Faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à faire exécuter les peines d'emprisonnement ferme.

Discussion générale

M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Je remercie Loïc Kervran pour son initiative, qui montre la volonté sincère du Parlement de répondre aux attentes - énormes - de nos concitoyens en matière pénale, portant sur la fermeté et l'exécution certaine des peines.

Le travail de l'Assemblée nationale et de la commission des lois du Sénat traduit une exigence partagée d'effectivité des peines. L'enjeu n'est pas tant la force et la hauteur de la peine que sa certitude et sa rapidité. Cela a été mon objectif dès mon arrivée place Vendôme.

Après l'arrivée des prisons de haute sécurité ce 31 juillet, avec la validation de la loi Narcotrafic issue du Sénat et, aujourd'hui même, le décret qui régit ce régime carcéral présenté devant le Conseil d'État, j'ai annoncé un travail sur un projet de loi d'une dizaine d'articles : fermeté des décisions de justice, rapidité de la réponse pénale, fin de l'aménagement de peines obligatoires - donc retour de fait des peines courtes, voire ultracourtes -, peines de probation, fin de la décision de justice avec dispense de peine, limitation à un seul sursis, mandat de dépôt directement au tribunal. Bref, une révolution pénale susceptible, je l'espère, de répondre aux attentes de nos concitoyens. (M. Michel Savin renchérit.)

Il n'est pas acceptable qu'une peine ferme non appliquée soit vécue comme symbolique, théorique et sans lendemain. (Mme Audrey Linkenheld proteste.) La complexité des règles, les exceptions, les contraintes désorientent jusqu'aux professionnels eux-mêmes.

Olivier Paccaud le disait : la justice commence par des mots justes, compréhensibles par chacun. Qui peut comprendre que des peines prononcées ne se transforment pas en peines effectuées ?

Plus de 84 000 personnes sont incarcérées, niveau certes historiquement élevé - mais j'assume ma politique pénale. Depuis 1980, le même nombre de personnes entrent en prison chaque année et sont placées en détention provisoire ; ce qui change, c'est le quantum des peines.

Les détenus passent plus de temps en prison. Pourquoi ? Parce que les aménagements de peine obligatoires, instaurés par des gardes des sceaux de différents bords politiques - Dominique Perben, Christiane Taubira, Nicole Belloubet -, ont conduit les juges à augmenter la durée des peines prononcées pour garantir l'emprisonnement.

M. Laurent Burgoa.  - C'est vrai !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux.  - Certes, dans une société de plus en plus violente, les juges sont aussi contraints de prononcer des peines de prison ferme face à la gravité des faits et la récidive, voire la multirécidive.

Notre code pénal et nos magistrats, qui l'appliquent loyalement, ciblent bien les récidivistes ; mais lorsqu'ils le deviennent, c'est déjà trop tard. Une bonne justice est celle qui prévoit dès le premier fait non une peine forte, mais une peine sûre.

La justice est ferme sur les crimes ; la question essentielle, c'est celle des délits du quotidien, qui embêtent les maires, les habitants : rodéos urbains, narcotrafic pour ainsi dire de proximité, cambriolages, atteintes physiques ou sexuelles.

Les magistrats ne sont ni complaisants ni faibles. Ils appliquent la loi votée par les parlementaires. Il nous appartient donc de la changer.

M. Laurent Burgoa.  - Très bien !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux.  - Lorsque les incivilités deviennent des violences, il faut adapter le code pénal. Mais plutôt qu'une juxtaposition de mesures, le ministre que je suis préfère présenter son propre texte, pour avoir l'avis du Conseil d'État ; ce texte s'inspirera du travail de Dominique Vérien et de ses collègues.

Tout en soutenant l'idée de M. Kervran et de son groupe, le Gouvernement émettra donc un avis de sagesse sur ce texte, laissant le Sénat délibérer comme il l'entend. J'attends d'ailleurs avec intérêt votre avis, monsieur le rapporteur, dont je connais le sens de la loi bien faite.

Rien ne serait pire que de s'exposer à une censure du Conseil constitutionnel par manque de vigilance. Le Conseil d'État avait évité la censure du texte ambitieux du Sénat sur le narcotrafic, lorsque je l'ai saisi sur les articles qui concernaient mon ministère.

J'espère présenter au Premier ministre le projet de loi réformant l'échelle des peines à la mi-août, pour une adoption au premier Conseil des ministres de la rentrée et un examen à la reprise de vos travaux, en septembre.

Pas moins de 235 peines sont à la main du magistrat en France, contre quatre en Allemagne. Cette réforme devra concilier effectivité, lisibilité et efficacité, mais aussi réinsertion et prévention de la récidive. À cet égard, notre modèle est mauvais : 70 % des sortants de prison récidivent dans les cinq ans. Je parle bien de récidive, non de réitération.

Mais il faut prendre en compte la réalité carcérale. Je soutiens le modèle des peines courtes, voire ultracourtes, appliqué dans plusieurs pays, même s'il peut soulever des interrogations, comme on le voit aux Pays-Bas.

Si le Parlement, sous l'impulsion du groupe Horizons et d'autres, souhaite les mettre en place, ce sera difficile sans aggraver la surpopulation carcérale si nous n'avons pas auparavant construit en urgence des places de prison, mais surtout distingué les détenus ; on ne met pas des détenus condamnés à deux ou trois semaines dans les mêmes prisons que des personnes radicalisées ou qui dirigent la criminalité organisée.

Si cette proposition de loi était adoptée immédiatement, nous aurions cette difficulté. Si le Sénat l'adopte, il faudra au moins en différer l'entrée en vigueur.

Vous avez constaté ma volonté de construire très différemment des places de prison. Je pense aux prisons modulaires, construites en 18 mois seulement, dont la première sera inaugurée en octobre à Troyes-Lavau, ou aux réquisitions de lieux moins carcéraux pour les peines ultracourtes. Si celles-ci étaient introduites par le Parlement, elles devraient être purgées dans des établissements évitant la récidive et privilégiant la réinsertion.

Le risque est donc double : d'une part, produire des incarcérations sans accompagnement dans des établissements qui accueillent des personnes plus dangereuses ; d'autre part, épuiser les moyens du service public pénitentiaire sans gain réel pour la société.

Parallèlement à la réforme du droit des peines, dont j'ai annoncé les contours dans une lettre aux magistrats le 11 mai dernier et dont j'ai saisi vos groupes politiques, je propose que le Gouvernement évoque avec vous, dans le même texte, la distinction des détenus selon leur degré de dangerosité et non selon leur statut au regard de la justice.

L'objectif de la présente proposition de loi est juste. Je salue les améliorations apportées par les deux chambres. Mais il faut aller plus loin, notamment mettre fin à tout aménagement de peine obligatoire : un mois de prison doit valoir un mois de prison.

Il faut des peines de probation, comme chez nos amis anglais et allemands, en donnant plus de moyens aux agents des services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) et de cohérence à leur action. Aujourd'hui, lorsqu'un condamné trouve un travail, ils doivent redemander une décision de justice pour aménager ses horaires de bracelet... Simplifions et faisons-leur confiance.

La justice pénale mérite donc plus qu'un ajustement : une vision et un projet. J'espère que le présent débat nous aidera à préparer ce travail. Je m'en remets à la sagesse du Sénat. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe Les Républicains ; Mme Dominique Vérien applaudit également.)