Avenir de la décentralisation
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « L'avenir de la décentralisation », à la demande du groupe Les Républicains.
Mme Agnès Canayer, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.) Il y a un peu plus d'un mois, à cette tribune, le Premier ministre annonçait un énième grand acte de décentralisation engagé dans les trois mois.
Approfondir la décentralisation est un impératif. L'échelon local est plébiscité par les Français et constitue le terreau de notre démocratie.
Hélas, tous les élus constatent une perte de leurs marges d'action.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - C'est vrai !
Mme Agnès Canayer. - C'est l'une des causes de la crise de l'engagement local.
Le Sénat n'a pas attendu la déclaration du Premier ministre pour mener sur le sujet des travaux riches et transpartisans. Je pense aux cinquante propositions pour le plein exercice des libertés locales présentées en 2020 par nos anciens collègues Philippe Bas et Jean-Marie Bockel, un travail qui reste d'actualité, ou aux quinze propositions de 2023 pour rendre aux élus le pouvoir d'agir, qui ont donné lieu au dépôt de trois propositions de loi.
C'est dans la continuité de ces travaux que le groupe Les Républicains souhaite débattre de l'avenir de la décentralisation.
Plusieurs axes nous semblent devoir guider le futur acte de décentralisation.
D'abord, il faut se garder de la tentation d'un big-bang territorial, une architecture imaginée depuis Paris comme on dessine un jardin à la française. Nous n'avons pas fini de gommer les irritants de la loi NOTRe et de la réforme controversée des régions. La décentralisation doit se faire dans le cadre d'un partenariat renouvelé avec les collectivités.
Pour donner tout son sens à l'article premier de notre Constitution, qui dispose que l'organisation de la République est décentralisée, on peut : renforcer la subsidiarité et les compétences réglementaires des collectivités territoriales, ménager une plus grande flexibilité en matière d'expérimentation et de différenciation - je pense à la proposition de loi de Rémi Pointereau sur le pouvoir de dérogation préfectoral. Mais le cadre constitutionnel devra être amendé pour une différenciation durable sans multiplication des dérogations. Il faut aussi donner plus de souplesse aux élus pour l'exercice de compétences clés, comme le logement et l'urbanisme.
Les élus demandent pragmatisme et souplesse ; ils veulent aussi être associés aux réformes qui les concernent.
Si la Constitution consacre l'autonomie financière des collectivités, la réalité diverge de la théorie. La fiscalité locale n'a cessé d'être grignotée à mesure que les marges de manoeuvre se sont réduites. Pourtant, parler décentralisation sans évoquer l'autonomie fiscale et financière, c'est comme parler du Sénat sans citer les territoires...
Enfin, il faut une meilleure déconcentration et même un changement de paradigme du rôle de l'État. La loi 3DS a déçu de ce point de vue. Il faut renforcer la place du préfet de département et consolider son rôle de conseil et d'appui aux collectivités territoriales. Le décret du 30 juillet dernier va dans le bon sens.
Des simplifications normatives sont indispensables, notamment pour les plus petites communes. Les études d'impact des textes sur les collectivités restent trop souvent insuffisantes. Le Conseil constitutionnel n'opère d'ailleurs qu'un contrôle limité. L'exécutif doit s'y astreindre, afin d'éviter les normes décalées de la réalité locale. Le cadre constitutionnel pourrait être ajusté afin de donner plus de substances à cette règle.
Les travaux du Sénat, faute d'avoir été repris par l'Assemblée nationale, restent au milieu du gué. Puisse le Gouvernement s'en saisir, pour que le nouvel acte de décentralisation annoncé ne soit pas un coup d'épée dans l'eau ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)
Mme Françoise Gatel, ministre. - On ne peut inventer la décentralisation boulevard Saint-Germain. Au reste, il ne s'agit pas d'inventer la décentralisation, mais de définir une méthode qui garantisse l'efficacité de l'action publique jusqu'au dernier kilomètre, dans une France une et indivisible mais composée de territoires variés.
Des réflexions de grande qualité ont été menées sur ces sujets, en particulier au Sénat, mais aussi, par exemple, par Éric Woerth.
Je ne crois pas au grand soir - généralement suivi d'un petit matin blême. Nous avons trop subi de grandes lois de réforme territoriale pensées de manière uniforme. Vous l'avez dit : nous sommes encore en train de corriger certains effets de la loi NOTRe.
L'État doit définir, avec vous et les associations d'élus, ce qui relève de sa compétence. L'État doit se détendre, s'occuper de ce qu'il sait faire et laisser les collectivités agir.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Tout à fait !
Mme Françoise Gatel, ministre. - Nous y reviendrons dans ce débat, de même que sur la simplification, la déconcentration et l'autonomie fiscale et financière.
Mme Annick Girardin . - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Depuis plus de quarante ans, la décentralisation cherche à rapprocher la décision publique du citoyen.
Le Premier ministre a annoncé une clarification des compétences et des responsabilités de chacun. Le RDSE y réfléchit depuis longtemps suet. En 2019, nous avons été à l'initiative de la création de l'ANCT, dont les postes, hélas, sont en réduction. Dernièrement, la présidente Carrère a publié un rapport appelant à un apaisement législatif. Je pense aussi aux travaux de Jean-Yves Roux sur la compétence eau et assainissement et de Guylène Pantel, avec MM. Pointereau et Delcros, sur le pouvoir de dérogation des préfets.
Il faut s'adapter aux territoires et simplifier, au lieu d'empiler des normes qui étouffent les collectivités. Les élus peuvent compter sur nous pour porter la voix de l'efficacité et de la proximité.
La France doit être repensée dans son organisation. Pendant un an, en position d'observatrice, je me suis appliquée à écouter les attentes de nos concitoyens dans l'Hexagone et en outre-mer. Ils demandent proximité et efficacité sur la santé, l'éducation, la mobilité, les services publics essentiels.
À Saint-Pierre-et-Miquelon, au coeur du bassin nord-américain, je suis immergée dans un environnement fédéral : et si la France de demain s'inspirait de ce modèle ? Ce n'est pas une provocation, mais la conviction qu'un nouveau souffle est nécessaire. Nous devons à la fois renforcer ce qui fait Nation et conforter les territoires dans leur liberté.
Des entités fortes et responsables, disposant d'une plus grande liberté d'organisation, auraient des compétences constitutionnelles selon le principe de subsidiarité. Je les appelle provinces, non par nostalgie mais parce que ce terme est porteur d'une identité, d'une histoire et d'une géographie. À chaque province de choisir son organisation : conserver ou non les départements, fusionner ou non des communes, et pourquoi pas un exécutif élu ?
Inspirons-nous de ce que nous avons su faire dans les territoires ultramarins, parfaits exemples de différenciation. Saint-Pierre-et-Miquelon, la Guadeloupe, la Guyane ou encore la Polynésie montrent que la diversité statutaire n'empêche ni la cohésion ni la solidarité.
Cette provincialisation devrait déboucher sur un maillage cohérent, durable, respectueux des identités et des transitions à venir. La France provinciale ne serait pas une rupture, mais une fidélité à notre histoire et à la volonté de bâtir une République vivante et proche, qui retrouvera la confiance de nos concitoyens.
Quelles sont les réflexions du Gouvernement qui iraient dans ce sens ? (M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit.)
Mme Françoise Gatel, ministre. - Sans doute sommes-nous dans une période de transition, où notre organisation territoriale doit s'adapter. Le mot « territoire » est presque clinique ; celui de « province », en effet, comporte une dimension culturelle, géographique et historique.
En effet, redonner de la liberté d'agir aux territoires, ce n'est pas rompre l'unité de la République. Pour que la promesse d'égalité soit tenue, il faut mettre en oeuvre selon les territoires des moyens différents. Les territoires d'outre-mer sont l'exemple même d'une appartenance à la République selon des organisations différentes. Dans l'Hexagone, nous avons reconnu la différenciation en adoptant des dispositions pour les communes du littoral ou de montagne.
Nous avons à définir ce qu'est le rôle de l'État au-delà des fonctions régaliennes, dans la concertation. Le Premier ministre a écrit à l'ensemble des élus locaux pour leur proposer de lui adresser des suggestions. C'est avec eux et avec vous que nous construirons une nouvelle promesse républicaine, fondée sur le souci d'efficacité.
M. Daniel Fargeot . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le Premier ministre a voulu mettre la décentralisation à la table du dîner politique. Mais j'ai l'impression qu'il nous l'a servie comme un digestif, après un budget indigeste qui va exactement dans le sens inverse... Suppression d'un quart de la compensation de la TFPB et de la CFE, pérennisation d'un Dilico aggravé : où est la volonté de décentraliser ?
Pourtant, la décentralisation est le remède évident à la crise profonde que nous vivons : crise de gouvernance, crise de confiance, crise financière. Nous sommes au bout d'un système où l'État, voulant s'occuper de tout, perd la main sur tout et oublie l'essentiel.
Une vraie décentralisation, c'est celle qui donne la main et les moyens, pas seulement les missions ; au coeur du sujet, la responsabilité. Depuis quarante ans, on confond faire confiance et se désengager. Les gouvernants, nos chefs étoilés, disent : Je fais confiance aux territoires ; mais en cuisine, les commis, les territoires, répondent : je fais ce que je peux avec ce qui me reste... La décentralisation doit être un transfert de confiance !
Or la confiance suppose la clarté : des compétences nettes, des moyens adaptés et la fin du fameux coco - coconstruction, cofinancement, confusion. Et si, au passage, on supprimait le Dilico, on se serait compris...
Tout le monde rend des comptes à tout le monde, sauf aux électeurs. La France est devenue la championne du monde de la désorganisation systémique. L'enlisement est devenu la norme, et quand on veut vraiment faire avancer les choses, on crée une loi d'exception, comme pour Notre-Dame de Paris.
Selon Tocqueville, la décentralisation n'est pas un transfert, mais un retour de responsabilité, qui fait vivre la démocratie. Pourtant on nous sert souvent une décentralisation managériale pilotée par des tableaux Excel où les élus sont sous tutelle. Les maires ne sont pas les sous-traitants de la République ! Il leur faut une autonomie de décision.
Le couple maire-préfet reste l'un des rares qui fonctionnent encore. C'est cette articulation qu'il faut renforcer plutôt que de multiplier les agences. Jean-Louis Borloo appelle à une République fédérale à la française. Mieux, je demande une République des responsabilités locales assumées.
Rendons à chaque échelon l'entière responsabilité qui lui revient. À l'État la stratégie et le régalien, aux collectivités la proximité, l'action et la redevabilité devant leurs électeurs. La République veut rester indivisible, et la responsabilité ne se divise pas. (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC ; M. André Guiol applaudit également.)
Mme Françoise Gatel, ministre. - Certes, les élus locaux ne sont pas des commis de l'État. L'action publique est menée par l'État et par les collectivités : à chacun ses responsabilités et à chacun ses compétences.
On n'a pas transféré des compétences aux départements ; on leur a donné un rôle d'exécution, avec les moyens accordés par l'État. Il faut retravailler la chaîne d'ordonnancement et la chaîne de commandement. C'est le « qui fait quoi ».
Vous parlez de différenciation. N'assimilons pas égalité et uniformité. Cette dernière est souvent la garante de l'inégalité ! Et en matière de déconcentration, c'est au préfet d'harmoniser les choses.
Enfin, pour ce qui est des financements, travaillons sur les dotations et les leviers fiscaux, à définir en fonction des compétences de chacun.
M. Daniel Fargeot. - Merci à Mme la ministre. Oui, l'État doit se détendre. Il faut du bon sens et du pragmatisme. Là où il y a une volonté, il y a un chemin. (Applaudissements sur quelques travées du groupe UC ; marques d'ironie sur quelques travées du groupe SER)
M. Jean-François Longeot. - Bravo !
Mme Marie-Pierre Bessin-Guérin . - (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP) Faites-nous confiance : c'est le cri du coeur de la maire d'une commune de 1 500 habitants que j'étais avant de rejoindre le Sénat. Il est partagé par nombre d'élus.
Il y a quelques années, on m'a demandé de réaliser des travaux de voirie coûteux qui posaient des problèmes de sécurité routière. En tant que maire, j'ai proposé un autre chemin plus sécurisé qui ne demandait que de petits aménagements à la marge. Il a fallu deux ans de négociations pour que cette solution pragmatique soit retenue. Nous aurions gagné du temps si nous avions été entendus d'emblée.
Cet exemple illustre le quotidien des élus locaux en France et combien il faut remettre la confiance au coeur de nos territoires. L'avenir de la décentralisation passe par la confiance envers les élus locaux et les instances de proximité.
Depuis plus de quarante ans, plusieurs vagues de décentralisation se sont succédé. Or elles s'articulent mal entre elles. Le cadre juridique actuel manque de cohérence et de souplesse ; il est illisible.
Il faut réformer ce cadre, c'est une évidence. Sur le plan constitutionnel, nous devons sanctuariser les principes de subsidiarité et de différenciation. La répartition des compétences doit aussi être simplifiée et rationalisée, tout en renforçant les leviers de coopération.
La commune doit être au coeur de l'organisation territoriale française. Le département reste indéniablement pertinent, surtout dans les territoires ruraux. Les Indépendants soutiennent une réforme large de la décentralisation, avec une gouvernance fondée sur la proximité.
Faut-il rappeler la crise des vocations ? En 2025, plus de 6 % des maires élus en 2020 ont déjà démissionné. Le nombre de démissions volontaires a été multiplié par quatre par rapport à la précédente mandature. Je viens de quitter mon mandat de maire : aucun candidat ne s'est présenté à ma succession. Les difficultés rebutent. C'est un véritable gâchis pour notre République.
Il faut donner aux élus de proximité les moyens d'agir. Les finances publiques locales doivent être au coeur des réflexions. Le budget des collectivités territoriales n'est pas une variable d'ajustement - quand je vois se profiler la baisse de la DETR, je m'inquiète.
Chaque compétence dévolue à une collectivité doit être compensée justement. Que le décideur soit celui qui paie. Les communes ne doivent plus financer des décisions prises à un autre échelon sans leur accord. En matière budgétaire, la prévisibilité doit être le maître mot. Certaines communes attendent des mois durant le versement de sommes promises par un autre échelon.
L'avenir de la décentralisation se résume à un mot : confiance. Faisons confiance aux élus de proximité. Notre République s'honorerait à leur accorder la place qu'ils méritent. Comment le Gouvernement compte-t-il les accompagner ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP)
Mme Françoise Gatel, ministre. - Je crois beaucoup à la proximité et au circuit court dans l'action publique, qui permet d'identifier les responsabilités. Le Sénat a beaucoup travaillé sur la sécurisation de l'engagement des élus locaux. C'est ici qu'est née une proposition de loi transpartisane sur le sujet - espérons qu'elle soit adoptée très rapidement.
M. François Bonhomme. - Il y a intérêt !
Mme Françoise Gatel, ministre. - L'enveloppe de DETR ne baisse pas en 2026.
Madame la sénatrice, vous avez déjà une culture sénatoriale ancrée... Oui, qui décide paie ! Comme le rappelait Daniel Fargeot, les collectivités territoriales et les élus locaux ne sont pas les commis de l'État, mais des gens responsables qu'il faut associer aux décisions.
M. Jean-Claude Anglars . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dès sa nomination, le Premier ministre a souhaité des consultations sur un nouvel acte de décentralisation. En France, celle-ci repose sur la répartition des compétences, la libre administration, la responsabilité des élus locaux et la fiscalité directe locale. À l'heure de l'examen du budget, alors que le Gouvernement compte faire fortement contribuer les collectivités territoriales au redressement des comptes publics, il est bon de le rappeler.
Le choix de la suppression de la taxe d'habitation est confiscatoire. Il faudra avoir le courage d'évaluer cette mesure, qui est une atteinte à la liberté locale et qui creuse le déficit de la nation.
M. Laurent Burgoa. - Très bien !
M. Jean-Claude Anglars. - L'acte III de la décentralisation a été mis en oeuvre à marche forcée. Le principe de subsidiarité doit rester notre boussole. Chaque compétence doit être exercée par l'échelon le plus à même d'agir.
La loi visant à assouplir la gestion des compétences « eau » et « assainissement » adoptée le 11 avril dernier va dans ce sens. L'intercommunalité doit être choisie, et non plus subie. Les maires doivent pouvoir décider de tout ce qui concerne leur commune.
Grâce à la loi 3DS, les collectivités volontaires peuvent reprendre la gestion des routes nationales non concédées depuis le 1er janvier 2024. Ainsi, l'Aveyron a fait le choix courageux d'obtenir le transfert de la RN 88, afin de mener sa mise en deux fois deux voies. La décentralisation doit être une réponse sur mesure à des besoins locaux.
La décentralisation ne se décrète pas, elle se construit. Plus qu'un nouvel acte de décentralisation imposé, les élus locaux veulent plus de liberté d'action. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Laurent Burgoa. - Bravo !
Mme Françoise Gatel, ministre. - Nous avons surtout transféré de l'exécution de compétences, sans clause de revoyure. Or la confiance passe par la contractualisation.
Oui, la liberté va de pair avec la responsabilité.
Certaines compétences ne peuvent pas s'exercer seules, comme le tourisme. (M. Jean-Baptiste Lemoyne acquiesce.) Il faut un chef de file...
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - C'est dommage, ça commençait bien.
Mme Françoise Gatel, ministre. - ... qui ait des capacités à s'organiser ensuite avec le bon niveau de collectivité.
L'eau et l'assainissement : voilà un bon exemple d'intercommunalité utile, pertinente, non imposée.
La loi 3DS permet de mener des expérimentations ; ainsi, on évite des irritants. Il faut modifier l'article 72 de la Constitution pour que l'expérimentation puisse conduire à différenciation. N'imposons pas aux collectivités territoriales ce que d'autres auront choisi.
M. Jean-Baptiste Lemoyne . - Ce débat vient à point nommé. Le Premier ministre a en effet annoncé vouloir un grand acte de décentralisation. Mais avant tout nouvel acte de décentralisation, il est impératif de faire le bilan des précédents. Or l'enfer est pavé de bonnes intentions. (Mme Françoise Gatel approuve.)
Certains objectifs peuvent sembler séduisants, mais ils pourraient se révéler irritants. Ainsi, il est question de rationaliser des actions en matière de tourisme, culture ou sport. Or ce sont des compétences où les actions conjointes s'additionnent, fort heureusement. Imposer un chef de file serait en réalité soustraire des moyens en faveur de politiques contribuant à l'attractivité de nos territoires.
Interrogez un maire, un président d'EPCI ou un président de conseil départemental ou régional : tous vous le diront, le système est au bout du rouleau.
Saluons l'acte de Gaston Defferre qui a libéré des énergies. En revanche, la soi-disant stricte compensation des charges s'est révélée hélas destructrice.
L'acte II porté par Jean-Pierre Raffarin était sans doute louable, mais la loi relative aux libertés et responsabilités locales a aussi procédé à des transferts de charges non compensés. Texte mal né, par un 49.3, il a mal vieilli.
Les départements sont asphyxiés par le RSA. Dans l'Yonne, c'est 60 millions d'euros ; l'État en donne royalement 27 millions.
Le Sénat a été la vigie de l'autonomie financière des collectivités. Hommage soit rendu à Daniel Hoeffel.
Christian Poncelet soulignait « l'absolue nécessité de veiller à ne pas transformer les élus locaux en gestionnaires démotivés de ressources au sein desquelles les dotations préétablies occuperaient une part trop nettement prépondérante ». Pierre Mauroy le disait : « Un élu vote l'impôt. Sinon, c'est lui retirer sa liberté. »
Depuis quarante ans, tous les gouvernements ont péché. Les prélèvements sur recettes et les dotations de compensation sont illisibles. Les lois NOTRe et Maptam n'ont pas laissé que de bons souvenirs. Nous devons vivre avec des régions XXL. Et le Président de la République de dire crûment, en novembre 2023, que la décentralisation était cul par-dessus tête.
Il faut tout revoir, de la cave au grenier. Tout d'abord, l'État doit se concentrer sur le régalien, la jeunesse, l'innovation. Pourquoi ne pas faire passer les ARS dans le giron des régions ? Ensuite, nos concitoyens ont trop souvent le sentiment de ne plus avoir prise sur le cours des choses. Voyez la vitalité démocratique de nos voisins suisses. Enfin, nous devons répondre au besoin de réenracinement. Les territoires doivent garder leur identité, et nos outre-mer montrent utilement le chemin. Faisons du sur-mesure partout. La subsidiarité doit aller du bas vers le haut, depuis la commune.
Jean-Louis Borloo tiendra ici une causerie sur le fédéralisme à la française. Le principe fédératif de Proudhon doit être étudié de près.
Le temps n'est plus aux rustines, mais à la révolution territoriale. Alexandre Marc voulait qu'« au sein de l'Europe, la France renouvelée reprenne la route royale de la nation créatrice et libératrice ». (Applaudissements sur les travées du RDPI)
Mme Françoise Gatel, ministre. - Si l'on veut une clarification des compétences, il faut désigner un responsable. On l'a vu avec l'eau et l'assainissement. Les communes, je le rappelle, ont la clause de compétence générale.
La décentralisation va de pair avec la déconcentration. C'est en cours, et c'est une profonde révolution. Le préfet pourra décider du blocage d'une norme inadaptée à un territoire.
Ensuite, il faut donner du pouvoir normatif aux élus locaux. Il y a néanmoins un enjeu de judiciarisation : certaines collectivités ne souhaitent pas de pouvoir normatif, car elles ne peuvent pas en assumer les risques juridiques. La loi se devra dans doute d'être moins bavarde.
Oui pour l'autonomie fiscale et financière, mais je ne crois pas qu'on puisse se dispenser de dotations. Les grands pays fédéralistes comme l'Allemagne fonctionnent avec des dotations définies par région. Il faut ensuite un levier fiscal pour établir une égalité au regard du service rendu. À nous de trouver l'équilibre entre dotation et levier fiscal.
M. Pierre-Alain Roiron . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Lucidité oblige, quarante ans après les lois de décentralisation, nous sommes au seuil d'un nouveau modèle à inventer. Le partage du pouvoir est devenu une dilution du pouvoir.
Le Premier ministre annonce un grand acte de décentralisation, mais le PLF 2026 propose une trajectoire inverse. Or la décentralisation repose sur un triptyque : compétences, moyens, autonomie fiscale. Cette autonomie s'étiole, la dépendance aux dotations de l'État grandit, fragilisant la prévisibilité nécessaire aux investissements de long terme.
Au moment des débats sur la loi Defferre, le Premier ministre Pierre Mauroy disait déjà : « Aucun nouvel acte de la décentralisation ne pourra désormais se passer d'une réforme en profondeur de l'État central lui-même. » (M. Patrick Kanner acquiesce.) Le droit à la différenciation territoriale et l'affirmation du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales sont l'aboutissement logique de la décentralisation.
Une telle réforme appelle des moyens financiers. L'autonomie budgétaire et fiscale reste une condition sine qua non de toute décentralisation pérenne. C'est aussi toute l'architecture de nos compétences qu'il faut repenser.
Les doublons sont source de confusion. L'État définit les normes relatives à l'apprentissage et à la formation professionnelle, les régions gèrent l'orientation et le développement territorial. Voilà la dilution du pouvoir que nous dénonçons.
Même incohérence pour la politique du logement social : l'État fixe les quotas, les intercommunalités planifient, les départements financent. Cette fragmentation engendre lenteur et inefficacité, alors que des familles attendent un toit.
Il nous faut un principe simple : une compétence, un échelon, des moyens adaptés. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Françoise Gatel, ministre. - Vous confondez les temps. Jusqu'en 2029, c'est celui du redressement budgétaire. Il n'est pas donc contradictoire d'affirmer une ambition décentralisatrice et, à court terme, un budget de redressement des comptes publics.
Je suis d'accord avec M. Mauroy : commençons par définir ce que fait l'État !
Sur les financements, un mix entre dotations et capacité fiscale est une bonne solution, avec une clause de revoyure.
Il y a des problèmes de cohérence : en matière de formation professionnelle, la répartition des compétences n'est pas optimale ; pour le logement social, ce n'est pas depuis Paris que nous allons définir des zonages efficaces.
M. Lemoyne a raison : il faut évaluer l'efficacité de ce qui existe avant d'inventer de nouveaux dispositifs.
Présidence de Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidente
Mme Céline Brulin . - (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K) Merci pour ce débat qui touche au coeur de notre République. Mais regardons la réalité en face : nos territoires subissent un affaiblissement de la présence de l'État déconcentré et un recul continu des services publics : sous-préfectures exsangues, trésoreries amoindries, permanences de la CAF disparues, bureaux de poste devenus des agences postales communales à la charge des mairies... et j'en passe !
Les collectivités territoriales ont subi les mêmes coups de rabot. Elles assument de nouvelles missions et voient leurs ressources diminuer.
Les élus - les premiers à affronter les difficultés - le disent : la République s'éloigne quand le service public recule. Diminution de la DGF, réforme de la fiscalité locale sans concertation, manque d'ingénierie publique : les élus doivent faire plus avec moins. Et que dire de la multiplication des agences : sous couvert de concepts libéraux et technocratiques, les décisions s'éloignent encore davantage du terrain.
Un nouvel acte de décentralisation doit se traduire par plus de confiance envers les territoires, sans que l'État se désengage. Il faut un État partenaire, accompagnateur, aménageur du territoire... et pas un censeur de décisions prises en vertu de la libre administration des collectivités.
Nous défendons un modèle de coopération et plaidons pour la restauration de la clause générale de compétences pour toutes les collectivités territoriales, et pas seulement pour les communes. C'est ainsi que nous répondrons aux besoins des habitants.
Nous devons tirer les leçons d'une organisation territoriale où quelques métropoles devaient ruisseler en « mode gagnant-gagnant » sur l'ensemble de leur région. Or des territoires fragiles dévissent, les citoyens se sentent abandonnés. Il faut qu'aucun bassin de vie ne soit considéré comme une seconde zone. Rousseau disait : « C'est précisément parce que la force des choses tend toujours à détruire l'égalité que la force de la législation doit toujours tendre à la maintenir. »
Notre ambition, c'est une décentralisation solidaire, grâce à une péréquation renforcée pour réduire les écarts entre territoires riches et territoires pauvres. Aucune compétence ne peut être transférée sans compensation pérenne.
« Dangereux », « indigeste », « une saignée sans précédent », « une purge massive », « une punition collective » : voilà un florilège des qualificatifs qu'attribuent les associations d'élus à votre budget. L'austérité est la seule chose que vous décentralisez !
Au contraire, les collectivités territoriales doivent devenir les fabriques du changement. Donnons-leur du souffle et des moyens ; ainsi, nous oeuvrerons pour notre économie, pour la cohésion sociale, pour la démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et sur quelques travées du groupe SER)
Mme Françoise Gatel, ministre. - Je ne regrette pas d'être venue... Ne feriez-vous pas un procès en excès ?
J'ai visité cinquante départements, je n'y ai pas vu les mêmes difficultés que vous. Je ne puis pas laisser dire que l'État aurait disparu des radars : six nouvelles sous-préfectures ont été créées. Les préfets et sous-préfets sont dans un rôle d'accompagnement et de facilitateur, non plus de censeurs.
Quand vous parlez des bureaux de Poste, vous êtes trop sérieuse pour que je vous croie. Parfois, le bureau était vide et fermé dès quinze heures. Les communes ont donc créé des zones multiservices. Le monde change, acceptons de nous transformer.
Notre budget n'est pas un budget d'austérité, c'est un budget de redressement : la nuance est nécessaire et juste.
Mme Céline Brulin. - Il y a désormais autant d'agences postales que de bureaux de poste, et nombre de missions sont aujourd'hui passées à la charge des collectivités territoriales. On peut se contenter de ce budget, mais il réunit l'unanimité des collectivités territoriales contre lui.
L'heure est au dialogue ? Ce n'est pas ce que j'entends dans vos propos. On transfère aux collectivités non seulement l'austérité, mais aussi l'endettement de l'État. Nous aurons abîmé encore davantage notre cohésion nationale. Nous ne souhaitons pas emprunter ce chemin. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)
Mme Ghislaine Senée . - Le Premier ministre nous invite à définir un nouveau projet pour les territoires.
Or l'État est aujourd'hui dans une situation de fragilité politique extrême : absence de majorité stable, menace de dissolution, défiance généralisée envers les élus, mais aussi embouteillage électoral à venir - municipales, présidentielles, législatives. Annoncer un nouvel acte de décentralisation dans ces conditions crée au mieux de la défiance, au pire de la colère. Les élus sont agacés ; ils n'ont pas besoin d'un grand soir institutionnel, mais de visibilité, de moyens humains et d'outils juridiques clairs.
Depuis dix ans, la décentralisation est moins en panne qu'en recul. Une recentralisation silencieuse et profonde s'opère.
Le PLF prévoit une ponction de 6 à 7 milliards d'euros sur les budgets locaux. Ces coupes signifient moins de rénovations d'écoles, moins de réseaux de bus, moins de transition écologique.
Pour notre groupe, la décentralisation ne se limite pas à une simple répartition des compétences. Je me méfie de votre prétendu pragmatisme et bon sens, madame la ministre. Pour nous, la décentralisation est un projet politique fondé sur la subsidiarité et la confiance. Nous défendons un fédéralisme différencié, avec des régions autonomes, et un bloc communal fort, car c'est là que tout se joue : rénovation des logements, circuits alimentaires, tissus associatifs...
Les communes et intercommunalités doivent composer avec des appels à projets illisibles et des injonctions contradictoires, soit l'inverse de la subsidiarité.
Parlons transition écologique. Sans investissement local, la France ne tiendra pas sa trajectoire climatique. Il faut changer de méthode. La décentralisation n'existe pas sans autonomie fiscale et financière. Il faut garantir aux départements des ressources stables et compenser les transferts de charges, condition de l'efficacité locale.
La décentralisation doit être un progrès démocratique, non une régression. On ne redonne pas du pouvoir aux territoires en reconcentrant le pouvoir dans les mains de quelques-uns. Le retour du cumul des mandats serait un contresens. La transition écologique exige de la proximité et de l'écoute et ne se pilote pas à temps partiel.
Nous demandons l'arrêt des ponctions sur les collectivités territoriales, un fonds dédié à la transition écologique territoriale, avec une réelle trajectoire pluriannuelle, et plus d'autonomie financière locale.
La transition écologique ne peut se faire sous tutelle ; elle exige de la confiance. Que l'État desserre le garrot.
Mme Françoise Gatel, ministre. - Devons-nous rester immobiles, au risque de chuter, comme le cycliste qui ne pédale plus ? Il faut se fixer un horizon pour améliorer le pays et redresser nos finances publiques.
Les paroles du Premier ministre engendreraient de la colère et de l'incompréhension... pour certains, elles suscitent aussi de l'envie !
Je n'ai jamais promis de grand soir ! Je déteste cela, car on risque les petits matins blêmes.
Il faut définir ce que nous faisons avec quels moyens. L'État a largement supprimé les appels à projets.
J'ai moi-même été confrontée à ces injonctions contradictoires quand, maire de ma commune, je devais défendre un projet : je poussais la porte de six bureaux et revenais avec cinq injonctions contradictoires et une migraine. Aussi, quand on renforce le pouvoir du préfet, on simplifie et on accompagne.
Et je vous rappelle que l'État a mis en place les contrats pour la réussite de la transition écologique (CRTE).
Mme Ghislaine Senée. - La question n'est pas de rester immobile ou non : dans les collectivités, il n'y a même plus de vélo ! Sans autonomie financière des collectivités territoriales, rien n'est possible.
Avec ce débat, le Premier ministre occupe le terrain ; mais nous, nous devons avoir les moyens d'agir ; nous en débattrons lors de l'examen du PLF.
M. Jean-François Longeot . - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Décentraliser est nécessaire, souhaitable et attendu, mais comment y parvenir quand tout le monde fait tout sans savoir qui est responsable de quoi ? Ce millefeuille administratif coûte 7,5 milliards d'euros par an. Le réduire, c'est trancher le noeud gordien qui entrave toute décentralisation.
Appliquons le principe suivant : une norme créée, une norme supprimée. Et surtout, n'ajoutons pas de la complexité à la complexité ! Comment le Gouvernement entend-il désembrouiller ce millefeuille ?
Les filières à responsabilité élargie du producteur (REP) sont victimes de la réglementation. Jacques Fernique et Marta de Cidrac, dans leur rapport d'information sur l'application de la loi Agec, demandent une stratégie industrielle interministérielle claire et déclinée au niveau régional.
Le fonds Économie circulaire pourrait être le bras armé des régions, cogéré avec l'Ademe : à l'État la stratégie, aux territoires l'action. La décentralisation doit s'accompagner de la confiance, et des moyens nécessaires pour les administrations compétentes.
La décentralisation des financements de l'économie circulaire aux régions fera-t-elle partie de l'acte de décentralisation voulu par le Premier ministre ?
Enfin, décentraliser, c'est rapprocher le pouvoir du citoyen, principe fondateur de la décentralisation, qui doit s'accompagner du plein exercice des libertés locales ; or elles ont été réduites, comme en témoigne la suppression de la taxe d'habitation, qui a distendu le lien civique entre le citoyen et la collectivité et a réduit l'autonomie financière des communes.
Il est temps de resserrer ce lien. Il faut faire confiance à l'expertise des élus locaux, ce qui passe par la réaffirmation de l'autonomie fiscale comme pilier de notre République. Pourquoi ne pas l'ériger en principe constitutionnel ? Ce serait un signal fort.
Comment le Gouvernement entend-il redonner aux collectivités les moyens réels de leur autonomie fiscale ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC)
Mme Françoise Gatel, ministre. - Nous construirons cette décentralisation ensemble. Ce n'est pas au travers d'un PLF que nous réformerons avec pertinence le financement des collectivités territoriales. Nous réfléchirons aux compétences en matière d'économie circulaire. Il faut de la cohérence : une collectivité s'occupant d'économie ne devrait-elle pas s'occuper également de formation et d'emploi ?
Nous devons partir des services à rendre pour définir le niveau pertinent et les moyens associés.
Les avis diffèrent : certains suggèrent de doter toutes les collectivités territoriales de la clause de compétence générale ; d'autres veulent des collectivités territoriales cheffes de file.
J'ai proposé au Premier ministre une démarche d'évaluation des normes. Il faut guérir de l'excès de normes et en alléger le flux, car elles sont contradictoires, coûteuses et nous empêchent d'agir.
Tout projet de loi mériterait d'être précédé d'une étude d'option, ainsi que nous l'avions recommandé avec M. Pointereau : un texte est-il vraiment nécessaire ? Et dans chaque texte, il faudrait une clause guillotine, comme en Angleterre.
M. Pascal Allizard . - (Applaudissements sur les travées du groupe LR) Nous constatons tous les difficultés quotidiennes des collectivités territoriales, en particulier les plus modestes, ainsi que l'affaiblissement des services déconcentrés de l'État, faute de moyens.
Les finances du pays sont fortement dégradées et doivent être redressées. Mais en fragilisant l'investissement des collectivités territoriales, on affecte des pans entiers de l'économie. N'assistons-nous pas à une recentralisation financière ?
Les normes entravent l'action des collectivités. L'État leur dit quoi faire et comment le faire : cela n'est plus possible ! La mise en oeuvre de la garantie communale d'un hectare, dans le cadre du ZAN, l'illustre. Les interprétations de l'administration varient d'un département à l'autre et d'une administration à une autre. La réponse à ma question écrite est totalement décourageante... Ne faisons pas des territoires ruraux une réserve naturelle pour urbains en mal de campagne !
L'échelon local a vécu des évolutions positives en quarante ans, mais les difficultés s'accumulent. Comment lever les irritants et donner un nouvel élan à la décentralisation, clarifier les compétences et restaurer la confiance entre l'État et les collectivités territoriales ?
Mme Françoise Gatel, ministre. - Le Sénat a dénoncé l'absence d'étude d'impact du ZAN et souligné l'incohérence d'un objectif de frugalité foncière appliqué de manière uniforme. D'où la proposition de loi Trace, qui sera examinée à l'Assemblée nationale. Je rencontrerai sénateurs et députés et espère que nous cheminerons ensemble.
Toutes les normes ne sont pas utiles, voyez le rapport de Boris Ravignon. Elles ont coûté entre 2009 et 2023 plus de 14 milliards d'euros ! Soyons dans la frugalité normative et mettons en oeuvre les préconisations du Sénat, en lien avec le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), pour nous attaquer au stock et retrouver du pouvoir d'agir.
M. Pascal Allizard. - Merci d'avoir cité Honfleur et Deauville tout à l'heure ! En 2024, les nouvelles normes ont entraîné 450 millions d'euros de dépenses supplémentaires pour nos collectivités. Il faut arrêter !
Mme Isabelle Briquet . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La décentralisation est un pilier de notre démocratie. Elle repose sur le principe de la libre administration des collectivités territoriales. Mais celui-ci n'a de sens qu'avec une véritable autonomie financière. Or celle-ci est gravement fragilisée. En trois ans, l'épargne nette des collectivités territoriales a chuté de 40 %, alors que l'État leur demande de s'engager dans la transition écologique, la rénovation énergétique, etc.
Le Premier ministre veut renouer la confiance avec les territoires et ouvrir un nouvel acte de décentralisation ; mais le projet de budget pour 2026 consacre une logique inverse, en opérant une recentralisation financière ! Dès lors, comment parler de confiance ? Peut-il y avoir libre administration sans autonomie fiscale ?
La suppression de la taxe d'habitation et la diminution des impôts de production ont eu pour effet de nationaliser les recettes locales. Or il n'est pas d'autonomie locale si la collectivité territoriale ne peut ajuster ses ressources à ses charges.
Le Gouvernement envisage-t-il un retour de fiscalité locale adaptée à chaque strate de collectivité territoriale ? Ce n'est qu'ainsi qu'on pourra redonner sens à la libre administration.
On ne bâtit un nouvel acte de décentralisation que sur la clarté, la stabilité et la responsabilité. Les collectivités territoriales ne sont pas un appendice budgétaire de l'État, elles en sont le socle opérationnel. Le Gouvernement doit ouvrir un chantier sur la fiscalité locale, en lien avec les associations d'élus et le Parlement, afin que chaque niveau dispose de ressources propres adaptées à ses compétences. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Françoise Gatel, ministre. - J'y insiste, nous devons redresser nos finances publiques afin de garantir le fonctionnement de nos services publics - sans quoi ces derniers disparaîtront.
Les finances locales doivent être réformées, j'en conviens. Ainsi, près de 70 % des dépenses des départements sont des dépenses sociales. Quand les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) progressaient, les départements se réjouissaient, jusqu'à ce qu'avec la crise de l'immobilier leurs ressources s'évanouissent. Le rapport d'Éric Woerth l'explique très bien : les départements devraient recevoir une part de CSG.
Les collectivités territoriales ne sont ni les commis de l'État ni ses appendices ; ce sont des acteurs essentiels de la cohésion sociale.
Mme Isabelle Briquet. - Si les collectivités territoriales n'ont plus de marges de manoeuvre, pourquoi parler de décentralisation ? Parlez plutôt de déconcentration, mais ce n'est pas ce que nous souhaitons. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
M. Patrick Chaize . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le Premier ministre appelle à un acte IV, alors que le Président de la République a recentralisé l'État depuis 2017. Dans le contexte politique actuel, il serait illusoire d'attendre un grand bouleversement institutionnel. Réaffirmons plutôt des principes fondamentaux pour avancer.
D'abord, le département est un pilier de l'action publique de proximité, au même titre que la commune et l'État. Cessons d'agiter la menace de sa disparition et de sa recentralisation. Les réalités territoriales sont diverses : instaurons un droit à la différenciation. Le département ne doit pas être réduit à un rôle de guichet social.
Ensuite, la libre administration doit être pleinement respectée. Les décisions nationales affectant les finances locales doivent être concertées et compensées à l'euro près, faute de quoi il n'y aura ni autonomie ni liberté.
De même, il est temps de rétablir une véritable autonomie fiscale pour refonder le lien entre impôt, action publique et contribuable.
L'État doit se recentrer sur ses compétences régaliennes, notamment la sécurité. Pour le reste, faisons confiance aux collectivités. La question est moins celle des compétences que celle de la confiance dans l'élu local et la force du terrain. L'État veut trop en faire, alors que la réponse doit être locale, grâce à une autonomie fiscale et financière.
Nous avons besoin de proximité, de liberté et de souplesse. Redonner les moyens d'agir aux collectivités territoriales, ce n'est pas affaiblir la République, c'est la renforcer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Françoise Gatel, ministre. - La confiance entre partenaires pose un enjeu d'efficacité de l'action publique jusqu'au dernier kilomètre. Il faut définir le rôle de l'État : régalien et péréquateur.
Réfléchissons à partir des services à rendre et voyons quelle collectivité est la plus à même d'y répondre. Par exemple, le département est bien placé en matière de très haut débit, on l'a vu.
Et pourquoi ne pas envisager de renationaliser certains dispositifs, quand les départements n'en sont que de simples exécutants ? Je pense à l'expérimentation en cours sur le RSA.
Nous sommes ici sous la protection de Portalis, qui disait que la loi doit être faite pour les hommes et non les hommes pour la loi. Les citoyens veulent des normes pour être protégés. Mais le législateur charge parfois la barque. Faisons confiance aux élus : le maire est aussi responsable qu'un parlementaire !
M. Patrick Chaize. - Puisque le constat est partagé, il n'y a plus qu'à ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Françoise Gatel acquiesce.)
M. Simon Uzenat . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Plus que jamais, la décentralisation est l'avenir. Contre la colère ou le défaitisme de nos concitoyens, il y a le pouvoir d'agir local. Ils nous demandent plus de proximité et de différenciation. L'État doit se recentrer sur le régalien et la péréquation, en laissant aux collectivités territoriales la responsabilité de la vie quotidienne de nos forces vives - citoyens, associations, entreprises.
La région Bretagne défend l'autonomie, notamment fiscale et financière, alors que 80 % des recettes des départements et des régions sont des transferts de l'État. Les recettes des régions sont déconnectées de leurs compétences : elles perçoivent des taxes sur les cartes grises et les carburants, alors qu'elles promeuvent les mobilités douces...
Nos territoires sont tous différents : il faut de la différenciation. Certains évoquent la notion d'autorité organisatrice ; d'autres veulent réviser l'article 72 de la Constitution. Qu'allez-vous faire concrètement pour renouer la confiance avec les élus locaux ?
Dernière question : les Bretons et les habitants de la Loire-Atlantique attendent une consultation sur le rattachement de ce département à la région Bretagne, pour reconstituer la Bretagne historique.
Mme Françoise Gatel, ministre. - Ah !
M. Simon Uzenat. - Prévoyez-vous de tenir cette consultation ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER)
Mme Françoise Gatel, ministre. - Pour différencier, il faudrait réviser l'article 72 de la Constitution, mais on m'a rappelé que le Gouvernement était très précaire...
Le pouvoir réglementaire local est reconnu depuis la loi du 8 avril 1884 pour les communes - depuis 1983, pour les départements et aux régions. Il n'y a plus qu'à - ou presque, comme dirait le sénateur Chaize.
Dans le panier de ressources, il faut des dotations et un levier fiscal. L'an dernier, le Parlement a autorisé les régions à instaurer un versement mobilité additionnel ; certaines régions, dont la Bretagne, s'en sont saisies.
C'est le maréchal Pétain qui a mis fin à la Bretagne à cinq départements. Le rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne est un vieux débat. Mais intéressons-nous aussi à la région qui perdrait un département.
M. Simon Uzenat. - La confiance repose sur le respect de la parole de l'État, abîmée par la non-compensation et la modification des règles du jeu sur le FCTVA...
Oui au redressement budgétaire, mais le remède ne doit pas être pire que le mal. Or vous vous en prenez à la commande publique, moteur de la croissance.
Nous voulons offrir un bouquet de solutions aux régions, avec notamment une taxe de séjour additionnelle, comme en Île-de-France.
M. Christian Klinger . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La décentralisation est un serpent de mer. Le jacobinisme est tenace : Paris concentre pouvoirs et ressources. Notre complexité institutionnelle rend le système illisible.
Au plus haut niveau de l'État - à l'Élysée - , la décentralisation n'est pas en odeur de sainteté. Il y règne un parfum de jacobinisme avec une note florale de narcissisme persistant.
Le paquebot France prend l'eau et on s'enfonce dans les abîmes à 3 400 milliards sous les mers. Les passagers se font séduire à tribord par la sirène Marine et à bâbord par la sirène Mathilde, qui nous conduit droit dans le Panot. (Sourires à droite)
Le système est à bout de souffle et nous devons avoir le courage de faire un mini big-bang territorial.
Mon mentor en politique, Adrien Zeller, militait pour le droit à l'expérimentation en Alsace. Il faut oser ! La Collectivité européenne d'Alsace (CEA), née de la fusion des deux départements alsaciens en 2019, exerce les compétences des départements et certaines de l'État, avec la possibilité d'adapter les politiques publiques aux spécificités alsaciennes.
Nous sommes au milieu du gué. En transférant d'autres compétences, nous ferions disparaître une strate de notre millefeuille institutionnel et ferions d'importantes économies de fonctionnement - 100 millions d'euros par an avec la création de la CEA ! La solution est là : décentralisation, simplification, mise en oeuvre des politiques publiques par les élus locaux, dans le respect de l'unité républicaine.
Mme Françoise Gatel, ministre. - L'Alsace n'est pas une collectivité à statut particulier de l'article 72 de la Constitution. C'est l'exemple même de la différenciation, compte tenu de son caractère transfrontalier. Je vous propose d'en évaluer la mise en oeuvre. Mais ne faisons pas du copier-coller.
Depuis 2017, la loi 3DS a permis des évolutions, tout comme la loi Engagement et proximité.
M. Christian Klinger. - Un bilan d'étape serait bienvenu. Sabine Drexler le confirmera, les élus attendent de nouveaux transferts de compétences, mais avec les moyens correspondants.
Mme Françoise Gatel, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation . - Merci à tous pour ces échanges très riches. Je sais le Sénat, par ses travaux, très engagé dans la confiance entre État et territoires.
La décentralisation n'est pas une question technique, mais relève du pacte républicain. La République fonctionne sur deux piliers : l'État et les collectivités, qui doivent être responsables et capables de fournir les services attendus par nos concitoyens.
Les réformes successives ont souvent complexifié et créé des irritants - voyez la loi NOTRe avec des transferts obligatoires de compétences faisant fi de la réalité.
Depuis 2017, nous avons avancé, à petits pas : loi Engagement et proximité, loi 3DS, simplification, expérimentation.
Il nous faut réaffirmer un cadre clair de responsabilités partagées. Il n'y a pas de donneur d'ordre ni de sous-traitants, mais des partenaires.
Nous devons, toutefois, traverser le gué du déficit budgétaire.
Je souhaite, enfin, ouvrir la chasse à la norme.
Nous allons entamer ce travail, à la demande du Premier ministre, avec les parlementaires, les élus et leurs associations.
M. François Bonhomme, pour le groupe Les Républicains . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Voilà plus de deux siècles que notre organisation territoriale et administrative est marquée d'un côté par le centralisme jacobin et de l'autre par l'esprit des provinces. Mais si la République a consacré un État fort garant de la cohésion et de l'égalité, elle a souvent confondu unité et uniformité.
Les lois Defferre ont permis de décentraliser, de rapprocher les citoyens des centres de décision et de responsabiliser les élus ; mais la promesse n'a pas été pleinement tenue.
En 2009, le Comité Balladur dressait un bilan sévère de la décentralisation, déplorant que l'organisation locale n'ait cessé de se complexifier, entraînant perte d'efficacité, coût élevé et manque de transparence - la Cour des comptes l'a confirmé en 2023. Diverses lois ont aggravé la situation : loi de 2010, funeste loi NOTRe, loi Maptam...
Notre grave crise budgétaire doit nous conduire à repenser le rôle de l'État. Car à vouloir trop faire, il agit maladroitement : dépenses à la dérive, bureaucratie gesticulatoire et léthargique, doublons administratifs... L'État doit se recentrer sur ses missions régaliennes : sécurité, justice, défense, politique migratoire, stratégie énergétique et diplomatie. Pour tout le reste, ce sont les collectivités territoriales qui doivent agir, car c'est la proximité qui fait l'efficacité. Un maire connaît mieux qu'un préfet les besoins de sa commune. L'organisation y est claire : un responsable - le maire -, un territoire, un budget.
L'État ne doit pour autant pas être éloigné. Il faut articuler déconcentration et décentralisation, comme le recommande Éric Woerth. Mais l'État doit transférer des compétences, avec de vrais moyens.
Le Gouvernement parle de clarification des responsabilités : nous y souscrivons, mais dans une subsidiarité ascendante. On ne peut pas être plus clair que l'association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) : subsidiarité ascendante, autonomie financière et fiscale, pouvoir réglementaire local et redéfinition du sacro-saint principe de libre administration.
Nous devrons aussi nous attaquer à l'indigeste millefeuille territorial. L'enchevêtrement des compétences est illisible et coûteux.
La décentralisation ne saurait être un transfert des compétences sans transfert de moyens - prix de la liberté. Or c'est ce que l'État fait depuis des années... À quoi bon promettre un nouvel acte de décentralisation quand le PLF prévoit de ponctionner les finances locales : gel de la DGF, réduction du fonds vert, reconduction et augmentation du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico), coup de rabot sur les prélèvements sur recettes (PSR), augmentation de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) ?
La promesse d'un projet de loi de décentralisation par le Premier ministre a-t-elle de réelles chances d'aboutir dans les prochains mois ? Un peu moins de sermons, un peu plus de praxis ! Et n'attendons pas le grand rendez-vous de la présidentielle, faux-fuyant confortable de nos propres renoncements. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Frédérique Puissat. - Bravo !