SÉANCE
du jeudi 15 mai 2025
90e séance de la session ordinaire 2024-2025
Présidence de M. Alain Marc, vice-président
Secrétaires : Mme Nicole Bonnefoy, Mme Catherine Di Folco.
La séance est ouverte à 10 h 30.
Liaison autoroutière entre Castres et Toulouse (Procédure accélérée)
Discussion générale
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la raison impérative d'intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse, présentée par M. Philippe Folliot, Mme Marie-Lise Housseau et plusieurs de leurs collègues à la demande du groupe Union centriste.
M. Philippe Folliot, auteur de la proposition de loi . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP) Il est des moments où les peuples ont rendez-vous avec leur histoire. Il en va de même pour les territoires.
Cette journée est importante pour le bassin Castres-Mazamet et le sud du Tarn.
Avec Marie-Lise Housseau, nous avons voulu répondre par cette proposition de loi à une forte attente des acteurs de ce territoire.
Castres-Mazamet et Albi ont longtemps été opposées au sein de ce département bicéphale qu'est le Tarn ; aujourd'hui, elles s'inscrivent dans une complémentarité à laquelle nous souscrivons.
La volonté de désenclaver tous les bassins de vie est ancienne. Mais bien que l'arrondissement de Castres-Mazamet soit plus peuplé que d'autres dans l'Ariège, le Lot, le Gers, et Castres plus que les préfectures de Foix, Auch et Cahors, les choses avançaient à petit pas - au point que Jean-Louis Borloo, alors ministre de l'équipement et des transports, constatait en 2010 que le territoire ne serait pas désenclavé avant 2070 !
Les choses prennent du temps dans notre pays. D'abord, un débat public, au cours duquel les deux tiers des participants ont soutenu le projet. En 2019, la loi d'orientation des mobilités (LOM) lui a conféré le statut d'intérêt général national. En 2021, le Conseil d'État a validé son utilité publique. Pas moins de quatorze recours - c'est un droit - ont été déposés, tous rejetés.
Mais depuis la décision du tribunal administratif de Toulouse du 25 février dernier, la situation est devenue ubuesque. Avec l'arrêt des travaux, mille personnes ont perdu leur emploi ; les projets des décideurs économiques sont stoppés ; le territoire est balafré sur 50 km, certains riverains ne peuvent rentrer chez eux et le village de Saint-Germain-des-Prés est coupé en deux. Le coût extravagant de l'arrêt des travaux s'élève à 5 millions d'euros, auxquels il faut ajouter 200 000 euros par jour ! Vu la situation de nos finances publiques, est-ce acceptable ?
Pourtant, le consensus politique est large, du nord au sud et de gauche à droite. (M. Franck Dhersin renchérit ; on ironise sur les travées du GEST.) Le conseil départemental, unanime, les deux intercommunalités, quatre parlementaires sur cinq, les élus de la Haute-Garonne voisine, la présidente de la région Occitanie : tous forment un pacte armé en faveur de ce projet !
Avec cette loi dite de validation, nous proposons une porte de sortie pour mettre un terme à cette gabegie. Avec Marie-Lise Housseau, nous avons soigneusement rédigé l'exposé des motifs du texte, afin d'en garantir la constitutionnalité. Nous avons scrupuleusement veillé au respect de cinq principes juridiques essentiels.
Je souhaite pousser un cri du coeur - celui d'un territoire à la démographie en berne, qui perd des emplois, enclavé, mais qui se bat, qui n'accepte pas l'iniquité territoriale, qui n'accepte pas que certains, qui vivent souvent très loin, dans de grandes métropoles disposant de tous les moyens pour se connecter au monde... (M. Jean-François Longeot acquiesce.)
M. Franck Dhersin, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Absolument !
M. François Bonhomme. - Des bobos !
M. Philippe Folliot. - ... lui donnent des leçons de morale et lui disent ce qui est bon pour lui et pour l'environnement. Arrêter un chantier terminé à 70 % est une ineptie, y compris pour l'environnement ! Les mesures de compensation environnementales, pour lesquelles nous nous sommes battus, sont, elles aussi, stoppées.
Dès lors, il nous faut apporter une réponse politique. Le devenir des infrastructures doit être décidé par les élus qui tirent leur légitimité du suffrage universel - et par personne d'autre.
M. Franck Dhersin, rapporteur. - Absolument !
M. Philippe Folliot. - J'espère que nous pourrons adopter ce projet de loi, qui est attendu par un bassin d'emploi, un territoire, mais aussi le pays tout entier. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, INDEP et du RDSE)
M. Franck Dhersin, rapporteur. - Bravo !
M. Franck Dhersin, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) La commission a approuvé ce texte cosigné par plus de cent parlementaires, qui vise à remédier à l'arrêt du chantier de l'autoroute A69, une infrastructure attendue par les habitants depuis trente ans (protestations sur les travées du GEST), à la suite d'une décision du tribunal administratif de Toulouse du 27 février au motif de l'absence d'une raison impérative d'intérêt public majeur.
Certes, ce texte soulève des questions juridiques. (On ironise sur les travées du GEST.) D'abord, parce qu'il vise à valider un acte annulé par le juge administratif. Ensuite, parce qu'une procédure d'appel est en cours, avec une demande de sursis à exécution. Cela appelle deux remarques.
Premièrement, les législateurs que nous sommes n'ont pas vocation à se substituer au juge.
M. Ronan Dantec. - Bravo !
M. Franck Dhersin, rapporteur. - Mais cette proposition de loi, ciblée dans son objet, n'empêcherait nullement des recours fondés sur un autre motif que la raison impérative d'intérêt public majeur.
Deuxièmement, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le principe de séparation des pouvoirs proscrit la validation d'un acte ayant été annulé par une décision définitive. En l'espèce, ce n'est pas le cas : la procédure d'appel est en cours. Bien sûr, nul ne peut préjuger de la décision du Conseil constitutionnel en cas de recours. (M. Ronan Dantec ironise.) Il me semble toutefois que l'intervention du législateur est légitime pour répondre à une situation exceptionnelle.
Ce projet présente des bénéfices majeurs, en termes démographiques et socio-économiques et en matière de sécurité routière. Il relève de la politique d'aménagement du territoire et de la lutte contre l'enclavement et la désertification.
Castres-Mazamet est le seul bassin de cette taille de la région qui se situe à plus d'une heure du réseau autoroutier, du TGV, de Toulouse et de ses équipements : centre hospitalier universitaire, aéroport de Blagnac, université. L'A69 mettrait les habitants de Castres sur un pied d'égalité avec ceux d'Albi et Montauban, en leur faisant gagner vingt-cinq à trente-cinq minutes de trajet.
L'agglomération de Castres-Mazamet est la seule à avoir perdu des habitants entre 1968 et 2021. (M. Philippe Folliot renchérit.) Or la population est vieillissante - un tiers a plus de soixante ans. Cela pénalise l'attractivité économique du territoire : l'emploi a stagné à Castres-Mazamet, alors qu'il a progressé dans les autres bassins d'emploi de la région, comme Albi, Gaillac ou Montauban.
Les entreprises et les établissements publics ont des difficultés à attirer des travailleurs qualifiés depuis Toulouse.
Enfin, l'A69 répond à des impératifs de sécurité routière : de 2010 à 2020, la RN126 a fait 11 morts et 120 blessés.
Le projet dépasse l'échelle strictement locale. Il présente un intérêt national et européen qui avait conduit le législateur à reconnaître son caractère structurant lors de l'examen de la LOM.
L'abandon du projet aurait des répercussions négatives. Les travaux de l'A680 sont réalisés à 80 % ; pour l'A69, c'est 54 % des terrassements et 70 % des ouvrages d'art.
Quelque 300 millions d'euros ont été déjà engagés pour l'A69 - soit 70 % du total - et 90 millions pour l'A680 - soit 90 %. Si les travaux étaient arrêtés, il faudrait indemniser Atosca, le concessionnaire. (M. Guy Benarroche ironise.) En outre, il faudrait remettre l'environnement en état.
M. Ronan Dantec. - Absolument !
M. Franck Dhersin, rapporteur. - Cela aurait un coût au moins équivalent. L'arrêt du projet a des répercussions économiques fâcheuses pour les 1 000 salariés du chantier, les centaines d'intérimaires, les sous-traitants ayant signé les 67 contrats, mais aussi pour les entreprises ou collectivités locales qui auraient investi en anticipant l'arrivée de l'autoroute. Certaines entreprises risquent de quitter le territoire.
En outre, l'abandon du projet entraînerait l'arrêt des mesures de compensation. (M. Ronan Dantec ironise.) Il y aurait donc des pertes nettes en matière de biodiversité, et la destruction d'ouvrages déjà construits aurait un impact négatif sur l'environnement. En cas d'arrêt définitif du projet, un nouveau dispositif de compensation devrait être recherché, au prix d'un travail lourd, complexe et assurément très coûteux.
Nous ne pouvons, enfin, faire abstraction de l'impact politique de l'arrêt d'un projet sur le point de se concrétiser. La population se sent abandonnée face à un immense gâchis économique et financier. Pour les agriculteurs propriétaires des 400 hectares de terres expropriées, ce serait la double, voire la triple peine : les parcelles, si elles leur étaient rendues, ne seraient plus exploitables.
C'est pourquoi la commission a adopté ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP, du RDSE et du RDPI)
M. Philippe Tabarot, ministre chargé des transports . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le contexte est particulier. En tant que ministre des transports, je suis attentif aux enjeux liés au projet de l'A69. Oui, l'État a fait appel devant la cour administrative d'appel, car nous avons des arguments à faire valoir pour déclarer l'intérêt public majeur de cette liaison.
Le bassin d'emploi de Castres-Mazamet, avec 50 000 emplois et 132 000 habitants, est le seul à ne pas être relié à Toulouse par une infrastructure autoroutière. Il est le seul bassin de plus de 100 000 habitants en France à ne disposer ni d'une autoroute, ni d'une gare TGV, ni d'un aéroport international. Il est en décrochage, compte tenu du vieillissement de la population - même si soixante ans, c'est jeune ! (sourires) - et de la dynamique de création d'activité et d'emplois.
L'attractivité de Toulouse, devenue la troisième ville de France, n'est plus à nier. Castres-Mazamet doit pouvoir en profiter.
L'autoroute est un projet de territoire soutenu par les élus, les parlementaires et le monde économique local. J'ai vu de mes yeux l'état du chantier. L'objectif est clair : désenclaver le bassin et accompagner son développement économique dans un département dont je suis originaire et que j'aime.
L'autoroute apportera de la sécurité, tout en respectant les normes environnementales les plus récentes s'agissant de la ressource en eau, de la biodiversité, du bruit et de l'air.
Plus largement, nous devons nous interroger sur la sécurisation juridique de grands projets d'infrastructure. Quoi qu'on en pense sur le fond, il ne faut pas qu'une telle situation se reproduise.
La déclaration d'utilité publique (DUP) de ce projet avait été validée devant le Conseil d'État. Comment accepter une telle décision du tribunal administratif, alors que le projet avait déjà été réalisé aux deux tiers ? C'est l'objet de notre amendement au projet de loi Simplification, grâce auquel la raison impérative d'intérêt public majeur serait déclarée plus tôt. J'espère qu'il prospérera jusqu'au vote en CMP.
À travers cette proposition de loi, le Parlement réaffirmera, je l'espère, son soutien à ce projet, déjà considéré comme prioritaire dans la LOM.
Je salue le travail réalisé par les parlementaires concernés ; votre implication et votre engagement confirment qu'il s'agit bien d'un projet de territoire, soutenu par l'immense majorité des acteurs locaux.
Toutefois, au nom de la séparation des pouvoirs, je n'interviendrai ni dans la procédure en cours ni dans le travail parlementaire : le Gouvernement s'abstiendra donc de prendre position sur cette proposition de loi, laissant au Parlement l'entière liberté de ses travaux. (Marques d'ironie sur les travées du GEST)
Le Gouvernement a un axe de travail clair : obtenir le sursis à exécution, puis un jugement favorable en appel pour que le chantier reprenne au plus vite.
M. Franck Dhersin, rapporteur. - Voilà !
M. Philippe Tabarot, ministre. - Si nous ne pouvons qu'accueillir positivement un vote favorable de votre part, le Gouvernement a vocation à agir via la voie judiciaire pour cette juste cause.
Je rendrai un avis de sagesse à ce texte, à la motion et aux amendements, sauf un avis défavorable à celui de Ronan Dantec (M. Ronan Dantec s'exclame) visant à renommer le texte « proposition de loi visant à empiéter sur la compétence du juge administratif » (sourires), quelque peu excessif et provocateur (M. Ronan Dantec le conteste) - ce qui est rare chez le sénateur Dantec ! (Sourires)
Le Sénat est appelé à se prononcer sur un texte important. Tout en respectant l'indépendance de la justice, le Gouvernement poursuivra la défense de ce projet par la voie juridictionnelle. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Franck Dhersin, rapporteur. - Bravo !
M. Pierre Médevielle . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ; M. Pierre Jean Rochette encourage l'orateur.) Après sept décisions favorables entre 2010 et 2023, le jugement ahurissant du tribunal administratif de Toulouse en février dernier soulève les plus vives inquiétudes et pose la question de la faisabilité des futurs grands projets. Aujourd'hui, c'est l'A69 ; demain, ce sera la ligne à grande vitesse (LGV) de Bordeaux à Toulouse.
Mme Monique de Marco. - Tout à fait !
M. Pierre Médevielle. - Nous ne pourrons plus mener de grands projets.
M. Philippe Folliot. - Hélas !
M. Pierre Médevielle. - Plus d'usines, plus d'industrie, plus d'agriculture ! Voulons-nous des champs de ruines, comme le souhaitent les écolos bobos ? (Protestations sur les travées du GEST ; M. Franck Dhersin s'en amuse.)
La directive européenne de 1992 interdit la destruction de certaines espèces animales et végétales, sauf dérogation sous des conditions strictes. C'est au seul juge, dont nous ne remettons pas en cause l'indépendance (M. Thomas Dossus ironise), qu'il appartient de mesurer la balance. Néanmoins, après l'affaire du « mur des cons », nous sommes en droit de nous poser la question des motivations politiques de certaines décisions de justice...
M. Franck Dhersin, rapporteur. - C'est dit !
M. Pierre Médevielle. - Des expertises de terrain ont été réalisées. Quelque 300 millions d'euros ont été engagés pour désenclaver les territoires. Avec l'arrêt des travaux, il a fallu 200 000 euros pour sécuriser, supprimer 1 000 emplois et indemniser les concessionnaires à hauteur de 200 000 euros par jour. C'est la crédibilité de l'État qui est en jeu.
Il ne s'agit pas de remettre en cause la séparation des pouvoirs, garantie par le respect des décisions de justice qui ont autorité absolue de choses jugées ; ce n'est pas l'objet de ce texte. (Marques d'ironie sur les travées du GEST)
La question est autre : qui doit décider en matière de développement économique et social d'un territoire ? Des juges complètement hors sol (Protestations sur les travées du groupe SER et du GEST) ou des élus responsables qui connaissent parfaitement leur bassin de vie ?
Sans infrastructures majeures, ces bassins de vie sont voués à disparaître. J'ai une pensée pour Pierre Fabre, qui a tant donné pour ce territoire et aurait aimé voir cette autoroute.
M. Philippe Folliot. - Très bien !
M. Pierre Médevielle. - Le Conseil d'État a rendu un avis positif en 2021 sur la DUP.
Nous devons faire évoluer le cadre juridique pour l'avenir, sinon les mêmes causes produiront les mêmes effets.
On peut s'interroger sur le déroulé global : et si la DUP valait autorisation environnementale ? Cela éviterait deux écueils : le décalage temporel entre les études, la déclaration d'utilité publique et la réalisation effective du projet ; la multiplicité des recours qui s'acharnent contre les projets. Lorsqu'une décision est prise, qu'elle suive son cours ; les territoires ne doivent plus être pris en otage.
Ce projet transpartisan est porté par tout un territoire, qui le considère comme vital. Les mots me manquent face à tant d'absurdité. Cessons d'être déconnectés des réalités locales ! Votons cette proposition de loi pour montrer que nous avons retrouvé la raison. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
M. François Bonhomme . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP) Disons-le tout net : cette proposition de loi a un caractère important pour l'avenir du développement régional. Cette autoroute est en gestation depuis des dizaines d'années pour offrir aux habitants un axe important de développement.
Malheureusement, le 27 février dernier, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 1er mars 2023 autorisant à déroger à l'interdiction de destruction d'espèces protégées au nom tout aussi émouvant qu'évocateur : le trèfle écailleux, la mousse-fleurie, également dénommée crassule mousse (sourires), plante charnue aux délicats reflets carmin, la nigelle de France avec ses reflets bleus et sa tige cannelée, ou encore la fritillaire pintade, à ne pas confondre avec la fritillaire impériale, car celle-ci a de frêles bulbes globuleux... (On apprécie l'énumération à droite et au centre.) Pourtant, l'aménageur s'est engagé à déplacer dans des terres favorables toutes ces espèces...
Il y a de quoi s'interroger. Le projet bénéficiait d'une DUP, les recours contre cette décision ayant été rejetés par le Conseil d'État le 5 mars 2021. Au bout de quatre ans, alors que 60 % du chantier a été réalisé et 300 millions d'euros investis, ce jugement gèle le chantier de façon ubuesque.
L'État a légitimement fait appel, et nous espérons qu'un sursis à exécution sera prononcé par la juridiction administrative le 21 mai prochain.
Le cas de l'A69 doit amener le législateur à faire évoluer la loi pour mieux concilier, à l'avenir, les impératifs de sécurité juridique et de protection de l'environnement. Pour l'heure, des milliers de personnes n'ont plus de travail. Abandonner ce projet n'est pas envisageable.
Avec ce texte, le Sénat prend ses responsabilités et sécurise le projet en validant les deux autorisations environnementales délivrées par les représentants de l'État.
D'aucuns évoquent l'existence de solutions alternatives ou même la nécessité de moderniser les infrastructures existantes, mais les études et concertations menées depuis plus de vingt ans ont démontré le contraire.
Je ne minore pas les inquiétudes exprimées en matière environnementale, mais ce projet a fait l'objet de nombreuses compensations. Notre responsabilité collective est d'intégrer aujourd'hui la transition écologique sans sacrifier l'équilibre territorial.
Ce n'est pas le cas de ceux qui veulent faire échouer ce projet pour des raisons purement idéologiques : toujours les mêmes associations autoproclamées écologistes, trop subventionnées ; les mêmes rebelles institutionnels qu'à Notre-Dame-des-Landes, Sainte-Soline, Sivens ou sur le chantier de la LGV entre Bordeaux et Toulouse.
L'A69 a même eu l'honneur de la visite d'une icône médiatique, Greta Thunberg ! (Marques d'ironie au centre et à droite) Reconnaissons la réussite médiatique de cette figure pouponne de la lutte pour le climat, pur produit des adultes consentants et jamais assez repentants vis-à-vis d'elle - du secrétaire général de l'ONU aux chefs d'État, tous penauds et s'empressant de faire acte de contrition devant elle... C'est un spectacle affligeant de les voir ainsi baisser la tête devant cette jeune gourou médiatique qui fait la leçon à tout le monde, la version la plus gnangnan de la propagande de l'infantilisme climatique ! (MM. Pierre Cuypers et Laurent Somon s'en amusent.)
Quand les gogos ne sont pas assez nombreux, c'est dans les prétoires que l'activisme se reporte. Et quand cela ne fonctionne pas, ces associations radicales légitiment l'action violente de militants extrémistes au nom de la « désobéissance civile » - qui n'est que l'autre nom du mépris de la majorité silencieuse. C'est ainsi qu'ils en viennent à théoriser le déchaînement de violence contre les forces de l'ordre.
En octobre 2023, nombre de ces défenseurs du vivant autoproclamés, en bons militants pacifistes, sont venus manifester munis de barres de fer, de disqueuses, de casques, de pioches, de masques à gaz, de bidons d'essence et de boules de pétanque (M. Thomas Dossus proteste.) - le parfait attirail du manifestant cool et pacifique ! (M. Philippe Folliot renchérit.)
Je vous invite à voter en faveur de cette proposition de loi pour que l'A69 soit enfin reconnue pour ce qu'elle est : un projet d'avenir et porteur d'espoir pour notre région. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP)
M. Franck Dhersin, rapporteur. - Bravo !
Mme Marie-Laure Phinera-Horth . - Le RDPI soutiendra cette proposition de loi, déposée au Sénat par Philippe Folliot et Marie-Lise Housseau (M. Philippe Folliot applaudit), ainsi que par les députés Philippe Bonnecarrère et Jean Terlier à l'Assemblée nationale.
Lorsque le chantier a été interrompu, la présidente socialiste du conseil régional, Carole Delga, a rappelé ce que beaucoup d'élus savent depuis longtemps : cette autoroute est nécessaire.
M. Philippe Folliot. - Très bien !
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Elle a ajouté : « Je continuerai d'être aux côtés des habitants et des entreprises qui ont besoin de cette liaison rapide, qui la soutiennent très largement, car elle est nécessaire au désenclavement du bassin de Castres-Mazamet ». Elle a raison ! Le désenclavement de ce territoire est une exigence d'équité territoriale et de dynamisme économique.
Lundi, nous parlions du désenclavement médical ; aujourd'hui, de la mobilité, indissociable de l'accès aux soins, à l'emploi et aux services.
L'État soutient ce projet. Depuis la déclaration d'utilité publique en 2014, sous la présidence de François Hollande, ce soutien ne s'est jamais démenti. Les élus du Tarn et de Haute-Garonne soutiennent ce projet. Le Sénat pourrait en faire autant à son tour.
Pourtant en février 2025, le tribunal administratif de Toulouse a arrêté le chantier. Monsieur le ministre, vous avez pris vos responsabilités...
M. Philippe Tabarot, ministre. - Merci !
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - ... en faisant appel de cette décision devant la cour administrative d'appel de Toulouse. Vous avez demandé la suspension de son exécution pour une reprise rapide des travaux. Le temps presse : chaque mois de retard est un mois perdu pour les entreprises et les usagers de la route.
J'ai une pensée pour les habitants qui vivent le long du Maroni en Guyane et attendent depuis de nombreuses années un projet routier. Monsieur le ministre, nous en discuterons très bientôt.
M. Philippe Tabarot, ministre. - Volontiers.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Cette proposition de loi vise à valider par la loi les arrêtés préfectoraux portant autorisation environnementale, en reconnaissant notamment la raison impérative d'intérêt public majeur.
Cette situation est incompréhensible pour nos concitoyens : comment un tel projet peut-il être ainsi remis en cause du jour au lendemain ? Nous devons assurer plus de sécurité juridique pour les grands projets d'infrastructures publiques à l'avenir. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Christian Bilhac . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP) Le chantier de l'A69 est à l'arrêt à la suite d'une décision de justice. Je rappelle notre attachement à l'État de droit, garant de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance de la justice.
M. Ronan Dantec. - Bien !
M. Christian Bilhac. - Mais il faut débloquer cette situation, qui coûte à l'État 180 000 euros par jour. Si le projet devait être abandonné, le coût pour le contribuable serait supérieur à 1 milliard d'euros. Quel gâchis !
M. Pierre Jean Rochette. - Parfaitement !
M. Christian Bilhac. - D'un côté, une décision de justice aux conclusions assez négatives et une enquête publique assez négative également.
M. François Bonhomme. - Pas vraiment...
M. Christian Bilhac. - De l'autre, un projet soutenu par la quasi-totalité des élus locaux : les parlementaires, la présidente de région, les conseillers généraux, les maires, etc.
M. Ronan Dantec. - Pas tous les maires !
M. Christian Bilhac. - Il paraît donc judicieux que ce projet aboutisse.
Certes, le droit au recours est un fondamental, mais il conviendrait d'en raccourcir les délais. Dans un monde en mouvement, nous ne pouvons pas mettre trente ans à réaliser de tels projets, quand en Chine ça prend un mois : il y a un juste milieu ! (M. Jean-François Longeot renchérit.)
Terminons donc ce chantier, malgré l'erreur de l'État qui a autorisé le lancement des travaux avant l'épuisement de tous les recours.
Le pragmatisme doit conduire à faire évoluer la loi pour mieux concilier sécurité juridique et réalités de terrain. Dans l'Hérault, la moitié de la production d'électricité éolienne est paralysée par les défenseurs des oiseaux. Idem pour le contournement nord de Montpellier, qui attend depuis plus de trente ans, avec des dizaines de recours. De même pour le ferroutage : au rythme actuel, il faudra cinquante ans pour réaliser la liaison avec le nord de l'Espagne, entre la libellule que l'on trouvera ici, le lézard un peu plus loin et la chauve-souris ailleurs - alors que c'est absolument indispensable pour l'environnement.
M. Jean-François Longeot. - C'est du bon sens !
M. Christian Bilhac. - La majorité des membres du RDSE voteront ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et des groupes INDEP et UC ; M. Laurent Somon applaudit également.)
Mme Marie-Lise Housseau . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Voilà près de trois mois, le 27 février 2025, à dix mois de la mise en service de l'autoroute A69, la décision du tribunal administratif de Toulouse provoquait un séisme dans le Tarn et la Haute-Garonne, mais aussi dans toute la France, car tous les départements sont susceptibles d'être concernés.
Sans tarder, le législateur devra se pencher sur l'indispensable conciliation entre protection de l'environnement et sécurité juridique des grands projets ; Franck Dhersin a esquissé des pistes dans son rapport.
L'A69 est un projet vieux de trente ans ; il a été reconnu d'intérêt public majeur par la LOM en 2019 et confirmé par le Conseil d'État en 2021. Ce projet n'est pas un caprice, il répond à un besoin de désenclavement, de développement économique et de sécurité routière.
M. Philippe Folliot. - C'est vrai !
Mme Marie-Lise Housseau. - Il est soutenu par une large majorité de citoyens, d'acteurs économiques et d'élus de tous bords : Carole Delga, Pascal Bugis, Jean-Luc Moudenc, Christophe Ramond, Philippe Bonnecarrère, Jean Terlier, Alain Chatillon, Brigitte Micouleau, Pierre Médevielle... En tant que maire de Sorèze, j'ai participé à l'élaboration du projet de territoire.
Ce projet est trop avancé pour être arrêté ; trop d'argent a été dépensé ; aucun retour à l'état antérieur n'est possible.
Cette proposition de loi remplit les cinq conditions imposées par le Conseil constitutionnel à un texte de validation : respect des décisions ayant force de chose jugée ; respect du principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions ; portée de la validation strictement définie ; non-méconnaissance par l'acte validé de règles ou principes de valeurs constitutionnelles ; existence d'un motif impérieux d'intérêt général.
Si elle est adoptée, cette proposition de loi redonnera de l'espoir aux habitants du bassin, qui aspirent à une renaissance autour d'activités comme la chimie fine, l'agroalimentaire et le tourisme. Sans quoi les dommages seront considérables pour ce département, dont les habitants se sentent méprisés.
Pensez-vous qu'un bassin de vie gagne à être désenclavé pour attirer des activités ? Qu'une autoroute est moins accidentogène qu'une route nationale bordée de platanes et traversant des villages ? Que les 16 millions d'euros de compensations environnementales seront plus utiles pour l'environnement qu'une friche ? Que les sommes nécessaires à l'arrêt définitif de l'A69 pourraient être mieux dépensées ? Qu'un fiasco pareil achèverait de nous décrédibiliser ?
À toutes ces questions, le groupe UC répond : oui ! Il votera avec conviction cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains et du RDSE)
M. Jean-Pierre Corbisez . - L'A69 est un cas d'école. Comment un projet validé par l'État et ayant été déclaré d'utilité publique peut-il se retrouver ainsi à l'arrêt ?
Sur le fond, nous aurions préféré que l'amélioration de la liaison entre Castres et Toulouse passe par la modernisation de la ligne ferroviaire. (M. François Bonhomme en doute.) C'est mon côté développement durable...
Ce texte ne questionne pas le fond du projet, alors qu'une bonne partie des travaux ont déjà été réalisés et 300 millions d'euros engagés. Soit il faut changer la loi et adosser l'intérêt public majeur à la DUP, soit il faut veiller à ce que tous les recours soient purgés avant le démarrage des travaux - comme c'est le cas pour un permis de construire. On pourrait se demander qui a autorisé le démarrage des travaux...
M. Ronan Dantec. - Bonne question !
M. Jean-Pierre Corbisez. - Une chose est sûre : ne faisons pas de cas par cas législatif. En plus d'être chronophage, ce serait inéquitable.
Mon groupe et moi sommes très attachés à la séparation des pouvoirs et au respect du pouvoir judiciaire. On ne peut pas dire qu'un juge est hors sol.
Toutefois, cette décision du tribunal administratif intervient très tardivement : le projet est très avancé. C'est pourquoi, avec Marie-Claude Varaillas, je voterai ce texte. Mais mon groupe votera majoritairement contre.
M. Ronan Dantec. - Cela me rassure !
M. Jean-Pierre Corbisez. - Toutefois, attendons la décision définitive avant de reprendre les travaux, afin de ne pas gaspiller encore plus d'argent public. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP, ainsi qu'au banc des commissions)
M. Jacques Fernique . - (Applaudissements sur les travées du GEST) « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs garantie n'a point de Constitution. »
Ce texte entend contourner deux décisions de justice, en donnant un blanc-seing politique à un projet destructeur. Il arrive que des décisions de justice déplaisent : c'est une preuve de bonne santé démocratique.
Aujourd'hui, nous débattons de la légitimité du Parlement à se substituer aux juges, à une semaine de leur décision. Le législateur crée un précédent grave en tentant d'influencer une Cour de justice et de perturber le cours du droit.
Les magistrats ont estimé que ni les bénéfices d'ordre social, ni les raisons économiques, ni les motifs de sécurité avancés...
M. Franck Dhersin, rapporteur. - Plus de vingt morts !
M. Jacques Fernique. - ... ne constituaient une raison impérative d'intérêt public majeur justifiant de déroger aux règles qui protègent les espèces protégées. Économie, social, sécurité : c'est bien plus large, monsieur Bonhomme, que quelques libellules.
Cher Franck Dhersin, vous balayez la décision du tribunal d'un revers de main. Vous affirmez sans démontrer. Vous avancez sans prouver. Face à la rigueur juridique du tribunal, vous ne présentez que quelques justifications politiques à peine ébauchées.
Le sommet est atteint lorsque l'on découvre que les compensations environnementales prendront fin dès les travaux terminés. C'est irresponsable. Allez voir à Strasbourg les compensations du grand contournement Ouest !
Oui, l'État a choisi de commencer les travaux avant la fin des recours : c'est une entorse lourde au principe de séparation des pouvoirs. Devons-nous vraiment importer le modèle trumpiste de mépris des contre-pouvoirs ? (M. François Bonhomme ironise.)
Ce projet coûte déjà cher en biodiversité, en argent public et en crédibilité démocratique.
Ce texte, qui vise à gagner quelques mois, alors que ce projet est en gestation depuis plus de quinze ans, n'est qu'un signal politique adressé aux partisans de l'autoroute. Simplification, détricotage et maintenant atteinte à l'État de droit : voilà les mots d'ordre. Ce serait un dangereux précédent, pour faire passer en force n'importe quel projet contesté en justice.
Un mot sur notre gentlemen's agreement : ce texte n'en relève pas, c'est une première historique. D'où notre motion tendant à faire adopter l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Hervé Gillé . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Cette proposition de loi a des implications profondes, économiques, financières, juridiques et institutionnelles.
Il ne s'agit pas d'un débat pour ou contre l'A69, mais d'un débat sur le respect de l'État de droit, sur la place du juge et sur les limites constitutionnelles de notre pouvoir législatif. (MM. Ronan Dantec et Guy Benarroche renchérissent.)
Deux arrêtés ont été suspendus par le tribunal administratif, au motif que le projet ne répondait pas à une raison impérative d'intérêt public majeur. Le code de l'environnement, qui transpose la directive Habitat, prévoit en effet que lorsqu'un projet porte atteinte à une espèce protégée, il ne peut y avoir de dérogation qu'à la condition que trois conditions strictes soient réunies : absence d'alternative, conservation des espèces et démonstration d'une raison impérative d'intérêt public majeur.
M. Philippe Folliot. - C'est ce qu'on a fait !
M. Hervé Gillé. - Le juge a estimé que ce dernier critère n'était pas respecté, malgré la DUP prononcée en 2018 et confirmée en 2021. Le juge a ainsi distingué utilité publique et intérêt public majeur, ce qui est conforme au droit.
Le Parlement a-t-il à se substituer au juge lorsqu'il n'est pas satisfait d'une décision de justice ? Est-ce notre rôle de valider rétroactivement un acte administratif alors que la cour administrative d'appel de Toulouse devrait se prononcer le 21 mai prochain ? Ce texte adresse un message trouble, au mépris du principe de séparation des pouvoirs.
Le 5 mars dernier, le Conseil constitutionnel a reconnu que l'intérêt public majeur reconnu par la loi ne s'appliquait qu'à certains projets spécifiques, dont ne relèvent pas les autoroutes. Ce texte pourrait donc être annulé par le Conseil constitutionnel, provoquant encore plus de confusion.
Certains invoquent les coûts de suspension du chantier, les risques d'indemnisation et les incertitudes économiques. Mais cela n'est pas la faute du juge, mais bien celle de l'État, qui a lancé les travaux avant l'épuisement des recours, alors que la prudence aurait dû prévaloir.
D'ailleurs, monsieur le ministre, c'est le Gouvernement qui aurait dû déposer un tel projet de loi. Je salue votre courage : vous laissez le Parlement décider et ne vous positionnez pas.
M. Philippe Tabarot, ministre. - Je vous répondrai.
M. Hervé Gillé. - Au stade où l'on en est, le retour en arrière serait lourd de conséquences : il faudra sans doute poursuivre.
Nous devons réfléchir à une meilleure sécurisation juridique des projets, par exemple en reconnaissant plus tôt la raison impérative d'intérêt public majeur. Nous législateurs sommes les premiers fautifs : nous aurions dû définir clairement la raison impérative d'intérêt public majeur. Les juges seraient hors sol, selon certains ? Mais ils étaient compétents pour apprécier. Il nous appartient de clarifier la notion de raison impérative d'intérêt public majeur.
M. Franck Dhersin, rapporteur. - C'est ce que nous faisons !
M. Hervé Gillé. - Non : cette proposition de loi ne porte pas là-dessus.
La responsabilité, c'est aussi celle de l'État, qui a mobilisé la notion de raison impérative d'intérêt public majeur pour tenter d'accélérer les procédures, ouvrant la voie à de nouveaux recours.
Dans sa grande majorité, le groupe SER ne prendra pas part au vote. Toute procédure parlementaire visant à fragiliser l'État de droit démontre avant tout notre fragilité politique. (Applaudissements à gauche ; MM. Franck Dhersin et Jean-François Longeot ironisent.)
M. Guillaume Gontard. - Très bien !
Exception d'irrecevabilité
M. le président. - Motion n°1 de M. Ronan Dantec et alii.
M. Ronan Dantec . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Jacques Fernique l'a rappelé : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a point de Constitution. » Chaque sénateur connaît la position du président du Sénat, Gérard Larcher, en la matière : il ne faut toucher à la Constitution que d'une main tremblante.
Je ne sais pas si la main des auteurs de ce texte a tremblé, mais ils n'avaient sûrement pas en tête l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, socle de la Constitution de 1958. La question est non pas d'être pour ou contre l'A69, mais d'être ou non respectueux de nos principes constitutionnels.
En toute liberté et de manière très étayée, le tribunal administratif de Toulouse a annulé deux autorisations environnementales faute de raison impérative d'intérêt public majeur. La proposition de loi sénatoriale de 2019, visant au désenclavement des territoires, adoptée à la quasi-unanimité, avait défini ce qu'était une infrastructure prioritaire : « aucune partie du territoire français métropolitain ne doit être située à plus de 50 kilomètres ou de 45 minutes d'automobile, soit d'un centre urbain ou économique, soit d'une autoroute ou d'une route express à deux fois de voies en continuité avec le réseau national. » Castres étant à 48 kilomètres de l'A68 - selon Waze -, cette liaison n'entre donc pas dans les critères prioritaires.
M. Philippe Folliot. - Nous y vivons !
M. Ronan Dantec. - Je suis sûr que les juges ont tenu compte de la légendaire sagesse des sénateurs ! De nombreux sénateurs d'Occitanie avaient défendu cette proposition - j'ai les noms ! Difficile de dire aujourd'hui qu'il y aurait une raison impérative d'intérêt public majeur à ce projet, alors que les mêmes ne l'ont pas affirmé il y a six ans. Pensez-vous vraiment que le Conseil constitutionnel considérera que ce projet répond à un intérêt impérieux ? Qu'en dira Pierre Jean Rochette ?
M. Pierre Jean Rochette. - J'arrive !
M. Ronan Dantec. - Nous n'en sommes qu'au début d'un festival de trouvailles législatives à faire sursauter dans leurs tombes les pères de la Constitution et à faire saliver d'envie les avocats en droit constitutionnel.
Une loi de validation a traditionnellement pour objet de prévenir l'annulation de certaines décisions entachées d'un vice de forme mineur, mais aux conséquences désastreuses. Mais ici on intervient après la décision du tribunal ! Et il n'y a aucun consensus, puisque de nombreux maires - j'ai la liste - sont opposés à ce projet. C'est un précédent très grave. Monsieur le rapporteur, dès qu'un projet sera annulé par un tribunal, le Parlement déposera-t-il une proposition de loi de validation ?
Et quelle autre loi de validation vous permet d'affirmer que vous ne détournez pas la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les lois de validation ? Une loi de validation doit respecter le principe de séparation des pouvoirs. Mais intervenir à quelques jours d'une décision de justice n'est-ce pas une entorse majeure à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi qu'à l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui interdit toute ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice ? Encore heureux qu'aucun sénateur n'ait dit que les juges administratifs étaient hors sol ! (M. Jacques Fernique s'en amuse.)
M. François Bonhomme. - Cela peut arriver...
M. Ronan Dantec. - Le rapporteur reconnaît qu'il a tenté de colmater la brèche. Merci pour cette honnêteté qui vous honore.
M. Franck Dhersin, rapporteur. - Je ne me prends pas pour un juge constitutionnel, moi !
M. Ronan Dantec. - Chers défenseurs de l'autoroute payante, si vous voulez éviter d'alerter le Conseil constitutionnel, ne mettez pas les phrases d'excuse dans le texte. C'est un peu comme si Maradona, après avoir éliminé l'Angleterre d'un but de la main, était allé voir l'arbitre pour lui dire « tu as vu, j'ai triché, mais c'est la main de Dieu ». (Rires et applaudissements sur les travées du GEST)
Le Conseil constitutionnel refuse les validations totales. Si la cour administrative d'appel était un peu chafouine, elle pourrait invoquer d'autres motifs pour maintenir l'annulation de l'autorisation environnementale.
Je termine par un peu de publicité pour le bassin économique de Castres-Mazamet. L'avis du tribunal administratif considère qu'il ne saurait être considéré comme étant en situation de décrochage démographique. S'il est le seul de cette importance à ne pas être relié à Toulouse par une infrastructure autoroutière, il résulte de l'instruction qu'il dispose de tous les services et équipements nécessaires à son autonomie, et de qualité suffisante. On aurait presque envie d'y vivre si l'on n'avait pas autant de campagnes de dénigrement des défenseurs de l'autoroute.
M. Philippe Folliot. - C'est scandaleux !
M. Ronan Dantec. - En rejetant ce texte dangereux et mal ficelé, nous gagnerons du temps, de l'énergie et de la sérénité. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Pierre Jean Rochette. - Je répondrai factuellement aux arguments des auteurs de la motion.
La proposition de loi serait un détournement des lois de validation. Mais il est tout à fait admis que ces dernières puissent porter sur des motifs de fond. La jurisprudence du Conseil constitutionnel en comporte de multiples exemples. Ainsi de la DUP du projet de tramway de Strasbourg, en 2004, annulée par le tribunal administratif. Bien sûr, le juge constitutionnel examine avec une exigence renforcée ces textes. Mais la robustesse des motifs est en l'espèce bien démontrée.
Le recours à des lois de validation est une pratique courante, permettant de conforter la sécurité juridique de situations déjà constituées et de prévenir des dommages importants.
Le texte n'a en aucun cas pour but de faire pression sur le juge. (M. Guy Benarroche en doute.) Le législateur ne saurait substituer son analyse à celle du juge d'appel. Il est pleinement dans son rôle pour prévenir la mise en péril d'un intérêt public majeur en cas d'arrêt définitif du projet de l'A69 et pour concilier protection de l'environnement, développement économique et progrès social.
De plus, l'autorisation préfectorale dont le projet fait l'objet reste attaquable devant le juge administratif pour tout autre motif, y compris les deux autres conditions exigées par le code de l'environnement au titre de la dérogation « espèces protégées ». Le contrôle juridictionnel de l'acte validé reste possible.
Enfin, le principe de séparation des pouvoirs n'interdit pas le recours aux lois de validation en cas d'annulation en première instance. La séparation des pouvoirs interdit certes au législateur de remettre en cause des décisions de justice ayant force de chose jugée, mais, en l'espèce, ce n'est pas le cas.
Dans le cas du tramway de Strasbourg, le Conseil constitutionnel a censuré la disposition visée parce que sa portée était trop large et les motifs d'intérêt général insuffisants, non parce qu'une procédure d'appel restait pendante.
Seuls d'impérieux motifs d'intérêt général peuvent justifier le recours à une loi de validation. En l'espèce, ceux-ci sont démontrés. Ils sont démographiques, comme cela a été souligné ; je crois les sénateurs vivant sur ces territoires.
M. Philippe Folliot. - Merci !
M. Pierre Jean Rochette. - Ce projet désenclave le sud du Tarn. La métropolisation des territoires implique de les connecter aux métropoles. Or il faut 1 h 10 pour rejoindre Toulouse depuis Castres, via la RN126, si on respecte les limitations de vitesse - j'en sais quelque chose. (Sourires) Le bassin Castres-Mazamet connaît un décrochage démographique, contrairement aux bassins d'Albi et Montauban, bien reliés à Toulouse. Cet enclavement entraîne des difficultés de recrutement, puisque la mobilité est aussi un frein à l'emploi.
Le projet répond à des impératifs de sécurité : on dénombre dix-huit accidents, et six morts, entre 2021 et 2024.
L'arrêt du chantier aurait des conséquences dramatiques ; son coût dépasserait le milliard d'euros, difficile à justifier devant nos concitoyens. (M. Philippe Folliot renchérit ; M. Thomas Dossus s'exclame.)
Sur le plan socio-économique, l'arrêt du chantier constituerait une perte de chances, fragiliserait l'attractivité du territoire et son tissu d'entreprises.
Reconnaître dans la loi la raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM) n'est pas inédit. Le législateur l'a fait en 2023 dans la loi Industrie verte.
Dans sa décision du 5 mars 2025, le Conseil constitutionnel admet que la RIIPM puisse être reconnue indépendamment de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale ; la réduction de l'incertitude juridique pesant sur certains projets constitue un objectif d'intérêt général et cette reconnaissance ne concerne que des projets précisément identifiés, d'une importance particulière. En l'espèce, ces critères sont respectés : la mesure est ciblée et le projet est d'importance nationale.
Je vous invite à rejeter massivement la motion et à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains)
M. Franck Dhersin, rapporteur. - Bravo !
Monsieur Dantec, ce texte n'est pas un détournement des lois de validation et ne cherche pas à faire pression sur le juge administratif. Nous ne nous prenons pas pour le juge administratif, évitez de vous prendre pour le juge constitutionnel !
Les lois de validation sont encadrées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui a défini cinq critères pour examiner leur conformité ; ceux-ci sont respectés. Il s'agit de désenclaver le bassin de Castres-Mazamet, au nom du principe d'équité territoriale - cela vous parle-t-il ?
Avis défavorable.
M. Philippe Tabarot, ministre. - La compétence de Philippe Folliot et Marie-Lise Housseau n'est plus à démontrer. Les députés Terlier et Bonnecarrère sont des juristes reconnus. Quand ce dernier était membre de la commission des lois du Sénat, il était considéré comme l'un de ses meilleurs juristes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
M. Loïc Hervé. - Bravo !
M. Philippe Tabarot, ministre. - On ne peut attendre l'épuisement de tous les recours, l'autorisation environnementale elle-même deviendrait caduque. Cela fait trente ans que les habitants attendent cette autoroute.
Monsieur Dantec, nos débats n'influenceront pas les magistrats de la cour administrative d'appel ; ils statueront en toute indépendance.
M. Guy Benarroche. - On essaie de les influencer !
M. Philippe Tabarot, ministre. - Hier, le rapporteur public du Conseil d'État a demandé de rejeter une autre des nombreuses requêtes des opposants de l'A69, cette fois sur la durée de la concession.
Monsieur Gillé, vous me reprochez de ne pas prendre position, mais votre groupe ne prendra pas part au vote ! Difficile de savoir ce que vous pensez réellement du projet. Olivier Faure, Carole Delga... d'autres considérations viennent troubler vos choix. (On ironise à droite)
En revanche, vous avez raison, le législateur n'a pas été suffisamment clair sur la RIIPM. Le Gouvernement essaiera d'apporter des réponses lors de la CMP sur le projet de loi Simplification.
La décision du 27 février n'est pas ubuesque, mais a créé une situation ubuesque. Je donnerai un avis de sagesse défavorable sur cette motion.
Mme Marie-Claude Varaillas. - Je voterai ce texte.
Le tribunal administratif a déjà annulé une décision administrative, mais généralement au stade de la DUP, rarement en phase d'achèvement des travaux. La décision de la cour d'appel de Bordeaux avait annulé le contournement routier de Beynac-et-Cazenac, alors qu'il y avait déjà pour 40 millions d'euros de travaux engagés, et que les coûts de remise en état s'élevaient à 20 millions.
Je suis très attachée à la séparation des pouvoirs, c'est pourquoi nous devons faire évoluer la loi. Nous sommes comptables des deniers publics. (M. Philippe Folliot renchérit.)
Il est évident que la raison d'intérêt public majeur doit intervenir plus tôt, avant le début des travaux. Aucune précision n'est venue encadrer la décision du juge. Nous devons préserver l'agriculture, mais nos départements ruraux doivent aussi résoudre des problèmes de sécurité routière et se développer économiquement s'ils veulent être autre chose que le poumon des métropoles. Ces territoires veulent rester innovants et attractifs ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)
M. Daniel Gueret. - La proposition de loi vise à reconnaître la RIIPM pour le projet d'A69. La décision du tribunal administratif a interrompu brutalement un chantier dont 60 % des travaux étaient réalisés, mettant à mal un désenclavement pourtant souhaité par les collectivités locales, les acteurs économiques et la population.
La proposition de loi ne contourne pas le droit, mais veut éviter une insécurité juridique tout en garantissant la cohérence de l'action publique. Il nous faut respecter la volonté démocratique. Refuser d'examiner ce texte reviendrait à ignorer les enjeux de développement économique. Il ne s'agit pas de nier les enjeux environnementaux, mais de trouver un juste équilibre.
Notre groupe votera contre la motion. Nous appelons à un débat serein sur ce texte essentiel pour l'avenir des territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC)
M. Thomas Dossus. - Si vous ne voulez pas de l'avis des sénateurs des métropoles, ne présentez pas ces textes devant le Sénat ! Notre mandat est national : nous nous exprimons sur tous les sujets.
Monsieur le rapporteur, vous n'avez pu détailler aucune des cinq raisons qui justifient une loi de validation !
Mes chers collègues, comment être crédibles quand vous mettez à mal la séparation des pouvoirs ? Le fait accompli n'est pas une politique crédible. Les conséquences financières sont le fait de promoteurs qui ont avancé à marche forcée sur ce chantier.
On vous entend fréquemment regretter l'affaiblissement de l'autorité. Or vos propos affaiblissent les juges, l'État de droit, la République ! Votons cette motion. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Serge Mérillou. - Ce projet cristallise un difficile équilibre entre deux exigences républicaines : la justice environnementale d'une part, le respect de la parole des élus locaux et la reconnaissance des territoires ruraux comme parties prenantes du destin national, d'autre part. Le dénominateur commun est le respect de l'État de droit.
La directive Habitats nous invite à peser l'équilibre entre environnement et élus de terrain. Il s'agit de trouver le point d'équilibre, là où la République tient parole et tient ensemble.
À Beynac, l'incompréhension domine ; ces grands projets semblent voués à des contentieux interminables, sans respect pour les habitants laissés à l'abandon. Cela fait le lit des populismes.
M. Franck Dhersin, rapporteur. - Absolument !
M. Serge Mérillou. - Ce texte doit être non un baroud d'honneur, mais un signal envoyé à nos concitoyens. La RIIPM ne doit pas rester à la seule appréciation du juge. Selon Montesquieu, une chose n'est pas juste parce qu'elle est la loi, mais doit être loi parce qu'elle est juste.
Je ne prendrai pas part au vote sur la motion, mais je voterai le texte.
M. Franck Dhersin, rapporteur. - Monsieur Dossus, vous n'avez apparemment pas lu le rapport. Tout y est.
Monsieur Dantec, vous déclariez à Libération que le monde entier ne pense pas comme Paris et Nantes, et que vous étiez plutôt dans une position de médiateur. Dommage que vous n'ayez plus cette position.
Le 18 décembre 2024, au Cese, vous déclariez qu'on ne fait pas confiance aux territoires pour mettre en oeuvre leur politique. Vous concluiez en disant qu'on sentait une volonté de fliquer les territoires ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
Quatorze juges ont validé ce projet, un seul s'est prononcé contre !
Monsieur Gillé, on sent le PS gêné aux entournures. Notre main n'a pas tremblé, mais la langue du PS semble quelque peu liée.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Gardons les pieds sur terre. Mon territoire est bien desservi ; vais-je aux territoires moins chanceux : débrouillez-vous, et tant pis si votre économie va mal ?
La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable doit se montrer à la hauteur de son intitulé, si l'on souhaite retrouver la confiance de nos concitoyens. Je n'imagine pas ajouter des délais aux délais. Je ne demande pas qu'on aille aussi vite qu'en Chine, mais n'appuyons pas non plus sur le frein !
À la demande du groupe UC, la motion n°1 est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°280 :
Nombre de votants | 276 |
Nombre de suffrages exprimés | 276 |
Pour l'adoption | 32 |
Contre | 244 |
La motion n°1 n'est pas adoptée.
Discussion de l'article unique
Article unique
M. le président. - Amendement n°2 de M. Dantec et alii.
M. Ronan Dantec. - Au vu de la faiblesse des arguments présentés, cet amendement est justifié. Rien ne vient confirmer que les critères fixés par le Conseil constitutionnel sont remplis. Les motifs économiques n'en font pas partie.
C'est la première fois qu'une loi de validation traite du fond, et non d'un vice de procédure. Nous sommes en dehors des clous, et je déplore la faiblesse de l'argumentaire juridique.
Le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur des questions environnementales : il a estimé que le projet ne tenait pas et qu'il fallait améliorer la route existante. À 16 euros le trajet, les automobilistes continueront d'emprunter la route nationale !
Vous avez surtout montré la faillite du dialogue entre les élus locaux et l'État, qui n'a pas voulu prendre en charge la totalité des coûts, ce qui a abouti à une autoroute sous concession privée.
Ce n'est pas une histoire de chauve-souris ou de plantes rares. Vous vous trompez !
M. Franck Dhersin, rapporteur. - Avis défavorable.
M. Philippe Tabarot, ministre. - Sagesse défavorable. (Sourires)
L'amendement n°2 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°4 de M. Dhersin, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
M. Franck Dhersin, rapporteur. - En vertu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le législateur ne peut modifier rétroactivement une règle de droit qu'à la condition que cette validation respecte les décisions de justice ayant force de chose jugée.
C'est le cas ici, puisqu'un appel est en cours. Toutefois, il convient de mentionner expressément cette réserve, dans un souci de sécurité juridique. Ne préjugeons pas de la décision du Conseil constitutionnel !
M. Philippe Tabarot, ministre. - Sagesse favorable.
M. Ronan Dantec. - Le rapporteur écrit dans la loi ce qui s'impose à nous, comme s'il avait besoin de se rassurer lui-même. Cet amendement superfétatoire relève de la psychanalyse !
M. Franck Dhersin, rapporteur. - Pas plus que le vôtre !
M. Ronan Dantec. - Les silences du rapporteur m'intéressent davantage. Il n'a pas eu un mot sur l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui interdit toute ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice. Or nous avons entendu des interventions politiques remettant en cause l'intégrité du juge, qualifié de « hors sol », aux décisions « ubuesques ».
Peut-être faudrait-il sous-amender en ajoutant la référence à l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme, pour sécuriser les choses ? L'intervention volontariste du Sénat va ouvrir la voie à des contentieux supplémentaires...
M. Franck Dhersin, rapporteur. - La Convention européenne exige un motif impérieux d'intérêt général, exactement comme le Conseil constitutionnel. Ce qui vaut pour l'un vaut pour l'autre.
M. Ronan Dantec. - Ingérence !
L'amendement n°4 est adopté.
L'article unique, modifié, est adopté.
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. - Amendement n°3 de M. Dantec et alii.
M. Ronan Dantec. - Je veux vous aider, avec cet amendement de cohérence. Le Sénat fait de la politique politicienne (protestations sur les travées du groupe UC) et adopte une posture, sans rapport avec le fond de l'avis du tribunal administratif. Pour masquer l'échec des élus locaux à obtenir de l'État un investissement direct, on accuse les écolos !
Appelons un chat un chat : « proposition de loi visant à empiéter sur la compétence du juge administratif ». Si je faisais des procès d'intention, je dirais : « visant à faire légèrement pression... », mais chacun ici respecte l'indépendance de la justice !
Je suis ravi que Franck Dhersin fasse de la publicité pour le mouvement social-écolo Ensemble sur nos territoires. Beaucoup de voies express, de routes n'ont fait l'objet d'aucun contentieux - ainsi du plan autoroutier breton, que tout le monde jugeait nécessaire. Si ce projet-ci cristallise les oppositions, c'est qu'il est aberrant ! Tous ceux qui n'ont pas les moyens de payer 16 euros pour une autoroute privée continueront d'emprunter la nationale.
M. Franck Dhersin, rapporteur. - Effectivement, quand les écologistes soutiennent d'importants projets d'infrastructures nantais, leurs associations fétiches ne les attaquent pas.
Avis défavorable, je me sens très cohérent.
M. Philippe Tabarot, ministre. - Défavorable, sans sagesse.
M. Philippe Folliot. - Cet amendement pourrait être pris sur le ton de l'humour, mais ma réponse sera grave. Il n'y a pas d'un côté des sénateurs vertueux, et de l'autre des sénateurs qui s'affranchiraient de l'État de droit
Nous prenons vos propos comme une insulte - envers les auteurs de cette proposition de loi, envers le président du conseil départemental, Christophe Ramond, envers le président de l'agglomération Castres- Mazamet, Pascal Bugis, envers le président de la communauté de communes Sor et Agout, Sylvain Fernandez, envers le président de Toulouse Métropole, Jean-Luc Moudenc, envers la présidente de la région, Carole Delga, envers les députés Jean Terlier et Philippe Bonnecarrère.
Vous nous méprisez ! Vous méprisez les habitants de ce territoire, vous méprisez ceux qui se battent depuis des décennies pour le désenclaver. (M. Jean-Pierre Corbisez s'impatiente.)
Un peu plus de modestie dans vos jugements, monsieur Dantec ! Il n'y a pas de sous-sénateurs ici. Votre caricature est insupportable.
Nous nous battons pour ce territoire, pour l'intérêt général, pour que le pays ne soit pas mis sous cloche, pour le développement économique, pour les mille personnes qui ont perdu leur emploi - pour lesquelles vous n'avez pas un mot ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP ; protestations sur les travées du GEST)
M. Franck Dhersin, rapporteur. - Bravo !
M. Guillaume Gontard. - N'importe quoi !
M. Thomas Dossus. - Non, il n'y a pas des sous-sénateurs et des sénateurs vertueux : il y a un débat politique sur un texte, auquel nous nous opposons, sans mépriser personne mais pour des raisons de droit.
Hier, l'humanité traversait une grave crise climatique : on émettait trop de CO2, on artificialisait trop de terres agricoles et d'espaces naturels. Nous avons pris des engagements mondiaux, mis en place une stratégie bas-carbone. Je me réjouis que les problèmes soient manifestement désormais derrière nous, puisqu'on peut à nouveau construire des autoroutes et bitumer à tout va !
Hier, nos finances publiques allaient dans le mur, il fallait économiser sur tout. Je me réjouis d'apprendre que les pouvoirs publics vont prendre en charge un tiers du péage de l'autoroute : le rapporteur général du budget peut souffler, c'est donc que les caisses sont à nouveau pleines !
Plus inquiétant, j'apprends que la séparation des pouvoirs n'est qu'une illusion, qu'il suffit de connaître quelques parlementaires pour tenter de contourner les décisions de justice.
Attention, chers collègues : la catastrophe climatique nous rattrape, et les générations futures vous jugeront. (M. Jean-Pierre Corbisez s'impatiente.)
M. Ronan Dantec. - Le débat manque de sang-froid.
Selon le tribunal administratif, les hypothèses de fréquentation de l'A69, jugées « optimistes » par l'Autorité de régulation des transports, sont très en deçà du seuil justifiant la construction d'une autoroute à deux fois deux voies. Le prix élevé, d'environ 16 euros, est de nature à relativiser les estimations de fréquentation issues de l'étude de trafic.
Je n'insulte personne : vous refusez le débat de fond. Vous n'avez pas réussi à convaincre, alors que beaucoup d'élus locaux voulaient qu'on améliore la liaison actuelle.
L'autoroute ne sera pas rentable. Vous commettez une erreur politique : mieux valait investir ces millions d'argent public dans les services sur le bassin Castres-Mazamet. L'autoroute renforcera le trafic pendulaire vers Toulouse : vous allez dévitaliser le territoire ! C'est moi qui défends le territoire de Castres-Mazamet, les villes moyennes, pas vous, qui êtes enfermés dans des schémas dépassés ! (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Marie-Lise Housseau. - Nous aurions été ravis d'avoir des autoroutes gratuites, comme vous les avez en Bretagne. À l'époque, il n'y avait pas la raison impérative d'intérêt public majeur, pas d'études environnementales. (MM. Daniel Gueret et Patrick Chaize renchérissent). Nous, nous devons composer avec les règles existantes. Notre département, parmi les moins riches, n'a pas les moyens de la gratuité. Il n'y avait pas d'autre choix que la concession.
Certes, 16 euros, c'est cher - mais c'est pour l'aller-retour. Le train coûte 18 euros, par personne !
Mon mari avait une entreprise d'ébénisterie. En cas d'accident, de doigt coupé, il faut aller à Purpan, la main dans une poche plastique : l'autoroute fera gagner vingt minutes, c'est énorme !
Il existera des tarifs pour les abonnés, pour les véhicules électriques. Le département, la région et les communautés de communes vont participer pour faire baisser le prix. (M. Guillaume Gontard se gausse.) Laissez-nous vivre ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)
M. Franck Dhersin, rapporteur. - Je veux rectifier quelques chiffres. On prévoit pour l'A69, 14 000 véhicules jour. L'A26, Rouen-Alançon, c'est 8 900 ; l'A79, route Centre-Europe Atlantique, 11 000 à 13 000 ; l'A66, 12 300 ; l'A837, 11 800 ; l'A77, 10 900.
M. Ronan Dantec. - Quel rapport ?
M. Franck Dhersin, rapporteur. - On est largement au-dessus de beaucoup d'autoroutes qui fonctionnent aujourd'hui !
M. Ronan Dantec. - Mais l'A69 n'existe pas ! (On renchérit sur les travées du GEST)
M. Philippe Tabarot, ministre. - Je confirme les chiffres du rapporteur.
Monsieur Dantec, le tarif s'élèvera à 6,50 euros, après l'avenant décidé par les collectivités.
M. Ronan Dantec. - Un gouffre financier !
M. Philippe Tabarot, ministre. - Non ! Le gouffre financier vient des recours que font vos amis. (Protestations sur les travées du GEST)
M. Franck Dhersin, rapporteur. - Absolument !
M. Patrick Chaize. - Je m'étonne que l'on s'arc-boute sur des arguments juridiques, alors que 60 % des travaux ont été réalisés. (Protestations sur les travées du GEST) On ne peut pas tout effacer : soyons pragmatiques ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Guy Benarroche proteste.)
M. Franck Dhersin, rapporteur. - Bravo !
L'amendement n°3 n'est pas adopté.
À la demande du groupe UC, la proposition de loi, modifiée, est mise aux voix par scrutin public.
M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°281 :
Nombre de votants | 290 |
Nombre de suffrages exprimés | 285 |
Pour l'adoption | 252 |
Contre | 33 |
La proposition de loi, modifiée, est adoptée.
La séance est suspendue à midi cinquante.
Présidence de Mme Anne Chain-Larché, vice-présidente
La séance est reprise à 14 h 30.