les interpellations sans suite et les gardes à vue humiliantes. Ils passaient six mois en préventive et étaient condamnés avec sursis. Surveillés, soumis au chantage, ils vivaient sous une menace permanente, perdaient leur emploi ou étaient mis à la porte de leur logement sur une rumeur ou après une dénonciation. Certains ne voyaient d'autre issue que le suicide.
La société les tenait pour des malades ou des délinquants. Ils devaient raser les murs et baisser les yeux, aimer sans jamais le dire, inventer des alibis.
Je pense aussi à celles qu'on n'a pas accusées, parce que, pour le patriarcat, une femme sans homme, cela n'existe pas.
Ce sont toutes ces vies qu'il nous faut aujourd'hui reconnaître.
Dans cette nuit épaisse, certains ont dit non. Grâce à eux, l'histoire dont nous parlons cet après-midi est aussi celle de la dépénalisation.
Dans le sillage de mai 68 et des émeutes de Stonewall, à New York, une génération s'éveille et réclame égalité et justice. Le 25 juin 1977, 400 personnes marchent de République à Place des Fêtes à l'appel du groupe de libération homosexuel (GLH) et du MLF. Les mouvements s'affirment, les voix se multiplient, les résistances s'organisent.
Au Parlement, quelques voix tentent de briser le mur. En 1978, le sénateur Henri Caillavet dépose une proposition de loi visant à abroger les dispositions discriminatoires du code pénal : rejetée, elle fissure pourtant l'édifice.
Le 19 novembre 1980, l'Assemblée nationale abroge l'ordonnance du 25 novembre 1960, mais l'héritage de Vichy résiste encore. Jusqu'au printemps 1981 : le 4 avril, 10 000 manifestants rassemblés par le Comité d'urgence anti-répression homosexuelle défilent à Paris ; après le 10 mai, sous l'autorité de Gaston Deferre, le préfet Grimaud ordonne à la police de cesser toute discrimination ; la France se retire de la classification de l'OMS assimilant l'homosexualité à un trouble mental.
Puis, au mois d'août, Robert Badinter fait adopter une loi d'amnistie et demande aux parquets de cesser toute poursuite. Enfin, le 4 août 1982, l'article 331-2 du code pénal est abrogé.
Robert Badinter déclara devant le Parlement : « Cette discrimination et cette répression sont incompatibles avec les principes d'un grand pays de liberté comme le nôtre ». Et Gisèle Halimi d'ajouter : « La norme sexuelle ne se définit pas, à condition de n'agresser ou violenter personne ». Ils avaient raison.
Nous parlons, enfin, de l'histoire d'une responsabilité. Et, d'abord, de la responsabilité historique de l'État, qui, par ses lois, ses tribunaux, sa police et sa médecine, a organisé la répression pendant des décennies. L'homophobie n'a pas été simplement tolérée : elle a été institutionnalisée, orchestrée. L'État n'a pas seulement laissé faire : il a condamné et persécuté. L'homophobie a été une politique.
Cette responsabilité ne peut être ni esquivée ni diluée. Elle doit être pleinement assumée. Pour celles et ceux qui ont été condamnés, la République doit regarder son passé sans détourner les yeux ; la nation doit demander pardon.
Le travail remarquable du Sénat honore le devoir de mémoire de notre démocratie. Je rends hommage aussi aux historiens, chercheurs, artistes, qui font émerger des vérités trop longtemps tues. Sans leur travail, pas de reconnaissance ni de transmission.
Cette histoire nous oblige et engage notre responsabilité collective. L'histoire ne va pas toujours en ligne droite. Il suffit d'un souffle pour que l'égalité vacille. Nous voyons ce souffle se lever, la haine se redéployer.
Les attaques contre les personnes LGBT et les campagnes contre la supposée théorie du genre - qui n'existe pas - reprennent des rhétoriques anciennes et sournoises : c'est le même poison, versé dans de nouvelles coupes.
Partout en Europe, les droits des personnes LGBT+ sont attaqués. Le mois dernier, en Pologne, j'ai réaffirmé la position de la France, après les récentes décisions de la Hongrie : pas de pause ni d'exception pour les droits humains, qui s'appliquent partout, tout le temps et pour tous !
C'est pourquoi ce texte n'est pas qu'un acte de mémoire. Aux générations passées, nous devons la vigilance, pour refuser l'effacement, le relativisme et le retour en arrière. Aux générations futures, nous devons l'espérance, pour une humanité plus digne, plus juste et plus libre. Entre les deux se tient notre devoir : un engagement international pour la dépénalisation universelle de l'homosexualité ; un engagement européen et national pour consolider ce qui a été arraché de haute lutte et enclencher de nouveaux progrès. C'est dans cet esprit que, le 26 mai prochain, je présiderai le comité de suivi du plan national pour l'égalité, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+.
Je veux dire toute ma reconnaissance aux associations, centres LGBT, militantes et militants, vigies de cette action. Ils sont des partenaires indispensables et exigeants. Je serai toujours à leurs côtés.
Face à la haine, la République ne reculera pas. Face à l'indifférence, elle ne cédera rien, car nous défendons l'universalité de l'émancipation, le droit de chacun à être qui il est, à aimer sans peur et sans masque : cela, ce n'est pas négociable. (Applaudissements)
M. Francis Szpiner, rapporteur de la commission des lois . - L'initiative de Hussein Bourgi, à l'été 2022, était bienvenue.
Ce texte, adopté par le Sénat à l'unanimité, puis modifié par l'Assemblée nationale, constate que, pendant de longues années, notre pays a pratiqué une discrimination.
La recherche a montré que plus de 10 000 personnes ont été condamnées sur le fondement de ces dispositions discriminatoires. De plus, la répression de l'outrage public à la pudeur relevait souvent de l'arbitraire, les comportements n'étant pas appréciés de la même manière selon qu'il s'agissait de couples homosexuels ou hétérosexuels.
Le Sénat a affirmé avec force que les homosexuels ont été victimes de discrimination. Mais à partir de quand cette responsabilité était-elle engagée ? Hussein Bourgi avait visé la période 1942-1982. Mais la République n'a pas à s'excuser des actes de l'État français : Vichy n'était pas la République. La France légitime était la France libre, à Londres. (M. Clément Pernot applaudit.) Les événements survenus entre 1942 et 1945 procédaient de l'idéologie de Vichy, dans une logique de répression globale. La recherche sociologique distingue ces deux périodes, qui ne sont pas comparables. C'est pourquoi la commission a modifié l'intitulé du texte et son article 1er, pour retenir la période 1945-1982 : la République ne peut s'excuser que de ses fautes.
M. Yannick Jadot. - C'était l'État français !
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Chacun sait d'où je viens. Jacques Chirac a prononcé le magnifique discours du Vél' d'Hiv...
M. Yannick Jadot. - En effet !
M. Hussein Bourgi. - Tout à fait !
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Merci, monsieur Jadot, de saluer Jacques Chirac. Comme quoi, tout arrive dans cet hémicycle...
Reconnaître que la France de Vichy a participé à la politique d'extermination ne signifie pas que la République doit endosser les crimes de Vichy.
Comme le Sénat, l'Assemblée nationale n'a pas retenu le délit de négationnisme, une innovation qui soulève des risques juridiques majeurs, notamment pour les contentieux en cours. De telles dispositions figurent en outre dans la loi de 1881, notamment son article 24 bis. Je me réjouis de cet accord entre les deux chambres.
Enfin, la proposition de loi prévoyait un régime de réparation financière au bénéfice des personnes condamnées. À l'étranger, les réparations ont été minoritaires - elles ont surtout concerné l'Allemagne nazie et l'Espagne franquiste -, l'immense majorité des États se contentant d'une reconnaissance symbolique. La loi d'amnistie de 1981 en France a effacé les condamnations.
Il s'agirait d'indemniser les conséquences directes de l'application de la loi pénale. Or personne n'aurait pu attaquer l'État en réparation, car le requérant se serait heurté à la prescription - les faits remontent à plus de quarante-cinq ans, et jusqu'à quatre-vingts ans.
Vous proposez d'indemniser les dommages d'une loi, certes moralement condamnable, mais régulière à l'époque. La seule loi d'indemnisation a porté sur les harkis : or cette réparation ne relevait pas de l'application d'une loi régulière, mais bien de circonstances de fait. Cela n'est pas transposable.
Enfin, cela ouvrirait la porte à d'autres contentieux. Prenons l'exemple de l'IVG, inscrit dans la Constitution. Si la République s'excuse auprès des femmes de cette répression abominable, cela ouvre-t-il la voie à la réparation ? Chaque évolution heureuse de la société donnera-t-elle droit à réparation ? Sur ce point, je suis en désaccord avec le texte de l'Assemblée nationale.
La République doit s'excuser d'une situation indiscutablement discriminatoire. Au-delà de la répression, la publicité a plongé des gens dans des situations atroces. La réparation morale est heureuse, mais aller au-delà serait juridiquement déraisonnable.
Cette déclaration solennelle envoie aussi un message à ceux qui, ailleurs en Europe, veulent revenir sur les droits des homosexuels. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains)
M. Cédric Chevalier . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) En 1791, la France a été pionnière en dépénalisant l'homosexualité. Une avancée brutalement broyée en 1940, avec le rétablissement d'infractions pénales visant l'homosexualité. Fait regrettable, alors que la plupart des lois de Vichy ont été annulées à la Libération, l'ordonnance du 8 février 1945 a maintenu cette répression. Pis : la législation fut durcie en 1960. Ce n'est que le 4 août 1982 que la France abrogea enfin ces dispositions.
Nous déplorons que notre code pénal ait contenu, pendant si longtemps, de telles dispositions discriminatoires. Oui, cette répression fut indigne de notre République. Nul ici ne saurait le contester.
Je salue l'initiative de notre collègue Hussein Bourgi, à l'occasion des 40 ans du texte fondateur de 1982. Sa proposition de loi visait à reconnaître les souffrances et à engager des réparations. Mais le texte adopté par l'Assemblée nationale soulève plusieurs difficultés juridiques.
Premièrement, il paraît nécessaire de distinguer les persécutions de nature totalitaire perpétrées sous Vichy, des discriminations qui ont perduré ensuite. J'approuve donc le choix de la commission de recentrer le texte sur la période 1945-1982.
Deuxièmement, le principe de réparation heurterait le principe de prescription et la grande majorité des pays n'ont pas instauré un tel mécanisme.
Je remercie Francis Szpiner pour la qualité de son travail et la clarté de son analyse juridique.
Ce texte contient une charge symbolique forte : il dit haut et fort que la République reconnaît la répression dont ont été victimes des milliers de personnes. Le groupe INDEP le votera, dans sa rédaction issue de la commission des lois. (MM. Pierre Jean Rochette, Francis Szpiner, Clément Pernot et Mme Patricia Schillinger applaudissent.)
Mme Béatrice Gosselin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi revêt une portée historique et symbolique forte.
Notre pays, pourtant précurseur dès 1791, a remis en cause la dépénalisation de l'homosexualité sous le régime de l'État français, en 1940. Après la Libération, la République a maintenu ces dispositions discriminatoires, prolongeant l'injustice. De 1945 à 1982, entre 10 000 et 50 000 personnes, presque que des hommes, ont été condamnées, dans plus de 90 % des cas à de la prison ferme, entraînant des blessures individuelles et collectives profondes.
La commission des lois a admis sans ambiguïté le caractère discriminatoire de cette législation. Reconnaître les erreurs du passé est un acte de mémoire ; c'est aussi un acte de fidélité à nos principes fondamentaux - la liberté, l'égalité et la dignité humaine.
Mais nos principes juridiques doivent être respectés : le dispositif d'indemnisation financière posait de sérieuses difficultés et aurait été constitutionnellement fragile. De même, la création d'un nouveau délit n'était pas nécessaire, l'arsenal juridique étant déjà suffisant.
L'Assemblée nationale a choisi une reconnaissance plus large, de 1942 à 1982, et a prévu une indemnisation financière. Le Sénat a lui privilégié une reconnaissance solennelle limitée à la République. Dès le 9 août 1944, le Gouvernement provisoire a affirmé que la République n'avait jamais cessé d'exister et que tous les actes de Vichy étaient nuls et non avenus.
Cela dit, c'est bien la responsabilité de la République d'avoir maintenu ce régime après 1945. C'est pourquoi la reconnaissance porte sur la période à compter de 1945, quand la République a failli à son devoir de protéger tous ses citoyens.
Le Sénat a supprimé le mécanisme de réparation financière, pour des raisons juridiques solides - amnistie de 1981, prescription, expériences étrangères non directement transposables. Notre tradition juridique repose sur l'effacement des condamnations injustes et sur la reconnaissance symbolique, sans indemnisation systématique, à l'instar de la restitution d'oeuvres d'art spoliées sous l'Occupation.
Je salue le travail des historiens, de notre rapporteur, des associations et de la société civile. Il est grand temps que la France dise à ceux qui ont souffert de ces lois injustes : « Vous n'étiez coupable de rien ». (L'oratrice est gagnée par l'émotion.) Que cette reconnaissance soit un jalon supplémentaire vers une République toujours plus fidèle à sa promesse d'égalité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP)
Mme Patricia Schillinger . - (M. Cédric Chevalier applaudit.) Ce texte vise un objectif nécessaire et incontestable. Cette discrimination, légalement instituée, a constitué une entrave à nos valeurs fondamentales. Pendant près de quarante ans, ces lois ont brisé des vies et assigné nombre de nos concitoyens au silence et à la honte. Ce texte vise à réparer ces fautes, symboliquement.
Nous saluons l'initiative de notre collègue Hussein Bourgi : sa proposition de loi s'inscrit dans la lutte contre l'homophobie, qui doit être poursuivie, inlassablement. Nous réaffirmons notre solidarité républicaine à celles et à ceux qui en sont encore victimes aujourd'hui.
Il aura fallu quarante ans pour que la République revienne sur ces dispositions iniques. L'homosexualité fut dépénalisée dès 1791, mais de nouveau criminalisée en 1942, avant la dépénalisation de 1982.
Cette proposition de loi dépasse les clivages politiques : un large consensus s'est exprimé pour reconnaître les souffrances endurées et la responsabilité de la nation.
Toutefois, des divergences sont apparues : l'Assemblée nationale a retenu la période de Vichy et réintroduit la réparation financière. Ces deux points feront l'objet d'un dialogue approfondi au cours de la navette.
Un accord est toutefois intervenu sur la suppression de la création d'un délit de négationnisme, car le droit actuel permet déjà d'agir.
Ce texte ne répare pas tout et ne pourra jamais effacer les violences. Mais il reconnaît clairement les fautes de la République. Nous formons le voeu qu'un consensus soit trouvé, dans une rédaction équilibrée. C'est un signal fort, attendu, nécessaire : le RDPI votera cette proposition de loi. (M. Cédric Chevalier applaudit.)
Mme Sophie Briante Guillemont . - Le 6 août 1942, Vichy instaurait une différence de majorité sexuelle, renforçant la répression envers les homosexuels. Cette réforme discriminatoire attendait dans les couloirs de la Chancellerie dès le gouvernement Daladier.
Certes, l'infraction de sodomie a été abrogée en 1791. Mais cela ne nous a pas empêchés d'user et d'abuser de toutes les contorsions possibles pour réprimer les homosexuels, en utilisant l'attentat à la pudeur, notamment.
Entre 1791 et 1942, la France a connu de nombreux régimes politiques, qui ont tous dénoncé les pédérastes et stigmatisé des amours antinaturelles. La loi de 1942 n'est donc pas une rupture : elle s'inscrit dans une tradition de répression.
À la Libération, il est estimé que « la loi du 6 août 1942 (...) ne saurait en son principe appeler aucune critique ». Tout est dit ! Et on retiendra plus les collabos homosexuels que les résistants gays...
Il faudra attendre la proposition de loi Forni de 1982 pour qu'il en soit autrement.
Il me semble fondamental de reconnaître que c'est bien la nation française qui a discriminé les homosexuels, et je salue la proposition de loi de Hussein Bourgi.
L'article 1er a été rétabli en commission dans la rédaction assez intransigeante du rapporteur. Il est pourtant important de conserver le terme de nation - et non de République - et de faire débuter la reconnaissance dès 1942. Ce terme a déjà été utilisé en 2022 dans la loi sur les harkis et il est cité à plusieurs reprises dans la Constitution. Vichy n'était pas la République, mais c'était bien la France. Refuser de reconnaître la responsabilité de l'État français au cours de cette période constitue un incommensurable recul.
Avec l'arrêt Papon, le Conseil d'État a reconnu que l'État pouvait être condamné à indemniser les victimes de Vichy. Rien ne s'oppose à la création d'un régime spécifique d'indemnisation. Le texte issu de la commission est un texte vidé de sa substance, sans une once de normativité. Les députés ont dénoncé la frilosité du Sénat. Le RDSE, favorable à l'indemnisation, a de l'ambition pour ce texte, à la hauteur des discriminations subies, d'autant que les condamnations se sont accompagnées d'une exclusion des cercles familiaux et professionnels.
Pour toutes ces raisons et parce que l'homophobie est encore bien présente, le RDSE est favorable à ce texte, dans sa version issue de l'Assemblée. (MM. Jacques Fernique et Ian Brossat applaudissent.)
M. Jean-Michel Arnaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. » L'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 porte les idéaux universalistes de la Révolution française. C'est ainsi que nous avons posé les bases de l'État moderne : divorce par consentement mutuel en 1793, première abolition de l'esclavage en 1794, dépénalisation du crime de sodomie en 1791.
Mais le gouvernement vichyste, ouvertement homophobe, rétablit le crime d'homosexualité, par une loi du 6 août 1942. À la Libération, on ne modifia qu'à la marge cette discrimination, qui demeura en vigueur jusqu'en 1982. S'y ajoutait l'outrage public à la pudeur, qui visait « un acte contre nature avec un individu de même sexe ». Durant quatre décennies, cette discrimination a été acceptée.
Dès 1978, le Sénat, sans être suivi par l'Assemblée nationale, en avait voté l'abrogation. Mais il faudra attendre la loi du 4 août 1982 pour que l'homosexualité soit officiellement dépénalisée.
Comme le dit le rapporteur, le législateur s'est fourvoyé en opérant une discrimination sur le fondement de l'orientation sexuelle. En aucun cas, notre République ne peut réprimer un individu pour ce qu'il est. Durant quatre décennies, la France a laissé subsister une « pesanteur », selon les mots de Robert Badinter.
En commission, le groupe UC a suivi le souhait du rapporteur de recentrer le dispositif sur la période 1945-1982.
Le Sénat et l'Assemblée nationale ont trouvé un accord sur la suppression de l'article 2. Si l'intention était louable, l'article 24 bis de la loi de 1981 suffit et l'autonomisation de ce délit aurait perturbé les contentieux en cours.
La mise en place d'un mécanisme de réparation financière semble juridiquement contestable, car incompatible avec l'amnistie de 1981, avec nos règles de prescription et avec la jurisprudence du Conseil d'État sur la responsabilité de l'État du fait des lois. De plus, de très nombreux pays n'ont pas mis en place une telle réparation.
Nous devons tirer les enseignements du passé pour les transmettre aux générations futures. L'éducation et la transmission permettent à une nation de ne pas oublier son histoire. Nous devons lutter contre l'homophobie et toute forme d'exclusion.
Je remercie Hussein Bourgi pour son engagement personnel, et toutes les associations et les citoyens qui ont permis ce débat. Toutes les victimes de ces discriminations méritent notre respect. Le groupe UC votera la proposition de loi dans la version du rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du GEST)
M. Ian Brossat . - Certains textes interrogent notre mémoire collective ; c'est le cas de celui-ci, qui parle de ce que la République assume, de ce qu'elle répare et de ce qu'elle transmet.
Entre 1942 et 1982, des milliers d'hommes ont été harcelés et condamnés, pour une seule raison, leur homosexualité, pour avoir aimé et été eux-mêmes. La répression de Vichy a été renforcée en 1960 par l'amendement Mirguet, qui qualifiait l'homosexualité de « fléau social ».
Ces temps-là paraissent lointains. Ma génération, née dans les années 1980, n'a connu que des progrès : 1982 et la dépénalisation de l'homosexualité, 2000 et le Pacs, 2013 et le mariage pour tous.
Pour autant, nous devons regarder notre passé en face et tâcher de le réparer. D'abord, parce que les avancées conquises sont le fruit de combats menés par des femmes et des hommes qui ont vécu, souvent douloureusement, ces discriminations et ces humiliations.
Mais ces évolutions législatives peuvent toujours être remises en cause et des forces réactionnaires sont à l'oeuvre pour revenir en arrière, en Europe, comme outre-Atlantique - voyez la Hongrie d'Orban.
En France, les discriminations et les violences sur les personnes LGBT persistent. Le combat contre les LGBT-phobies n'est pas derrière nous. Or nous ne pouvons le mener qu'en regardant notre passé en face : au-delà de « l'État », abstrait, des parlementaires ont voté ces lois discriminatoires.
Nous soutenons ce texte dans sa version initiale, pour une reconnaissance symbolique et une réparation de cette homophobie d'État. D'où nos amendements de rétablissement du texte de Hussein Bourgi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, du GEST et du RDSE)
Mme Mélanie Vogel . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Dans l'histoire de toutes les grandes nations, face à l'inexcusable et à la dissonance, il n'y a d'autre option digne que l'aveu de nos fautes. C'est à cela que les lois mémorielles servent, à dire que nous avons eu tort et à promettre que plus jamais cela n'arrivera.
Alors que les textes contre les droits fondamentaux s'enchaînent dans cet hémicycle, alors que nous pourrions faire de la France le pays le plus répressif d'Europe en matière d'accès aux soins des mineurs trans - si un certain texte était adopté définitivement - , il est bon de voter cette proposition de loi aujourd'hui.
Face aux offensives de l'Internationale réactionnaire qui, de Washington à Moscou, de Buenos Aires à Budapest, de Téhéran à Rome, prennent les personnes LBGT pour cible, la France doit réaffirmer qu'elle est pour la liberté, l'égalité, la dignité, la diversité, l'humanité pleine et entière de chacune et de chacun.
À la Libération, la France a choisi de faire sienne la loi de Vichy de 1942, amorcée sous la IIIe République. Avec ce crime sans victime, les homosexuels étaient coupables d'être. Ils ont été arrêtés, emprisonnés, déportés, fichés, traqués. Cela fait honte à la France.
Éluder la période de Vichy, c'est abandonner une partie des victimes et entretenir leur souffrance. Si nous n'endossons pas cette responsabilité, qui le fera ? Pour le rapporteur, Vichy n'est pas la France ; mais la République a prolongé et renforcé l'oeuvre de Vichy : elle en porte donc la responsabilité.
Il serait honteux de manquer l'occasion d'adopter définitivement ce texte pour s'exonérer de la mémoire de Vichy et refuser d'aller au bout de la démarche, l'indemnisation. Pourquoi ne pas faire comme pour les harkis, ni plus ni moins ?
Nous devons dire collectivement la honte de ce que nous avons fait il y a quatre-vingts ans, mais arrêtons aussi de faire ce dont nous aurons honte dans quatre-vingts ans ! Il a fallu attendre 2010 pour retirer le transsexualisme des affections psychiatriques, 2013 pour que le mariage cesse d'être homophobe, 2016 pour cesser la stérilisation forcée des personnes trans, 2021 pour que l'accès à la PMA ne soit plus lesbophobe ! En 2025, une personne trans ne peut toujours pas être reconnue pour qui elle est sans l'aval d'un juge ni accéder à la PMA ; en 2025, des enfants intersexes sont toujours mutilés. Il y aura, dans quatre-vingts ans, des lois pour demander pardon à toutes les victimes LGBT+. Les héritiers et les héritières de la proposition de loi Eustache-Brinio les voteront.
Alors, gagnons du temps : réduisons dès maintenant le poids de la honte de demain et faisons l'égalité aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)
M. Hussein Bourgi . - (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, UC et du GEST ; M. Francis Szpiner applaudit également.) Merci à tous de vos propos bienveillants.
Reconnaissance et réparation, de 1942 à 1982, tel était l'équilibre de la proposition de loi que j'ai déposée le 6 août 2022. En première lecture, mon ami Francis Szpiner a argué de difficultés juridiques pour expurger le texte de sa dimension réparatrice, au point de le déséquilibrer. Mais quelle ne fut pas mon agréable surprise de constater qu'à l'Assemblée nationale les difficultés juridiques soulevées au Sénat n'ont pas été retenues et que la réparation a été rétablie, à l'unanimité - merci aux députés de droite.
Le bornage dans le temps avait fait débat entre nous. La question « Vichy était-ce la France ? » me semblait avoir été tranchée par le Président Chirac, dans son discours du Vél' d'Hiv. Nul ne remet plus en cause ce discours fondateur de la République française. Une France forte sait regarder son passé avec lucidité et reconnaître ses erreurs.
Ce désaccord persiste donc avec le rapporteur et la majorité sénatoriale. J'aurais préféré qu'à la Libération, les textes de Vichy soient abrogés, mais tel n'a pas été le cas : François de Menthon a repris à son compte les lois de Vichy. C'est une réalité qui fait mal, mais nous devons faire avec.
J'en viens à la réparation. Il a été question de clémence, qui est une sorte d'absolution de la faute commise, à l'instar de l'amnistie : je ne m'y reconnais pas. Quand on reconnaît ses torts, on les répare. Devant les tribunaux, dès lors que la matérialité du préjudice est établie, il y a réparation. Je défends ce lien de causalité, que nous avons retenu pour nos compatriotes harkis.
Certains ont cité l'Allemagne et l'Espagne. Mais sachez que l'Autriche et le Canada ont décidé la reconnaissance et la réparation.
Je ne vois pas ce qui fait obstacle à l'adoption de cette proposition de loi dans sa version initiale. Mes amendements viseront à la rétablir.
J'invite chacune et chacun à voter en conscience et en responsabilité. Songez au regard des historiens sur nos débats. Votez en ayant à l'esprit l'histoire de la France et ses valeurs.
S'agissant de la dignité des personnes, nous n'avons pas le droit de minauder ni de mégoter. Comme le général de Gaulle, nous avons tous « une certaine idée de la France ». La France est belle quand elle est fraternelle, elle est courageuse quand elle est généreuse, elle est forte quand elle est lucide sur son passé. Alors, soyons lucides, fraternels et courageux. Votons la reconnaissance et la réparation ; ainsi serons-nous au rendez-vous de l'histoire de ce beau et grand pays que nous aimons toutes et tous. (Applaudissements à gauche et sur les travées du RDSE et du RDPI)
Discussion des articles
Article 1er
M. le président. - Amendement n°1 de M. Bourgi et du groupe SER.
M. Hussein Bourgi. - Cet amendement concerne le bornage dans le temps. Il n'y a pas lieu de marquer une rupture en 1945, puisqu'il s'agit du même texte de loi, repris par le gouvernement de la Libération. Il y a un continuum législatif et juridique.
M. le président. - Amendement identique n°4 de M. Brossat et du groupe CRCE-K.
M. Ian Brossat. - Nous rétablissons l'article 1er dans sa rédaction initiale et telle qu'adoptée par l'Assemblée nationale. Ce n'est pas un détail. Affirmons une vérité que la République a trop longtemps ignorée : entre 1942 et 1982, la France a réprimé des citoyens en raison de leur orientation sexuelle. De Vichy à la République, la même logique répressive a perduré, dans une incontestable continuité historique et juridique.
M. le président. - Amendement identique n°10 de Mme Vogel et alii.
Mme Mélanie Vogel. - Rétablissons l'article 1er, tant sur la borne de temps que sur les réparations. La loi de 1942 est issue de la IIIe République et elle a été consciemment poursuivie par la République, puis renforcée, avant d'être abandonnée en 1982. Il n'y a aucune justification à effacer la période 1942-1945.
L'article 1er vise aussi la réparation financière, conséquence logique de la reconnaissance d'un préjudice. Si vous refusez de réparer un préjudice, vous ne l'avez pas totalement reconnu.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Dans son objet, les auteurs de l'amendement n°10 écrivent : « à qui revient-il d'endosser cette responsabilité ? » C'est très simple : la condamnation du régime de Vichy par la France libre a été unanime. Pourquoi ceux qui se sont battus contre Vichy devraient-ils endosser la responsabilité de ce régime criminel ? (Réactions sur quelques travées du groupe SER)
Je me rappelle combien, en son temps, Chirac a été vilipendé ; permettez-moi de m'en faire l'interprète (on apprécie à droite) : il a reconnu la responsabilité de la France et de l'État français, pas de la République ! Je maintiens que la République n'a pas à s'excuser d'un régime monstrueux qu'elle a combattu les armes à la main. La France légitime était à Londres. Le régime de Vichy était « nul et non avenu ». Refuser d'endosser les crimes de Vichy est un devoir pour tout républicain. Avis défavorable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. - Avis défavorable à ces amendements, comme à l'ensemble des autres amendements ; nous souhaitons conserver la rédaction de la commission.
Personne ne nie les souffrances infligées aux personnes homosexuelles pendant le régime de Vichy. Personne. Mais la République française a-t-elle à en répondre aujourd'hui ? Nous considérons que non, parce que ce n'était pas la République française. (Mme Christine Bonfanti-Dossat renchérit.) N'introduisons pas de confusion. Nous ne méconnaissons le caractère insupportable des souffrances infligées, mais la République n'est pas responsable.
Nous écartons la réparation financière pour une raison juridique. La situation des harkis n'est pas comparable. Tout d'abord, la réparation financière ne peut pas valablement découler de l'application directe d'une loi pénale. Ensuite, l'articulation avec l'amnistie prononcée en 1982 est problématique. Comment réparer des condamnations qui ont été effacées ? Enfin, comment ouvrir droit à réparation alors que les délais de prescription sont de trente ans ?
Mme Anne Souyris. - La mesure de distinction de l'âge, introduite par Vichy, marque le début de la pénalisation de l'homosexualité.
Vichy, ce n'était pas la France, répète à l'envi M. Szpiner. Mais répétition ne vaut pas vérité ! La République, pendant quarante ans, a assumé l'héritage de Vichy en le pérennisant. La République ne peut prétendre réparer les conséquences d'un système qu'elle a elle-même entretenu tout en refusant d'en reconnaître l'origine. C'est en reconnaissant cette filiation avec le régime de Vichy qu'elle pourra s'en désolidariser pleinement.
Nous constatons une forme de continuité entre la IIIe République et Vichy en matière de condamnation de l'homosexualité. La loi faisant la distinction entre personnes homosexuelles et hétérosexuelles était déjà prête sous la IIIe République. Édouard Daladier a demandé que l'on soumette à sa signature en 1939 un décret-loi reprenant les conclusions du rapport Medan.
Les amendements identiques nos1, 4 et 10 ne sont pas adoptés.
M. le président. - Amendement n°14 de Mme Souyris et alii.
Mme Anne Souyris. - Regardons le passé en face, sans réécrire l'histoire. La pénalisation de l'homosexualité s'est construite de façon diffuse, dans les silences du droit, dans des textes prétendument neutres : outrage public à la pudeur, excitation de mineurs à la débauche, etc. La lutte contre le vagabondage a été utilisée comme outil de contrôle des corps, pour réguler l'espace public de cette population indésirable. Sous prétexte de défendre les bonnes moeurs, la censure a permis de faire taire les voix. Tout cela sans dire son nom, car tel fut le génie noir de cette époque : punir sans nommer, condamner sans assumer.
Il faut regarder comment le droit commun et les institutions ont été détournés pour produire de la discrimination et de la souffrance. Il faut redonner une place aux invisibles, reconnaître la violence d'État qui se dissimulait sous les habits de la neutralité.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Cet amendement ajoute sept dispositions pénales, qui, selon l'auteur, étaient utilisées de façon détournée pour condamner l'homosexualité. Cette jurisprudence remonte à plus d'un siècle, puisque même un arrêt de la cour d'appel de Bourges de 1905 est cité. Avis défavorable.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. - Même avis.
L'amendement n°14 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°15 de Mme Souyris et alii.
Mme Anne Souyris. - « Pédé 1 et pédé 2 », voilà comment sont intitulés les dossiers d'archives de la préfecture de police. Ajoutons une vérité simple : l'État a permis une politique policière systématique de fichage et de harcèlement des personnes homosexuelles. La police n'a pas été un simple exécutant : elle a été le coeur du dispositif répressif, avec l'accord tacite des gouvernements. Elle a provoqué des délits qu'elle réprimait, quadrillé les lieux de drague homosexuelle, construit des carrières sur l'humiliation des autres.
Cet amendement reconnaît cette part d'ombre, pour que l'histoire soit dite en entier.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Cet amendement nous éloigne du projet initial de notre collègue Bourgi, puisqu'il vise à reconnaître la violence systématique de l'État sur une période non précisée. Or cela relève du travail des historiens. Le Sénat ne peut voter une telle écriture. Avis défavorable.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. - Même avis.
M. Hussein Bourgi. - Sous Vichy, des services de police étaient spécialisés dans la surveillance de catégories d'établissements et de personnes, respectivement les salles de jeux, les débits de boissons, les homosexuels et les prostituées, lesquels étaient surveillés par la brigade mondaine. Tout cela est malheureusement documenté, prouvé et étudié. Je voterai cet amendement.
L'amendement n°15 n'est pas adopté.
L'article 1er est adopté.
Article 3 (Supprimé)
M. le président. - Amendement n°2 de M. Bourgi et du groupe SER.
M. Hussein Bourgi. - Il faut que le préjudice soit réparé, dès lors que l'on en reconnaît la matérialité. Certains se montrent hostiles à la réparation, car elle serait trop complexe. La commission et le Gouvernement pourraient-ils préciser leurs arguments ? Les juristes que j'ai rencontrés ne partagent pas leur analyse. La seule reconnaissance, ce n'est que se donner bonne conscience !
Faute d'une telle réparation, ce texte serait inabouti, déséquilibré ; ce serait une loi symboliquement violente, comme me l'ont dit les quelques personnes concernées encore en vie - je les salue.
M. le président. - Amendement identique n°6 de M. Brossat et du groupe CRCE-K.
M. Ian Brossat. - Cet amendement réintroduit la réparation, en plus de la reconnaissance. Reconnaître sans réparer, c'est faire le chemin à moitié. J'entends les arguments de la ministre, mais j'y vois des arguties juridiques infondées. Le Gouvernement persiste à nous faire voter des lois qui ne passeront pas la censure constitutionnelle : vos arguments sont à géométrie variable.
M. le président. - Amendement identique n°11 de Mme Vogel et alii.
Mme Mélanie Vogel. - Défendu.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - L'amnistie n'est pas la clémence ; c'est l'effacement de la condamnation. La responsabilité pénale résulte d'une infraction. Or l'État n'en a pas commis. La responsabilité civile résulte d'une faute : une décision de juges appliquant la loi en est-elle une ? Je ne le pense pas.
Tout le monde est conscient de la monstruosité de la répression, qui s'est accompagnée par des drames sociaux et l'opprobre jeté par la presse quotidienne régionale lors du suivi des dossiers.
Non, il ne s'agit pas d'arguties juridiques. La prescription existe. Pour l'expliquer à mes étudiants, je leur dis que la prescription, c'est le fait que Javert ne puisse pas poursuivre éternellement Jean Valjean.
La société peut se fourvoyer. Vous citez Menthon, mais le gouvernement du général de Gaulle comprenait des membres du Mouvement républicain populaire (MRP), des socialistes, des communistes : l'aveuglement était collectif.
La situation des harkis n'a strictement rien à voir...
M. le président. - Veuillez conclure, maître Szpiner ! (Sourires)
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Avis défavorable !
M. le président. - Je voyais poindre une plaidoirie... (Marques d'amusement)
M. Yannick Jadot. - Merci Jean Valjean...
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. - Soyons clairs, la reconnaissance du Gouvernement n'est en aucun cas ambiguë.
Seulement, se pose la question de l'ouverture d'un droit à la réparation, qui est d'ordre juridique. Le rôle du Gouvernement est bien de dire quelles sont les fragilités d'une rédaction. Vous êtes le premier à soulever les risques juridiques dans les textes - et je serais heureuse de débattre avec vous des textes que vous n'avez pas cités. (M. Ian Brossat s'exclame.) Avis défavorable.
Les amendements identiques nos2, 6 et 11 ne sont pas adoptés.
L'article 3 demeure supprimé.
Article 4 (Supprimé)
M. le président. - Amendement n°3 de M. Bourgi et du groupe SER.
M. Hussein Bourgi. - Défendu.
M. le président. - Amendement identique n°12 de Mme Vogel et alii.
Mme Mélanie Vogel. - Défendu.
M. le président. - Amendement n°7 de M. Brossat et du groupe CRCE-K.
M. Ian Brossat. - Défendu.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Avis défavorable.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée. - Même avis.
Mme Anne Souyris. - Les conséquences de la répression furent collectives. La terreur n'a pas touché que ceux qui furent arrêtés ou condamnés, mais tous ceux qui ont été effrayés par la répression. Leur vie fut façonnée par cette crainte. Le principe de la réparation collective prend la forme d'un engagement à ne pas oublier. Il s'agit de faire oeuvre de mémoire, en finançant des archives LGBT, des projets culturels et pédagogiques, qui permettront aux jeunes générations de savoir. L'Allemagne a montré, avec le fonds Magnus Hirschfeld, qu'il était possible de transmettre cette mémoire.
Comme le rapporteur le reconnaît lui-même dans ses travaux, les dispositifs de reconnaissance sont souvent dérisoires. En Allemagne, très peu ont demandé réparation, car beaucoup étaient déjà morts ; la honte avait fait son oeuvre, le sida aussi. Quand elle est trop tardive, la réparation devient silencieuse ; c'est une réparation sans réparer, une mémoire sans témoin.
Les amendements identiques nos3 et 12 ne sont pas adoptés, non plus que l'amendement n°7.
L'article 4 demeure supprimé.
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. - Amendement n°13 de Mme Vogel et alii.
Mme Mélanie Vogel. - Je retire cet amendement, qui était lié aux amendements qui n'ont pas été adoptés.
L'amendement n°13 est retiré.
M. Hussein Bourgi. - Avorter est un acte, être homosexuel relève de l'identité : la comparaison avec les femmes ayant avorté n'avait pas lieu d'être.
Madame la ministre, vous incarnez la maxime du « en même temps » : déclarations d'amour aux personnes concernées et aux associations qui les soutiennent, mais pas d'actes d'amour - les associations vous le rappelleront dans les jours à venir.
Je m'en remets à la sagesse de l'Assemblée nationale, qui, je l'espère, rétablira le texte dans sa version initiale. C'est là que le combat se poursuivra, avant que nous nous retrouvions en CMP.
À la demande du RDPI, la proposition de loi est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°265 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l'adoption | 340 |
Contre | 0 |
La proposition de loi est adoptée.
(Applaudissements)
La séance est suspendue quelques instants.
Sécurité des professionnels de santé (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé.
Discussion générale
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l'accès aux soins . - La sécurité des soignants est un sujet grave et important. L'Observatoire national des violences en santé (ONVS) a dénombré 23 498 agressions en 2022, avec un nombre de plaintes en hausse de 44 % pour ce motif. Chaque jour, 65 professionnels de santé sont agressés. Ce chiffre est vertigineux ! Sans compter que les chiffres sont sous-estimés : tous les soignants concernés ne déclarent pas forcément les actes dont ils ont été victimes. Ces violences sont inacceptables. Elles me heurtent profondément. Je ne les accepterai jamais.
Je suis mobilisé de longue date sur ce sujet : médecin-chef de pôle, j'ai craint pour mes équipes ; élu local, j'ai été confronté à la détresse de médecins ; député, j'avais déposé des propositions de loi ; désormais ministre de la santé, je suis de près ce sujet. En janvier, je me suis d'ailleurs rendu à Annemasse, en Savoie, après l'agression de 14 soignants, bouleversés. J'y ai pris l'engagement solennel que de nouvelles mesures seraient instaurées avant septembre 2025. Nous avons évoqué ces mesures lors du déplacement du Premier ministre dans le Cantal.
Un seul mot d'ordre : tolérance zéro. Ces actions s'inscrivent dans la continuité du plan ministériel pour la sécurité des professionnels de santé, lancé en septembre 2023 par Agnès Firmin Le Bodo, après une large concertation. Je pense au rapport de Jean-Christophe Masseron, président de SOS Médecins France, et de Nathalie Nion, cadre supérieure de santé, sans évoquer les contributions des acteurs, des ordres, des soignants. Tous ensemble, les professionnels se sont saisis de cet enjeu avec une énergie sans faille pour faire bouger les lignes : cela m'inspire autant que cela m'oblige.
J'en viens aux mesures prises.
Une enveloppe de 25 millions d'euros par an a été reconduite pour sécuriser les établissements de santé. Comme ministre, je n'aime pas rester dans mon bureau ; chaque semaine, je me déplace dans le pays. Les soignants sont unanimes. Les dispositifs de sécurisation - portes blindées, alarmes, éclairages performants - sont utiles et rassurants, selon les professionnels de santé eux-mêmes.
Nous travaillons à la création d'un réseau national des référents sécurité au sein de chaque ARS pour coordonner les actions au plus près du terrain, en sus des actions de communication.
Enfin, nous renforçons l'Observatoire, pour en faire une véritable instance de suivi des cas et prendre en compte le phénomène des violences sexistes et sexuelles (VSS), qui ont trop longtemps fait l'objet d'une omerta.
J'ai une pensée pour les deux infirmières victimes d'une effroyable agression, en mars dernier, en Guyane. Comme pour les victimes d'Annemasse, je suis personnellement chaque situation.
N'oublions pas l'exercice de ville et les soignants libéraux : je compte sur l'engagement des collectivités locales et des élus locaux. Le dispositif des boutons d'alerte, directement reliés aux forces de l'ordre, fonctionne bien. Je l'avais moi-même instauré dans ma région, Auvergne-Rhône-Alpes. Le dispositif se déploie en Haute-Vienne et en Guyane.
Tout sera fait pour prévenir, pour dissuader et éviter les agressions. C'est indispensable. Mais il faut aussi renforcer notre réponse pénale. Mon objectif est le « zéro impunité », que je partage avec mes collègues ministre de l'intérieur et ministre de la justice.
Je salue l'engagement de tous les parlementaires investis pour faire aboutir ce texte attendu, notamment Philippe Pradal.
Notre réponse pénale sera renforcée. Premièrement, il s'agit d'alourdir les peines. Notre code pénal prévoit déjà des circonstances aggravantes en cas d'agression de professionnels de santé dans l'exercice de leurs fonctions. Nous allons plus loin : nous réprimons les violences contre tous les personnels et dans tous les secteurs de la santé ; par exemple, les agents d'accueil ne sont pas oubliés. Les professionnels libéraux seront eux aussi protégés, dans toutes les structures de ville, sans oublier les établissements sociaux et médico-sociaux.
Deuxièmement, il s'agit de réprimer plus fermement les violences verbales et les insultes contre les soignants. La tolérance zéro, c'est ne rien laisser passer, car une insulte, quelle qu'elle soit, n'est jamais anodine. Brisons la spirale de la violence. J'ai déposé un amendement visant à rétablir un délit d'outrage élargi.
Voilà un point très attendu par les professionnels de santé. Cette écriture va plus loin que celle qui a été adoptée par la commission des affaires sociales : certes, cette dernière réprime l'injure, mais elle laisse de côté de nombreux cas visés par le délit d'outrage. Il est important de créer un délit spécifique pour ceux qui s'en prennent aux soignants.
Troisièmement, il s'agit d'accompagner et de soutenir les professionnels victimes. Ainsi, nous faciliterons le dépôt de plainte, trop souvent ressenti comme une épreuve. De plus, certains professionnels de santé craignent les représailles. Le texte ouvre la possibilité à l'employeur d'un professionnel de santé de déposer plainte, avec son accord écrit. Directions des établissements de santé, hôpitaux, cliniques, employeurs des cabinets médicaux, pharmacies, laboratoires, centres d'imagerie : la liste des personnes concernées est longue.
Pour les libéraux, un décret précisera les organismes représentatifs autorisés à porter plainte. Je veillerai à ce que ce décret fasse l'objet d'une concertation et qu'il soit publié rapidement.
Il faut que la victime se sente soutenue et que le dépôt de plainte devienne un réflexe. Je travaille, en lien avec le ministre de l'intérieur et le ministre de la justice, à un dispositif de visioplainte pour les soignants victimes.
Je cite l'exergue du rapport évoqué plus haut : « Le danger, pour la vie, est de s'habituer à toutes les petites violences de la vie quotidienne, et de finir par trouver cela normal ». Oui, il existe des actes de très grande violence, mais je le dis haut et fort : il n'y a pas de petite violence. Tout coup, toute injure, tout crachat est une attaque envers notre système de santé.
Ce texte nous permet de ne laisser aucun répit à ceux qui s'en prennent aux soignants, qu'il faut protéger comme il se doit. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et du RDPI)
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Nos médecins se soumettent au serment d'Hippocrate, qui leur impose de nombreuses obligations déontologiques. En contrepartie du dévouement des médecins, ce texte du IVe siècle avant notre ère rappelle que les personnes soignées doivent leur accorder toute leur estime. Voilà 2 500 ans que notre civilisation identifie cette reconnaissance due à ceux qui donnent de leur temps pour aider les autres.
Mais ce temps semble bien loin ! Les professionnels de santé sont exposés à des actes de violence qui atteignent des proportions intolérables. Les données de l'ONVS et de l'Observatoire national de la sécurité des médecins (ONSM) montrent que les violences en santé sont un phénomène courant et massif. Entre 2019 et 2023, 20 000 signalements ont été effectués. En 2024, on constate une hausse du nombre de signalements de 6,6 % par rapport à 2023. En 2023, les actes signalés ont augmenté de 27 %.
Le taux de réponse pénale est toutefois élevé : il résulte de la circulaire du 27 janvier 2025, qui appelle à la vigilance des parquets sur les violences en santé. Je remercie Gérald Darmanin et Yannick Neuder de leur engagement à ce sujet.
Les condamnations en première instance sont loin des quantums fixés par la loi - les peines de prison ferme, en moyenne, n'atteignent pas sept mois.
C'est dans ce contexte que l'Assemblée nationale a adopté cette proposition de loi portée par Philippe Pradal. Les trois articles initiaux visaient à mettre en oeuvre le plan présenté en septembre 2023 par Aurélien Rousseau et Agnès Firmin-Le Bodo.
Le texte a trois objectifs. Premièrement, il s'agit de renforcer les sanctions réprimant les atteintes aux personnels des structures de soin. L'article 1er étend à tous les personnels, quel que soit leur mode d'exercice, l'aggravation des sanctions ; il étend aussi le champ des circonstances aggravantes en cas de vol de matériel médical. L'article 2 procède à une extension parallèle pour les outrages.
Deuxièmement, les articles 2 bis et 3 systématisent les dépôts de plainte après chaque incident. On constate un frein au dépôt de plainte : moins d'un tiers des signalements donnent lieu à une procédure. L'article 2 bis tendait à permettre aux soignants de déclarer comme domicile l'adresse de leur ordre professionnel. L'article 3 permet à l'employeur de porter plainte au nom du professionnel de santé.
Troisièmement, l'article 3 bis visait à améliorer la connaissance des violences en santé, via un bilan des actes de violence commis dans les établissements.
Nous partageons ces objectifs. Toutefois, la commission des lois a veillé à un équilibre : il faut répondre à l'émoi des professionnels tout en préservant la qualité du droit.
Inutile de nous leurrer : ces mesures ont avant tout une portée symbolique. Cependant, elles sont nécessaires, au vu de la détresse des professionnels de santé.
Ce texte réitère donc le soutien des pouvoirs publics aux victimes, en oeuvrant contre toute banalisation de la violence.
Bien sûr, il faut aussi une réponse financière : cela relève du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Il faut aussi une mobilisation judiciaire à la hauteur du sentiment de vulnérabilité des soignants. Sur ce volet, ce texte participe de l'objectif d'une tolérance zéro ; nous y souscrivons.
La commission a adopté six amendements pour sécuriser juridiquement les mesures. Nous avons conservé celles dont la plus-value législative était démontrée.
À l'article 1er, le renforcement des sanctions vise les atteintes à toutes les personnes employées au sein des structures de soin et non seulement celles directement employées par ces structures.
À l'article 2, l'infraction d'outrage semblait inadaptée aux professionnels libéraux : nous avons réécrit l'article en remplaçant l'outrage par l'injure, infraction prévue à l'article 33 de la loi du 29 juillet 1881. Cette modification entraînera un délai de prescription plus court, mais la durée d'un an nous semble raisonnable.
À l'article 3, nous avons précisé que le dépôt de plainte par l'employeur ne sera pas possible lorsque les violences alléguées sont commises entre membres du service. Nous avons confié aux ordres professionnels la faculté de déposer plainte pour les professionnels libéraux.
Nous avons supprimé les articles 2 bis, 3 bis et 5, car ils sont redondants avec l'état actuel du droit - l'article 2 bis est satisfait par le code pénal qui permet à un plaignant de déclarer l'adresse d'un tiers ; l'article 3 bis est satisfait par des dispositions réglementaires, notamment sur le contenu du rapport social unique. Monsieur le ministre, je vous invite à mettre à jour la circulaire du 11 juillet 2005 qui vise au signalement systématique des actes de violence envers les soignants à l'ONVS.
Évitons le bavardage législatif : ne votons que des mesures utiles. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Stéphane Le Rudulier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le 22 mai 2023, dans le service de médecine du travail du CHU de Reims, Carène Mézino, 37 ans, a été poignardée à sept reprises. Elle a perdu la vie, alors qu'elle était mère de deux enfants. C'est un acte odieux. Il nous oblige à agir avec fermeté, clarté et responsabilité. Nous ne pouvons plus ignorer la recrudescence des violences envers les personnels de santé, avec plus de 19 000 cas chaque année ! Ce chiffre glaçant, sans doute sous-estimé, progresse.
Notre société est malade de la banalisation de la violence ; nos soignants en payent le prix fort. Pourtant, ils incarnent la bienveillance, le soin, la solidarité. En première ligne, ils sont sans protection suffisante.
Où est donc passé l'esprit du confinement, quand chaque soir, la nation applaudissait ses soignants ? Où est l'élan de gratitude envers ces héros de l'ombre qui ont tenu au prix de leur épuisement, parfois de leur vie ? Où est passé le défilé des soignants lors du 14 juillet 2022 ? La France a une dette envers eux, qui grandit chaque jour. Elle ne se rembourse pas seulement par des primes ponctuelles ou des hommages symboliques, mais par des mesures concrètes, visibles, efficaces.
Cette proposition de loi reconnaît que les actes de violence envers les professionnels de santé ne peuvent plus être tolérés ni relativisés.
Elle alourdit les peines, elle crée un délit d'outrage spécifique, elle permet aux employeurs de se constituer partie civile.
Il faut soutenir toute initiative qui restaure l'autorité, protège les agents du service public et assure la continuité du service public dans des conditions dignes. Ce texte répond à cette triple exigence.
Ce texte envoie un signal clair à ceux qui, dans un excès de violence ou par mépris de l'ordre public, pensent s'en prendre impunément aux soignants : désormais, la République ne le tolérera plus.
Ne faudrait-il pas conditionner l'accès aux soins aux personnes qui agressent les soignants ? La solidarité nationale peut-elle prendre en charge les soins de ceux qui bafouent les règles de cette solidarité en portant atteinte à l'intégrité de ceux qui les soignent ? Cette interrogation peut heurter notre humanisme, mais elle n'est ni cynique ni injuste.
Il s'agit de réaffirmer que les droits s'accompagnent de devoirs, notamment de respect, retenue et reconnaissance envers ceux qui consacrent leur vie au service des autres.
Si la République soigne, elle ne saurait rester impassible face à ceux qui transforment la main tendue en cible. C'est une ligne de réflexion que nous devons oser tracer avec lucidité et responsabilité.
En responsabilité, au nom du respect dû à nos professionnels de santé et de la restauration de l'autorité républicaine, notre groupe votera ce texte avec conviction. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)
Mme Patricia Schillinger . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Cette proposition de loi traduit dans le droit des mesures du plan pour la sécurité des professionnels de santé, présenté en septembre 2023 par Aurélien Rousseau et Agnès Firmin Le Bodo.
Nos soignants sont exposés de façon croissante à des violences, verbales ou physiques. Alors que pendant la crise sanitaire, ils étaient applaudis et loués, ils sont désormais confrontés à des agressions de plus en plus nombreuses : pour les médecins, les actes de violence ont augmenté de 27 % entre 2023 et 2024. Comment avons-nous pu en arriver là ?
Ce sont les femmes qui sont les premières victimes. Elles doivent être protégées, respectées, soutenues. Je salue le travail d'Anne-Sophie Patru, qui a enrichi la proposition, tout en garantissant la cohérence juridique. Les dispositions adoptées à l'Assemblée nationale ont élargi les mesures à l'ensemble des établissements. Le texte permet une meilleure prise en charge des dépôts de plainte, en permettant aux chefs d'établissement de déposer plainte pour leurs agents, tout en ouvrant cette faculté aux ordres professionnels. La commission a toutefois encadré cette possibilité, en l'excluant lorsque les violences sont commises entre membres du même service.
C'est une avancée décisive, pour lever les freins aux signalements des violences.
La commission a remplacé le délit d'outrage par l'infraction d'injure, plus adaptée à la situation juridique des professionnels de santé ; cela protège efficacement les professionnels de santé tout en instaurant un délai de prescription d'un an, jugé efficace par la commission.
Certaines infractions redondantes ont été supprimées, notamment la domiciliation des plaignants ou le bilan annuel de sécurité déjà prévu par la loi.
Nous envoyons un signal politique fort : pas de tolérance pour les violences contre les soignants.
Le RDPI votera cette proposition de loi avec conviction, dans un esprit de responsabilité et de soutien envers nos soignants. Protéger nos soignants, c'est aussi protéger notre pacte social. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mmes Anne-Sophie Patru et Dominique Vérien applaudissent également.)
Mme Véronique Guillotin . - Il est troublant de voir ceux qui soignent devoir s'en défendre : en 2023, plus de 1 500 incidents impliquant des médecins ont été recensés, en hausse de 27 % par rapport à l'année précédente, trois fois plus qu'il y a vingt ans. Derrière ces statistiques se cachent des vies et des carrières brisées.
Je pense ainsi à l'assassinat de Carène Mézino. Plus récemment, en Moselle, un patient mécontent de sa prise en charge a saccagé le cabinet de son généraliste.
Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), plus d'un tiers des soignants dans le monde sont confrontés à des violences physiques au cours de leur carrière.
Je salue le travail d'Anne-Sophie Patru.
Le ministère a remis un plan sur la sécurité des professionnels de santé en septembre 2023, fondé sur trois axes : sensibiliser le public et former les soignants ; prévenir les violences et sécuriser l'exercice des professionnels ; déclarer les violences et accompagner les victimes. Cette proposition de loi y ajoute le renforcement des sanctions contre les auteurs de tels actes.
Est prévue une aggravation des peines pour les faits de vol et violences dans les locaux des établissements de santé ou contre leur personnel. Le texte initial a été enrichi à l'Assemblée nationale en ajoutant, par exemple, les cabinets d'exercice libéral, les maisons de naissance, les officines de pharmacie ou les laboratoires d'analyses médicales. L'Assemblée nationale proposait une extension du délit d'outrage aux professionnels de santé et une extension des circonstances aggravantes lorsque le délit est commis dans un établissement de santé. L'aggravation des peines n'endigue pas les violences, on le sait.
Notre rapporteure propose de substituer au délit d'outrage celui d'injure ; or ce dernier est en défaveur de la victime, notamment en matière de prescription. Je ne suis pas convaincue par cette substitution. Nous avons déposé un amendement pour revenir à la rédaction antérieure. Nous soutenons le droit de l'employeur de déposer plainte.
Les chiffres sont probablement sous-évalués tant le réflexe de signalement reste rare.
Je me réjouis de la faculté accordée aux ordres de santé de déposer plainte pour les libéraux.
La commission a supprimé plusieurs articles. Mais ce ne sont pas des renoncements. L'ajout prévu à l'article 2 bis n'était pas souhaitable.
Ce texte ne réglera pas les difficultés rencontrées par les professionnels de santé, mais il représente une avancée concrète et visible. Le RDSE votera unanimement ce texte.
Mme Dominique Vérien . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Restaurer la sécurité dans le milieu de la santé et renforcer les mesures pénales, voilà l'ambition de l'auteur de cette proposition de loi. Il est impératif d'enrayer les violences croissantes contre les professionnels de santé. Ces actes, en augmentation, traduisent la dégradation alarmante de leurs conditions de travail.
Près de la moitié des signalements concernent des violences physiques ou des menaces avec arme. Ainsi, l'agression au couteau ayant coûté la vie à une infirmière du CHU de Reims a été un fait tragique, qui a mis en évidence notre échec et notre impuissance à protéger nos soignants.
Le code pénal permet déjà de sanctionner, mais l'appareil judiciaire ne suit pas toujours. Cela décourage les victimes, d'où le fait qu'un tiers d'entre eux seulement portent plainte.
Récemment, l'un de mes proches, médecin dans un centre de santé en région parisienne, a été agressé pour avoir refusé d'accorder un arrêt de travail, estimant que l'état du patient ne le justifiait pas. Son supérieur l'a encouragé à ne pas contester les demandes des patients, même si celles-ci étaient médicalement injustifiées. Par crainte pour sa sécurité, il a décidé de ne pas porter plainte. Imaginez la perte de sens pour celui qui a choisi de consacrer sa vie professionnelle au service des autres. Ce cas n'est pas isolé.
L'autorité médicale n'est plus respectée. Les patients, qui se comportent en clients, n'hésitent plus à se montrer violents. Plus généralement, dans notre société, on n'accepte plus la frustration ; face à elle, la violence est souvent la réponse adoptée.
Le rapport d'Anne-Sophie Patru s'inscrit dans l'esprit de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale. Notre rapporteure réaffirme à juste titre que les agressions envers les soignants sont inacceptables, car elles fragilisent les professionnels et entament leur confiance dans la capacité du système judiciaire à les protéger efficacement.
Par ses amendements, notre rapporteure a veillé à renforcer la sécurité juridique des dispositions retenues. Elle s'est concentrée sur les mesures concrètes, avec une vraie plus-value législative.
Pour autant, il s'agit d'un texte largement symbolique. Il aurait fallu augmenter les capacités de notre justice et de nos forces de l'ordre.
Cela dit, que le Parlement apporte son soutien aux personnels de santé est bienvenu. Si ce texte peut encourager les professionnels de santé à déposer plainte tout en rétablissant le respect pour cette fonction, il aura déjà rempli une part importante de sa mission.
Le groupe UC votera ce texte, pour garantir aux soignants un environnement de travail serein, respectueux de leur mission et de leur engagement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Silvana Silvani . - (M. Alexandre Basquin applaudit.) Les violences à l'encontre des agents du service public sont inacceptables, notamment à l'encontre des professionnels de santé, alors que ces derniers ont pour mission de soigner les malades.
Ce texte renforce les sanctions pénales pour lutter contre le phénomène. Je doute de son efficacité : les auteurs des violences, souvent, souffrent de troubles psychiatriques et sont des personnes âgées, irresponsables pénalement (murmures sur les travées du groupe Les Républicains) ; les violences sont aussi la conséquence des dysfonctionnements du service public de santé et des années d'austérité qui l'ont désorganisé. Les violences sont avant tout l'expression d'un mécontentement à l'encontre de la dégradation de la qualité des soins, de l'accueil et de la pénurie de soignants (mêmes mouvements). Elles ne sont pas légitimes et nous les condamnons fermement, mais elles s'expliquent. Quand 15 % des patients passent plus de huit heures à attendre aux urgences, faute de généralistes ou de permanence médicale disponible les soirs et les week-ends, il arrive que les plus fragiles perdent tout contrôle.
Le rapport Masseron-Nion a préconisé d'agir sur les déterminants de la violence, par l'amélioration des conditions d'accueil des patients.
La rapporteure souhaite soutenir les soignants ; nous partageons cet objectif, mais ce texte ne va rien changer.
L'introduction de circonstances aggravantes n'est que du bavardage législatif. Sans changer le logiciel qui consiste à réduire chaque année les dépenses en faveur des hôpitaux, les soignants continueront d'être agressés par des patients excédés, en services psychiatriques ou non.
Seule avancée du texte : améliorer l'accompagnement des victimes. La possibilité pour l'employeur de déposer plainte est un pas supplémentaire vers la protection fonctionnelle des soignants.
Notre groupe avait déposé un amendement reprenant la proposition de loi Ouzoulias visant à améliorer la protection fonctionnelle accordée aux fonctionnaires. Cet amendement a été hélas jugé irrecevable.
Nous nous abstiendrons sur ce texte, pour adresser un message de soutien aux soignants victimes de violence. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)
Mme Anne Souyris . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Chaque jour, 65 professionnels de santé sont victimes d'agressions physiques ou verbales. Au total, 37 % des personnels hospitaliers ont été victimes de violences en 2023. Deux infirmiers sur trois sont concernés. Il n'est pas permis, ni tolérable ni acceptable de s'en prendre aux professionnels de santé. (Mme Cathy Apourceau-Poly renchérit.) Quand bien même l'accès aux soins est plus difficile, toute violence est condamnable. Nous apportons tout notre soutien à celles et ceux qui subissent ces violences, professionnels de santé et patients.
Le GEST partage l'objet de cette proposition de loi : renforcer la sécurité des professionnels de santé.
Quel dommage que le texte se cantonne à l'aggravation des peines : cela n'a aucun effet dissuasif sur les auteurs de violences.
Pourtant, bien d'autres mesures efficaces avaient été proposées dans le plan présenté par Aurélien Rousseau et Agnès Firmin Le Bodo.
À l'issue d'un long travail, Jean-Christophe Masseron et Nathalie Nion avaient présenté des recommandations, reprises dans les 42 mesures proposées par le Gouvernement : sécurité des bâtiments, amélioration des conditions d'accueil de patients, renforcement des relations entre services de police et personnel hospitalier...
Pourquoi ces mesures utiles ne sont-elles pas présentes dans ce texte ? Sur les 23 489 professionnels de santé victimes, 53 % indiquaient que le motif invoqué était un reproche relatif à la prise en charge et que 22,9 % concernaient un service de psychiatrie et 13 % les urgences. Ces services sont en sous-effectif et souffrent d'un sous-financement ! Bien sûr, cela ne justifie en rien les violences, mais il faut renforcer la sécurité en amont et ne pas répondre ex post par une pénalisation soutenue.
Je déplore que la commission ait supprimé l'article permettant de déclarer l'adresse de l'ordre professionnel, et celui tendant à élaborer un bilan. Quel dommage ! Ces deux articles constituaient pourtant un angle intéressant pour renforcer la sécurité des professionnels de santé.
Le GEST condamne les violences à l'encontre des professionnels de santé. Mais la réponse ne saurait être seulement pénale : c'est insuffisant. L'expression « un cataplasme sur une jambe de bois » se justifie pleinement.
Les professionnels de santé seront-ils davantage protégés ? Les patients psychiatriques seront-ils moins agressifs ? Monsieur le ministre, reprenez le plan interministériel présenté il y a un an. (Applaudissements sur les travées du GEST. Mmes Émilienne Poumirol et Silvana Silvani applaudissent également.)
La séance est suspendue à 20 heures.
Présidence de Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente
La séance reprend à 21 h 30.
M. Hussein Bourgi . - Je salue chaleureusement notre collègue Anne-Sophie Patru, rapporteure pour la première fois, et la félicite pour son travail de bonne facture. (Mme Anne-Sophie Patru remercie l'orateur.)
Depuis quelques années, le fléau de la violence s'aggrave. Il n'épargne aucun territoire et touche y compris les professions que l'on pensait préservées : enseignants, forces de l'ordre, sapeurs-pompiers, professionnels de santé, journalistes et même élus - nous en avons vu, hélas, un nouvel exemple le week-end dernier.
Le Gouvernement a annoncé 42 mesures pour lutter contre la violence envers les professionnels de santé sur leur lieu de travail et dans l'exercice de leur fonction. Près de 20 000 actes de violences ont été recensés en 2021, dont plus de la moitié relevant de violences physiques ou de menaces avec arme. Et ce n'est que la partie émergée de l'iceberg, car, souvent, aucune plainte n'est déposée.
Un professionnel de santé sur trois est victime de violences au moins une fois dans sa carrière. Aucun service n'est épargné, mais certaines unités sont particulièrement touchées : urgence, psychiatrie, gériatrie. Dans plus de 90 % des cas, l'auteur des faits est un patient ou un de ses proches.
Nous partageons les inquiétudes des auteurs du texte et adhérons aux mesures proposées, mais nous interrogeons sur le caractère incomplet du dispositif. Les mesures répressives, souhaitables, seront utiles ; nous les voterons. Mais seront-elles suffisantes ? Rien n'est moins sûr.
L'aggravation des peines prévue à l'article 1er, le renforcement de la répression des injures par l'article 2, la possibilité pour un employeur de se constituer partie civile prévue à l'article 3 nous interrogent sur le réflexe, trop récurrent ces dernières années, consistant à augmenter de manière systématique le quantum des peines. Nous cédons à la facilité, laquelle est rarement gage d'efficacité. Selon le docteur Jean-Christophe Masseron, « la dissuasion par le droit pénal n'est pas démontrable, car les auteurs de violences n'ont pas forcément tous conscience de la gravité de leurs actes dans l'instant » : ces propos d'un professionnel de terrain doivent nous faire réfléchir.
Ne croyons pas et ne laissons pas croire que l'accroissement des sanctions suffira à mettre un terme aux violences. Les principaux éléments déclencheurs de ces faits sont liés aux conditions de prise en charge des patients, aux refus de soins, aux temps d'attente excessifs. Cela n'excuse rien, et nous nous tiendrons toujours aux côtés des professionnels de santé. Mais il est important de comprendre le contexte dans lequel ces situations prospèrent.
Nos hôpitaux publics, naguère vaisseaux amiraux de notre système de santé, sont exsangues. Ne pas en tenir compte serait une erreur. Monsieur le ministre, en arrivant au CHU de Montpellier, vous avez rencontré d'abord des vigiles : cela n'aurait pas été le cas il y a quelques années et c'est révélateur d'un climat anxiogène qui ne facilite pas les prises en charge et l'apaisement des tensions.
Des conditions de prise en charge améliorées et un raccourcissement des temps d'attente seraient de nature à réduire les tensions. Il s'agit de préoccupations majeures des soignants, qui alertent sur la dégradation des conditions de prise en charge et de leurs conditions de travail.
L'appauvrissement progressif du service public de la santé doit nous inquiéter. Les indicateurs sont alarmants : burn-out en hausse, accélération des fermetures de lits et de maternités, comme à Ganges, dans l'Hérault, baisse de la qualité des soins dans les Ehpad et les crèches. Celles et ceux que nous avons applaudis pendant le covid et revalorisés avec le Ségur méritent des salaires décents et des conditions de travail dignes.
Mes chers collègues, ne nous limitons donc pas au seul prisme répressif. La lutte contre la violence à l'hôpital passe aussi par la hausse des moyens. C'est à cette condition que le système de santé français redeviendra un motif de fierté et de confiance pour nos concitoyens.
Dans les prochains temps, nous aurons d'autres occasions de consolider notre offre de soins, publique et privée. L'intérêt supérieur du pays le commande. (Mme Anne-Sophie Patru applaudit.)
M. Cyril Pellevat . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Nos concitoyens ne supportent plus de voir l'insécurité se répandre : ils nous demandent plus de fermeté. Nous avons répondu à leur appel avec le vote de la loi Narcotrafic. Je me félicite des condamnations récemment prononcées par le tribunal de Thonon à la suite des violences commises à l'hôpital d'Annemasse ; merci, monsieur le ministre, pour le soutien que vous avez témoigné aux soignants à cette occasion.
Les défis sont immenses, et nous ne devons pas relâcher nos efforts. La violence met à mal notre pacte républicain, notamment lorsqu'elle prend pour cibles les piliers de notre société : élus, professionnels de la justice, forces de l'ordre, agents pénitentiaires. Force doit rester à la loi.
Alors que les personnels de santé ont tout mis en oeuvre pour tenir à bout de bras notre système de santé pendant le covid, ils sont de plus en plus souvent visés par des agressions physiques, des menaces avec arme et des injures. Il ne s'agit pas de cas isolés : les témoignages de médecins, d'infirmiers, d'aides-soignants et d'agents d'accueil se multiplient. Cette détérioration des conditions de travail aggrave encore la pénurie actuelle de personnels.
L'État ne peut rester spectateur face à ces dérives. Nous devons affirmer que toute violence contre les soignants est une agression contre notre pacte social. Il faut sanctuariser la santé des Français.
Grâce à ce texte, soutenu l'année dernière par la ministre Agnès Firmin Le Bodo, les violences, physiques mais aussi psychologiques et verbales, seront punies plus sévèrement. Mais alourdir les peines ne suffit pas, il faut aussi faciliter les poursuites. Ainsi, le texte permet à l'employeur de porter plainte et de se constituer partie civile, avec l'accord de la victime.
Le taux de réponse pénale, supérieur à 90 %, est excellent. Je me félicite de la décision récente du tribunal de Thonon contre les agresseurs de soignants aux urgences d'Annemasse.
Par crainte de représailles, de nombreux cas de violences constatés par les soignants ne sont pas signalés. Notre collègue Daniel Chasseing défendra deux amendements pour lever les freins aux signalements.
La République soutient et protège les soignants. Le groupe Les Indépendants votera ce texte à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Khalifé Khalifé . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je ne pensais pas, au temps de mes études médicales puis pendant ma longue carrière hospitalière, que les parlementaires seraient un jour obligés de légiférer pour renforcer la sécurité de ceux qui soignent nos concitoyens avec dévouement.
Pourtant, les professionnels de santé sont de plus en plus souvent les cibles d'actes de violence. La défiance envers l'autorité sous toutes ses formes progresse, n'épargnant plus l'autorité médicale. Les soignants sont deux fois plus victimes de violences que le reste de la population.
Malgré les mesures de prévention mises en oeuvre depuis une quinzaine d'années, les atteintes aux personnes et aux biens se multiplient. Trop souvent tus, ces faits sont devenus une réalité quotidienne pour tous nos soignants, quels que soient leur lieu et leur mode d'exercice. Les traumatismes causés aux personnes sont profonds ; les dynamiques des équipes s'en ressentent également.
Lutter contre ces violences est un enjeu crucial pour la santé physique et psychique des professionnels et l'attractivité des métiers. Nos soignants doivent pouvoir exercer leurs missions dans un cadre sécurisé et un climat apaisé. Face à une violence sans limite, il ne peut y avoir ni résignation ni indifférence : c'est le sens de cette proposition de loi, dont je salue l'auteur et la rapporteure.
Il faut développer la prévention sous toutes ses formes - les maisons des soignants, en particulier, facilitent la gestion de ces problèmes au quotidien. Nous devons aussi renforcer la sécurité des lieux de soins et améliorer la coordination des forces de l'ordre et de la justice au niveau local.
J'insiste sur la nécessaire sécurisation des pharmacies, de plus en plus souvent vandalisées, sur la fragilité particulière de nos hôpitaux psychiatriques, où le deal prospère, et sur la fermeté pénale dont nous devons faire preuve.
La République se tient aux côtés de ses soignants. La grandeur d'une société se mesure aussi à la manière dont elle prend soin de ceux qui la soignent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe INDEP)
Discussion des articles
Article 1er
Mme la présidente. - Amendement n°15 rectifié ter de Mme Bourcier et alii.
Mme Corinne Bourcier. - La liste limitative retenue à l'article 1er présente le risque que certaines structures soient oubliées : s'agissant de la pharmacie, je pense aux établissements de distribution en gros et aux dispensateurs d'oxygène à domicile. Nous proposons la notion de « lieux d'exercice des professionnels de santé », plus globale.
Mme la présidente. - Amendement identique n°32 rectifié bis de Mme Imbert.
Mme Corinne Imbert. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement n°1 rectifié octies de Mme Aeschlimann et alii.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Nous voulons élargir la protection prévue par le texte aux 20 000 personnels des prestataires de santé à domicile (Psad). Ils seront de plus en plus nombreux sous l'effet du vieillissement de la population, et leur isolement aggrave leur vulnérabilité.
Mme la présidente. - Amendement identique n°4 rectifié octies de Mme Jacquemet et alii.
Mme Annick Jacquemet. - Il s'agit en effet de ne pas oublier les professionnels intervenant au domicile des patients, qui subissent des violences nombreuses. Leur appréhension est d'autant plus forte qu'ils interviennent de manière isolée et que le patient ou son accompagnant peut se sentir en position de force, étant à son domicile.
Mme la présidente. - Amendement identique n°25 de Mme Schillinger et du RDPI.
Mme Patricia Schillinger. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement n°27 de Mme Florennes.
Mme Isabelle Florennes. - Il s'agit d'étendre les mesures prévues aux agents des dispositifs d'appui à la coordination (DAC). Du fait de leurs missions, ils font face à des personnes cumulant des difficultés et dont les besoins de santé sont complexes, ce qui les expose aux violences.
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. - La formulation proposée par les auteurs des amendements nos15 rectifié ter et 32 rectifié bis est particulièrement large, et le terme « lieu » est imprécis. En outre, elle ne protégerait pas les personnels des services de soins infirmiers à domicile. Si l'on peut comprendre l'objectif de nos collègues, leur rédaction ne peut donc être retenue. Avis défavorable.
Les amendements nos1 rectifié octies, 4 rectifié octies et 25 illustrent la difficulté à circonscrire le cadre. Qu'en pense le Gouvernement ?
Même avis sur l'amendement n°27.
M. Yannick Neuder, ministre. - Retrait ou avis défavorable sur les amendements nos15 rectifié ter et 32 rectifié bis : l'extension de la cible risque de créer une rupture d'égalité.
Avis favorable aux amendements nos1 rectifié octies, 4 rectifié octies et 25 : le domicile est un lieu d'exercice pour nombre de professionnels de santé.
Retrait, sinon avis défavorable sur l'amendement n°27, car il faut des limites à l'extension des sanctions pénales ; le champ proposé serait trop large.
Mme Isabelle Florennes. - Je comprends la demande de retrait, mais je voudrais mieux comprendre l'argument s'agissant des DAC.
M. Yannick Neuder, ministre. - Les professionnels qui interviennent dans ce cadre sont en réalité déjà protégés par ce texte. Il ne s'agit pas de protéger les structures, mais les soignants qui en dépendent.
Les amendements identiques nos15 rectifié ter et 32 rectifié bis ne sont pas adoptés.
Les amendements identiques nos1 rectifié octies, 4 rectifié octies et 25 sont adoptés.
L'amendement n°27 est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°6 rectifié de M. Louault et alii.
Mme Corinne Bourcier. - Nous proposons d'aggraver les sanctions en cas d'agression sexuelle dans le cadre de la relation de soin.
D'une part, les soignantes sont plus exposées aux agressions que leurs confrères.
D'autre part, les patients ont une position de particulière vulnérabilité qui justifie une aggravation des sanctions en cas non seulement de viol, mais aussi d'agression sexuelle.
Mme la présidente. - Amendement n°22 rectifié de M. Bourgi et du groupe SER.
M. Hussein Bourgi. - Les violences sexuelles en milieu hospitalier constituent en quelque sorte un tabou dans un tabou. Elles visent souvent de jeunes femmes, qu'il s'agisse d'internes ou d'agentes de catégorie C. Elles s'inquiètent de ne pas être crues lorsqu'elles signalent les faits qu'elles ont subis. Un patient n'a pas le droit de toucher le corps d'une soignante : c'est une question de dignité. Il faut nommer les choses et aggraver les sanctions.
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. - Avis défavorable à l'amendement n°6 rectifié, qui crée une circonstance aggravante pour les agressions sexuelles, que l'auteur ou la victime soit un soignant.
L'amendement n°22 rectifié a été rectifié par M. Bourgi, pour viser les seules agressions subies par les soignants. La commission ne l'a pas examiné, mais j'y suis favorable à titre personnel.
M. Yannick Neuder, ministre. - Je comprends la position de la rapporteure, mais, compte tenu de l'importance accordée à la lutte contre les violences sexuelles, j'émets un avis de sagesse sur les deux amendements.
L'amendement n°6 rectifié est adopté et l'amendement n°22 rectifié n'a plus d'objet.
Mme la présidente. - Amendement n°13 rectifié bis de Mme Bourcier et alii.
Mme Corinne Bourcier. - Il s'agit d'étendre la notion de « matériel médical et paramédical » à tous les produits de santé, alors que les vols de médicaments auprès des grossistes répartiteurs se multiplient. D'autre part, nous voulons étendre les mesures prévues à tous les vols dont sont victimes les professionnels de santé - je pense aux vols de blocs d'ordonnances ou de tampons professionnels.
Mme la présidente. - Amendement identique n°30 rectifié bis de Mme Imbert.
Mme Corinne Imbert. - Défendu.
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. - Ces amendements visent les vols commis au préjudice d'un professionnel de santé : les vols commis au détriment d'un établissement ne seraient plus couverts. Retravaillons la rédaction en vue de la CMP. Avis défavorable.
M. Yannick Neuder, ministre. - Je suis plutôt favorable à ces amendements, ayant moi-même été victime d'un vol d'ordonnancier - même s'il est certain que la rédaction pourra être perfectionnée d'ici à la CMP. Moi non plus, monsieur Khalifé, je ne pensais pas lors de mes études que le Parlement aurait un jour à se pencher sur la protection des professionnels de santé...
Les amendements identiques nos13 rectifié bis et 30 rectifié bis sont adoptés.
L'article 1er, modifié, est adopté.
Après l'article 1er
Mme la présidente. - Amendement n°18 rectifié de M. Chasseing et alii.
M. Daniel Chasseing. - Lorsqu'un professionnel de santé signale des violences sur des personnes mineures ou vulnérables, il ne serait plus tenu d'en informer la famille ou le tuteur légal. Il s'agit de faciliter ces signalements.
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. - Les modalités d'information des familles sont fixées par le code de l'action sociale et des familles. C'est l'intérêt supérieur de l'enfant qui prime. Prévoir une disposition générale ne paraît pas adapté à la difficulté des éléments à concilier. Retrait, sinon avis défavorable.
M. Yannick Neuder, ministre. - Votre amendement est satisfait. Retrait, sinon avis défavorable.
L'amendement n°18 rectifié est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°17 rectifié de M. Chasseing et alii.
M. Daniel Chasseing. - Les violences intrafamiliales sont un problème majeur. Or les professionnels de santé en sont souvent les premiers témoins. La loi du 30 juillet 2020 les autorise à signaler les faits les plus graves, même sans accord de la victime. Mais nombre d'entre eux hésitent, par crainte de représailles. Pour leur permettre d'agir en toute sécurité, garantissons leur anonymat.
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. - La loi du 30 juillet 2020 permet au professionnel de santé d'envoyer au procureur de la République un signalement en cas de violences intrafamiliales. Il s'agit d'une dérogation à la déontologie des médecins. L'amendement vise à faciliter cette démarche en garantissant l'anonymat, mais cela me semble incompatible avec les principes du procès pénal. Le travail avec les procureurs nous semble préférable. Avis défavorable.
M. Yannick Neuder, ministre. - Même avis, pour les mêmes raisons. Je suis plus médecin que juriste, mais votre amendement me semble incompatible avec l'exercice effectif des droits de la défense. Retrait, sinon avis défavorable.
M. Daniel Chasseing. - Si l'on a peur des représailles, on ne signale pas ; il faut pouvoir rester anonyme.
M. Yannick Neuder, ministre. - Je l'entends, mais la loi de 2020 permet déjà de faire des signalements au procureur. Et les médecins en font : cela me semble donc fonctionner.
L'amendement n°17 rectifié n'est pas adopté.
Article 2
Mme la présidente. - Amendement n°24 rectifié bis de M. Masset et alii.
Mme Véronique Guillotin. - La version issue de la commission des lois substitue l'injure à l'outrage, ce qui restreint le champ des faits condamnables. Rétablir le délit d'outrage permettrait de mieux couvrir les atteintes dont sont victimes les soignants, tout en corrigeant une inégalité avec les professionnels du privé.
Mme la présidente. - Amendement identique n°34 du Gouvernement.
M. Yannick Neuder, ministre. - N'auriez-vous pas repris notre amendement, madame Guillotin ? (Sourires) Comme vous, je préfère conserver le délit d'outrage, plus protecteur de la communauté des professionnels de santé et qui répond à leur demande.
Mme la présidente. - Amendement n°12 rectifié ter de Mme Bourcier et alii.
Mme Corinne Bourcier. - La nouvelle rédaction de l'article 2 n'est pas appropriée, car le périmètre de l'injure est moins large que celui de l'outrage. L'apport serait faible par rapport au droit en vigueur, et cela présentera plus de difficultés procédurales que le droit commun.
Mme la présidente. - Amendement identique n°29 rectifié bis de Mme Imbert.
Mme Corinne Imbert. - Défendu.
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. - Ces amendements sont contraires à la position de la commission. L'article 29 de la loi de 1881 est plus adapté aux professionnels du soin. Le champ de l'injure est plus large, puisqu'il englobe toute « expression outrageante ». L'outrage concerne les seules personnes chargées d'une mission de service public - certains professionnels de santé seraient dès lors exclus.
M. Yannick Neuder, ministre. - Demande de retrait des amendements identiques nos12 rectifié ter et 29 rectifié bis, au profit des amendements identiques nos24 rectifié bis et 34, qui sont plus larges et concernent plus de professionnels de santé.
L'amendement n°29 rectifié bis est retiré.
Mme Dominique Vérien. - Ai-je bien compris : l'injure couvrirait les médecins libéraux, mais pas l'outrage, qui ne s'appliquerait qu'aux professionnels exerçant en milieu hospitalier ?
M. Yannick Neuder, ministre. - Le délit d'outrage couvre les hospitaliers et les libéraux ; nous le préférons, car il est plus adapté.
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. - Je précise tout de même que le droit en vigueur ne le permet pas et maintiens l'avis défavorable.
Les amendements identiques nos24 rectifié bis et 34 sont adoptés et l'article est ainsi rédigé.
L'amendement identique n°12 rectifié ter n'a plus d'objet, non plus que les amendements identiques 16 rectifié ter et 33 rectifié bis.
Après l'article 2
Mme la présidente. - Amendement n°7 rectifié de M. Vincent Louault et alii.
Mme Corinne Bourcier. - Les professionnels de santé sont parfois menacés pour obtenir des actes indus au regard de la déontologie : le médecin doit alors choisir entre sa sécurité et le respect des règles éthiques. Or seules les personnes qui participent à une mission de service public sont protégées contre ce type de menaces.
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. - Lors de son audition, l'association « Médecins pour demain » nous a alertés sur le fait que les médecins devaient parfois choisir entre le serment d'Hippocrate et la vie... Mais l'amendement est plus que satisfait. Retrait, sinon avis défavorable.
M. Yannick Neuder, ministre. - Même avis.
L'amendement n°7 rectifié est retiré.
Mme la présidente. - Amendement n°14 rectifié ter de Mme Bourcier et alii.
Mme Corinne Bourcier. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement identique n°31 rectifié bis de Mme Imbert et alii.
Mme Corinne Imbert. - Défendu.
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. - Avis défavorable, en cohérence avec la position de la commission à l'article 2. De plus, cet amendement ne créerait la possibilité de se porter partie civile que pour l'ordre des pharmaciens, ce qui créerait une distorsion.
M. Yannick Neuder, ministre. - Je tiens à la notion d'outrage, mais je rejoins la rapporteure sur l'effet de distorsion entre ordres. Sagesse.
Nous souhaitons tous que le dépôt de plainte puisse être anonymisé, pour éviter les représailles. Les établissements peuvent se substituer au professionnel de santé, mais ailleurs, il faut trouver le bon substitut : les ordres ou les unions régionales des professionnels de santé (URPS) ? La protection du soignant ne doit pas dépendre de sa profession.
Les amendements identiques nos14 rectifié ter et 31 rectifié bis sont adoptés et deviennent un article additionnel.
Article 2 bis (Supprimé)
Mme la présidente. - Amendement n°8 rectifié de M. Louault et alii.
Mme Corinne Bourcier. - Seul un médecin sur deux porte plainte, par crainte de représailles, notamment. Le professionnel de santé doit pouvoir ne donner que son adresse professionnelle. Personnellement, j'ai travaillé dans un établissement bancaire ; en cas d'agression, nous ne donnions jamais notre adresse personnelle.
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. - Cet amendement, proposé par l'association « Médecins pour demain », est pleinement satisfait pour les professionnels de santé exerçant en établissement public. Les autres peuvent déclarer l'adresse de leur ordre ou de leur avocat, avec l'accord du tiers concerné - ce qui n'est pas nécessaire pour l'employeur public, qui doit la protection fonctionnelle à son agent.
Nous préférons conserver l'état du droit. Un tel amendement étendrait les dispositions à un nombre trop élevé de professions, dont certaines ont peu de contacts avec le public. Avis défavorable.
M. Yannick Neuder, ministre. - Contrairement à Mme la rapporteure, je pense que cet amendement complète utilement le droit en vigueur, en réduisant la peur des représailles, comme cherchait à le faire l'article 2 bis supprimé par la commission.
L'article 10-2 du code de procédure pénale est mieux disant que l'article 2 bis, mais il ne concerne que les personnes chargées d'une mission de service public. Les autres professionnels de santé ne sont pas explicitement couverts par le droit en vigueur. Avis favorable.
L'amendement n°8 rectifié n'est pas adopté.
L'article 2 bis demeure supprimé.
Article 3
Mme la présidente. - Amendement n°2 rectifié septies de Mme Aeschlimann et alii.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Avec cet article, l'employeur peut déposer plainte si la victime en est d'accord. Nous proposons de l'étendre aux Psad.
Mme la présidente. - Amendement identique n°5 rectifié octies de Mme Jacquemet et alii.
Mme Annick Jacquemet. - Devant l'augmentation des violences, certains employeurs sont obligés d'envoyer deux professionnels, alors qu'un seul suffirait. Il est temps de prendre des mesures.
Mme la présidente. - Amendement identique n°19 rectifié bis de M. Chasseing et alii.
M. Daniel Chasseing. - La formulation actuelle de cet article exclut les Psad, souvent chargés de la distribution de matériels médicaux à domicile, tels que des respirateurs contre l'apnée du sommeil... Nombre de Psad doivent accompagner leurs salariés victimes d'agressions lors du dépôt de la plainte.
Mme la présidente. - Amendement identique n°26 de Mme Schillinger et du groupe RDPI.
Mme Patricia Schillinger. - Défendu.
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. - Même position que pour l'article 1er : quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Yannick Neuder, ministre. - Par cohérence, j'émets un avis favorable.
Les amendements identiques nos2 rectifié septies, 5 rectifié octies, 19 rectifié bis et 26 sont adoptés.
Mme la présidente. - Amendement n°11 rectifié ter de Mme Bourcier et alii.
Mme Corinne Bourcier. - Cet article pose une difficulté : aucune disposition ne permet un tel dépôt de plainte, sinon pour les mineurs ou majeurs incapables, car le dépôt de plainte est un droit fondamental et personnel de la victime.
Premier point : le recueil des informations doit se faire auprès de la victime par un enquêteur formé ; or le tiers n'est ni victime ni témoin. En outre, il faudra qu'il connaisse les faits pour le préserver d'une plainte pour dénonciation calomnieuse. Ensuite, comment la victime pourra-t-elle exercer ses droits tout au long de la procédure ? Par ailleurs, cette mesure créerait une différence de traitement entre professionnels salariés et libéraux.
Mme la présidente. - Amendement identique n°28 rectifié bis de Mme Imbert.
Mme Corinne Imbert. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement n°10 rectifié sexies de Mme Estrosi Sassone et alii.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Défendu.
Mme la présidente. - Amendement identique n°23 de M. Bourgi et du groupe SER.
M. Hussein Bourgi. - Les ordres départementaux sont susceptibles de porter plainte. Si certains sont favorables, d'autres ne le sont pas, d'après les courriers que nous avons reçus.
Il serait donc préférable de choisir le volontariat. Le conseil de l'ordre, lorsqu'il le souhaite, pourrait porter plainte ; s'il le refuse, une solution alternative serait que l'Union régionale des professionnels de santé (URPS), qui semble moins réticente, le fasse.
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. - Les amendements nos11 rectifié ter et 28 rectifié bis proviennent d'arguments présentés par l'ordre des pharmaciens, auxquels je ne souscris pas. La plainte pour autrui existe pour les agents publics, lorsqu'ils exercent leur mission de service public. Nous avons étendu récemment ce droit aux professionnels des transports, dans la loi Tabarot du 28 avril 2025.
L'article 17 du code de procédure pénale permet déjà aux officiers de police judiciaire de recueillir des dénonciations, qu'elles viennent d'un employeur ou d'un ordre.
L'article 3 ouvre une faculté, non une obligation. Si l'ordre des pharmaciens ne veut pas se saisir de cette faculté, libre à lui. J'appelle votre attention sur la forte demande des professionnels de santé d'être mieux accompagnés dans les dépôts de plainte. J'émets donc un avis très défavorable.
Quant aux amendements nos10 rectifié sexies et 23, avis défavorable : les ordres sont très volontaires sur ce sujet, et le dépôt de plainte ne relève pas des missions de l'URPS, qui me l'a confirmé par courrier.
M. Yannick Neuder, ministre. - Même avis défavorable aux amendements nos11 rectifié ter et 28 rectifié bis.
Avis favorable sur les amendements nos10 rectifié sexies et 23, qui permettent le dépôt de plainte par les URPS. En effet, tous les professionnels de santé n'ont pas un ordre. Mais cette position peut encore évoluer, car cette faculté donnée aux ordres peut interroger au regard de leur mission première.
Les amendements identiques nos11 rectifié ter et 28 rectifié bis ne sont pas adoptés.
Les amendements identiques nos10 rectifié sexies et 23 sont adoptés.
Mme la présidente. - Amendement n°9 rectifié de M. Khalifé et alii.
M. Khalifé Khalifé. - Le narcotrafic dans les hôpitaux, notamment psychiatriques, est à l'origine de beaucoup de problèmes. Cet amendement vise à renforcer la sécurité des hôpitaux pour prévenir les violences liées au narcotrafic.
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. - La portée normative de cet amendement nous semble nulle. (Murmures à droite) C'est un amendement d'appel : je laisse donc M. le ministre répondre sur le fond. Avis défavorable.
M. Yannick Neuder, ministre. - Je remercie Mme la rapporteure... (Sourires) Plus sérieusement, sans reprendre ses termes, je vois mal la portée juridique de l'amendement, mais j'en comprends l'esprit... Il faudrait le retravailler avant la CMP. Malgré l'envie d'émettre un avis de sagesse, avis défavorable.
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. - Le fait que la portée normative soit nulle ne présage pas du tout que l'intention le soit - et encore moins le sénateur !
M. Khalifé Khalifé. - Merci à chacun d'avoir pris des gants. Rassurez-vous, je ne suis pas du tout vexé ! J'aurais aimé avoir les éclairages de la commission des lois qui a porté la proposition de loi Narcotrafic voilà quelques semaines. Je le maintiens en vue de la CMP.
M. Hussein Bourgi. - Dans ces unités psychiatriques réside un public vulnérable, captif, convoité par les trafiquants, qui vendent aux alentours des médicaments prétendument vertueux. Je remercie M. le ministre pour qu'une traduction concrète de cet amendement soit trouvée dans nos politiques publiques.
Mme Marion Canalès. - À mon tour de remercier notre collègue pour son amendement. Après avoir voté la loi contre le narcotrafic, il faudra des suites, sous l'angle de la prévention, notamment en protégeant les professionnels de santé.
Mme Frédérique Puissat. - J'entends la proposition du ministre d'y retravailler. Je comprends qu'il soit difficile de trouver une traduction opérationnelle, mais si l'amendement n'est pas voté, comment le retravailler en CMP ?
Mme Dominique Vérien. - Tout le monde est d'accord pour que les établissements soient sécurisés ; toutefois, c'est non pas la loi, mais le règlement qui le fera. Monsieur le ministre, prenez-vous l'engagement d'aider les établissements à se sécuriser ?
M. Yannick Neuder, ministre. - Comme médecin, j'ai envie de donner un avis de sagesse à cet amendement, qui, toutefois, n'est pas tout à fait lié à l'objet de la proposition de loi. Pour protéger les établissements, 25 millions d'euros ont été renouvelés dans le projet de loi de finances pour 2025.
Comme il y a eu une campagne lancée par le ministre de l'intérieur sur la répression, je lancerai une campagne de prévention sur la dangerosité de la drogue.
En attendant, avis défavorable sur l'amendement. Mais rien n'interdit au Sénat de le voter, pour que nous le retravaillions en CMP.
L'amendement n°9 rectifié est adopté.
L'article 3, modifié, est adopté.
Après l'article 3
Mme la présidente. - Amendement n°35 du Gouvernement.
M. Yannick Neuder, ministre. - Il s'agit d'un amendement technique sur la protection fonctionnelle.
Le 4 juillet 2024, le Conseil constitutionnel déclarait contraire à la Constitution les deux derniers alinéas de l'article L. 134-4 du code général de la fonction publique.
Cet amendement tire les conséquences de cette décision en étendant la protection fonctionnelle à tous les cas où un agent public peut solliciter l'assistance d'un avocat : audition libre, mais aussi reconstitution ou identification des suspects et les mesures alternatives aux poursuites.
Par cohérence, nous modifions également les dispositions identiques du code de la défense et du code de sécurité intérieure.
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. - Cet amendement répond à une difficulté constitutionnelle ; avis favorable à titre personnel - faute d'une réunion de la commission.
M. Hussein Bourgi. - Cet amendement est frappé au coin du bon sens. Depuis la décision du Conseil constitutionnel, des agents ne bénéficient plus de cette protection fonctionnelle ! Cet amendement résoudrait ce problème.
Mme Catherine Di Folco. - Quel est le rapport de cet amendement avec le texte ? Ne serait-ce pas un cavalier législatif ?
Mme Anne-Sophie Patru, rapporteure. - Cet amendement couvre l'ensemble de la fonction publique hospitalière. Cette disposition entre pleinement dans le champ de la proposition de loi.
Mme Catherine Di Folco. - Du moment que cela vient du Gouvernement...
L'amendement n°35 est adopté et devient un article additionnel.
L'article 4 est adopté.
Mme la présidente. - Nous avons terminé l'examen des articles de ce texte.
Je vous rappelle que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble de la proposition de loi auront lieu mardi 13 mai, à 14 h 30.
Prochaine séance demain, mercredi 7 mai 2025, à 15 heures.
La séance est levée à 23 h 05.
Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Ordre du jour du mercredi 7 mai 2025
Séance publique
À 15 heures
Présidence :
M. Gérard Larcher, président
Secrétaires : M. François Bonhomme, M. Mickaël Vallet
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