Homicide routier (Deuxième lecture)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, créant l'homicide routier et visant à lutter contre la violence routière.
Discussion générale
M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice . - Cet après-midi, vous allez enfin pouvoir adopter définitivement un texte essentiel, attendu depuis des années par les victimes de violences routières et leurs familles, défendu par ces femmes et ces hommes qui ont fait face au pire : ils ont perdu un enfant, un mari, une épouse et ont ensuite mené le combat qui connaît son aboutissement aujourd'hui. Bien sûr, rien ne réparera l'irréparable, mais la loi ne détournera plus les yeux.
La proposition de loi est défendue par nombre de parlementaires, dont certains ont écrit aux ministres successifs, au fur et à mesure des drames. Elle crée dans notre droit pénal une infraction spécifique, l'homicide routier. Elle acte une évolution que les familles réclament depuis longtemps. Elle nomme enfin les choses, en affirmant avec clarté que tuer sur la route sous l'emprise de l'alcool ou de la drogue, en conduisant au mépris des règles n'est pas un simple accident. C'est un acte criminel, une faute inexcusable qui doit être reconnue comme telle.
La loi parle encore d'homicide involontaire. Mais comment expliquer à quelqu'un que la mort de son proche n'est due qu'à une imprudence ? Comment banaliser l'irréparable alors que les faits sont récurrents, les comportements assumés, parfois revendiqués ? Comment continuer à déresponsabiliser ceux qui choisissent en toute conscience de prendre le volant dans des conditions mortifères ?
Je pense à Anaïs Dessus, qui a vu mourir son compagnon percuté par un chauffard récidiviste, alcoolisé, drogué, sans permis ni assurance. Elle dit : « Le mot involontaire ne me plaît pas ; il n'a rien à faire ici, il fait mal. » Qui ne peut entendre cette colère, cette détresse et cette demande de reconnaissance ? Vous allez y répondre aujourd'hui.
Les victimes ne demandent pas des peines plus lourdes, mais la reconnaissance de ce qui s'est passé. Elles veulent qu'on mette des mots sur la mort, la détresse et les blessures.
Ce texte met donc fin à une hypocrisie juridique. Il crée une infraction autonome, claire, identifiable : l'homicide routier.
Il ne s'agit pas simplement d'un changement sémantique, mais d'un changement de regard, d'un message adressé à tous : la route ne peut plus être un angle mort du code pénal.
Je remercie les rapporteurs de l'Assemblée nationale et du Sénat ainsi que François-Noël Buffet, en tant que président de la commission des lois puis ministre, pour leur implication.
Le texte prévoit que les responsables d'accidents mortels accompagnés d'au moins une circonstance aggravante seront poursuivis pour homicide routier.
Ce texte était encouragé par Éric Dupond-Moretti et je suis content de mener son examen à son terme. Conduite sous l'emprise de l'alcool ou de stupéfiants, défaut de permis, dépassement de vitesse supérieur à 30 km/h, délit de fuite, rodéo urbain, refus d'obtempérer, qui pourrissent le travail de nos forces de l'ordre, sont autant de circonstances aggravantes pour cette nouvelle infraction.
Les peines sont alignées sur celles prévues actuellement : sept ans et 100 000 euros d'amende, dix ans et 150 000 euros d'amende en cas de double circonstance aggravante. Certains regretteront que le quantum n'ait pas été modifié, mais ce texte apporte une transformation plus fondamentale : il impose aux magistrats de poser un regard nouveau. Il leur donne les mots justes et leur fournit des outils pour réaffirmer que la vie humaine n'est pas négociable.
En 2024, 3 190 personnes ont perdu la vie sur les routes de France métropolitaine et 233 000 ont été blessées, dont près de 16 000 grièvement. Dans trois quarts des cas, le responsable est en récidive. On ne peut plus parler de fatalité.
Ce texte complète un arsenal déjà renforcé, voulu par le président Chirac et par tous ceux qui ont ensuite soutenu la sécurité routière. Il manquait le mot juste, celui que la République doit aux victimes. Ce texte est ferme, parce que les vies brisées par la route méritent mieux que des demi-mots. À ceux qui craignent une pénalisation excessive, nous répondons qu'il n'y a pas d'excès à protéger la vie, à refuser l'impunité.
Je salue votre travail, mesdames, messieurs les sénateurs, ainsi que l'esprit de responsabilité du rapporteur Szpiner et celui du Sénat qui s'apprête - je l'espère - à adopter ce texte conforme, pour une entrée en vigueur sans délai.
J'ai une pensée particulière pour les familles des victimes, dont le combat aura marqué ce débat et permis à ce texte de voir le jour. Merci à elles.
Le Gouvernement soutient cette proposition de loi juste, attendue et nécessaire. Jamais les mots ne doivent être contraires à la réalité. J'invite donc le Sénat à adopter ce texte tel quel.
M. Francis Szpiner, rapporteur de la commission des lois . - Ce texte revient au Sénat ; rappelons ses enjeux. En 2022, 3 163 personnes ont trouvé la mort sur la route ; ils furent 3 193 en 2024. Une criminalité routière existe donc, et elle est insupportable. J'utilise « criminalité routière » à dessein, comme vous, monsieur le ministre d'État. Nous avons le droit d'être choqués par ce comportement.
Celui qui occasionne la mort n'est aujourd'hui coupable que d'homicide involontaire. Si le fait de conduire sous l'emprise de l'alcool ou de stupéfiants ne peut pas constituer un homicide volontaire, ce ne peut pas non plus être considéré comme un accident ou une mise en danger de la vie d'autrui. Les familles de victimes s'indignent à juste titre qu'un comportement volontaire délibéré ne soit assimilé finalement qu'à une faute inexcusable.
Je considère que les conducteurs à l'origine de ces drames, avec circonstances aggravantes, sont des criminels. Était-ce possible de le traduire en droit ? Les violences volontaires qui ont entraîné la mort sans intention de la donner sont punies de quinze ans de réclusion ; leurs auteurs sont passibles d'un procès devant la cour criminelle.
Cette qualification était tentante en ce qu'elle désignait le chauffard pour ce qu'il est : un criminel. Mais elle avait un inconvénient d'ordre pratique : les délais de procédure auraient été extrêmement longs. C'est pourquoi je me suis résolu à revenir en matière délictuelle, même si, philosophiquement, c'est déplaisant.
Il me semblait anormal de changer les mots dans la loi sans changer également les peines afférentes. J'avais suggéré que nous réintroduisions les peines planchers, qui ne lient pas le juge. La commission des lois l'avait accepté dans un premier temps. Mais, par un retournement de situation dont le Parlement a le secret, celles-ci n'ont finalement pas été retenues.
L'Assemblée nationale a repris sa version du texte. Avec ce texte, même imparfait, répondons-nous à l'attente des victimes ? C'est tout l'enjeu. À l'approche de l'été, période à risque, il est important que l'homicide routier entre dans le droit. C'est pourquoi je prône une adoption conforme.
Le Parlement devra se pencher de nouveau sur la question de la criminalité routière. Quand on prend le volant drogué, ivre, sans permis ou que l'on roule à toute vitesse, on est un criminel.
Pendant des années, on correctionnalisait les viols. En les faisant juger par des cours d'assises, la société a affirmé : ce comportement est criminel.
L'adoption de ce texte, que je souhaite conforme, est le point de départ de cette réflexion sur la violence routière et non un point final. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; Mme Solanges Nadille et M. Louis Vogel applaudissent également.)
M. Louis Vogel . - (Mme Olivia Richard applaudit.) Chaque année, plus de 3 000 personnes meurent sur la route ; pour beaucoup d'entre elles, ces morts auraient pu être évitées. Ainsi, selon l'Observatoire national interministériel de la sécurité routière, l'alcool est responsable de 23 % des accidents mortels, la prise de stupéfiants de 13 %, la vitesse excessive de 28 %.
Cette proposition de loi est une réponse concrète à un problème terrible.
Je salue les rapporteurs Francis Szpiner et Éric Pauget et l'auteur du texte, Anne Brugnera.
L'article 1er qualifie d'homicide routier tout homicide et atteinte volontaire résultant de manquements délibérés à une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. On ne peut être plus clair. Il fait écho aux travaux du comité interministériel de la sécurité routière (CISR) qui demandait la création d'une telle infraction. Cette qualification ne change pas le quantum des peines. Au Sénat, en première lecture, des débats ont eu lieu sur le caractère criminel de cet acte. Nous avons raisonné de façon pratique, afin d'éviter d'imposer des délais excessifs aux proches de victimes. Le rapporteur a proposé des peines planchers. Mais la version de l'Assemblée nationale qui nous est revenue en deuxième lecture a souligné les divergences entre députés et sénateurs. Afin de ne pas retarder l'entrée en vigueur du texte, le rapporteur et la commission des lois ont choisi d'adopter la version de l'Assemblée nationale.
L'article 1er bis A, introduit par le Sénat, modifie le code de procédure pénale afin de renforcer l'information et la participation des parties civiles au procès. C'est une avancée concrète.
Le texte présente aussi des mesures sur le contrôle de vitesse : ainsi, l'article 1er quinquies fait du dépassement d'au moins 50 km/h de la vitesse autorisée un délit. Notre groupe soutient pleinement ces mesures, sachant que les excès de vitesse sont responsables de plus d'un quart des accidents mortels.
Le texte inscrit aussi dans la loi un examen médical obligatoire pour les auteurs d'accidents ayant entraîné une interruption temporaire de travail (ITT) d'au moins trois mois.
Le groupe Les Indépendants votera cette proposition de loi qui porte des avancées importantes pour les victimes, en dépit du chemin qui reste à parcourir. (Mmes Olivia Richard et Dominique Vérien applaudissent.)
M. Laurent Somon . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je m'exprime trois minutes, après des années de combat aux côtés des familles de victimes d'accidents provoqués par des conducteurs sous l'effet de la drogue ou de l'alcool.
Définir enfin l'homicide routier en écartant l'homicide involontaire est une avancée majeure, réclamée depuis des années, même s'il manque à ce texte une amélioration des délais de procédures et de l'application des sanctions. La prévention routière est négligée.
Sur la forme, je citerai La Fontaine : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. » La méthode me laisse amer. Dès 2017, la création de l'homicide routier était réclamée par les parlementaires, les familles de victimes et les associations.
Les procédures doivent être resserrées et les sentences appliquées. Seulement 10 % des peines d'incarcération prononcées sont effectuées et les amendes s'élèvent à 500 euros en moyenne.
Pourquoi faut-il que les textes n'évoluent avec l'assentiment des gouvernants que lorsque des personnalités sont touchées, que leurs voix et leurs moyens leur offrent l'oreille du Château ? Pourquoi la vie meurtrie à jamais et la voix de Yann Desjardins, dont le fils Guillaume est mort, n'ont-elles pas été entendues ? (La voix de l'orateur se teinte d'émotion.)
Pourquoi ne pas appliquer davantage de rigueur ? Pourquoi ne pas penser d'abord aux victimes ? Je voterai cette proposition de loi, mais j'attends, monsieur le ministre, après le rapport de Dominique Vérien et Elsa Schalck, que vous proposiez une justice équilibrée, comprise, morale, et que les coupables comprennent la douleur qu'ils font subir aux familles ad aeternam.
Je voterai ce texte avec une folle et réelle espérance : que nous avancions pour plus de sécurité routière et moins d'insécurité pénale.
J'essaie de me mettre au service des autres pour donner un sens à ma vie, a déclaré Yann Desjardins. Il a été emporté. Peut-être que s'il avait été entendu en 2017, d'autres vies auraient-elles déjà été sauvées ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ; M. Louis Vogel applaudit également.)
Mme Solanges Nadille . - (Applaudissements sur les travées du RDPI) Chaque jour, sur nos routes, des vies basculent et des espoirs sont brisés. En 2022, 3 267 personnes ont perdu la vie dans l'Hexagone et 283 en outre-mer. Dix personnes meurent chaque jour sur la route. Des stupéfiants étaient en cause dans 12 % des accidents mortels ; l'alcool, dans près de 30 %. Derrière ces drames, ce sont des destins brisés, des familles endeuillées. Certains drames suscitent une émotion collective, mais la plupart demeurent silencieux. Pourtant, chacune de ces vies avait une histoire.
La sécurité routière n'est jamais acquise. Elle exige engagement constant et choix politiques courageux.
Cette proposition de loi a pour but de changer le regard du droit pénal sur ces infractions : ce ne sont pas des homicides involontaires, mais des actes d'une gravité extrême, liés à des comportements délibérément dangereux. Il s'agit là de reconnaître enfin la spécificité de ces drames et de se placer du côté des victimes, qui réclament légitimement justice et reconnaissance.
L'article 1er crée un nouveau chapitre dans le code pénal introduisant l'homicide routier et les blessures routières. Dès qu'une circonstance aggravante sera constatée, la qualification d'homicide routier pourra être retenue.
Ce changement de terminologie n'est pas qu'un symbole.
Le texte va plus loin, en prévoyant des peines complémentaires telles que la confiscation de véhicules ou l'installation de dispositifs antidémarrage, et une systématisation des mesures à visée dissuasive et préventive. L'instauration d'un examen médical pour évaluer l'aptitude à la conduite après un accident est une avancée. Je salue le travail des rapporteurs.
Je veux aussi insister sur la situation des outre-mer. Les jeunes figurent parmi les principales victimes. La mortalité routière est trois fois plus élevée en outre-mer que dans l'Hexagone : la moyenne est de 45 morts pour un million d'habitants dans l'Hexagone, 78 pour la Martinique, 120 pour la Guyane et 143 pour la Guadeloupe.
Dans notre archipel, les campagnes d'information et de sensibilisation n'ont que peu d'effet. Si le nombre d'accidents diminue, le nombre de décès a augmenté, en 2023 et en 2024. Il ne s'agit plus seulement de sécurité publique, mais de cohésion sociale.
Dans ces territoires souvent oubliés, l'adoption de ce texte serait un signal fort : elle marquerait la reconnaissance d'un fléau que nous devons collectivement affronter. Le RDPI votera ce texte. Pour ma part, je le voterai en conscience, pour les familles endeuillées : chaque victime de la route mérite justice et considération. (Applaudissements sur les travées du RDPI, du RDSE, du groupe INDEP et sur quelques travées du groupe UC)
Mme Véronique Guillotin . - (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe UC) Le cheminement de ce texte fut long et sinueux. Cette proposition de loi apporte une réponse symbolique forte grâce à une évolution juridique attendue par les familles de victimes, les associations et de nombreux praticiens du droit. Le RDSE y est favorable. Il ne s'agit pas d'un ajustement terminologique, mais de rendre la justice par les mots, pour dire la réalité de ces drames. Comment qualifier d'involontaire le fait de conduire en état d'ivresse ou à une vitesse défiant la raison ? Ce ne sont pas des concours de circonstances, mais des comportements fautifs, parfois assumés, toujours lourds de conséquences.
Derrière cette proposition de loi, il y a des visages : ceux de la famille Alléno, présente dans notre hémicycle, mais aussi des familles des 3 000 victimes annuelles. Nous leur devons la vérité du droit.
Ce texte ne bouleverse pas l'architecture pénale, mais il nomme, distingue et affirme : l'homicide routier devient une qualification autonome, dès lors que certaines circonstances aggravantes sont réunies.
Ce texte ne réglera pas tout, mais il donnera aux juges une nouvelle grille de lecture plus conforme au sentiment de justice de nos concitoyens. Il clarifie ; il responsabilise.
En première lecture, nous l'avions réécrit pour mieux l'articuler avec le droit existant. Mais refuser de voter conforme, ce serait retarder l'entrée en vigueur d'un texte que toutes les familles attendent. C'est pourquoi notre groupe votera le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, parce que l'essentiel est acquis : un changement de paradigme nécessaire et attendu.
L'homicide routier n'est pas un accident, mais un acte grave qui doit être traité comme tel. Il est des textes que l'on vote pour qu'un jour, une seule vie soit sauvée : celui-ci en fait partie. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées des groupes Les Républicains et INDEP)
Mme Olivia Richard . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Louis Vogel applaudit également.) Pour préparer mon intervention, j'ai fréquenté des sites d'actualité. J'ai été sidérée par l'étendue de la bêtise humaine. Ivre, il tue un agent de la route : c'était il y a quatre jours dans l'Eure. Bien sûr, ce quinquagénaire a bu quelques bières. Homme expérimenté, il sait conduire, lui. Ça va, ça passe. Boire ou conduire, il faut choisir : nous le savons pourtant. Il a tué un jeune homme de 24 ans. Aujourd'hui, il est passible d'homicide involontaire aggravé ; demain, il le sera d'homicide routier.
Hier, un autre jeune homme de 24 ans était condamné à deux ans de prison ferme pour avoir provoqué un accident sous l'emprise de stupéfiants et d'alcool, alors qu'il était sous le coup d'une interdiction de conduire pour avoir déjà tué une personne dans un précédent accident de la route. Il a expliqué s'être rendu aux obsèques de son oncle, son état de faiblesse le conduisant à fumer un joint et à boire une bière avant de reprendre la route.
Un autre jeune homme, ivre, s'amusait à se filmer à 210 km/h. C'est vrai que c'est drôle ! Il a tué un autre jeune. Il a été condamné à quatre ans de prison. J'imagine qu'il n'a pas trouvé ça drôle. C'est désolant. Quel gâchis !
Mi-juin encore, un jeune homme de 24 ans a été condamné pour en avoir tué un autre en tentant, ivre, de le doubler. Ils avaient la même date de naissance. Espérons qu'il se souviendra de lui à chaque fois qu'il soufflera ses bougies.
Je me suis interrogée : qu'est-ce qui mène à faire d'une voiture une arme létale ? Quel incroyable sentiment de toute-puissance doit-on avoir pour se dire que c'est bon, on gère, alors même qu'on a été condamné pour avoir déjà tué. Cette fois, ça ira, on peut conduire, même ivre, même stone. Quelle inconscience coupable ! Quelle indifférence coupable ! Ces hommes sont tellement sûrs d'eux qu'ils ne font aucun cas du code de la route.
Pourquoi parler des hommes ? Parce qu'ils représentent 84 % des responsables d'accident mortel et 91 % des conducteurs alcoolisés impliqués dans un accident mortel. Autant pour « femme au volant, mort au tournant »...
Une confiance aveugle, un sentiment de toute-puissance, mais aussi d'impunité qui autorise tout : quelle bien mauvaise combinaison !
Cela doit tous nous interroger : combien d'entre nous ont déjà pris la route après un apéro ou un dîner arrosé ? Nous pouvons nous estimer chanceux de n'avoir tué personne.
Tout l'intérêt de cette proposition de loi est de dire qu'il n'est pas involontaire de tuer quelqu'un quand on n'a pris aucune précaution pour l'éviter.
Le quantum des peines n'est pas alourdi : on sait bien que ce n'est pas la rigueur du supplice qui prévient plus sûrement les crimes, mais la certitude du châtiment.
Il faudra de la prévention. Les hommes doivent arrêter de jouer à la roulette russe. Il faut repenser l'éducation des petits garçons, ne plus les pousser à prendre des risques, à ne pas avoir peur.
Lutter contre la violence routière est indispensable car se déplacer est une liberté fondamentale. La menace d'être tué par un chauffard inconscient met à mal notre vivre-ensemble.
Je remercie le rapporteur d'avoir proposé un vote conforme, pour mettre un terme à la navette sur ce texte essentiel. Le groupe UC le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains ; M. Louis Vogel applaudit également.)
Mme Silvana Silvani . - Aucune loi ne pourra ramener les disparus. Mais il est de notre devoir de lutter contre les accidents de la route. Au nom de mon groupe, j'ai une pensée sincère pour ceux qui ont perdu un être cher. Nous sommes malheureusement bien trop nombreux à avoir été frappés par une telle tragédie.
La mortalité routière reste la première cause de décès chez les jeunes. En 2022, 3 550 personnes ont perdu la vie sur les routes. En 2023, il y a eu 601 accidents dans mon département, la Meurthe-et-Moselle, dont 32 mortels. Les facteurs comportementaux sont à l'origine de la grande majorité des accidents.
Comme le soulignait la Cour des comptes en juin 2021, la France métropolitaine était 15e sur 27 en Europe en matière de mortalité routière. En outre-mer, c'est pire : le taux y est deux fois plus élevé.
Il faut donc agir et gommer le décalage entre la gravité des faits et leur qualification juridique.
Lorsqu'un conducteur ivre met sciemment la vie d'autrui en danger, peut-on encore parler d'accident ? Ce texte crée donc un délit d'homicide routier, en cas de circonstance aggravante.
L'article 1er établit une infraction distincte et reconnaît la nature criminelle de ces comportements. Cette nouvelle infraction couvre aussi les blessures et introduit de nouvelles circonstances aggravantes : rodéo urbain, usage du téléphone au volant et refus d'obtempérer.
Ces comportements seront désormais jugés pour ce qu'ils sont : des actes graves aux conséquences irréversibles.
Toutefois, des réserves demeurent. Le texte introduit une zone grise : la distinction fondamentale entre acte intentionnel et acte non intentionnel est brouillée, ce qui crée une incertitude juridique qui pourrait nuire à la lisibilité des décisions de justice.
Nous regrettons que cette proposition de loi ne s'attaque pas aux causes profondes de l'insécurité routière. Pas moins de 23 % des accidents sont dus à l'alcool et 13 % aux stupéfiants. La prévention est la clé. Agir en amont ferait réellement baisser le nombre de victimes - je salue le rôle des collectivités à cet égard.
Ce texte marque une avancée dans la responsabilisation des conducteurs et dans la reconnaissance des victimes ; nous le voterons. Cependant, nous appelons à davantage de prévention, d'éducation et d'assistance aux victimes : c'est seulement ainsi que nous ferons disparaître ces drames de nos routes.
M. Daniel Salmon . - « Certains usagers, par les risques qu'ils acceptent de faire courir, par l'insouciance que traduit leur attitude sur la route, se conduisent en véritables "asociaux?. » Les paroles de Robert Badinter prononcées en 1985 valent toujours.
Notre arsenal législatif réprime déjà ces faits inacceptables : nul besoin de revenir sur le caractère volontaire ou non de ces actes.
Les chiffres restent terribles et chaque vie perdue sur la route est une vie perdue de trop. Après avoir baissé pendant des années grâce à des politiques volontaires, le nombre de morts sur les routes stagne à plus de 3 000 par an : nous avons le devoir d'agir.
Nous comprenons la douleur des familles meurtries, mais, comme toujours, nous devons légiférer avec le recul nécessaire pour respecter l'ordre juridique, distinguant les actes volontaires des actes involontaires. L'intentionnalité est l'un des éléments constitutifs du délit. Oui, la qualification d'involontaire est difficile à accepter. Mais le symbole sémantique ne suffira pas à satisfaire les proches des victimes. Il s'agit de faire apparaître les conséquences de l'acte plus que l'intention de l'auteur.
Hélas, nous n'avons aucune étude d'impact pour ce texte qui ne propose rien de moins qu'un changement de paradigme. Sur un sujet proche, le Conseil d'État avait été clair, voyant dans la multiplication des incriminations autonomes une complexification inutile du droit.
Ce texte répond à une commande du Gouvernement : le comité interministériel de la sécurité routière avait recommandé de créer une telle infraction pour renforcer la valeur symbolique de l'homicide dit involontaire commis lors de la conduite d'un véhicule.
La violence routière est un fait. Cependant, nous avons déjà alerté sur l'aggravation pénale des comportements liés aux addictions et aux maladies mentales. Nous continuerons de le faire, d'autant que les moyens dévolus à leur prise en charge diminuent.
Notre compassion infinie ne doit pas nous aveugler au point de complexifier le travail des juges.
L'arsenal pénal est renforcé, mais c'est un trompe-l'oeil : le quantum des peines est le même. La prévention est la grande absente de ce texte. Pourtant, c'est un élément clé.
Nous sommes conscients de la nécessité de satisfaire le besoin de justice et de réparation des familles. Mais ce texte crée une incertitude juridique majeure qui ne servira personne. Quelle est la réelle plus-value du terme « routier » ?
Nous nous abstiendrons pour affirmer notre compréhension de la douleur des familles ainsi que notre recherche d'une politique cohérente et ferme.
Mme Audrey Linkenheld . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Depuis début 2025, 1 100 vies ont été perdues sur la route : autant de drames humains. Les principales causes de la mortalité routière sont inchangées : vitesse, alcool, stupéfiants, usage du téléphone, inattention ou fatigue.
Déposée en octobre 2023 à l'Assemblée nationale, cette proposition de loi a pour objectif de faire disparaître une qualification d'homicide involontaire mal comprise et mal vécue par les familles des victimes. S'il n'y a pas d'intention de donner la mort, il y a bien toutefois une intention de violer délibérément le code de la route, qui peut mener à une issue tragique.
Le groupe SER a souscrit à cet objectif fort et symbolique dès la première lecture. La version issue de la deuxième lecture est un compromis entre attentes citoyennes et préoccupation juridique : lutter contre la violence routière sans déséquilibrer le droit pénal. Le texte nous convient, tant sur les circonstances aggravantes que sur le quantum des peines.
La justice peut donner le sentiment de minimiser la portée de certains actes, avec le qualificatif d'involontaire. C'est pourquoi nous voterons ce texte.
Nous partageons l'objectif de la commission des lois d'un vote conforme pour répondre aux attentes des familles et des associations. Malgré tout, j'ai déposé trois amendements, liés : ils ne modifient pas les dispositions de la proposition de loi, mais les complètent. Les accidents fatals impliquant des conducteurs novices au volant de véhicules surpuissants sont de plus en plus fréquents : le Nord n'est pas épargné - le ministre le sait comme moi. Ces accidents, qu'ils soient liés à des rodéos urbains ou à une conduite inconsciente, sont souvent très graves. Patrick Kanner et moi avons déposé une proposition de loi visant à améliorer la sécurité routière et à modifier le code de la route. Elle est largement validée par les acteurs de la sécurité routière, dont le ministre Buffet, que je remercie. Je l'ai traduite en amendements : faisons en sorte que la conduite de ces véhicules puissants ne soit réservée qu'aux conducteurs expérimentés. Si le titulaire d'un permis probatoire conduit malgré tout l'un de ces véhicules, il serait sous le coup d'une infraction routière. S'il commet un accident, il serait sous le coup d'une infraction routière avec circonstances aggravantes. C'est tout à fait complémentaire à ce que nous examinons aujourd'hui. Élargir aux voitures le principe déjà appliqué aux motos renforcerait la sécurité des usagers de la route.
Je regrette que ces amendements aient été partiellement déclarés irrecevables au titre de l'article 45 de la Constitution ; je ne doute pas que nous aurons l'occasion d'y revenir.
Le groupe SER votera cette proposition de loi, tant celle-ci répond à un besoin de justice des familles.
Mme Alexandra Borchio Fontimp . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Louis Vogel applaudit également.) Ce mardi 1er juillet 2025 fera date pour les familles endeuillées qui ont vu leur vie basculer lors de la perte d'un être cher, puisque c'est aujourd'hui que sera adoptée définitivement cette proposition de loi créant l'homicide routier. Je remercie les rapporteurs de ce texte pour leur travail.
Rien n'effacera la peine. Nous ne remonterons pas le temps. Mais il est temps de nommer les choses : à ce jour, notre droit parle d'homicide involontaire, comme si prendre le volant ivre, drogué ou sans permis relevait de l'imprudence et non d'une faute grave. Ce n'est pas acceptable.
Dans mon département des Alpes-Maritimes, les violences routières front des ravages insoutenables. Je pense à Noé, Antibois de 17 ans tué par un chauffard sous l'emprise d'alcool et de drogues. Sa mort n'est pas une fatalité, mais une injustice. Je pense aussi à Ambre et Clémence, infirmières de Mougins mortellement percutées par un chauffard ivre et sous stupéfiants, ainsi qu'au pompier niçois Jérémie Boulon, tué par un conducteur qui venait de consommer du protoxyde d'azote.
Reconnaître l'homicide routier est une première étape très symbolique. C'est réparer, rendre leur dignité aux victimes. Mais nous devons collectivement poursuivre le travail et je regrette que le texte ne prévoie rien sur l'effectivité des peines prononcées : tel est l'objet de la proposition de loi que Laurent Somon et moi avons déposée, instaurant des peines de prison ferme minimales pour les auteurs d'infractions routières.
Il fallait renforcer la prise en charge des victimes. Mon amendement visant à informer les parties civiles de la date d'audience, adopté en première lecture, a été conservé dans le texte. C'était une demande légitime des familles endeuillées.
Nous devons aussi mieux lutter contre le détournement d'usage du protoxyde d'azote, qu'il y ait ou non accident de la route. Ce gaz hilarant est un fléau.
Ce texte est une pierre supplémentaire à l'édifice juridique que nous devons encore parfaire. Les sénateurs Les Républicains répondront encore une fois présents. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP ; Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
M. Olivier Paccaud . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Trop de familles dans notre pays pleurent un parent, un ami mort sur la route, qui fait près de 3 000 morts par an. Certes, c'était 18 000 en 1972, mais ce n'est pas une consolation. Vous avez raison, monsieur le ministre : la justice commence par des mots justes.
Certes, ce texte est imparfait mais son message est clair : c'est le début de la fin de l'impunité. Conduire est un acte de responsabilité. Lorsqu'un individu prend le volant sous l'emprise d'alcool, de stupéfiants, en tapotant sur son portable ou sans permis, ce n'est pas un simple écart de conduite, c'est un choix assumé, criminel. Lorsqu'il provoque la mort, il doit être qualifié comme tel : un homicide.
Ce texte répond à une exigence de justice et de vérité. En créant un crime autonome, nous franchissons un cap, nous revendiquons une tolérance zéro face à ces violences. « Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde », disait Camus. La justice lui a donné trop longtemps raison.
Le texte ne vise pas les auteurs d'erreurs involontaires mais ceux qui décident de braver la législation en faisant fi de la vie d'autrui.
Pensons aux familles qui entendent le mot « accident » quand elles ont tout perdu, à ces enfants qui ne comprendront jamais pourquoi le chauffard qui a tué leur mère écope de quelques mois avec sursis... En votant cette loi, nous leur adressons un message de reconnaissance et de fermeté. Nous rappelons que chaque vie compte, que la route ne saurait être une zone de non-droit. La République doit être du côté des victimes, non de ceux qui transforment un volant en arme.
Pour les victimes, pour la justice, pour la vie, je vous remercie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Louis Vogel applaudit également.)
Discussion des articles
Article 1er
M. le président. - Amendement n°3 de Mme Linkenheld et du groupe SER.
Mme Audrey Linkenheld. - Cet amendement n'a pas pour objectif d'amoindrir la portée de ce texte, que le groupe SER votera et dont il souhaite l'entrée en vigueur au plus vite. Mais de plus en plus d'accidents sont causés par des conducteurs novices au volant de véhicules surpuissants ; cela devrait constituer une circonstance aggravante.
Cet amendement était accompagné de deux autres, déclarés irrecevables. Merci à la commission des lois d'avoir, en épargnant celui-ci, laissé la place au débat.
Nous devrons revenir sur la question des bolides. C'est un enjeu fort de sensibilisation, de prévention routière et de sécurité.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - On vote conforme ou on ne vote pas conforme ! (Sourires) Cet amendement est intéressant, mais je le considère comme un amendement d'appel.
Nous franchissons une étape avec ce texte, mais ce n'est pas la fin du processus. Retrait ; à défaut, avis défavorable.
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. - Même avis.
L'amendement n°3 est retiré.
L'article 1er est adopté, de même que les articles 1er bis A, 1er ter, 1er quater, 1er quinquies, 2 et 3.
La proposition de loi est définitivement adoptée.
(Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, du RDSE et du RDPI ; M. Gérald Darmanin marque sa satisfaction.)
La séance, suspendue à 15 h 35, reprend à 15 h 45.