Situation des finances publiques locales
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le rapport sur la situation des finances publiques locales remis en application de l'article 52 de la loi organique relative aux lois de finances, à la demande de la commission des finances.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP) À rebours de l'allégation parfois entendue dans le débat public et répandue par plusieurs ministres des gouvernements précédents, je le dis avec force : les collectivités territoriales ne sont pas responsables de la situation calamiteuse des finances publiques de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées du groupe UC ; M. André Guiol applaudit également.)
M. Laurent Burgoa. - Très bien !
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Elles sont trop souvent apparues comme les boucs émissaires de la crise, alors que la responsabilité de la dégradation de nos comptes publics relève principalement de l'État. En 2024, sur les 5,8 points de PIB que représente le déficit public, 5,3 points étaient imputables à l'État. Pour 40 euros de hausse de la dette publique depuis 2019, 1,1 euro seulement est imputable à la dette des collectivités territoriales ; et pour cause : elles sont soumises à la règle d'or budgétaire.
Certes, le solde des administrations publiques locales (Apul) a atteint 0,6 % du PIB en 2024, soit le niveau le plus bas depuis 1985, mais cela ne représentait qu'un neuvième du déficit public total. Surtout, les prévisions du projet de loi de finances (PLF) pour 2026 montrent que ce déficit se résorberait en 2025 et s'établirait à 0,3 % en 2026.
Par ailleurs, si les dépenses des collectivités locales ont augmenté de façon dynamique en 2024 selon la Cour des comptes - 4,1 % de hausse en fonctionnement, 6,8 % en investissement - , cette dynamique serait plus modeste en 2025. Ainsi, les dépenses réelles de fonctionnement progresseraient de 1,9 % en septembre 2025 par rapport à septembre 2024, selon la DGFiP. En cause : les dépenses sociales des départements - entièrement contraintes, vous en conviendrez.
Les dépenses d'investissement sont portées par le cycle électoral du bloc communal ; elles diminueront à l'approche de la prochaine échéance électorale.
À l'inverse, l'État, Léviathan impuissant, est soumis à une cure d'amaigrissement après avoir trop longtemps festoyé à crédit - cela fait peine à voir. Ce serait presque drôle si nous ne parlions pas des services publics et des services rendus aux Français qui pâtissent de l'échec des politiques budgétaires et fiscales menées depuis 2017...
Heureusement, nous avons un modèle à opposer à cet État omniprésent mais incapable : celui d'un État pleinement décentralisé, qui réduit son champ d'intervention et confie davantage de responsabilités aux collectivités, qui ont prouvé leur capacité à faire et leur pouvoir d'agir. À cet égard, le projet décentralisateur du Premier ministre serait pertinent s'il aboutissait.
Pour autant, faut-il exonérer les collectivités territoriales de toute participation à l'effort collectif de redressement des comptes publics ? Non, mais cette participation doit être proportionnée, conforme aux responsabilités de chacun et équitable. Comme en 2025, la contribution des collectivités territoriales ne devra pas dépasser 2 milliards d'euros. J'y insiste.
Nous avions trouvé cet équilibre l'an passé, alors que le déficit atteignait des niveaux record. Les collectivités territoriales ont alors démontré leur sens des responsabilités. Toute contribution supérieure à 2 milliards d'euros serait superflue et injuste.
Pour y parvenir, le Sénat propose plusieurs mesures, notamment la diminution des compensations figées de fiscalités mortes liées à des réformes antédiluviennes. L'an dernier, nous avions montré notre sens des responsabilités en étant moteurs. Pourquoi ne pas poursuivre une telle démarche partenariale, respectueuse de chacun ?
Les collectivités territoriales ne constituent pas un tout homogène. Les départements, affaiblis, doivent faire l'objet d'un traitement particulier. Selon l'Assemblée des départements de France (ADF), une soixantaine de départements seront dans une situation critique en 2026, contre quatorze en 2024. Leur contribution doit donc être réduite et le montant de l'abondement du fonds de sauvegarde prévu dans le prochain budget, à la hauteur des besoins.
Le Sénat, comme à son habitude, sera un partenaire loyal et exigeant, avec deux objectifs : contribution juste des collectivités territoriales à l'effort commun et protection des plus fragiles d'entre elles. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP et sur quelques travées du groupe UC)
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation . - Le niveau d'endettement de la France est considérable : chaque heure, 12 millions d'euros s'y ajoutent.
Que les choses soient claires : les collectivités territoriales ne sont pas à l'origine de cette dette. Aucun membre de ce gouvernement ne les en accuse.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ah bon ?
Mme Françoise Gatel, ministre. - Elles sont soumises à des contraintes, des normes, des dépenses incompressibles - notamment les départements. Pourtant, elles réalisent la majorité de l'investissement public, dans le respect du principe de libre administration et de l'exigence d'équilibre de leur budget de fonctionnement.
Les services publics doivent être garantis à nos concitoyens, c'est notre promesse d'avenir. Pour ce faire, il faut redresser nos comptes. C'est pourquoi le Premier ministre a fait de la réduction du déficit - de 5,4 % du PIB à 3 % du PIB d'ici à 2029 - la boussole du Gouvernement. Redresser le bateau France relève d'une responsabilité collective dont chacun doit prendre sa part : État, ménages, entreprises, et collectivités territoriales, lesquelles représentent 8 % de la dette, 20 % de la dépense publique mais plus de la moitié de l'investissement public du pays.
En quarante ans, leurs compétences se sont élargies. Elles ont trouvé un équilibre subtil entre autonomie locale et solidarité nationale. Cet équilibre a été secoué par des crises successives, mais il a tenu, preuve de la résilience des élus locaux. Les budgets des collectivités locales ont tenu bon, notamment en raison de la dynamique de la TVA, de la gestion rigoureuse des élus et d'une solidarité nationale constante.
L'année 2024 a été un tournant : l'épargne brute des départements s'est contractée, en raison du recul des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). L'État a tenu ses engagements : stabilisation de la DGF à hauteur de 27 millions d'euros, renforcement de la dotation de solidarité urbaine (DSU) et de la dotation de solidarité rurale (DSR), respectivement de 140 et 150 millions d'euros.
Les enveloppes d'investissement sont maintenues et tiennent compte des élections à venir. De plus, la dotation pour aménités rurales a atteint 110 millions d'euros en 2025. Les concours financiers de l'État aux collectivités territoriales s'élèvent à 55 milliards d'euros - 104 milliards d'euros au total si l'on inclut la fiscalité transférée et les programmes d'accompagnement : politique de la ville, Petites villes de demain, Villages d'avenir.
Les finances des communes et intercommunalités sont solides. Les régions ont retrouvé un équilibre, après la crise sanitaire. En revanche, les départements souffrent de la baisse des DMTO - un quart de leurs recettes - tandis que leurs dépenses sociales continuent de croître. Ainsi, une vingtaine de départements frôlent la tutelle budgétaire.
Face à ces écarts, la péréquation reste un pilier du modèle de solidarité nationale : la péréquation verticale représente 35 % de la DGF contre 15 % en 2007. La solidarité a plus que doublé en vingt ans et cet effort sera renforcé en 2026 : 290 millions d'euros supplémentaires pour les communes, 90 millions d'euros pour les intercommunalités et 10 millions d'euros pour les départements. La péréquation horizontale, elle, représente 2 % des recettes des collectivités territoriales.
Je le dis au rapporteur général, auteur d'une proposition de loi visant à garantir une solution d'assurance aux collectivités territoriales : nous augmenterons la dotation de solidarité en faveur de l'équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des évènements climatiques ou géologiques (DSECG). En outre, un plan d'action a été lancé à l'issue du Roquelaure de l'assurabilité des territoires conduit par mon prédécesseur, François Rebsamen. Je pense aussi au guide pratique de la passation des marchés publics en matière d'assurance et à la mobilisation inédite des préfets. Vous pouvez compter sur moi pour déployer ces mesures.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Très bien ! Nous comptons sur vous !
Mme Françoise Gatel, ministre. - Nous le ferons ensemble, monsieur le rapporteur général.
Le projet de budget pour 2026 reconnaît le rôle essentiel des collectivités territoriales. Nous vous proposons une copie...
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il faut la corriger.
Mme Françoise Gatel, ministre. - ... dont vous débattrez. Il pourra même vous arriver de décider !
Nous entreprendrons un effort de simplification pour faciliter l'action publique et éviter certaines dépenses superfétatoires. Je ferai une proposition de méthode au Premier ministre dans les jours à venir.
La décentralisation fait aussi partie des ambitions du Premier ministre, appuyées sur les excellents travaux conduits au Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ça fait plaisir à entendre, mais ne coûte pas cher...
Mme Françoise Gatel, ministre. - La vérité n'a pas de prix. (Sourires)
Mme Mireille Jouve . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Quel sens donner à notre débat ? Les collectivités territoriales ont un réel souci de bonne gestion. Depuis la crise du covid, elles ont fait face à la hausse des coûts de l'énergie et de l'inflation. Malgré la suppression de la taxe d'habitation - plus de 21 milliards d'euros de recettes - et la disparition de la CVAE, elles ont tenu.
Nous devons engager une discussion sans oeillère sur les transferts de compétences, notamment les transferts rampants, si peu ou si mal compensés, dont la multiplication met à mal l'idée même de décentralisation.
Le premier président de la Cour des comptes pointe le rôle des collectivités territoriales dans la dégradation des finances publiques. Je lui rétorque : si leur part dans le déficit a crû de 10 milliards d'euros depuis 2017, celle de l'État a bondi de 880 milliards d'euros ! La contribution des collectivités territoriales dépassera 15 % de l'effort global du budget 2026. Or notre dette ne représente que 262 milliards d'euros sur un total de 3 305 milliards d'euros...
En quoi les collectivités territoriales, soumises à une règle d'or, sont-elles responsables du déficit ? Monsieur Moscovici, osez désigner les vrais responsables, sans transformer les collectivités territoriales en boucs émissaires ! (Applaudissements sur les travées du RDSE)
Mme Françoise Gatel, ministre. - Je transmettrai votre message à M. Moscovici... Aucun membre de ce gouvernement ni du précédent n'a dit que les collectivités territoriales étaient responsables du déficit.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Du précédent, si !
Mme Françoise Gatel, ministre. - Je sais que les gouvernements se succèdent rapidement, mais le dernier n'a pas eu le temps de dire ce qu'il pouvait penser...
Le budget de la France n'est pas équilibré depuis plus de cinquante ans. L'État, on l'a dit, s'est montré cigale. Le budget des collectivités territoriales a été diminué, notamment du fait de la baisse de la DGF. Il est fait d'aléas.
Nous voulons collectivement redresser nos finances et demandons aux collectivités de participer à cet effort. Quand l'État dépense pour les forces de police, de gendarmerie, ou pour aider les entreprises durant la crise du covid, cet argent sert l'ensemble des Français.
M. Bernard Delcros . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le soutien de l'État à l'investissement local est essentiel. Je salue la prise en compte par le Gouvernement de notre proposition de sauver le fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT).
Je vous alerte sur les risques posés par la suppression de la DETR, que le Gouvernement propose de diluer dans un fonds unique regroupant l'ancienne DSIL et l'ancienne dotation de la politique de la ville. Il s'agit d'un outil financier au service des territoires ruraux, simple, connu, apprécié des élus. Pourquoi casser ce qui fonctionne bien ? Nous comptons sur vous pour ne pas envoyer un mauvais message. Ne prétendez pas qu'il s'agit de simplification ! On peut simplifier la vie des élus en maintenant la DETR. Acceptez-vous de le faire ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE, ainsi que sur les travées des groupes SER et INDEP et du GEST)
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Oui !
Mme Françoise Gatel, ministre. - Ce fonds d'investissement pour les territoires (FIT) a été proposé, sans diminution des enveloppes, pour répondre à une demande de simplification des élus et des préfets. La DETR vise une catégorie de communes et un montant défini, tout comme la DSIL. Les préfets, à l'écoute des territoires, soutiennent des projets communaux avec l'une ou l'autre dotation et parfois même avec du fonds vert. Nous souhaitons faciliter la consommation de tous les crédits avant la fin d'année. Dans le cadre de cette enveloppe globale, nous avons isolé la DETR, en précisant les critères d'éligibilité.
Je le sais, les sigles peuvent être des symboles : mais même sous un autre nom, elle n'a pas disparu !
M. Bernard Delcros. - Je vois votre réponse comme une ouverture. Rien ne peut justifier la suppression de la DETR : nous la sauverons ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE, des groupes INDEP et SER, ainsi que sur les travées du GEST)
Mme Vanina Paoli-Gagin . - Nos collectivités ont du talent, qui trop souvent manque à l'État. Quand elles ne sont pas maltraitées, elles font les bons choix. Un seul critère en témoigne : l'investissement. Les investissements des communes ont ainsi augmenté de 10 % en 2024, après avoir progressé de 8 % en 2023. C'est le bon sens communal !
Les dépenses d'investissement des régions ont également augmenté. En revanche, les finances et la liberté d'action des départements sont malmenées depuis longtemps. Ils n'ont d'autre choix que de ralentir leur investissement, qui se situe à 3,7 % en 2024.
Quand nous laissons liberté et marge de manoeuvre aux collectivités territoriales, elles privilégient l'investissement au fonctionnement. Comment l'État compte-t-il s'en inspirer ? Il s'agit de préparer l'avenir.
Mme Françoise Gatel, ministre. - La dépense d'investissement prépare l'avenir, oui. Mais les collectivités ne peuvent investir que si elles dégagent des excédents de fonctionnement. L'État propose donc de préserver leurs capacités de fonctionnement - l'augmentation de la DSR et de la DSU en témoigne - tout en prenant en compte le cycle électoral.
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Nous comptons sur vous. Les bons gestionnaires sont du côté des collectivités territoriales, l'État devrait s'inspirer de leur saine gestion.
M. Jean-Claude Anglars . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La fiscalité locale doit servir à financer les services publics locaux. Depuis la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, les communes sont privées d'un outil essentiel dont elles avaient la maîtrise.
Le coefficient correcteur, dit coco (sourires), est entré en vigueur en 2021, pour que le produit du foncier bâti par commune corresponde à l'euro près à ce que la commune percevait précédemment. Ce dispositif a été vivement critiqué, car il désavantage les communes rurales et supprime le lien entre l'impôt local et le territoire concerné. De plus, son effet sur la dynamique des assiettes inflige une double peine aux communes rurales et trompe leurs contribuables. Les collectivités qui investissent pour le développement économique de leur territoire doivent partager la croissance du produit foncier de nouveaux logements ou entreprises. Ce n'est plus de la compensation, mais de la confiscation.
Comment envisagez-vous de neutraliser l'impact du coco sur la dynamique de l'assiette foncière des communes ?
Mme Françoise Gatel, ministre. - La suppression de la taxe d'habitation a en effet fait disparaître le lien entre commune et habitants.
Le coefficient correcteur a été créé pour stabiliser la compensation de cette perte pour les communes. Nous sommes en désaccord : le système est fiable, car stable, contrôlé annuellement et garanti par l'État qui prend en charge tout écart éventuel, soit 728 millions d'euros en 2023 pour les communes sous-compensées. Il n'y a pas de perte structurelle ni de fragilisation durable. En outre, le Conseil constitutionnel a déclaré le coefficient correcteur conforme à l'objectif d'équité territoriale.
M. Bernard Buis . - (Applaudissements sur les travées du RDPI et sur quelques travées du RDSE) Notre assemblée plaide depuis des années pour plus d'autonomie fiscale des élus locaux. Or celle-ci se réduit comme peau de chagrin.
J'assume mon soutien à la suppression de la taxe d'habitation, qui a renforcé le pouvoir d'achat de nombreux foyers. Néanmoins, je reconnais qu'elle a eu des conséquences contre-productives.
Dans le moment crucial que nous connaissons, où le besoin de décentralisation est patent, le temps est venu de réformer le schéma des finances locales.
M. Didier Rambaud a souligné à plusieurs reprises en 2023 l'intérêt du lien fiscal entre un habitant et sa commune. Pour que chaque strate puisse avoir un impôt clairement identifié, que pense le Gouvernement de la création d'un nouveau lien fiscal ? Il ne s'agit pas d'ajouter une taxe à la taxe foncière, mais de tout repenser. Beaucoup de foyers ne comprennent plus où va leur impôt. Il est urgent de redonner de la lisibilité, pour l'intérêt des élus locaux et le renforcement du consentement à l'impôt. (Mme Mireille Jouve applaudit.)
Mme Françoise Gatel, ministre. - Cette question dépasse le strict cadre du PLF. À quel moment entreprendra-t-on la mise à jour du système de financement des collectivités territoriales ? Régulièrement, le Sénat appelle à l'ouverture de ce grand chantier.
Nous ne cessons de réformer partiellement, impôt par impôt, moyennant compensations. Nous avons un système de rustines unique au monde ! Et nous sommes parfois un peu perdus. C'est pourquoi je partage le souhait d'une grande réforme des finances locales. Cela demande du courage.
Nous devrions démarrer par la question : « qui fait quoi ? ». Ainsi, nous pourrons définir les recettes, en conservant des dotations à partir d'impôts nationaux, comme en Allemagne. Les communes devraient sans doute être dotées de leviers fiscaux pour assurer la part politique relevant de leur libre administration.
Éric Woerth estime que les départements, qui ont essentiellement des dépenses sociales et des DMTO comme recettes, subissent une incohérence, entre compétences et ressources. Il demande une part de la CSG nationale pour les départements.
Mme Isabelle Briquet . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La situation financière des départements devient critique. Il y a trois ans, 15 d'entre eux étaient en difficulté. Ils sont désormais 35. Certains affichent une épargne nette, voire brute, négative. Cette dégradation est due à un effet ciseau, entre dépenses sociales en forte hausse et recettes figées.
Les départements subissent les conséquences sociales des difficultés économiques de notre pays. Ils ne peuvent plus être la variable d'ajustement d'une politique d'austérité qui les prive de moyens tout en leur transférant toujours plus de charges.
Quid de la prise en compte particulière de leur situation qui avait été annoncée ? Le PLF 2026 ajoute de nouvelles ponctions, notamment 280 millions d'euros au titre du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico). Le fonds de sauvegarde est insuffisant. Le pérenniserez-vous et le ciblerez-vous vers les départements les plus en difficulté ? L'État ne peut laisser les départements affronter seuls la tempête sociale. Le redressement des finances publiques est nécessaire, mais doit être proportionné.
Les départements demandent à l'État de compenser intégralement les charges qu'il décide, sans quoi la décentralisation perdra son sens. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées du groupe CRCE-K)
Mme Françoise Gatel, ministre. - Merci de rappeler que notre déficit national a des effets sur les services publics, y compris ceux qui sont assurés par les collectivités.
Le Sénat l'a beaucoup dit : quand il y a transfert de compétences, il doit y avoir une clause de revoyure.
Prenons garde à la surenchère des normes. Nous devons éviter d'en créer et rationaliser leur stock.
Il s'agit d'un budget non pas d'austérité, mais frugal pour engager le redressement. Il prend en compte la particularité des départements en alimentant le fonds de sauvegarde, à hauteur de 300 millions d'euros, pour aider la trentaine de départements en difficulté. Ce fonds est conjoncturel en raison de l'évolution possible à la hausse des DMTO.
M. Pascal Savoldelli . - Le Gouvernement ne réduit pas seulement les budgets des communes, il nuit à la démocratie. À quelques mois des élections municipales, c'est une affaire non seulement de chiffres, mais de signal politique. On bride l'action locale, on place les scrutins sous tutelle budgétaire.
Après une contribution de 5,7 milliards d'euros en 2025, le budget pour 2026 prévoit 8 milliards supplémentaires de contributions directes ou indirectes imposées aux collectivités territoriales. C'est colossal, l'équivalent du quart de leur épargne brute.
Une philosophie de gouvernement se dévoile : la décentralisation devient non plus un partage de responsabilités publiques, mais une chaîne hiérarchique de la rigueur. Le Dilico 2 double, à 2 milliards d'euros, et touchera trois fois plus de municipalités que l'an dernier. De plus, si les dépenses locales dépassent 1 % de croissance du PIB, les sommes en réserve ne seront pas restituées.
Les collectivités territoriales assurent 70 % de l'investissement public, on le sait, tout en maîtrisant une dette à 8 % du PIB. Madame la ministre, quelle place reste-t-il à leur initiative ? Peut-on encore parler de décentralisation quand la libre administration devient à ce point conditionnelle ?
Mme Françoise Gatel, ministre. - Je ne partage pas tout à fait votre analyse.
M. Pascal Savoldelli. - Ce n'est pas nouveau.
Mme Françoise Gatel, ministre. - Le Gouvernement fait une proposition de budget, discutée très démocratiquement dans les assemblées. Non, le Gouvernement ne bride pas l'action locale. La proposition de budget préserve les recettes de fonctionnement des collectivités, avec l'augmentation de la DSR et de la DSU.
La France n'a pas eu de budget équilibré depuis cinquante ans. Vous ne pouvez pas parler d'un retour à la centralisation. Le premier acte du Premier ministre a été d'écrire à tous les maires de France pour leur dire sa reconnaissance. Il a ensuite sollicité l'ensemble des collectivités pour recueillir leurs suggestions sur la décentralisation.
Ce budget est un budget de redressement. La dette croît de 12 millions d'euros par heure. C'est dire l'urgence. Nous connaissons tous des pays, comme la Grèce ou le Portugal, qui ont vu leurs services publics considérablement diminuer.
C'est la dette qui est l'ennemie de la démocratie.
M. Pascal Savoldelli. - Selon Jacques Chirac, on ne change pas la société par décret. Comptez-vous donner une certaine autonomie fiscale aux communes ?
M. Jean-Raymond Hugonet. - Très bien !
Mme Ghislaine Senée . - (Applaudissements sur les travées du GEST) La DGF est la première ressource versée aux collectivités territoriales. C'est un dû qui compense les transferts de charge. Or son montant en 2026 est le même qu'en 2025, soit 27,3 milliards d'euros. Sa non-indexation asphyxie les communes et fragilise leur capacité d'action. En parallèle, la part de ressources fiscales des collectivités s'érode. De nombreux maires nous alertent sur cette situation. La DSU est attribuée de telle façon que des écarts incompréhensibles apparaissent entre des communes pourtant comparables. Ainsi, une commune dynamique démographiquement, qui construit des logements sociaux, voit sa dotation forfaitaire décroître alors qu'elle assume de nouvelles charges, notamment scolaires. L'opacité des attributions nourrit le sentiment d'injustice et complique la programmation budgétaire, alors que chaque euro non couvert en fonctionnement se traduit par des investissements différés ou annulés.
Cette situation questionne le respect du principe constitutionnel de libre administration. Quid de l'indexation de la DGF ? Que répondez-vous aux demandes de clarté et d'équité de ses critères d'attribution ? (Applaudissements sur les travées du GEST)
Mme Françoise Gatel, ministre. - J'ai soutenu l'augmentation de la DGF, à un moment où le montant de la dette ne menaçait pas encore les services publics. Nous menons à présent un effort de redressement et de frugalité.
On me dit que l'écart des dotations entre territoires ruraux et urbains n'est pas justifié. Ce n'est pas dans un PLF que l'on peut apposer une rustine sur un tel problème. Il faut entreprendre une réforme globale.
Les modalités de répartition de la DSU ont été réformées en 2017. Il n'est pas souhaitable de les modifier de façon conjoncturelle, dans un PLF. Je rappelle que la DSU augmente de 140 millions d'euros. (Mme Silvana Silvani proteste.)
Mme Ghislaine Senée. - J'entends qu'il faut une réforme globale. Mais dès lors qu'il n'y a pas d'autonomie fiscale, pourquoi lancer un nouvel acte de décentralisation ?
M. Hervé Maurey . - (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC) Il existe une différence importante entre la part forfaitaire de la DGF des communes rurales et celle des communes urbaines. Le Sénat a adopté plusieurs amendements visant à y remédier. Les gouvernements successifs ont toujours retiré cette disposition des textes budgétaires, tout en promettant une remise à plat, qui se fait toujours attendre.
Madame la ministre, que comptez-vous faire pour mettre fin à cette situation inacceptable ?
Mme Françoise Gatel, ministre. - Ce sujet a fait l'objet d'une question au Gouvernement de Bruno Belin il y a 15 jours. Effectivement, il y a un écart de dotation. On m'interroge aussi sur la répartition de la DSU. Une réforme des dotations est nécessaire, à l'initiative du Parlement et des associations d'élus, pour définir qui fait quoi.
Il existe des charges de centralité, dont les territoires ruraux bénéficient. La DSR augmentera de 150 millions d'euros et les aménités rurales sont passées de 42 millions en 2023 à 110 millions en 2025.
Ayons une approche globale de tous les concours de l'État.
M. Hervé Maurey. - Je connais votre attachement à ce sujet : vous avez été première cosignataire d'un amendement que j'avais déposé en ce sens... (Mme Françoise Gatel s'en amuse.) Vous aviez dit qu'il fallait étudier ce sujet avec courage et éviter d'inventer des usines à gaz. Vous aviez ajouté que le sénateur est endurant, persévérant et conséquent. Je vous le confirme ! (Sourires) Maintenant que vous êtes aux responsabilités, passez de la parole aux actes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe INDEP)
M. Olivier Paccaud. - Excellent !
Mme Marie-Carole Ciuntu . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) L'État est en manque de recettes, mais jamais à court d'inventions pour s'en procurer. (Mme Françoise Gatel s'en amuse.) L'an dernier, le Dilico a été inventé afin de retirer aux collectivités locales des recettes fiscales qui leur sont dues, à partir d'un calcul basé sur le potentiel financier par habitant et non sur la qualité de la gestion financière des collectivités.
Le Dilico est désormais bien identifié par les élus locaux. Et pour cause ! Il double en 2026. Il est prévu que davantage de communes y contribuent. Dans le Val-de-Marne, 31 communes sur 47 devront contribuer, pour 27 millions d'euros, contre 7,5 millions auparavant. L'effort total s'élève à plus de 5 milliards d'euros, selon le Gouvernement, voire 7 milliards, selon d'autres estimations.
Tout est question de proportion et d'équité, comme le souligne le rapporteur général. Les administrations locales ne sont responsables que de 3 % de la hausse de la dette depuis 2019. Pourtant, leur effort pèse à hauteur de 13 % dans le PLF 2026.
Pourquoi s'en prendre à ce qui fonctionne encore ? Comptez-vous renoncer au doublement du Dilico ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe SER)
Mme Françoise Gatel, ministre. - Je rends à César ce qui appartient à César. (M. Jean-François Husson s'en amuse.) Le Dilico est une création intelligente et pertinente du Sénat.
Je sais l'importance du travail des collectivités en faveur de la cohésion sociale et des services publics. C'est pourquoi nous entreprenons, à regret, un budget de redressement, auquel nous devons tous contribuer.
Le Dilico a été créé pour diminuer la dépense des collectivités territoriales. Une partie de la capacité de dépense a été retenue, et sera rendue cette année par l'État à hauteur de 30 %. Nous présentons dans le PLF 2026 un Dilico 2. Il appartient au Parlement d'en débattre.
Mme Marie-Carole Ciuntu. - Le Dilico devait être unique ; qu'un Dilico 2 soit prévu pose problème. Les choses ne sauraient rester en l'état, ce serait un trop mauvais coup porté aux collectivités !
Mme Frédérique Espagnac . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le fonds d'investissement pour les territoires (FIT), présenté comme une simplification, suscite bien des inquiétudes. Comme souvent, on invoque la simplification pour baisser les crédits de 200 millions d'euros, ce qui fait craindre une dilution de la priorité rurale de la DETR.
Le signal envoyé aux élus est mauvais. Alors que nos collectivités ont besoin de stabilité et de visibilité pour investir, vous mettez à mal la décentralisation que votre Gouvernement prétend pourtant accélérer.
Comment les maires peuvent-ils bâtir une stratégie d'investissement solide si les règles changent tous les deux ans ? Entendez leur appel ! Le groupe SER se mobilisera pour le maintien de la DSIL, de la DETR et de la dotation politique de la ville, sans réduction de moyens ni plafonnement et dans le respect de la confiance envers les élus. Allez-vous sanctuariser un socle de dotation d'investissement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; M. Guislain Cambier applaudit également.)
Mme Françoise Gatel, ministre. - De nombreux projets communaux bénéficient de plusieurs dotations - 100 de DETR, 100 de DSIL, 50 du fonds vert. Les enveloppes sont donc déjà en partie mutualisées : la fusion dans le FIT officialise cette mutualisation et simplifie le système.
Mme Frédérique Espagnac. - Mais elles sont plafonnées !
Mme Françoise Gatel, ministre. - Nous avons sacralisé la DETR...
M. Patrick Kanner. - Sanctuarisé ! (Sourires)
Mme Françoise Gatel, ministre. - Les deux ! (Nouveaux sourires)
Je connais l'attachement des territoires ruraux à cette dotation : elle ne bouge pas, ni dans son montant ni dans ses conditions. Ce n'est pas parce qu'on supprime le mot qu'on supprime l'argent !
M. Patrick Kanner. - Rétablissons la réserve parlementaire...
Mme Frédérique Espagnac. - Une baisse de crédits de 200 millions d'euros, ce n'est pas acceptable ! Dans les commissions, les préfets appliquent un plafonnement, alors que les collectivités ont besoin de continuer à investir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du RDSE ; M. Guislain Cambier applaudit également.)
M. Jean-Raymond Hugonet . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Année après année, l'examen du rapport sur la situation des finances publiques locales tient de la provocation. Pendant sept ans, nous avons subi un ministre des finances, sorte de Schubert de la banqueroute (on apprécie la formule sur de nombreuses travées), qui expliquait avec aplomb que les collectivités territoriales étaient responsables de la dérive des finances publiques. Sept ans !
Madame la ministre, vous fûtes des nôtres et avez vocation à le redevenir.
M. Patrick Kanner. - Ça dépend de nous...
M. Jean-Raymond Hugonet. - Je vous rassurerai donc : je suis parvenu à trouver à ce rapport une vertu, celle de mettre en lumière deux mondes qui ne se comprennent plus. D'un côté, un État protéiforme et suradministré, toujours plus éloigné des réalités de terrain et noyé dans un sabir technocratique dont le Dilico est le dernier avatar. De l'autre, des élus hagards qui essaient tant bien que mal de mener les politiques dont l'État se défausse sur eux, avec de moins en moins de ressources.
Nous devons tâcher de les réconcilier. Est-ce encore possible ?
Mme Françoise Gatel, ministre. - Je vous remercie par avance de l'accueil que vous me réserverez, sans doute, un jour prochain...
Vous dites avec des mots justes ce que les élus expriment et ce qu'il arrive aux ministres de ressentir. L'efficacité de l'action publique jusqu'au dernier kilomètre et la simplicité sont de vrais sujets.
L'État s'est ankylosé, à vouloir s'occuper de tout : aucune réforme territoriale depuis plus de dix ans n'a défini ce qui est de son ressort. La volonté du Premier ministre est d'avancer dans la décentralisation en clarifiant qui fait quoi.
L'État doit se détendre et faire confiance aux élus, car l'action locale est efficace. Il faut rendre du pouvoir au préfet de département, qui doit être le chef d'orchestre des services de l'État et des agences. Beaucoup de celles-ci sont utiles, mais il faut optimiser notre organisation. Nous souffrons d'un manque de clarté lié à un trop grand nombre d'acteurs.
Ce budget de redressement a un horizon : améliorer les services et rendre des moyens aux collectivités. Parallèlement, il faut travailler sur le désengorgement des normes et la décentralisation.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Je bois vos paroles... Sur les agences, la difficulté est dans le tri.
Tout en souhaitant vous voir revenir au bercail, nous sommes rassurés de vous savoir où vous êtes ! (Sourires ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Simon Uzenat . - Que vaut la parole de l'État ? L'effort demandé aux collectivités devait être de 2,2 milliards d'euros. En réalité, il sera supérieur à 7 milliards d'euros. Et ce sera a priori le même niveau l'année prochaine...
Que reste-t-il de l'autonomie fiscale, quand les transferts représentent 80 % des ressources des départements et régions ?
La situation actuelle résulte d'une crise des recettes. Je pense en particulier à la suppression de la taxe d'habitation, financée par l'endettement.
Vous promettez des garanties sur le FIT, mais la parole de l'État est-elle crédible, alors que les acomptes de DSIL ne sont plus autorisés et que le fonds vert a été divisé par quatre en deux ans ?
Nous sommes opposés à la transformation de la part régionale de TVA en dotation. Êtes-vous prête à envisager, notamment pour financer les mobilités, une taxe de séjour additionnelle en remplacement du versement mobilité régional et rural ?
Mme Françoise Gatel, ministre. - Je ne veux pas empêcher, par une réponse trop rapide, le Sénat de débattre du PLF.
Nous ne disons pas la même chose, sans forcément nous contredire. Les départements sont les collectivités les plus fragiles. Les régions, en comparaison, reprennent un peu de couleurs depuis la fin de la crise sanitaire.
Non, nous ne sommes pas face à une crise de recettes, mais une crise de dépenses. Pendant fort longtemps, nous avons été cigales plus que fourmis : les sommes dépensées l'ont sans doute été à bon escient, mais il arrive un moment où l'ardoise se présente. L'ardoise est là.
Pour préserver les services publics, pour préserver l'avenir, il faut nous ressaisir, aussi désagréable cela soit-il.
L'État a tenu ses engagements. Nous rembourserons le Dilico comme annoncé. Si le soutien aux investissements baisse, c'est aussi que, dans le cycle électoral, l'investissement baisse l'année de l'élection.
Je suis pour la visibilité pluriannuelle. Si l'État pouvait contractualiser avec les communes comme avec les régions, cela m'irait très bien.
Quant aux crédits de paiement qui ne seraient pas versés, je pense que les choses vont s'arranger sous peu.
Sur les régions, je ne répondrai pas aujourd'hui. Je pense que les services doivent être financés à la fois par l'impôt et les dotations. Nous verrons quelle sera la position du Sénat sur les mesures actuellement débattues à l'Assemblée nationale.
M. Simon Uzenat. - L'ardoise est là, celle du macronisme : 60 milliards d'euros d'impôts non prélevés. Avec cet argent, nous n'en serions pas là. Oui, il y a bien une crise de recettes. Quant à l'arrêt des acomptes de DSIL, madame la ministre, c'est votre responsabilité.
Mme Christine Lavarde . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Tout le monde connaît désormais l'antienne : le Gouvernement propose, nous en débattrons, vous voterez. Mais encore faut-il que le Parlement ait la bonne information.
Or, s'agissant des 315 milliards d'euros de ressources locales, l'exercice est difficile. Et pour cause ! Pour tenter d'avoir une vision globale, il faut consulter pas moins de sept sources : prélèvement sur recettes, mission « Relations avec les collectivités territoriales », compte de concours financiers « Avance aux collectivités territoriales », fiscalité transférée et taxes affectées, dégrèvements et subventions, transferts entre sécurité sociale et administrations publiques locales inscrits au PLFSS, rapport de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales... Que proposez-vous pour que le Parlement dispose d'une vision claire de la situation ?
Mme Françoise Gatel, ministre. - C'est un vrai sujet. Mais, comme vous le savez, l'idée envisagée, dans le cadre du groupe de travail dit Larcher, d'une loi de finances des collectivités territoriales n'a finalement pas été retenue, par crainte qu'on invente une sorte d'Ondam des collectivités. Bref, l'ultra-simplification ne peut aller sans garanties.
Mme Christine Lavarde. - Je poursuivrai ce combat pour la lisibilité de la maquette budgétaire. Nous ne passerions pas des heures à débattre des 5 milliards de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » ? sur 315 milliards ? si nous disposions d'une vision d'ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)
M. Stéphane Sautarel . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) On pourrait revenir sur les nombreuses étapes qui depuis 1982 ont rythmé les relations entre les collectivités territoriales et l'État, dans un pays qui reste jacobin ? et plus que jamais depuis 2017, à contre-courant de l'histoire. Il faudrait sans doute mentionner la triste période 2013-2017, au cours de laquelle la DGF a été baissée d'un tiers de manière aveugle : 11 milliards d'euros qui manquent aujourd'hui à nos collectivités.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - C'est vrai ! (Mme Françoise Gatel renchérit.)
M. Stéphane Sautarel. - Il est impossible dans le contexte actuel de dégager une véritable ambition décentralisatrice, hélas. Je parlerai donc du terrain.
Les collectivités territoriales, à commencer par les communes et départements, assurent le service public de proximité et réalisent les investissements qui font tenir le pays. Elles sont notre bien commun. Il faut donc reconstruire le pacte de confiance entre l'État et elles.
Mais l'État est enfermé dans une vision court-termiste, comme un ménage dépensier qui peine à boucler ses fins de mois et, de surcroît, impose des contraintes à ses voisins.
Les élus ont trois attentes urgentes : ne pas aller au-delà des 2 milliards d'euros de ponction ; répondre enfin aux besoins structurels des départements ; garder le cadre actuel du Dilico, alléger les normes et conserver les périmètres des aides à l'investissement.
Mme Françoise Gatel, ministre. - Je reconnais bien là la sagesse sénatoriale et le souci de précision. Encore une fois, il vous appartiendra de débattre et de voter.
La cohésion sociale dépend de l'engagement des collectivités et des élus locaux : je ne dirai jamais le contraire. Nous avons besoin de visibilité, mais l'annualité budgétaire la limite. La recentralisation est venue aussi du remplacement de dotations par des compensations.
Le Dilico, fruit d'une co-construction du Sénat et du Gouvernement, fait son apparition en saison 2... Nous aurons une discussion franche à ce sujet, sans oublier l'effort de redressement nécessaire.
Quant aux normes, elles doivent être utiles et non empêcher d'agir ; je souhaite qu'un travail rigoureux et pérenne d'évaluation soit mené.
M. Laurent Somon . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Dilico, adopté l'an dernier sur l'initiative du Sénat, pénalise les intercommunalités les plus intégrées, dont le coefficient d'intégration fiscale est supérieur à 60 %. Le cas d'Amiens Métropole est emblématique : alors qu'elle a fait des efforts de mutualisation, donc de rationalisation, elle se voit ponctionner plus de 12 % de ses recettes de fonctionnement. Bref, on impose plus lourdement ceux qui ont fait des efforts pour réduire leurs coûts.
Nous proposons d'introduire, à enveloppe constante, une modulation favorable aux EPCI dont le coefficient d'intégration fiscale dépasse 60 %, selon un système qui existe déjà pour la Métropole de Lyon et qui vise à récompenser l'intégration. Êtes-vous prête à y réfléchir pour rétablir la cohérence économique du financement du bloc communal ?
Mme Françoise Gatel, ministre. - Je sens poindre un amendement... Il vous appartiendra de débattre de la proposition de Dilico 2 et de ses conditions de restitution. Nous en discuterons, et vous ferez la loi.
M. Laurent Somon. - Il faut récompenser les vertueux au lieu de les sanctionner !
M. Claude Raynal, président de la commission des finances . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Groupes, commission, Gouvernement : chacun a pu exprimer ses positions dans le cadre d'un exercice utile.
Le budget 2026 proposé par le Gouvernement est manifestement déséquilibré pour les collectivités territoriales. Certes, je me réjouis des 300 millions d'euros supplémentaires pour le fonds de sauvegarde des départements, un montant dont on verra s'il est suffisant.
Reste que l'addition est corsée : on demande près de 4 milliards d'euros aux collectivités territoriales, deux fois plus que l'an dernier. C'est 6 milliards si l'on tient compte de la baisse du soutien à l'investissement et jusqu'à 7 milliards avec la hausse des cotisations à la CNRACL.
Le Dilico est porté à 2 milliards d'euros dans ce budget, mais ses conditions de remboursement sont rédhibitoires.
La baisse de la compensation prévue par le PSR sur les valeurs locatives des établissements industriels s'élève à 1,2 milliard d'euros, mesure révélatrice de l'inconséquence de la politique menée.
Après avoir décidé de baisses d'impôts sans jamais les financer, le Gouvernement s'efforce de faire machine arrière au détriment des EPCI. Mais il cible les territoires industriels où le revenu par habitant est inférieur à la moyenne nationale.
Le déficit signe l'échec de la politique qui a consisté à réduire les impôts sans réduire les dépenses en l'absence d'une augmentation de la croissance. Je pense à la suppression de la taxe d'habitation, que personne ne demandait et qui a été poursuivie en période de crise, et à celle de la CVAE, pour 20 et 4 milliards d'euros annuels respectivement. Pourtant, nous vous avions mis en garde.
Le PLF marque une nouvelle volte-face en anticipant la trajectoire de suppression de la CVAE. Le Gouvernement réussit l'exploit de dégrader un peu plus le solde avec une mesure que seul le président du Medef semble encore demander - et encore : il avait déclaré qu'après une baisse de 4 milliards d'euros, une baisse supplémentaire de 1 milliard ne sert à rien, ce que je confirme.
Au total, la politique économique de cette mandature, faite de virements et de revirements, aura rompu la confiance dans la parole de l'État et désorienté collectivités et entreprises. À nous de remettre les choses en place, notamment en plaçant la participation des collectivités à son juste niveau. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur quelques travées au centre et à droite)
La séance est suspendue quelques instants.