Fiscalité du travail, fiscalité du capital : quels équilibres ?

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Fiscalité du travail, fiscalité du capital : quels équilibres ? », à la demande du groupe SER.

M. Thierry Cozic, pour le groupe SER .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST ; M. Bernard Buis applaudit également.) L'heure du bilan économique tant vanté du macronisme semble avoir sonné.

Avec 100 milliards d'euros de dividendes et de rachats d'actions en 2024 -  record historique et européen  - , il est grand temps de s'interroger sur les réformes de la fiscalité du capital depuis huit ans, dans un pays où la pauvreté touche 10 millions de personnes -  record historique là aussi... Le mandat d'Emmanuel Macron a fait plonger 1,2 million de personnes dans la pauvreté.

Depuis le milieu des années 1960, le niveau moyen de taxation des revenus du capital est resté stable, alors que celui des revenus du travail a fortement augmenté.

En France, la taxation des sociétés a fortement augmenté au cours des années 1970, puis a diminué jusqu'au milieu des années 1990, pour atteindre un niveau historiquement bas d'environ 15 %. Même évolution pour la taxation des revenus des capitaux entre les années 1970 et 1990, même si cette taxation a ensuite augmenté depuis le début des années 1990. En revanche sur la même période, la taxation des revenus du travail n'a cessé d'augmenter.

Plusieurs changements structurels expliquent ces évolutions : mondialisation, nouvelles technologies et déréglementation du marché du travail. La libéralisation financière a également réduit le taux moyen d'imposition sur les sociétés et les revenus du capital, à la faveur de la montée en puissance des investisseurs institutionnels. La fiscalité s'est donc davantage portée sur les revenus du travail, moins mobiles.

En 2007, dans le Financial Times, Alan Greenspan observait que « la part des salaires dans le revenu national aux États-Unis et dans d'autres pays développés atteint un niveau exceptionnellement bas. ». La même année, la Banque des règlements internationaux (BRI) notait que « la part des profits est inhabituellement élevée et la part des salaires inhabituellement basse. » Depuis, le phénomène s'est accentué.

La politique de l'offre devait conduire à un ruissellement ; tel ne fut pas le cas. Pourtant le Président de la République n'a eu de cesse de réduire la taxation des grands groupes, à grands frais. Le taux de l'impôt sur les sociétés est ainsi passé de 33 % à 25 % entre 2016 et 2022. Conséquence : alors que le bénéfice fiscal des redevables de l'impôt sur les sociétés a augmenté de plus de 71 %, le montant de l'impôt sur les sociétés acquitté n'a augmenté que de 31 %.

Pire, les entités qui ont le plus bénéficié de cette baisse massive sont les plus grands groupes. Selon l'Insee, le montant d'impôt sur les sociétés dont ils se sont acquittés, rapporté à leur excédent net d'exploitation, a diminué de cinq points sur 2016-2022, pour atteindre 14,3 %. C'est bien plus que ce qu'ont obtenu les PME, dont le taux implicite d'impôt sur les sociétés s'établit à 21,4 % en 2022. Jamais le capital n'a été aussi gâté. Cette politique de l'offre a été inefficace et coûteuse, au point d'avoir fait dérailler notre déficit.

Mais tous n'ont pas été perdants : les 500 personnes les plus riches de France ont vu leur fortune multipliée par six au cours des seize dernières années, grâce à nos décideurs publics. Depuis que le Président Macron est au pouvoir, la rémunération des actionnaires a crû de plus de 114 % et les rachats d'action de 286 %, alors que le Smic brut n'augmentait que de 19 % et le salaire moyen brut de 15 %. Le Gouvernement s'est toujours opposé à une augmentation minime du Smic, qui aurait pourtant permis un choc de demande et des gains de productivité.

Voilà le choix économique fait depuis huit ans : une politique de l'offre -  presque de l'offrande  - qui accroît les marges des entreprises et vise un plein emploi dégradé, au prix de la baisse de la productivité, de la précarisation des travailleurs et de la destruction de notre modèle social. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État .  - Ce débat renvoie à la question des finances publiques, mais aussi à la nature de notre contrat social. C'est certes une question budgétaire, mais d'abord économique, sociale et politique.

La première urgence est sociale : les Français ont le sentiment que le travail ne paie plus. L'écart entre salaire brut et salaire net, l'insuffisante mobilité salariale, le poids des dépenses contraintes -  logement, transport  - rognent le pouvoir d'achat et minent le contrat social.

La seconde urgence est économique, en raison de l'accélération des investissements. La Chine dégage un capital considérable qu'elle met au service d'une ambition stratégique, menaçant la souveraineté européenne. Les États-Unis mobilisent aussi massivement des capitaux pour investir en faveur de l'IA.

Le lien entre ces deux urgences, c'est la croissance. Si nous avions le taux de productivité des États-Unis ou le taux d'emploi de l'Allemagne, nous n'aurions plus de problème de finances publiques.

J'en tire quatre conclusions. La première, c'est que nous devons réduire la dépense publique pour éviter une nouvelle explosion des prélèvements obligatoires. Selon l'étude indépendante de France Stratégie, la France est championne pour la taxation du travail et du capital.

La seconde, c'est qu'il convient d'éviter la notion fourre-tout de « capital » : parlons plutôt de l'épargne des Français et de son usage. Nous devons encourager la réindustrialisation plutôt que la rente. D'où la baisse des impôts de production depuis 2018, poursuivie dans ce projet de budget.

Lutter contre les rentes, c'est lutter contre l'optimisation fiscale abusive, mais aussi le blanchiment et la fraude. (Mme Nathalie Goulet acquiesce.) D'où la contribution différentielle sur les hauts revenus, la suppression de niches fiscales et la taxe sur les rachats d'actions.

Troisième conclusion : si nous voulons éviter que le capital se joue des frontières, nous devons nous coordonner à l'échelon européen et international. L'instauration d'une imposition minimale des sociétés dans le cadre de l'OCDE montre que c'est possible. Nous devons faire la même chose pour les très grandes fortunes : la France a lancé des travaux en ce sens à l'occasion du G20 qui s'est tenu au Brésil.

Nous devons aussi réfléchir au financement de notre protection sociale, qui repose essentiellement sur le travail, en revoyant l'assiette de la protection sociale afin qu'elle n'écrase pas le pouvoir d'achat des actifs. (Exclamations sur les travées du groupe SER)

La fiscalité est avant tout affaire de confiance. L'impôt n'est accepté que s'il est compris et juste. (Mêmes mouvements) Nous devons donc rendre notre fiscalité plus juste, en demandant des efforts à ceux qui peuvent en faire. D'où la contribution différentielle sur les hauts revenus et la surtaxe de l'impôt sur les sociétés. (M. Thomas Dossus renchérit.)

Notre fiscalité doit aussi être stable, sans quoi cela crée de la méfiance et sape la confiance en l'impôt. La France a une passion fiscale, tous partis confondus, car il est plus facile d'augmenter les impôts que de s'attaquer à nos politiques publiques, ce qui devrait pourtant être notre priorité. (M. Bernard Buis applaudit.)

M. Emmanuel Capus .  - Alors que les Turcs étaient aux portes de Constantinople, les Byzantins débattaient du sexe des anges.

M. Olivier Paccaud.  - C'est vrai...

M. Emmanuel Capus.  - Ce soir, alors que la France craque, que l'hôpital est exsangue, que les collectivités territoriales sont à l'os, nous allons débattre des impôts que souhaitent créer les socialistes. (Murmures désapprobateurs sur les travées du groupe SER)

Comme si la frénésie fiscale des députés ne suffisait pas et comme si nous n'étions pas déjà les champions du monde des prélèvements ! Ce débat est décalé, lunaire... (M. Thierry Cozic proteste.) Si la gauche était au pouvoir, l'alternative serait simple : augmentation des impôts ou augmentation des impôts.

Pourtant, notre seul débat devrait porter sur la baisse de la dépense publique. Pas moins de 82 % des Français préfèrent que nous baissions la dépense publique plutôt que d'augmenter à nouveau les impôts.

Quelle dépense publique le Gouvernement proposera-t-il de baisser afin de rendre leur argent aux Français ? (Mme Émilienne Poumirol lève les bras au ciel ; applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Delahaye applaudit également.)

M. David Amiel, ministre délégué.  - Oui, la dépense publique devrait être au coeur de nos débats. Voilà pourquoi le Gouvernement a proposé un effort inédit sur les dépenses de l'État.

Les deux postes qui ont le plus augmenté depuis trente ans sont les retraites et les dépenses d'assurance maladie, en raison du vieillissement de la population. (Mme Émilienne Poumirol renchérit.) Pour maîtriser notre trajectoire, nous devons nous attaquer à des dépenses moins prioritaires.

Si nous devons concentrer les moyens de l'assurance maladie là où nous en avons besoin -  modernisation de l'hôpital, notamment  - , d'autres dépenses médicales devront être réduites.

S'agissant des retraites, il est évident que nous devrons travailler plus longtemps.

Mme Émilienne Poumirol.  - Jusqu'à 68 ans ?

M. David Amiel, ministre délégué.  - Certes, il n'existe pas de consensus politique au Parlement, mais j'espère que la conférence lancée ce matin avec les partenaires sociaux permettra de dégager des scénarios sur lesquels les Français se prononceront.

M. Jean-Baptiste Blanc .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Emmanuel Capus applaudit également.) L'an dernier, le rapport Bozio-Wasmer soulignait que la politique de réduction des cotisations sociales avait créé un mur de charges, freinant la progression salariale des classes intermédiaires. Le RSA, la prime d'activité et les aides au logement ont accentué ce phénomène. Les allègements de charges sont trop concentrés et ne montent pas assez haut.

L'article 18 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 réforme assez modestement les allègements généraux. Alors qu'il faut lutter contre la smicardisation et les trappes à bas salaire, le Gouvernement entend-il poursuivre cette réforme pour aller jusqu'à 3,5 Smic ? Cela permettrait de soutenir les salaires intermédiaires et d'améliorer la compétitivité des entreprises sur les niveaux de rémunération les plus exposés à la concurrence internationale.

M. David Amiel, ministre délégué.  - Le rapport Bozio-Wasmer rappelle que les allègements de charges ont permis la création massive d'emplois.

Les allègements de charges apparaissent comme des dépenses publiques, mais c'est un artefact comptable.

Certains à gauche réfléchissent à la possibilité de rendre les cotisations sociales progressives.

La massification des allègements de charges au niveau du Smic a créé de l'emploi, mais aussi des trappes à bas salaires. Le PLFSS prévoit donc de modifier la courbe des allègements de charges.

M. Bernard Buis .  - Je profite de ce débat pour aborder une question, non pas nouvelle - le candidat Hamon l'avait proposée en 2017, afin de financer sa proposition de revenu universel -, mais peu présente dans le débat budgétaire : la taxation des robots, des applications digitales et de l'IA.

Est-il justifié que le robot ne donne lieu à aucune cotisation sociale, alors qu'il nécessitera lui aussi des soins... En mai dernier, Michel-Édouard Leclerc imaginait que ces applications paient une part de charges sociales. Il ne s'agit pas de freiner l'innovation, mais de répondre à une question éthique et de rapport au travail.

Que pensez-vous d'une telle taxation pour préserver notre modèle social ? Une telle réflexion ne mérite-t-elle pas d'être menée à l'échelon européen pour éviter tout exil fiscal ? Ma question a été travaillée avec l'aide non pas de l'IA, mais d'un collaborateur, en chair et en os.

M. Pascal Savoldelli.  - Bravo !

M. David Amiel, ministre délégué.  - Il n'y a pas de consensus économique sur l'impact de l'IA sur l'emploi.

S'agissant des robots, les travaux de Philippe Aghion montrent que la robotisation permet aux entreprises de rester compétitives et donc de créer de l'emploi - voyez l'exemple allemand.

Il faut réfléchir à l'assiette de la protection sociale sans pour autant peser trop lourdement sur l'appareil productif. Intéressons-nous plutôt aux rentes.

Nous devons travailler au niveau européen, comme pour le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) ou la taxation des géants du numérique.

Nous n'en sommes qu'aux balbutiements de l'IA. Notre fiscalité devra être refondue. De même qu'il faut encourager le capital vert au détriment du capital brun, pour tenir compte de la transition écologique.

Mme Isabelle Briquet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le Gouvernement a choisi de baisser les impôts de production au nom de la compétitivité, de l'investissement et de l'emploi. Mais les résultats ne sont pas au rendez-vous, selon l'Institut des politiques publiques (IPP). Des milliards d'euros dépensés, sans effet ! Et pourtant, le Gouvernement poursuit dans la même voie : la baisse de la CVAE aura un coût de 1,1 milliard d'euros (M. Olivier Rietmann s'exclame), avant sa suppression d'ici à 2028.

Vous confondez politique économique et politique du chèque en blanc. À la fin, ce sont quelques actionnaires du CAC 40 qui y gagnent et non les Français, hélas ! Monsieur le ministre, croyez-vous encore sincèrement à la théorie du ruissellement ?

M. David Amiel, ministre délégué.  - Je crois à la politique de l'offre. Renforcer l'appareil productif français doit être une priorité transpartisane -  voyez les pays scandinaves. D'ailleurs, la politique de l'offre a commencé sous François Hollande (Mme Émilienne Poumirol le reconnaît en souriant) : rapport Gallois, loi El Khomri... (MmeFrédérique Espagnac et Annie Le Houerou protestent.) Ces politiques, qui ont permis de redresser la compétitivité française, ont été poursuivies sous les deux mandats d'Emmanuel Macron.

Citez donc intégralement les études de l'IPP : il n'y a pas eu de coût budgétaire, car l'effet d'assiette, qui a augmenté, a compensé l'effet de taux, qui a baissé. (M. Thomas Dossus s'exclame.) De plus, notre pays est encore le plus attractif d'Europe, pour la cinquième année consécutive ; le taux de chômage est historiquement bas...

M. Thierry Cozic.  - Il remonte !

Mme Isabelle Briquet.  - Selon Eurostat, le taux de chômage est de 7,6 %, en juillet 2025, contre 7,4 % un an plus tôt, alors qu'il baisse ailleurs dans la zone euro. Si la baisse des impôts de production était la solution miracle, pourquoi la France ne suit-elle pas cette tendance européenne ? C'est de l'aveuglement budgétaire. (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

Mme Émilienne Poumirol.  - Très bien !

M. Pascal Savoldelli .  - Monsieur le ministre, percevez-vous les déséquilibres ? Les revenus financiers ont progressé deux fois plus vite que le PIB et trois fois plus vite que les salaires depuis 2017 : pas terrible comme bilan ! Les dividendes ont atteint un record absolu en 2025. Donc les revenus du capital s'envolent, quand ceux du travail piétinent.

La fiscalité a cessé de jouer son rôle d'amortisseur, pour être transformée depuis 2018 en un instrument de reproduction des inégalités. Le taux marginal est de 30 % pour les revenus financiers, contre 45 % pour les revenus du travail.

Quelle est la stratégie de l'État face à cette dynamique ? Celle que vous défendez - la protection des grandes fortunes, assises sur le non-travail - ou le rétablissement de la progressivité de l'impôt et la protection des revenus du travail ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER)

M. David Amiel, ministre délégué.  - J'ai l'impression que vous décrivez les Etats-Unis, où les inégalités de revenus ont explosé.

Mme Émilienne Poumirol.  - Chez nous aussi !

M. Thierry Cozic.  - 15 % !

M. David Amiel, ministre délégué.  - Chez nous, le partage de la valeur ajoutée entre capital et travail n'a quasiment pas bougé en cinquante ans, car notre système fiscal est très redistributif. L'écart entre les plus pauvres et les plus riches est massivement réduit par notre système de prélèvements.

Nous avons cependant deux difficultés. D'une part, les plus grandes fortunes, en optimisant leur imposition au travers de holdings et grâce à la directive européenne mère-fille, se soustraient à leur taux d'impôt normal : nous souhaitons y remédier dans le PLF. D'autre part, le coeur du malheur français, c'est l'absence de mobilité sociale : il faut six générations à un enfant de classe populaire pour rejoindre les classes moyennes, une éternité ! Le malheur français, c'est aussi le chômage de masse qui frappait les classes populaires. Une politique économique de création d'emplois contribue à la justice sociale.

M. Pascal Savoldelli.  - Depuis 2017, on a supprimé l'ISF, instauré la flat tax, effacé la CVAE, réduit l'impôt sur les sociétés : tout cela sans conséquence ? En réalité, la charge fiscale a été déplacée du capital vers le travail. Montant de l'addition pour les salariés : 62 milliards !

M. Thierry Cozic.  - Très bien !

M. Thomas Dossus .  - Merci au parti socialiste pour ce débat. Au niveau mondial, sur les cinquante dernières années, la taxation des revenus du capital a baissé de 5 points quand celle sur les revenus du travail a augmenté de 10 points. S'agissant de la France, l'IPP a mis en lumière l'inégalité devant l'impôt. D'où l'article 3 du PLF sur les holdings.

À gauche, nous privilégions la fameuse taxe Zucman. On nous a rétorqué l'argument de l'exil fiscal... Mais d'après le Conseil d'analyse économique, l'exil fiscal serait relativement modeste, avec un effet marginal sur l'économie française.

Selon Tocqueville, sous l'Ancien Régime, l'impôt pesait sur ceux qui étaient les moins capables de s'y soustraire. Sommes-nous donc revenus à l'Ancien Régime ? À partir de quel niveau de capital est-il autorisé de payer moins d'impôts en menaçant de quitter le pays ? (M. Patrick Kanner et Mme Émilienne Poumirol applaudissent.)

M. David Amiel, ministre délégué.  - Lisez donc les propos du président du Conseil d'analyse économique : les effets comportementaux de la taxe Zucman seraient tels que le rendement espéré serait divisé par quatre. (M. Thomas Dossus le conteste.)

Tirons également les leçons du passé sur l'intégration des biens professionnels dans l'assiette fiscale. En 1981, l'impôt sur les grandes fortunes devait intégrer les actifs professionnels. Ce fut une telle catastrophe économique que le gouvernement de Pierre Mauroy revit sa copie.

Mme Guylène Pantel .  - (M. Bernard Buis applaudit.) Une fiscalité acceptée est une fiscalité équitable. Elle reflète notre façon de valoriser le travail, le capital et la solidarité pour tous. Selon la Fondation Jean Jaurès, 33 % des Français ne sont pas du tout d'accord -  et 32 % pas d'accord  - avec l'affirmation selon laquelle le système fiscal français est juste. Nous taxons moins le capital que le travail : notre système fiscal mérite d'être repensé, en veillant à ne pas surtaxer le travail, à ce que le capital contribue de façon juste à l'effort collectif, et que l'impôt soit considéré comme un outil de solidarité et non comme une sanction.

Épouse d'artisan, j'ai été sensibilisée à la situation de celles et ceux, artisans, commerçants, petits entrepreneurs, qui font vivre notre territoire, mais qui se heurtent à une fiscalité déconnectée de leur réalité quotidienne. Reconnaissez la contribution de ce travail indépendant !

Par ailleurs, il faut préparer l'avenir, alors que notre pays vieillit. Comment le Gouvernement compte-t-il adapter la fiscalité à la nouvelle donne démographique ? Quelles mesures envisage-t-il pour mieux accompagner artisans, commerçants et indépendants qui se heurtent à une fiscalité trop complexe ?

M. David Amiel, ministre délégué.  - L'effort demandé doit se concentrer sur les plus grandes entreprises et non sur les PME ou les ETI, dont certaines sont en situation délicate. D'où les seuils de 1 et 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour la surtaxe d'impôt sur les sociétés. Des baisses d'impôts sont aussi proposées, notamment celle de la CVAE qui bénéficie aux PME et aux ETI.

Ensuite, l'opacité de notre système fiscal mine le consentement à l'impôt. Pour compenser un taux d'imposition facialement élevé, les niches sont nombreuses. Réduisons le nombre de niches et baissons les taux, pour plus de transparence.

Enfin, il faut continuer à accompagner les entreprises, en simplifiant encore, comme nous l'avons fait avec le droit à l'erreur.

M. Vincent Delahaye .  - (Mme Nathalie Goulet applaudit.) En France, les prélèvements pèseraient trop sur le travail et pas assez sur le capital ? Faux ! Selon l'OCDE, la France reste, en dépit des réformes Macron de 2018, l'un des pays qui taxent le plus le capital. Si l'on additionne les impôts touchant son stock, son rendement et ses différentes mutations, le capital n'est pas sous-taxé, mais surtaxé.

M. Emmanuel Capus.  - Très bien !

M. Vincent Delahaye.  - Et ce n'est pas le PLF 2026 qui va améliorer les choses. Le taux d'impôt sur les sociétés atteindrait 34 %, soit 13 points de plus que la moyenne de l'OCDE. La contribution exceptionnelle sur les hauts revenus propulse le taux d'imposition des revenus de capitaux mobiliers à 37,2 %, deux fois le taux pratiqué par l'Espagne socialiste ! Si l'on combine les deux, un même capital est taxé à près de 60 %.

C'est suicidaire, car la surtaxation du capital dissuade la formation de capitaux nouveaux. Moins de capital, c'est une productivité du travail et des salaires réels plus faibles, ou un chômage plus élevé si les salaires sont rigides. Opposer capital et travail n'a aucun sens économique. Les pays qui traitent mieux le capital que nous, à commencer par nos voisins, l'ont bien compris, à nos dépens.

Votre gouvernement va-t-il rayer d'un trait de plume les réformes de 2018, au nom de la stabilité, mais au détriment de notre prospérité ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP)

M. David Amiel, ministre délégué.  - Le texte proposé par le Gouvernement ne prévoit rien de tout cela ; il poursuit la baisse des impôts de production.

La surtaxe sur l'impôt sur les sociétés, instaurée par le gouvernement Barnier à un taux supérieur, doit rester temporaire. Nos entreprises industrielles sont confrontées à une concurrence asiatique féroce dans le domaine de la sidérurgie, de la chimie ou de l'automobile. Rares sont les industriels qui nous demandent d'augmenter les charges et les impôts...

Si notre débat de ce soir s'intitulait « Réindustrialisation et investissement productif », nous serions tous ici à parler de concurrence déloyale, de compétitivité... Mettons nos discours en cohérence ; sans quoi, ce sont les industriels, et donc leurs ouvriers, qui paieront l'addition.

M. Guillaume Chevrollier .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nos PME affrontent de nombreux défis. L'imprévisibilité fiscale étouffe la confiance et freine l'investissement. Ces entreprises, enracinées dans les territoires, sont le coeur battant de notre souveraineté économique.

La part de l'industrie dans notre richesse nationale n'est plus que de 14 %, contre près du double il y a trente ans. En cause : le découragement des entrepreneurs et la peur d'investir.

La fiscalité française demeure l'une des plus lourdes d'Europe, en particulier pour les PME. La suppression progressive de la CVAE est une avancée, mais la trajectoire doit être respectée. Nos chefs d'entreprise attendent non des faveurs, mais un cadre fiscal lisible et stable.

La transmission des entreprises constitue également un enjeu majeur. En Mayenne, nombre de PME familiales n'ont pas de successeur ; les contraintes fiscales freinent les reprises. Préserver la transmission, c'est préserver des emplois, des savoir-faire et la vitalité de nos territoires. La véritable justice est de récompenser ceux qui entreprennent et de valoriser le travail.

Comment comptez-vous garantir la stabilité du cadre fiscal, encourager le capitalisme familial et préserver la transmission des entreprises ? Quelle est la position du Gouvernement sur le pacte Dutreil, si précieux pour les entreprises ? (MM. Olivier Rietmann et Emmanuel Capus applaudissent.)

M. David Amiel, ministre délégué.  - Lutter contre la concurrence internationale, c'est agir sur les importations, mais aussi préserver notre tissu industriel de la prédation étrangère. Le pacte Dutreil a été institué pour faciliter la transmission d'une entreprise familiale aux descendants plutôt que de la livrer à l'appétit des fonds d'investissement - américains naguère, orientaux demain. Il est vital de le préserver, alors que se profile une vague de transmissions.

Réserver le pacte Dutreil aux petites entreprises serait absurde, car ce sont les ETI qui sont la cible des manoeuvres de prédation.

Au cours de nos débats, nous aurons l'occasion d'ajuster tel ou tel paramètre, mais le maintien du pacte Dutreil un enjeu de souveraineté économique et de maîtrise de nos emplois.

Mme Frédérique Espagnac .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) En 2023, l'OCDE notait que les revenus du capital étaient moins taxés que les revenus du travail. En France, l'écart est de quatorze points. La question de la justice fiscale se pose avec acuité.

Avec la valorisation croissante des patrimoines financiers et immobiliers, les plus-values dites latentes, c'est-à-dire non encore réalisées, mais constatables sur les actifs détenus, représentent une richesse réelle qui alimente les inégalités patrimoniales croissantes.

Plusieurs pays ont envisagé ou expérimenté une taxation partielle de ces plus-values latentes, notamment pour les plus aisés.

Seriez-vous prêt à expérimenter une taxation des plus-values latentes applicables aux très hauts patrimoines ?

M. David Amiel, ministre délégué.  - La France taxe plus le travail et le capital que ses voisins européens. Nous avons la même structure de prélèvements obligatoires que les autres, à une exception près : nous taxons davantage le stock de capital que nos voisins. Les pays scandinaves ont même aboli un certain nombre d'impôts sur la fortune.

Taxer les plus-values latentes impliquerait de reconstituer l'histoire d'un bien depuis plus de trente ou quarante ans. Une personne qui léguerait un appartement acheté dans les années 1970 se verrait taxée sur la plus-value. Cela me paraît fou.

Il faut plutôt aborder la question de la taxation des très hauts patrimoines sous l'angle du contournement de l'impôt - notamment la question des holdings. C'est la meilleure façon de procéder.

Ce n'est pas un hasard si ce que vous proposez n'a été fait dans aucun autre pays. (Mme Frédérique Espagnac le conteste.) Il faut plutôt s'assurer que les impôts prévus sont effectivement payés et, sinon, corriger les dispositifs permettant d'y échapper.

Mme Frédérique Espagnac.  - Si, cela a été fait, et même expérimenté aux États-Unis. (M. David Amiel le conteste.)

Le budget 2026 est l'occasion de donner un cap pour plus de justice fiscale en dégageant de nouvelles recettes.

On estime que les plus-values latentes des 10 % des plus riches représenteraient 1 300 à 1 500 milliards d'euros. Taxer ce capital chaque année entre 1 et 2 % rapporterait 30 milliards d'euros. Songez-y !

Mme Nathalie Goulet.  - Nous aurons rétabli ce soir le clivage droite-gauche !

M. Thomas Dossus.  - C'est vrai !

Mme Nathalie Goulet .  - Ce débat nous rappelle les grands ténors d'antan qui défendaient qui le capital, qui le travail...

L'héritage est-il « ce truc qui vous tombe du ciel », comme l'a affirmé la présidente de l'Assemblée nationale ? Je ne le crois pas.

Il est faux de prétendre que le capital serait sous-taxé : seules la Corée du Sud et la Belgique taxent plus que nous les droits de succession et de donation.

Les taux appliqués aux successions et donations en ligne collatérale ou entre non-parents sont quasi confiscatoires, 55 % et 60 % respectivement, avec des abattements dérisoires. Une somme de 20 000 euros reçue d'un oncle sera taxée à 33 % ! Dans un contexte sociologique et familial profondément transformé, ne faut-il pas éradiquer ces discriminations fiscales ?

M. David Amiel, ministre délégué.  - Il est légitime de réfléchir à une adaptation de la fiscalité des successions et donations à l'évolution des familles. Député, j'avais déposé un amendement visant à relever l'abattement pour les beaux-enfants, qui n'est que d'environ 5 000 euros.

Plus largement, la part du patrimoine hérité est désormais supérieure à celle du patrimoine acquis par une vie de travail. C'est le reflet d'une croissance atone, de salaires nets trop faibles et de la flambée des prix de l'immobilier. Ne plus pouvoir acquérir un logement sans l'aide de ses parents est un affront à la méritocratie. Toutes nos marges de manoeuvre budgétaires doivent être consacrées à revaloriser le travail.

Mme Nathalie Goulet.  - Quid des successions agricoles, qui conditionnent les reprises d'exploitations ? Il faut y réfléchir posément.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le patrimoine est bien souvent le fruit du travail et de la transmission. Or notre fiscalité sur le capital représente 12 % du PIB, contre 9 % en moyenne dans l'Union européenne. Dans un marché unique, cette pression illustre la tension entre souveraineté fiscale nationale et liberté de circulation européenne.

Hétérogène, cette imposition varie selon la nature du capital considéré : clémente sur l'assurance vie ou les plus-values à long terme, lourde sur le capital productif et entrepreneurial. D'où des distorsions dans l'allocation de l'épargne.

Le principe de nécessité, qui veut que l'impôt soit justifié par une dépense publique utile et efficiente, est mis à mal par une fiscalité qui décourage l'investissement productif, créateur d'emplois. Le principe d'égalité vacille quand le patrimoine issu du travail est autant taxé.

Il ne faut pas opposer capital et travail, mais restaurer un équilibre qui reconnaisse la valeur du risque et oriente l'épargne vers la production.

Nous sommes champions toutes catégories en matière d'imposition, et même double médaillés d'or sur le patrimoine et la transmission. Peut-être pourrions-nous descendre du podium ?

M. David Amiel, ministre délégué.  - Nous sommes entrés dans une période d'ajustement budgétaire, comme après toutes les grandes crises. Selon le Conseil d'analyse économique, il nous faut dégager entre 110 et 120 milliards d'euros pour stabiliser notre dette. C'est une réalité mathématique.

La réflexion sur la fiscalité doit donc être ciblée, car nous ne pourrons pas tout faire. Votre approche est la bonne : nous devons privilégier une préférence productive.

L'urgence sociale, c'est que le travail paie. L'urgence économique, c'est défendre notre tissu productif et industriel face aux bouleversements. Il nous faut, dans le même mouvement, baisser les prélèvements sur les travailleurs - sans quoi le contrat social ne tiendra pas - et réduire la pression sur les entreprises qui produisent. Si l'on a fragilisé les actifs et laissé notre tissu industriel être balayé par les concurrents internationaux, la décennie à venir sera très difficile.

Mme Annie Le Houerou .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Dix millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté, alors que le montant des 500 plus grandes fortunes a plus que doublé depuis 2017 pour atteindre 1 200 milliards d'euros. Une plus juste redistribution s'impose.

La fiscalité du travail vise à financer les prestations sociales contributives ; la fiscalité du capital, à taxer la rente et à limiter la concentration des richesses pour financer la solidarité nationale.

La redistribution, le financement de la protection sociale et de la dette sont assurés de manière disproportionnée par le travail. Les classes moyennes sont imposées à 50 % ; les ultra-riches, à 26 %.

Protégé de l'effort fiscal, abrité derrière des holdings, le capital ne ruisselle guère. Les 60 milliards d'euros d'allègements généraux sur le travail renforcent le sentiment que le salarié est davantage mis à contribution que celui qui possède l'outil de travail.

Pourtant, le système de sécurité sociale soutient l'activité économique : l'argent circule, est dépensé dans les biens de consommation.

Quels leviers comptez-vous actionner contre la sécession des ultrariches ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER)

M. David Amiel, ministre délégué.  - La fiscalité est massivement redistributive pour 99 % des Français, car l'impôt sur le revenu est très progressif. Seuls quelques-uns contournent cet impôt ou le prélèvement forfaitaire unique via les holdings - d'où notre projet de taxation, qui sera soumis à vos amendements.

La baisse du coût du travail est une politique transpartisane : commencée sous Balladur, poursuivie sous Jospin, amplifiée sous Hollande avec le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). Le but était de lutter contre le chômage massif. Faire financer la protection sociale uniquement par le travail, c'est détruire de l'emploi et des recettes et surtout des espoirs de mobilité sociale.

Il faut réfléchir à des assiettes complémentaires pour le financement de la protection sociale si l'on veut réduire l'écart entre ce qui est versé par l'employeur et ce qui est effectivement perçu par le salarié.

Mme Frédérique Puissat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) interdit d'appliquer la CSG et la CRDS - qui financent directement notre sécurité sociale nationale - aux résidents fiscaux français non affiliés à la sécurité sociale. Ces derniers ne sont assujettis qu'au prélèvement de solidarité à 7,5 %, deux fois moins que le taux de droit commun de 17,2 %.

Avec Christine Lavarde, nous avions proposé, lors du PLF 2025, de relever ce prélèvement à 16,2 %, en contrepartie d'un abaissement de la CSG sur le capital de 9,2 % à 0,5 %. L'effet est simple : neutralité pour les résidents affiliés en France, alignement vers le droit commun pour les non-affiliés. Les recettes attendues étaient de l'ordre de 1 milliard d'euros. Le ministre de l'époque avait demandé le retrait de l'amendement pour faire une étude d'impact. Un an plus tard, aucune suite. Le Gouvernement entend-il mettre cette mesure à l'étude ?

M. David Amiel, ministre délégué.  - Cette question précise appelle une réponse précise. Vous déposerez sans doute cet amendement au PLF ; nous vous apporterons alors une réponse plus aboutie.

Mme Frédérique Puissat.  - Nous déposerons cet amendement, mais son sort devra être différent. Un milliard d'euros, ce n'est pas rien.

M. Olivier Rietmann .  - La part des revenus du travail dans le total des revenus des ménages recule, quand celle des prestations sociales augmente. En d'autres termes, on vit de moins en moins de son travail et de plus en plus de celui des autres. Parmi ceux qui travaillent, cette réalité suscite un sentiment d'injustice, voire de colère. Quelque 29 millions d'actifs financent notre modèle social, au bénéfice de 17 millions de retraités, 2,5 millions d'allocataires de prestations sociales et 1,5 million de chômeurs indemnisés.

Notre pays doit mieux rémunérer le travail, mais aussi travailler davantage. C'est du reste ce qui était prévu, jusqu'à la volte-face du Premier ministre. Allez-vous engager une ambitieuse refonte fiscale qui redonne toute sa place au travail et cesse de décourager ceux qui produisent ?

M. Olivier Paccaud.  - Bravo !

M. David Amiel, ministre délégué.  - C'est le paradoxe français : un taux de prélèvements obligatoires record et un déficit élevé, mais des services publics du quotidien à l'os...

La raison ? La dépense publique qui augmente, c'est surtout la dépense sociale, et d'abord celle liée aux retraites et à l'assurance maladie. Ce modèle ne peut perdurer que si nous travaillons collectivement davantage.

Faute de majorité pour la défendre à l'Assemblée nationale, la réforme des retraites sera suspendue, mais cela ne nous dispense pas de réfléchir à l'avenir, pour que le débat de 2027 parte sur de bonnes bases. Dans cet esprit, les partenaires sociaux sont convenus de travailler à l'élaboration d'un cadre de réflexion commun.

M. Jean Pierre Vogel .  - Cas unique en Europe, la France empile les impôts de production : 4,7 % du PIB, contre 2,5 % en moyenne européenne. La fiscalité assise sur le chiffre d'affaires et la valeur ajoutée demeure le principal canal de financement de la protection sociale. S'y ajoutent une myriade de prélèvements sur les salaires, à hauteur de 50 milliards d'euros.

Résultat de ce millefeuille fiscal : coût du travail élevé, effets de seuil pénalisants, compétitivité et création d'emplois en berne. Nous avons besoin d'une fiscalité qui encourage l'emploi et l'investissement. Le Gouvernement va-t-il engager un mouvement structurel pour baisser et rationaliser les impôts de production ?

M. David Amiel, ministre délégué.  - C'est ce qui a été fait à partir de 2021. Le PLF poursuit cette politique en ciblant la CVAE, qui frappe lourdement l'industrie. Confrontés à une concurrence internationale féroce, des secteurs entiers comme l'automobile, la chimie ou les semi-conducteurs risquent d'être balayés très vite si nous ne les défendons pas. L'Allemagne a su défendre son industrie grâce à sa politique en matière d'impôts de production.

M. Patrick Kanner, pour le groupe SER .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Fin de ce premier round, à fleurets mouchetés. J'ai apprécié vos réponses structurées, monsieur le ministre, et même entendu une voix progressiste : votre passage au parti socialiste n'aura pas été inutile... (M. David Amiel sourit.)

Mme Frédérique Puissat.  - C'est donc ça...

M. Patrick Kanner.  - Ce débat touche à notre pacte républicain. Je regrette d'ailleurs que nos collègues Les Républicains soient partis.

Mme Frédérique Puissat.  - Je suis là !

M. Patrick Kanner.  - Le rapport entre travail et capital, entre valeur produite et richesse captée, n'est pas un débat technique mais de civilisation. Depuis la Révolution industrielle, l'équilibre entre ceux qui produisent et ceux qui possèdent est au fondement de notre pacte social - malgré des soubresauts, dont les gilets jaunes sont le dernier.

Mais, aujourd'hui, c'est notre modèle de société qui se fissure. La richesse ne vient plus de l'effort, mais de la rente ; ce n'est plus le travail qui élève, c'est le capital qui accumule. Pourtant, c'est encore le travail que l'on taxe et culpabilise.

On nous avait promis une France moderne, des clivages dépassés. Mais après huit ans de macronisme, la réalité s'impose : une politique de droite assumée, au service du capital protégé. Pendant qu'on supprime l'ISF et qu'on affaiblit la progressivité de l'impôt, l'ouvrier, l'infirmière, et l'enseignant paient plein tarif.

Le bon sens, cher à la droite, c'est de comprendre que la justice fiscale n'est pas une punition mais une exigence de cohésion. Qu'on ne nous parle pas de mérite : aucun millionnaire de moins de 30 ans ne s'est bâti seul ! Ce sont des héritiers ou des traders, pas des héros.

Le débat en cours à l'Assemblée nationale est l'occasion de repenser notre fiscalité. Encore un petit effort ! Nous vous souhaitons de rester ministre longtemps.

Il ne s'agit pas de punir la réussite, mais de redonner sens à l'idée même de République, dans laquelle l'impôt unit au lieu de diviser. La droite, hélas, a oublié le général de Gaulle, qui savait que la grandeur de la France ne peut reposer sur la misère de ses enfants. Renouons avec l'esprit du Conseil national de la Résistance : la prospérité ne vaut que si elle est partagée.

Le patriotisme fiscal est loin, la priorité n'est plus le bien commun mais le rendement du capital. L'économie n'est plus au service de la nation, mais la nation au service des marchés. C'est un choix de société.

On nous dit qu'il faut récompenser le risque. Mais ce qu'on appelle « modernité » est souvent la démission morale d'une époque. Des risques, il y en a d'autres : ceux que prennent les travailleurs précaires, les jeunes mal logés, les soignants à bout, les enseignants désabusés.

La justice fiscale n'est pas affaire de revanche, mais d'équité. La fiscalité dit la société que nous voulons être. Nous, socialistes, n'avons pas honte de la société française, qui redistribue et protège les plus faibles ; ce modèle coûte, il faut l'assumer. C'est pourquoi nous défendons une fiscalité plus juste, une contribution du capital plus équitable et un impôt réhabilité.

Pas de République forte sans justice fiscale, de cohésion sans redistribution, de prospérité durable sans solidarité. Redonnons au travail sa place, à l'impôt son sens, et à la République, le souffle de la justice. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et du GEST)

Prochaine séance demain, mercredi 5 novembre 2025, à 15 heures.

La séance est levée à 23 h 05.

Pour le Directeur des Comptes rendus du Sénat,

Rosalie Delpech

Chef de publication

Ordre du jour du mercredi 5 novembre 2025

Séance publique

À 15 heures, 16 h 30 et le soir

Présidence : M. Didier Mandelli, vice-président, M. Xavier Iacovelli, vice-président

1. Question d'actualité au Gouvernement

2. Proposition de loi pour la sécurisation juridique des structures économiques face aux risques de blanchiment, présentée par Mme Nathalie Goulet et plusieurs de ses collègues (procédure accélérée) (texte de la commission, n°95, 2025-2026) (demande du groupe UC)