Nouvelle-Zélande
Table des matières
- INTRODUCTION
- CHAPITRE I
-
LE POIDS DE LA GÉOGRAPHIE ET DE L'HISTOIRE
- I. UN PAYS INSULAIRE DU PACIFIQUE SUD
- II. UNE ÉCONOMIE OUVERTE SUR LE MONDE OÙ L'AGRICULTURE JOUE UN RÔLE STRATÉGIQUE
- III. UNE NATION MARQUÉE PAR L'EMPREINTE BRITANNIQUE ET LE MODÈLE DE L'ÉTAT-PROVIDENCE
- CHAPITRE II
- LA RÉVOLUTION LIBÉRALE DU 14 JUILLET ... 1984
- CHAPITRE III
- UN LIBÉRALISME SANS CONCESSION
- CONCLUSION
- ANNEXE I
- ANNEXE II
NOUVELLE-ZÉLANDE
M.
Maurice BLIN Sénateur des Ardennes
Président du Groupe d'amitié
M. François LESEIN Sénateur de l'Aisne
Vice-Président
M. Louis BOYER Sénateur du Loiret
Vice-Président
M. Michel SOUPLET Sénateur de l'Oise
Membre du Bureau
M. Lucien LANIER Sénateur du Val-de-Marne
Membre du Groupe
La délégation était accompagnée de M. Jean-Louis
SCHROEDT-GIRARD, Conseiller des services du Sénat, Secrétaire
exécutif du groupe d'amitié.
INTRODUCTION
La
mission accomplie en Nouvelle-Zélande par le groupe interparlementaire
d'amitié du Sénat au premier trimestre 1998 a été
riche d'enseignements à plus d'un titre.
L'entretien que la Délégation du groupe d'amitié a eu avec
Mme Jennifer SHIPLEY, Premier Ministre depuis décembre 1997, et la
confirmation que celle-ci lui a faite des invitations adressées au Chef
de l'État et au Chef du Gouvernement français par son
prédécesseur, M. Jim BOLGER, ont confirmé le resserrement
des liens franco-néo-zélandais. Ses rencontres avec les membres
de la communauté française d'Auckland, de Wellington et de
Christchurch lui ont permis de constater la vitalité de cette
communauté et celle de la francophonie locale dont elle est, au travers
des Alliances françaises, le ferment.
La Délégation a également pu mieux pénétrer
les divers aspects de la vie politique néo-zélandaise à la
suite de l'accueil chaleureux qu'elle a reçu au Parlement et dans les
ministères. Parallèlement, l'importance de l'engagement
néo-zélandais au Pôle Sud et du rôle de la
plate-forme de Christchurch dans sa desserte lui a été
révélé lors de la visite du centre de l'Antarctique
implanté dans cette ville.
Cependant, de manière délibérée, le présent
document ne s'étendra pas sur ces divers aspects du déplacement
effectué. Le rapport présenté l'an dernier par la
Commission des Affaires étrangères du Sénat fournit en
effet des informations très complètes sur la plupart de ces
sujets
1(
*
)
. De même, l'analyse des
relations commerciales franco-néo-zélandaises ne sera pas
reprise. Le travail accompli, en 1996, par le rapporteur spécial de
notre Commission des Finances pour le commerce extérieur
2(
*
)
permet, là encore, de disposer des
éléments essentiels.
Les développements qui suivent seront consacrés principalement
à la politique économique néo-zélandaise
. En
effet, au cours des quatorze dernières années, la
Nouvelle-Zélande est passée d'une des économies les plus
protégées et les plus réglementées des pays membres
de l'OCDE à une des économies les plus ouvertes et les plus
compétitives.
La rapidité et l'ampleur de cette marche vers le libéralisme
économique confère aujourd'hui un
caractère assez
unique à l'expérience néo-zélandaise
. C'est
pourquoi, après avoir rappelé son contexte géo-politique,
le présent rapport s'attachera à la décrire et s'efforcera
-à l'aune des informations recueillies sur place- d'en dresser un
premier bilan.
CHAPITRE I
LE POIDS DE LA GÉOGRAPHIE ET DE L'HISTOIRE
On ne saurait apprécier la portée de l'engagement libéral néo-zélandais et en méditer utilement les enseignements sans une claire perception des spécificités de son contexte. Aussi, une brève présentation de la géographie tant physique qu'humaine du pays, de son économie et de son histoire apparaît-elle un préalable indispensable.
I. UN PAYS INSULAIRE DU PACIFIQUE SUD
A. DEUX GRANDES ÎLES VERTES À MI-CHEMIN DE L'ÉQUATEUR ET DU PÔLE SUD
Sur les
cartes, les deux grandes îles
3(
*
)
composant le territoire néo-zélandais dessinent un arc de 1.500
km de haut au sud-ouest de l'Australie.
D'une superficie totale de 270.000 km² -soit l'équivalent de la
Grande-Bretagne- ces deux îles séparées par le mince
détroit de Cook (30 km) présentent des paysages marqués
par l'activité volcanique
4(
*
)
où
alternent chaînes de montagnes élevées (le Mont Cook, le
plus haut sommet, culmine à plus de 3.700 m), hauts plateaux herbeux ou
boisés, vastes plaines et côtes découpées
5(
*
)
.
La Nouvelle-Zélande bénéficie d'un climat
tempéré. Les températures moyennes s'échelonnent de
8° en juillet -l'hiver dans l'hémisphère sud- à 17
° en janvier. En raison de l'importance des barrières montagneuses
et de l'orientation ouest-est des vents dominants, la pluviométrie varie
parfois fortement de la côte ouest -la plus humide- à la
côte est, tout particulièrement dans l'île du Sud, mais elle
est globalement importante
6(
*
)
et fait de la
patrie des "Kiwis"
7(
*
)
un pays vert aux
atouts agricoles indéniables
.
B. UNE POPULATION DE TAILLE LIMITÉE, MAJORITAIREMENT ISSUE DE L'IMMIGRATION
1. Un peuplement de faible densité à forte concentration urbaine
La
Nouvelle-Zélande compte quelques 3,7 millions d'habitants
8(
*
)
(dont plus de 2,8 millions dans l'île du Nord),
soit moins que Hong-Kong et un peu plus que l'Irlande. La densité
moyenne de population -13 habitants au km²- y est beaucoup plus importante
qu'en Australie (2 habitants au km²) mais entre 7 et 8 fois
inférieure à celle de la France ; elle est équivalente
à celle de la Norvège.
Cette population est à 85 % urbaine. Les quatre plus grandes villes
9(
*
)
abritent à elles seules plus de la
moitié des Néo-zélandais.
Cependant, caractéristique assez exceptionnelle au sein de l'OCDE, la
population rurale totale est restée relativement stable au cours des
soixante dernières années, autour d'un demi-million de personnes.
Si la proportion de personnes vivant en zone rurale est passée de 32 %
à 15 % durant cette période, ce n'est pas du fait d'un
dépeuplement des campagnes : c'est parce que la presque totalité
de la croissance démographique nette a été le fait des
zones urbaines.
2. Un peuplement d'immigration à large prédominance européenne
Peu
nombreux et fortement citadins, les Néo-zélandais sont aussi, en
grande majorité, un peuple d'immigrés. Seuls 14 % d'entre eux
sont des descendants -parfois métissés- des Maoris, les
polynésiens qui occupaient les îles au moment de l'arrivée
des premiers colons. Les immigrés plus récents et, pour
l'essentiel, les descendants d'immigrés constituent plus de 85 % de la
population, dont 9 % sont d'origine non européenne
10(
*
)
et 79 % -ceux dits "les Pakehas"- d'origine
européenne.
Au début de la colonisation, les Pakehas étaient presque
exclusivement Anglais et Ecossais. La ruée vers l'or de la
dernière partie du 19e siècle attira un grand nombre d'Irlandais
et de ressortissants des pays du Nord ou du centre de l'Europe continentale
(Néerlandais notamment). Après 1945, l'Europe de l'Est et du Sud
(Grèce, Italie, Croatie) a alimenté les flux d'immigration.
Enfin, Polynésiens et Asiatiques ont été nombreux au cours
des 20 dernières années.
Il n'en demeure pas moins que l'apport démographique des premiers temps
a forgé l'identité néo-zélandaise contemporaine.
C'est la culture anglaise qui demeure la référence même si
les traditions maories y sont de plus en plus intégrées,
même si les paysages urbains -où dominent les maisons
individuelles construites en bois- évoquent davantage ceux des
Etats-Unis que les villes et villages du Devonshire ou du Lancashire.
3. Une politique d'immigration résolument sélective et pragmatique
Aujourd'hui, le pays du "grand nuage blanc", comme l'avaient
dénommé les premiers occupants maoris
11(
*
)
, reste un pays d'immigration. Il a
délivré 48.000 visas en 1995, 54.000 en 1996, 33.000 en 1997, ce
qui représente l'acceptation en trois ans d'un nombre d'immigrés
équivalent à 4 % de la population totale.
Les immigrés légaux composent l'essentiel des flux d'immigration.
L'immigration clandestine y est limitée, notamment en raison du
caractère insulaire du territoire qui facilite le contrôle des
mouvements de population.
Surtout, caractéristique majeure, la politique suivie vise avant tout
à sélectionner des immigrants de préférence jeunes,
disposant de compétences ou des moyens d'investir, ayant une bonne
connaissance de l'anglais et pouvant aisément pourvoir un emploi
disponible. Ces dix dernières années, cette politique a connu
quelques inflexions amenant à des changements de pondération
entre ces critères mais son objectif primordial n'a pas changé.
Pour les pouvoirs publics néo-zélandais,
l'immigration est
avant tout un moyen d'assurer le développement et la
compétitivité de l'économie nationale.
Le pragmatisme, et non des principes idéologiques, paraît
présider à l'ajustement des règles d'immigration.
Ainsi, avant 1991, étaient privilégiés les candidats
disposant d'un contrat de travail ou étant à même
d'apporter des compétences qui faisaient défaut sur le
marché du travail. A compter de 1991, un souci de gestion à plus
long terme du "capital humain" du pays a conduit à favoriser les
candidats à haut niveau de qualification, tout particulièrement
ceux détenant des diplômes élevés. Puis, devant le
constat que même des immigrés très qualifiés se
retrouvaient au chômage, en 1995 cette orientation a été
corrigée en accroîssant le nombre de points accordés
à la maîtrise de l'anglais dans le dépouillement des
questionnaires remplis par les postulants.
Les inflexions de ces règles entraînent d'ailleurs des
modifications dans les provenances migratoires. Pôles d'émigration
dominants dans la première partie de la décennie 1980,
l'Angleterre et l'Irlande ont été remplacées par les pays
du Pacifique dans les années suivantes, l'Asie du Nord (Inde, Chine)
devançant l'Asie du Sud-Est au début des années 1990,
alors qu'actuellement les principaux pays d'origine de l'immigration sont par
ordre d'importance : l'Angleterre, l'Afrique du Sud (depuis 1994), la Chine,
l'Inde, Samoa.
II. UNE ÉCONOMIE OUVERTE SUR LE MONDE OÙ L'AGRICULTURE JOUE UN RÔLE STRATÉGIQUE
A. DES CARACTÉRISTIQUES SPÉCIFIQUES
Avec une
production intérieure brute de l'ordre de 57 milliards de dollars
américains en 1987, l'économie néo-zélandaise est
de dimension modeste à l'échelle mondiale.
Le revenu par
habitant, comparable à celui du Portugal, est l'un des moins
élevé de l'OCDE.
D'envergure limitée par la taille, l'économie
néo-zélandaise n'en est pas moins aujourd'hui largement ouverte
sur le commerce international. Les exportations atteignent 22 % du PIB et les
importations 21 %.
Elle bénéficie en outre d'un privilège :
la quasi
auto-suffisance énergétique.
La Nouvelle-Zélande
couvre 90 % de ses besoins en énergie à des prix peu
élevés au regard de ceux des autres pays de développement
comparable
12(
*
)
car elle dispose de
réserves de gaz et de pétrole ainsi que de ressources
hydro-électriques et géothermiques, ces dernières assurant
près des trois-quarts de la production électrique.
La répartition de la production par grands secteurs d'activité
fait apparaître une part prédominante des services (67 %), tandis
que l'industrie représente 25 % et l'agriculture au sens large (y
compris la forêt et la pêche) quelque 8 %.
Le poids de l'agriculture dans l'économie est cependant plus
considérable que ce que laisse supposer une telle présentation.
Si on ajoute aux emplois directs pourvus dans le secteur primaire tous les
emplois connexes qui s'y rattachent dans les secteurs secondaires et
tertiaires, le ratio atteint 18 %. De fait, en dépit de sa
diversification récente, dans le tourisme notamment, l'économie
néo-zélandaise repose encore largement sur l'exploitation de ses
ressources naturelles.
Le pays reste d'abord producteur et transformateur de
produits de base.
Les performances agricoles varient selon les produits. Elles sont tout à
fait remarquables pour le lait où les coûts de production sont les
plus bas du monde
13(
*
)
, les vaches pouvant
paturer en liberté dix mois sur douze
14(
*
)
. Mais toutes les productions agricoles ont un point
commun : leur équilibre financier dépend des exportations
(à 90 % pour la viande d'agneau, 75 % pour le mouton, 81 % pour le
boeuf, 90 % pour la laine, 90 % pour les produits laitiers).
C'est ainsi qu'avec 58 % des exportations, l'agriculture est de loin la
clef de voûte du commerce extérieur néo-zélandais.
B. DES INSTRUMENTS ORIGINAUX DE COMMERCIALISATION DES PRODUITS AGRICOLES : LES "BOARDS"
Dans un
contexte où la contrainte extérieure pèse fortement sur
les produits primaires, l'organisation efficace de leur commercialisation
revêt une importance cruciale.
Aussi, la Nouvelle-Zélande a-t-elle élaboré en ce domaine
un système qui mérite de retenir l'attention. La
quasi-totalité de la production agricole est coordonnée et
écoulée sur le marché international par -ou avec le
soutien- de Boards. Ces organismes de statut souvent coopératif sont
spécialisés dans la promotion et la commercialisation d'un
produit donné.
Tous les Boards sont régis par un texte de loi qui leur est propre, ce
qui explique la diversité tant de leurs statuts que de leurs
prérogatives. On en compte neuf auxquels on assimile habituellement deux
organismes de même nature.
Seuls cinq d'entre eux exercent à un certain degré un monopole de
commercialisation
15(
*
)
. Les autres
16(
*
)
ont essentiellement un rôle
réglementaire et de promotion et si leurs statuts les autorisent parfois
à exercer une activité commerciale (c'est le cas du Meat
Producers Board et du Wool Board), celle-ci n'intervient que dans des
circonstances exceptionnelles et dans un contexte concurrentiel.
Ainsi, selon les cas, le rôle des Boards peut concerner la vente, la
promotion et le marketing, la recherche, le contrôle de la
qualité, l'analyse des marchés d'exportation, la centralisation
et la diffusion aux professionnels concernés de l'information s'y
rapportant, le conseil et l'assistance aux éleveurs, la
représentation de la Nouvelle-Zélande au sein d'organismes
internationaux. Quelques-uns exercent simultanément toutes ces
fonctions. Les plus importants (Dairy Board par exemple) exercent une influence
majeure dans l'orientation de la production et la fabrication des produits
dérivés destinés aux marchés étrangers.
Actuellement, le monopole à l'export des Boards intervenant dans des
secteurs de production majeurs (lait, kiwis, pommes et poires) se trouve
contesté, en particulier par les Etats-Unis. A terme, certains d'entre
eux pourraient donc perdre une partie de leurs prérogatives en ce
domaine. Cela ne paraît toutefois pas de nature à remettre en
cause le rôle déterminant qu'ils jouent dans le succès des
produits agricoles néo-zélandais sur le marché mondial.
III. UNE NATION MARQUÉE PAR L'EMPREINTE BRITANNIQUE ET LE MODÈLE DE L'ÉTAT-PROVIDENCE
A. UN HÉRITAGE INTÉRIORISÉ
1. Le plus jeune des dominions britanniques
La
Nouvelle-Zélande a été annexée à la Couronne
britannique en 1840
17(
*
)
, dix ans après
les premières arrivées d'importance de pionniers européens
mais 71 ans après que le navigateur anglais James Cook l'ait
cartographiée (1769) et près de deux siècles après
que le hollandais Tasman l'ait découverte. Elle est le plus jeune des
Dominions britanniques mais aussi, ceci expliquant sans doute cela, le plus
éloigné de l'Angleterre.
Ces facteurs historiques et géographiques combinés à la
nature du mouvement d'immigration initial expliquent qu'en dépit de leur
accession à l'indépendance en 1947, les
Néo-Zélandais restent attachés par un lien de nature
sentimentale à la Couronne d'Angleterre. Alors que leurs voisins
australiens, comme eux membres du Commonwealth, projètent de remplacer
à la tête de l'Etat la Reine Elisabeth par un Président de
la République, rien de tel n'est envisagé en
Nouvelle-Zélande.
On doit voir une marque parmi d'autres de cet attachement dans la vigueur de
l'engagement néo-zélandais aux côtés de la
Grande-Bretagne et des alliés occidentaux au cours des deux grands
conflits mondiaux du siècle. Au cours de la guerre de 1914-1918, les
régiments de volontaires néo-zélandais, qui combattirent
notamment sur les champs de bataille du Nord de la France,
enregistrèrent des pertes considérables - plus de 18.000 hommes -
compte tenu de la faible population du pays. De même, lors du
déclenchement de la Seconde guerre mondiale, la Nouvelle-Zélande
a déclaré la guerre à l'Allemagne une heure et demie
seulement après la Grande-Bretagne.
2. Un legs important mais relativisé
L'influence britannique n'a pas imprégné
seulement les
coeurs et les esprits en Nouvelle-Zélande.
On la perçoit également au plan juridique -la
Nouvelle-Zélande est un pays de Common law- et dans la vie quotidienne :
la conduite routière s'y effectue à gauche. Le poids des
collectivités locales dans la vie publique en est un autre signe. Il
n'existe en effet que deux niveaux d'administration territoriale : le "local
government" dans le cadre de "communes" de taille importante et le gouvernement
central.
Il convient aussi de se rappeler que longtemps la Nouvelle-Zélande a pu
être à juste titre qualifiée de "ferme de la
Grande-Bretagne". Dans les années 1960, 90 % de ses exportations
étaient d'origine agricole et 90 % d'entre elles allaient vers la
Grande-Bretagne. En retour, près de la moitié de ses importations
en provenaient.
Depuis l'entrée de celle-ci dans le Marché commun qui a
été durement ressentie par la population, la situation a
changé. En 1997, le Royaume-Uni ne représentait plus que 6,4 %
des exportations et 5,4 % des importations néo-zélandaises.
De même, dans le domaine des institutions politiques, au-delà des
similitudes du régime parlementaire, on relève des ruptures
d'importance par rapport aux traditions britanniques. Ainsi, en 1950,
le
Conseil législatif conçu à l'image de la Chambre des Lords
a été supprimé
et, aujourd'hui, la
Nouvelle-Zélande est l'une des rares démocraties à
posséder un Parlement monocaméral. Plus récemment, en
1993,
l'adoption, par référendum, d'un nouveau mode de
scrutin
incluant une dose importante de proportionnelle
18(
*
)
a sonné le glas du "bipartisme à
l'anglaise". Et même si le parti national et le parti travailliste -les
deux partis traditionnels- demeurent les plus importants, cette novation a
entraîné une nette reconfiguration du paysage politique.
Aussi, le tropisme britannique de la Nouvelle-Zélande ne doit-il pas
être exagéré. Son enracinement dans la zone "Pacifique",
son ouverture à l'Asie, sa politique d'intégration de la
minorité ethnique maorie, la diversité croissante de son
immigration, voire même la vigueur quasi "théologique" de ses
positions antinucléaires composent autant de signes de transformation de
la "matrice culturelle" léguée par l'Empire britannique. Il n'en
reste pas moins que ce legs constitue encore le socle sur lequel ces
transformations s'opèrent.
B. UNE LONGUE TRADITION D'ÉTAT-PROVIDENCE
1. Une constance consensuelle
Le culte
du "tout Etat" et de la réglementation de l'économie a longtemps
prospéré en Nouvelle-Zélande.
L'État-providence y a été instauré par les
travaillistes en 1935 au sortir de la crise de 1929. Ils créèrent
un système de couverture sociale et de santé publique parmi les
plus avancées de l'époque
19(
*
)
.
Rappelé au pouvoir en 1949, le parti national le conserva, à la
seule exception des législatures 1957-1960 et 1972-1975, pendant 35 ans,
jusqu'en 1984. Favorable à l'interventionnisme étatique, le parti
national mena tout au long des " Trente glorieuses ", à
l'instar d'autres gouvernements occidentaux, des politiques économiques
d'inspiration keynésienne s'appuyant sur un contrôle des prix et
des salaires.
Il maintint les lois sociales votées par les travaillistes, notamment
celles adoptées en 1972-73 assurant une retraite indexée aux plus
de 60 ans ainsi qu'une couverture des frais médicaux et une garantie de
ressources à toute personne victime d'un accident. Il entretint
également un secteur public très étendu, les entreprises
d'Etat assurant 12 % du P.I.B. et intervenant dans des domaines aussi
hétérogènes que la banque, les assurances, les
télécommunications, la santé, l'énergie mais aussi
... l'hôtellerie, l'édition et l'exploitation forestière.
A cette époque, la Nouvelle-Zélande était habituellement
considérée comme le pays développé qui avait le
plus fort degré de protectionnisme tarifaire et d'intervention de l'Etat
dans son économie.
2. Deux revirements successifs
A
compter de la fin des années 1970 et au début des années
1980, le gouvernement "national" de Sir Robert Muldoon (1975-1984) engagea des
réformes visant à libéraliser les prix, les salaires et
les taux d'intérêts.
Mais, en 1982, échouant à stabiliser l'économie par ces
moyens
20(
*
)
Muldoon, toujours Premier ministre,
inversa l'orientation ainsi amorcée. Il instaura un gel total des prix
et des revenus, institua un contrôle des changes extrêmement
restrictif (imposant entre autres un rapatriement des gains à l'export),
attribua des subventions publiques aux secteurs exportateurs et pris des
mesures protectionnistes (licences quantitatives à l'importation, taxes
douanières élevées, ...) ayant pour objet de
réserver le marché domestique aux produits manufacturés
nationaux. Il imposa même aux fonds de pension du secteur public
d'investir exclusivement en bons du Trésor et en obligations d'Etat.
Selon le Fonds monétaire international, la politique économique
ainsi conduite était la plus dirigiste des pays développés
et s'apparentait par certains aspects à celles menées, à
la même époque, dans les économies planifiées
d'Europe de l'Est. D'aucuns se permirent même à l'époque de
qualifier le pays " d'Albanie du Pacifique ". C'est un fait que les
productions néo-zélandaises, notamment agricoles, comptaient
alors parmi les plus subventionnées du monde occidental.
CHAPITRE II
LA RÉVOLUTION LIBÉRALE DU 14 JUILLET ... 1984
La
rupture avec le dirigisme économique fut consommée
définitivement par les... travaillistes
qui emportent les
élections législatives de 1984, puis de 1987. Issu de la nouvelle
majorité, le gouvernement de David Lange, dont Roger Douglas est
ministre des Finances, prend ses fonctions le 14 juillet 1984.
Il donne le coup d'envoi d'un processus de libéralisation que la
victoire du parti national en 1990 n'interrompra naturellement pas. Les
réformes engagées sont confortées et
complétées. Elles s'étendent aux secteurs et aux
catégories sociales qui n'avaient été que peu
concernés jusque là. Ces dernières représentaient
en effet les soutiens électoraux traditionnels du parti travailliste.
Ainsi, la politique de libéralisation se révèle, à
l'analyse, avoir été appliquée successivement par chacun
des deux grands partis aux forces sociales composant les "bataillons
électoraux" de son adversaire. De ce fait,
l'alternance a conduit
à son amplification et non pas à son interruption,
comme si
les acteurs sociaux, après s'être adaptés aux changements,
avaient voté pour qu'y soient impliqués ceux qui y avaient
été partiellement soustraits.
I. UNE LIBÉRALISATION ENGAGÉE DE MANIÈRE RADICALE PAR LES TRAVAILLISTES
A. LA PEUR DU GOUFFRE
Au cours
des entretiens qu'elle a eus sur place, la Délégation a
posé la même question à plusieurs des interlocuteurs de
haut niveau politique ou administratif qu'elle a rencontrés :
"Pourquoi la Nouvelle-Zélande a-t-elle choisi d'une manière
aussi vigoureuse le libéralisme économique à compter de
1984 ?".
Toutes les réponses obtenues sont allées dans le même sens
:
"Nous n'avions pas le choix, nous marchions à l'abîme" ; "On
distinguait le fond du précipice, ... il fallait réagir" ; "Nous
avons eu peur du gouffre !".
Ce diagnostic alarmant s'explique. En 1984, l'économie nationale
profondément ébranlée par les conséquences de
l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun, plongeait
dans les déficits. De ce point de vue, l'expérience
néo-zélandaise et la prise de conscience dont elle procède
apparaissent comme une illustration du vieil adage allemand qui affirme que
"l'angoisse est la mère de la création".
1. Un ébranlement structurel : l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun
Marquant
la rupture du lien ancestral avec la patrie d'origine, l'adhésion du
Royaume-Uni au Marché commun en 1973 a été un choc
culturel et politique pour la Nouvelle-Zélande.
Elle a constitué en effet un véritable traumatisme pour son
économie. Quoique assorti de garanties d'importations dans l'espace
communautaire, le choix européen opéré par la
Grande-Bretagne a provoqué une contraction du débouché
essentiel des productions agricoles locales. Il a, par là même,
ébranlé les assises de la prospérité du pays.
Dans les années qui ont suivi, le déséquilibre né
de la perte de la rente assurée par le marché britannique n'a pas
été résorbé. Il s'est même trouvé
aggravé par la baisse importante du prix mondial des produits agricoles
survenue à la fin des années 1970.
Dans un contexte où le niveau élevé de protection
accordé à de nombreux entrants agricoles et le taux de change
fixe manifestement surévalué de la monnaie nationale composaient
les deux principaux handicaps de compétitivité à l'export,
la première réponse apportée à cette crise
structurelle s'est apparentée à une fuite en avant : elle a
consisté à accroître les soutiens à l'agriculture en
les orientant vers des aides à la production.
De 1979 à 1983, l'aide publique est ainsi passée de 15 à
33 % de la valeur de la production ;
elle atteignait 40 % en 1984, son
coût budgétaire étant alors équivalent à 3,2
% du PIB.
2. L'effondrement des comptes : l'explosion de la dette et des déficits
En
raison de la faiblesse de l'épargne intérieure, ces subventions
massives à l'agriculture ont été financées
principalement par des emprunts à l'étranger. Ainsi, non
seulement elles se sont révélées inopérantes -les
exportations ne se sont pas redressées- mais elles ont aussi
entraîné dans leur sillage une envolée de la dette, un
creusement des déficits et, d'une manière générale,
une dégradation de la quasi-totalité des indicateurs.
En 1984, l'endettement extérieur représente presque
l'équivalent d'une année de production (il était dix fois
moindre en 1974), le déficit du budget de l'État avoisine 6,5 %
et celui de la balance des paiements approche 9 % du PIB. Le taux de
chômage grimpe à 4,2 % en juin 1984 -pourcentage très
élevé pour l'époque- alors qu'il n'était que de 1,7
% en mars 1980. Seule l'inflation -qui était à deux chiffres de
1973 à 1983- apparaît maîtrisée mais c'est au prix
d'un gel total des prix et des salaires.
En termes de niveau de vie, la Nouvelle-Zélande a reculé de la
troisième à la treizième place mondiale en un tiers de
siècle
.
Le 30 avril 1983, elle perd la cotation AAA qui avait longtemps
été la sienne sur le marché international du
crédit. Elle subira d'autres rétrogradations au cours des quinze
mois suivants.
Après la dissolution législative de juin 1984, la perspective
d'un changement de gouvernement et d'une révision du taux de change qui
était largement considéré comme surestimé suscite
un mouvement de fuite des capitaux, qui assèche les réserves de
la banque centrale.
Au lendemain de l'élection
, l'annonce par
celle-ci de la
suppression de la conversion du dollar
néo-zélandais en monnaie étrangère
provoque une
crise constitutionnelle
. Le gouvernement sortant accepte finalement de
mettre en oeuvre les arbitrages de la nouvelle équipe dirigeante en voie
de formation.
B. DES RÉFORMES DRASTIQUES MENÉES AU PAS DE CHARGE
Inspiré des théories de Friedrich Hayek et de
Milton
Friedman, préconisé par une poignée de hauts
fonctionnaires occupant souvent des postes clefs au Trésor et à
la banque centrale
21(
*
)
, le changement de cap
économique est inspiré par Roger Douglas, ministre des Finances
de 1984 à 1988. Les mesures qu'il met en oeuvre, les
"
Rogernomics
" comme les qualifient habituellement les
Néo-zélandais, s'orientent autour de trois axes principaux : la
réforme des modes de régulation macro-économique ; la
réforme des politiques agricoles ; la réforme des entreprises
publiques et de l'administration.
En l'espace de quelques années, ces réformes vont
entièrement recomposer le paysage socio-économique.
1. La réforme des modes de régulation macro-économique
En
matière financière et monétaire
, après une
dévaluation de 20 % du dollar néo-zélandais qui met
fin à la crise du marché des changes, les décisions se
succèdent à un rythme rapide.
Neuf mois après l'entrée en fonction du nouveau gouvernement, le
contrôle des taux d'intérêt, les obligations de
réserve pour les banques, les restrictions apportées à la
propriété d'institutions financières disparaissent. Les
contraintes pesant sur les activités des institutions financières
non bancaires sont levées. La liberté d'établissement des
banques est affirmée.
Dans le même laps de temps, le contrôle des prix et des salaires
est aboli.
Peu après, la liberté des mouvements de capitaux et des
échanges boursiers est instaurée.
En 1985, la Nouvelle-Zélande renonce aux parités fixes de change
et laisse flotter sa devise. Très vite, la politique monétaire
devient l'instrument exclusif de lutte contre l'inflation. En 1989, le
"
Reserve Bank Act
" établit l'indépendance de la banque
centrale, son gouverneur étant tenu
par contrat
à
maintenir une inflation faible.
Le démantèlement des régimes protectionnistes
appliqués aux échanges de marchandises accompagne, quoique plus
progressivement, cette libéralisation des marchés financiers.
Le système des licences d'importation est supprimé en six ans ;
les aides à l'exportation disparaissent en quatre ans.
A compter de 1986, est engagé un programme de réduction des
tarifs douaniers. A la seule exception de ceux concernant les moteurs
automobiles et le textile qui baissent plus lentement, ils passent en moyenne
de 28 % à 10 % sur six ans. Sur la période 1992-1996, ils
diminueront encore d'un tiers. Aujourd'hui, l'objectif des pouvoirs publics est
de les amener à zéro à l'horizon 2004.
La fiscalité aussi se trouve profondément remaniée.
Dans l'année précédant les élections de 1987,
une taxe générale sur les biens et services, la GST
22(
*
)
, est substituée, au taux uniforme de 10 %
-relevé à 12,5 % en 1989-, à l'ensemble des taxes
indirectes à taux et assiettes différents qui existaient
précédemment
23(
*
)
.
Parallèlement, est enclenché un processus de réduction et
de simplification des impôts directs. En quelques années,
le
taux marginal de l'impôt sur le revenu est divisé par deux, de 66
% à 33 %
, tandis que le nombre de tranches est ramené
à deux. De même, l'impôt sur les sociétés est
fixé à 33 % et ses modalités de recouvrement sont
standardisées afin de limiter l'évasion fiscale et de diminuer
son coût administratif de perception.
Plus tard, en 1994, le Fiscal Responsability Act imposera, afin d'assurer la
transparence et la cohérence des politiques pouvant être conduites
en ce domaine, l'établissement d'études prospectives avant toute
présentation d'une mesure fiscale d'importance devant le Parlement.
Par ailleurs, dès 1984, la
politique budgétaire
se voit
assigner comme principal objectif la réduction du déficit. Il
faudra toutefois près d'une décennie d'efforts et le retour au
pouvoir du parti national pour que ce but soit atteint.
Au total, en quelques années, le marché, la liberté
d'initiative et l'incitation à la prise de risque ont été
substitués à l'État, au dirigisme administratif et
à la subvention comme mode de régulation de l'économie
néo-zélandaise.
Ce choix de philosophie politique se retrouve dans les deux autres grandes
réformes conduites par les travaillistes.
2. La réforme des politiques agricoles
Elle
constitue vraisemblablement l'illustration la plus typique de la vigueur avec
laquelle la nouvelle orientation économique a été
appliquée.
En effet, d'un exercice budgétaire à l'autre, la plupart des
subventions à l'agriculture sont supprimées
. Elles
représentaient de l'ordre de 40 % des recettes brutes des exploitants,
c'est-à-dire
l'équivalent de leur revenu net pour beaucoup
d'entre eux
. Leur abrogation est annoncée en novembre 1984 avec le
projet de budget 1985/1986
24(
*
)
. En 1985, les
subventions diminuent des deux-tiers
25(
*
)
. En
1987, leur total correspond à peine à la moitié de ce
solde. Deux ans plus tard, elles ont complètement disparu. Actuellement,
le secteur agricole est contributeur net au budget public.
Ces subventions avaient pris une dimension tellement excessive et produisaient
de tels effets pervers
26(
*
)
qu'elles
étaient devenues indéfendables. Nombre d'agriculteurs
eux-mêmes estimaient que des réformes étaient
indispensables pour mettre en place un secteur agricole rentable et viable
à terme.
Mais, les effets immédiats des mesures prises furent douloureux. Le
chômage qui était pratiquement nul dans les communautés
rurales y atteint en moyenne 10 %. Le cheptel ovin déclina de 70
millions de têtes à une cinquantaine de millions en quelques
années (47 millions en 1997).
D'aucuns prétendent qu'en se prononçant pour l'annulation brutale
des aides agricoles Roger Douglas aurait dit à ses collaborateurs :
"
Les agriculteurs ne votent pas pour nous ; on n'a pas à trop les
ménager
". Vraie ou apocryphe, la formule fut en tout cas
appliquée à la lettre : les agriculteurs
néo-zélandais ne furent effectivement pas ménagés.
Pourtant, à en croire les témoignages recueillis sur place, les
manifestations de protestation ne furent pas très importantes. Seul 1%
des exploitations a disparu. Surtout, M. Malcom Bailey, le président de
la Fédération néo-zélandaise d'exploitants
agricoles, l'a affirmé à la Délégation,
aucun
agriculteur "Kiwi" ne voudrait aujourd'hui revenir à l'ancien
système.
3. La réforme des entreprises publiques et de l'administration
Après la réorganisation du secteur agricole, le
mouvement de libéralisation tend à se développer comme par
contagion. Chaque réforme en appelle une autre.
Confrontés aux contraintes du marché, les fermiers et les
industriels exigent des services publics plus efficaces et moins coûteux.
Plus généralement, ils réclament une réduction des
dépenses publiques. Elle leur apparaît le gage d'un
allégement de la pression sur les taux d'intérêt et, par
là même, d'une baisse du dollar néo-zélandais
favorable à l'exportation de leurs produits.
Fort de ce soutien, les travaillistes vont, pour l'essentiel, consacrer leur
seconde législature de gouvernement à faire évoluer les
entreprises publiques puis, le processus une fois lancé, les structures
administratives.
S'agissant des
entreprises publiques d'État
, le changement est
orchestré en trois temps.
Tout d'abord (1984-1989), les monopoles publics dans les secteurs industriel et
commercial sont progressivement ouverts à la concurrence
27(
*
)
.
Puis, à compter de 1987, les entreprises d'État sont une à
une transformées en sociétés commerciales, selon la
procédure dite de "corporatization".
Enfin, après avoir adapté leurs structures et leurs moyens
à leur nouvel environnement concurrentiel
28(
*
)
, on privatise en totalité ou en partie ces
entreprises.
Pour ce qui concerne les entreprises publiques locales (aéroports,
ports, services publics locaux, ...), le mouvement est lancé plus
tardivement. Au début des années 1990, il est demandé aux
collectivités territoriales de leur donner un statut de
société commerciale
("to corporatize local authority trading
enterprises")
. Par la suite, les autorités locales seront
encouragées à vendre au secteur privé leurs participations
au capital de ces sociétés.
Dans le domaine régalien
, les missions traditionnelles de
souveraineté (police, défense, justice...) demeurent
organisées en départements ministériels. On enregistre
toutefois
une différence majeure au regard des approches classiques :
les ministères sont soumis à une comptabilité proche de
celle du secteur privé, avec un compte de résultat et
l'obligation d'opérer des provisions pour risque.
Les tâches de régulation, de prestations de services et de gestion
de fonds sont, quant à elles, confiées à des
"entités d'État"
29(
*
)
(agency,
national service, ...) administrativement indépendantes, dotées
de ressources et d'une comptabilité propre mais liées par contrat
à leur administration de tutelle. Ainsi, le "
service national de
l'immigration
" est une unité organisée comme une entreprise
au sein du ministère du travail.
Parfois, ces entités sont soumises à l'autorité de
conseils d'administration semi-indépendants. Leurs effectifs permanents
sont composés de fonctionnaires mais leurs dirigeants sont
recrutés sur contrat à durée déterminée. Ces
contrats leur attribuent la responsabilité de gestion des crédits
alloués à leur unité. Surtout, ils leur fixent des
objectifs de résultats, tout en leur laissant une assez large
liberté quant aux moyens à mettre en oeuvre pour les atteindre.
Ce mode de recrutement des responsables administratifs ayant rang de directeur
ou de directeur-adjoint vaut également pour les départements
ministériels, à l'exception de ceux de l'Intérieur et des
Affaires étrangères. La compétence est le principal
critère de sélection, la nationalité
néo-zélandaise n'est même pas exigée, sauf au
ministère de la Défense.
C'est ainsi que depuis 1988,
les cadres administratifs supérieurs
sont recrutés par petites annonces nationales ou internationales.
Les fonctionnaires d'expérience peuvent y répondre dans les
mêmes conditions que les cadres du privé. Ils ne disposent
d'aucune priorité d'embauche. S'ils sont retenus, ils souscrivent
également un contrat d'objectifs d'une durée habituelle de cinq
ans. Le renouvellement de ce contrat est exclu si les objectifs ne sont pas
atteints. A titre d'exemple, le Directeur-adjoint du Trésor que la
Délégation a rencontré est d'origine japonaise, a fait ses
études aux États-Unis et s'est installé en
Nouvelle-Zélande à la suite de l'obtention de son poste.
D'une manière générale, les relations tant de
l'administration néo-zélandaise avec le pouvoir politique que des
fonctionnaires avec leur autorité de tutelle ne sont plus guère
soumises aux principes de soumission hiérarchique traditionnels. Elles
ressemblent désormais davantage à des relations entre clients et
fournisseurs.
Parallèlement à ces mutations organisationnelles, le
périmètre de l'administration a rétréci
. Des
activités n'ayant plus lieu d'être, telles la tutelle des
entreprises publiques privatisées ou la délivrance de licences
d'importation, ont été supprimées. D'autres, comme les
tâches d'étude, ont été confiées à des
cabinets d'experts indépendants
30(
*
)
.
Pour expliquer des changements aussi radicaux dans un pays où les
traditions étatiques ont longtemps été très fortes,
un des interlocuteurs rencontrés par la Délégation
précisait :
"Pendant toute une part de notre histoire, nous nous
sommes tournés vers l'État pour résoudre nos
problèmes. Longtemps l'État a su répondre aux attentes en
assurant la croissance. Puis, il a commencé à rafistoler les
grands équilibres à coup de dépenses publiques de plus en
plus coûteuses. Nous nous sommes petit à petit aperçus que
nous étouffions sous le poids des dépenses publiques. Nous avons
alors compris que c'était l'État le principal problème que
nous avions à résoudre. Depuis, nous nous y sommes
employés".
Pourtant, en 1990, les médications travaillistes n'ont pas permis de
résorber le déficit budgétaire. En outre, la dette
publique a été presque multipliée par 1,5 depuis 1984.
C'est pourquoi le parti national victorieux aux législatives de 1990 va
procéder à des coupes sombres dans les dépenses
collectives.
II. UNE LIBÉRALISATION POURSUIVIE ET APPROFONDIE PAR LE PARTI NATIONAL
Plus tardif et porté par l'élan acquis, l'apport du parti national à la mutation économique néo-zélandaise n'en est pas moins considérable. Poursuivant la transformation du secteur public, c'est lui qui rétablit les comptes, notamment par une modification en profondeur des prestations de l'État providence. C'est également lui qui mène à bien la réforme du marché du travail. Deux réformes que la raison électorale rendait difficile au parti travailliste.
A. LA RÉFORME DE LA PROTECTION SOCIALE ET DE L'ÉDUCATION
1. La maîtrise des dépenses sociales
Sous
l'impact de l'abaissement à 60 ans de l'âge permettant de
bénéficier d'une pension de retraite à taux favorable,
décidé en 1972 par les travaillistes, les dépenses
sociales supportées par le budget de l'État
31(
*
)
avaient quasiment doublé dans les dix ans
précédant le début de la révolution
libérale. D'un peu moins de 6 % du PIB en 1971/1972 elles étaient
passées à près de 12 % en 1983/1984.
Les six premières années du temps des réformes avaient
entraîné peu de changement en ce domaine. En 1990/1991, ces
dépenses atteignaient 14 % du PIB.
Pour freiner cette "dérive", le gouvernement "national" modifie,
à la fois, le régime des retraites, les règles
générales de versement et le montant de la plupart des
prestations, les modes de gestion du logement social, ainsi que le
système de santé.
Il reporte de 60 à 65 ans l'âge à partir duquel peut
être perçu une pension de retraite à taux plein
, en
étalant les effets de cette mesure sur dix ans (1991-2001)
32(
*
)
.
Simultanément, est supprimé le versement sans condition de
ressources des allocations familiales aux parents d'un enfant et plus. La
plupart des autres prestations sociales, en particulier celles
attribuées aux chômeurs, se trouvent minorées de 10 % en
moyenne, dans le double but de limiter les dépenses et d'inciter
à la recherche d'un emploi.
Parallèlement, une part du coût de certaines prestations
médicales financées par l'État est mis à la charge
de leurs bénéficiaires, sauf s'ils disposent d'un faible niveau
de revenu. Dans le même temps, on transfère au secteur
privé la gestion du parc de logements sociaux détenus par
l'État.
Enfin, après un débat né autour d'un "livre blanc"
gouvernemental publié en 1991 et après avoir infléchi
leurs projets initiaux,
les pouvoirs publics remodèlent sensiblement
l'organisation du système de santé.
Un modèle déconcentré, contractuel et entrepreneurial,
où sont dissociés les autorités de financement, la gestion
des moyens de fonctionnement et les organes prestataires est substitué
à l'ancien modèle administratif centralisé. Celui-ci
reposait sur des "Boards" régionaux de santé qui étaient
dirigés par des représentants des professionnels élus
localement et des fonctionnaires d'État.
Les hôpitaux sont transformés en "entreprises de santé".
Les fonds de financement ne transitent plus par les autorités
régionales mais sont gérés par des représentants de
l'État. Ces derniers passent des contrats d'achat de services
médicaux soit aux hôpitaux publics, soit aux prestataires du
secteur privé.
Ce nouveau dispositif incite les hôpitaux publics à adopter une
discipline de nature commerciale et une grande rigueur de gestion, car les
organes de financement peuvent désormais choisir d'affecter leurs
dotations aux cliniques privées s'ils les estiment plus
compétitives.
Les contrats doivent toutefois être conformes aux accords d'achat,
respectant les priorités de la politique nationale de santé,
qu'établissent ensemble le gouvernement et les autorités
régionales.
Une commission consultative nationale composée d'experts assiste le
gouvernement dans la détermination des prestations médicales qui
sont assurées sur fonds publics à tous les citoyens et de celles,
considérées comme ne relevant pas du système national de
santé, dont le financement est laissé à la
responsabilité de chacun mais peut être couvert par des assurances
privées.
2. La poursuite de la réforme de l'éducation
Traditionnellement, en Nouvelle-Zélande, le
système
scolaire reposait sur une administration centrale, le "Department of
Education", à travers un réseau de comités
éducatifs locaux qui contrôlaient les établissements
d'enseignement. La carte scolaire ayant un caractère contraignant, les
élèves étaient obligatoirement inscrits dans
l'école de leur lieu de résidence. Les parents n'étaient
d'aucune façon associés au fonctionnement des
établissements.
La réforme du système commence à la fin des
années 1980. La carte scolaire disparaît. Les dotations publiques
versées à chaque école sont calculées
per
capita
en fonction du nombre d'élèves qui les
choisissent.
Un conseil élu de parents d'élèves assume
la gestion de l'établissement mais, en raison de l'opposition
résolue des syndicats d'enseignants, n'a pas autorité sur les
personnels qui continuent à dépendre de l'administration centrale.
Néanmoins, en 1990, après le changement de majorité, la
loi ouvre la possibilité que de nouvelles écoles soient ouvertes
par des groupes de parents. En outre, quoique les fonds d'État soient
prioritairement alloués aux établissements publics, les
écoles privées sont habilitées à
bénéficier de soutiens publics.
Surtout, en 1992, les universités d'État voient leur autonomie
renforcée -à Wellington on utilise l'expression
"quasi-corporatization"
33(
*
)
- et elles se
trouvent
de facto
incitées à se concurrencer. Dans le
droit fil de cette orientation, les droits d'inscription et les frais de
scolarité acquittés par les étudiants sont
significativement relevés.
B. LA RÉFORME DU DROIT DU TRAVAIL
L'
"Employment Contracts Act" voté en 1991 rompt deux principes qui avaient
été respectés par les gouvernements travaillistes des
années 1980.
Il brise l'obligation pour les salariés
d'appartenir à un syndicat pour obtenir un emploi dans certains
secteurs.
Il supprime l'obligation pour les employeurs de négocier
les contrats de travail dans un cadre collectif (entreprise, branche,
industrie).
Sous l'empire de cette législation, chaque employé peut choisir
de souscrire un contrat de travail individuel ou d'être lié par
une convention collective. Chaque employeur peut choisir de négocier
soit un contrat de travail individuel avec chacun de ses salariés, soit
une convention collective. C'est aux parties elles-mêmes de
déterminer le type de contrat qui régira leurs relations. Tout
contrat imposant aux deux parties le recours à un intermédiaire
(syndicat, avocat...) est illégal mais chaque partie peut, si elle le
souhaite, désigner un mandataire pour la représenter.
Par ailleurs, les grèves sont interdites dans un cadre plus large que
celui de l'entreprise.
Cette règle vaut également pour les
fonctionnaires.
Une infirmière peut se mettre en grève dans
son hôpital pour soutenir une revendication concernant cet hôpital,
mais il lui est interdit de faire grève par solidarité avec ses
collègues d'un autre hôpital ou pour appuyer une demande englobant
plusieurs hôpitaux ou l'ensemble du système de santé.
Dans les quatre ans suivant l'intervention du texte, le nombre de jours de
grève est divisé par 10 ; celui des syndiqués chute de 50
% ; le pourcentage des salariés adhérents à un syndicat
s'effondre à 22 %
34(
*
)
.
Mais, au cours de la même période, les créations d'emplois
s'accroissent de 10 %.
Il faut toutefois noter que les syndicats néo-zélandais ont
déféré la loi devant le Bureau international du travail.
Selon les dires de ceux de leurs représentants rencontrés sur
place, ce dernier l'estimerait contraire à ses normes.
CHAPITRE III
UN LIBÉRALISME SANS CONCESSION
Les
réformes qui ont changé en dix ans le visage de la
Nouvelle-Zélande ne se réduisent pas à celles qui viennent
d'être exposées.
D'autres les ont accompagnées. Le droit de la propriété
intellectuelle, celui de l'urbanisme, de l'environnement, de
l'aménagement du territoire pour ne citer qu'eux ont été
substantiellement révisés. Les juridictions ont été
restructurées. Des concessionnaires privés gèrent les
prisons. On a profondément remanié -nous l'avons vu- le mode de
scrutin des élections nationales. Même les rythmes de la vie
quotidienne n'ont pas échappé au mouvement : toutes les
restrictions horaires à la liberté d'ouverture des commerces sont
levées depuis 1989
35(
*
)
.
Mais, d'une part, toutes ces réformes ont un point commun : une
fidélité sans concession au modèle libéral
d'organisation sociale, source de leur inspiration et objectif de leur
réalisation. Au pays du "long nuage blanc ", le principe de la
régulation par le marché a emporté l'adhésion. Il a
séduit indifféremment la droite et la gauche.
D'autre part, il est incontestable que ce sont les réformes
économiques qui ont entraîné l'ensemble des changements. A
l'heure où se construit l'Europe monétaire, il y a là une
leçon à méditer.
La réputation de "laboratoire du libéralisme"
acquise par
la Nouvelle-Zélande
n'est donc pas usurpée
. Nulle autre
nation développée n'a mis en oeuvre en un si bref laps de temps,
une panoplie aussi étendue de mesures de libéralisation
économique.
Apprécier les fruits de ces mesures présente, par voie de
conséquence, un réel intérêt. Cet examen fait
ressortir des résultats remarquables ; il révèle
parallèlement des ombres liées en bonne part à la
situation du pays. Certaines d'entre elles constitueront l'enjeu de la
prochaine échéance électorale.
I. DES RÉSULTATS REMARQUABLES
A. LE REDRESSEMENT DE L'ÉCONOMIE
1. Croissance accrue et chômage réduit
Si le
changement de cap économique a, selon toute évidence,
arraché la Nouvelle-Zélande au tourbillon fatal dans lequel elle
était aspirée, il ne l'a pas pour autant conduite sur un chemin
facile. De 1987 à 1991, elle traverse cinq longues années de
stagnation. Elle connaît même la récession (-1,2 %) en 1991,
le chômage dépassant 10 %.
Les effets des réformes ne se perçoivent vraiment qu'à
partir de cette date mais ils sont alors particulièrement
démonstratifs. Les résultats du pays le classent depuis lors
parmi les meilleurs de l'OCDE.
Même si elle marqué le pas en 1997 et si elle risque d'être
ébranlée par la crise asiatique,
la croissance annuelle
moyenne du PIB, au cours des cinq dernières années, a
été supérieure à 3,5 %.
Le chômage oscille autour de la barre des 6 %.
C'est le plus bas taux
de chômage de l'OCDE après celui du Japon, des Etats-Unis et de
l'Australie. Il est d'autant plus remarquable que la population active s'est
accrue de 17 % depuis 1991.
L'inflation s'est toujours maintenue au-dessous de 4%. L'investissement
industriel a progressé de 60 %. La cote de solvabilité de la
Nouvelle-Zélande est désormais supérieure à celle
de l'Australie (AA+). Le sommet de la croissance a été atteint au
mois de juin 1994, avec un taux de 6,4 % sur douze mois.
2. Excédents budgétaires se substituant au déficit
Les
déficits du budget "gouvernemental" appartiennent désormais
à l'histoire ancienne. Depuis 1993, l'État dégage un
surplus budgétaire qui, sur les quatre derniers exercices, a toujours
été supérieur à 3 % du PIB.
La loi de responsabilité fiscale de 1994 (Fiscal Responsability Act)
impose d'ailleurs le respect de ce seuil d'excédent tant que la dette
publique représentera plus de 20 % du PIB
36(
*
)
.
Aujourd'hui, le service de cette dette ne mobilise plus que 7 % des recettes
contre jusqu'à 15 % dans le passé. En outre, le gouvernement a
complètement éliminé en 1997 la partie de sa dette
libellée en devises. Il a ainsi réduit très fortement le
risque que représenterait une nouvelle crise des changes.
3. L'élan retrouvé
Vingt-cinq ans après la perte de leur accès
privilégié au marché britannique, les exportations
néo-zélandaises sont à nouveau florissantes.
Elles ont connu une hausse de 30 % en volume depuis 1991. Quoiqu'elles soient
encore axées pour moitié sur des produits de base, elles se sont
beaucoup diversifiées dans leurs structures et dans leurs destinations.
Le taux de croissance des exportations de produits transformés se
maintient autour de 10 % ces dernières années ; les
marchés asiatiques représentent aujourd'hui 40 % des
exportations totales.
Le tourisme représente désormais la moitié des
exportations de services, ce qui suscite d'ailleurs quelques inquiétudes
sur place car, là encore, la clientèle asiatique (500.000
touristes par an) risque d'être affectée par la crise qui secoue
la région.
La Nouvelle-Zélande n'attire d'ailleurs pas les asiatiques que dans ses
hôtels et ses parcs naturels. Il y a 20.000 étudiants originaires
des divers pays d'Asie dans ses universités
37(
*
)
, soit 20 % de la population étudiante dans une
ville comme Auckland.
Cependant, la vitalité de l'économie ne se constate pas qu'au
travers des indicateurs. Elle se perçoit aussi dans la transformation
des esprits.
Le nombre des entreprises individuelles a explosé. Aujourd'hui, 85 % des
entreprises emploient moins de 10 salariés. La mentalité de
pionnier qui marque la culture nationale semble s'être
réveillée. Selon un sondage, seulement 11 % des moins de 35 ans
estiment normal que les chômeurs bénéficient d'une
allocation.
Symbole de ce renouveau, ceux qui ont gagné -pour la première
fois depuis sa création- "l'America Cup" lors de la dernière
compétition investissent un milliard de francs dans l'aménagement
du port d'Auckland pour accueillir la prochaine épreuve. Celle-ci se
déroulera en l'an 2000, la même année que les Jeux
Olympiques de Sydney.
B. LE RENOUVEAU DE L'AGRICULTURE ET DE L'ESPACE RURAL
1. La restructuration de la production
Durement
secouée par la réforme -cela a été signalé
précédemment- mais forte de ses grands atouts naturels,
l'agriculture néo-zélandaise s'est modernisée et
diversifiée. Elle est redevenue sans aucun soutien public le fer de
lance de l'économie nationale sur le marché mondial. De l'avis de
la quasi totalité des observateurs, elle sort
régénérée de l'épreuve. A tel point que les
agriculteurs eux-mêmes considèrent aujourd'hui que 1984 a
constitué pour eux un choc salutaire
38(
*
)
.
La structure de la production agricole a évolué. On constate un
net abandon des activités d'agriculture pastorale traditionnelle,
à qui était destiné l'essentiel des soutiens.
Entre 1985 et 1995, la production ovine -premier bénéficiaire des
aides- a diminué de près de 40 %, tandis que la production
laitière et bovine progressait.
Parallèlement, l'éventail des activités d'élevage
s'est élargi. Autruches, caprins et cervidés -dont la chair et
les bois réduits en poudre bénéficient d'un marché
porteur en Asie- côtoient maintenant, bien qu'en plus petit nombre,
moutons et vaches dans les campagnes.
Ayant connu un fort développement, la production de fruits et
légumes, longtemps limitée, représente désormais 14
% de la production totale en valeur et s'exporte remarquablement bien,
notamment vers le Japon.
La viticulture est également en plein essor et les atouts vinicoles de
la Nouvelle-Zélande commencent à y attirer les entreprises
françaises. Veuve Cliquot et Deutz ont passé des accords avec
Montana, la plus grande maison de négoce vinicole du pays. Notons
d'ailleurs que Montana vend à l'étranger la plus grande part tant
de ses productions que de ses achats de vin néo-zélandais.
Sur les terres où l'élevage a été abandonné,
parce qu'il n'y était plus rentable en l'absence de subventions,
poussent aujourd'hui des forêts. Cette sylviculture qui a sensiblement
modifié les paysages ruraux, présente l'originalité
d'être fondée sur une seule essence, le pin radiata, à la
croissance rapide puisqu'il arrive à maturité en dix ans.
Utilisé pour la construction, il s'exporte également en grosses
quantités vers le Japon et la Corée du Sud qui manquent de bois.
Dans les ports de commerce de Wellington ou d'Auckland, les amoncellements de
grumes frappent d'ailleurs le regard.
L'exportation de ces nouveaux produits tout comme celle de ceux plus
traditionnels (laine, produits laitiers, viande de boeuf et de mouton) reste
une priorité. Sur ce plan, l'agriculture néo-zélandaise
enregistre, au travers des Boards
39(
*
)
, des
succès impressionnants dont le Dairy Board constitue une brillante
illustration.
LE DAIRY BOARD
Créé dès 1871, c'est une coopérative de 14.000
fermiers. Avant la seconde guerre mondiale, c'était un organisme
d'État. Désormais, elle fonctionne sans subventions mais
détient par décision parlementaire le monopole de la
transformation et de l'exportation des produits laitiers.
La production néo-zélandaise de lait ne représente que
1,5 % de la production mondiale
mais
25 % de la commercialisation
mondiale
de produits laitiers (47 % pour l'Union européenne, 10 %
pour l'Australie, 8 % pour les États-Unis). Cette production se monte
à 7 millions de tonnes de lait, dont 90 % est exportée dans 120
pays. Elle se répartit entre :
beurre 250.000 T,
fromage 120.000 T,
poudre de lait 430.000 T.
Le Dairy Board compte :
6.500 salariés dont 1.500 néo-zélandais,
60 antennes commerciales à l'étranger.
La croissance de ses exportations est actuellement de 15 % l'an. Elle pourrait
toutefois être remise en cause par la crise asiatique.
2. La diversification des régions rurales
Les
années consécutives à la réforme se
caractérisent aussi par une diversification croissante des sources de
revenu des ménages agricoles. Ces derniers ont beaucoup élargi
leur gamme d'activités. Certaines consistent à valoriser la
production agricole (transformation des denrées brutes, services
à l'agriculture, tourisme rural, ...) ; d'autres n'y sont pas
liées (industrie de transformation légère, art souvent
d'inspiration maorie et artisanat, ...). L'évolution la plus frappante
concerne l'importance croissante des activités non traditionnelles au
sein des communautés rurales.
Sept ans après la réforme,
60 % des personnes vivant en zone
rurale exerçaient une activité non agricole.
Dans de nombreux
cas, les pertes d'emplois agricoles ont été compensées par
une augmentation des effectifs dans les services à la
collectivité, les services sociaux, les services financiers et aux
entreprises, le commerce de gros, de détail, l'hôtellerie.
Un secteur en particulier constitue un puissant levier de diversification de
l'économie rurale : le tourisme vert. Près de 10 % des
agriculteurs exercent une activité de tourisme rural. Répondant
à une demande croissante de redécouverte de la nature, le
tourisme rural tend à jouer un rôle central dans la
diversification des zones rurales.
Comme le faisait remarquer à la Délégation un
Français installé en Nouvelle-Zélande :
" Il y a
une vie après la mort des subventions ; les agriculteurs
néo-zélandais l'ont démontré ".
C. LA MUE DU SECTEUR PUBLIC
1. Des établissements "démonopolisés".
Au fil
des ans, 24 entreprises publiques d'État ont été
privatisées en totalité ou en partie
40(
*
)
. Seule la Poste demeure une société
détenue à 100 % par l'État. Quelques unes intervenant dans
des secteurs considérés comme stratégiques sont encore
à majorité publique. La plupart sont désormais
passés sous contrôle privé, même si parfois
l'État y conserve encore une participation minoritaire.
A quelques exceptions près, il n'existe plus de monopoles
nationaux.
Ceux existant peuvent être soit publics, soit
privés mais n'ont le plus souvent qu'une assise régionale ou
locale et un champ d'action limité. Tel est le cas dans le domaine de
l'énergie. Les fonctions de production, de transport et de distribution
y sont séparées et les sociétés intervenant sur ces
segments ont, la plupart du temps, un monopole territorial accordé dans
le cadre d'un contrat de fourniture ou de concession souscrit avec
l'État ou une autorité locale.
Ces transformations ont eu un effet saisissant sur la profitabilité des
entreprises d'État. En 1995, le rapport présenté par le
Gouvernement sur la situation financière de seize d'entre elles
souligne, d'une part, que toutes sauf trois font des profits alors qu'elles
étaient généralement déficitaires en 1987 et,
d'autre part, que le bénéfice dégagé par les treize
excédentaires représente quelque 8 % du chiffre d'affaires de
l'ensemble.
Ces résultats traduisent un changement radical dans la gestion de ces
entreprises. En dix ans, les effectifs de la New-Zealand Railways -la SNCF
locale- sont passés de 22.000 à 4.500 salariés.
Ceux de la Poste -dont on a retranché les services bancaires- se sont
contractés de 40 % et un bureau postal sur trois a fermé pendant
la même période. Cependant, avec un timbre à 1,40 F, la
poste néo-zélandaise affiche des bénéfices continus
depuis sa transformation en société anonyme à capital
d'État (en 1997, le bénéfice d'exploitation
représente 10,5 % du chiffre d'affaires). En outre, 95 % des lettres
ordinaires sont distribuées le lendemain de leur dépôt
à l'intérieur de la même zone urbaine.
Pour les entreprises publiques locales, le mouvement semble moins ample. La
quasi totalité a désormais un statut de société
commerciale mais la privatisation apparaît moins prononcée. Ainsi,
seuls 20 % du capital de Lyttelton -le port de Christchurch- sont
côtés à la bourse de Wellington.
En revanche, la concession des services publics locaux au secteur privé
est désormais, à en croire les témoignages recueillis sur
place, le mode de gestion dominant. Toutefois, les graves défaillances
du réseau d'alimentation électrique d'Auckland -la capitale
économique du pays- ont suscité, sur place, des interrogations
sur la fiabilité de ce régime concessionnaire.
La presse a en effet mis en cause la responsabilité de la
société Mercury, à laquelle est
déléguée la gestion de la distribution électrique
à Auckland, dans la survenance des pannes qui ont affecté la
cité au mois de février dernier. De fait, ces pannes
causées par la rupture de gros câbles d'approvisionnement, ont
plongé une grande partie de la ville dans le noir lors du séjour
qu'y a fait la Délégation et ont ensuite perturbé la vie
des affaires et celles des habitants pendant plus de trois semaines.
2. Une administration allégée
La
suppression des services administratifs devenus inutiles du fait de la
libéralisation, l'appel au marché pour certaines prestations
(études par exemple) et l'émergence de structures de gestion
rigoureuse ont produit des effets sensibles.
En dix ans, de 1987 à
1997, les effectifs de la fonction publique ont baissé de 45 %.
Les résultats de ces politiques présentent parfois un
caractère spectaculaire.
L'administration du ministère des
Transports qui comptait 5.000 membres en 1986 n'en employait plus que 50 en
1995.
Une réduction de 100 à 1 ! Ses anciennes fonctions
de régulation, d'allocation de fonds ou de gestion de projets ont toutes
été confiées à divers organismes
spécialisés, sous contrat avec le ministre des Transports.
Au total, la société néo-zélandaise d'aujourd'hui
ne ressemble plus guère à celle d'il y a quinze ans. Longtemps
à l'abri du monde extérieur, vivant dans l'ombre d'un Etat
tutélaire, elle affronte désormais le grand vent de la
concurrence.
Toutefois, ses succès -croissance, emploi, performances commerciales,
dynamisme créatif- ne doivent pas dissimuler certaines ombres.
II. DES OMBRES À CARACTÈRE STRUCTUREL
A. LE POIDS DU CAPITAL ÉTRANGER
En
Nouvelle-Zélande, les plus importantes des entreprises publiques
privatisées sont détenues par des étrangers. Peter Harris,
conseiller économique de la confédération des syndicats,
résume la situation d'une formule lapidaire :
"Nous avons vendu les
banques aux Australiens, la compagnie d'assurance aux Britanniques, les chemins
de fer et les télécommunications
41(
*
)
aux Américains, les forêts aux Japonais,
les compagnies aériennes aux Australiens et aux Britanniques".
Par ailleurs, les capitaux internationaux, notamment asiatiques, s'investissent
massivement dans l'immobilier et dans certains programmes de
développement d'infrastructures (extensions portuaires ou
aéroportuaires par exemple).
Cette forme de dépendance ne semble pas inquiéter les
autorités nationales. Interrogée à ce sujet par la
Délégation, Mme Shipley, Premier ministre, a rappelé que
la Nouvelle-Zélande avait toujours eu besoin du capital étranger
pour s'équiper et que
"l'important pour le pays n'est pas tellement
d'où vient l'argent mais bien que les infrastructures, les emplois, les
activités qu'il permet de financer soient domiciliés sur son
sol".
Il n'en demeure pas moins que l'épargne nationale est faible et les
analystes économiques expliquent mal les raisons de cette faiblesse.
Pour le gouverneur de la banque d'émission, elle semble découler
d'une préférence pour l'investissement immobilier dont les
rendements ne sont pas nécessairement les plus attractifs. Pour le FMI,
la prise en charge par l'État d'un grand nombre de prestations
(retraite, chômage, éducation) inciterait peu à
épargner.
Quoiqu'il en soit, la solution préconisée par l'actuelle
coalition gouvernementale "Parti National/New-Zealand First" afin de
développer l'épargne des ménages, à savoir
l'obligation de
la retraite par capitalisation
, a été
rejetée sans appel par la population. Au référendum qui
l'a proposée,
le "non" l'a emporté avec 92,7 % des voix.
B. LE DÉFICIT DE LA BALANCE DES PAIEMENTS COURANTS
Même si elle s'est très sensiblement
rétablie de
1984 à 1988, la balance des paiements courants n'a pas cessé
d'être déficitaire depuis vingt ans. En 1997, son
déséquilibre représentait 6,5 % du PIB.
Hier, le coût du remboursement de la dette étrangère,
aujourd'hui le rapatriement des dividendes des propriétaires
étrangers des anciennes entreprises publiques expliquent sans doute
cette détérioration.
Dans le contexte d'une politique monétaire très stricte, cette
situation fait peser de lourdes contraintes sur le pays. Les taux
d'intérêts domestiques sont élevés et le cours du
dollar néo-zélandais surévalué. Il convient en
effet de conserver la confiance de l'épargne internationale
Dès lors, en raison du niveau élevé des taux
d'intérêt, les jeunes ménages s'endettent lourdement pour
se loger tandis que, du fait de l'avantage de change, les retraités
préfèrent souvent vendre leur patrimoine pour aller rejoindre le
soleil australien avec un pouvoir d'achat amélioré.
Cette situation constitue un handicap de compétitivité pour les
exportateurs. Elle amène enfin les entreprises installées sur
place à envisager des délocalisations en Chine ou en Asie du
Sud-Est.
Si ces phénomènes devaient s'amplifier, la
Nouvelle-Zélande pourrait y épuiser ses forces.
III. L'ENJEU DU SCRUTIN DE 1999
A. UN LARGE CONSENSUS SUR UNE SCÈNE POLITIQUE REMODELÉE
L'introduction de la proportionnelle dans le mode de scrutin
des
élections législatives a entraîné, en 1996, un
éclatement de la bipolarisation partisane traditionnelle. Actuellement,
cinq partis sont représentés au Parlement
42(
*
)
sans qu'aucun ne détienne la majorité
à lui seul.
Occupant une position clef dans l'actuelle majorité, "New Zealand First"
avait d'abord envisagé une alliance avec les travaillistes avant de
choisir en définitive, après deux mois de tractations, de
soutenir un gouvernement de coalition avec le parti national. En dépit
du revers électoral essuyé par sa formation, M. Jim Bolger qui
dirigeait le parti national a ainsi pu constituer, en décembre 1996, un
gouvernement dont M. Winston Peters, leader du "New Zealand First", devenait
Vice-Premier ministre et ministre de l'économie. Ce dernier,
métis maori réputé pour son "populisme", est alors devenu
l'arbitre inconstant de la majorité gouvernementale.
L'instabilité qui en a découlé, l'érosion rapide de
la crédibilité de "New Zealand First" dans l'opinion
43(
*
)
et l'échec retentissant du
référendum sur les fonds de pension voulu et imposé par M.
Peters explique l'éviction de M. Bolger à la fin de l'an
dernier, alors même qu'il se trouvait en voyage en Europe. Son
remplacement par Mme Jenny Shipley donne une nouvelle "figure de proue" au
parti national pour les prochaines législatives qui auront lieu l'an
prochain. Il n'efface pas pour autant la relative fragilité
électorale de la coalition gouvernementale.
Cependant, un éventuel retour aux affaires des travaillistes
n'apparaît pas de nature à remettre en cause les acquis de la
libéralisation. Celle-ci semble en effet irréversible.
Les dirigeants travaillistes rencontrés par la Délégation
à Wellington n'ont pas laissé planer d'équivoque sur ce
sujet.
"Si nous remportons les élections, nous ne reviendrons pas
à une économie plus contrôlée ; nous poursuivrons la
réalisation d'un marché libre mais à un rythme moins
rapide que celui suivi antérieurement".
L'essentiel des différences paraît en définitive davantage
porter sur la cadence de développement des politiques économiques
déjà engagées que sur leurs objectifs ou leur contenu. Par
exemple, pour les travaillistes, la déréglementation des grands
boards et des professions libérales peut attendre.
Le degré d'égalité de la société constitue
l'autre ligne de partage. Ainsi, la santé et l'éducation se
révèlent devoir occuper une place centrale dans les débats
électoraux de demain.
B. ... MAIS DES POLITIQUES DE SANTÉ ET D'ÉDUCATION EN DÉBAT
Peuple
profondément égalitaire, les Néo-zélandais ne
voient pas sans s'émouvoir se creuser certaines
inégalités. A 6 %, leur taux de chômage compte parmi les
plus faibles de l'OCDE mais il atteint 20 % quand on considère la seule
population maorie. Il ressort en outre des études sur le revenu
disponible réel des ménages que si celui-ci s'est
amélioré entre 1984 et 1994 pour les catégories sociales
les plus aisées, il a diminué pour les moins favorisées.
Dans ce contexte, le transfert d'une part de plus en plus grande du coût
des études universitaires sur les étudiants est mal ressentie car
ces derniers doivent fréquemment emprunter pour les financer. Or, le
remboursement de leurs dettes après l'obtention de leurs diplômes
obère leur capacité d'emprunt au moment de leur entrée
dans la vie active. Il leur interdit par exemple -ce qui apparaît une
forte aspiration chez les Néo-zélandais- l'achat à
crédit d'une résidence principale.
Parallèlement, la nouvelle organisation scolaire tend à favoriser
les écoles des quartiers où vivent les classes sociales les mieux
éduquées au détriment des autres. Les tâches de
gestion étant confiées aux conseils de parents
d'élèves, les compétences de ces derniers deviennent un
facteur discriminant. Beaucoup font observer, à juste titre, qu'un
expert comptable déploie a priori plus d'efficacité dans la
préparation du budget d'un établissement qu'un conducteur de
train. Ainsi, dans les quartiers populaires, les écoles de
proximité souffrent d'un handicap qualitatif.
C'est pourquoi, la population apparaît aujourd'hui très peu
réceptive aux idées avancées par certains de donner
à chaque contribuable, sous forme de bons, des crédits
budgétaires qu'ils seraient libres d'attribuer aux écoles de leur
choix. Elle semblerait davantage pencher, à en croire les
témoignages recueillis sur place, vers une inflexion visant à
égaliser les libertés de choix géographique.
De même, les limitations apportées à la couverture sociale
du risque "maladie"
44(
*
)
suscitent des
contestations.
Les frais de médicaments et de médecine
ambulatoire relèvent en effet de plus en plus largement de la
responsabilité individuelle.
Or, les assurances privées
étant chères, une part non négligeable de la population
n'en souscrit pas.
Cette situation, combinée à la logique entrepreneuriale du
système hospitalier, aboutit à des conséquences peu
satisfaisantes au plan éthique. Ainsi, à en croire plusieurs
témoignages convergents, une personne âgée dont
l'état de santé dégradée nécessiterait une
lourde intervention chirurgicale (cardiaque par exemple) mais qui ne dispose
pas d'une bonne assurance personnelle n'est pas accueillie immédiatement
dans un hôpital. Elle est inscrite sur une liste d'attente et
opérée en fonction de ses disponibilités, les personnes
plus jeunes dans la même situation ou celles de même âge mais
bénéficiant d'une assurance étant traitées avant
elle.
Signe de la mauvaise perception par l'opinion de certains effets de la
politique de libéralisation, le gouvernement de Mme Shippley a
annoncé, en début d'année une hausse des dépenses
de santé et d'éducation dans le budget 1998/1999.
Une pause dans le libéralisme s'annonce-t-elle au pays des "All blacks"
45(
*
)
? Il est trop tôt pour l'affirmer.
La réponse sera connue l'an prochain à l'issue des
élections législatives.
CONCLUSION
Par sa
détermination, sa rapidité et sa vigueur, la
libéralisation de l'économie néo-zélandaise n'est
pas sans rappeler celles menées, depuis 1990, dans plusieurs pays
d'Europe de l'Est (Pologne notamment), pour échapper au piège de
l'économie planifiée.
Hormis le fait que la première ait précédé les
secondes de plus de cinq ans, les deux démarches ne sont toutefois pas
assimilables. En Europe de l'Est, les lois du marché étaient
méconnues ; en Nouvelle-Zélande, elles n'étaient que
faussées par un interventionnisme étatique débridé.
Dans les deux îles jumelles du Pacifique, le régime de la
propriété privée était clairement établi ;
dans les anciennes démocraties populaires il n'était
qu'embryonnaire. Dans un cas, des instances de régulation
indépendantes du pouvoir politique (justice, presse, ...) fonctionnaient
normalement ; dans l'autre il a fallu les fonder.
L'expérience néo-zélandaise
relève en
réalité du cadre de développement retenu par l'Occident au
lendemain de la seconde guerre mondiale, à savoir celui d'une
économie de marché orientée par un Etat keynésien.
Cette expérience
n'en apparaît pas pour autant aisément
"exportable" dans d'autres pays occidentaux
. Ses modalités, son
rythme, sa conduite politique et ses indéniables succès
s'expliquent en effet pour partie par des caractéristiques nationales et
des circonstances particulières dont la combinaison se retrouve rarement
ailleurs.
Ainsi en est-il de
l'esprit pionnier
qui modèle encore
très fortement la culture nationale. A preuve, alors que les hivers sont
rudes dans l'île du Nord et dans l'île du Sud, l'immense
majorité des "Kiwis" ne font pas installer de chauffage central dans
leur maison. Une cheminée dans la pièce principale leur suffit la
plupart du temps. C'est, selon les observateurs avertis, cet
"individualisme
entreprenant et courageux"
fait de résistance à
l'adversité, de dureté envers soi et de proximité avec la
nature qui permet, par exemple, de comprendre l'acceptation par les fermiers de
la suppression brutale des subventions agricoles. A plusieurs reprises, la
Délégation l'a entendu répéter : ces derniers ont
avant tout ressenti cette décision comme une
"calamité
naturelle"
à laquelle il leur appartenait de faire face en comptant
sur leurs propres forces et en démontrant leur aptitude à la
surmonter.
Le respect de la règle démocratique
est un autre signe
typique de l'esprit national. La manière dont les syndicats ont
tenté de s'opposer à
l' "Employment Contracts Act" est un
exemple parmi d'autres de cette attitude. Les propos tenus par l'un des
dirigeants syndicaux rencontrés l'illustre parfaitement :
"Nous
avons, bien entendu, organisé des manifestations dans tout le pays pour
protester contre le projet de loi du gouvernement soutenu par le parti
national. Les gens ont été nombreux à manifester. Mais le
gouvernement a maintenu son projet et la majorité parlementaire issue
des élections de 1990 l'a voté. Depuis, ce texte est
appliqué et nous attendons la prochaine alternance pour exiger sa remise
en cause".
Au-delà de l'accord des différents partis sur la
nécessité de la libéralisation et indépendamment de
l'habileté politique avec laquelle cette convergence a été
utilisée, le consensus national sur le caractère incontestable de
la loi majoritaire a vraisemblablement constitué une des principales
causes l'aboutissement des réformes.
Dans ce contexte, la
brièveté du mandat parlementaire
-trois ans, une des durées les plus courtes parmi les démocraties
occidentales
46(
*
)
- a pu contribuer à la
rapidité, pour ne pas dire la brutalité, avec laquelle ces
mesures ont été mises en oeuvre.
Un certain nombre de
facteurs conjoncturels
ont également
favorisé le consentement des néo-zélandais au virage
libéral de 1984. La crise aigüe déclenchée par
l'affaire du "Rainbow Warrior" dans la première année du
gouvernement de M. David Lange a, de ce point de vue, joué un rôle
non négligeable de diversion. De plus, à l'époque,
l'opinion publique était bien davantage mobilisée par les
débats de sociétés (défense de l'environnement,
égalité Pakehas/Maori droit des femmes, lutte anti-apartheid,
combat anti-nucléaire, ...) que par les questions de politique
économique.
Enfin, la population était fortement
consciente des dangers
de
l'affaissement de l'économie et de la solitude du pays qui ne pouvait
plus compter que sur lui-même pour s'adapter au monde
47(
*
)
.
En cela, l'expérience néo-zélandaise possède une
dimension exemplaire. Elle est en effet la forme nationale d'une réponse
à un défi auquel sont désormais confrontés tous les
pays développés : celui de la mondialisation
accélérée des économies
. C'est pourquoi,
l'examen des solutions retenues dans cet archipel du Pacifique Sud peut nourrir
la réflexion sous d'autres latitudes.
A cet égard, les décisions prises par ce pays -dont la
liberté de choix est plus que d'autres limitée par la taille
relativement modeste et la large ouverture sur l'extérieur de son
économie- diffèrent sensiblement de celles qui sont parfois
arrêtées ailleurs.
Ainsi, quittant la France au moment où l'Assemblée nationale
discutait de la réduction à 35 heures de la durée
hebdomadaire du travail, la Délégation n'a pas manqué
d'être frappée en arrivant à Wellington -où cette
durée est de 40 heures- de constater qu'on examinait au Parlement un
projet consistant à permettre à un salarié qui le
souhaiterait de faire racheter, par son employeur, l'une de ses trois semaines
de congés payés.
De telles divergences amènent à s'interroger. Qui a raison : ceux
qui choisissent de travailler plus ou ceux qui préfèrent
travailler moins ? A qui l'avenir donnera-t-il raison : au pays qui a
déjà un taux de chômage comptant parmi les plus faibles de
l'OCDE ou à celui, comme le nôtre, dont ce taux se situe parmi les
plus élevés ? Qui fait fausse route : la petite
Nouvelle-Zélande confrontée à la gigantesque Asie ou la
France adossée à l'Europe des Quinze ?
Aujourd'hui, nul ne peut encore être sûr de la réponse. Il
est en revanche certain qu'après avoir perdu son quasi monopole
d'exportation agricole vers le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande a
compris que ce n'était ni sur une rente de situation ni sur les
dépenses de l'Etat mais sur l'effort collectif et l'initiative
individuelle que pouvait se construire durablement le succès
économique. La leçon mérite d'être
méditée.
ANNEXE I
UNE POLITIQUE ÉTRANGÈRE AMBIGüE
1) La
Nouvelle-Zélande se considère comme
la plus grande des petites
îles du Pacifique dont elle se veut le porte-parole.
C'est ainsi qu'elle s'efforce de jouer le rôle de médiateur dans
le conflit qui oppose les rebelles de Bougainville au gouvernement de Papouasie
dans lequel l'Australie est au contraire impliquée.
Cette vocation " pacifique " a expliqué longtemps
sa
méfiance à l'égard du " colonialisme
français " en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie.
Toutefois, la faiblesse de ses moyens la conduit aujourd'hui - son budget
militaire représente 1,2 % du P.I.B. et son armée ne compte que
10.000 professionnels - à considérer la France comme
un
élément de stabilité dans le Pacifique
, dès
lors que les conséquences du débat nucléaire et de
l'affaire du " Rainbow Warrior " s'effacent.
2) La Nouvelle-Zélande reste néanmoins très
attachée au principe de la "
sûreté
nucléaire
". Celui-ci explique :
-
• la violente émotion provoquée par l'affaire de Greenpeace
: viol des eaux territoriales, provocation inexplicable de la part d'un pays
où sont tombés en 1914-1918 et enterrés 18.000 soldats
néo-zélandais dont le souvenir est pieusement entretenu ;
• le refus d'accueillir dans ses ports des navires américains, soit à propulsion nucléaire, soit porteurs d'armes nucléaires.
4) Bien que l'Australie, la grande rivale, soit de très loin le premier fournisseur et le premier client de la Nouvelle-Zélande, celle-ci garde à l'égard de sa voisine un vif souci d'autonomie, renforcé par le caractère qu'elle estime exemplaire de la rénovation en cours de son économie.
Ce sentiment a été récemment renforcé par la longue grève menée par le tout-puissant syndicat des dockers australiens pour la défense de leur monopole d'embauche dans l'ensemble des ports du pays.
ANNEXE II
1 L'Australie et la Nouvelle-Zélande, tête de pont de la présence française dans la région Asie-Pacifique ? Xavier de Villepin, Jean-Luc Bécart, Didier Borotra, André Boyer, Maurice Lombard et André Rouvière ; Collection : Les rapports du Sénat (n° 290 ; 1996-1997).
2 Un "océan de fertilité" pour l'économie française ? Leçon d'une mission sur le commerce extérieur au Japon, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Maryse Berger-Lavigne ; Collection : Les rapports du Sénat (n° 27 ; 1996-1997)
3
L'île du Nord et l'île du Sud,
celle-ci se
trouvant prolongée à son extrémité
méridionale par la petite île Stewart.
4
La Nouvelle-Zélande est l'un des maillons de la "Ceinture
de feu" du Pacifique. Les petites secousses sismiques y sont fréquentes
et l'importance du site géothermique de Rotorua-Tampo y témoigne
de la vitalité volcanique.
5
Qui ne sont pas sans évoquer les fjords norvégiens,
à la différence que ces derniers ont été
creusés par les glaciers alors que les rivages
néo-zélandais ont été sculptés par les
volcans.
6
Du nord au sud : 1.100 mm d'eau par an à Auckland, 1.200
à Wellington, 650 à Christchurch, 800 à Dunedin.
7
Ainsi que se surnomment eux-mêmes les
Néo-zélandais.
8
Source : Statistics New Zealand (30 juin 1997).
9
Auckland (plus d'un million d'habitants), Wellington (345.000),
Christchurch (337.000), Hamilton (164.000).
10
Polynésiens : 5,6 % ; Chinois : 2,2 % ; Indiens : 1,2 %.
11 Le peuplement maori de la Nouvelle-Zélande s'est opéré à partir de la fin du 11e siècle.
12
3,6 cents américains le kwh fourni aux
industries, contre 4,2 en Australie, 4,7 aux Etats-Unis, 9,2 en Allemagne, 17,3
au Japon.
13
18 dollars néo-zélandais pour 100 kg de lait solide
contre 39 pour la France et 54 pour les Etats-Unis.
14
Du fait des atouts naturels du pays : climat
tempéré, pluviométrie favorable à la pousse de
l'herbe et sols fertiles.
15
Dairy Board (produits laitiers) ; Apple and Bear Marketing Board
(pommes et poires) ; Kiwifruit Marketing Board (kiwis) ; Hop Marketing Board
(houblon) ; Raspberry Marketing Board (frambroises).
16
Meat Producers Board (viande) ; Wool Board (laine) ; Fishing
Industry Board (produits de la pêche) ; Game Industry Board
(venaison) ; Horticulture Export Authority (fruits et légumes) ; Pork
Industry Board (porcins).
17
Par le Traité de Waitangi signé par le
représentant de la Grande-Bretagne et par la plupart des chefs maoris.
18
55 sièges sur 120 dans le cadre d'un système de
double vote baptisé MMP pour "mixed member proportional".
19
Etant observé qu'un système de pension de retraite
-étendu aux veuves en 1911 - avait été instauré en
1898 et que des allocations familiales étaient versées aux
personnes à revenus modestes depuis 1926.
20
Le taux d'inflation était passé de 10 % en 1980
à 15 % en 1982.
21 La plupart d'entre eux avaient été formés dans des universités américaines ou dans des instances internationales, tels la Banque mondiale et l'OCDE.
22 Goods and Services Taxe.
23
Seuls quelques transactions financières
et les
loyers immobiliers font encore l'objet d'une taxation particulière.
24
En Nouvelle-Zélande, comme en Grande-Bretagne,
l'année budgétaire ne correspond pas à l'année
civile mais s'étend du mois de mars au mois de mars de l'an suivant.
25 L'effacement des bonifications d'intérêt et des allègements fiscaux ayant été étalé sur plusieurs exercices pour éviter de pénaliser les investissements récents.
26
En raison de leur montant massif, les prix des
terres
avaient flambé et des sols n'ayant pas de vocation agricole mais
exploités en pâture se révélaient rentables du seul
fait des subventions. En outre, comme elles étaient plus favorables aux
ovins qu'aux bovins, elles commençaient à induire des
déséquilibres préjudiciales aux intérêts du
pays dans la répartition des cheptels.
27
A l'exception du courrier postal, du contrôle du trafic
aérien et de la distribution de lait.
28
Et après avoir éventuellement procédé
aux ajustements de périmètre destinés à conserver
dans l'orbite publique, celle de leurs activités présentant le
caractère d'un monopole naturel.
29
En application du "State sector Act" de 1988 qui pose le principe
d'une séparation organique des trois fonctions d'orientation politique,
de prestations de services et d'allocation de ressources.
30
D'ailleurs assez souvent fondés par d'anciens
fonctionnaires.
31
C'est-à-dire la plus grosse part de ce qui, en France,
relève des budgets sociaux.
32
La limite d'âge augmente de six mois chaque année
pendant la période.
33
La "corporatisation", rappelons-le, est la transformation en
société de droit privé d'une personne morale de droit
public. En France, pour désigner cette opération lors de la
discussion de loi faisant de France-Télécom une
société anonyme, le néologisme "sociétisation"
avait été utilisé.
34
Ce qui demeure néanmoins significativement
supérieur au taux français.
35
Alors que sur ce plan la règlementation antérieure
était sans doute l'une des plus tatillonnes du monde. Beaucoup
signalent, par exemple, que fermés tous les jours fériés
les pubs devaient cesser de vendre de l'alcool après... 18 heures.
36
51 % en 1991 ; 25 % en 1998.
37
dont les diplômes n'ont toutefois pas tous la
réputation qui leur valait autrefois des équivalences dans les
plus prestigieuses universités anglaises.
38
Notons toutefois que cette agriculture qui
dispose de
vastes espaces continue à ignorer ou à méconnaître
les problèmes d'environnement et s'irrite des normes phytosanitaires
européennes.
39
Voir présentation, chapitre I, II, B.
40
Par exemple Air New-Zealand, Bank of New-Zealand, Petroleum
Corporation, Tourist Hotel Corporation, Shipping Corporation, Rural Bank,
Governement Life, Forestry Corporation, Post Office Bank, Telecom Corporation...
41
A Bell Atlantic et Ameritech.
42
Le parti national (33,8 % des voix et 44 sièges sur 120) ;
le parti travailliste (28,2 % et 37 sièges) ; l'Alliance (10 % et
13 sièges) ; "New Zealand First" (13,3 % et 17 sièges) ; "Act New
Zealand" (6,1 % et 8 sièges)
43
D'après certains sondages du premier trimestre 1998, il ne
recueillerait plus qu'1 à 2 % des intentions de vote.
44
En matière d'accidents du travail ou autres, les
informations fournies à Wellington amènent à
considérer que la prise en charge est intégrale.
45
La célèbre équipe nationale de
rubgy.
46
Cet élément doit être apprécié
en se rappelant qu'en Nouvelle-Zélande tous les pouvoirs d'Etat
découlent de l'élection législative, le Parlement
étant monocaméral et le chef de l'Etat désigné par
la reine d'Angleterre. Tel n'est pas le cas aux Etats-Unis où les
Représentants sont certes élus pour deux ans mais où les
Sénateurs le sont pour six et le Président pour quatre.
47
Tout comme les pionniers fondateurs avaient d'abord dû
compter sur eux-mêmes pour le construire.