Rapport de groupe interparlementaire d'amitié n° 5 - 18 octobre 1995
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PROPOS INTRODUCTIF DE M. RENÉ MONORY,
PRÉSIDENT DU SÉNAT
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PREMIÈRE PARTIE : LA SITUATION
ÉCONOMIQUE DE L'AFRIQUE FRANCOPHONE
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DEUXIÈME PARTIE : COMMENT AIDER
L'AFRIQUE AUJOURD'HUI ?
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TROISIÈME PARTIE : COMMENT L'AFRIQUE
PEUT-ELLE PRENDRE EN MAIN SON DÉVELOPPEMENT ?
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LISTE DES DÉLÉGATIONS PARLEMENTAIRES
AFRICAINES AYANT PARTICIPE AU COLLOQUE
SOMMAIRE
« AFRIQUE FRANCOPHONE : LES CONDITIONS D'UN NOUVEAU DÉPART »
M. Jean-Pierre CANTEGRIT. - Je vous souhaite la bienvenue, tant en mon nom personnel qu'au nom de Jean Faure, Vice-Président du Sénat et Président du Groupe d'Amitié France-Madagascar, pays de l'Océan indien, et au nom de Jacques Legendre, Président du Groupe d'Amitié France Pays d'Afrique de l'Ouest.
Les Présidents de ces trois groupes France-Afrique Centrale, France-Madagascar et Pays de l'Océan Indien, France Afrique de l'Ouest, sont les organisateurs de ce colloque.
Il m'échoit ce matin de présider ce débat et nous avons l'honneur d'avoir la présence du Président du Sénat, M. René Monory. Je vais sans tarder lui donner la parole pour qu'il introduise nos débats et que nous puissions après entendre d'autres intervenants.
PROPOS INTRODUCTIF DE M. RENÉ MONORY, PRÉSIDENT DU SÉNAT
M. René MONORY - Monsieur le Président, mes chers amis, merci.
Lorsque Jacques LEGENDRE, Président du groupe d'amitié France-Pays d'Afrique de l'Ouest, Jean-Pierre CANTEGRIT, Président du groupe d'amitié France-Pays d'Afrique centrale et Jean FAURE, Président du groupe d'amitié France-Madagascar et Pays de l'Océan Indien m'ont suggéré l'idée d'un colloque sur l'Afrique francophone, ils n'ont eu aucun mal à me convaincre. D'emblée leur projet m'a séduit. Il y avait à cela plusieurs raisons.
La première est personnelle, je dirais affective. J'aime l'Afrique. J'aime me rendre chez les Africains - je le fais souvent - et j'ai toujours un plaisir immense à les recevoir. Il y a chez eux une chaleur, une merveilleuse spontanéité qui va droit au coeur. La Vienne a noué des liens très privilégiés avec le Burkina-Fasso. D'année en année, les habitants de mon département et ceux de la si bien-nommée « Patrie des hommes intègres » ont appris à se connaître, à s'estimer, à s'apprécier profondément. C'est, pour tous, une belle et irremplaçable expérience humaine.
L'Afrique et la France ont une longue histoire d'amitié et de fraternité ; elles ont partie liée pour l'avenir, comme elles l'ont eue dans le passé. Cela va de soi, me direz-vous, et pourtant il n'est pas inutile de le réaffirmer aujourd'hui, ne serait-ce que pour dissiper les inquiétudes qui se font jour ici ou là. La France n'abandonnera jamais l'Afrique ; elle continuera de l'accompagner dans ses progrès vers le développement et contribuera à en faire un espace de paix.
Nous devons être bien convaincus que, malgré les tensions qu'elles peuvent connaître dans le contexte international et financier impitoyable de notre époque, les solidarités franco-africaines ne se relâcheront pas. Ces solidarités sont multiples et imbriquées.
J'ai assisté avant-hier - et une partie d'entre vous avec moi - à une Conférence des Présidents des Assemblées parlementaires ayant le français en partage, réunis par les soins du Président Philippe SEGUIN, et les membres du Bureau de l'Assemblée nationale. Cette Conférence nous a permis de mesurer, à nouveau, à quel point l'usage d'une langue commune facilite les contacts, les échanges, et débouche sur un ensemble de valeurs et de références communes. Cette solidarité linguistique ne doit pas se relâcher, et nous devons tout faire pour cela.
Mais que seraient les liens culturels et linguistiques s'ils ne s'accompagnaient pas, presque naturellement, de solidarités économiques. On connaît l'importance des échanges commerciaux entre la France et l'Afrique. Il existe, en outre, entre la France et la plupart de ces pays de l'Afrique francophone, cette solidarité financière extraordinaire que constitue la zone franc qui, à travers les tensions et les réaménagements qu'elle a récemment connus, a montré son aptitude à s'adapter et à survivre aux chocs parfois brutaux de la réalité financière contemporaine. A l'heure où les monnaies des grands pays industrialisés doivent s'allier pour résister aux assauts des marchés financiers mondiaux, je crois que l'on ne doit pas sous-estimer le prix que représente, pour nos économies respectives et la sûreté de nos échanges, cet espace de cohésion monétaire que constitue la zone franc.
Certaines voix ont pu s'inquiéter des effets de la construction européenne sur les relations franco-africaines. Mais il importe de dire que ce n'est pas parce que la France fait avancer l'Europe, qu'elle se détache de l'Afrique. Au contraire, l'Union européenne nous permettra de faire à vingt ce que nous ne pourrions plus réaliser seuls. Les Conventions de Lomé me paraissent, à ce titre, un outil irremplaçable : qu'il s'agisse de garantir des débouchés commerciaux aux produits africains, ou de compenser les effets des fluctuations des cours des matières premières, la France peut faire davantage en entraînant ses partenaires européens, qu'elle ne pourrait le faire seule.
Solidarité linguistique et culturelle ; solidarités commerciales et financières : à ces deux grandes catégories de liens, je voudrais en ajouter une troisième qui nous tient particulièrement à coeur ici au Sénat, parce que nous sommes des parlementaires et parce que nous sommes des élus locaux. Je veux parler des solidarités politiques.
Je suis heureux que le colloque d'aujourd'hui permette d'aborder le vaste domaine de la coopération décentralisée. Car je crois qu'il y a dans nos collectivités territoriales françaises - Régions, Départements, Communes - des réserves de compétences, de bonne volonté et de dévouement qui ne demandent qu'à se manifester en faveur des pays en développement, et surtout en faveur de nos amis africains, parce qu'il n'y a pas entre nous de barrière de la langue. J'ai personnellement lancé, il y a quelques années déjà, avec la Mairie de Loudun et avec le Conseil Général de la Vienne, des actions de coopération avec le Burkina-Faso, et, à la lumière de cette expérience, je crois qu'il y a place, à côté de la coopération entre États, pour des aides, au plus près du terrain et des réalités locales entre villes ou entre collectivités territoriales.
Et puis - et je m'exprime cette fois, non plus en qualité d'élu local, mais en tant que Président d'Assemblée - il y a d'autres solidarités politiques qu'il convient à mon avis de développer : je veux parler des relations entre parlementaires français et africains. Je salue ici l'excellent travail que font les groupes d'amitié, qui, année après année, tissent entre les sénateurs français et les parlementaires africains un réseau dense de relations, d'amitié et de confiance absolument irremplaçable. Dès ma première élection à la Présidence du Sénat, je me suis efforcé d'encourager leur activité, car je crois que c'est grâce aux échanges et aux rencontres qu'ils permettent, que nous pouvons mieux nous comprendre et mieux connaître les problèmes auxquels sont confrontés nos pays et nos concitoyens respectifs.
Je salue ici également le rôle que joue l'AIPLF -l'Assemblée Internationale des parlementaires de Langue Française-, qui constitue un forum exceptionnel où s'exprime et se nourrit la fraternité linguistique des peuples africains et français. La complémentarité de son action et de celle de nos groupes d'amitié n'est-elle pas physiquement incarnée dans la personne du sénateur Jacques LEGENDRE, à la fois Président du Groupe d'Amitié France-Pays de l'Afrique de l'Ouest, et Secrétaire Général Parlementaire de l'AIPLF ?
Il est un troisième domaine dans lequel les solidarités parlementaires trouveront, à l'avenir, je crois, de plus en plus matière à s'exprimer.
L'Afrique s'est engagée depuis quelques années dans la voie de la démocratisation... chemin difficile, et sur lequel, surtout dans les commencements, on n'avance pas sans cahots et sans soubresauts ... De réformes constitutionnelles en élections législatives se constituent des Parlements démocratiquement élus.
Mais il ne suffit pas d'élire un Parlement, il faut aussi savoir le faire fonctionner pour qu'il puisse jouer son rôle de législateur et de contrôleur au sein des institutions démocratiques. Cela ne s'improvise pas, mais cela s'apprend. En France, cela fait deux siècles que nous avons un Parlement, et nous n'avons toujours pas fini de réformer notre Constitution et les règlements de nos Assemblées pour améliorer son fonctionnement. J'ose dire que nous avons maintenant une certaine expérience en la matière. Cette expérience, nous sommes prêts à la mettre à la disposition de nos amis africains. Nous accueillons chaque année ici, au Sénat, de nombreux parlementaires et fonctionnaires des Assemblées africaines, pour leur exposer le fonctionnement de nos Assemblées, les rouages de leur administration, et les règles qui Gouvernent la procédure législative. En sens inverse, certains de nos experts se rendent auprès de jeunes Assemblées pour tenter de les appuyer dans leur formation.
Ces efforts seront poursuivis et développés car ils répondent, je crois, à un besoin, et les Assemblées des vieilles démocraties ne doivent pas se dérober au devoir de parrainage qui est le leur.
Amitié historique, communauté linguistique, relations économiques, solidarité monétaire, fraternités politiques, les liens qui unissent la France aux pays d'Afrique francophone sont trop nombreux et trop imbriqués les uns dans les autres pour se relâcher. Nous devons tout faire pour qu'ils contribuent au progrès, à la production de richesses, et au bonheur de nos peuples.
PREMIÈRE PARTIE : LA SITUATION ÉCONOMIQUE DE L'AFRIQUE FRANCOPHONE
M. Jean-Pierre CANTEGRIT. - Merci, Monsieur le Président du Sénat, de ces paroles qui vont permettre l'introduction de nos travaux. Tous les participants auront été sensibles au message d'espoir que vous venez de nous transmettre.
Nous vous remercions d'avoir bien voulu ouvrir notre colloque.
Nous allons ouvrir nos travaux, après l'intervention du Président Monory. Je vous rappelle que le thème de nos débats, c'est l'Afrique francophone, les conditions d'un nouveau départ. Je vous ai indiqué dans quelles conditions ce programme avait été organisé.
Je vais ce matin présider les travaux au cours desquels interviendront un certain nombre de personnalités. Je vous propose le schéma suivant. Nous allons écouter un certain nombre d'orateurs.
Nous écouterons successivement M. Jean-Michel Sévérino, Directeur du Développement au Ministère de la Coopération, M. Serge Mikhaïlof, Conseiller spécial à la Banque Mondiale, M. Francis Meyer, Chef des Affaires internationales à la Direction du Trésor, M. Mamalepot, Gouverneur de la Banque des États d'Afrique Centrale, M. Charles Konan-Bany, Gouverneur de la Banque Centrale des États d'Afrique de l'Ouest, et enfin M. Antoine Pouillieute, Directeur Général de la Caisse française de développement.
Je vous demanderai toutefois de limiter votre temps de parole à 15 minutes, afin que puissions instaurer un dialogue avec la salle, que vous puissiez poser des questions à tel ou tel des intervenants et que nous puissions terminer nos travaux à 12h.30.
Le programme de cet après-midi est aussi chargé. Nous aurons l'intervention de M. Jacques Godfrain, ministre délégué chargé de la Coopération. A la suite, un bon nombre d'intervenants prendront la parole.
Et puis nous arriverons à la troisième partie, celle que va présider Jacques Legendre, où nous avons là aussi des intervenants de qualité : M. Keba Mbaye, M. Jean-Louis Vilgrain, M. Jean-Pierre Prouteau. Nous devions avoir en clôture l'allocution de M. Hervé de Charette, Ministre des Affaires étrangères. Malheureusement, j'ai reçu de M. de Charette une lettre vous demandant d'excuser son absence. Il est aujourd'hui à Belgrade et au moment où il devait intervenir, il sera avec le Président Milosevic. Nous comprenons tous l'importance de ce qui se passe actuellement dans l'ex-Yougoslavie.
Je voudrais très simplement, avant d'appeler les intervenants à la tribune, vous rappeler ce que vous a dit le Président Monory. Sachez que nous avons vingt-deux Présidents d'assemblées africaines présents ici dans cette salle, deux Présidents du Sénat, celui du Sénat Congolais, celui du Sénat Mauritanien, plus d'une vingtaine de Chefs de mission diplomatique africaine, les Gouverneurs des Banques centrales de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique centrale.
Nous avons un ancien Ministre de la Coopération, M. Michel Roussin, qui représente le Maire de Paris, M. Xavier de Villepin qui préside la commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat, M. Yvon Bourges, Sénateur, ancien Ministre de la Défense, et de nombreux Sénateurs et Députés français ici présents.
J'ai certainement oublié de hautes personnalités, veuillez m'en excuser.
Je voudrais également, au point où nous en sommes, remercier les fonctionnaires du Sénat qui ont participé à l'organisation de ce colloque. Je voudrais remercier MM. Bruno Baufumé, Loïc Vance et Patrick Laferrère ; ils ont fait un travail remarquable pour organiser cette journée de travail.
Je vais appeler à la tribune les intervenants de ce matin. M. Jean-Michel Sévérino, M. Serge Mikhailof, M. Francis Mayer, M. Mamalepot, M. Charles Konan Bany et M. Antoine Pouillieute.
Je vous rappelle les règles que nous nous sommes tracées : une courte intervention d'un certain nombre de personnalités qui sont à cette tribune. Je souhaite le respect des 15 minutes pour permettre après un dialogue avec la salle.
Le premier intervenant - nous n'avons pas d'ordre protocolaire, mais un ordre d'inscription sur une liste - est Jean-Michel Sévérino. Il est né à Abidjan en Côte d'Ivoire. Il était prédestiné pour venir nous parler aujourd'hui dans cette enceinte.
M. Sévérino a une solide formation puisqu'il est diplômé de l'Ecole supérieure du commerce de Paris et de l'Institut d'Etudes Politiques. Il est licencié en droit et en sciences économiques et il est ancien élève de l'ENA.
Il est Inspecteur des finances, il a été Conseiller technique au Cabinet du Ministre de la Coopération et du Développement, Chef du service des études financières de la coordination géographique au Ministère de la Coopération entre 1988 et 1993 et il est Directeur du développement au Ministère de la Coopération.
A - UN ESSAI DE PROSPECTIVE
(Intervention de M. Jean-Michel SEVERINO, Directeur du Développement au Ministère de la Coopération)
M. SEVERINO. - Je suis particulièrement heureux et honoré d'être parmi vous ce matin dans une assemblée particulièrement compétente et un petit peu effrayé car j'ai l'impression de jouer le rôle du marabout chargé d'introduire sur les perspectives du futur.
Vous m'avez demandé de parler de l'Afrique et de la prospective. On sait combien cet exercice est aléatoire et difficile. Avant toutefois de rentrer dans le sujet, permettez-moi un message personnel. Je voudrais ici rendre hommage et adresser un message à mon ancien Ministre Michel Roussin à qui je dois mes fonctions actuelles, dont l'engagement dans cette opération de dévaluation et les combats communs ont été pour moi des moments et un engagement tout à fait particuliers.
Néanmoins, quand on regardera de très loin la façon dont l'Afrique va évoluer dans le siècle qui finit et celui qui va commencer, nous verrons que si les problèmes monétaires ont pu être extraordinairement importants sur le moment, les grandes tendances de ce continent se situent aujourd'hui ailleurs et dans sa démographie.
C'est ce que je vais essayer de voir avec vous rapidement à travers l'exposé de travaux que nous avons menés dans le cadre du club du Sahel, une instance qui réunit les bailleurs de fonds de la région avec les pays africains membres du Comité Inter-États de lutte contre la Sécheresse au Sahel (CILSS). Ce travail qui s'appelle les perspectives à long terme de l'Afrique au sud du Sahara, a été mené avec une cohorte importante d'experts africains et européens pour l'essentiel, et principalement financé par le Ministère de la Coopération dans le cadre de cet organisme.
Nous avons beaucoup travaillé sur ces sujets et je crois qu'ils méritent que l'on s'y attarde quelque peu. Au départ, j'avais prévu de vous présenter quelques perspectives de cette évolution de l'Afrique, puis quelques ouvertures sur les politiques que cela impliquait. Mais l'ajustement structurel sévère que vous faites peser sur les crédits horaires, qui nous mettent tout de suite dans l'ambiance FMIenne de ces réunions, ne permettront pas d'évoquer les ouvertures de politique de développement et de coopération. Finalement, c'est bien ainsi car l'exposé que je vous ferai laissera le champ extrêmement libre à l'imagination.
Lorsque l'on regarde cette région de l'Afrique de l'Ouest et du Centre, telle qu'elle a évolué et telle qu'elle est en train d'évoluer, on peut la résumer en disant que c'est une Afrique en création, dont le mouvement est absolument extraordinaire, une Afrique en création de peuples, d'africanité nouvelle et en création de nouveaux pouvoirs et de nouveaux systèmes de gestion.
Pourquoi cette Afrique est-elle en création de peuples ? Il n'y a aucun espace dans l'histoire de l'humanité dont la population a crû à un rythme aussi rapide sur la base d'un peuplement endogène. Le seul exemple de croissance aussi rapide que l'on puisse mentionner est celui des États-Unis, mais à partir d'une colonisation.
La population de l'Afrique de l'Ouest, si l'on comprend cette région comme allant du Cap Vert jusqu'au Cameroun compris, est passée de 45 millions en 1930 à 87 millions en 1960, 194 millions actuellement et l'on pense qu'elle atteindra 430 millions en l'an 2020.
La proportion d'urbains dans cette population est passée de 4 % en 1930 à environ 40 % aujourd'hui et elle comptera environ 60 % sans doute en 2020.
En dépit de cette croissance des villes, les campagnes n'ont cessé et ne cessent de se peupler. L'espace ne cesse de se densifier en dehors des villes. Nous pensons que cette perspective se poursuivra.
En l'espace de quatre générations, la région aura donc vu sa population totale multipliée par 10 et sa population urbaine multipliée par 100. Il faut peser chacun de ces chiffres.
Les projections que nous avons essayé de faire au travers de cette étude sur les perspectives à long terme en Afrique, au sud du Sahara, montrent une probabilité en 2020 d'environ 430 millions d'habitants dont 271 millions en ville, avec une croissance exponentielle. Nous avons arrêté nos perspectives en 2020. Bien entendu, au-delà reste une interrogation.
Une remarque additionnelle : malgré ces 430 millions, cette région restera relativement vide à l'échelle internationale. Elle n'atteindra pas en tout cas et de loin ce que l'on pourrait appeler les densités asiatiques. Ce n'est donc pas un espace aujourd'hui comble, mais bien entendu il faut faire la part des espaces mobilisables en termes de potentiel rural notamment.
Ce qui est intéressant à évoquer est la structuration de cet espace. Cette carte tente de vous donner une image probable de ce que pourra être cet espace ouest-africain aux environs de 2020. Il se dégage à peu près 3 grands espaces structurés et des sous-espaces. Une façade atlantique qui correspond en gros à la façade actuelle du Sénégal, zone qui devrait continuer à se densifïer, mais qui va rester assez fortement différenciée et coupée du reste de l'Afrique de l'Ouest par toute une série d'espaces actuellement faiblement occupables pour de nombreuses raisons (pédologie, climatologie, voire de maladies).
Ce qui est le plus impressionnant, c'est le très grand espace côtier qui est en train de se constituer. En gros, on imagine aujourd'hui qu'il est en train de se constituer une mégalopole qui ira à peu près de Lagos à Accra et qui pourrait compter aux environs de 2020 entre 18 et 20 millions d'habitants, un ensemble tout à fait exceptionnel, d'autant que ce sera une urbanisation basse, en zone côtière, avec de nombreuses difficultés techniques.
Enfin, une densification centrale dans les zones sahéliennes qui correspond aux zones des grands empires et des cités haoussas, des zones déjà relativement denses à l'échelle historique de l'Afrique et dont le processus de peuplement continue à se faire à haute vitesse, ceci malgré la migration.
Cette structuration en trois grands espaces s'accompagne de marges soudaniennes et d'espaces interstitiels notamment entre la zone côtière et la zone sahélienne qui sont des espaces faiblement occupables pour des raisons d'aménagement d'espace, de faiblesse de tissu urbain. L'on voit bien que les villes intermédiaires et les villes moyennes ont tendance à retenir les populations et à structurer l'espace rural autour d'elles, et aussi pour des raisons de bilharziose pour l'espace rural.
Les conséquences en termes de circulation de la population vont être extrêmement importantes. La plupart des espaces intérieurs, dont la population est en train de croître à grande vitesse, continueront à se densifier mais exporteront une grande partie de leur population. Les deux graphiques montrent les soldes migratoires dans la période 60-90 et un essai d'évaluation de ces soldes migratoires sur la période 1990-2020.
Les pays sahéliens ont été exportateurs de main d'oeuvre vers les pays côtiers, la Côte d'Ivoire étant le principal bénéficiaire, mais le Cameroun, le Sénégal constituant des réceptacles non négligeables de cette population.
Dans la période 1990-2020, on risque de voir changer assez substantiellement ces flux, en termes de destination et d'origine, mais surtout de les voir se poursuivre en termes de chiffres absolus à des niveaux encore plus importants. Le Cameroun et la Côte d'Ivoire devraient rester des pays de réceptacles, mais si sa croissance économique continue, le Ghana devrait devenir également un pays bénéficiaire de fort afflux de population.
Les pays sahéliens devraient continuer à être des pays exportateurs de population. Mais on voit l'émergence de pays très faiblement exportateurs de population comme le Niger, le Tchad et le Burkina Faso ou le Mali.
On peut estimer qu'à l'horizon de 2020, si on part de l'hypothèse que les zones rurales du Sud Niger sont faiblement densifiables dans les connaissances techniques actuelles, à peu près la moitié de la population du Niger vivra en dehors des frontières de ce pays, vraisemblablement dans les pays côtiers.
Ceci a une importance extrêmement grande. Si les frontières ne sont pas très largement ouvertes à la circulation des hommes, il se produira des problèmes majeurs dans les pays potentiellement exportateurs de population.
Cette région est de plus en plus urbaine. Elle va le devenir de plus en plus. Je l'évoquais à propos des probabilités d'atteindre 60 % de la population dans les villes. Ces deux cartes vous montrent une image de la situation actuelle en 1990. On compte à peu près 2500 villes dont 90 de plus de 100.000 habitants et on estime que vers 2020 il devrait y avoir à peu près 6000 villes dont 300 de plus de 100.000 habitants.
Il est intéressant de constater l'avance du Nigeria. Sa densité urbaine aujourd'hui est à peu près celle de l'Afrique de l'Ouest en 2020. Etudier le Nigeria aujourd'hui, c'est donner une bonne image, vraisemblable, de ce que sera le tissu urbain et les problèmes qui y sont liés dans l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest dans environ 30 ans.
Pour ceux qui connaissent le Nigeria, cette remarque mérite aussi des réflexions et des approfondissements.
On pourrait penser que cette urbanisation se fait au détriment de l'agriculture. En fait, ce que nous avons repéré, c'est l'extraordinaire relation entre la densification urbaine et l'amélioration du sort dans les campagnes. Au fur et à mesure que la croissance urbaine se développe, pour peu que les zones rurales soient viabilisées et desservies, il y a un accroissement de demandes adressées à la campagne en termes de produits vivriers et de produits maraîchers.
D'autre part, même les cultures d'exportation se trouvent améliorées par l'urbanisation, en particulier parce qu'un certain nombre de services sont fournis aux campagnes à travers une amélioration du savoir-faire dans les villes.
Entre 1960, 1990 et 202, entre les réalisations et les estimations, on note que des zones seront complètement en périphérie urbaine et des zones dont on peut considérer qu'elles seront en relation immédiate avec un centre urbain et donc soumises à une monétarisation complète et insérées complètement dans un cycle d'échange. Vous voyez qu'à cet horizon 2020 on peut estimer que la quasi totalité de cet espace sera intégrée dans une économie marchande de relations entre la ville et la campagne.
Cette hypothèse est très importante. Elle repose sur l'idée qu'il n'y a pas contradiction entre l'urbanisation et l'amélioration des revenus et de la situation dans les campagnes. Au contraire, il y a des dynamiques positives, à condition bien entendu que les politiques macro-économiques et sectorielles soient menées qui permettent à cette liaison ville-campagne de se faire. Bien entendu, les politiques des gouvernements peuvent, si elles sont inadaptées, contrarier profondément ce mouvement.
Un certain scepticisme règne sur les capacités de réponse de la production agricole face à la population. C'est un point que nous avions particulièrement travaillé dans le cadre de cette prospective.
S'agissant des évolutions respectives de la consommation et de la production d'une part, et d'autre part des importations alimentaires en pourcentage de la consommation totale, après avoir culminé vers 1981, et notamment en conséquence des grandes sécheresses sahéliennes des années 1970, le décalage entre l'offre et la demande alimentaire décroît régulièrement dans cette région et les importations en pourcentage de la consommation totale ont tendance à régresser.
On voit bien à travers cette mécanique toutes les relations positives qui existent entre l'expansion de cette demande urbaine et les capacités qu'ont les campagnes d'offrir des produits vivriers à la ville.
Bien évidemment, ces scénarios restent sujets aux problèmes climatiques généraux - les dernières années ont été plutôt favorables - ainsi qu'aux politiques économiques. Dans ce domaine, la dévaluation du franc CFA a eu un impact extraordinairement positif et on a vu en particulier exploser ces rapports entre ville et campagne.
Ces quelques perspectives vous donnent une idée extrêmement synthétique et schématique de cette évolution de la situation de l'Afrique de l'Ouest dans les 30 ans à venir.
Cette évolution peut se résumer de trois manières. D'une part cette Afrique est en train de se créer des peuples nouveaux, parce que les populations ne cessent de s'accroître, parce que se créent des ensembles extrêmement importants qui se moquent des limites frontalières et politiques, et qui structurent des relations à l'échelle de l'ensemble de la région, avec des réseaux commerçants extrêmement actifs, non seulement au niveau de l'espace régional, mais au niveau mondial en allant chercher dans le monde entier leurs relations commerciales.
C'est une Afrique qui devient de plus en plus africaine dans son économie parce que les groupes ethniques qui étaient autrefois composés de quelques centaines de milliers de personnes seront composés de quelques millions et parfois de quelques dizaines de millions de personnes. Il s'agit de véritables nations qui sont progressivement en train d'émerger avec leur langue, leurs façons de faire, leurs pratiques commerciales, souvent une excellente insertion à l'échelle internationale.
Ce n'est pas une Afrique repliée sur elle-même à la naissance de laquelle nous assistons mais à une Afrique extrêmement immergée dans le monde et dynamique qui prend beaucoup d'initiatives et qui travaille avec ses règles propres qui ne sont pas celles des anciens colonisateurs qu'ils soient Français, Britanniques ou Portugais.
C'est une Afrique qui est également en création de pouvoirs complets. Il faut évoquer la très grande crise que l'ensemble de ce mouvement démographique est en train de provoquer. Crise de l'État d'abord puisque les États affrontés à une crise financière absolument considérable, elle-même gérée à travers les processus d'ajustements structurels, ne sont plus en mesure aujourd'hui d'assurer toutes les fonctions de la souveraineté. Ils perdent de plus en plus de légitimité, ils se replient sur des fonctions extrêmement élémentaires et parfois insuffisantes pour maintenir les grands équilibres.
Face à cette crise de l'État, qui a du mal à se gérer, renaissent des pays au sens géographique et rural du terme, ou des villes, avec leurs pouvoirs propres, leur citoyenneté propre, leur façon de s'organiser.
Parallèlement, les pouvoirs traditionnels des sociétés africaines sont également fortement mis en cause, à cause de l'urbanisation, de l'explosion démographique qui place la jeunesse dans une position complètement différente par rapport aux classes âgées, qui met les hommes d'expérience dans une situation délicate face à des groupes de jeunes qui ont des expériences complètement différentes de celles du passé, et également en raison des problèmes fonciers, la densification foncière en zone rurale bouleversant complètement les modes de gestion traditionnelle du foncier.
L'ensemble de ce mouvement crée donc une crise politique et on peut estimer que la façon de gouverner cette région d'Afrique sera particulièrement modifiée et sera le principal enjeu des prochaines années.
Cette perspective ne fait qu'ouvrir le débat. Elle appelle plus de questions et plus de doutes que de certitudes, mais il est important de dire que ce n'est pas une vision pessimiste. Le peuplement, la croissance démographique, s'ils sont convenablement gérés, peuvent être l'espoir et la chance d'un espace qui pendant très longtemps a été trop vide pour asseoir de véritables bases d'un développement durable.
(Applaudissements).
M. Jean-Pierre CANTEGRIT. - Nous devons remercier Jean-Michel Sévérino pour cet excellent exposé introductif. Vous aurez apprécié comme moi-même ce qu'il nous a dit. Je le remercie de sa concision. Je sais que ce n'était pas commode, mais il n'a dépassé son temps de parole que de 5 minutes.
Notre deuxième intervenant est Serge Mikhaïlof, 52 ans, qui a fait des études à H.E.C., au Massachussets Institute of Technology, qui a une licence de sociologie, un doctorat d'économie du développement, et qui depuis 1975 a travaillé pour la Caisse Française de Développement. De 1977 à 1993, il a exercé les fonctions de Directeur des agences locales de la Caisse Française de Développement au Niger, au Gabon et au Sénégal. Il a ensuite été détaché depuis 1993 auprès de la Banque mondiale comme Conseiller spécial auprès des Directeurs pour l'Afrique occidentale et centrale.
Il fait ensuite partie d'une société d'aide technique et de coopération. Ingénieur d'études, puis directeur du bureau d'études, enfin économiste consultant auprès de la banque mondiale, avec diverses missions de préparation de projets de développement dans plus de 30 pays du sud.
M. Mikhaïlof a publié plusieurs ouvrages, notamment « les apprentis sorciers du développement » (1985, Economica), un « guide d'analyse des projets d'investissements » en collaboration avec Manuel Bridrier (Economica, 1995) et « La France et l'Afrique », directeur de l'ouvrage collectif (Karthala, 1993).
B - L'AFRIQUE EST-ELLE SUR LA VOIE D'UN RETOUR À DES ÉQUILIBRES PROPICES AU DÉVELOPPEMENT ?
Intervention de M. Serge Mikhaïlof, Conseiller spécial à la Banque Mondiale
M. Serge MIKHAILOF. - Mesdames et Messieurs, j'ai écouté avec beaucoup d'attention l'exposé de Jean-Michel Sévérino. Deux mots m'ont particulièrement frappé : la croissance démographique extrêmement brutale que connaît actuellement l'Afrique et le terme de crise.
Je voudrais resituer un peu l'aide par rapport à cette Afrique qui connaît une croissance démographique prodigieuse et qui sera soumise dans les années qui viennent à un certain nombre de crises.
Je voudrais resituer et tenter de réhabiliter cette aide qui, il faut bien reconnaître, n'est plus à la mode. En particulier l'aide à l'Afrique a plutôt mauvaise presse. Cette aide est contestée par l'opinion publique, par les médias, par les responsables politiques soumis à des contraintes budgétaires considérables.
Beaucoup critiquent cette aide en disant qu'elle est mal employée, certains disent gaspillée, qu'elle est sans impact réel. On lui préfère l'humanitaire qui est plus visible. Enfin on dit qu'elle est inutile parce qu'après tout les Soviétiques ne font plus peur et ne risquent plus d'intervenir en Afrique.
Dans ce cadre général, je voudrais tenter de réhabiliter ce que j'appelle l'aide institutionnelle, c'est-à-dire l'aide dispensée par les États du Nord, par les grandes institutions internationales comme la Banque Mondiale, ceci tout particulièrement dans un contexte exceptionnel où l'Afrique hésite entre le succès et le désastre.
J'insiste sur le rôle de l'aide dans cette période parce que celle-ci peut contribuer à faire pencher la balance du bon côté. Aussi je voudrais développer brièvement 4 points.
L'Afrique est multiple. On parle beaucoup de l'Afrique des désastres dans l'immédiat, mais il y a aussi l'Afrique des succès.
Je voudrais souligner le fait que les principes qui sous-tendent le succès en Afrique sont maintenant bien connus, d'abord parce que nous avons des exemples de succès. En ce sens, le succès, à mon sens, est à portée de la main.
Troisième point : pour les pays qui stagnent ou qui régressent au plan économique, à mon sens il n'y a guère de voie moyenne. Ou bien il y aura le succès ou bien il y aura le désastre.
Quatrième point : je voudrais insister sur le rôle que l'aide internationale peut jouer dans ce contexte.
Un petit rappel sur l'Afrique des succès et des désastres. Il faut se méfier des amalgames et en particulier des statistiques globales. Le taux de croissance du produit intérieur brut par habitant pour l'Afrique subsaharienne en 1994 est négatif (moins 1,3 % à peu près). On ne peut rien tirer d'un tel chiffre car cela recouvre des écarts qui vont de moins 47 à plus de 10 %. On voit donc bien qu'il y a des situations de désastres et des situations de succès.
A cet égard, il faut terriblement se méfier des clichés médiatiques et ne pas voir au niveau du sud du Sahara une zone de famine et de guerre civile. En fait, on peut considérer qu'il y a 3 Afriques. D'abord une Afrique à la dérive, avec des pays en guerre civile ou au bord de la désorganisation sociale et économique (je pense bien sûr au Zaïre, mais aussi au Nigeria si ce pays ne se reprend pas). Ensuite, il y a une Afrique en stagnation, souvent majoritaire, que l'on connaît bien, qui a été la situation de la zone franc avant la dévaluation dans les années 80-90. Et puis nous avons une Afrique en émergence, dans laquelle certains pays connaissent des processus de croissance, de transformation rapide, dans laquelle certains secteurs économiques se transforment extrêmement rapidement, une Afrique qui représente l'espoir pour demain.
Rappelons que pour quelques grands pays de la zone franc, dans la période 1986-93, le Cameroun et la Côte d'Ivoire ont notamment connu une chute du revenu par habitant de l'ordre de 40 %. C'est une catastrophe analogue à celle qui se produit actuellement dans les pays de l'ex-URSS.
Et puis je note qu'en Côte d'Ivoire, en 1995 le taux de croissance globale du P.I.B. dépasse les 6 %. C'est un taux de croissance qui pourra très vraisemblablement être soutenu et peut-être même amélioré.
La réussite à mon sens est à portée de la main. Je crois qu'il faut dire non au scepticisme global. Ceci est montré par un certain nombre d'exemples. Je pense d'abord à des pays qui étaient très décriés et que l'on considérait comme des cas désespérés il y a 25 ans. Je pense notamment à la Tunisie ou à l'île Maurice, à laquelle les experts prédisaient un triste sort.
Aujourd'hui, nous voyons qu'un certain nombre de pays francophones peuvent toucher le succès. Je vois au moins 4 principes qui sous-tendent le succès. Le premier est un minimum de stabilité politique dans le cadre d'un état de droit. Le deuxième c'est ce que les économistes appellent un cadre macro-économique viable, c'est-à-dire la maîtrise des finances publiques, une inflation maîtrisée, un taux de change réaliste. Le troisième grand principe, ce sont des réformes sectorielles rapides dans les principaux domaines économiques - je pense en particulier à la santé, à l'éducation, aux politiques de la ville qui paraissent fondamentales, à l'agriculture où il faut desserrer l'emprise de l'État et des secteurs para-étatiques, et enfin au domaine du transport où il faut réduire impérativement les coûts de transports.
Si je reprends ces trois premiers principes, s'agit-il d'une utopie ? Leur mise en oeuvre dans les pays d'Afrique francophones correspond-elle à une utopie ? Je ne pense franchement pas. La stabilité politique est tout à fait possible, elle est même compatible avec la démocratie. Un certain nombre d'exemples le montrent. Un pays comme le Mali a conduit des réformes économiques rapides dans un cadre démocratique et dans un contexte de transparence tout à fait honorable.
Le cadre macro-économique viable, est-ce utopique ? Je note simplement que dans l'UMOA actuellement 6 pays sur 7 répondent aux critères du Fonds Monétaire international. Le 7ème est bien décidé à rejoindre le peloton. Même en Afrique centrale où les choses ont été plus complexes, le Cameroun vient de signer avec le Fonds Monétaire International.
Les réformes économiques sectorielles rapides sont-elles utopiques ? Je note simplement que dans un certain nombre de pays avec l'aide de la coopération française, de l'Union européenne, de la Banque mondiale, des réformes sectorielles profondes sont actuellement en cours de préparation ou en cours d'exécution. Je suis de ce côté-ci extrêmement conforté.
Il manque un 4ème principe. Il s'agit des politiques de soutien délibéré au secteur privé. Il est certain qu'il reste encore beaucoup à faire, il y a encore beaucoup de retard, mais je note une certaine progression extrêmement satisfaisante et favorable. Au niveau des idées, je suis frappé de voir que les dirigeants politiques des pays d'Afrique francophone et les responsables économiques et financiers sont maintenant convaincus que le développement de leur pays passe par le développement du secteur privé. C'est un progrès considérable car il y a 5 ans ce n'était pas du tout la situation.
Par ailleurs, on voit dans quelques pays des processus rapides de privatisation, de soutien au secteur privé, qui sont peut-être encore hésitants et faibles, mais le mouvement est lancé et je pense qu'il devrait s'accélérer.
En ce domaine, je suis assez optimiste dans la mesure où dans certains pays les organisations patronales locales se constituent en véritable contre-pouvoir et vont probablement constituer des lobbies qui vont permettre de transformer et de réformer ces politiques.
Je voudrais insister sur un fait qui me semble clair, après avoir écouté M. Sévérino : pour les pays qui sont actuellement encore une bonne majorité africains, entre le succès et le désastre il n'y a pas de voie moyenne et ils sont condamnés au succès.
Face à la très forte croissance démographique, il n'y a pas d'alternative à la croissance économique rapide. Nous avons l'exemple de l'Algérie, qui montre où le tandem échec économique croissance démographique très rapide peut conduire un pays. Or je pense de façon très sérieuse quand on regarde la situation de l'Afrique que si l'on s'interroge sur les perspectives à long terme, il n'y a que 2 modèles viables au niveau de l'Afrique.
Le premier modèle est un modèle repoussoir. C'est celui des seigneurs de la guerre, celui du Liberia ou de la Somalie dans lesquels les guerres de rapine deviennent un mode de vie et de production et conduisent à une régulation « naturelle » de la démographie et à la désintégration des états, avec la constitution de vastes zones parcourues par des bandes armées qui sont de véritables terra incognita, et au milieu quelques îlots utiles protégés par des milices où l'on retrouverait des mines, des zones pétrolières, des cités urbaines que l'on protège, etc...
Il est bien évident que ce scénario, viable sur le moyen long terme, est parfaitement inacceptable tant au plan de l'éthique qu'au plan géopolitique. La seule alternative est un modèle de type tunisien tel qu'il a été mis en place dans ce pays depuis 20 ans, un modèle de type ivoirien tel qu'il est esquissé depuis la dévaluation par la Côte d'Ivoire et aussi par quelques autres pays de l'Afrique francophone, tel qu'en ce qui concerne la Côte d'Ivoire, il a été présenté par son premier Ministre au dernier groupe consultatif.
C'est un modèle dans lequel l'état se désengage des secteurs productifs, l'Administration cesse de contrôler et de régenter tout pour procéder à une dérégulation et une libéralisation considérable, pour sortir d'un modèle d'économie rentière inefficace et parvenir à un système d'économie compétitif, libre, efficace.
Sur ce plan, je voudrais vous donner quelques chiffres concernant la Côte d'Ivoire. Après beaucoup d'hésitations dans les 6 premiers mois de 1995, la Côte d'Ivoire a privatisé 10 entreprises publiques de grande taille, ce qui représente 20 milliards de francs CFA. Dans les 18 mois à venir elle va en privatiser 25 autres, ce qui représente des efforts considérables. En particulier une entreprise comme Palme Industrie ou une société de télécommunications seront privatisées. C'est un modèle totalement différent.
Dans ce contexte, quel est le rôle de l'aide institutionnelle ? Je voudrais donner ici une vision un peu personnelle. Cette aide institutionnelle n'est pas omnipotente et elle ne peut pas à elle seule mettre les pays sur le chemin du développement. C'est un choix des pays, un choix politique, parce que personne, ni le Fonds monétaire, ni la Banque mondiale, ne peut imposer les réformes qui s'imposent aux pays en question.
Par contre, l'aide peut jouer un rôle très important parce qu'elle peut faciliter les réformes, les rendre financièrement et politiquement acceptables. Ces réformes, pour mettre les pays sur les voies de la croissance, sont nécessairement coûteuses. Quand on restructure un secteur bancaire en faillite cela coûte beaucoup d'argent. Quand on restructure des entreprises publiques qui sont également en faillite, politiquement c'est très coûteux parce qu'il faut licencier du personnel, payer des indemnités, etc.
L'aide extérieure, à ce niveau, peut rendre des services considérables en permettant de rendre supportable la chirurgie et les traitements de choc qui s'imposent à l'évidence pour mettre les pays sur la voie de la croissance.
Sur ce plan, je voudrais resituer le rôle de l'aide institutionnelle par rapport aux aides un peu plus visibles que sont l'humanitaire et les ONG. L'aide humanitaire c'est merveilleux, c'est très important, mais cela concerne les pays à la dérive. Les ONG sont très importantes, mais pour les cas graves, lorsque cela relève de la chirurgie, il est nécessaire d'avoir une aide à la fois importante en volume financier, forte en termes de message politique et qui dispose d'équipes très structurées.
En conclusion, je soulignerai quatre points. L'aide institutionnelle sur laquelle j'ai insisté a besoin du maintien de ses ressources, c'est vrai pour l'IDA au niveau de la banque mondiale, pour les aides bilatérales, en particulier l'aide de la coopération française. L'aide pour être efficace a besoin d'un message politique fort : oui au développement, aux réformes économiques et non au laxisme et aux petites rentes.
Sur ce plan, la France a un rôle déterminant à jouer, à la fois par ses ressources et par son message politique, par ce qui va se passer en Afrique dans les années qui viennent.
Enfin, il est bien évident que la Banque mondiale qui est soumise à des contraintes de ressources va être obligée d'exercer une plus grande sélectivité dans ses interventions à venir en Afrique et que son aide ira nécessairement aux équipes qui gagnent.
Celles-ci existent aujourd'hui en Afrique, elles sont aux commandes de beaucoup de pays. Il faut les soutenir, les appuyer.
(Applaudissements).
M. Jean-Pierre CANTEGRIT. - Merci M. Mikhaïlof pour la qualité de votre intervention que l'auditoire a apprécié, mais également pour la concision de votre propos.
Nous sommes heureux d'accueillir Francis Mayer, 45 ans, agrégé d'allemand, ancien élève de l'Ecole Nationale d'Administration, qui a eu une carrière de professeur agrégé d'allemand, puis, après sa scolarité à l'ENA, d'adjoint au bureau des investissements étrangers à la Direction du Trésor, en poste à la Banque mondiale à Washington en 1983, puis de Chargé de mission auprès du Service des Affaires internationales à la Direction du Trésor.
Chef du bureau des banques et compagnie financière nationale au service des Affaires monétaires et financières à la Direction du Trésor, chef du bureau du marché financier au service des Affaires monétaires à la Direction du Trésor, sous-directeur des financements à la Direction du Trésor, sous-directeur de l'Epargne, Directeur adjoint du Trésor et Chef du service des Affaires internationales du Trésor.
Intervention de M. Francis MAYER, Chef du Service des Affaires internationales du Trésor
M. Francis MAYER. - Merci beaucoup Monsieur le Président. Après toute cette litanie de titres administratifs, j'espère ne pas ennuyer l'auditoire avec trop de litanies sur le thème de l'ajustement, de la rigueur budgétaire, de programmes FMI.
On me demande de traiter du sujet « l'Afrique est-elle sur la voie d'un retour à des équilibres propices au développement ? Une perspective économique et financière ». Je vais donc être obligé de me situer dans le domaine économique et financier.
On a pu dire que les années 80 étaient celles de la décennie perdue pour l'Afrique. Je rappelle que la croissance moyenne du P.I.B. était d'environ 2 % par an, la croissance démographique étant de l'ordre de 3 %. On voit que le recul du P.I.B. par habitant a été tout au long de la décennie de l'ordre de 1 % par an, donc un recul de la richesse par habitant pour l'Afrique.
Le paradoxe est que ce résultat n'était pas dû à un quelconque désengagement des bailleurs de fonds, puisque l'aide publique au développement reçue par l'Afrique a augmenté fortement au cours des années 80. Elle représentait environ 5 % du P.I.B. des pays bénéficiaires entre 1981 et 1987 et près de 10 % entre 1988 et 1992.
L'augmentation de l'aide extérieure ne s'est donc pas accompagnée d'une accélération, mais plutôt d'un ralentissement du développement. Voilà le paradoxe. Il y a à la fois des raisons externes et des raisons internes à cette évolution adverse. Il y a eu certes des fluctuations erratiques sur les changes et les marchés des matières premières, mais il y a eu aussi mauvaise gestion économique, financière, budgétaire, par les gouvernements africains eux-mêmes.
L'Afrique francophone n'a évidemment pas échappé à cette évolution, mais ses perspectives de croissance sont aujourd'hui bien meilleures que dans les années 1980. Ceci est d'abord le résultat du retour au réalisme dans la gestion économique et financière des États, c'est aussi le fruit du bouleversement des structures économiques et d'un meilleur environnement économique mondial.
A partir de là, j'aimerais structurer mon propos en trois parties. Dans la première partie, je montrerai pourquoi les perspectives économiques sont aujourd'hui bien meilleures, encore que cette situation est contrastée. Dans une deuxième partie, je dirai quelle conclusion nous pouvons tirer de cette situation meilleure, mais néanmoins contrastée. Enfin, je vous indiquerai qu'à mon sens la restauration des équilibres économiques et financiers, pour importante qu'elle soit, ne suffit pas à assurer la croissance. Il faut aussi parvenir, dans les pays d'Afrique, à un meilleur partage entre le secteur public et l'initiative privée.
Les perspectives économiques sont aujourd'hui en nette amélioration dans une large part de l'Afrique. Les pays de la zone franc ont dans l'ensemble amorcé un retour à la croissance depuis 1994 et depuis la dévaluation du franc CFA. Je ne vais pas rappeler les deux chocs macro-économiques simultanés et très violents que les pays de la zone franc ont subi à la fin des années 80 et au début des années 90, la dégradation des termes de l'échange, la chute des prix des matières premières.
Je rappellerai la dévaluation du dollar par rapport au franc français et donc au franc CFA ; entre 1985 et 1992 le taux de change effectif réel des pays de la zone franc avait augmenté de 50 %. Les prix en monnaie locale des exportations agricoles s'étaient effondrés.
Depuis 2 ans, le paysage économique a radicalement changé. La dévaluation du franc CFA a permis aux pays de la zone franc de compenser ces deux chocs de la fin des années 80 et surtout - et c'est un hommage à rendre aux gouvernements des pays africains - grâce à la bonne maîtrise des prix et des salaires après la dévaluation, ces pays ont pu conserver l'essentiel du gain de compétitivité que la dévaluation avait apporté.
En effet un doublement des prix aurait effacé complètement l'effet bénéfique de la dévaluation en termes de compétitivité. Or la hausse des prix depuis janvier 1994, dans les pays de la zone franc, est comprise selon les pays entre 30 et 50 %.
L'environnement est redevenu favorable à la croissance. En 1992 et 1993, le P.I.B. avait baissé de 1 % et même 2 % en 1993, sans parler de la croissance démographique. On voit dans quelle impasse les pays de la zone franc notamment étaient en train de s'engager.
Cette croissance a atteint 1,5 % en 1994, ce qui était encore insuffisant pour rattraper la croissance démographique, mais l'inversion de la tendance s'était produite. En 1995, la croissance dans les pays de la zone franc sera comprise entre 4 et 5 %. En 1995, pour la première fois depuis de longues années, le revenu par habitant sera en augmentation dans les pays de la zone franc. Nous avons pu le constater et nous en féliciter lors de la dernière réunion des Ministres de la zone franc qui s'est tenue à Bamako au Mali.
Les deux Ministres présents, c'est-à-dire M. Arthuis le Ministre des Finances, et M. Godfrain le Ministre de la Coopération, ont pu constater des effets tout à fait positifs, par exemple une réelle prospérité dans les zones rurales au Mali, des investissements dans le monde agricole, un bonheur retrouvé dans les zones rurales et même, semble-t-il, d'après ce que nous ont dit les dirigeants maliens, un retour au pays de paysans qui étaient venus s'entasser dans la périphérie des villes. Ils sont donc revenus à la campagne parce qu'il est de nouveau devenu rentable de cultiver et de vendre le produit des cultures vivrières.
Ce tournant de 1994 s'est accompagné d'une énorme mobilisation des institutions financières internationales. La zone franc a bénéficié de 10 milliards de francs français d'aide du Fonds et de la Banque, sans parler de l'aide française et des annulations de dettes qui ont été consenties pour accompagner ces mesures courageuses.
Le fait est que cette situation, favorable globalement, est néanmoins contrastée. Dans l'ensemble, l'Afrique occidentale s'en tire pour l'instant mieux que l'Afrique centrale où l'assainissement économique et budgétaire et les réformes de structures ont été engagés plus tardivement.
Je vais surtout parler de la zone franc, mais d'autres pays francophones d'Afrique ont renoué avec un environnement économique favorable : la Guinée, la Mauritanie, pays très pauvres. Quand on descend plus vers le sud du continent, il est évident qu'il y a deux grands pays qui connaissent toujours des difficultés très graves. C'est le cas du Zaïre et de Madagascar. Nous espérons tous que des politiques appropriées, c'est-à-dire rigoureuses sur le plan économique et budgétaire puisqu'elles conditionnent tout le reste, y compris la réduction de la pauvreté, seront mises en place de manière à ce que ces pays puissent pleinement réintégrer la communauté financière internationale et bénéficier des aides que ces pays pourront mériter.
Pour terminer ce tour d'horizon, il y a aussi dans les pays francophones d'Afrique des modèles de réussite. L'Ile Maurice a une croissance annuelle supérieure à 6 % depuis de longues années. Ce pays est aujourd'hui quasiment sorti du sous-développement. C'est un exemple de grande réussite.
Deuxième point de mon propos : quelles conclusions faut-il tirer de ce constat ? La stabilisation du cadre économique et financier est la première condition du développement. Une étude récente sur la situation économique de l'Afrique Subsaharienne entre 1986 et 1993 montre que sur toute cette période, les pays dont les déséquilibres financiers et budgétaires sont restés limités sont aussi ceux qui ont connu la croissance la plus élevée et la réduction de la pauvreté la plus significative.
Il nous semble, et l'expérience le confirme, que seul un État maître de ses coûts et de ses dépenses est à même de s'engager résolument dans la voie de la réduction de la pauvreté, d'y consentir les moyens, de faire les arbitrages budgétaires nécessaires, et également - et ce n'est pas négligeable quand on sait l'importance que représente l'aide extérieure pour le développement de l'Afrique -d'inspirer confiance aux donateurs internationaux, qu'ils soient bilatéraux ou multilatéraux.
Où en sont les États d'Afrique francophone dans la gestion de leurs finances publiques ? Il y aurait beaucoup de choses à dire. Je voudrais insister sur un point particulier : dans les pays de la zone franc, la part des recettes fiscales dans le P.I.B. n'est que d'environ 10 à 15 %. C'est beaucoup trop faible au regard des standards internationaux et même des standards de l'ensemble des pays en développement, compte tenu des besoins de ces pays.
C'est la raison pour laquelle les programmes d'ajustement et de croissance en cours dans ces pays tendent vers une augmentation du niveau des recettes fiscales et douanières, puisque la moyenne pour les pays en développement est d'environ 20 % du P.I.B.
Certains pays, y compris parmi les pays francophones et ceux de la zone franc, sont en passe d'atteindre l'autonomie budgétaire. Ainsi le Mali, pays pauvre, qui a peu de ressources, qui est constamment menacé par la désertification, a réaffirmé une nouvelle fois, devant les deux Ministres français, qu'il cesserait bientôt, au 1er janvier 1997, de solliciter toute aide budgétaire de la France.
D'autres pays, moins pauvres que le Mali, n'en sont pas encore là. Cela me paraît un objectif souhaitable pour que toute l'aide extérieure puisse être consacrée au financement du vrai développement et de la vraie réduction de la pauvreté.
En conclusion, il nous semble - et l'expérience paraît l'enseigner - qu'assainissement financier, croissance économique et réduction de la pauvreté vont de pair.
Quelques mots sur les composantes du développement : la restauration des équilibres financiers et budgétaires, pour importante qu'elle soit, ne suffit pas à assurer le développement. Il faut également tendre à un meilleur partage entre le secteur public et l'initiative privée. Je n'insisterai pas longuement. Vous savez tous que les pays d'Afrique francophones, notamment, sont traditionnellement, pour la plupart, des économies administrées, et que Fonction publique et secteurs publics y sont largement hypertrophiés, le terme n'est pas trop fort.
Les cultures d'exportation qui sont si importantes pour l'équilibre extérieur de ces pays sont traditionnellement gérées de manière sans doute beaucoup trop centralisée, par des entreprises en situation de monopole, sur toutes les activités de la filière.
Comment s'étonner dès lors que l'initiative privée n'ait pas toute la place qui doit lui revenir dans l'économie de ces pays ? Ce ne sont pas seulement les insuffisances de la gestion publique que j'ai relevées tout à l'heure qui sont responsables de cette situation de fait. Il est clair que les États africains, jusqu'à une période récente, n'ont pas, à quelques exceptions près, laissé à l'initiative et au secteur privé toute la place qui doit être la sienne.
Il faut donc trouver un meilleur équilibre entre les deux secteurs, ce qui ne veut pas dire du tout disparition du rôle de l'État. Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet, mais il nous semble qu'un État recentré sur ses missions essentielles, et en premier lieu sur ses missions régaliennes (la justice, les grandes infrastructures) et qui ne s'occupe pas de gérer dans le détail l'économie d'un pays, est à la fois plus fort et plus efficace et dispose des moyens pour s'attaquer au vrai problème, à savoir le développement économique et la réduction de la pauvreté.
Certes la croissance n'est pas la seule composante du développement, mais elle en est la première condition. De nombreuses études pertinentes sur le développement et la réduction de la pauvreté, dans les pays en développement en général, et particulièrement pour l'Afrique, ont fait apparaître qu'il y avait trois conditions essentielles pour le développement et la réduction de la pauvreté.
La première condition est la croissance économique, non seulement dans l'absolu mais par tête, ce qui implique également la maîtrise de la croissance démographique.
La deuxième est la nécessité d'un engagement réel et quantifiable des gouvernements en faveur de la réduction de la pauvreté. Un des indicateurs est le budget. Quelle est la part dans un budget des dépenses improductives, par exemple des dépenses militaires excessives, des budgets entièrement absorbés par les salaires des fonctionnaires ? D'un autre côté quelles sont les dépenses consacrées à la santé et à l'éducation ? Un Vice-Président de la Banque mondiale, qui avait un peu d'expérience, me disait que la dépense budgétaire la plus importante pour lui était celle consacrée à la scolarisation réussie des jeunes filles de l'éducation primaire. On voit très bien tout ce qu'il y a de fructueux dans cette remarque.
Enfin, la troisième condition identifiée à plusieurs reprises, ce sont les financements extérieurs appropriés. Le représentant de la Banque mondiale en a parlé. Tous nos interlocuteurs ici présents savent que la France ne ménage pas ses efforts pour que l'Afrique dispose des financements extérieurs nécessaires à son développement. Le Président de la République, le Premier Ministre, le Ministre des Finances, l'ont rappelé avec force à plusieurs reprises.
C'est la France qui a poussé sans arrêt et qui a veillé à ce que l'Afrique subsaharienne soit placée au coeur des préoccupations de la communauté financière internationale. L'Afrique subsaharienne est devenue la priorité de l'aide au développement et ceci n'était pas évident du tout. En valeur absolue, il y a beaucoup plus de pauvres, de gens qui vivent en-dessous du seuil de la pauvreté, en Asie, en Inde, en Chine. Cette place de l'Afrique au coeur des préoccupations du développement doit être maintenue, mais il faut qu'elle continue de se mériter.
Un exemple : l'A.I.D. qui est la source concessionnelle la plus importante du financement du développement est consacrée à peu près à moitié à l'Afrique subsaharienne et au quart aux pays de la zone franc.
Enfin, il faut que les gouvernements africains nous aident à plaider la cause de leur développement auprès des institutions internationales et des bailleurs bilatéraux en continuant de s'engager résolument dans des politiques économiques et financières rigoureuses, et dans des politiques réelles de réduction de la pauvreté et de développement de leur pays.
(Applaudissements)
M. Jean-Pierre CANTEGRIT. - Je pense que comme moi vous aurez apprécié les propos de Francis Mayer. Sa rigueur, sa présentation étaient nécessaires dans l'exposé et dans l'ensemble des débats de ce matin.
La parole est maintenant à M. Mamalepot, Gouverneur de la Banque des pays de l'Afrique Centrale. M. Mamalepot a 53 ans, il est né au Gabon, il est diplômé de l'Ecole supérieure des Sciences commerciales appliquées de Paris, promotion de 1968. Il est Inspecteur général des finances.
M. Mamalepot a exercé de hautes fonctions dans les domaines bancaires, monétaires et financiers puisqu'il a été successivement Directeur adjoint de la Banque centrale au Gabon, Directeur général de la Banque gabonaise de développement et Conseiller spécial du Président Bongo de la République gabonaise pour les questions financières.
Pendant tout ce temps, il a siégé en qualité d'administrateur au Conseil d'Administration de la Banque des États de l'Afrique centrale d'une part et de la Banque de développement des États de l'Afrique centrale d'autre part.
M. Mamalepot est Gouverneur de la Banque des États de l'Afrique centrale depuis août 1990. A ce titre, il exerce également les fonctions de Président de la commission bancaire de l'Afrique centrale. Il entame un second mandat à la tête de ces institutions depuis le 1er août de cette année.
Intervention de M. MAMALEPOT, Gouverneur de la B.E.A.C.
M. MAMALEPOT. - Les orateurs qui m'ont précédé ont parlé de l'Afrique en général et particulièrement de l'Afrique francophone. Je voudrais centrer mon propos sur la région d'Afrique centrale et celle où notre banque centrale exerce le privilège de l'émission monétaire.
Le thème proposé me conduit à me poser la question de savoir s'il n'appelle pas, dans une certaine mesure, à répondre à la question : depuis la dévaluation où en est l'Afrique francophone ?
Parlant de ces États de l'Afrique centrale qui sont le Gabon, le Congo, la République Centre-africaine, le Tchad, la Guinée équatoriale et le Cameroun, ces six pays situés au centre de l'Afrique sous l'équateur ont connu une croissance économique relativement soutenue jusqu'en 1985.
A partir de cette date, la crise est intervenue et ils sont entrés dans de grandes difficultés économiques et financières nées de causes externes, mais aussi de causes internes.
Au titre des causes internes, on a observé la chute du P.I.B., de la consommation des ménages, le dysfonctionnement de certaines administrations publiques avec leur cortège de contre-performances, l'accumulation des arriérés intérieurs et extérieurs au titre de la dette des États, le sinistre des institutions bancaires, bref, la crise s'est installée dans ces pays, avec son cortège de problèmes sociaux.
Mais les États ne sont pas restés les bras croisés. Les pays d'Afrique centrale ont mis en oeuvre des programmes d'ajustement, souvent avec l'appui des organisations financières internationales, le FMI et la Banque mondiale.
Mais force est de constater que jusqu'en janvier 1994, la plupart des programmes d'ajustement mis en oeuvre dans cette sous-région n'ont produit aucun effet, en tout cas n'ont pas inversé la tendance.
C'est ainsi qu'en harmonie avec la région ouest africaine, les États d'Afrique centrale ont décidé le réalignement de la monnaie du franc CFA intervenu le 12 janvier 1994.
C'est une décision inédite. Mais alors comment ces pays ont-ils réagi à cette décision ? Comme tout le monde pouvait le penser, on a redouté après le réalignement de la monnaie des troubles sociaux, une aggravation de l'inflation. Or rien de tout cela ne s'est produit.
En effet, la sous-région est restée calme et si après le choc, aussi bien économique que psychologique, les opérateurs économiques se sont sentis éprouvés, les prix ont augmenté rapidement, mais vite des mesures ont été prises pour les maîtriser. En tout cas l'inflation est restée dans les limites du raisonnable puisqu'elle n'a pas dépassé les 30 ou 35 %.
En décidant cette mesure, les pays d'Afrique centrale entendaient renforcer la compétitivité de leurs économies. Que s'est-il réellement passé ? Je dois relever que certains pays d'Afrique centrale tels le Gabon et le Congo sont recouverts à près de 80 % de zones forestières, et que d'autres sont sahéliens tels le Cameroun au Nord et le Tchad. Vous comprendrez qu'avec cette variété de climats et de reliefs les conditions économiques et les productions ne peuvent qu'être diversifiées et variées.
Sur le plan agricole, on peut dire que la région a globalement bien réagi à l'événement de la dévaluation car les productions de café, de cacao, de banane, de coton, ont bien réagi et les productions ont augmenté. A la même époque, sur le marché international, les prix étaient orientés à la hausse. Coïncidence heureuse.
D'une manière générale sur le plan agricole, les pays ont bien réagi. Toutefois on a regretté le coût élevé des intrants qui sont importés, qui a renchéri et est venu peser sur les productions agricoles. En même temps, on a profité de cette occasion pour assainir les filières agricoles qui étaient quasiment abandonnées par les paysans à la suite de la persistance de la crise.
Dans le domaine forestier, la sous-région a également bien réagi face à une demande internationale globalement forte et positive. La sous-région d'Afrique centrale n'a pas pu produire suffisamment de bois pour répondre tant à la demande qu'au prix de la matière orientée à la hausse. Néanmoins, certains pays comme le Gabon ont dû tirer profit de l'écoulement du bois.
Sur le plan minier, les productions de manganèse ont augmenté. Sur le plan des activités industrielles, celles-ci sont restées relativement soutenues. Mais je me dois de préciser que seules les industries tournées vers l'exportation ont dû bénéficier de parts substantielles de marchés.
En revanche, les industries tournées vers la consommation intérieure et utilisant à fond des produits importés ont souffert, car il faut bien le reconnaître si la dévaluation a favorisé certaines exportations, elle a renchéri de façon automatique par un effet mécanique les importations. Celles-ci ont diminué, mais pour les entreprises qui travaillent avec l'extérieur ces exportations quasi obligatoires les ont presque pénalisées.
Les activités commerciales et industrielles sont restées relativement soutenues. L'évolution des prix a été maîtrisée. Les salaires également ont été maîtrisés. Là où certaines décisions de relèvement des salaires ont vu le jour, ces relèvements n'ont pas dépassé la fourchette prévue par les institutions internationales et dans le programme.
Au plan de la monnaie et du crédit, on a observé dans l'ensemble une reprise du mouvement des affaires et une amélioration notable des agrégats monétaires. C'est ainsi que les réserves de change gérées par l'institut d'émission sont passées d'une position débitrice globale de 104 milliards de francs CFA à un solde positif global de 143 milliards de francs CFA.
La couverture de la monnaie émise dans la zone s'est améliorée pour se situer à près de 43 %. D'une manière globale, c'est un renversement de tendance qui s'est produit, mais cette situation est restée assez contrastée suivant les pays.
Le solde global de balance des paiements, bien que toujours négatif, s'est amélioré. Les pays dans l'ensemble ont confectionné des budgets orientés à la hausse, mais l'on a regretté d'un côté la lenteur dans les décaissements de bailleurs de fonds extérieurs, de l'autre les fonds qui ont été décaissés, ne l'ont pas été en totalité.
Je dois ici relever que les pays de notre sous-région l'ont fait savoir à des bailleurs de fonds aussi bien bilatéraux que multilatéraux.
La situation en Afrique centrale est jugée moins bonne que dans la sous-région voisine d'Afrique de l'Ouest. Au lendemain de la dévaluation, les pays de la sous-région sont rentrés en programme avec les institutions financières internationales. Mais force est de constater qu'à l'exception d'un seul programme, tous les autres qui ont été mis en place n'ont pas fonctionné. De ce fait, ils ont été à l'origine, dans une certaine mesure, du blocage d'une part importante du financement promis à l'extérieur.
A ce jour, le dialogue reste de mise entre les États de l'Afrique centrale et les bailleurs de fond, notamment les institutions de Bretton Woods et les nouveaux programmes sont en cours de négociation. On peut espérer que ces négociations débouchent sur la conclusion de nouveaux programmes qui conditionnent le flux de capitaux en direction de notre sous-région, peut-être même de toute l'Afrique francophone.
Je vous ai parlé très rapidement de la situation d'avant la dévaluation et celle qui prévaut depuis janvier 1994. Aujourd'hui, l'on peut dire que les conditions d'un nouveau départ sont réunies dans une certaine mesure. Mais si nous avons franchi une étape, celle du réalignement de la monnaie longtemps envisagé, le plus difficile à mon sens reste à faire. Et le plus difficile c'est le redémarrage de l'investissement.
En effet, depuis janvier 1994, en dépit des mesures prises, les mesures conjuguées d'ajustement réel d'avec l'ajustement monétaire, la récession persiste. Le mouvement des affaires n'est pas lancé, l'investissement ne redémarre pas du tout.
Un orateur a dit que les États d'Afrique doivent laisser l'économie au secteur privé. C'est vrai, mais je dois relever que dans nos pays, depuis les indépendances jusqu'à ce jour, les États ont été tout de même les grands et les seuls pourvoyeurs de fonds. C'est à ce titre qu'ils ont mis en place les quelques unités de production qui existent.
Aujourd'hui, on demande aux États de recentrer l'essentiel de leurs attributions sur leurs fonctions de souveraineté et de laisser au secteur privé les activités économiques. C'est vrai, c'est la tendance générale et nos pays n'échapperont pas à la règle. Mais dans le programme avec le FMI et la Banque mondiale, c'est aussi une condition supposée, à savoir la privatisation ou la restructuration dans le cadre global des mesures structurelles à mettre en place.
Mais encore faut-il que les États qui ont la volonté de privatiser trouvent un secteur privé susceptible de répondre, qu'ils trouvent des preneurs ou des repreneurs ? C'est la délicatesse de cette question, du moins dans la sous-région de l'Afrique centrale.
Nous savons qu'un problème crucial s'est amplifié avec le réalignement de la monnaie, celui de l'endettement. Le réalignement de la monnaie a certainement créé des conditions nouvelles pour repartir, faire redémarrer les économies. A mon grand regret, je dois constater que l'investissement tarde à repartir. A mon sens, c'est l'une des conditions de la relance de la croissance.
Mais parallèlement, l'endettement des États à l'extérieur a doublé. Certes il faut reconnaître tous les efforts accomplis par les bailleurs de fonds extérieurs et le partenaire français, les mesures prises pour réduire ou annuler partiellement l'endettement de nos pays. Mais ces mesures n'ont pas totalement soulagé les pays lourdement endettés de notre sous-région.
Quelles sont les perspectives qui se présentent ? Le devenir économique de notre sous-région est intimement lié d'une part aux mesures supplémentaires que pourraient prendre les partenaires extérieurs dans le sens de la réduction de l'endettement ou en tout cas l'assouplissement des conditions lié à cet endettement, d'autre part, de la conclusion de programmes avec les institutions de Bretton Woods et surtout du suivi sans dérapage de ces programmes qui constituent la condition mise par les bailleurs de fonds.
Ma conclusion est la suivante : en 1995, notre grand partenaire en Afrique centrale, étant parmi tant d'autres la France, cette dernière étant dans l'Union européenne, notre monnaie est liée au franc français par les conventions que l'on sait. On parle de plus en plus de la mise en place de la monnaie unique à l'échéance 1999.
Une question est en suspens ou est à l'étude ou le sera, celle de la relation entre le franc CFA et la future monnaie commune de l'Union européenne. Cette question est d'actualité. Je pense qu'elle va focaliser l'attention, en tout cas impliquer la réflexion des uns et des autres et d'ores et déjà dans nos pays on commence à se poser cette question.
(Applaudissements).
M. Jean-Pierre CANTEGRIT. - Merci Monsieur le Gouverneur. Vous avez très bien su composer votre dire en revenant sur la situation avant la dévaluation du franc CFA et j'apprécie tout à fait votre conclusion sur cette interrogation que, pour beaucoup dans cette salle, nous nous posons également.
Notre prochain intervenant est M. Charles Konan Bany, Gouverneur de la Banque centrale de l'Afrique de l'Ouest. Vous avez 53 ans, vous êtes né en Côte d'Ivoire. Vous avez fait vos études à Yamoussoukro et à Abidjan. Vous avez eu un baccalauréat de sciences expérimentales, fait des études et une préparation au concours d'entrée ESSEC/HEC. Vous avez fait l'Ecole Supérieure des Sciences économiques et commerciales de Paris et vous avez un diplôme d'études supérieures de Sciences économiques et commerciales.
Votre carrière depuis 1969 a été importante : Chargé de mission à la Caisse de stabilisation et de soutien des prix des productions agricoles, Secrétaire général adjoint de l'organisation interafricaine du café, Secrétaire général de l'O.I.A.C. à Paris, Directeur des Affaires administratives et sociales de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest au siège à Paris, Directeur central des titres, du portefeuille des emprunts et des prêts à Paris et à Dakar, Directeur central des études au siège de la banque centrale à Dakar, directeur national pour la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest pour la Côte d'Ivoire, Gouverneur suppléant pour la Côte d'Ivoire au Fonds Monétaire International.
Conseiller spécial du Gouverneur de la Banque centrale d'Afrique de l'Ouest, vous avez été de décembre 1990 à 1993 Gouverneur par intérim de la Banque centrale, et depuis le 1er janvier 1994 vous êtes Gouverneur de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest.
Intervention de M. Charles KONAN BANY, Gouverneur de la B.C.E.A.O.
M. Charles KONAN BANY. - Je ne savais pas que vous alliez faire cette longue litanie de titres administratifs. Permettez-moi de vous remercier d'abord de m'avoir invité. Je suis honoré d'être ici ce matin. Permettez-moi aussi de dire la joie que j'ai de retrouver des visages connus. C'est un cercle de conférenciers internationaux, on se retrouve dans des colloques et autres séminaires. J'espère que nous en tirerons quelque chose.
Permettez-moi de saluer les Présidents d'Assemblées ici présents. Cela dit, je voudrais, après avoir entendu les éminents orateurs, profiter de cette tribune pour répondre très précisément et par un mot à la question que vous me posez dans ce chapitre.
Vous m'avez demandé de dire mon opinion sur la question suivante : l'Afrique est-elle sur la voie d'un retour à des équilibres propices au développement ? Je ne vais pas résister à répondre précisément. Ma réponse est oui et je vais essayer de l'asseoir sur un certain nombre d'éléments.
Ce qui est important car jusqu'à présent, si on se risquait à poser cette question à n'importe quelle assemblée, la réponse était inverse. Ce qui a développé longtemps ce que l'on appelle l'afro-pessimisme.
Comme je ne suis pas un adepte de l'afro-pessimisme, je saisis toutes les occasions pour dire qu'effectivement et grâce aux politiques menées ces temps-ci, l'Afrique est bien sur la voie du retour aux équilibres propices au développement.
Quels sont les éléments de ma réponse ? D'abord les systèmes politiques en place en Afrique sont caractérisés et le système dominant est la démocratie. Je n'ai pas à la définir, mais je voudrais pour ma part, en tant que citoyen africain, dire que les éléments importants que je vois dans la démocratie, c'est le droit à la différence et la promotion des libertés, y compris les libertés d'expression.
J'observe sur ce plan que dans tous les pays d'Afrique francophone, le système démocratique est en marche. Si donc il y a relation - et c'est ce qui semble être le cas - entre démocratie et développement, nous reconnaissons là qu'effectivement le oui est fondé puisque partout en Afrique les systèmes démocratiques sont en marche. Ils sont peut-être imparfaits, mais il n'y a pas de démocratie parfaite.
L'essentiel c'est que l'on y retrouve le droit à la différence et les libertés. C'est le cas en Afrique. Le système politique est donc en mouvement vers plus de démocratie.
Deuxième élément de réponse : les politiques économiques, ce que les technocrates comme nous autres appelons le cadre macro-économique des politiques. Je crois que tout ce que nous avons entendu, en particulier de Serge Mikhaïlof, de Francis Mayer et autres, montre bien qu'effectivement depuis un certain temps, pas seulement depuis janvier 1994, un cadre macro-économique cohérent est en place en Afrique.
Bien entendu, ce cadre n'est pas parfait, il a besoin d'être complété, d'inclure tous les éléments de politique économique et c'est à cet égard que le changement de parité intervenu en janvier 1994 vient compléter harmonieusement et de manière cohérente ce cadre macro-économique pour créer les conditions propices au développement.
Je pourrais développer ce cadre macro-économique. Commençons par le retour aux équilibres et aux finances publiques. En d'autres termes, nos pays ont compris qu'on ne peut pas vivre éternellement au-dessus de ses moyens. Par conséquent, il faut ramener les dépenses publiques au niveau des recettes permanentes et non aléatoires.
Donc la maîtrise des dépenses publiques est bien une culture qui est rentrée dans l'esprit des gestionnaires africains depuis un certain temps, même si cet équilibre ne peut pas être obtenu du jour au lendemain.
Les dépenses publiques sont maîtrisées et les recouvrements de recettes sont en cours, même s'il faut reconnaître qu'ils n'ont pas produit encore tous leurs effets et que du travail reste à faire. C'est ce qu'a dit Francis Mayer quand il indique que la part des recettes publiques sur le P.I.B. est encore faible en Afrique. Mais l'essentiel est que des politiques soient en place pour augmenter cette part de recettes et faire en sorte que l'adage, « on ne peut pas vivre au-dessus de ses moyens » soit une réalité.
Voici maintenant les autres éléments de ma réponse. S'agissant des réformes de structures, je vais commencer par les filières car effectivement l'Afrique francophone a toujours été tournée vers l'extérieur et ce que l'on appelait des cultures de rentes a permis d'asseoir un développement économique dans nos pays. On ne peut pas aujourd'hui le renier. Ces filières ont été un élément important de la politique des États, un élément des recettes, donc ont été dans une certaine mesure contrôlées par les États.
Il s'est produit une crise importante au niveau des prix des matières premières. Les cours ayant baissé de manière extraordinaire et sans précédent sur une longue période, ces filières ont connu des déséquilibres importants qui ont affecté toute la vie de l'État et les finances publiques.
Ces filières ont fait l'objet de réformes depuis une série d'années, bien avant 1994, et nous sommes arrivés à les équilibrer et à appliquer l'adage « l'on ne peut pas donner plus que ce que l'on a ». Les prix au producteur, qui déterminent l'élément essentiel de la politique de filière, ont été ajustés au niveau des évolutions de cours de matières premières à l'extérieur, de telle sorte que des déficits ne soient pas créés.
Ceci est valable pour le coton, pour le café, pour le cacao, pour l'arachide, pour toutes les filières d'exportation. Des politiques ont été menées pour équilibrer ces filières, pour qu'elles ne soient pas source de déficits au niveau des finances publiques.
Les rigidités structurelles qui empêchent le développement - parmi lesquelles je voudrais mettre en exergue le poids de l'administration économique, c'est-à-dire toutes les autorisations, le fait que tout dépend de l'État, toute initiative implique ou nécessite une autorisation de l'État, - ont été remises en cause. Ce système a été remis en cause et l'on a appelé cela la libéralisation des économies.
Une vaste politique de libéralisation des initiatives économiques est en place dans nos pays pour faire en sorte que l'initiative soit au pouvoir en réalité et que les autorisations administratives inutiles et tatillonnes reculent.
Le cadre économique et réglementaire a été libéralisé, assoupli, pour laisser un peu plus de place aux initiatives créatrices. Voilà à ce niveau ce qui est en place en Afrique.
Voilà donc ce qui me paraît être propice à un retour aux équilibres et par conséquent à une politique de développement.
Mais les facteurs sur lesquels pour ma part j'insiste le plus sont les facteurs humains. Je voudrais revenir à un autre élément de ma réponse : la qualité des facteurs humains en place en Afrique. Jean-Michel Sévérino disait que de nouveaux peuples étaient en train de se créer. Quand on affine cette analyse, il faut reconnaître qu'au niveau de la classe dirigeante, que ce soit en matière politique -et je suppose que le Président de l'Assemblée Nationale du Congo, il y a quelque temps encore administrateur à la Banque mondiale, n'a pas oublié tout ce qu'implique la nécessité d'avoir un cadre macro-économique sain - ou de prise de conscience des réalités économiques dans la conduite des politiques, cela passe par des hommes formés, par des professionnels et ce soir je vois également en face de moi le Président Dian qui naguère était un agent de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest avant que la Mauritanie ne se sépare.
Tout cela ce sont des facteurs sur lesquels on n'insiste pas assez. Pour conclure sur ce point, au niveau du Conseil des Ministres de l'Union monétaire ouest-africaine, nous avons au moins 4 Ministres des Finances qui sont sortis de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest et tout ceci a amélioré considérablement la prise de conscience de la réalité économique dans la conduite des politiques. C'est un facteur sur lequel on n'insiste pas assez.
On peut amplifier cela au niveau de la gestion d'autres secteurs, au niveau du secteur privé où nous assistons à la naissance d'une classe de jeunes entrepreneurs formés aux techniques, rompus à la concurrence mondiale, et qui sont tout à fait débarrassés peut-être, parce qu'ils sont d'une deuxième génération d'Africains moins soumis aux contraintes sociologiques auxquelles la première génération a été soumise, c'est-à-dire les funérailles et toutes sortes de choses qui consomment beaucoup de temps et d'argent.
Cette génération de jeunes Africains ne se sent plus tellement concernée par cela parce que ce côté de la vie sociale est pris en charge par la première génération. Leur tour n'est pas encore arrivé, par conséquent ils sont débarrassés de tout cela pour s'occuper de leurs affaires.
Donc le facteur humain est également un élément important dans la réponse affirmative que j'ai indiquée tout à l'heure.
Par conséquent, Monsieur le Président, au niveau des politiques, des acteurs, des hommes, je crois que nous avons effectivement réuni maintenant les conditions d'un retour aux équilibres, que ce soit des équilibres sociaux, économiques, financiers. Nous sommes en train de réunir ces conditions propices au développement.
Mais cela ne suffit pas. Il faudrait sur la base de cela persévérer dans le maintien de ces équilibres et éviter les politiques d'aller-retour, de stop and go, persévérer dans la voie que nous nous sommes choisie.
Deuxième condition : jouer résolument l'ouverture. Nous sommes dans un monde qui est un et la concurrence est le maître-mot. Le monde appartient à ceux qui gagnent. Les perdants disparaissent, en tout cas on ne s'occupera pas d'eux.
Il faut absolument que nous jouions l'ouverture, ce qui signifie que toute politique frileuse de repli sur soi ne peut pas avoir un avenir. L'ouverture est exigeante, elle exige la qualité, nous devons donc promouvoir la politique de qualité dans nos pays, dans tout ce que nous faisons.
L'ouverture suppose aussi une solidarité entre nous d'abord. D'où le schéma de l'intégration, d'où le communiqué que nous avons fait immédiatement après la dévaluation, à savoir l'une des conditions de succès pour l'avenir de cette opération passe par l'intégration économique, et peut-être par l'intégration politique.
En tout cas en Afrique de l'Ouest, nous sommes engagés résolument dans cette voie d'intégration. Et la solidarité ne s'arrête pas aux Africains entre eux, nous souhaitons également l'asseoir et la développer avec vos partenaires en France.
Mais à ce niveau, il y a comme un malentendu. Le Président Monory a parlé ce matin de préoccupations dont ont fait part un certain nombre d'Africains qu'il a visités. Je crois qu'il y a quand même une incompréhension et qu'il faut cette discussion entre Africains et Français pour une nouvelle politique de coopération essentiellement fondée sur un partenariat véritable, et non pas un partenariat sous tutelle.
Ou bien on choisit un partenariat, ou bien on choisit une cogestion. La cogestion implique aussi une co-responsabilité. Je pense pour ma part qu'il faut que nous mettions en place un véritable partenariat. Il est urgent de le faire parce que les générations changent et que les gens de mon âge seront les derniers défenseurs de la francophonie en Afrique. Il faut saisir l'occasion, alors qu'ils sont encore actifs, pour peut-être développer cette politique.
(Applaudissements).
C - LE POIDS ÉCONOMIQUE DE L'AFRIQUE ET SON IMPORTANCE POUR LA FRANCE
M. Jean-Pierre CANTEGRIT - Merci Monsieur le Gouverneur. Nous avons eu beaucoup de chance ce matin, puisque nous avons eu les deux Gouverneurs des Banques centrales qui nous ont fait de remarquables exposés. Je pense que vous avez apprécié ce point de vue de gens qui gèrent les finances des deux groupes de pays.
Nous arrivons à notre dernier intervenant. Il s'agit de M. Antoine Pouillieute, Directeur général de la Caisse française de développement. M. Pouillieute, vous avez 44 ans, vous avez fait l'ENA, vous avez intégré le Conseil d'État et votre carrière, de 1986 à 1988 a été celle de Directeur adjoint du Cabinet du Ministre d'État, Ministre de l'Économie, des Finances et de la Privatisation.
En 1989, vous avez été Vice-Président de Strategic Planning Associates, cabinet d'audit international spécialisé dans les opérations de restructurations financières et de stratégie industrielle.
En 1993, vous êtes Directeur adjoint du Cabinet du Premier Ministre, puis Directeur du Cabinet du Ministre de la Coopération, ici présent. En novembre 1994, vous avez rejoint le Conseil d'État jusqu'à votre nomination à la Direction générale de la Caisse française de développement.
Intervention de M. Antoine POUILLIEUTE, Directeur Général de la Caisse Française de Développement
M. Antoine POUILLIEUTE. - Je relevais avant d'entamer mon propos, le fait que les intervenants qui m'ont précédé, ainsi que moi-même, étions la semaine dernière à Washington pour la réunion annuelle des Gouverneurs de la
Banque et du Fonds Monétaire International. S'il y a un message que l'on peut vous apporter, qui je crois est unanime, c'est que le pessimisme n'est pas de mise et que l'électrochoc qui a permis notamment cela en Afrique francophone, c'est le réajustement monétaire du Franc CFA, notamment conduit sous l'autorité chaleureuse mais ferme de Michel Roussin.
On a beaucoup parlé d'ouverture démocratique, d'ajustements structurels. Il faut bien avoir à l'esprit que ce sont des thèmes qui fondamentalement ne se traitent bien qu'à l'échelon national, alors que chacun est également convaincu que les défis du développement économique sont avant tout des défis à relever au niveau au moins régional et sans doute peut-être un peu au-dessus. Pour certains d'entre eux, je pense notamment au problème démographique à l'échelon continental.
Il est important également de relever que sur les conditions générales d'un nouveau départ, il y a un certain nombre de choses assez frappantes d'un côté dans les pays industrialisés et de l'autre dans les pays en voie de développement. Dans les pays industrialisés, le premier point est l'accès au marché mondial des économies des pays en voie de développement et la conviction que nous avons que la croissance actuelle et future sera fondamentalement tirée par les économies des pays en voie de développement. Cette réalité est désormais inscrite juridiquement dans les faits depuis la conclusion de l'Uruguay round à Marrakech.
Un deuxième point me semble important au niveau des opinions publiques : on a dit et à juste titre que les opinions publiques étaient un petit peu rétives à l'aide au développement. Maintenant, dans les pays développés, les opinions publiques ont pris conscience que les conflits qui se nourrissent de la pauvreté des peuples sont porteurs de risques très graves et très coûteux pour les pays industrialisés.
L'aide au développement, la politique de développement est sans doute la seule réponse et la seule assurance crédible à ces risques futurs.
Par ailleurs, au niveau des pays en voie de développement, et notamment de l'Afrique francophone, quatre points permettent d'envisager les conditions d'un nouveau départ. Le premier a été relevé par le Gouverneur Konan Bany : un peu partout on voit le passage de régimes qui parfois étaient dirigistes vers des régimes soutenant des mécanismes de marchés.
Le deuxième point est l'expansion du commerce international. 75 % de la croissance des exportations mondiales viennent des pays en voie de développement.
Troisième point : l'énorme transformation des flux de capitaux privés. Là encore un chiffre : le volume annuel des flux de capitaux sur la zone dont nous parlons représente trois fois le montant total de l'aide publique au développement.
Dernier élément enfin : l'ouverture démocratique, qui à côté d'un tête à tête un peu institutionnel dans notre aide publique, favorise et permet l'émergence de nouveaux acteurs, naturellement les entreprises privées, mais aussi les ONG, les collectivités territoriales dont parlait le Président Monory, la société civile.
Je me bornerai à poser trois questions. D'abord, a-t-on une vision claire de l'environnement économique international ? Cette vision donne-t-elle ou ne donne-t-elle pas de chance à l'Afrique francophone ? Enfin qu'est-ce cela veut dire, pour nos stratégies économiques, aussi bien les stratégies des opérateurs français que les stratégies des pays en voie de développement ?
Sur l'environnement international, deux points sont assez frappants : on a parlé de la fin de la guerre froide, de la fin des idéologies, mais quand on considère les modèles de développement économique, on s'aperçoit qu'il n'y en a guère d'utiles ou de transposables pour l'Afrique. Le modèle européen est peu transposable à l'Afrique avec sa stratégie des petits pas et avec le fait d'une union économique précédent l'union monétaire et la monnaie unique, puisque le franc CFA est une monnaie unique.
Le modèle de développement économique des dragons d'Asie du Sud-Est est peu transposable car ce sont de petits pays. Reconnaissons entre nous que de notre part ils ont été l'objet d'une exigence moindre en matière démocratique et de droits de l'homme.
Le modèle japonais qui mélange protectionnisme et exportation n'est naturellement pas non plus transposable. L'exemple de la sortie du communisme entre l'actuelle Russie qui fait précéder le politique par rapport à l'économique et la Chine qui à l'inverse fait précéder l'économique par rapport au politique, n'est pas transposable.
Enfin, dernier élément récent et tout à fait essentiel : le vaste ensemble économique constitué par le Mexique, les États-Unis et le Canada, n'est pas davantage transposable à l'Afrique, même si en termes démographiques il y a peut-être matière à réflexion.
Tous les exemples de transposition en Europe des modèles de management des entreprises américaines ou japonaises se sont traduits par des résultats assez décevants. On voit bien que le modèle de gestion de l'entreprise africaine devra être trouvé par les Africains eux-mêmes, c'est-à-dire au plus près des réalités et calé sur des éléments culturels qu'il est absolument absurde de vouloir ignorer.
Par ailleurs, un grand nombre d'évolutions technologiques changent la donne du problème. Je n'en citerai que quelques unes. La première est l'information, qui est maintenant un bien disponible qui circule et peu coûteux.
Deuxièmement, on voit bien que les grands modèles de production sur grande échelle avec pour seul but l'abaissement des coûts de production ont un peu vécu et on voit s'y substituer des productions de courte série sur des produits eux-mêmes très spécifiques et sur des marchés ciblés.
Troisième élément : les marchés de capitaux ignorent les frontières, les fuseaux horaires. Les investisseurs sont toujours à la recherche d'opportunités. J'ai eu la confirmation la semaine dernière auprès de la S.F.I. qu'un grand nombre de fonds de pensions américains sont à la recherche en Afrique de marchés émergents et donc d'opportunités d'investissements. C'est une donne qui est tellement nouvelle.
Enfin, un certain nombre de techniques, sur lesquelles je ne vais pas m'appesantir, mais qui sont importantes, et qui doivent profiter à l'Afrique, changent la donne. Je pense au domaine de l'aquaculture, des variétés culturales, des télécommunications réparties, de l'énergie, etc.
Est-ce que cette vision très ouverte d'un environnement économique international où il y a peu de modèles, mais où des donnes nouvelles existent, rend des chances à l'Afrique ?
Il faut être très optimiste et comme le Gouverneur Konan Bany je crois que la réponse sera à l'évidence oui, en ayant un scepticisme peut-être sur un certain nombre des études qui nous sont montrées.
Le grand mérite et le grand intérêt de l'exposé de Jean-Michel Sévérino était de montrer sur une étude concrète et pratique de problèmes eux-mêmes concrets et pratiques.
Mais si l'on se contente de prolonger des courbes, on arrive parfois à des choses surprenantes. En 1957, la Banque mondiale considérait que les pays d'Asie qui avaient les meilleures chances de développement étaient les Philippines et la Birmanie. Un manuel du développement américain de 1963 classait l'Asie du Sud-Est au dernier rang des pays qui avaient un potentiel de développement, derrière et par ordre de chance l'Amérique latine, l'Afrique subsaharienne et le Moyen-Orient.
Je pense donc qu'il faut avoir une certaine modestie quand on regarde l'avenir. Je me bornerai pour ce qui me concerne à 3 observations. En Afrique, chaque médaille à un avers et un revers, le meilleur coexiste souvent avec le pire. En matière de démographie, sur les 100 millions d'habitants supplémentaires qui peupleront notre planète en 1996, 20 millions seront Africains, alors qu'en 1995 la population africaine représente 10 % de la population mondiale. Enorme, gigantesque évolution, dont nous n'avons pas de fierté particulièrement à reconnaître que les principaux mécanismes de régulation à l'heure actuelle sont le conflit ethnique, les endémies, et les pandémies.
Mais le meilleur, c'est cette extraordinaire capacité humaine, dans un espace qui n'est pas occupé complètement, et donc la nécessité que nous avons tous à faire des efforts considérables en matière de formation et de valorisation des générations montantes, et je crois que là encore le Gouverneur Konan Bany l'a dit tout à l'heure et c'est très important.
Deuxième exemple très rapide : la santé. Là encore aujourd'hui un enfant sur 5 en Afrique meurt avant l'âge de 5 ans. Mais dans le même temps la variole a été éradiquée, et l'espérance de vie en une génération a augmenté de 30 %, ce qui est considérable.
Troisième exemple : l'éducation. Il est vrai qu'un certain nombre de bailleurs de fonds ont peut-être fait une allocation discutable des ressources pour privilégier l'enseignement supérieur par rapport aux enseignements de base. Mais en sens inverse, il faut observer que le taux de scolarisation primaire a dépassé 70 % au début de la décennie 80, alors qu'il était de 36 % en 1960. Le rythme de scolarisation des filles suit la même évolution. C'est donc quelque chose de tout à fait prometteur.
Dernier point qui n'a pas été évoqué, sauf en termes d'espaces : l'environnement. Là aussi il y a eu la Conférence de Rio. On commence à comprendre l'intérêt de ces problèmes. Le pire ce sont les problèmes de désertification que l'on voit jusque dans des pays comme le Maroc. Il est clair que les pays industrialisés paieront cher la désertification des pays du sud. C'est en cela que je disais que le meilleur coexiste avec le pire.
Deuxième point : pour l'Afrique il y a la nécessité de tirer les leçons de l'expérience passée. Première constatation : toutes les stratégies économiques fondées sur le repli sur soi et sur le protectionnisme sont vouées à l'échec. Tous les pays africains qui ont un seuil et un rythme de développement qui nous réconforte sont des pays qui, en termes de stratégie économique, ont fait le choix de l'ouverture et de l'accès aux marchés mondiaux.
Troisième observation : en Afrique l'État a voulu tout faire, mais là, pas plus qu'ailleurs, chacun sait qu'il ne peut tout faire. Par comparaison, si les bailleurs de fonds n'ont pas à se substituer à leurs partenaires qui sont aidés, de la même manière les structures publiques n'ont pas à se substituer aux opérateurs économiques qui de toutes façons doivent émerger pour assurer le développement durable.
Sur la base de cette expérience passée, et je cite cela très vite, il y a des atouts évidents à privilégier fortement en ce moment et je n'en citerai que 4. Il faut d'abord continuer à réhabiliter la société rurale. A la limite, parmi beaucoup d'autres, s'il n'y avait qu'un mérite à retenir du réaménagement monétaire, c'est sans doute parce qu'il a agi sur les revenus, cette réhabilitation de la société rurale. Arrêtons de sortir de ce choix cornélien entre la campagne et la capitale. Entre les deux il y a d'autres choix : la réhabilitation de la culture rurale, la réhabilitation du revenu agraire, la modification des termes d'échanges ville campagne, la restauration de la compétitivité des prix des produits agricoles.
Pour autant, la réhabilitation de la société rurale n'est pas contradictoire, tout à l'inverse, avec une maîtrise du développement urbain. Tout le monde est frappé par la prolifération des grandes villes et dans l'étude du Club du Sahel, citée ce matin, je relèverai un chiffre assez important du point de vue économique. Sur la période 1960-1990, cette étude du Club du Sahel estime à 300 milliards de dollars l'accumulation du capital urbain en Afrique de l'Ouest. Cela veut dire que pour un tiers, ce capital correspond à des investissements publics, mais que pour les deux tiers il correspond à des investissements privés.
Il y a donc une priorité majeure impérieuse et nécessaire à trouver les voies et moyens de mobilisation de l'épargne locale sur place et de prendre en compte le secteur informel qui est un nerf de la guerre de l'activité économique et de l'activité tout court des sociétés africaines. Il ne faut pas faire de mauvais choix en matière d'équipements, d'infrastructures, les villes africaines sont et resteront pour longtemps des marchés importants en matière de développement économique.
Troisième atout à valoriser : l'Afrique est comme l'Europe, comme tout continent, située dans le marché mondial. Elle contribue à la redistribution internationale du travail. Il ne s'agit pas de jouer à tout prix le dumping sur le niveau salarial, mais de valoriser de manière durable et répétée la formation des hommes, les infrastructures publiques, jouer de cette communauté de langue francophone que nous avons en commun et jouer enfin de l'extraordinaire espace dont bénéficie l'Afrique.
Enfin, le quatrième et dernier atout me frappe énormément. Le Gouverneur Konan Bany parlait des hommes de 50 ans. On voit en Afrique émerger naturellement des générations d'hommes politiques, mais également des générations d'entrepreneurs privés de grande qualité et de grande vertu. Il est important que nous réhabilitions dans nos relations franco-africaines l'image de l'entrepreneur.
Nous avons su former bien souvent des cadres diplomatiques, de fonction publique, militaires, de très grande qualité. Il y a un problème de notre appui, de notre soutien à la formation des chefs d'entreprise et de la réhabilitation des chefs d'entreprises, des entrepreneurs. Ceci est tout à fait essentiel.
Si ces atouts et ces chances sont réels, que faut-il en tirer pour nos stratégies économiques ? S'agissant de l'Afrique, il y a la conviction que la croissance vient et ne provient que du marché mondial. Ce n'est pas derrière des murs ni des protections que l'on fera une croissance durable, mais par l'insertion dans le marché mondial. Ce n'est pas une raison pour y aller n'importe comment. Les économies doivent se libéraliser, ce qui ne veut pas dire qu'elles doivent s'ouvrir bêtement et brutalement. Notre conviction est très forte que la libéralisation interne précède la libéralisation externe des économies.
Il faut pousser sans cesse l'intégration régionale. Ce n'est pas faire à l'étage du dessus ce que l'on n'arrive pas à faire tout seul à l'étage du dessous, c'est au contraire gravir la première marche vers l'insertion dans le marché mondial.
Enfin, dernier point, la disparition des États n'est pas souhaitable. C'est une fausse bonne idée que de le dire. Il y a un problème dans un certain nombre de pays de qualité des administrations publiques. On le voit bien, surtout aujourd'hui où nous reprenons avec beaucoup d'efforts et de joie l'aide projet, parfois nous avons du mal à trouver des administrations qui aient le niveau suffisant pour bâtir ces projets, mais c'est vrai également qu'en matière économique, entre le tout État et le marché, il y a certainement l'économie mixte temporaire.
L'État ne doit pas disparaître. Pour la France, cela veut dire que la relance des économies africaines, dont on a vu que les chiffres étaient réels et que les tendances pour certains pays sont tout aussi réelles, offre et offrira des opportunités croissantes pour les intérêts économiques français, que l'épargne africaine doit s'investir en Afrique, dans l'activité économique en Afrique.
N'oublions pas que l'Afrique aujourd'hui est le continent qui reçoit le plus d'aide internationale par habitant, plus que le continent indien, et que les financements internationaux ont un taux de retour supérieur à 1 pour les entreprises françaises, que le chiffre d'affaires cumulé des entreprises françaises en Afrique est égal à 5 fois le montant de l'aide publique à cette même région et que par voie de conséquence partout dans les pays francophones où nos entreprises occupent des positions fortes, il est essentiel de les conserver. Je pense notamment au programme de privatisation, pour que ce rôle français, cette influence française ne s'érode pas systématiquement et forcément au profit d'autres intérêts.
Il faut que les marchés européens s'ouvrent aux produits africains et que, par voie de conséquence, l'Europe ne fasse pas à l'Afrique ce que le Japon a pu faire à l'Europe.
Il faut que l'on s'engage sur la voie d'un vrai partenariat. Les entreprises françaises ont parfois eu tendance à considérer l'Afrique comme un marché où il était possible d'écouler des biens de grande consommation, et sur financement de bailleurs de fonds, de réaliser des grands chantiers. Il faut arriver à des exemples de partenariat.
Pour conclure je ne citerai que deux exemples. Il a fallu la dévaluation du franc CFA pour que dans le domaine du médicament on arrive à un vrai partenariat industriel. Aujourd'hui, l'un des défis majeurs que nous avons à relever en Afrique, c'est de lutter contre la débancarisation, c'est-à-dire le retrait des réseaux bancaires. N'oublions pas qu'en Afrique comme ailleurs la nature a horreur du vide et que si les réseaux bancaires connus se retirent, ils seront rapidement remplacés par des réseaux et des capitaux beaucoup moins remarquables.
En conclusion, l'Afrique nous est tellement familière qu'on ne la voit pas forcément changer sous nos yeux et qu'il est sans doute nécessaire de la redécouvrir dans ses dynamismes les plus profonds pour nous demander, nous Français, ce qu'elle peut nous apporter demain qui justifie que l'on y soit aussi actifs aujourd'hui.
(Applaudissements).
D - CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE
M. Jean-Pierre CANTEGRIT. - Merci Monsieur le Directeur de cet exposé tout à fait remarquable et complet. Je suis confus que le temps nous impose ces limites.
Je serais tenté de vous proposer que M. Roussin clôture nos débats par quelques paroles.
Tout d'abord quelques remarques. Tous les intervenants que j'ai entendus comme vous-même, ont délivré un message d'espoir pour l'Afrique en indiquant que celle-ci peut s'en sortir. Je pense donc que le titre que nous avions choisi mes collègues et moi-même « les conditions d'un nouveau départ » était pertinent.
Deuxième remarque : la dévaluation, Monsieur le Ministre, dans la bouche des intervenants semble être une opération réussie. En tant que représentant des Français de l'étranger, j'émettrai peut-être une seule réserve pour mes compatriotes français qui résident dans les pays francophones.
Je m'étonne, et peut-être cela pourra-t-il être abordé cet après-midi, que les intervenants n'aient pas suffisamment insisté sur l'organisation du commerce mondial, sur le GATT, sur l'OMC, sur l'influence fondamentale que ces organismes ont pour le développement de l'Afrique.
Quelques réflexions sur les propos qui ont été tenus. Les bailleurs sont d'accord pour mettre l'accent sur le secteur privé. Beaucoup d'intervenants, les Gouverneurs et d'autres, ont insisté sur l'influence que prend le privé maintenant dans la plupart des États africains. Mais si je partage cette analyse et cette nécessité, il est bien certain que les États africains devront aussi assurer leurs fonctions : sécurité, santé, éducation, car autrement, que pourrait faire le privé s'il n'y avait pas parallèlement, du côté des États une prise en main absolument nécessaire dans certains cas ?
En terme de conclusion sur ces brèves remarques, l'espoir existe donc et je me réjouis qu'ici au Sénat, aujourd'hui, nous puissions être ensemble pour partager cet espoir sur l'Afrique que nous aimons.
Troisième observation : l'aide doit être maintenue, même si elle doit être canalisée. Mais cette aide doit être utilisée le mieux possible. Des intervenants ont abordé ce sujet, ils ont eu raison de le faire.
Enfin comme le Président Monory l'a indiqué dans son propos introductif, la coopération décentralisée me paraît extrêmement porteuse d'avenir et ce n'est pas ici au Sénat, où vous avez parmi les sénateurs des Présidents de Régions, des Présidents de Conseils Généraux, de Maires de grandes villes, que j'indiquerai combien ces régions, ces départements, ces collectivités locales peuvent faire beaucoup.
Voici quelques réflexions que le Président de séance souhaitait modestement vous faire. Mais avant que nous nous séparions, je serais très heureux que M. Roussin veuille clôturer nos travaux.
(Applaudissements).
M. Michel ROUSSIN. - Je ne pensais pas, Monsieur le Président, avoir cet honneur de pouvoir m'adresser à toutes ces hautes personnalités qui, comme le disait tout à l'heure le Gouverneur, sont ici les témoins de la vivante démocratie africaine en marche.
En conclusion de tout ce que j'ai pu entendre aujourd'hui, me rappelant que j'ai été le co-acteur au côté des Gouverneurs et d'un certain nombre de personnalités, de cette période très délicate, me souvenant de ces moments difficiles, je pense que cet espoir que nous avons, ce début de réussite, nous ne le devons qu'aux Africains eux-mêmes.
Nous avons été là bien sûr, nous avons pensé que c'était une des solutions. Ceux qui ont encaissé le coup, qui ont assumé cette responsabilité, ce sont les seuls Africains. Si parfois on peut égoïstement penser à nos compatriotes, Monsieur le sénateur, dans cette maison, je pense aux gens qui en milieu rural, qui dans les faubourgs des capitales, ont pris de plein fouet cette période la plus délicate du début de la dévaluation.
Maintenant, dans leur grande sagesse, les Africains s'aperçoivent que pas à pas la situation s'améliore et que leurs responsables, ainsi que nous leurs amis, nous avions raison de les conduire dans cette voie.
Je me réjouis aujourd'hui avec vous tous de ce constat qui est fait à Washington. Permettez-moi ici de dire que les institutions internationales auront aussi participé à cet appui que nous avons sollicité. Nous le devons à cette aide internationale, mais avant tout, comme le disait le Gouverneur, à cette capacité qu'a l'Afrique en elle-même de pouvoir se prendre en main et de progresser. C'est le défi qu'évoque très justement dans son propos M. Sévérino.
Voilà, Monsieur le Président, ce que je souhaitais vous dire. Ce succès qui progresse, les Africains se le doivent à eux-mêmes et à eux seuls.
(Applaudissements).
(La séance est levée à 12 h.25)
DEUXIÈME PARTIE : COMMENT AIDER L'AFRIQUE AUJOURD'HUI ?
M. Jean FAURE . - Monsieur le ministre, je tiens à vous accueillir au Sénat au nom du Président Monory et particulièrement au nom de mes deux collègues qui nous entourent, M. Cantegrit et M. Legendre qui ont organisé cette journée.
Ce matin nous avons entendu un certain nombre d'interventions, tant de la part de responsables de l'administration ou des finances, que des Gouverneurs de banque, et notamment de banques d'Afrique.
Je suis très heureux de vous accueillir et pour permettre à chacun d'apprécier vos propos, je vous laisse tout de suite la parole.
A - FAUT-IL RÉFORMER LA POLITIQUE DE COOPÉRATION FRANÇAISE ?
Allocution de M. Jacques GODFRAIN, ministre délégué, Chargé de la Coopération
M. Jacques GODFRAIN. - Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs, je suis très heureux de pouvoir m'associer cet après-midi à ce colloque dont l'organisation et l'idée me semblent particulièrement opportunes. Les circonstances le rendent ainsi et je vois dans cette initiative un signe très encourageant de votre part à l'égard de la politique française de coopération.
Cela prouve en effet que les élus qui ont décidé d'aborder ce sujet sont préoccupés de l'évolution de ce grand continent qui est notre voisin, notre ami, et de ce qu'il risque pour l'avenir, en bien et en mal.
Vous m'avez demandé d'aborder le problème de la réforme de la coopération française. Première question : faut-il la réformer ? La réponse est oui parce que toute organisation humaine, en permanence, exige d'être améliorée et pour nous la réforme est une quête vers l'amélioration.
Mais s'il faut réformer la coopération française, il faut bien entendu réformer la coopération internationale. C'est de cette rénovation que dépendra dans l'avenir la survie de la politique de coopération.
La situation internationale du développement, celle des pays africains particulièrement, peut être examinée sous deux angles, de façon optimiste et de façon pessimiste, et beaucoup aujourd'hui reconnaissent que le développement, loin d'être une cause perdue, est au contraire un facteur d'optimisme pour le début du 21ème siècle.
En effet, au cours des 30 dernières années, beaucoup de pays en développement ont connu des progrès importants. Quelques chiffres sont irréfutables : les trois-quarts de la croissance mondiale cette année et la moitié de la croissance du commerce international seront le fait de pays en développement.
Si la majorité des réussites sont localisées dans la partie asiatique du monde, les pays africains devraient connaître cette année, pour la première fois depuis longtemps, une croissance économique supérieure à leur croissance démographique. La zone franc joue indiscutablement un rôle essentiel dans cette perspective. La croissance en 1995 y est sensible. Les paramètres fondamentaux -et cela a été rappelé il y a quelques jours à Washington à la réunion du FMI consacré au développement - montraient que l'on est dans des fourchettes tout à fait intéressantes et positives.
Si la dévaluation du franc CFA a causé un certain nombre d'inconvénients sur lesquels nous pouvons revenir, elle est aujourd'hui un succès reconnu en ce qui concerne ces paramètres fondamentaux. Même si nous sommes conscients des limites de son effet, même si nous savons qu'il y a des zones d'ombre sur cette dévaluation, qu'il y a des secteurs fragiles sur lesquels nous nous engageons à rester très vigilants, indiscutablement les résultats auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui sont positifs.
Face à l'ampleur des handicaps de départ, à la contrainte de croissance démographique encore mal maîtrisée, des progrès majeurs ont été accomplis, à la fois sur le plan des infrastructures et des politiques sociales. Ces pays en développement ont fait des progrès remarquables dans la mise en oeuvre de ces politiques, avec des contraintes indiscutables que nous connaissons et sur lesquelles la France joue ce rôle de médiateur, qu'elle est à même de jouer compte tenu de son expérience entre les organisations de Bretton Woods et ces pays africains.
Beaucoup des programmes définis à la suite de longues négociations avec ces pays, parfois en nous y incluant, sont des succès techniques. La libéralisation des économies, la réduction des déficits budgétaires, la mise en oeuvre de politiques sectorielles rigoureuses, la réforme des systèmes et des circuits financiers, la mise en oeuvre de politiques sociales réalistes et performantes, tout cela désormais est bien admis. La majorité des États africains ont mis en oeuvre de tels préceptes.
Or c'est à ce moment même, dans l'année 1995, lorsque l'on discute dans le monde des budgets des pays développés pour l'année 1996, que nous rencontrons parfois une restriction sur l'appui au développement dans certains pays industriels.
En effet, pour la 3ème année consécutive, l'aide au développement est en train de baisser. C'est surtout - ne nous le cachons pas - du côté des États-Unis qu'un défaut se manifeste, et ce pour des raisons intérieures.
Partout, on entend s'exprimer des doutes sur l'efficacité, sur le bien fondé de l'aide au développement, et ces doutes créent un arrière-plan intellectuel qui pousse aux coupes budgétaires drastiques. Les budgets des APD, dans un contexte généralisé de réduction de déficit budgétaire, se voient fortement entamés.
Nous étions il y a peu de temps à Washington et nous avons rencontré les responsables américains, à la fois de l'administration d'État et du Congrès. Il est vrai que de grandes inquiétudes planent actuellement sur l'U.S. AID puisque l'on nous a parlé de réduction de l'ordre de 20 à 40 % avec entre autres, et c'est un affichage négatif, des fermetures d'Ambassades.
Ce n'est donc pas à un ajustement technique que nous risquons d'assister, mais à la remise en cause totale d'une politique internationale dont je crois pourtant que la poursuite est particulièrement nécessaire aujourd'hui.
Les besoins de financement des pays africains demeurent très élevés. La dette extérieure, et parfois la dette intérieure, en sont des raisons importantes. Les besoins d'investissements publics dans de grandes infrastructures, dans la santé, dans l'éducation, restent incontournables. Il faut les prendre en compte complètement et ne pas chercher à faire des économies sur leur compte.
La Communauté internationale devrait réfléchir profondément à ce problème, au moment où nos partenaires du Sud renoncent aux errements étatistes ou marxistes qu'elle a souvent largement financés au travers de l'aide internationale, voire par des crédits privés garantis, au moment où ces partenaires consentent à des ajustements d'une rigueur considérable et très difficile à faire accepter. Nous-mêmes, pays industriels, serions-nous capables d'appliquer ces rigueurs de l'ajustement ? Sans doute que non.
A ce moment là, ne serait-il pas paradoxal de refuser notre concours ? Nous acceptons l'idée que les transferts puissent être négatifs, que nous les forcions à nous rembourser désormais davantage que nous leur apportons de moyens supplémentaires et nous sommes indifférents à consolider notre soutien pour des politiques bien formulées, qui seraient à même d'assurer leur redressement ou leur promotion.
Imaginons que l'Afrique subisse un échec à l'ajustement structurel, qu'il y ait une mise en cause, pour des raisons d'asphyxie financière, du redressement économique qui est en train de s'opérer sur le continent africain.
Quelles conséquences cela aurait-il ? Le refus de notre soutien ne manquerait pas de démobiliser les gouvernements méritants.
Les populations, voyant leurs sacrifices mal récompensés, risqueraient alors de se tourner vers des solutions extrémistes, et on les connaît, elles sont parfois politiques, parfois religieuses et on imagine les conséquences. Dans les pays du Sahel, mais déjà au-delà, le fondamentalisme progresse. L'échec de l'école, la privatisation des soins, le chômage, l'exode rural vers les villes non productives, tout ceci constitue un terreau de frustration qui provoque violence et hostilité à certaines valeurs. C'est là que l'on rencontre les candidats à l'immigration vers nos propres banlieues.
L'Afrique en effet est notre voisine. Nous ne pouvons la regarder avec les mêmes yeux que le continent américain ou que certaines îles européennes. Nos risques et nos enjeux ne sont pas les mêmes.
En revanche, le succès économique de ce continent, que nous connaissons et que nous aimons, où nos positions sont fortes, est un atout majeur pour notre économie et nos entreprises.
C'est bien parce qu'il est conscient de toutes ces données que le Président de la République française, Jacques Chirac, a pris l'engagement, avec la détermination que vous connaissez, dans la défense du 8ème FED que nous allons prochainement signer, qu'il a pris la défense de cette aide mondiale pour les pays en développement lors du sommet du G7 de Halifax. Il a proposé à nos partenaires du G7, au début de l'été - et ceux-ci l'ont finalement accepté, non sans mal - que l'aide au développement soit un des thèmes majeurs de la prochaine réunion des pays du G7 lors de la réunion de Lyon l'année prochaine.
Nous espérons que d'ici là nous aurons pu convaincre, vous et nous, nos partenaires du G7, que ceux-ci auront compris que cette politique centrale est une politique d'équilibre du monde, sans laquelle aucun des grands problèmes aujourd'hui posés, notamment celui des migrations, de la population, de l'environnement, de la sécurité, ne sera pas résolu.
Mais il ne suffit pas de plaider simplement pour la reprise de l'aide. Il faut qu'elle soit bien conçue, bien gérée, de manière à ce qu'elle soit convaincante. Il faut bien reconnaître que l'évolution de l'aide, de son montant et surtout de ses résultats au cours des dernières années, a pu à bon droit susciter des doutes, parfois des interrogations.
C'est sur ceci que finalement ses adversaires, soucieux d'économie budgétaire facile, ou de justification de politique isolationniste, se fondent pour la dénoncer. Il faut reconnaître qu'il y a des problèmes. Je vous en livre quatre.
D'abord, les structures de cette aide internationale sont devenues pléthoriques. Le nombre d'organisations impliquées dans sa gestion, comme dans sa conception, est devenu excessif et c'est le fruit de la sédimentation des années. A toute idée nouvelle, à toute mode, doit correspondre une nouvelle organisation. C'est vrai du niveau national comme du niveau international. C'est pourquoi, dans ce qui est devenu un maquis difficilement compréhensible, il faut resserrer les structures, en réduire le nombre, et ainsi obtenir une plus grande clarté, une plus grande lisibilité.
C'est particulièrement vrai du système des Nations-Unies qui devrait subir une réorganisation profonde.
Deuxième point : les conditions d'élaboration des politiques de développement sont devenues confuses. Il en découle de nombreuses contradictions opérationnelles. Malgré l'émergence d'enceintes internationales de coordination, celles-ci demeurent un problème que la réduction du nombre des intervenants ne résoudra pas totalement.
Les organisations multilatérales agissent trop en ordre dispersé. La cohérence ne règne pas à l'intérieur de la sphère des Nations-Unies et entre celles-ci et les organisations de Bretton Woods.
Il manque par ailleurs un système régional d'organisation, de concertation, voire de programmation. La prospective sur l'Afrique de l'Ouest en fournit un bon exemple. Enfin au niveau mondial, la multiplication des grandes conférences internationales, dont le coût est d'ailleurs prohibitif, mérite sinon un coup d'arrêt, tout au moins une période de digestion.
En revanche, les différentes enceintes de ce dialogue mondial - je pense ici aux Nations-Unies comme aux organisations de Bretton Woods -méritent une réforme en profondeur pour les rendre véritablement opérationnelles.
Troisième point : les procédures de travail sur le terrain sont parfois regrettables. Nos amis africains, parfois débordés, passent leur temps à recevoir des missions hâtives d'experts de passage qui ne concertent jamais leurs missions avec personne. Des mécanismes largement formels font semblant d'établir des politiques communes, arrachées à des gouvernements africains parfois récalcitrants sous peine de suspension mortelle de décaissement, et ce en dehors de tout regard de la société civile, qui prend sa revanche en vivant sa vie ailleurs.
Dans certains cas, des sortes de Yalta contemporains s'organisent, des bailleurs se divisant le territoire pour conduire, parfois, des politiques inverses. Dans tous les cas les autorités nationales sont en bonne partie dépossédées de la conception, et souvent même de la perception de ce qui se passe chez eux.
Cette vision peut paraître un peu caricaturale, un peu forcée, et j'ose espérer que notre propre coopération échappe à ce descriptif. Mais il arrive parfois que cette description, un peu forcée je le reconnais, approche la réalité.
Cette situation n'est pas tolérable. La clé d'une amélioration durable sur le terrain réside en la recherche d'une triple solution. Je citerai succinctement les principaux chantiers.
D'abord simplifier l'allocation et la gestion de l'aide, qu'elle soit accordée sous forme d'un concours financier ou sous forme de projet de développement. La meilleure solution consiste sans doute à ce que les bailleurs acceptent de financer conjointement les budgets publics pour que les gouvernements mènent la politique globale nécessaire. Donc moins de contradictions entre les bailleurs de fonds et les politiques gouvernementales.
Chaque bailleur cofinançant cette politique devrait alors renoncer à la multiplicité de ses projets propres. Une des conséquences du bon aboutissement de ces travaux devrait être une baisse importante de l'assistance technique internationale, dont le coût de fonctionnement pèse lourdement dans l'aide au développement, et qui apparaît étroitement liée à la multiplication des projets.
Je vois enfin dans cette piste la seule vraie possibilité de réhabiliter la responsabilité de nos interlocuteurs africains dans l'élaboration de leur propre politique, pour en faire de véritables partenaires.
Il faut également réviser de manière approfondie les procédures de décaissement et de gestion des projets. Trop souvent entièrement maniés par des bailleurs eux-mêmes, pour des raisons louables et sérieuses de sécurité des fonds, les projets deviennent alors rapidement des îlots administratifs occidentaux. Il faut renforcer la capacité administrative de nos partenaires, recourir davantage à des opérateurs locaux, solliciter davantage les ressources humaines africaines qui atteignent aujourd'hui une qualité humaine que je me plais à reconnaître.
Il faut simplifier les procédures de gestion et de décaissement, rechercher des économies d'échelle au niveau de l'ensemble de la communauté internationale. Il faut enfin penser à un financement sinon centralisé, du moins concerté et coordonné de la société civile sur le terrain.
Celle-ci est en effet devenue une exigence incontournable et unanimement reconnue. L'action locale vers les régions, les pays au sens rural du terme, les villes, doit prendre une dimension nouvelle. La croissance des populations, l'émergence des difficultés majeures sur le foncier, liées à la densification, la libéralisation politique et les difficultés de fonctionnement des administrations centrales commandent cette transformation de nos pratiques.
Mais la multiplication actuelle des interventions, qui vont dans ce sens, conduit dans certains pays à de nouveaux désordres : une inefficacité croissante et une iniquité certaine, sans compter de possibles détournements.
Résoudre ce problème suppose que des concertations solides s'organisent sur le plan national, entre aide internationale et entre ces dernières et les États, comme avec tous les partenaires de terrain.
Ces conditions paraissent rarement réunies pour l'instant sur le terrain et les méfiances demeurent encore vives. Elles restent cependant indispensables pour que la coopération en faveur des initiatives locales de la coopération décentralisée des ONG conserve toute sa crédibilité.
Quatrième point : il faut évaluer davantage et de manière transparente la coopération. Au sein de mon ministère, nous avons fait d'importants efforts dans ce sens. Mais globalement l'aide internationale est perçue par les opinions publiques et même par les gouvernements comme une série de financements aux résultats incertains et dont les conséquences bénéfiques ne sont pas perçues. Il s'agit en fait d'une politique mondiale qui doit être évaluée à ce même niveau ou à celui des grands enjeux sectoriels, ou encore à l'échelle d'un pays bénéficiaire tout entier.
Il me semble que dans ce domaine, le comité de développement de l'OCDE pourrait faire beaucoup. Il faut évaluer systématiquement nos politiques et nos opérations et communiquer les résultats de ces travaux indépendants pour nous améliorer, certes en tirant le fruit de ces analyses, mais aussi pour montrer que beaucoup d'opérations fonctionnent bien. C'est une des leçons que nous tirons du programme d'évaluation de mon propre ministère, qui est réalisé avec des experts indépendants, et qui est de nature à rassurer beaucoup de sceptiques.
Telles sont les thèses que j'ai défendues devant les Nations-Unies, à l'OCDE, aux Institutions de Bretton Woods. La réforme du système de l'aide me paraît en effet être la clé de la reprise de la croissance.
J'ai même fait des suggestions au sein de l'Union européenne. On y débat actuellement de la complémentarité, de la cohérence, de la coordination des politiques d'aide au développement des États membres de la CEE, ce qui est le cadre et le moment approprié pour faire progresser les préoccupations que je viens d'évoquer.
J'ai développé enfin également ces propositions pour le Chef de l'État, en vue du prochain sommet du G7 de Lyon. Elles tendent toutes à gérer notre aide au développement avec des politiques plus pertinentes et plus économiques en frais de fonctionnement et de structures.
Si le système français de coopération peut se targuer d'indéniables réussites, et d'une considération internationale dont s'est fait l'écho le dernier rapport de l'OCDE à son sujet, il n'échappe pas cependant lui non plus à certaines constatations négatives, à certaines critiques que je viens de formuler.
La qualité des hommes, leur expérience sont indiscutables, mais il est lui aussi trop complexe, trop onéreux en fonctionnement, et il est susceptible de réorientation qualitative. Pour relégitimer l'aide au développement en France également, il faut faire la preuve qu'il sait se réformer et répondre aux légitimes attentes d'efficacité de nos partenaires et de nos contribuables.
Le premier ministre m'a chargé, avec le ministère des Affaires étrangères et en liaison avec le ministère de l'Économie de lui proposer une réorganisation qui aille dans ce sens et qui permette une meilleure approche, une meilleure compréhension du système de la coopération. Ces propositions lui seront prochainement soumises et vous comprendrez que je réserve la primeur de mes propres conclusions à Monsieur le Premier ministre.
Mais je n'alimenterai pas les rumeurs sur le sujet. Avec mes collaborateurs nous travaillons sérieusement à un dialogue interministériel, le plus étendu possible à toutes les parties prenantes du débat. Le Premier ministre français tranchera entre les points de vue différents qui peuvent s'exprimer au fur et à mesure que les travaux avancent, ce qui est tout à fait naturel.
Je souhaiterais pour ma part vous exposer le sens général de mes propres réflexions. Le raisonnement et le diagnostic général sur les problèmes d'organisation que nous rencontrons me paraît clair et accepté à l'unanimité. Mais les solutions sont difficiles à définir et surtout elle sont difficiles à mettre en oeuvre. Elles impliquent des réaménagements de compétence au sein d'administrations, toutes d'excellentes qualités, mais qui ont sans doute le tort de considérer que réaménager les compétences consiste à les remettre en cause. Et puis la mobilité, l'adaptation, les transferts, sont des thèmes que le secteur public maîtrise sans doute moins bien que le secteur privé, dont je m'honore de sortir personnellement.
C'est pourquoi il faut une très forte volonté politique pour aboutir. Celle-ci existe dans tout le gouvernement. C'est d'abord le fait de rétablir une cohérence politique à propos de l'aide et la coopération. Il faut que l'aide et le développement, en France comme vis-à-vis de l'étranger, aient un seul visage, une seule voix, que la coopération française soit une et qu'elle s'exprime clairement.
Nous ne pouvons pas nous permettre de nous exprimer sur ce sujet à la fois sur différents registres et par différentes voix.
C'est donc renforcer la coordination des décisions qui importe. Il s'agit de 50 milliards de francs de concours, dont près des deux tiers sont gérés par le ministère de l'Économie et qui échappent très largement à la volonté et au contrôle du Parlement, voire même à l'inscription en loi de finances initiale. Il s'agit là d'une exigence de base.
C'est aussi la volonté de mieux aider nos partenaires francophones. Ceux-ci ne pourront pas réussir sans reconnaître la globalité des problèmes du continent et l'importance particulière du lien européen. C'est le sens de l'élargissement du champ de mon ministère à l'ensemble des pays ACP.
Il ne s'agit pas du tout de diluer l'aide française au sein de 70 pays, mais peut-être d'être en mesure en France de parler de façon cohérente à l'échelle du continent, de nouer ici ou là des partenariats nécessaires à la gestion des problèmes globaux, de travailler efficacement à l'intégration régionale, d'être efficaces et présents sur des enjeux fondamentaux.
Je suis certain pour ma part que cet élargissement sera bénéfique pour nos partenaires africains francophones et qu'ils y verront des avantages directs. Je puis en tout état de cause m'engager et vous assurer qu'ils ne pâtiront pas de cet élargissement sur le plan financier.
C'est aussi la volonté de mieux associer la représentation nationale. Je souhaite à cet égard présenter une loi d'orientation à l'approbation du Parlement.
Mais ces orientations organisationnelles et de principe ne doivent pas faire oublier que le principal est dans la qualité de la politique d'aide elle-même. A mes yeux, elle doit reposer, s'agissant de notre action africaine, sur une triple dimension que je souhaite évoquer brièvement. L'Afrique a besoin de rigueur économique et de compétitivité renouvelée. Nous devons l'aider en ce sens. C'est le rôle des politiques sectorielles, qu'il s'agisse des politiques sociales ou économiques, et j'ai demandé à mes services de faire converger leurs efforts sur cette exigence. Il faut que nous maintenions le cap de la rigueur dans les procédures et les politiques. C'est pourquoi la doctrine d'Abidjan demeure essentielle.
Parallèlement, il faut que nous jouions un rôle encore plus actif d'interface, de médiateurs avec les institutions de Bretton Woods pour faire comprendre aux uns les nécessités de procédure et politiques dont elles sont porteuses, et aux autres les spécificités, les contraintes et les enjeux dont nous sommes, nous Français, parfois plus familiers.
Je n'ignore pas également que cette compétitivité nouvelle passe par une promotion vigoureuse du secteur privé. J'aurai l'occasion le 30 octobre prochain, à l'occasion d'un colloque que nous organisons, d'exposer complètement la politique que je compte mener dans ce domaine et à laquelle j'attache une importance particulière.
L'Afrique a besoin d'une société civile plus ouverte, plus performante économiquement et plus saine. C'est tout le sens de la coopération institutionnelle. C'est tout particulièrement le sens du combat que nous menons dans le domaine de la lutte contre la corruption, les grands trafics, et en particulier celui de la drogue. Nos intérêts et ceux des pays africains sont liés en ce domaine comme en beaucoup d'autres.
Mais c'est aussi le sens des initiatives que nous prenons pour promouvoir une politique de coopération de proximité, ouverte à des acteurs non étatiques - ONG ou collectivités locales - et j'en ai déjà évoqué par ailleurs la nécessité stratégique.
Dans quelques jours, le Congrès national des Maires à Paris va s'ouvrir les 14, 15 et 16 novembre et pour la première fois dans l'histoire de ce Congrès qui est très ancien il y aura un stand du ministère de la Coopération, de manière à ce que tous ceux qui en France - et ils foisonnent - souhaitent pratiquer la coopération dite décentralisée, même modestement, puissent trouver auprès de nous l'aide et l'assistance pour mieux l'organiser et mieux la coordonner.
Je viens en particulier de décider de poursuivre la mise en oeuvre du Fonds Spécial de Développement dont vous savez qu'il avait été créé pour accompagner la dévaluation du franc CFA. Les résultats de ce fonds, dont nous avons achevé l'évaluation, sont remarquables. Ils dépassent de loin le simple amortissement de l'impact financier ou social de ce choc monétaire. En changeant le nom légèrement pour signifier qu'il s'agit désormais d'accompagnement durable d'actions d'initiatives locales, et en l'appelant donc Fonds Structurel de Développement, je souhaite donner un accent majeur en 1996 à la promotion de nouvelles formes de coopération, proches du terrain, efficaces, concrètes, ouvertes à tout acteur engagé dans le développement.
Enfin, le développement doit être durable. Il doit s'inscrire dans un espace maîtrisé, économiquement et écologiquement. L'aménagement de l'espace doit donc devenir une préoccupation majeure et permettre de traiter les problèmes issus de la croissance démographique, de l'urbanisation et des migrations, dont vous avez pu voir à travers la présentation qui vous a été faite ce matin par mon Directeur de développement sur l'étude prospective de l'Afrique de l'Ouest combien il s'agit de points déterminants.
Il m'arrive de dire que nous sommes là, nous pays industrialisés, pour faire gagner du temps à ceux qui ne le sont pas encore. Nous venons de vivre, depuis 40 ou 50 ans, sous les conseils des experts de l'époque qui nous ont expliqué que les économies d'échelle que l'économie industrielle allait exiger supposaient que les hommes vivent encore plus près les uns des autres, sans penser qu'elles susciteraient des surcoûts inattendus.
Quarante ans plus tard, nous sommes dans cette époque où les surcoûts proviennent de la désertification rurale et de l'hyper concentration humaine dans les banlieues, l'actualité et la presse tous les jours nous le rappelle. Ces insuffisances des expertises de ces grands économistes il y a 40 ans, doivent aujourd'hui nous faire réfléchir au fait suivant : la politique de développement, de coopération avec les pays africains doit prendre en compte un nouvel aspect, celui de l'aménagement du territoire.
La reconquête de certains pays, car l'Afrique est un grand continent vide en populations, le maintien des populations là où elles sont, doivent montrer que le niveau de vie n'est qu'un des éléments du bien vivre. Et c'est parce que le bien vivre sera la règle en Afrique qu'elle sera le grand continent du 21ème siècle.
(Applaudissements).
M. Jean FAURE. - Je connais, Monsieur le ministre, vos obligations et je sais que vous devez aller aux questions d'actualité du Gouvernement à l'Assemblée nationale. Cependant, je pense qu'un certain nombre d'amis ici présents seraient frustrés s'ils ne pouvaient pas vous poser les questions qui leur brûlent les lèvres.
M. Richard ANDRIAMANJATO , Président de l'Assemblée nationale de Madagascar . - Monsieur le Président, Monsieur le ministre, Messieurs les Présidents, chers amis, c'est un véritable événement que nous vivons actuellement à travers ces assemblées, tant à l'Assemblée nationale qu'ici au Sénat.
Il s'agit de voir comment l'Afrique va devoir, non seulement partir, mais réussir à partir. Les relations de l'Afrique s'étaient définies à travers ce que nous avions fait dans le cadre de l'Europe ACP, mais plus particulièrement les relations avec la France exigent que, dans le contexte actuel de changement entre l'Est et l'Ouest qui a disparu, on organise la coopération, de telle sorte qu'elle soit perçue véritablement comme l'expression d'une nouvelle solidarité. Lorsque je parle de solidarité, je pense aux formes de partenariat.
L'économie mondiale exige une transition, en passant de certaines formes d'économies qui étaient beaucoup plus entre les mains des États, pour aller vers le secteur privé.
Mais a-t-on suffisamment réfléchi à une période de transition qui ferait justement passer de cette vision de la coopération, parfois très étatique, pour déboucher sur une vision de la coopération qui serait beaucoup plus dans le secteur privé ? Comment l'État donnerait-il une certaine garantie à tout ce que l'on voudrait réaliser dans ce domaine pour que le partenariat que l'on voudrait vivre ne soit pas simplement une juxtaposition de positions entre des États, mais passe véritablement par le canal des entrepreneurs, de ceux qui font l'économie, qui construisent le pays, mais qui, inévitablement, ont besoin d'une certaine garantie, d'une certaine stabilité ?
Je ne parle pas des questions de flottement. Mes amis du CFA se plaignent du passage de 50 F à 100 F en ce qui concerne le prix du franc français. Mais pour notre part, nous sommes passés de 300 F à 1000 F le prix du franc français à Madagascar.
Maintenant, nous essayons de faire marche arrière et de ramener à des proportions plus correctes au point de vue économique. Mais il y avait toute une spéculation que nous étions incapables de juguler. Deux banques disposaient des devises du pays, à un point tel que la Banque centrale était obligée d'acheter des devises au prix fort sur le marché interbancaire parce qu'il n'y avait aucune garantie.
Le partenariat que nous souhaitons devrait se traduire par une certaine forme de garantie qui puisse aider à un véritable développement. C'est dans ce sens que je disais qu'il faudrait une petite commission mixte qui étudierait plus en profondeur les mécanismes d'un véritable partenariat dans le nouveau contexte qui est le nôtre.
M. Mohamed Saïd Abdalah MCHANGAMA , Président de l'Assemblée nationale des Comores. - Je suis un peu resté sur ma faim ce matin. Pour moi, une des questions importantes est celle de la formation en Afrique, aussi bien celle des élites que de la main d'oeuvre.
Or Monsieur le Gouverneur ce matin parlait de cette génération des hommes de 50 ans- je dirais celle des 45 ans à laquelle j'appartiens- qui visiblement a été formée à la fin des années 70. Je considère que le lien de cet espoir que nous voyons tous, de ces mouvements à la fois d'urbanisation, d'occupation de l'espace, c'est la matière grise, c'est l'homme.
Or partout où je passe en Afrique, et j'ai eu l'occasion de le dire à tous vos prédécesseurs, cette crise de formation pose problème. En tant que militant convaincu de la francophonie et agitateur dans nos assemblées, que ce soit au niveau de l'UIP ou de l'AIPLF, je me demande si une réunion de ce type pourra avoir lieu dans 20 ans.
Les réalités économiques font que nous avons du mal à envoyer nos enfants en France et la France n'a pas les moyens, comme c'était le cas à notre époque de recevoir les jeunes bacheliers. Il y a une crise des universités en Afrique. De plus en plus, les jeunes vont dans des pays comme l'Amérique. Mais au-delà il y a la formation des hommes, c'est-à-dire que les universités, les centres d'apprentissage sont fermés en Europe.
Je n'ai pas vu de statistiques pour voir si ces impressions sont réelles ou non, mais c'est un problème qui à mon avis mérite d'être traité en tant que tel.
Son excellence M. Rhafic JANHANGEER , Ambassadeur de l'Ile Maurice . - Monsieur le ministre, vous n'êtes pas sans savoir que certains pays africains ont réussi leur décollage économique et se portent assez bien, du moins pour le moment, parmi lesquels figure évidemment l'Ile Maurice.
Or nous aimerions connaître la stratégie de la coopération vis-à-vis de ces pays qui ont connu un certain succès. Est-ce que la France va les pénaliser en raison de leur succès économique, en disant qu'ils ne sont plus qualifiés ?
M. Moumouni YACOUBA , député du Niger . - Je voudrais dans un premier temps remercier Monsieur le ministre de la Coopération pour sa brillante intervention, ainsi que les orateurs que nous avons écoutés ce matin.
Nous sommes tous d'accord sur un constat : l'Afrique est effectivement en crise économique et financière. Mais souvent il peut se trouver des divergences pour bien identifier les causes profondes de la crise. J'ai été très conforté ce matin dans certains exposés d'entendre mentionner un certain nombre de causes telles que les termes de l'échange, cause qui me paraît fondamentale.
Je dois souligner ici que mon pays, le Niger, est producteur d'uranium. Nous avons vu, depuis 25 ans que nous exploitons l'uranium, comment se sont littéralement détériorés les termes de l'échange, alors que les matières premières qui rentrent dans la production d'uranium augmentent régulièrement chaque année, et que le prix de vente de l'uranium baisse régulièrement.
Nous estimons que les termes de l'échange constituent une cause fondamentale de la crise actuelle. Je ne sais pas ce qu'en pense Monsieur le ministre de la Coopération ni ce qu'en pensent les autres orateurs.
Une autre cause fondamentale est la dette. L'endettement de l'Afrique, aussi paradoxal que cela puisse paraître, a contribué effectivement à appauvrir l'Afrique compte tenu des conditions dans lesquelles il a été contracté, des conditions financières, des taux d'intérêts très élevés, et de plus compte tenu de la parité, de la dévaluation du dollar dans les années 80. Nous sommes convaincus que la dette est un facteur d'appauvrissement et un obstacle au développement du continent.
Il ne faut pas non plus oublier les facteurs climatiques dans le cas de certains pays, comme le Niger, le Mali, le Burkina Faso, etc...
Il y a également les modes de production mis en oeuvre dans nos pays - mode de production agricoles, pastoraux - qui sont extensifs et qui par conséquent provoquent la dégradation de l'environnement.
Enfin, il faut compter la démographie et bien sûr la mauvaise gestion.
C'est vrai, nous avons eu à vivre sous la direction d'États autocratiques qui ont eu à gérer nos économies de manière patrimoniale.
Il me semble que pour trouver des solutions il faut partir de ces causes. Je poserai une question à Monsieur le ministre de la Coopération : quelle solution pour les termes de l'échange ? Cela fait 20 ans que nous en parlons, mais nous constatons que les termes de l'échange ne font que se dégrader. Or nous sommes convaincus qu'il s'agit là d'une cause fondamentale de l'appauvrissement de l'Afrique.
Quelle solution pour la dette ? Là aussi il s'agit d'un problème fondamental. Aujourd'hui, certains États africains sont incapables de supporter le poids de leur dette. Y a-t-il des solutions autres que celles jusqu'ici mises en oeuvre de refinancement des dettes, d'annulation des dettes, quand il s'agit des dettes publiques ? Beaucoup de pays Africains ont des dettes de nature multilatérale. Malheureusement, jusqu'ici, on n'a pas trouvé de mécanisme qui puisse permettre d'annuler ou d'alléger les dettes multilatérales. Or il s'agit là d'un aspect extrêmement important qui bloque aujourd'hui le développement économique de l'Afrique.
Il suffit donc de comprendre toutes les causes que j'ai indiquées pour automatiquement en déduire des solutions : améliorer les termes de l'échange, alléger la dette. Il ne reste que les facteurs climatiques sur lesquels nous ne pouvons avoir de prise à court terme.
Enfin, ce matin, au cours de certains exposés, j'ai cru entendre, à propos de la gestion de la dévaluation, qu'il y a eu des bons et des mauvais élèves. Nous pensons que cette approche n'est pas bonne. Il n'y a pas de bons et de mauvais élèves. Quand cette décision de dévaluation a été prise, au mois de janvier 1994, le Niger s'y est opposé parce que toutes les analyses montraient qu'elle serait négative. L'endettement du Niger étant essentiellement libellé en devises, ipso facto la dévaluation doublait l'encours de la dette.
Nous savions également que la dévaluation n'aurait aucune incidence positive sur le commerce extérieur du Niger, sur les exportations, compte tenu de leurs structures, exportations dominées par l'uranium à 70 %.
Mais par contre, nous savions que pour d'autres pays la dévaluation allait être positive. Par solidarité, nous avions accepté une dévaluation avec un taux de 50 %, largement supérieur à celui qu'il aurait fallu pour le cas de pays comme le Niger, comme le Mali, comme le Burkina Faso.
Par solidarité, nous avons accepté un tel taux de 50 %, tout en sachant en fin de compte que nous ne tirerions pas grand profit de la dévaluation.
Au bout du compte, du fait des gestions de ces différents pays, aujourd'hui on traite de mauvais élèves ceux pour lesquels on savait d'avance que la dévaluation serait mauvaise, et on appelle bon élèves ceux pour lesquels on savait d'avance que la dévaluation allait être bénéfique. Ce sont ces derniers que l'on soutient, que l'on noie de moyens financiers, alors que les autres pays, qui ont fourni des sacrifices extrêmement importants par solidarité avec les autres pays de la zone franc, sont considérés comme de mauvais élèves qu'il faut punir.
M. Gilbert BLEU LAINÉ , Vice-Président de l'Assemblée nationale de Côte d'Ivoire . - Monsieur le ministre, je voudrais vous remercier d'avoir dit à cet instant que vous reconduisez le FSD, que vous appelez maintenant Fonds structurel de développement.
Ma question a trait au système de coopération décentralisée. Je voudrais savoir si dans les actions que vous envisagez au sein de votre ministère, il est prévu quelque chose pour intensifier cette forme de coopération qui à notre avis apporte beaucoup au développement. Nous sommes en train de vivre cette expérience dans une région de Côte d'Ivoire avec la Franche-Comté et nous aimerions entendre ici votre point de vue à ce sujet.
M. Marcel Eloi CHAMBRIER RAHANDI, Président de l'Assemblée du Gabon . - Je voudrais d'abord remercier toutes les personnalités qui ont bien voulu organiser ces journées, ces conférences auxquelles nous participons depuis hier et avant-hier, d'abord conférences politiques et puis aujourd'hui un débat réellement économique, plus proche des réalités quotidiennes que nous vivons. Je remercie également ceux des experts qui sont encore dans cette salle, qui ont conduit leur démarche intellectuelle avec beaucoup de savoir.
Mais je dérogerais à mes convictions, à mes obligations aussi, si je ne devais pas contribuer, car quelles que soient les notes d'espoir, il peut y avoir aussi quelques nuances, des informations qui viennent conforter l'espoir.
Je n'ai pas été mandaté par mes collègues d'Afrique centrale, mais je pense qu'ils seront d'accord avec moi. Ce matin, nous avons beaucoup entendu parler d'économies qui intéressent la zone sahélienne, qui s'étend du Cap-Vert jusqu'au Cameroun. Bien sûr on peut toujours généraliser, assimiler, mais mon propos est de vouloir faire quelques différences.
Je suis bien aise pour en parler, car non seulement je suis médecin et j'ai commencé ma vie par le tertiaire, mais lorsque la crise est arrivée en 1986, je me suis vu obligé de diversifier mes activités en me lançant dans le primaire, c'est-à-dire dans la forêt, et dans le secondaire c'est-à-dire dans la transformation du bois. Acceptez que je puisse apporter la contribution d'un homme de terrain.
L'Afrique centrale constitue un même pays qui va des sables du Tchad jusque dans les forêts du Congo et du Gabon, et même de l'Angola et de la cuvette du Congo, c'est-à-dire le Zaïre, etc...
Ce sont les mêmes peuples, mais il faut prendre en compte des différences de relief. Il y a le Sahel, mais nous avons surtout le massif forestier qui va du Gabon jusqu'au Congo, que l'on ne connaît pas suffisamment et qui constitue un obstacle à la pénétration de l'homme et au développement.
J'illustrerai ma pensée par deux exemples. On peut partir sans grand risque de mourir du Nigeria jusqu'au Sénégal. Mais en partant du Gabon jusqu'au Tchad, on a dix fois plus de risque de mourir en chemin. De même, une marchandise produite dans les confins du Tchad ou de Centre Afrique ne pourra jamais atteindre nos côtes avant longtemps, c'est-à-dire peut-être 2 mois, 3 mois, voire 6 pour le coton par exemple. Même si les prix internationaux sont affichés, nous avons déjà épuisé en attendant 6 mois les bénéfices du produit.
Tout ceci pour vouloir sensibiliser les autorités politiques décideurs qui sont dans cette salle, les autorités parlementaires qui influent sur les votes de budget, sur le fait que nous avons en Afrique Centrale un problème de routes, un problème de voies de communication. Si toute l'aide, qu'elle soit bilatérale ou multilatérale, devait d'abord se prononcer en faveur du désenclavement de cette sous-région, tous les autres discours seraient vains.
Voilà uniquement ma contribution et j'ose espérer que tout le monde partage mon point de vue.
M. Jacques GODFRAIN. - Pour répondre au premier intervenant, il est vrai que l'aide publique est insuffisante en quantité ; elle le sera toujours et il faut la prendre comme telle. J'ajoute même qu'elle est insuffisante en qualité, parce que l'économie n'est surtout pas que publique. C'est pourquoi l'investissement privé doit être, aux côtés de l'aide publique, un moyen puissant de développement.
J'illustre mon propos par le fait que pour moi le ministère de la Coopération n'est pas simplement un lieu où l'on discute d'une ligne budgétaire une fois par an, ni un lieu dans lequel nous discutons entre nous de la façon dont nous allons la dépenser. Si ce n'était que cela, je souhaiterais le premier la fusion avec le ministère des Affaires Etrangères.
Mais ce n'est pas que cela et c'est la raison pour laquelle la fusion est impossible. Le ministère de la Coopération est aussi un carnet d'adresses, un endroit où l'on réfléchit à de nouvelles formes de coopération, où l'on essaie de mettre en phase ceux du secteur privé qui veulent investir et qui cherchent des politiques d'accompagnement, où le privé et le public coordonnent leurs efforts, chacun avec leur méthode, leur manière, leur finalité, leur philosophie parfois.
C'est ce que nous sommes en train d'essayer de faire. Les événements nous y contraignent. Quand on passe d'un champ tel que celui que nous connaissions et sur lequel nous resterons très fidèles évidemment, à celui des 70 pays ACP, on se doit de faire un effort d'imagination, de création, d'inventivité. Vous imaginez bien aisément que les 50 pays supplémentaires qui nous arrivent ne seront pas traités comme ceux avec lesquels nous sommes depuis des décennies en relation. Cela nous oblige à une réflexion sur nous-mêmes.
Je n'ai pas dit que nous allons trouver la solution immédiatement, mais nous sommes en train de le faire. Si à Abidjan il y a quelques semaines, à la demande d'investisseurs et des autorités de Côte d'Ivoire, j'ai pu assister de façon très constructive et positive à un colloque mondial d'investisseurs, c'est précisément dans le cadre de cette réflexion. Le ministre de la Coopération sert aussi à amener au grand public des investisseurs.
Je pars dans quelques heures en Angola, avec le message des pouvoirs publics français, mais aussi avec une quarantaine d'investisseurs français. Ce pays souhaitait avoir des rapports extra-étatiques. Cela a été parfaitement dit dans votre exposé dont je vous remercie.
Si le 30 octobre à Paris, à l'égide du ministère de la coopération nous organisons un colloque sur la coopération et le développement à base d'investissements privés, ce n'est pas non plus le fruit du hasard. L'expérience qu'a la Caisse Française du Développement, qui est un parfait outil de coopération, de qualité remarquable, avec un Directeur qui est une chance à la fois pour l'Afrique et pour les finances françaises, permet cette coopération moderne, actualisée, qui essaie de marier la tradition étatique et l'arrivée d'intérêts privés.
Bien évidemment les pouvoirs publics doivent fixer le cadre de tout cela. Un des points essentiels est celui des garanties juridiques. L'expérience historique, séculaire, que nous avons en Europe, prouve que les grandes cités marchandes qui ont percé dans l'économie médiévale ou du 16ème siècle, que ce soit sur les bords du Rhin ou que ce soit en Italie, montre que c'est parce qu'elles garantissaient une sécurité juridique aux investisseurs que ces derniers pouvaient apporter leur argent et investir dans un certain domaine.
Quant à l'effort de formation - et cela rejoint une autre question sur la formation des hommes - nous n'en ferons jamais assez pour que les États de droit ne soient pas simplement considérés comme des États où l'on vote une fois toutes les X années, mais également comme des États de droit au quotidien, notamment dans le droit commercial et financier.
De la même manière, la garantie monétaire fait partie de ces garanties, tout comme l'aide régionale qui est essentielle. Nous ne pouvons plus aujourd'hui saupoudrer dans un État et dans un autre, parfois contradictoirement parce que ces États - et je pense particulièrement à l'Afrique de l'Ouest dans ce domaine - ont contracté entre eux des règles commerciales, douanières, qui font que ce que l'on fait chez l'un a des répercussions chez l'autre. Je souhaite que cette réflexion soit menée dans d'autres régions d'Afrique.
S'agissant de la formation, je vais vous livrer mon observation très récente. Récemment la zone franc s'est réunie à Bamako. Après ces deux jours, Jean Arthuis et moi-même nous avons confronté nos impressions. Notre première réflexion a été la suivante : quelle qualité d'hommes, quelle chance l'Afrique a-t-elle aujourd'hui d'avoir ses responsables financiers d'un niveau exceptionnel. Tout cela est le fruit de réflexions, de formations auxquelles nous avons participé à parité avec vous.
La matière grise est le plus beau capital dont un peuple peut disposer. Avant les mines, l'agriculture, les industries, la qualité des hommes est essentielle. Il est certain que cette formation a souvent eu lieu en Europe et en particulier en France, mais les moyens dont nous disposons sont limités.
Aujourd'hui, nous pouvons penser que la génération des 25 ans, parce que c'est un peu la mode, parce que dans le monde - et je suis peut être sévère - les donneurs de leçons sont ceux qui ferment le plus leurs porte-monnaie et font croire que leurs formations universitaires sont les meilleures. Or la morale qui découle de cette formation universitaire consiste à arriver au fait que nous avons des élus qui, dans le plus grand pays industrialisé du monde aujourd'hui, veulent réduire de 40 % l'aide, veulent fermer leur ambassade en Guinée équatoriale et aux Seychelles. Si ce sont ces universitaires là qui forment de tels hommes politiques, je dis aux Africains : attention, vous allez aller vers des universités qui sont en train de former des hommes qui sont contre l'aide au développement.
Peut-être y a-t-il d'autres formes d'aide publique à l'enseignement et à la formation. Il fait partie de mes intentions de susciter, parce que c'est aussi leur intérêt une grande fondation privée. Pour des investisseurs aujourd'hui, investir dans l'intelligence n'est jamais perdu. Alors l'État fera, mais le privé aussi fera, je le souhaite. C'est à la fois l'intérêt de l'Afrique et c'est aussi l'intérêt du secteur privé.
S'agissant de la crise de la formation à l'école, nous la connaissons beaucoup en France. Dans un pays, lorsque 70 %, parfois 80 % de l'enseignement public échappe à la population, et que d'autres formes d'école liées à un certain extrémisme prennent le relais, attention ! C'est peut-être bien plus grave que le fait d'avoir des universitaires formés outre-Atlantique. C'est plus qu'un changement de société, c'est un changement d'humanisme.
S'agissant de la réussite du décollage économique, cher Monsieur l'Ambassadeur, votre question me rappelle certaines personnes qui en France travaillent au SMIC et qui travaillent beaucoup pour obtenir un montant de rémunération égal à près du double que le RMI. On se dit pour finir qu'il vaut mieux ne pas faire trop d'effort, être les mauvais élèves, pour gagner autant que les autres. Il y a un peu de cela dans votre question...
Je me permets de récuser - et cela vaut pour vous et pour un autre orateur - le terme de mauvais élèves. D'abord je l'ai été suffisamment moi-même quand j'étais à l'école pour qu'aujourd'hui je ne l'utilise pas à l'égard de pays que j'aime.
Certains pays par nature, structurellement, étaient en difficulté et on savait - cela avait été dit très opportunément - que la dévaluation du franc CFA leur poserait plus de problèmes qu'à d'autres. C'est la raison pour laquelle des fonds d'accompagnements sont particulièrement prévus.
Ne vous sentez pas victimes d'un quelconque ostracisme parce que vous avez réussi, mais tenez compte du fait que l'aide au développement, les fonds de coopération sont des fonds d'accompagnement. C'est justement la preuve de leur réussite. Votre véritable réussite interviendra le jour où vous nous direz « nous n'avons plus besoin de vous ». Ce sera la véritable finalité de la coopération. Mais vous n'êtes pas loin de ce jour.
Sur les termes de l'échange, c'est un discours que l'on entend depuis longtemps. Je suis l'élu d'une région rurale et tout le discours que j'ai tenu moi-même à l'égard des productions agricoles était celui-là. Il y a 20 ans, avec 100 sacs de blé je pouvais me payer un tracteur, aujourd'hui je me paye une paire de sécateurs. C'est cela la dégradation des termes de l'échange.
Mais attention, il y a des gains de productivité à trouver. Sur des processus d'extraction de mine en particulier, sur des processus agricoles, il y a des gains de productivité, et c'est là où la compensation des pertes des termes de l'échange peut se trouver.
Il y a également la finalité de dépense des recettes. Vous me dites, et je vous comprends très bien, que vous recevez proportionnellement moins que ce que coûtent aujourd'hui les biens de consommation. Mais dans les recettes venues de la production primaire, n'y a-t-il pas une part à affecter initialement, tout au long de l'extraction, à l'investissement ? La question est là et c'est la raison pour laquelle je crois qu'une certaine réflexion sur la planification est encore à l'ordre du jour, malgré le libéralisme ambiant. Il y a une nécessité de savoir à quoi, au départ, on veut affecter ces recettes, sans oublier l'investissement qui permettra de mieux lutter contre la dégradation des termes de l'échange.
Sur la dette, la France - et ce n'est pas le fait de mon arrivée à ce ministère - n'a pas grand chose à se reprocher. Nous étions aux Nations-Unies l'autre jour à la CNUCED et je puis vous dire que les PMA ont vraiment exprimé ce que je n'ose pas moi-même exprimer en matière positive vis-à-vis de la façon dont nous avons traité la dette.
Il reste la dette multilatérale qui pose un vrai problème. En ce qui concerne la PRI, il y a eu un certain nombre de propositions récemment, mais vous êtes aussi compétents que moi sur ce sujet. Il s'agit de les approfondir et d'aller plus loin que la lettre d'intention qui a été expédiée à 4 pays de manière à aller plus loin et voir si, à partir de cette expérience que nous allons engager, nous pouvons nous adresser à d'autres pays.
En ce qui concerne la coopération décentralisée, c'est aussi la prise en compte de l'aménagement du territoire. On ne peut plus continuer à voir se développer une bande hypercôtière, hyperurbanisée, et voir l'intérieur de l'Afrique désertée. Il faut des projets de proximité, des projets vivriers. Cela tombe d'autant mieux d'ailleurs que les résultats de la dévaluation se font sentir dans la filière agricole. Je n'aurai pas l'extrême satisfaction que M. Wolfenson exprime chaque fois qu'il raconte cette anecdote que sans doute il a dû raconter à quelques uns d'entre vous : arrivant dans un village du Niger ou du Togo, un agriculteur le reconnaît et le remercie pour la dévaluation du franc CFA au-delà de toute expression. J'ai répondu à M. Wolfenson que je connaissais assez bien les agriculteurs et les paysans pour dire que si j'étais arrivé à sa place, le même agriculteur m'aurait dit beaucoup de mal de la dévaluation du franc CFA.
Aujourd'hui, l'occupation de l'espace est quelque chose d'essentiel. Il faut que vous évitiez tout le cortège de violence, d'inadaptation des hommes, d'utilisation des hallucinogènes dans les banlieues qui en France et dans le monde occidental industriel nous taraudent tous les jours.
Pour cela il y a cette coopération de proximité. D'abord, elle utilise des circuits simples de coopération. Cela va d'association à association, d'élu local à élu local. On se comprend, on a le même langage, on a culturellement les mêmes préoccupations.
Un exemple, loin du continent africain et proche à la fois, s'agissant des relations avec Haïti : qui pratique le mieux la coopération décentralisée si ce n'est quelques communes très en avance de la Martinique, département français d'Outre-Mer, qui sont en train de nouer des rapports avec des communes de Haïti, de manière à ce que les déplacements de populations se fassent dans un cadre humain, social. Le même exemple doit servir chez nous.
Si parfois on rencontre des cas où des communes françaises veulent mettre un franc, un département un autre franc, la région un troisième franc, le Gouvernement français étudiera avec elle la possibilité de mettre 3 francs, ce qui est peu pour chacun de ces organismes, mais au total cela fera 6 francs. C'est un simple exemple, mais allons dans cette direction et passons des contrats entre les collectivités locales et les Gouvernements.
Je ne répondrai pas à ce qu'a dit Monsieur le Président Chambrier-Rahandi parce qu'il a fait une déclaration, il n'a pas posé de question, en tout cas je l'ai pas interprété comme telle, mais votre rapport a été très positif pour l'Afrique centrale.
(Applaudissements).
M. Jean FAURE. - Merci Monsieur le ministre pour votre intervention et surtout pour les réponses que vous avez apportées.
B - L'AIDE À L'AFRIQUE DANS LA PERSPECTIVE DE L'UNION EUROPÉENNE
M. Jean FAURE. - M. Delorme, qui est Directeur pour l'Afrique occidentale et centrale à la commission des Communautés Européennes, et qui a une formation de juriste, a fait pratiquement toute sa carrière au sein de la commission. Aujourd'hui il dirige un secteur qui nous concerne tous.
Intervention de M. Jean DELORME, Directeur à la Direction générale du Développement, à la commission européenne
M. Jean DELORME - Merci Monsieur le Président, et merci au Sénat d'avoir invité la commission européenne à participer à ces débats avec nos partenaires africains. J'ai été particulièrement intéressé par les déclarations de nos collègues ce matin et je dois dire que je partage assez largement la plupart de leurs appréciations.
Toutefois, je ne voudrais pas que l'on pense qu'il existe au sein des organisations internationales d'aide une espèce de pensée unique qui éviterait tout débat. C'est pourquoi j'essaierai donc, non pas de me démarquer, mais de dire franchement ce que je pense dans le cadre de mon propos.
Les relations entre l'Afrique et l'Europe s'inscrivent dans un long compagnonnage établi à la fois par l'histoire et par la géographie. Au fil des temps les formes en ont varié, mais la liaison est restée constante, ce qui est important.
Lorsque la Communauté économique a été créée, une partie de l'Afrique, celle qui vous concerne ici et qui comprend le champ de la coopération française, s'est trouvée associée à cette aventure à travers les dispositions du Traité de Rome relatives à l'association des pays et territoires d'Outre-Mer.
C'est sur cette base qu'une fois survenues les indépendances africaines ont été établies d'abord les Conventions de Yaoundé qui liaient 18 États associés d'Afrique et de Madagascar, puis ensuite Maurice à partir de 1963, puis à partir de 1975, après l'élargissement de la Communauté, les 4 Conventions ACP-CEE successives, dont la dernière, Lomé IV, concerne maintenant 70 pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique.
La Convention de Lomé, considérée comme le modèle le plus achevé du système de coopération Nord-Sud, repose sur quelques principes simples :
- la Convention est un contrat collectif entre partenaires égaux ;
- ce contrat assure la prévisibilité de la coopération par sa durée (5 ans jusqu'à Lomé 3, 10 ans depuis Lomé IV) ;
- la coopération est basée sur un dialogue, un dialogue collectif à travers les institutions que le Président Chambrier connaît bien, notamment l'assemblée paritaire, mais dialogue aussi individuel avec chaque pays ACP pour la programmation et la mise en oeuvre des programmes ;
- la Convention est globale, en ce sens qu'elle regroupe tous les instruments de coopération, de façon à pouvoir mieux organiser leur synergie en vue d'un meilleur développement des pays partenaires.
De fait, organisée selon un triptyque devenu classique - volet commercial assurant un large accès au marché européen des produits ACP, volet institutionnel et aide financière - la convention s'est enrichie au fil des temps de nouveaux instruments et de mode d'action : le STABEX, le SYSMIN, le Centre pour le développement industriel, le Centre technique agricole, la coopération avec les ONG, la coopération décentralisée qui prend chaque jour de plus en plus d'importance et enfin l'appui à l'ajustement structurel.
Parmi les évolutions les plus significatives de la coopération communautaire en Afrique dans la période récente, il faut sans doute mettre un accent particulier, d'une part sur la montée régulière en puissance des exigences relatives aux droits de l'homme et à la démocratie et d'autre part sur cet appui à l'ajustement structurel qui a constitué une des innovations les plus marquantes de la 4ème Convention.
A première vue, les deux évolutions semblent relever de préoccupations un peu différentes ou d'ordre différent. Pourtant sans transparence budgétaire, sans ordre économique bien établi, sans clarté des choix économiques, il n'est pas de démocratie.
A l'inverse qui ne sait que les réformes économiques imposées, décidées, sans participation de la représentation nationale sont rarement acceptées, internalisées, et ne peuvent finalement s'inscrire dans la durée ? Il n'est peut-être pas superflu - et je pense même que c'est symbolique - de rappeler ici en ce lieu du Sénat que dans les grandes démocraties européennes comme la France ou le Royaume Uni c'est justement par la volonté de contrôler la levée de l'impôt et son utilisation que la démocratie représentative s'est peu à peu instaurée.
Ces considérations éclairent à n'en pas douter le soutien actif qu'a voulu apporter l'Union Européenne aux pays membres de la zone franc, afin de les aider à faire face aux conséquences de la dévaluation du franc CFA en janvier
1994. Les paiements effectués au titre de l'ajustement structurel dans ces pays ont ainsi atteint 230 millions d'écus en 1994 et vont atteindre 195 millions d'écus en
1995, soit au total 425 millions d'écus pour ces deux années, intégralement sous forme de subvention. Ils ont essentiellement servi à sécuriser et à renforcer les budgets des secteurs sociaux (santé, enseignement) qui étaient alors en complète déshérence dans la plupart des pays.
Ces concours ont pu être mobilisés très rapidement avec le plein assentiment des États membres, non seulement de la France qui a poussé à cette affaire avec le soutien de la commission, mais grâce à la compréhension de l'ensemble des États membres de l'Union européenne qui ont accepté des simplifications de procédure et des arrangements visant à utiliser l'ensemble des ressources disponibles, y compris celle du STABEX pour aller dans le bon sens.
Cet effort particulier qu'il faut fournir en termes d'ajustements, qui participe selon nous de l'exercice technique de la démocratie, ne doit pas nous faire oublier également l'exigence de faire un effort d'intégration régionale, indispensable en Afrique. Nous savons que c'est difficile, particulièrement pour des jeunes Nations, à la fois de construire l'habitat individuel de la Nation et en même temps de construire quelque chose qui dépasse la Nation et dans laquelle celle-ci doit se fondre.
Or, depuis le début, les pays africains ont voulu faire cette démarche et nous avons essayé de les soutenir. Mais c'est un exercice difficile et il faut que de l'extérieur nous comprenions à la fois la nécessité d'intégration et ces difficultés, non pas pour renoncer, mais pour que nous ayons une vision claire, logique, du fait qu'il faut construire l'État, mais qu'il faut également construire cet ensemble régional qui doit permettre de donner aux pays africains les grands marchés et l'assise économique suffisante.
Voilà des éléments qui esquissent de façon prometteuse des pistes pour la coopération en général et la coopération européenne en particulier. Donnons quand même quelques chiffres. Compte tenu des déboursements du FED et des apports du budget de l'Union dans les domaines de l'aide alimentaire, de la coopération des ONG et des interventions militaires - hélas trop nombreuses parce que nous y sommes tous contraints - cette aide européenne a atteint en 1994 un montant de 2526 millions de dollars, soit 52 % de l'aide totale de l'Union.
Plus spécifiquement, l'aide à l'Afrique au sud du Sahara a atteint quant à elle 2070 millions de dollars, soit 43 % de l'aide totale.
Le Comité d'Aide au Développement (CAD) a récemment procédé à l'examen, au mois de septembre, de l'aide communautaire, comme le signalait pour l'aide française le ministre Jacques Godfrain. Au terme de cet examen, le CAD a souligné que la Communauté avait en matière de coopération des objectifs précis et ambitieux. Il a noté que son aide affichait une croissance supérieure à celle des États membres et qu'elle se classait au 2ème rang des donneurs multilatéraux, seuls 4 bailleurs bilatéraux ayant par ailleurs un programme plus volumineux que le sien.
Le CAD considère que la Communauté est particulièrement bien placée pour maximiser la contribution européenne au développement, notamment en matière d'échange et en vue de son objectif d'intégrer les pays en développement dans l'économie mondiale.
Il s'est par ailleurs félicité des progrès substantiels accomplis par la commission européenne dans la gestion de son programme depuis l'examen de 1991. Il estime que ces efforts doivent être poursuivis, notamment dans le domaine de l'évaluation, de la gestion des ressources humaines et de la définition des stratégies par pays.
Ce travail, nous l'avons entrepris depuis un certain temps déjà en liaison avec nos États membres et nous pensons le conduire à bonne fin, à le perfectionner.
Passons maintenant du plan technique au plan politique, en abordant les résultats de la révision à mi parcours de la 4ème Convention de Lomé, qui constitue en fait une espèce d'évaluation politique de notre coopération. Ces négociations se sont conclues le 30 juin dernier. Bien que cette Convention ait été conclue pour 10 ans, son texte prévoit en effet que, suivant une procédure convenue certaines de ses dispositions pouvaient être réexaminées au moment de la négociation du protocole financier prévu, lui, pour une période de 5 ans.
Les discussions sur le montant du nouveau protocole financier ont été difficiles, notamment entre les États membres. Ils ont quelque peu retardé la conclusion des négociations. Grâce à la ténacité et à la pugnacité de la Présidence française, le second protocole se trouve finalement doté d'un montant de 14.625 millions d'écus au titre du FED et 1658 millions sous forme de prêts de la BEI sur ses ressources propres.
Je note à cet égard que l'ensemble des ressources mis à disposition de la Coopération européenne au titre du FED sont entièrement sous forme d'aides non remboursables. Seules les ressources de la BEI sont données sous forme de prêts, mais en général elles vont aux entreprises privées.
Le volume des ressources ainsi mis à la disposition de la coopération européenne apparaît en accroissement de près de 22 % par rapport aux chiffres précédents (12 000 millions d'écus). Ce résultat doit être apprécié en fonction du contexte particulièrement difficile dans lequel il a été obtenu et qui est caractérisé par les fortes contraintes qui pèsent sur les budgets nationaux et les efforts bilatéraux de coopération, comme le montrent les données statistiques de l'OCDE.
A ce titre, il apparaît aujourd'hui honorable, et il reste encore significatif de l'engagement de l'Europe vis-à-vis de l'Afrique.
Pourtant, l'incertitude qui a longtemps plané sur le niveau de la contribution communautaire en termes financiers a sans doute occulté une mutation plus subtile, plus profonde, des relations entre l'Europe et les pays ACP par la mise en perspective de celle-ci en fonction du traité de Maastricht instituant l'Union européenne.
Le Traité de Maastricht assigne en effet à la politique communautaire de coopération un certain nombre d'objectifs clairs qui sont de favoriser le développement économique et social durable des pays en développement et plus particulièrement des plus défavorisés d'entre eux, l'insertion harmonieuse et progressive de ces pays dans l'économie mondiale, la lutte contre la pauvreté, le développement et la consolidation de la démocratie et de l'État de droit ainsi que le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Ces objectifs font l'objet d'une déclaration commune de la Communauté, figurant en annexe à la Convention, et il est précisé que désormais les objectifs et les priorités de la Communauté sont à prendre en considération au même titre que les priorités et les objectifs des États ACP partenaires.
C'est à la lumière de ces objectifs d'insertion dans l'économie mondiale, qui sont particulièrement importants, qu'il faut décrypter sans doute les nouvelles dispositions commerciales de la Convention. Celles-ci améliorent les conditions d'accès au marché, notamment pour les produits agricoles pour lesquels, comme tous les produits soumis à organisation commune de marché, il y avait des limitations des négociations.
Des améliorations sont obtenues dans ce domaine d'une façon rationnelle. Elles sont classifiées et permettent une lecture plus aisée des investisseurs et des négociants pour pouvoir interpréter la Convention. C'est une amélioration technique considérable.
On note également un assouplissement des règles d'origine, mais surtout l'accent est mis dans la convention sur la nécessité d'accorder la priorité au développement du commerce et d'assurer une gestion durable des ressources forestières, notamment par un protocole sur les ressources forestières et les bois tropicaux.
D'une façon plus générale, la Convention souligne l'importance de la promotion dans les États ACP d'un environnement favorable au développement de l'économie de marché et du secteur privé.
Au plan institutionnel et politique, le mouvement de démocratisation qui s'est développé en Afrique a largement facilité l'intégration des objectifs du traité de Maastricht dans la Convention. A la référence aux droits fondamentaux de l'homme figurant déjà à l'article 5 de Lomé IV s'ajoute maintenant la reconnaissance d'un principe démocratique, la nécessité de la consolidation de l'État de droit et de la bonne gestion des affaires publiques. Le respect des droits de l'homme, de la démocratie et de l'État de droit constituent désormais un élément essentiel de la Convention, dont la violation peut entraîner la suspension de la coopération à l'égard du partenaire concerné.
Enfin les deux parties sont convenues d'étendre leur dialogue aux questions de politique extérieure et de sécurité, ainsi qu'à des questions d'intérêt général ou d'intérêt commun à un groupe de pays et de renforcer le caractère parlementaire de la représentation des ACP au sein de l'Assemblée paritaire.
Tel est le cadre dans lequel va se dérouler la coopération entre l'Afrique et l'Union européenne au cours des 5 prochaines années. Au-delà, c'est l'an 2000 et il convient dès maintenant de réfléchir à ce que seront la forme et la nature du partenariat euro-africain à l'aube du 3ème millénaire.
A cette occasion sans doute, face aux attractions particulières qu'exercent les économies asiatiques sur les pays du Pacifique et à celles qu'exerce l'ALENA sur les Caraïbes, devra-t-on s'interroger sur la pertinence de l'ensemble ACP ? On peut s'interroger, mais ne pas en tirer des conclusions dramatiques.
Si l'ensemble ACP ne constitue pas un espace économique, il constitue néanmoins un espace de solidarité politique et économique qui peut justifier une construction où des modulations tiendraient compte des particularités de chaque sous-groupe.
Les relations à venir entre l'Europe et l'Afrique vont dépendre en grande partie de l'évolution politique et économique des deux continents. L'Union européenne pour sa part entre dans un double processus de réformes institutionnelles, conférences inter-gouvernementales de 1996, Union économique et monétaire à l'échéance de 1999, et d'élargissement aussi qui vont inévitablement la transformer et qui vont lui permettre d'offrir aux économies africaines l'accès à un plus grand marché encore, ceci toutefois dans un contexte où la mondialisation de l'économie aura continué d'éroder les préférences commerciales et où ce qui comptera alors sera davantage la dimension du marché, sa proximité, son unité, par la disparition des entraves douanières et techniques internes.
C'est dire que les pays africains doivent consentir de gros efforts pour améliorer la compétitivité de leurs économies afin de pouvoir tirer profit de ce marché européen élargi et des mouvements de délocalisation industrielle qui vont certainement s'amplifier dans notre espace Nord-Sud.
Dans beaucoup de pays, ces efforts sont déjà en cours avec l'amélioration de la gestion des finances publiques, la mise en oeuvre des réformes visant à replacer l'État dans ses missions régaliennes, dans son rôle d'organisateur et de régulateur de la vie économique et sociale, de la vie civile, et à créer les conditions favorables au développement de l'initiative privée.
Des chantiers d'intégration économique et régionale ont été ouverts comme ceux de la CEMAC (Communauté Economique et Monétaire d'Afrique Centrale) et surtout de l'UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine) qui va plus vite, que la Communauté soutient de concert avec la France et les institutions de Bretton Woods. Ils sont importants pour l'avenir.
J'ai été indirectement interrogé ce matin par le Gouverneur de la Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest à propos de la liaison entre le franc CFA et la future monnaie unique. Il a dit qu'il se posait la question. On peut se la poser, mais elle ne se pose pas de soi-même, car le franc CFA est lié au franc français par un mécanisme garanti par le Trésor français, (garantie de convertibilité et de parité).
La Banque de France n'intervient pas dans ce domaine. Il en sera de même dans l'état actuel des choses avec la Banque Centrale Européenne. Ceci dit, rien n'empêche les évolutions, mais il est difficile de prévoir ce que ce sera demain puisque nous ne savons pas combien de pays participeront en 1999 à la monnaie unique.
Cela pèse peu mais cela devrait être vu en fonction des pays qui seront engagés dans la monnaie unique et des conditions dans lesquelles cela se fera. Au demeurant, je note que des efforts considérables sont déjà faits dans certains pays, notamment dans les pays de l'UEMOA où l'on met en place, avec le soutien du FMI et de la Communauté, un système de surveillance multilatérale qui doit permettre également d'améliorer la tenue de la monnaie et la gestion financière de ces pays.
En réalité, en dépit des crises et des drames qui viennent l'affecter et qui brouillent son image, l'Afrique bouge. Les comportements économiques, sociaux et même démographiques, qui sont pourtant des comportements de long terme, bougent dans le bon sens.
L'avènement d'une Afrique du Sud démocratique, libérée de l'Apartheid et sa prochaine association à la Convention de Lomé, contribuent fortement à ce mouvement et donnent de nouvelles chances économiques au continent. L'aide européenne pour sa part continuera à apporter son concours à cette redynamisation de l'Afrique en favorisant les efforts d'intégration régionale et la définition de la politique sectorielle cohérente qui permet à l'Union et à ses États membres de se coordonner en vue d'assurer une meilleure efficacité de leurs interventions et d'assurer une complémentarité de celle-ci.
Compte tenu du fort degré de libéralité et de son aide, l'Union accordera une attention particulière à la coopération dans les secteurs où se situe le front de la lutte contre la pauvreté (santé, enseignement notamment). Enfin, en se fondant sur les nouvelles dispositions de la Convention, elle renforcera son appui au mouvement de démocratisation et de consolidation de l'État de droit en Afrique car elle sait que sans poursuite et approfondissement de ce mouvement, l'aide perdrait irrémédiablement le soutien des opinions publiques et des gouvernements européens.
(Applaudissements)
M. Jean FAURE. - Merci M. Delorme. Le sujet que vous traitez était particulièrement important parce qu'une bonne coopération ne peut passer que par une bonne coordination avec tous les États membres de la Communauté européenne.
C - LES NOUVEAUX ACTEURS DE L'AIDE AU DÉVELOPPEMENT : COOPÉRATION DÉCENTRALISÉE ET ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES
M. Jean FAURE. - Je demande à M. Tuquoi de bien vouloir animer la table ronde.
M. Richard Cazenave est député de l'Isère et surtout Vice-Président de la région Rhône-Alpes, responsable des questions internationales. Il témoignera sur des exemples des réalisations de la coopération en Afrique pour la région Rhône-Alpes.
M. Francis Tapon est responsable de la coopération décentralisée pour le département de l'Ille-et-Vilaine. Sous la conduite de Pierre Méhaignerie un certain nombre de réalisations se sont faites depuis des années.
M. Fredaigue, Premier adjoint à la Mairie de Loudun, dont le Maire est le Président Monory, viendra également témoigner de l'expérience de la commune de Loudun.
Mme Christine Roimier est première adjointe à la Mairie d'Alençon, dont le Maire est notre collègue le sénateur Alain Lambert, rapporteur général du budget du Sénat.
Jean-Paul Vigier, Président de Coordination Sud, organisation qui coordonne une soixantaine d'organisations de solidarité, d'urgence et de développement, apportera son témoignage.
Enfin nous entendrons M. Henry Jouve qui lui même, sous la houlette des organisations agricoles, puisqu'il est Président d'Agriculteurs Français et Développement International (AFDI), a conduit différentes missions, non seulement en Afrique, mais dans un certain nombre d'autres pays.
Voilà les quelques personnes qui vont maintenant intervenir en quelques minutes pour nous faire part de leurs expériences.
M. Jean-Pierre TUQUOI. - Les ministres ayant le privilège de parler autant qu'ils le souhaitent, et ce privilège ne nous étant pas donné, je serai très bref. Il va être question de coopération décentralisée. Finalement, celle-ci telle qu'elle est vécue aujourd'hui s'oppose à une espèce de coopération officielle lourde et un peu passée de mode, et cela pour deux raisons.
D'une part les États qui sont les pourvoyeurs de fonds sont tous plus ou moins impécunieux. C'est vrai des États-Unis qui se font tirer l'oreille pour abonder aux fonds de l'IDA, à la Banque africaine de Développement, etc... mais ce n'est pas uniquement le cas des États-Unis. La France aussi se fait tirer l'oreille et le budget de la coopération depuis plusieurs années stagne, pour ne pas dire qu'il diminue.
Par ailleurs, il est vrai qu'auprès de l'opinion publique, la coopération officielle est de plus en plus décriée. On lui reproche d'être très lourde et surtout d'avoir des résultats pour le moins mitigés. Les contribuables, un peu partout dans le monde, ont le sentiment que finalement l'argent qu'ils donnent ne sert pas à grand chose, qu'il est plus ou moins dilapidé, qu'il va se perdre dans des comptes en Suisse ou ailleurs et qu'il pourrait être mieux utilisé.
Un des succès de la coopération décentralisée est perçu de façon positive auprès des opinions publiques parce que les gens ont le sentiment que pour une fois l'argent n'est pas dilapidé, que ce qu'ils donnent sert à quelque chose.
Ceci dit, il ne faut pas se gargariser non plus. La coopération décentralisée est une forme de coopération, mais pas la panacée. Un certain nombre de limites lui sont propres. Nos intervenants les souligneront. C'est plutôt une facette de plus à la coopération telle qu'elle existe aujourd'hui.
Nos intervenants vont faire part de leurs expériences, à la fois des ONG et de la coopération qui peut s'inscrire entre deux villes, une ville française et une ville africaine, entre deux départements ou entre deux régions.
Le plus simple est que chacun d'entre eux parle très rapidement de son expérience. Après quoi un dialogue s'instaurera avec l'assistance.
M. Richard CAZENAVE. - Je suis Vice-Président de la Région Rhône-Alpes, terre de longue tradition humanitaire, à l'origine missionnaire, ce qui explique sans doute la raison pour laquelle de nombreuses organisations non gouvernementales sont présentes en Rhône-Alpes et y ont leur siège, telles que Vétérinaires sans frontières, Handicap International, Est qui libre, ou Bio Force Développement, pour ne citer que les principales.
Cette situation nous a sensibilisés très tôt, nous élus, à la volonté de mener des actions de coopération décentralisées. La première vient un peu d'un événement qui est la sécheresse particulièrement forte au Sahel en 1984. Nous avons démarré sur une action de solidarité humanitaire pour amener des moyens, des vivres, des secours. Tout de suite nous est venue l'idée qu'au-delà de l'urgence il y avait mieux à faire en essayant de conduire des actions de développement.
D'où des projets qui ont donné lieu à un jumelage avec la 6ème région du Mali, la région de Tombouctou, avec laquelle nous avons depuis lors conduit, parfois avec des difficultés parce que des événements marquaient aussi l'histoire de ce pays en 1991 à 1993, des produits très variés dans le domaine de la santé publique, de la santé animale avec Vétérinaires sans frontière, dans le domaine de l'éducation et de la construction de puits.
Un projet est particulièrement important, celui de la remise en eau de mares asséchées alimentées par les crues du Niger - quand je parle de mares c'est de plusieurs milliers d'hectares dont il s'agit - les mares de Tanda et Kabara, travaux qui ont été achevés en 1989.
Nous avons démarré sous cet angle et nous y sommes toujours. Je serai d'ailleurs dans une dizaine de jours au Mali pour donner une nouvelle impulsion à cette coopération puisque les événements politiques permettent aujourd'hui de relancer la dynamique de coopération avec le Mali.
Puis nous avons eu l'idée qu'au-delà de notre action propre nous pouvions être un élément fédérateur ou en tout cas un aiguillon d'entraînement des actions d'autres acteurs de la région Rhône-Alpes. En 1992, la loi de décentralisation ayant donné le pouvoir aux régions de conclure des accords avec des régions relevant d'autres États, nous avons tenu en Rhône-Alpes les assises de la coopération décentralisée, avec des collectivités locales, avec des organisations non gouvernementales et nous avons conclu à l'idée qu'il fallait absolument mettre en réseau nos expériences au sein de la région, pour avoir des retours d'évaluation, avoir des échanges d'expérience, et pour essayer de rendre plus efficaces et plus adaptées, mieux coordonnées aussi nos actions pour l'avenir.
Ces réflexions ont abouti à la création de RESACOP, outil dont nous nous sommes dotés sur le plan régional, qui regroupe tous ces partenaires de la coopération décentralisée et des ONG régionales, outil qui a donc pour objectif d'abord d'organiser régulièrement ces échanges d'information, d'avoir une banque de données communes, ensuite d'être un élément d'appui, de soutien aux projets des collectivités locales de la région.
Ce réseau est né l'an dernier et commence déjà à être tout à fait reconnu. Nous souhaitons dans la foulée que l'État déconcentre une partie de ses crédits de coopération au niveau de structures régionales. Pourquoi ne pas mettre directement des fonds collectés à l'échelon régional pour que ces projets puissent voir le jour plus rapidement et puissent être en synergie de terrain avec nos partenaires dans les pays concernés ?
Notre expérience ne se limite pas à cela. Nous soutenons en direct, par des financements, les projets qui nous sont soumis par les ONG de Rhône-Alpes. En fait, sur 110 MF consacrés aux actions internationales de la Région, nous consacrons à peu près chaque année une dizaine de millions de francs au soutien de projets ou à nos actions directes.
Je suis en train de mettre au point un dernier projet puisque la Région a la compétence, de par la loi, du plan d'accès à la première expérience professionnelle des jeunes, en proposant aux ONG de Rhône-Alpes d'abonder un crédit qui pourrait être de 50.000 F par emploi créé pour celles qui recruteront à durée déterminée pour un an ou à durée indéterminée un jeune entre 16 et 25 ans pour lui donner une formation à l'emploi.
Quand on intervient dans un environnement international, on a besoin d'apprendre, d'acquérir une expérience. Le coeur ne suffit pas, il faut aussi un professionnalisme et les ONG de notre région ont un potentiel de développement très important. Il y a des bailleurs de fonds nationaux, internationaux. Le budget de la coopération pour l'année prochaine va augmenter l'enveloppe consacrée aux coopérations décentralisées et aux ONG. Il y a donc un potentiel de développement que nous voulons essayer d'accompagner en incitant les ONG à se structurer.
Les collectivités locales et les ONG travaillent dans la région Rhône-Alpes la main dans la main et c'est une expérience qui connaîtra, je l'imagine, d'autres développements dans d'autres régions. Outre le fait de cette mise en réseau, outre le fait qu'il y a appui, il y a l'intérêt du retour d'expérience, de la bonne évaluation, d'une meilleure coordination entre les acteurs locaux du développement parce que ce foisonnement fait apparaître aussi la nécessité d'une coordination intelligente.
M. Jean-Pierre TUQUOI. - Nous reparlerons de la coordination entre toutes les associations. M. Tapon pouvez-vous faire part de votre propre expérience en Ille-et-Vilaine ?
M. Francis TAPON. - Hier, c'était la journée tiers-monde dans les écoles et je suis allé dans un lycée d'Ille-et-Vilaine qui voulait un jumelage.
Je précise, pour nos amis des pays ACP, que la coopération décentralisée n'est pas une obligation imposée par les textes relatifs aux transferts de compétences. Les villes avaient engagé des jumelages coopération, aussi bien avec l'Afrique qu'avec des villes d'Allemagne. La première génération des jumelages étaient celle des jumelages de la réconciliation il y a à peu près 45 ans.
Quant à la coopération décentralisée, le terme même est né à la faveur du grand mouvement de décentralisation dans les années 82 - 83, là où le législateur donne la libre administration à ses collectivités, notamment département et région.
Il y a aujourd'hui 45 ou 50 départements. Pratiquement toutes les régions de France font de la coopération décentralisée, mais pas tous les départements, ce n'est pas une obligation.
Il existe différentes formes d'intervention. Il y a l'intervention d'un département qui peut verser une intervention passive : on verse une subvention, soit à Handicap International, soit à une grande ONG. On se donne bonne conscience en agissant en faveur d'un projet dans un pays d'Afrique puisque c'est la dominante.
J'en arrive concrètement à l'Ille-et-Vilaine. C'est en 1983 que la décision a été prise d'engager une coopération avec un pays d'Afrique. Vous connaissiez la situation à cette époque. Le Mali a été choisi. Les autorités maliennes ont demandé que la région de Mopti soit retenue.
Le Conseil Général aurait pu verser une subvention à un organisme. Mais un outil a été créé, vous l'avez rappelé en disant que c'était le Président Méhaignerie qui avait pris cette initiative. Il a voulu que ce ne soit pas l'affaire du Conseil général, mais celle des habitants d'Ille-et-Vilaine.
D'où une association qui regroupe des villes, dont la ville de Rennes, des organismes tiers-monde, des associations tiers-monde, des établissements scolaires, des institutions comme un hôpital. Ces partenaires sont regroupés en association - Ille-et-Vilaine Mopti - et décident des programmes.
Comment travaillons-nous sur le terrain ? Nous n'étions pas des professionnels de la coopération. Nous avons donc fait appel à un organisme que vous connaissez, qui avait déjà 20 ans d'antériorité en Afrique, l'AFVP (Association Française des Volontaires du Progrès) et nous avons trouvé, dans notre département, quelques coopérants qui se succèdent depuis 10 ans là-bas. Nous avons des techniciens supérieurs en agriculture qui sont sur place, un peu plus haut que Mopti.
Nous sommes intervenus dans la région entre Mopti et Tombouctou, en réalisant des puits, des ouvrages hydrauliques, des mares, des périmètres maraîchers, l'objectif étant l'autosuffisance alimentaire et l'alimentation en eau potable et durable.
A l'occasion de l'inauguration du 100ème puits, puisque nous réalisons une dizaine de puits par an, le chef d'un village nous disait, traduit par un technicien, « depuis que vous êtes venus, nos populations n'ont plus faim, nos populations n'ont plus soif ». L'objectif visait à limiter l'exode rural. Le Gouverneur de la région de Mopti, et même le Président de l'Assemblée nationale du Mali ici présent, M. Dialo, député de cette région de Mopti, peuvent vous confirmer que dans certains villages nous avons limité l'exode rural.
En termes financiers, l'enveloppe est significative pour le département puisqu'elle est quand même de 1,1 MF par an de la part du Conseil général, complétée par des cofinancements du ministère de la Coopération (subvention de la région, subvention des communes) et par l'aide d'associations locales.
En voici un exemple : en Ille-et-Vilaine, l'association « Pain contre la faim » regroupe 70 retraités qui tous les jours collectent du pain rassis, vendu pour l'alimentation du bétail. La recette annuelle est de 120.000 F (12 millions de francs CFA). Vous imaginez ce qu'il est possible de faire tous les ans.
Paradoxe : chez nous le gaspillage, là-bas la pénurie. Deux situations négatives, mais en mathématiques, moins par moins égale plus.
Nous réalisons des installations hydrauliques, la construction d'une ou deux écoles par an, suivant les cofinancements que nous pouvons obtenir, des dispensaires. Toutes ces réalisations concrètes sont suivies par nos coopérants en accord avec les autorités locales, les associations villageoises. Une réunion annuelle avec les représentants de l'Association Ille-et-Vilaine Mopti est organisée pour programmer les projets pour l'année suivante.
Un des aspects importants est l'aspect culturel : mieux se connaître, échanger. L'année dernière, pour le 10ème anniversaire, nous avons fait venir pendant 2 mois un conteur malien, un poète qui a circulé dans toutes les écoles jumelées. Ce projet n'a pas coûté cher, mais il a eu beaucoup d'impact.
Depuis 7 ans, tous les étés, des chantiers de jeunes sont encouragés, financés par l'association Ille-et-Vilaine Mopti, et 50 jeunes tous les étés vont sur la région. Voilà en gros la philosophie de cette coopération qui a un but : l'éducation au développement en France, permettre d'échanger, de partager la réalité africaine et prendre le temps de se connaître.
Cette opération a un but : permettre d'échanger, de connaître la réalité africaine et prendre le temps de se connaître.
Tout à l'heure j'ai noté les mots du ministre "mission hâtive". Quand nous allons sur place, nous les représentants des collectivités locales, nous pouvons prendre le temps de mieux nous comprendre.
Nous, professionnels, il nous faut peut-être arriver à unir les hommes, et quels que soient nos échelons dans nos fonctions essayer de traduire cette phrase de Saint-Exupéry : "La grandeur d'un métier est peut-être avant tout d'unir les hommes, il n'est qu'un luxe véritable, celui des relations humaines." Ce luxe dépasse quelquefois et même souvent des millions de CFA.
(applaudissements)
M. Jean-Pierre TUQUOI. - Merci de nous avoir brillamment décrit l'expérience de l'Ille-et-Vilaine.
Mme Christine ROIMIER. - La politique impulsée par Alain Lambert dans la ville d'Alençon est de donner suite à un jumelage ancien avec la ville de Koutiala au Mali.
Ce pays s'est engagé tout récemment dans une politique de décentralisation. Nous avons des actions complémentaires à celle du secteur associatif qui faisait vivre ce jumelage avec beaucoup de résultats positifs.
Nous nous sommes sentis des responsabilités particulières, et les relations personnelles que nous avons nouées avec nos homologues ont fait jaillir des projets que nous sommes en train de mettre en oeuvre.
Il est vrai que pour une équipe d'élus qui se trouve investie de la responsabilité d'un budget local, de la gestion domaniale, des problèmes d'urbanisme, de plan d'occupation des sols, c'est une lourde responsabilité.
Le transfert se heurte bien sûr à des problèmes financiers et essaie de faire adhérer une population à ses évolutions structurelles et institutionnelles.
Nous avons travaillé ensemble, nous avons effectué plusieurs missions à Koutiala, nos homologues sont venus à Alençon et au cours de trois échanges assez longs nous sommes arrivés au projet suivant : Koutiala a la chance d'être aussi le site d'investissements internationaux très importants des Nations Unies, avec notamment un très grand programme d'adduction d'eau. D'où un mieux-être évident pour l'ensemble des populations, mais générant aussi des difficultés de gestion, car qui dit eau dit eaux usées et des problèmes de santé.
Donc est bouclée la boucle de l'ensemble des responsabilités d'élus d'une collectivité territoriale. Le dialogue avec nos homologues a fait apparaître un réel besoin en matière de Direction Générale des Services Techniques. Koutiala était dotée d'équipements importants (réseau d'eau, problème d'élimination des déchets d'eaux usées). Evidemment c'est à cette charnière de la Direction Générale des Services Techniques que se trouvait un besoin en compétences aux côtés des élus comme chez nous.
Alors que sur le plan administratif, Secrétariat général, le poste était pourvu par une délégation d'un fonctionnaire malien d'un très haut niveau, donc c'était du côté de la Direction Générale des Services Techniques que se posait un problème. Nous avions ensemble monté un projet permettant de recruter un ingénieur malien. Ensemble il y a eu un cheminement dans la procédure de recrutement par un appel à candidatures par la presse nationale, avec la définition du profil de poste, tout ce qu'il est utile de maîtriser quand nous sommes élus dans un cadre de décentralisation avec certaines responsabilités.
Ceci a eu lieu il y a quelques semaines, cet ingénieur malien a été recruté par un jury composé d'élus de Koutiala, avec la présence de l'ONG qui avait investi des énergies du Mali, de l'ensemble des opérateurs présents sur la ville de Koutiala, avec deux sièges pour la ville d'Alençon.
Ce poste a été pourvu, cet ingénieur aura un correspondant, le Directeur Général des Services Techniques de la ville d'Alençon, qui m'a accompagné lors d'une précédente mission à Koutiala.
Nous serons un peu centre de ressources pour le démarrage, nos services par exemple refont complètement les plans de réseaux de la ville. C'est une base de travail essentielle, nous devons aussi veiller à ne pas calquer un schéma d'organisation complètement comparable au nôtre en France.
Ce serait déraisonnable et il ne remplirait pas la mission souhaitée. Par exemple, pour les missions ménagères il est fait appel aux GIE locaux, là encore le contrat de concession sera à traiter avec nos amis, afin qu'un service public soit rendu sur une ville, mais par délégation d'associations type GIE, tout à fait pertinentes au Mali.
La ville d'Alençon s'est engagée à financer le poste de l'ingénieur pendant trois ans, complété par des avantages en nature fournis par la ville de Koutiala. Nous aurons une participation en sifflet bien sûr, et nous nous retirerons au fur et à mesure de la prise en charge de ce poste par la ville de Koutiala elle-même.
Comment pourra-t-elle y parvenir ? Nous avons constaté que les élus de Koutiala se heurtaient à une difficulté, la perception des taxes locales, parce que le service public n'était pas assuré de façon correcte. Donc les gens ne veulent pas payer leurs impôts.
Pour essayer de briser cette spirale infernale, faisons en sorte que le service soit rendu. Peut-être la collecte fiscale de la ville de Koutiala sera meilleure, après cela.
C'est la formule que nous avons choisie. Cet ingénieur fera en sorte que le service soit de meilleure qualité, que la perception fiscale se déroule dans de meilleures conditions.
Nous pensons aussi que cette démarche, si elle réussit, permettra de réconcilier une population avec ses institutions et donc un État de droit, ce qui est extrêmement important, car actuellement on assiste un peu à la fourniture de services directement de prestataires aux particuliers, et si elle devait se développer elle n'aboutirait peut-être pas à la cohésion nécessaire dans un État de droit.
Voilà très rapidement résumée notre démarche.
(applaudissements)
M. Jean-Pierre TUQUOI. - Merci. M. Fredaigue va prendre la suite très rapidement.
M. Jean-Pierre FREDAIGUE. - Je ne vais pas vous parler du Mali, mais du Burkina.
La ville de Loudun est jumelée avec celle de Ouagadougou depuis 1967. Il y a donc vingt-sept ans que nous vivons une expérience où il n'y a aucun professionnalisme.
Les gens de Ouagadougou et de Loudun sont des Messieurs Tout le Monde. Il y a des responsables élus démocratiquement depuis peu au Burkina. J'ai rencontré récemment le Maire de Ouagadougou qui a pris ses fonctions en mai dernier : j'ai donc l'assurance d'avoir pendant les cinq prochaines années le même interlocuteur.
Depuis vingt-sept ans le jumelage, je veux le souligner, a vécu malgré un grand nombre de Maires nommés par le Gouvernement, compétents dans l'ensemble, mais ne disposant pas de la durée voulue pour enclencher des opérations sur le terrain.
Qu'avons-nous fait depuis vingt-sept ans ? Le jumelage existe encore et c'est extraordinaire. Aujourd'hui au Burkina il doit y avoir 105 ou 106 jumelages coopération. Loudun ayant été le premier, nous avons le défaut d'être l'ancien, donc nous prenons des cheveux blancs.
Je ne vais pas vous énumérer toutes les actions, car au fond elles ont peu d'importance.
Vous l'avez tous dit aujourd'hui, elles se sont appliquées au domaine de la santé, de l'éducation, de l'économie.
Ce qui paraît important, c'est qu'à chaque fois les projets ont été conçus par nos amis du Burkina. A aucun moment la ville de Loudun n'a imposé de projet.
Par contre, entre dix ou douze projets proposés, il y a eu un tri faisant l'objet d'un dialogue à chaque fois.
Cette approche a eu le mérite de permettre aux citoyens ordinaires que nous étions, les uns et les autres, de nous révéler dans une école de responsabilité.
La meilleure formation, celle des hommes, de la matière grise évoquée tout à l'heure nous paraît bien être précisément la responsabilité apprise sur le terrain.
Cette approche, comme la construction d'une école, son financement, la participation de la ville de Ouagadougou ou celle de Loudun, chacun s'y engage et respecte son engagement.
De là à vous dire que "tout baigne", ce serait mentir. La difficulté essentielle n'est pas l'investissement, on trouve toujours l'argent, mais le fonctionnement, la mise en place des structures humaines et leur avancement.
Un exemple : un dispensaire est relativement facile à construire, à équiper, mais il est plus difficile d'avoir une infirmière et de le faire fonctionner avec des médicaments.
Nous devons exercer en permanence un suivi de ce qui se passe sur le terrain. C'est très intéressant puisqu'il permet aux Loudunais d'aller voir leurs amis au Burkina et d'échanger sur toutes les réalisations.
Le succès venant dans le département de la Vienne, une, deux, trois, quatre bientôt cinq villes seront jumelées avec le Burkina-Faso, d'où une interpellation très forte au Président du Conseil Général que tout le monde connaît puisqu'il est aussi Président du Sénat. A chaque fois qu'on investit un franc à Loudun, à Mirebeau, à Chatellerault, à Chauvigny, ou bientôt à Dangé-Saint-Romain, il pourrait être intéressant que le département mette aussi un franc.
Et il serait encore mieux que lorsqu'il y a un franc + un franc, la coopération mette 50 % de plus, soit 4 F. Cette somme permet d'aborder des projets plus solides, mais l'originalité reste la même, la conception a lieu au niveau des citoyens ordinaires, les élus locaux.
(applaudissements)
M. Jean-Pierre TUQUOI. - Nous avons fait le tour de façon claire des réalisations, des questions qu'elles posent.
Nous avons la chance d'avoir des représentants d'ONG parmi nous. M. Vigier, par exemple, pourrait nous dire comment il voit ce problème de la coopération décentralisée qui, paradoxalement, peut apparaître comme une tentative pour court-circuiter ou se dispenser des ONG, puisque les municipalités peuvent agir directement. Alors que reste-t-il pour elles ?
M. Jean-Paul VIGIER. - Je suis Président de Coordination Sud, qui regroupe à peu près 70 organisations parmi les plus importantes en France.
Je voudrais d'abord citer un chiffre. L'ensemble des organisations de solidarité française, d'urgence et de développement en 1992 avait réuni 1,7 milliard, dont à peu près 40 % dirigés vers l'Afrique.
Les organisations que je représente se situent pour 80 % dans cette somme, et seulement 10 % viennent du Gouvernement français. L'essentiel des ressources des organisations non gouvernementales françaises vient des citoyens français eux-mêmes.
J'ai écouté ce matin avec beaucoup d'intérêt ce que disaient M. Severino et M. Mikhaïlof, en particulier sur l'extraordinaire développement démographique de l'Afrique et les effets actuels, futurs ou anciens sur les États ou les populations.
Le rôle essentiel des ONG de manière générale est de se situer à la rencontre entre les populations africaines et la population française, et d'aider en l'occurrence les premières et leurs ONG à s'organiser et à jouer leur rôle dans cette considérable évolution et ce dynamisme dont nous sommes les témoins, et peut-être un peu les acteurs.
Je mets à part les ONG françaises qui s'occupent d'urgences car leur action est liée aux parties les plus difficiles et les plus cruelles quelquefois de la vie.
Je parlerai de celles de développement qui depuis quelques années déjà ont considérablement évolué dans leur pratique, et de plus en plus se situent en aide, en assistance aux populations organisées, que ce soit dans le domaine du crédit -beaucoup d'organisations mettent en place des systèmes de crédit, de caisse d'épargne- ou de la santé, de l'éducation, ce qui jusqu'alors n'était pas primitivement le rôle précis des ONG.
Je dois rendre hommage à beaucoup de nos collègues africains qui savent remarquablement bien s'organiser.
Au fur et à mesure que l'État cède pour des raisons diverses une partie du rôle qu'il jouait dans ce domaine, la Société civile s'organise pour prendre le relais, et quelquefois avec bonheur, souvent et toujours avec courage.
Notre deuxième souci est tourné vers la population française. C'est là où effectivement nous pouvons rejoindre, indépendamment de l'action sur le terrain, le rôle des élus et spécialement des élus locaux. Notre grand souci est de voir nos compatriotes actuellement se désintéresser pour des raisons diverses et variées de la solidarité internationale.
Nous serions effectivement très inquiets si, pour des raisons diverses, l'exemple américain était suivi chez nous.
Nous considérons comme un devoir premier la mobilisation, l'information de la Société française, pour qu'elle ne se laisse pas aller à une sorte de repli sur elle-même ou sur des problèmes qui lui sont immédiatement posés.
C'est pourquoi nous avons proposé d'organiser dans le courant de l'année 1996 les Assises Nationales de la Coopération où se retrouveraient aussi bien les collectivités locales que les ONG, les entreprises, l'État, pour essayer justement de montrer que des actions existent et qu'elles sont faites ensemble.
De plus en plus on constate que des relations sont possibles et des actions communes déjà engagées entre les collectivités locales et les ONG. Il serait absurde et certainement mauvais pour tous que de prétendre opposer l'un à l'autre. Il y a effectivement des convergences très fortes dans l'action démocratique elle-même, et auprès des populations.
De ce côté-là nous avons effectivement des cartes entièrement neuves à jouer, comme par rapport à la collaboration avec l'État où depuis maintenant quelques mois nous avons mis en place avec le ministère des Affaires étrangères et celui de la Coopération un système de gestion paritaire de programmation de certaines actions communes.
Là aussi nous avons accompli un grand progrès dans le choix de pays ou d'actions prioritaires que nous cofinançons.
Autrement dit, actuellement les ONG françaises - je peux parler en l'occurrence de celles que je représente - s'orientent délibérément vers cette double action, vers les populations, selon leur rôle fondamental, et un travail constant, permanent auprès de la population française pour qu'elle n'oublie pas ses engagements et la tradition de générosité qui est la sienne. Je vous remercie.
(applaudissements)
M. Jean-Pierre TUQUOI. - Merci. Je retiens la leçon qu'il ne faut pas opposer les ONG et les municipalités, elles sont plutôt complémentaires, ne serait-ce que pour réveiller l'opinion publique qui ressent une certaine apathie à l'égard du développement du Tiers-Monde.
M. Jouve anime une autre ONG au niveau des agriculteurs. Comment voit-il la situation ?
M. Henry JOUVE. - Merci de donner la parole à un paysan. Il en faut, on parle beaucoup d'eux en termes de développement. Au nom des agriculteurs français je dois vous dire toute la fierté que nous avons à intervenir devant vous.
AFDI (Agriculteurs Français et Développement International) que je préside est une organisation composée des quatre grandes organisations agricoles françaises dont vous avez entendu parler : la FNSEA dont je suis l'un des représentants à l'AFDI, le CNJA dont j'ai été le Président dans les années passées, les Chambres d'Agriculture et le Mouvement mutualiste et coopératif agricole français, très large, comprenant mutualité agricole, coopératives, etc.
AFDI est née il y a vingt ans sur l'impulsion de quelques agriculteurs qui, lors de la grande sécheresse du Sahel, avaient pensé qu'il serait bon, en tant que coopératives agricoles, de consacrer une partie des récoltes à une aide alimentaire auprès des populations déshéritées par cette longue sécheresse.
Le mouvement a évolué heureusement, et très vite les agriculteurs se sont engagés dans l'AFDI. Je devrais dire plutôt le mouvement AFDI, puisque la profession agricole en France est très structurée, et il y a à tous les échelons les organisations composantes présentes, les fédérations de syndicats d'exploitants agricoles, les centres départementaux des jeunes agriculteurs, etc.
Nous comptons actuellement 73 AFDI départementales ou régionales selon qu'elles préfèrent travailler au plan départemental ou régional, ou même local parfois.
C'est dire si le mouvement AFDI correspond valablement au concept de coopération décentralisée, puisque des passerelles s'établissent entre les Conseils généraux, les Assemblées régionales et les AFDI départementales ou régionales.
Très vite ce mouvement a progressé, passant des limites de l'aide alimentaire à la constitution et la mise en place de microprojets agricoles (irrigation, création de périmètres maraîchers, construction de banques de céréales, de greniers à millet, mise en place de crédits agricoles). Beaucoup d'actions ont été menées, et finalement nous avons très vite constaté avec nos interlocuteurs africains que nous nous heurtions toujours à des problèmes de commercialisation, de structuration du monde paysan, pour que les conséquences de nos actions et de nos projets puissent avoir effectivement un effet d'amélioration de la condition des agriculteurs.
Très vite nous avons été amenés à mettre en place ce que nous avons appelé des programmes de professionnalisation, consistant à appuyer la mise en place d'organisations paysannes dans les pays du sud. Ceci avec l'aide très soutenue et efficace du ministère français de la Coopération.
Nous avons donc engagé des programmes de professionnalisation dans différents pays : Madagascar, Mali, Burkina-Faso, Côte d'Ivoire, Bénin et Ile Maurice.
Comment fonctionnent ces programmes ? Je tiens tout de suite à rassurer les auditeurs africains, il ne s'agit pas pour nous d'aller semer la jacquerie et la révolution dans les campagnes des pays du sud.
Il est impératif qu'une concertation au plus haut niveau soit menée entre les collaborateurs que nous sommes et les principaux intéressés que sont les agriculteurs.
Donc nous nous réunissons dans les différents pays que je viens de citer tous les six mois sous forme de comités paritaires de concertation. Je prends l'exemple de Madagascar pour changer un peu - qui mettent en présence autour d'une même table pendant deux jours :
- les représentants des paysans malgaches, par exemple le Cercle des agriculteurs malgaches avec les organisations locales paysannes ;
- les agriculteurs français, l'AFDI, mais aussi un Vice-Président de la FNSEA, le Secrétaire général du CNJA, etc, donc les organisations agricoles françaises ;
- l'Administration malgache, le ministère de l'Agriculture malgache et ses différents services ;
- les bailleurs de fonds.
Comme il y a trois postes pour chaque partie, dernièrement nous avons pu inviter la Coopération française, l'Union européenne et la Banque mondiale.
C'est quand même une révolution dans le fonctionnement des actions de développement, car les principaux intéressés, c'est-à-dire les paysans, les gens de la base peuvent s'exprimer devant les bailleurs de fonds, leurs autorités administratives, et avec comme appui stratégique, comme caution morale des paysans français reconnus et mandatés par leur propre base.
Cette démarche de concertation -le ministre tout à l'heure a beaucoup insisté sur elle- est la nôtre pour définir des actions prioritaires que souhaitent les agriculteurs des pays dans lesquels nous intervenons.
Bien sûr des thèmes prioritaires apparaissent comme celui de la formation des hommes à l'action syndicale, à la mise en place d'actions de gestion. Beaucoup d'organisations agricoles nous demandent d'être à leurs côtés pour mettre en place des systèmes de gestion de leurs exploitations, pour avoir des arguments face à des phénomènes très graves, très durs vécus par elles, avec le flottement à Madagascar, avec la dévaluation dans la zone CFA. Elles ont besoin de beaucoup d'arguments par rapport à leurs acheteurs pour définir leurs revenus, leur marge brute d'exploitation.
Nous avons également des débats très intéressants de fond. Ils ressortiront lors du 50ème anniversaire de la FAO. Ils sont passionnels, mais passionnants aussi, ils portent sur les échanges agricoles, le concept de compétitivité auquel le GATT nous invite.
Mais je vous interpelle sur les limites de cette compétitivité et de ce libéralisme. Nous parlons avec les paysans maliens de cette compétitivité entre les producteurs de coton du Mali et ceux des États-Unis. Il faut ouvrir les yeux de tous les gens intéressés.
Nous parlons aussi de la maîtrise de la production. A un moment donné il était question de mettre en place des quotas cotonniers, nous avons l'expérience des quotas laitiers. Le producteur de lait que je suis en Ardèche sait quelle réflexion il a fallu effectuer pour tracer des axes.
Nous parlons encore d'aide alimentaire.
Voilà en gros ce que nous faisons avec les organisations paysannes des pays du sud.
Je voudrais relater le propos tenu par le ministre de l'Agriculture de Madagascar lors de ma dernière visite. Il m'a dit très clairement : "dorénavant on peut considérer qu'il y a deux mots nouveaux : "syndicat agricole" et "concertation". On peut commencer à enterrer un autre concept, celui de l'encadreur, qui viendrait, au nom d'un projet quelconque ou mandaté par un bailleur de fonds détenteur d'une vérité, faire comprendre aux paysans ce qu'ils doivent faire pour s'organiser."
Nous pensons, avec les paysans du sud, que cette logique n'est pas la bonne, qu'il faut qu'eux-mêmes définissent leurs formes de structuration et leurs priorités par rapport à ce que les bailleurs de fonds peuvent faire.
En tant que Société Civile française, nous pensons que c'est un rapprochement avec une Société Civile des pays du sud qu'il faut prôner.
(applaudissements)
M. Jean-Pierre TUQUOI. - Merci. Tout cela est passionnant, mais l'heure tourne.
Il serait peut-être intéressant d'entendre quelques questions de nos amis africains, pour savoir comment ils perçoivent ce phénomène de la coopération décentralisée, ce qu'ils en attendent, bien sûr très brièvement.
M. Ali Nouhoum DIALLO , Président de l'Assemblée nationale du Mali . - On m'a demandé tout à l'heure un témoignage. J'affirme qu'effectivement l'Ille-et-Vilaine, aussi bien que la ville d'Alençon et M. Cazenave ont fait du bon travail dans mon pays, et les populations maliennes sont extrêmement sensibles à tout ce qui a été réalisé.
J'espère que les élus maliens, aussi bien au niveau des communes urbaines que rurales qui vont naître bientôt avec la décentralisation, ou au niveau national, s'impliqueront davantage dans un dialogue et une concertation qui ont eu cours depuis la démocratisation au Mali le 26 mars 1991. Ainsi nous pourrons travailler ensemble, je crois, à amener la Société Civile malienne à prendre conscience chaque jour davantage de sa force, pour que les pouvoirs publics sachent qu'ils sont contrôlés par les citoyens.
(applaudissements)
M. Carlos GOMES , député de l'Assemblée nationale de Guinée Bissau - Je voudrais savoir comment nous pouvons contacter votre organisation pour avoir toutes les informations nécessaires.
M. Jean-Pierre TUQUOI. - Vous le demanderez après la séance.
M. Christian VALENTIN , Premier Vice-Président de l'Assemblée nationale du Sénégal - Je voudrais apporter un témoignage de coopération décentralisée entre le département de Thiès et la région Nord-Pas-de-Calais, et en profiter pour remercier mon ami Jacques Legendre, sénateur du Nord-Pas-de-Calais, pour l'appui qu'il a apporté à cette coopération.
Une Association dans cette région a commencé il y a un an à initier des opérations de proximité dans le département de Thiès dont je suis le député. Cette coopération est soutenue par le Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais.
Nous avons créé au Sénégal une ONG qui s'appelle Normande Sénégal. Entre les deux ONG nous faisons une coopération de proximité, en particulier alphabétisation des femmes, qui donne déjà un résultat tout à fait étonnant, l'assainissement, la réhabilitation des dispensaires, des maternités rurales.
Nous agissons dans la suite d'une coopération de proximité menée par l'Union européenne depuis 1988, et par le FAC, par l'intermédiaire des CDI.
Je pense qu'il y a là une action qui commence à donner ses fruits.
On a parlé de vocabulaire, on n'emploie plus le terme d'encadreur, j'ai moi-même pendant de longues années été à la tête d'organismes d'État dits de développement, je sais ce qu'est l'encadrement du monde rural. Parfois il a été aussi malfaisant que la sécheresse. Je le sais par expérience.
Dans notre coopération décentralisée, la parole est aux paysans. Ils font leurs propres programmes, les soumettent à un petit comité qui précisément les finance.
Pour toutes les interventions, nos paysans, par l'intermédiaire de leurs coopératives et de leurs GIE, apportent 25 % de participation.
La micro-économie est le pendant nécessaire de la macro-économie dont nous avons parlé abondamment ce matin. La première doit venir atténuer les rigueurs de la seconde, mais il faut avancer davantage, avoir plus de moyens pour développer cette action de proximité.
(applaudissements)
M. Francis TAPON. - Une réponse. Monsieur dit tout à fait justement que les populations apportaient 25 %. Effectivement la logique non conceptualisée par l'Association du département d'Ille-et-Vilaine était de demander symboliquement 100 F à chaque famille d'un village pour un puits, et 10.000 F pour une école de 20 MF.
Il y a deux ans nous avons été surpris. Dans un village les habitants se sont opposés à cette participation, car, selon eux, les écoles financées par le FED n'en nécessitaient pas une.
Il fallait consommer rapidement les crédits du FED, d'où une cassure du ressort, plus aucune responsabilisation de l'Association des Parents d'Elèves.
Un autre exemple : dans un village il y a déjà un puits, on nous demande d'en faire un autre. On demande pourquoi il n'est pas utilisé, on nous répond "il y a une bête crevée dedans et ce n'est pas le nôtre, c'est l'UNICEF qui l'a fait, nous n'y avons pas participé, donc nous n'en voulons pas."
La semaine dernière j'ai lu un article dans « Le Monde » parlant d'un abattement de 125 MF de la part versée par la France à l'UNICEF. L'argent n'est pas gaspillé, il faut revoir la méthode.
Les grandes organisations mondiales ont de la pédagogie à apprendre de la part de nos amis africains.
M. Jean FAURE. - J'ai de nombreuses demandes de parole, je vais vous faire beaucoup de peine. Malheureusement un intervenant attend toujours son tour depuis 16 h 30, il aurait dû déjà partir. Je l'invite à nous rejoindre. Auparavant une dernière question.
M. Jean-François PROBST. - Une question à M. Jouve. De nombreux jeunes gens français font leur service national chaque année dans le cadre de la coopération, il me serait agréable de savoir si de jeunes agriculteurs français peuvent actuellement profiter du service national dans le cadre de la coopération.
Nous avons parlé cet après-midi d'aide et de coopération. Il faut que cette dernière aille dans les deux sens. Est-ce que de jeunes agriculteurs africains pourraient être détachés de temps en temps, par exemple auprès de la commission de Bruxelles où vous avez quelquefois du mal à vous faire entendre, afin que des gens du terrain puissent aussi être entendus chez nous par les technocrates ?
M. Jean FAURE. - Il n'y a pas de technocrates.
M. Henry JOUVE. - Oui, de jeunes volontaires agriculteurs peuvent partir dans les pays du sud au titre de la coopération, les JAC existent depuis quatre ou cinq ans, ils sont une trentaine dans les projets AFDI. Ce n'est pas suffisant, il faudrait les multiplier, je m'adresse à ceux qui sont prêts à nous aider dans cette voie.
Ensuite, nous tentons de contribuer le mieux possible pour que des responsables agricoles africains puissent s'exprimer dans différentes instances européennes voire même françaises. Dernièrement nous avons pu organiser le déplacement d'un responsable malgache à une session du Comité Economique et Social à Bruxelles, en passant par Paris où nous lui avons remis des messages à transmettre au nom des agriculteurs français.
M. Jean FAURE. - Nous avons parfaitement conscience que ce sujet est carrément amputé de certaines interventions. Mon collègue Jacques Legendre et moi-même prenons l'engagement ici d'organiser un autre colloque dans les prochains mois sur ce thème unique, parce qu'il est vraiment porteur, et il faudra le reprendre en détail.
Je vous prie de m'excuser pour cette façon un peu cavalière de vous couper la parole. Malheureusement le temps passe. Je rends la Présidence à mon collègue Jacques Legendre car M. Keba Mbaye attend depuis un moment déjà.
(applaudissements)
TROISIÈME PARTIE : COMMENT L'AFRIQUE PEUT-ELLE PRENDRE EN MAIN SON DÉVELOPPEMENT ?
M. Jacques LEGENDRE. - Mesdames, Messieurs, Mes Chers Collègues, il est effectivement très frustrant, toujours désagréable de devoir refuser parfois la parole, mais il nous faut avoir l'oeil sur la fin de cette réunion.
Après avoir fait le point de la situation en Afrique, et nous être interrogés sur comment aider l'Afrique aujourd'hui, il est bon de disposer d'un temps suffisant pour répondre à la question : comment l'Afrique peut-elle prendre en main son développement ? C'est bien ce que nous souhaitons pour elle.
Une condition apparaît d'abord, celle de disposer d'un droit des affaires qui soit sûr, efficace, et qui garantisse aux investisseurs de s'engager en Afrique dans des conditions tout à fait fiables.
C'est le sujet qu'a choisi de traiter devant nous M. Mbaye. Je lui passe la parole tout de suite. Il appartient à cette génération célèbre de l'Afrique qui est sortie de l'Ecole Normale William Ponty, il a ensuite poursuivi brillamment ses études, il est maintenant un responsable tout à fait respecté et écouté en Afrique.
Merci de votre patience.
A - LA CONSOLIDATION DU CADRE JURIDIQUE, CONDITION DE L'ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE
Intervention de M. KEBA MBAYE, Président du Directoire chargé de la mise en oeuvre du traité d'harmonisation du droit des Affaires
M. KEBA MBAYE. - En réalité mon attente n'a pas d'importance, c'est surtout celle du ministre de la Coopération avec qui j'ai rendez-vous à 17 h 30 qui me préoccupe. Je serai donc très bref.
La question à laquelle je suis chargé de répondre est celle-ci : la consolidation du cadre juridique conditionne-t-elle l'activité économique ?
A cette question nous répondons tout de suite par l'affirmative. Nous pensons en effet qu'un cadre juridique fiable conditionne le développement économique et social.
L'Afrique devenue indépendante a tout de suite sombré malheureusement dans une balkanisation juridique, conséquence du repli politique. En effet, chaque État s'est enfermé dans son atelier juridique et a construit un arsenal de textes, en particulier relatifs au droit des affaires.
Dans cette activité il n'y a pas d'uniformité parce que tous les États ne disposaient pas exactement des mêmes ressources humaines, si bien que dans certains on trouve aujourd'hui un droit des affaires très évolué, moderne, avec des techniques qui s'adaptent parfaitement à la situation économique d'un pays développé. Par contre, d'autres États en sont encore à une législation du début du XIXème siècle, et même certains ne savent pas exactement quel est le droit applicable sur leur territoire.
C'est sur ce constat que les ministres chargés des finances de la zone franc, héritiers de ce droit commun français applicable partout dans les anciennes colonies françaises, ont pensé qu'il fallait rechercher les moyens de retrouver la possibilité de rendre plus sûr le droit applicable et d'assurer une certaine sécurité judiciaire.
Ils ont mandaté pour cela une mission qui a fait le tour de l'Afrique, et qui est arrivée à la conclusion qu'il était nécessaire, pour assurer le développement économique et social en redonnant de la confiance aux entreprises, de repenser le tissu juridique de l'ensemble de la zone franc.
Mais lorsque les Chefs d'État, après avoir écouté le rapport des missionnaires, se sont réunis à Libreville au début du mois d'octobre 1992, ils ont pensé que ce projet devait en réalité être ouvert à tous les États intéressés, même si le point de départ devait être les pays de la zone franc. Et c'est là qu'ils ont nommé un directoire de trois membres que j'ai l'honneur de présider, qui a été chargé de l'exécution du projet.
Nous avons proposé - et les Chefs d'État ont accepté - de créer une institution chargée de secréter le droit, tâche qui relève en principe d'un organe législatif. Mais les Chefs d'État n'ont pas pensé qu'il fallait créer une Assemblée, un Parlement. Ils ont cru que le Conseil des ministres des Finances, doublé de celui de la Justice, pouvait parfaitement assurer cette fonction législative.
C'est donc ce Conseil qui désormais devra élaborer le droit harmonisé applicable dans le domaine des affaires.
Il faut ensuite bien entendu un organe chargé d'appliquer ce droit, donc une Cour. Ils ont conçu la Cour commune de justice et d'arbitrage, qui a des fonctions d'arbitrage, d'administration et de surveillance du fonctionnement, mais non de juridiction du premier degré. Par contre, elle doit assurer la fonction de cassation dans le domaine des affaires.
Ensuite ils ont pensé que pour bien comprendre le droit des affaires et l'appliquer dans de bonnes conditions, il fallait une formation spéciale, qui dépasse celle assurée aujourd'hui aux magistrats au niveau des États, d'où une Ecole Supérieure de la Magistrature, chargée de spécialiser les magistrats formés dans les différentes écoles des États, mais qui également leur donnerait une formation complémentaire.
La philosophie de toute cette entreprise est celle-ci : il a été constaté, lorsque cette mission s'est rendue sur place en Afrique, que quand on demandait à un entrepreneur ce qui l'empêchait de développer davantage son entreprise, on s'attendait à la réponse des difficultés de trésorerie. Elle a toujours été la suivante : "nous ne savons pas quel est le droit applicable, et donc nous ne sommes jamais sûrs, lorsque nous allons devant le tribunal, de la décision qui va être rendue".
Par conséquent, l'insécurité juridique et judiciaire constitue un écueil au développement.
Par contre, lorsque l'on a des textes sûrs, qui s'appliquent d'une façon certaine, on a des raisons de penser que les entreprises sont plus enclines à s'étendre et à progresser dans leur activité.
En effet, cette sécurité juridique et judiciaire assure la mise à la disposition de chaque État d'un ensemble de textes simples, faciles à appliquer et relevant d'une technique législative éprouvée, sans pour autant que l'État intéressé soit obligé d'avoir les hommes ou l'argent voulu pour élaborer une législation de ce niveau.
Celle-ci permet également de faciliter les échanges et assure la fluidité dans l'établissement des entreprises à travers les frontières.
Cette technique permet encore un échange des procédés modernes de fonctionnement des entreprises, et prépare l'intégration économique.
C'est dans ces conditions que nous nous sommes engagés dans cette bataille de l'harmonisation du droit des affaires en Afrique.
Nous avons d'abord institué des commissions nationales dans chaque État. Les États aujourd'hui reçoivent périodiquement des textes préparés par des experts de haut niveau ou des cabinets spécialisés, ils sont étudiés par chaque commission nationale d'abord, qui établit une sorte de navette entre elle et les experts, si bien qu'il se prépare un véritable tissu juridique bien élaboré avant la réunion plénière de l'ensemble des commissions nationales.
Je suis passé il y a seulement quelques heures de cela, devant la Cour que je préside, et où s'est tenue pendant huit jours l'Assemblée Plénière des commissions nationales chargées de l'exécution du droit des affaires en Afrique.
Nous avons adopté à Bamako, au niveau de ces commissions nationales, ce qui sera désormais le droit des sociétés dans la zone de l'organisation pour l'harmonisation du droit des affaires en Afrique.
Ainsi, si un entrepreneur de Washington, de Lagos, de Paris, de Londres ou d'Abidjan veut s'établir au Tchad ou au Mali, il pourra, surtout avec le progrès de l'informatique, instantanément savoir les règles juridiques d'établissement qui l'attendent, comment ses problèmes seront réglés sur place, s'il aura besoin de recourir à un notaire ou s'il faudra un acte sous seing privé, comment ses difficultés seront résolues, et quelle sera la juridiction compétente en cas de conflit.
Vous qui êtes confrontés à des problèmes de cette nature pendant toute l'année, vous imaginez que ceci constitue une sorte de confiance supplémentaire pour tout entrepreneur, et elle permettra, j'en suis sûr, à ceux qui veulent s'établir et participer au développement de l'Afrique de le faire en toute confiance.
En plus de ce texte qui vient d'être adopté, toute la partie générale du droit commercial l'a été à Bangui en février dernier.
Si bien que nous disposerons, du moins je le pense, avant la fin de l'année d'un corpus juridique dans le domaine des affaires qui n'existe nulle part ailleurs. Seize ou dix-sept États ayant exactement la même législation, qu'il s'agisse du droit des sociétés, du droit des transports, du droit de la vente, du droit de la concurrence, du droit de l'arbitrage, du droit de la faillite, des procédures collectives ou du droit de recouvrement des créances, je ne pense pas qu'il existe aujourd'hui dans le monde un espace juridique aussi homogène, assurant avec autant de sécurité à tous les entrepreneurs voulant s'établir ce que j'appelle un droit de connaissance certaine du droit applicable.
Le Traité qui réglemente tout cela est entré en vigueur il y a déjà quelques semaines. Tous ses règlements d'application se trouvent rédigés, les textes sont prêts, deux d'entre eux, comme je l'ai dit, viennent d'être adoptés, mais ils ne deviendront définitifs que lorsque les ministres s'en seront saisis et auront décidé de leur applicabilité.
Mais il reste posé bien sûr des problèmes, d'abord celui de la localisation des institutions, mais je suis persuadé qu'il sera vite dépassé. J'ai rencontré les hauts responsables de ce continent, je puis dire que chacun d'entre eux est prêt, dans cette entreprise de partage de la souveraineté, à renoncer à toute ambition nationale au profit de ce que l'un de mes interlocuteurs appelait "l'avantage du groupe".
L'autre problème est celui du financement, vous le devinez aisément. Il me plaît de rendre hommage au ministère français de la Coopération. Ce dernier depuis le début a déployé un effort considérable sur tous les plans pour accompagner le projet, et assurer son exécution jusqu'à maintenant, et la France nous a promis son aide. Un Comité composé des ministres du Sénégal, du Cameroun, du Burkina-Faso et de la Côte d'Ivoire va, à partir d'aujourd'hui, entreprendre une mission pour trouver le financement.
Il faut exactement un fonds de 35 milliards CFA pour faire fonctionner l'ensemble des institutions, mais une fois pour toutes, car par la suite les revenus de ce fonds serviront au fonctionnement des institutions.
Je suis persuadé que pour les gens présents c'est une somme relativement dérisoire.
Je suis malheureusement pris par le temps. Messieurs les Présidents, Messieurs les ministres, il est bien entendu que je serai à votre disposition à une autre occasion pour vous donner beaucoup plus de détails sur ce sujet que tous nos Chefs d'État considèrent comme prioritaire, et comme le disait encore une fois le Président Traoré, comme étant le préalable à toute interrogation économique.
(applaudissements)
B - LES ATTENTES DES INVESTISSEURS ÉTRANGERS
M. Jacques LEGENDRE. - Merci. Nous souhaitons que pour vous rendre au ministère de la Coopération, tous les feux pour vous soient au vert.
Nous allons maintenant traiter de l'attente des investisseurs étrangers, et pour cela je demande à M. Jean-Louis Vilgrain et à M. Jean-Louis Castelnau de bien vouloir me rejoindre à cette tribune.
Je vous indique, Mes Chers Collègues, que mes deux coprésidents et amis, le Président Cantegrit et le Président Faure, n'ont pas fui le débat, mais le premier est retenu par une importante réunion du Comité national de sa formation politique, et le second est aussi Vice-Président du Sénat, il préside la séance actuellement, il ne lui a pas été possible de se dégager de cette obligation. Voilà pourquoi je me dois en cette fin de colloque d'être trois Présidents à moi tout seul, vous voudrez bien me pardonner.
Quelques mots de la biographie de M. Vilgrain.
Vous êtes PDG de nombreux organismes situés en Afrique : Société d'organisation de management des industries agricoles et alimentaires, Société camerounaise de minoterie, SARIS Congo, Société meunière et avicole du Gabon. Je n'évoque pas tous les conseils d'administration dans lesquels vous siégez.
Vous êtes surtout le Président du Comité Afrique Caraïbes Pacifique du CNPF et le Vice-Président du Conseil des Investisseurs Français en Afrique.
J'espérais aujourd'hui retrouver à mes côtés M. Prouteau, Président du Comité des Investisseurs, j'ai eu l'occasion de le côtoyer quand nous étions tous les deux membres du même Gouvernement de la République française à la fin des années 70. Depuis il a poursuivi une carrière qui l'avait tout à fait qualifié à parler de l'Afrique. Il avait une impossibilité absolue d'être parmi nous aujourd'hui.
Il nous a délégué M. Castelnau, diplômé de l'INSEAD, ancien Directeur Afrique Proche et Moyen-Orient d'Air Liquide, et délégué général du CIAN, travaillant en étroite liaison avec le Président Prouteau.
Je suis heureux, Messieurs, de vous accueillir, de vous donner la parole, je sais que vous allez pouvoir nous préciser les attentes des investisseurs étrangers que l'Afrique souhaite accueillir.
Intervention de M. Jean-Louis VILGRAIN, Président du Comité ACP du CNPF
M. Jean-Louis VILGRAIN. - Après l'intervention du Président MBaye qui a parlé de la nécessité pour les investisseurs et les entrepreneurs d'un environnement juridique, il s'agit de séduire des entrepreneurs, parce qu'un investisseur achète éventuellement des actions et les revend, mais ne crée pas de développement.
Il s'agit de séduire les entrepreneurs plus ou moins accompagnés d'investisseurs ou de prêteurs.
Le Président MBaye a souligné que dans le secteur privé il fallait incontestablement un État de droit. Il en a cité les trois composantes :
- la sécurité physique, problème n° 1 dans certains pays d'Afrique, le Nigeria par exemple où la sécurité des personnes n'est pas assurée, il faut donc le résoudre ;
- la sécurité juridique. A partir du moment où on fait un pari d'économie de marché, celle-ci est fondamentalement dérégulée. Or l'insécurité juridique résultait principalement du surplus de régulation, qui changeait au fur et à mesure éventuellement des Gouvernements, des évolutions politiques ou économiques. Dans une économie dérégulée la sécurité juridique devient celle des contrats.
Bien entendu un droit des affaires établit l'encadrement des contrats en général, et alors j'en arrive au troisième volet de l'environnement : la sécurité judiciaire. Les contrats ont parfois des difficultés à s'exécuter, et le système judiciaire, qui a la mission de dire le droit, mais aussi quelquefois de le faire, est important.
Fondamentalement les contrats méritent des interprétations dans leur exécution. Dans la plupart des pays développés, notamment aux États-Unis ou en France, la sécurité judiciaire, du moins dans le cadre des tribunaux de commerce, civils ou de première instance, est fondamentalement la sécurité de la jurisprudence.
Cette dernière peut évoluer d'un État à l'autre, comme par exemple aux USA.
Cette sécurité juridique et celle judiciaire sont parfois un peu contradictoires, mais fondamentalement elles reposent sur un fonctionnement normal des tribunaux, et dans un procès celui qui attaque éventuellement au plan national a une sécurité. S'il a raison il gagnera, s'il a tort il perdra.
L'autre jour, avec des entrepreneurs nous étions en Côte d'Ivoire. Le ministre de la Justice de ce pays a fait un exposé extrêmement exhaustif sur la réforme de la magistrature et des procédures judiciaires, et notamment l'exécution des jugements, c'est aussi un aspect qui fait partie de la sécurité judiciaire.
Je passe sur le problème du droit des affaires.
Comment l'Afrique peut-elle prendre en main son développement ? Je rejoins les réflexions des gouverneurs de Banque Centrale, le second point est la mise en oeuvre d'une charte des financements.
Aujourd'hui, la plupart des gens qui se penchent sur l'Afrique -les organismes internationaux, de coopération, etc- sentent bien qu'ils ne peuvent rien faire sans le secteur privé. C'est le moteur n° 1 du développement, qu'il soit africain, en partenariat entre des entrepreneurs européens, japonais, américains, ou exclusivement d'origine étrangère.
Le secteur privé est l'élément moteur du développement.
Un entrepreneur arrive peut-être avec un peu d'argent, mais ce n'est pas le cas général. S'il est implanté dans son pays, il n'a pas souvent de sommes disponibles importantes pour aller ailleurs. Par contre, il a des accompagnateurs en ingénierie financière, qui arrivent à conjuguer les fonds disponibles pour toute entreprise nouvelle. Malheureusement cette ingénierie est assez compliquée avec le système des garanties.
Le CNPF a mené des réflexions, elles figurent dans un document à votre disposition, imprimé par le Sénat.
Nous proposons une conjugaison des fonds et des ressources financières, en même temps qu'un système des garanties qui aujourd'hui ne nous semble pas tout à fait adapté aux problèmes que rencontrent les entrepreneurs voulant investir en Afrique.
Autre problème, celui des politiques d'intégration régionale.
Incontestablement celle-ci donne une dimension nouvelle à un marché, parce que la plupart des marchés de la zone franc sont relativement petits. Or, souvent la dimension économique valable pour des outils de production destinés au marché local est beaucoup trop importante pour le marché uniquement national, d'où une politique d'intégration régionale conduite par la plupart des États africains dans deux zones, extrêmement positive pour attirer ces investisseurs.
Néanmoins nous avons proposé en même temps dans ce dispositif fiscal ou douanier deux volets.
Celui fiscal rejoint la sécurité juridique, il ne faut pas que brusquement l'État impose une taxe parafiscale ou un droit unitaire de sortie. Or l'imagination des fonctionnaires dans ce domaine est sans limite.
La sécurité juridique s'applique aussi, il faut un paysage et une géographie fiscale relativement stables sinon sûrs.
Dans cette intégration régionale, le système est la préservation des marchés régionaux. En situation de décollage la libération interne et celle externe ne se conduisent pas simultanément.
Dans un certain dogmatisme que la Banque Mondiale n'a plus aujourd'hui, étaient confondus économie de marché et libre échange. Ce sont deux concepts différents situés différemment dans le temps.
Dans une société ayant une volonté de développer son industrialisation par filières au départ agricoles, ou de valoriser les actifs de la terre - miniers ou agricoles, à destination alimentaire ou industrielle - il est important de protéger l'industrialisation pendant quelque temps, tout en organisant néanmoins, dans le cadre de l'intégration régionale, une concurrence interne.
Ceci aboutit à la constitution d'un cordon douanier s'inspirant un peu du système européen, avec un tarif extérieur commun, un niveau de protection qu'en Europe nous appelons communautaire, et un tarif intérieur préférentiel permettant justement des échanges entre les États de la même zone, mais cela suppose en même temps des ressources fiscales. En effet, le poids des impôts indirects en Afrique est assez important, mais compte tenu de l'existence d'une secteur informel non négligeable, où y a-t-il une sécurité de ressources pour les États ? Dans les recettes douanières, et les impôts directs sur les sociétés qui réalisent des bénéfices, assez lourds en Afrique.
Tous ces dispositifs font partie de cet environnement qui séduit ou non l'entrepreneur ou l'investisseur : dimension du marché, sécurité juridique et autres.
Troisième volet, l'établissement d'une politique d'économie de marché comportant un secteur privatisation.
Dans les politiques en la matière des États il y a deux motivations fondamentales : celle française consistant à trouver des recettes budgétaires en cas de déficit à combler ; et l'autre consistant à dire "il faut privatiser parce que les affaires ne sont pas gérées normalement, ne font pas de profits, et leurs pertes pèsent sur le budget de l'État".
La troisième option est la suivante : l'affaire fonctionne bien, pourquoi faut-il la privatiser ? D'où une deuxième motivation, éventuellement une recette budgétaire.
Je reprends une réflexion du Gouverneur Konan Bany ce matin, très importante. Il a dit "il faut que les recettes récurrentes couvrent les dépenses récurrentes. Toute recette exceptionnelle doit être affectée au remboursement de la dette ou à un investissement, mais ne doit pas servir à combler un déficit de dépenses récurrentes et normales."
Pour les investisseurs le déficit des États est un critère important pour les transferts de capitaux étrangers.
Dans la politique des privatisations le rôle du secteur privé est reconnu positif, il y a un désengagement de l'État. C'est aussi l'occasion de faire des diversifications qui créent des emplois autour d'une unité agro-industrielle de production ou de services, qui peuvent également se diversifier dans d'autres activités à partir de la privatisation.
La méthodologie comporte plusieurs aspects résumés au colloque de Libreville. J'ai dit que la Côte d'Ivoire avait fait un parcours sans faute, elle s'est appuyée en même temps sur la Bourse d'Abidjan.
Il n'y a pas eu encore de privatisation par la seule mise en Bourse de la majorité du capital d'une société, mais d'une minorité seulement. Par contre, j'ai souligné qu'une privatisation, à partir du moment où l'État fait une réalisation, était incontestablement une étatisation de l'épargne. En échange de titres d'une société publique on donne du cash à l'État pour résoudre ses problèmes budgétaires et autres.
Néanmoins l'épargne n'est pas tellement abondante, souvent elle s'investit ailleurs, et dans les marchés financiers il est important que les programmes de privatisation s'appuient sur le financement même des entreprises, pas uniquement sur la solution d'un problème budgétaire pour les États.
En France certaines privatisations ont donné des ressources à l'État, mais pas à l'entreprise privatisée. Elle a besoin après de se retrouver sur des marchés financiers ou de faire appel à d'autres investisseurs pour souscrire des augmentations de capital et financer son développement.
Les modalités de privatisation sont importantes, puisqu'elles mobilisent l'épargne locale ou nationale. Dans le document du CNPF nous proposons que ce ne soient pas des dénationalisations. Un entrepreneur, même s'il est un ami est quand même un étranger.
Dans notre groupe nous avons eu à subir en Algérie il y a très longtemps, mais aussi au Congo Brazzaville une nationalisation. Nous étions seuls propriétaires du capital de cette société dont j'étais le Président. Or j'ai participé à sa reprivatisation il y a quatre ans mais à condition que l'État reste actionnaire au minimum à 35 %, afin que le jour où, grâce au talent des équipes en place, elle fonctionnera bien, on puisse l'introduire en Bourse, peut-être à celle d'Abidjan, la seule existant dans la zone franc. Il sera possible de mobiliser l'épargne nationale pour que ce processus de privatisation ne soit pas une simple opération de dénationalisation. C'est la coloration politique de cette présence de l'État toujours en tant qu'actionnaire minoritaire.
Enfin, autre aspect important souligné par le Premier ministre de Côte d'Ivoire l'autre jour, celui de la dette.
Dans la phase de redressement de l'Amérique du Sud, il y a eu un procédé mis en place par la Banque Mondiale. J'ai vu le processus s'installer et je l'ai trouvé extrêmement intéressant. Il y avait la transformation des dettes en investissements.
Le Président Chirac, la dernière fois à Libreville, a parlé du fonds de conversion. Cependant il faut aller plus loin. Ce qui a fonctionné pour l'Amérique du Sud, dans les relations entre les banques américaines privées et le pays pour ces opérations de conversion de dettes, c'était que, précisément, les créanciers étaient des opérateurs privés.
Or la dette de l'Afrique n'est pas privée, les créanciers souvent sont des États. Dans ces procédures de titrisation de dettes ou en échange de privatisation, on peut imaginer le même système que celui proposé par M. Balladur, mais c'est un processus de privatisation impliquant deux effets : au niveau du pays et du créancier, qui accepte que sa dette soit transformée en titre privé.
Le problème est important. Nous avons mené des réflexions, mais nous nous heurtons à des problèmes de comptabilité publique qui ne sont pas uniquement français, mais que l'on retrouve dans tous les pays de la Communauté européenne.
Dans ce système de la coopération, dans le cadre de la politique de privatisation prônée par la Banque Mondiale, avec juste raison, et par l'ensemble des opérateurs pour le secteur privé, les privatisations peuvent être un élément important du développement, mais en même temps il faut résoudre le problème de la dette, avec des formules plus ou moins compliquées impliquant une ingénierie juridique de droit public et une ingénierie financière.
Les dettes sont là, les actifs aussi, je pense que nous avons suffisamment d'imagination dans nos pays et en Afrique pour arriver à trouver le système permettant le fonctionnement.
Je souligne la présence de fonds d'investissement et l'existence dans la zone franc d'une Bourse à Abidjan. L'Afrique anglophone dans ce domaine est très en avance sur l'Afrique francophone.
La Tanzanie, la Zambie, l'Afrique du Sud, le Zimbabwe ont des Bourses d'échange, sur lesquelles ils ont articulé une politique de développement, de séduction des entrepreneurs et des investisseurs étrangers.
Le discours des Gouverneurs de Banque Centrale indique que l'Afrique peut prétendre à avoir les pays émergents du futur. Aujourd'hui, s'ils ne se structurent pas comme la plupart des pays d'Asie ou d'Amérique du Sud pour faire fleurir le développement grâce au secteur privé, il faut faire appel aux mécanismes élaborés pour d'autres continents, il n'y a aucune raison qu'ils ne réussissent pas en Afrique.
(applaudissements)
M. Jacques LEGENDRE. - Je vous remercie beaucoup, Monsieur Vilgrain. Je donne tout de suite la parole à M. Castelnau.
Intervention de M. Jean-Louis CASTELNAU, délégué général du CIAN
M. Jean-Louis CASTELNAU. - Je vous adresse les excuses du Président Prouteau, retenu par une réunion très importante, concernant notamment les épreuves de son fameux rapport annuel sur les entreprises françaises et l'Afrique, que beaucoup d'entre vous connaissent déjà. Il regrette très sincèrement de ne pas être parmi vous, je le déplore également. Ceci dit, j'essaierai de répondre aux attentes des investisseurs étrangers.
Je partage tout à fait les opinions du Président Vilgrain sur les sujets importants qu'il a abordés. Je vais essayer de compléter le tableau. Comme il s'agit d'un colloque sur l'Afrique francophone, mes propos s'adresseront à la fois au Gouvernement français et aux États africains.
En France nous attendons une volonté politique plus affirmée en faveur de l'Afrique et un dispositif d'appui aux investisseurs, plus incitatif, plus coordonné, et donc plus performant.
Je m'explique. En ce qui concerne la volonté politique plus affirmée en faveur de l'Afrique, nous attendons à tous les niveaux de l'État un message politique fort et déterminé en faveur de l'intérêt économique et commercial que représentent pour la France l'Afrique et les pays du champ.
Il ne s'agit pas d'un voeu pieux. A cela trois raisons :
1) la France est le premier partenaire du continent africain avec plus de 20 % de parts de marché à l'exportation devant l'Allemagne, les États-Unis, l'Italie et le Japon ;
2) l'Afrique représente encore aujourd'hui, qu'on le veuille ou non, le troisième marché du Commerce extérieur de la France, devant l'Asie, l'Europe de l'Est, l'Amérique Latine et le Japon.
3) L'arrivée sur le continent de nouveaux concurrents est à prendre au sérieux, je pense notamment aux États-Unis, à la Grande-Bretagne, à l'Inde, au Japon et à l'Afrique du Sud.
Par conséquent, ces trois raisons engagent publiquement le Gouvernement français à prendre une position volontariste sur le développement et le lien de la France avec l'Afrique.
Malheureusement les propos officiels aujourd'hui ne reflètent pas suffisamment cette donnée de base. Nous avons besoin de propos mobilisateurs, et il nous faut nous sentir non seulement accompagnés, mais également encouragés. Premier message.
Deuxième message, nous avons besoin d'un dispositif français d'appui aux investisseurs plus incitatif, plus coordonné et plus performant.
En ce qui concerne la coopération et le groupe de la Caisse Française de Développement (CFD), nous assistons à une trop grande multiplicité de l'aide française, et nous souhaitons pouvoir disposer d'un guichet unique, pour une meilleure productivité et une meilleure efficacité du système. Tout le monde y trouvera son compte.
Nous devons cependant, à ce stade, rendre hommage non seulement au ministère de la Coopération qui va organiser un colloque le 30 octobre prochain sur la relance de l'investissement et du secteur privé en Afrique, mais également au groupe de la CFD, qui oeuvre en faveur de la relance de cet investissement en Afrique, malgré les contraintes et les pesanteurs auxquelles ils peuvent être soumis.
Cela dit, nous avons besoin au niveau des courroies de transmission du groupe de la CFD en Afrique, d'interlocuteurs avec une plus grande mentalité d'entrepreneurs et une moins grande préoccupation administrative.
Concernant la COFACE, nous attendons un système de garantie moins frileux. Le rapport qu'elle a publié en juin dernier brille par son pessimisme. L'atlas des risques présenté à cette occasion devrait en toute bonne logique détourner les investisseurs français du continent africain. Il ne tient pas compte notamment des possibilités que l'approche de ces marchés peut ouvrir à moyen terme à des investisseurs ou à des commerçants actifs.
Nous attendons que la COFACE puisse procéder à l'analyse des risques par pays, par dossier et par nature de risque. C'est une notion importante.
Cela étant, notons de façon positive que la COFACE n'est pas fermée aux pays de la zone franc, et que les dossiers sont examinés cas par cas.
Maintenant qu'attendons-nous des États Africains ? Permettez-moi de vous parler franchement. J'étais Directeur de l'Air Liquide pour l'Afrique, le Proche et le Moyen-Orient, c'est donc un continent que je connais bien et que j'aime.
D'abord, un véritable assainissement, je n'ose pas dire une moralisation des économies africaines, afin de rétablir un vrai climat de confiance. Le ministre y a fait allusion tout à l'heure.
Ensuite, un respect des engagements de l'État, qui doit montrer l'exemple et sans lequel on ne retrouvera pas le climat que je viens d'évoquer, un respect des contrats et des conventions signés, également des paiements contractuels.
Enfin, une meilleure visibilité à moyen terme du contexte économique des pays d'accueil, et notamment une meilleure lisibilité des politiques et des programmes économiques, notamment des lois de finances.
Je pense que les États africains doivent, au lieu d'offrir un menu à la carte et multidimensionnel, se focaliser sur quelques axes prioritaires de développement sectoriel sur lesquels ils veulent effectivement avancer et mettre au point un dispositif adapté à la motivation des investisseurs étrangers.
Ne nous dispersons pas, concentrons-nous sur un, deux, trois programmes sectoriels, et nous verrons repartir le partenariat évoqué tout à l'heure.
Il faut une législation du travail plus flexible à la fois sur le plan de l'embauche et du licenciement, une pression fiscale moins forte, mieux équilibrée, plus juste.
Je pense que vous n'ignorez pas qu'aujourd'hui l'Afrique est une des régions dans lesquelles la fiscalité des personnes physiques et des sociétés est l'une des plus élevées du monde.
En conséquence, si l'Afrique doit se tourner vers l'économie mondiale et la Communauté économique internationale, elle se doit également sur ce plan de revenir à des standards internationaux, et alors les investisseurs reviendront accompagner le mouvement.
En corollaire je signale rapidement la réglementation douanière, qui doit être plus rigoureuse afin d'éviter le problème des importations sauvages et à la limite frauduleuses.
Ceci passe tôt ou tard, d'une manière ou d'une autre, par une réforme du système fiscal africain, et vous avez la chance d'appartenir à deux zones, cela facilite déjà le processus grandement par rapport à d'autres grandes régions du monde.
Enfin, un système bancaire efficace et fiable. Je ne m'étends pas sur le sujet, je voudrais cependant signaler deux ou trois points, la sous-bancarisation, mais aussi la sur-bancarisation dans certains pays.
Les investisseurs étrangers souhaitent disposer de banques fortes, capables d'assurer la sécurité de leurs opérations et la pérennité de leur présence, et d'offrir en même temps une gamme suffisante des services dans un contexte concurrentiel.
Pour cela il faut que les conditions d'exercice et les contraintes héritées du passé des activités bancaires et financières soient réellement libéralisées, et que les banques disposent d'une véritable autonomie de gestion ; que soient développés les établissements de capital-investissement, des établissements complémentaires de financement à long terme et par filière de type crédit agricole, logement, etc ; les fonds de garantie, je n'y reviens pas ; et une meilleure maîtrise du secteur informel - c'est important - par une réintégration progressive et non brutale dans le secteur formel grâce à une fiscalité adaptée, suffisamment souple et flexible.
Sans parler, bien sûr, de la taille critique des marchés, élément absolument indispensable qui a fait le succès notamment des investisseurs étrangers dans le sud-est asiatique : les marchés disposaient d'une population avec une taille critique, permettant un retour sur investissement rapide.
Je voulais compléter le propos du Président Vilgrain. Il a dit "la zone franc à elle seule représente à peu près 100 millions d'habitants". Le Nigeria, qui représente à lui seul l'ensemble de tous les PNB de la zone franc a également 100 millions d'habitants.
Si vous voulez avoir un équilibre -vous connaissez la voracité de votre voisin qui, par ailleurs, montre un dynamisme des affaires important- dans cette partie de l'Afrique, et constituer un contrepoids économique, paisible et pacifique, l'intégration régionale est indispensable.
(applaudissements)
C - LE POINT DE VUE DES PRÉSIDENTS D'ASSEMBLÉES AFRICAINES
M. Jacques LEGENDRE. - Nous venons d'entendre deux exposés très importants sur les attentes des investisseurs étrangers. Nos amis africains en particulier et les Présidents d'Assemblée présents y ont été sans doute très attentifs, et sont prêts à poser des questions et à dialoguer.
Je leur passe la parole, pour leur permettre d'interroger les intervenants et de faire connaître leur sentiment sur la façon dont l'Afrique peut prendre en main son développement, car c'est un point essentiel. Un ensemble de pays doit attendre son avenir d'abord de lui-même.
M. KENGNE NGUIFFO , Vice-Président de l'Assemblée nationale du Cameroun - Je félicite les deux intervenants, je dois vous faire savoir que la partie du droit des affaires que nous venons de traiter est l'une des plus importantes de ce colloque.
Dans nos États il est inspiré du droit des affaires français, qui protège énormément les nationaux. La plupart de nos juristes se sont basés sur le droit français, lequel protège, comme je viens de le dire, essentiellement les nationaux français.
Il y aurait lieu de revoir ce domaine, même si les gens se développent dans nos États ils ont aussi des affaires importantes à traiter avec leurs homologues français.
Mettre les dettes dans le domaine des privatisations, en Amérique Latine cette procédure a été positive, a dit M. Vilgrain, mais il a précisé qu'en Afrique la dette est une dette publique. Il a raison.
Le problème devient compliqué lorsqu'on titrise la dette comme en Amérique du Sud. Dans ce cas quel seront les rapports entre les États créanciers et les nôtres ?
Un autre point est digne d'intérêt. Il faut être attentif à l'aspect social, au droit du travail, parce que dans la plupart des États la législation du travail donne un large avantage aux investisseurs étrangers.
Je prends le cas du Cameroun, où dans une entreprise l'employeur fixe le salaire. C'est très important et c'est récent.
Dans les relations il faut prendre cela en considération et mieux traiter les rapports avec les États.
A propos du domaine informel, l'imposition ne doit pas être brutale, mais progressive. Mais alors l'objectif n'est peut-être pas atteint facilement.
En Afrique le domaine informel est négligé, il faut entrer de plain pied dans l'imposition. Il faut donc l'exploiter, sinon on sera toujours tenté d'imposer fortement les entreprises.
(applaudissements)
M. Shail Sid'Ahmed Ould BABA , Président de l'Assemblée nationale de Mauritanie - Mon intervention sera générale.
Depuis un certain temps tous les pays francophones, de la zone franc ou non, ont contracté des programmes avec les institutions. Nous aurions tort, en tant que Présidents des Assemblées africaines, de ne pas donner notre point de vue sur le fond de cette question.
Dans les différents pays il y a des programmes d'ajustements structurels. Ils sont bien sûr conçus avec les États africains, mais, une fois adoptés, leur respect ou non détermine les rapports bilatéraux avec les institutions multilatérales, y compris le rééchelonnement de la dette.
Mon pays depuis dix ans a signé des accords avec le Fonds monétaire et respecte assez bien les différents programmes. Cependant je ne veux pas citer le cas de la Mauritanie uniquement, mais m'exprimer de façon générale.
Dévaluation, réajustement monétaire, augmentation des prix, libéralisation de l'économie, ce sont les points essentiels.
J'aimerais insister sur le fait que tous les États africains ne doivent pas être au même niveau. Même les pays de la zone franc ne devraient pas être traités de la même manière. La dévaluation a des effets bénéfiques pour certains, parce qu'il y a possibilité de substitution, mais pas pour d'autres qui ont un niveau de développement très peu élevé, parce que les possibilités de substitution aux importations sont très limitées. Malgré la dévaluation ils sont obligés d'importer à peu près la même quantité de céréales, n'ayant pas de substitution possible.
C'est très grave, car cela conduit souvent à des soulèvements, des protestations, au moment où en Afrique on commence à entreprendre un véritable système de démocratisation.
J'aimerais demander aux pays de l'Union européenne de repenser le problème de leurs rapports avec les institutions de Bretton Woods. Si un pays ne respecte pas un programme d'ajustements structurels pour plusieurs raisons, s'il se trouve en porte-à-faux avec lesdites institutions, s'il n'arrive pas à rééchelonner sa dette, à trouver une aide substantielle normale et régulière, il se retrouve dans une position économique très difficile, et cela accentue les divergences sur le plan social et économique, et des disparités, ayant des conséquences négatives sur l'intégration économique régionale.
L'économie mondiale est orientée d'une certaine manière actuellement, parce qu'il n'y a plus les Pays de l'Est, le marxisme, etc. Il faut que les privatisations s'effectuent de façon progressive et acceptable.
Des entreprises publiques fonctionnent bien, sont rentables, distribuent des produits à des prix acceptables, et du jour au lendemain les institutions demandent de les privatiser. C'est fait, les prix sont libéralisés, l'État ne trouve pas la part financière qu'il en attend, parce qu'il n'a pas les mêmes revenus fiscaux.
Je ne mets pas en cause l'intervention du secteur privé, au contraire, parce qu'il est le bienvenu en Afrique. Il faut du sang neuf, une expérience extérieure, un plus grand dynamisme, une nouvelle classe d'entrepreneurs, un droit des affaires conséquent. Très bien. Mais passer aux privatisations du jour au lendemain n'est pas souhaitable, il faut un délai d'un ou deux ans, sinon les conséquences sont négatives.
Il faut revoir cet aspect et essayer de mieux connaître la réalité des économies africaines, pas seulement à travers les chiffres, mais les comportements, les sociétés.
Il faut associer les Parlementaires, pas pour qu'ils se substituent au Gouvernement, mais pour qu'ils donnent leur point de vue. Ils savent ce qui se passe, ils peuvent donner des conseils pour qu'un programme soit accepté par tous, car c'est sa seule chance de réussir, par les Gouvernements, les techniciens et les populations qui ont à l'appliquer.
(applaudissements)
UN INTERVENANT. - Je suis un cadre supérieur franco-africain vivant à Paris. Permettez-moi d'être un peu impertinent au moment où nous allons clôturer ce colloque.
J'ai entendu de très bons discours, et si je prends la parole après deux brillants intervenants de l'élite africaine, c'est parce que je reste un peu sur ma faim. Je suis venu en espérant que la présence des Présidents des Assemblées permettrait d'évoquer un point qui me tient à coeur.
Je veux prolonger le discours de M. Vilgrain et de M. Castelnau. Le véritable problème du démarrage de l'Afrique c'est le cadre institutionnel et son ajustement politique.
Je voudrais renforcer le discours du Président de l'Assemblée qui vient de s'exprimer en le combattant : Singapour Airlines est une société publique qui gagne de l'argent, Pan Am est privée, et on connaît son sort.
Le problème n'est pas celui de la privatisation, mais de la compétence et de l'État de droit, qu'il soit économique ou politique.
Si nous ne disons pas cela à nos amis africains, nous continuons à les caresser dans le sens du poil en leur laissant croire qu'ils sont des adultes respectés, alors qu'ils n'obéissent pas à une norme élémentaire internationale, le cadre institutionnel du développement.
Tout à l'heure M. MBaye n'a pas osé dire qu'il ne suffisait pas d'avoir de bonnes lois pour que l'État de droit s'instaure, mais également des Magistrats pour l'appliquer.
Il faut cette intégration juridique pour que l'État de droit s'applique en Afrique. Les Gouverneurs de Banque Centrale, liés par leur obligation de réserve, ne diront pas leur souffrance quotidienne pour compenser, maintenir en survie artificielle des banques commerciales dont les prédateurs ne sont autres que les gens commandités par les gouvernants.
Il faut que cela cesse, alors l'Afrique pourra entrer dans le cercle des grandes Nations et dans les échanges internationaux. Et, Messieurs les Parlementaires, vous avez le pouvoir de le faire. Ce n'est pas facile bien sûr.
Je pense que l'initiative de Dakar est réalisable, parce qu'on peut passer par des étapes et celles-ci ne portent aucune atteinte à la souveraineté des États africains, avec une concession et une régie, en attendant que la société soit structurée. Le CNPF et d'autres entités françaises peuvent y participer. Quand on a prêté de l'argent, on doit choisir la manière de le récupérer.
L'Afrique cède à la respectabilité internationale, ses emprunteurs doivent la considérer comme majeure et ne doivent pas lui tenir un discours puéril.
Les grandes réunions comme celle-ci sont intéressantes quand elles brassent toutes les couches de l'élite africaine et française, et de façon aussi directe que celle que je viens d'entendre de la part des derniers intervenants. Cela me réjouit énormément. Merci.
(applaudissements)
M. Jacques LEGENDRE. - Les Parlementaires interpellés vont vouloir répondre sans doute.
M. Moumouni YACOUBA , député du Niger - Je voudrais donner mon avis sur les programmes d'ajustements et les interventions qui viennent d'avoir lieu. Au passage je félicite M. Vilgrain et M. Castelnau de leurs exposés.
Il faut dire qu'au Niger il y a près de quinze ans que nous sommes dans une situation de crise économique et financière. Pendant cette durée nous avons épuisé un certain nombre de programmes d'ajustements.
A partir de 1983 et jusqu'en 1990 nous avons eu à mettre en oeuvre un programme de stabilisation économique et financière, et un programme d'ajustement interne.
Malheureusement cela n'a pas donné de bons résultats pour des raisons diverses sur lesquelles je ne reviens pas. Aujourd'hui nous sommes dans un autre processus d'ajustement, non pas interne seulement, mais global avec la dévaluation.
Tout à l'heure j'ai abordé un peu ses effets négatifs sur la situation économique et financière du Niger.
Cela me permet de faire une transition avec les derniers exposés de M. Vilgrain et de M. Castelnau.
Sur les attentes des investisseurs français par rapport aux sécurités physique, juridique, judiciaire, je constate que dans beaucoup de pays, en tout cas au Niger, des efforts importants ont été accomplis pour créer les conditions susceptibles de permettre aux investisseurs d'intervenir au Niger avec le maximum de sécurité.
Malheureusement on constate depuis quelque temps une tendance à un désinvestissement en Afrique en dépit de ses efforts pour aller dans le sens des attentes des entrepreneurs, en particulier français.
Un commentaire sur le rôle de l'État et du secteur privé. Je note avec satisfaction, en particulier dans l'intervention de M. Vilgrain et dans celle du Directeur Général de la Caisse Française de Développement ce matin, que l'État dans certains secteurs doit rester présent dans l'économie.
La privatisation totale expose à beaucoup de risques, notamment de nationalisation plus tard, alors que la présence de l'État peut les atténuer.
En période de crise, d'après l'histoire, aucun pays n'a pu s'en sortir si l'État s'est totalement désengagé de l'économie. En 1929 il a fallu une forte intervention de l'État pour sortir l'économie américaine de la crise.
Prenons l'exemple de la reconstruction de l'Europe au lendemain de la seconde guerre mondiale. Il a fallu encore une forte intervention de l'État.
Comment peut-on dans la situation actuelle des pays africains sortir de la crise sans que l'État assume un minimum de rôle économique ? Je me réjouis de constater que cet aspect n'est pas perdu de vue.
J'ai noté les solutions évoquées à propos de la dette, car ce point nous tient beaucoup à coeur. Du fait de la dévaluation, son montant, exprimé en monnaie locale, a pratiquement doublé. En conséquence le service de la dette est resté à son niveau.
Nous avons noté les attentes des investisseurs français. La plupart des points mentionnés par M. Castelnau correspondent exactement aux intérêts des populations africaines. Par conséquent nous notons une convergence entre les attentes des investisseurs et celles des populations.
Que veulent-elles ? Davantage de rigueur de la gestion, une moralisation de l'économie.
Il y a aussi une convergence à propos des efforts nécessaires pour contrôler le secteur informel. L'économie au Niger s'est informatisée, surtout à partir de 1987, ce phénomène s'est accompagné d'une défiscalisation de l'économie.
Ce n'est pas conforme aux intérêts de l'État. Par conséquent, il est indispensable de mettre en place des solutions qui puissent permettre progressivement de moderniser le secteur informel. Il y va de l'intérêt de tous les investisseurs, également de l'État, en tout cas du point de vue fiscal, parce que cela assure une meilleure transparence.
En résumé je constate beaucoup de convergences afin de créer les conditions nous permettant de sortir de la crise et de relancer notre économie. Je peux vous assurer qu'au Niger ces réformes sont en cours.
(applaudissements)
M. Jacques LEGENDRE. - Je voudrais attirer votre attention sur le fait qu'il est déjà 18 h 33 et que notre colloque devrait normalement être terminé.
Bien sûr il n'est pas question d'empêcher nos amis de s'exprimer. Nous allons le poursuivre au-delà.
M. Ali Nouhoum DIALLO , Président de l'Assemblée nationale du Mali - La plupart des pays africains ont opté pour l'État de droit, la séparation des pouvoirs, et l'indépendance de la justice.
C'est un des aspects les plus difficiles aujourd'hui en Afrique. Les deux intervenants ont insisté sur le fait que la justice devait bien se dérouler, mais aussi ses décisions. Ce n'est pas lié aux lois. En tant que Parlementaires nous sommes interpellés pour voter des lois, nous le faisons, plusieurs pourraient satisfaire vos attentes.
Mais l'exécution pose des problèmes. L'État de droit en général est conçu pour les fonctionnaires, pas pour les privés, les paysans, encore moins pour les populations démunies. Il appartient à la classe politique africaine de résoudre cette question.
Ma deuxième observation concerne l'informel. Je me demande s'il ne va pas poser beaucoup de problèmes sociaux. Au Mali il est apparu réellement avec les usines à fabriquer des chômeurs que sont devenues les universités.
Il n'y a pratiquement plus de trottoirs à Bamako, ils sont tous occupés aujourd'hui par des "commerçants". Chaque fois qu'on a tenté de les dégager avec les gaz lacrymogènes on a risqué des troubles sociaux.
C'est une façon d'occuper tous ces chômeurs aujourd'hui, qui constituent de véritables groupes de pression dans nos sociétés. Il faut une réflexion plus poussée pour aborder la question de l'informel.
Est-ce que l'informel n'est pas secrété par la crise sociale et économique de nos pays, et dans quelle mesure les opérateurs africains eux-mêmes n'utilisent pas l'informel pour échapper aux impôts et taxes ?
Très souvent l'informel vient au devant même de la boutique du grand commerçant qui est censé payer ses impôts et taxes, et n'apprécie pas que ces petits revendeurs le gênent.
Dans quelle mesure ce ne sont pas les opérateurs économiques eux-mêmes qui poussent au devant de la scène l'informel pour échapper à la fiscalité ?
(applaudissements)
M. Jean-Louis CASTELNAU. - J'ai dit simplement qu'il fallait progressivement ramener au bercail du formel les informels par une politique adaptée et douce.
Il faut savoir qu'il y aura des rémanences d'informels comme dans tous les pays du monde.
L'informel aujourd'hui dans certains pays déstabilise le formel, et coupe un peu les initiatives que pourraient avoir les entrepreneurs africains qui veulent jouer le jeu du formel, d'où une spirale un peu infernale.
M. Cheikh Abdoul Khadre CISSOKHO , Président de l'Assemblée nationale du Sénégal - Je suis satisfait de ce colloque, il nous a permis de faire le point de la période post-dévaluation, et de remarquer une évolution des méthodes d'approche, surtout sur les ajustements structurels.
Ils remontent à dix ans, ils ont commencé par les ajustements internes. Les résultats n'étaient pas très encourageants, mais l'approche était partielle, et non globale prenant en compte la dimension sociale.
En basculant dans l'ajustement global avec l'alignement monétaire, il y a eu également l'effort de prise en compte de la partie sociale.
En Afrique l'endettement est lourd, et pose des problèmes de relations entre bailleurs de fonds et pays africains.
Des efforts ont été accomplis sur le plan bilatéral, notamment au niveau de la France, pour éponger les dettes. Mais sur le plan multilatéral la situation reste encore inquiétante.
Il est bon de réfléchir sur ce que j'appelle une réduction dynamique de la dette, simultanée avec un mécanisme de relance du développement économique des pays.
Une évolution passive ne peut que remettre les problèmes au lendemain. Heureusement, aussi bien sur le plan institutionnel, de l'État de droit et des réformes en cours, notamment juridiques, nous préparons les conditions d'accueil les plus favorables à l'investissement.
Il doit être massif pour résoudre des problèmes d'aménagements structurants. Les investissements de base ne sont pas encore terminés, nous avons des problèmes de communication, de routes.
La libéralisation de l'économie, même sur le plan mondial est irréversible. Elle doit s'accompagner de partenariats véritables. Quand on investit en Afrique, il faut le faire pour le long terme et non pas amortir des usines en trois ou quatre ans, ceci pour être plus compétitif et faire participer la population africaine à la gestion de l'investissement.
Une transposition de la matière grise pose souvent des problèmes. Il faut aller vers l'Afrique dans le cadre d'un partenariat égalitaire et une cogestion, un partage des responsabilités et un investissement pour le long terme.
Un secteur reste privilégié pour l'Afrique, le rural. Nous avons parlé ce matin de l'évolution rapide de la démographie africaine, de la création de nouvelles populations, d'urbanisation. Il faudrait que celle-ci ne s'effectue pas en écartant le monde rural, et que celui-ci fasse l'objet de programmes de développement accompagnant les investissements.
Je m'excuse de ne pas pouvoir être plus long.
(applaudissements)
M. Jacques LEGENDRE. - Je vois des regards angoissés oscillant entre les orateurs et la pendule. Nous allons tous être très disciplinés, mais néanmoins loquaces.
M. Dahuku PERÉ , Président de l'Assemblée nationale du Togo - Je pense vraiment du bien de cette journée comme mes collègues. Elle a été très positive et m'a permis de comprendre beaucoup de choses.
S'il y a des blocages c'est peut-être parce que parfois on ne se comprend pas. Si vous nous donnez, à nous élus, l'occasion de nous comprendre davantage, nous pourrons peut-être exprimer nos craintes, et probablement vos experts pourront-ils nous aider à les analyser, d'où un bon résultat éventuel. Je pense que dans l'avenir il y aura la possibilité de multiplier ces rencontres.
Mon ami africain est intervenu tout à l'heure, je voudrais le rassurer. Malgré toutes nos précautions de langage nous n'avons pas le sentiment d'être de grandes personnalités. Nous sommes des petites personnalités, nous avons conscience du poids de nos responsabilités, c'est ce qui nous vieillit d'ailleurs prématurément, et nous les prions, eux les technocrates, de considérer que chacun de nous, intellectuels, cadres, doit faire preuve de modestie.
Il est très facile de dire que les autres ne font pas leur travail, à leur place en général on fait moins. En étant modestes de chaque côté nous ferons avancer l'Afrique.
(applaudissements)
M. Marcel Eloi CHAMBRIER RAHANDI , Président de l'Assemblée nationale du Gabon - Je souhaite que ces propos puissent être vulgarisés pour que la position des investisseurs et hommes d'affaires français soit mieux connue en Afrique, dans les milieux décideurs, politiques, même de la jeunesse et des investisseurs nationaux.
Il existe de réelles convergences entre nous, je le répète, une position unanime se dégage.
Nous souhaitons que vous puissiez nous envoyer des documents dans nos Parlements respectifs, que nous distribuerons aux députés. Nous votons des lois. Au Gabon nous avons, par exemple, le problème de la privatisation. Nous sommes un peu en retard sur l'Afrique de l'Ouest.
J'aimerais qu'à l'avenir il y ait d'autres colloques. N'hésitez pas à inviter les Parlementaires et bientôt des Conseillers généraux, des Maires, etc.
C'est très important. Nous pouvons vous assurer je le dis parce que nous sommes dans une Assemblée paritaire- que les pays africains depuis deux ou trois ans ont fait l'effort nécessaire pour démocratiser les institutions, respecter les Droits de l'homme, mettre en place un État de droit, et enfin pour une gestion transparente.
La patience a déjà payé. C'est pourquoi les intellectuels parisiens, qui sont dans des palaces, je les invite à venir se présenter aux élections contre nous.
(rires et applaudissements)
M. Bruno AMOUSSOU , Président de l'Assemblée nationale du Bénin - Un mot sur l'évaluation des programmes d'ajustements structurels. Ce matin il en a été beaucoup question. Je souhaite que dans les critères d'évaluation, on tienne compte des éléments sociaux.
Car il y a des effets pervers dans la manière dont ces programmes sont appliqués et évalués. Lorsqu'on dit à un Gouvernement "réduisez la masse salariale", et qu'on prend comme critère cette réduction, on arrive à des distorsions, on supprime des fonctions pour contenir la masse salariale, y compris des instituteurs, des médecins.
On aboutit à des situations où on a de bons critères de performances parce qu'on a réduit la masse salariale, parce qu'on a dégagé un solde primaire positif important permettant peut-être de réaliser des investissements, de construire des écoles et des dispensaires, mais ceux-ci sont vides parce qu'on a été obligé de ne pas recruter des enseignants et des médecins.
On a beaucoup parlé de formation ce matin. Je souhaiterais que dans les critères d'évaluation des programmes d'ajustements structurels on inclue des éléments sociaux, pour ne pas arriver à des résultats contraires à ceux recherchés.
La dernière fois un étudiant m'a dit "vous, Présidents d'Assemblées, faites en sorte que moi aussi je puisse parler aussi bien français que vous". Pour y arriver il faut que les systèmes de formation, de santé aient une certaine importance, et dans les éléments d'appréciation il faut y faire très attention. C'est l'aspect que je voulais souligner.
Lorsqu'on parle d'intégration régionale, faisons attention pour que dans la gestion de l'après-dévaluation nous n'aggravions pas les disparités intérieures à nos États et entre les États des autres zones. Si nous n'y prenons pas garde, nous retomberons dans une situation que nous avons vécue dans le passé.
Ce matin, dans les exposés, les pays cités à plusieurs reprises comme ayant des meilleurs résultats de performances économiques après la dévaluation sont les mêmes que ceux cités dans le passé comme ayant adopté les meilleures politiques. Lorsque la crise est arrivée, ces pays ont connu les situations peut-être parmi les plus difficiles.
Nous devons faire en sorte que la gestion de l'après-dévaluation n'aggrave pas les distorsions à l'intérieur des pays, mais pas non entre eux, dans la zone franc dans son ensemble.
Je voudrais tempérer un peu l'enthousiasme que nous avons entendu ce matin. Lorsqu'on compare les propos tenus sur l'évaluation de l'après-dévaluation, et ceux entendus quand on parcourt les campagnes, il y a manifestement un décalage. Il est bon que nous ayons un esprit critique sur nos actes.
Même si l'après-dévaluation donne de bons résultats, ils ne doivent pas nous empêcher d'avoir un oeil critique sur ce que nous faisons.
J'ai participé en février 1969 à Washington à un débat sur la relance de l'économie africaine, et à l'époque on disait "il faut créer le plus d'entreprises publiques possible". Elles l'ont été, et aujourd'hui plus personne ne reconnaît qu'il l'a dit.
(applaudissements)
Aujourd'hui nous sommes dans une autre dynamique. Je souhaite que nous ayons une attitude critique et un enthousiasme critique.
En ce qui concerne le secteur privé, je suis très heureux de l'intervention de M. Vilgrain. Il ne faut pas confondre le discours sur le secteur privé avec sa promotion. Il ne suffit pas d'en parler seulement pour qu'il se développe.
Il ne faut pas non plus avoir une vue idyllique. Le secteur privé en Afrique a besoin, à mon sens, d'être protégé. S'il faut s'engager dans une politique d'ouverture, celle-ci ne doit pas exclure toute attitude de protection de ce secteur privé dans son environnement africain.
Sinon je crains que finalement nous arrivions à des dénationalisations, et que leurs effets à terme n'entraînent des difficultés politiques internes à la zone. C'est pourquoi je suis très heureux d'avoir entendu ces deux exposés qui ont apporté un bémol à ceux de ce matin. Je vous en remercie.
Comme il s'agit de l'intervention des Présidents d'Assemblées, je voudrais profiter de l'occasion pour, au nom de l'Association Internationale des Assemblées parlementaires de Langue française, remercier le Président du Sénat, le Sénat aussi d'avoir bien voulu organiser ce colloque.
Mes collègues qui sont intervenus avant moi ont souligné tout le profit que nous en tirons. C'est un des aspects essentiels de la francophonie, à savoir faire en sorte qu'un espace culturel devienne un espace de solidarité et de développement, et qu'ensemble, lorsque nous nous rencontrons, nous échangions.
A partir de la communauté d'expression de langue, de communication, que pouvons-nous faire ensemble pour accélérer le développement économique de nos pays ?
C'est ainsi seulement que la francophonie deviendra pour les populations une réalité vivante.
Je remercie bien vivement les Présidents des Groupes sénatoriaux d'Amitié avec l'Afrique. Lorsque l'on a assisté à une telle rencontre, on ne peut qu'avoir envie de recommencer. Donc je souhaiterais lui demander, si l'occasion se présente, à la veille ou au lendemain de rencontres internationales, d'en organiser encore. Ecouter d'éminentes personnalités ne peut qu'améliorer notre information.
Si nous sommes informés comme nous le sommes maintenant, je suis persuadé que chacun de nous en rentrant chez lui aura une meilleure vision de la coopération d'abord entre nous, en Afrique, et ensuite entre l'Afrique et la France et les pays développés. Je vous remercie.
(applaudissements)
M. Jacques LEGENDRE. - Merci. Votre enthousiasme, même pas critique à l'égard de l'initiative du Sénat, a été noté et nous donne déjà le devoir de penser à de nouvelles rencontres.
M. Mohamed Saïd Abdalah MCHANGAMA , Président de l'Assemblée nationale des Comores - Cette initiative est heureuse. J'ai l'impression que nous oublions souvent quand nous parlons de culture qu'il faut un peu d'argent. Dans une tradition bien française du mépris du travail et de l'économie, quand nous nous retrouvons, nous refusons souvent de dire que nous devons nous tenir par la main pour que cette communauté se traduise aussi par des atouts, par des bénéfices au niveau économique.
L'année prochaine, je veux voir que ce n'est pas simplement le Sénat ou l'Assemblée nationale qui organise une rencontre, mais que nos amis du secteur privé français perdent leurs complexes, et comme d'autres entreprises anglo-saxonnes osent dire qu'il y a des intérêts français en Afrique, et que le CNPF invite les hommes politiques africains à débattre, à informer. C'est à travers cela que nous pourrons agir.
Un exemple dans un espace très limité qui est l'Océan Indien. Aujourd'hui des fondations ou même des sociétés allemandes invitent. J'aimerais que nous le fassions en tant que Présidents d'Assemblées, mais aussi les hommes politiques doivent intervenir pour créer cette communauté d'intérêt et dépassionner les problèmes.
Je suis très heureux de cette initiative. Quand je formule une critique au ministère de la Coopération et aux institutions de Bretton Woods, je dis souvent qu'on nous demande d'être des démocrates, mais que les techniciens ou les experts, quand ils arrivent en Afrique, ont toujours les habitudes de l'époque où ils s'adressaient à des dictateurs.
Il faut qu'ils comprennent qu'il y a des Parlements, des Assemblées et que cela prend du temps. Par contre, quand nous serons convaincus, cela engagera les pays et ils auront des défenseurs.
Je reviens sur le droit des affaires. J'ai émis certaines critiques parce qu'il était fait avec des ministres qui changeaient. Aujourd'hui il y a des Parlements. Je suis certain que des collègues ici ne sont pas très au fait de ce travail fondamental effectué.
Au niveau des ministères en France, au niveau des organisations importantes, il faut intégrer le fait démocratique. Ainsi des responsables débattront, ce sera une garantie. Celle-ci ne résidera pas seulement dans le texte de la loi, mais dans le fait que des gens, dans ces pays, sauront ce qu'ils ont fait et le défendront parce qu'ils l'ont fait. Merci.
(applaudissements)
M. Jacques LEGENDRE. - Le CNPF a été interpellé et veut réagir tout de suite.
M. Jean-Louis VILGRAIN. - Le CNPF depuis que j'ai pris la Présidence du Comité ACP, a reçu trois Chefs d'État accompagnés du Premier ministre, du ministre de l'Économie et des Finances. Nous avons organisé des séances de travail avec les Ambassadeurs des différents pays de la zone ACP, aussi bien anglophones que francophones. Nous conduisons aussi des délégations avec le CIAN, puisque nous conjuguons nos talents.
Je regrette que vous ne l'ayez pas su, vous serez toujours le bienvenu.
La difficulté d'une réunion de ce type est sa nature politique, vous représentez des États différents, quelquefois dans des zones monétaires diverses, et nous sommes des opérateurs économiques, nous ne nous mêlons pas de politique.
Nous sommes là pour faire la promotion de l'investissement et du partenariat dans le cadre d'une politique de développement, mais élaborée par vos Gouvernements.
M. Carlos GOMES , député à l'Assemblée nationale de Guinée Bissau - Je profite de cette occasion pour remercier le Sénat français, le Président et ses collaborateurs de cette heureuse initiative.
La volonté politique de nos dirigeants est que la Guinée Bissau fasse partie de la Communauté francophone. Nous avons déposé un dossier pour notre adhésion à la zone franc.
Notre pays participe à tous les sommets de la francophonie, et dans le cadre de la coopération à des opérations militaires avec les forces armées françaises pour la paix. Ce sont des démonstrations de notre volonté politique de faire partie de la famille francophone.
J'ai noté deux préoccupations de tous les intervenants : les effets négatifs de l'aide publique, des programmes d'ajustements structurels.
Je rejoins tout à fait M. Castelnau, je demande un effort du Gouvernement français pour faire la promotion de notre colloque, afin de permettre des décisions ou des recommandations pour sortir notre pays de sa situation très difficile.
(applaudissements)
UN INTERVENANT (Président de la Chambre de Commerce, d'Industrie et d'Agriculture de Madagascar) . - Ce n'est pas la grande Assemblée législative, mais la petite.
Pendant les trois décennies après l'indépendance, deux vocables ont été utilisés surtout.
Le premier est le transfert de technologies, ceci pendant les deux premières décennies. Il ne s'est pas réalisé, ou plutôt si, mais sur le plan purement théorique, par la voie des universités, des écoles, des facultés. Sur le plan pratique ce transfert ne s'est pas produit.
Le deuxième vocable est le partenariat. Nous l'avons utilisé beaucoup aujourd'hui, presque tout le monde en a parlé.
Le transfert des technologies ne peut s'effectuer sur le plan pratique qu'avec le partenariat en réalité. C'est ce dernier qui permettra aux pays en voie de développement d'assimiler la technologie des pays avancés.
Malheureusement, ce partenariat dont nous parlons aujourd'hui est à ses balbutiements depuis quatre ou cinq ans. Aujourd'hui on en a une idée encore assez vague. Faut-il lui donner une définition ? C'est un engagement peut-être, entre deux entités, de s'engager dans une exploitation afin de pouvoir ensemble en tirer un profit et le partager.
Voilà comment ma modeste personne définirait le partenariat.
Aujourd'hui il ne se réalise pas encore de cette façon. Tout à l'heure, M. le Président Vilgrain, M. Castelnau ont parlé des législations et des mesures à prendre et à mettre en place pour rassurer les investisseurs étrangers.
Certes, il n'est peut-être pas difficile de mettre en place des législations, de prendre des dispositions de manière à ce que les opérateurs aient suffisamment de garantie et de sécurité. Mais quelles que soient la législation, les mesures que les législateurs et les exécutifs mettent en place, elles ne seront jamais efficaces que si elles sont acceptées par les nationaux.
Or des opérateurs veulent également bénéficier des avantages de leur propre pays, les partager avec les partenaires étrangers.
Il faudrait donc arriver à un partenariat réel, égal, afin que chacun tire son profit, bien entendu dans la mesure de ses apports.
Aujourd'hui, par exemple, M. Vilgrain ne viendra pas à Madagascar apporter un milliard et moi, n'apportant qu'un franc, j'estimerai partager le bénéfice avec lui. Ce n'est pas possible. Chacun doit trouver des intérêts dans un partenariat juste.
M. Castelnau a parlé de la concurrence d'autres pays. Ce serait vraiment dommage. Bien entendu l'économie de marché exige une concurrence, c'est la règle du jeu, elle est normale. Mais il est dommage que des pays comme la France ou les pays africains francophones - je m'excuse de parler en leur nom - ou Madagascar ne soient pas les partenaires idéaux pour leur développement.
Pourquoi ? Parce que les pays africains et malgaches, et la France ont une culture commune. Ils parlent la même langue, et à partir du moment où ils ont une culture commune, ils ont également une communauté de pensée. Ils se comprennent plus facilement, la preuve, nous nous sommes compris très bien aujourd'hui. Si d'autres parlaient anglais, il y aurait peut-être eu du charabia.
Ce serait vraiment dommage que la France ne soit pas le partenaire idéal des pays en voie de développement africains et malgaches de langue française.
La France devrait, comme les pays anciennement colonisés, garder dans le tiroir de l'histoire le mot de colonialisme, de colonisation. Il faut non pas oublier l'histoire, elle demeure, mais la ranger dans le tiroir. Il faut regarder l'avenir avec beaucoup d'objectivité, de manière à ce que nous soyons ensemble aussi longtemps que possible et que chacun trouve ses intérêts, que les pays anciennement colonisés se développent, et la France y retrouvera sa grandeur.
Elle doit être à la hauteur de ce développement et les pays africains la considéreront comme leur force. Merci. (applaudissements)
M. Jean-Louis VILGRAIN. - Je reviens sur la notion de partenariat. Il y a eu des délocalisations. Le partenariat est fondamentalement le cadre de la mondialisation. Il n'y a pas de mondialisation s'il n'y a pas de partenariat. Moi-même qui ai investi dans le monde entier, je peux dire qu'on a besoin d'un partenaire pour les ressources financières, humaines, technologiques.
C'est là où se structure le partenariat, et sa géographie n'est pas forcément la même. Elle peut être contractuelle avec une licence, par exemple, dans un partage de ressources financières ou humaines.
Le partenariat est fondamental dans le processus de mondialisation de l'économie. L'Afrique, qu'elle le veuille ou non, est concernée, comme nous le sommes nous-mêmes en Europe.
(applaudissements)
M. Jacques LEGENDRE. - Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, trois quarts d'heure après la fin du colloque nous sommes encore ensemble. Cela montre que nous avions bien des choses à nous dire et à examiner.
Quand j'ai parlé de ce projet au nom des Groupes d'Amitié au Président Monory, il a tout de suite dit oui.
J'ai reçu une lettre de lui peu de jours après qui m'a touché. Il disait "j'apporte à cette idée de colloque un soutien enthousiaste." Je crois que ce mot dépasse le caractère administratif. Je ne savais pas qu'il allait à plusieurs reprises être prononcé aujourd'hui, même si on y adjoignait l'adjectif critique.
Il définira en tout cas une attitude à adopter quand on parle de l'Afrique, j'appellerai cela la « maxime d'Amoussou ».
Mes collègues des Groupes d'Amitié et moi-même nous vous disons que cette journée, que nous avons vécue ensemble et qui a permis d'entendre des acteurs, des intervenants aux plus hauts niveaux public et privé du développement africain, reste dans les mémoires comme le symbole d'une double volonté, volonté française de faire en sorte que l'Afrique reste au coeur des préoccupations en France et dans l'Union européenne ; volonté française également de combattre ce pessimisme à l'égard de l'Afrique que l'on entend distiller ici et là.
Oui l'Afrique a des problèmes graves, mais après tout l'Europe aussi, la France aussi. Je ne m'étends pas sur les événements parfois très douloureux que nous vivons actuellement et qui montrent aussi la profondeur d'un certain nombre de difficultés.
Nous l'avons vu tout au long de cette journée, l'Afrique francophone a des cartes, il faut qu'elle les joue pour devenir à son tour un pôle en émergence. Ce qui a été dit montre que vous en avez la possibilité, et je le sais aussi en vous écoutant, la volonté. Simplement il faut faire les bons choix et procéder de la bonne manière.
C'est d'abord votre affaire et aussi une question de concertation.
Ce message fort, je souhaite qu'il passe. Il faut bien réfléchir d'ailleurs à ce qui vient de se passer, pas seulement aujourd'hui, mais depuis trois jours.
J'ai entendu certaines interrogations sur la volonté politique française dans ce domaine. J'observe que lundi, le Président de l'Assemblée nationale française, M. Philippe Seguin, invitait l'ensemble des Présidents des Parlements francophones, ses collègues, pour une journée de réflexion sur ce que nous avons en commun, sur nos intérêts communs.
J'observe que ce même soir, le Président de la République française lui-même, M. Jacques Chirac, nous recevait tous à l'Elysée, et disait également combien les problèmes de l'Afrique en particulier et de la francophonie en général lui tenaient à coeur, exprimant sa volonté.
Aujourd'hui nous nous retrouvons au Sénat pour aller dans le détail des problèmes économiques, alors que le développement, la solidarité dans le développement, c'est bien ce qui doit nous réunir, et d'une manière concrète, au-delà des mots, des paroles, des souvenirs historiques que nous pouvons partager.
Voilà ce qui s'est passé pendant ces trois jours. Nous n'oublierons pas, Messieurs les Présidents, votre demande d'autres colloques de cette nature, afin de saisir l'occasion de pouvoir traiter et faire passer l'information, et avoir un véritable dialogue.
Même si nous avons dû accélérer un peu, et c'était dommage à leur égard, le débat sur les actions de coopération décentralisée, avant même que nous ayons cette expérience, le Sénat avait déjà médité l'organisation courant 1996 d'un grand colloque consacré à la coopération décentralisée.
Car le Sénat français c'est aussi le Grand Conseil des communes de France, des collectivités territoriales, et c'est bien à partir d'elles qu'il est possible de réaliser dans vos pays, avec vous, en partenariat des opérations de développement, modestes sans doute, mais ayant des effets très réels et utiles là où elles se produisent.
Certains des témoignages, nous aurions aimé les entendre plus longtemps parce qu'ils sont passionnants.
Nous consacrerons un colloque complet à cette coopération décentralisée.
J'ai bien entendu aussi ce qui a été dit sur les problèmes de l'éducation et de la formation. Je ne suis pas mandaté pour le dire, je lance une suggestion. Il serait bien un jour que nous puissions discuter ensemble de ces problèmes de l'éducation et de la formation, puisqu'ils sont, tout le monde le sait, un élément fondamental du développement de l'Afrique, comme ils le sont dans les sociétés européennes.
Parlons-en, évaluons nos expériences. Personnellement je souhaite qu'un jour nous puissions dans ce domaine également discuter et confronter.
Je crois savoir d'ailleurs que le Président Seguin a bien l'intention de provoquer à nouveau des réunions des Présidents des Parlements, vous aurez à en débattre ensemble. Tout cela va créer une série de possibilités.
Enfin, je ne doute pas que l'appel du pied lancé à des partenaires économiques pour se rencontrer et être informés ne soit entendu et relevé.
Alors, Mesdames, Messieurs, la journée a été longue, je crois qu'elle en valait la peine et que ce soir nous sommes tous heureux d'y avoir participé.
Pour relever les forces peut-être un petit peu défaillantes, je vous indique que vous pourrez passer par le salon René Coty où un rafraîchissement est prévu.
J'espère que dans vos pays que vous allez rejoindre vous garderez le souvenir de cette journée comme une journée particulièrement utile de travail partagé.
(applaudissements)
(La séance est levée à 19 h 25.)
ANNEXES |
LISTE DES DÉLÉGATIONS PARLEMENTAIRES AFRICAINES AYANT PARTICIPE AU COLLOQUE
BENIN |
M. Bruno AMOUSSOU, Président de l'Assemblée nationale |
M. Hugues ZONNAHOUE |
BURKINA FASO |
Dr Bongnessan Arsène YE, Président de l'Assemblée nationale |
M. KABOUI Colonel COMPAORE M. SAWADOGO M. VOKOUMA |
BURUNDI |
M. Léonce Ngendakumana, Président de l'Assemblée nationale |
M. Abd'Allah Tabu |
CAMEROUN |
M. KENGNE NGUIFFO, Vice-Président de l'Assemblée nationale |
M. NOUMGA |
CENTRAFRIQUE |
Hugues DOBOZENDI, Président de l'Assemblée nationale |
M. Sobangue LEVY |
COMORES |
M. MCHANGAMA Mohamed Saïd Abdalah, Président de l'Assemblée nationale |
M. ABOUBAKAR ABDU M'SA |
CONGO |
M. André MILONGO, Président de l'Assemblée nationale M. Augustin POIGNET, Président du Sénat |
M. ITOUA M. G. BILONBO |
COTE D'IVOIRE |
M. Gilbert BLEU-LAINE, Vice-Président de l'Assemblée nationale |
|
DJIBOUTI |
M. Said Ibrahim BADOUL, Président de l'Assemblée nationale |
M. Omar Abdillahi Rabeh |
GABON |
M. Marcel Eloi CHAMBRIER-RAHANDI, Président de l'Assemblée nationale |
Mme. Lucette OYOUBI |
GUINEE Bissau |
M. Carlos GOMES |
|
GUINEE Conakry |
M. EL HADJ BIRO DIALLO, Président de l'Assemblée nationale |
M. Amadou DIALLO |
MADAGASCAR |
M. Richard ANDRJAMANJATO, Président de l'Assemblée nationale |
M. Ny Aina ANDRIAMANJATO |
MALI |
M. Ali Nouhoum DIALLO, Président de l'Assemblée nationale |
M. Birama DIAKITE |
MAURITANIE |
M. Shail Sid'Ahmed Ould BABA, Président de l'Assemblée nationale M. Dieng Boubou FARBA, Président du Sénat |
M. Mohandy Oul Sabary M. Eouah Ould LOULEID |
NIGER |
M. Moumouni YACOUBA, député |
M. Boubacar TIÉMOGO |
RWANDA |
M. NKUSI Juvénal, Président de l'Assemblée nationale de Transition) |
M. RUTAREMARA Tito |
SENEGAL |
M. Cheikh Abdoul Khadre CISSOKHO, Président de l'Assemblée nationale M. Christian VALENTIN, Premier Vice-Président de l'Assemblée nationale |
M. Assane FALL M. Alioune DIOPNDOYE M. Hamet DIOP |
TCHAD |
M. Abbas ALI, Président du Conseil Supérieur de Transition |
M. Ganda Djeme DJAHA |
TOGO |
M. Dahuku PÉRÉ, Président de l'Assemblée nationale |
M. Yamovi GBONE |
ZAIRE |
M. ANZULINI BIEMBE |
M. IYELEZA MBEY MONSEJU |
SÉNAT République du Congo
Unité * Travail * Progrès
CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS DES ASSEMBLÉES PARLEMENTAIRES AYANT LE FRANÇAIS EN PARTAGE (PARIS, 16 ET 17 OCTOBRE 1995) |
Communication de Monsieur Augustin POIGNET, Président du
Sénat du Congo
sur la situation économique actuelle du Congo.
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs ;
Je voudrais vous dire combien je suis sensible à l'invitation du Président MONORY, de participer à cet important colloque. Le fait qu'il soit organisé en France sur la situation économique de l'Afrique francophone, témoigne de l'intérêt que vous portez à l'avenir de nos jeunes États.
Cette invitation porte aussi la marque de l'amitié que se manifestent réciproquement la France et ces pays auxquels elle est liée par l'histoire, la culture et la langue. Soyez-en remercié.
L'Afrique d'aujourd'hui connaît une profonde mutation politique. Il s'agit moins d'une transformation subite que d'un processus qui la conduit à rompre progressivement avec les systèmes autocratiques du passé.
Pour être mieux compris, ces changements doivent être analysés pays par pays à la lumière et sur la base des expériences qui s'y déroulent.
Vous comprendrez donc pourquoi mon exposé sera consacré au cas du Congo, pays qui sort à peine de 27 ans de régime monopartiste dont 21 ans de marxisme léninisme.
Le bilan établi par la Conférence nationale de 1991 tient en un seul mot : Le Congo était totalement sinistré !
Nous ne nous lancerons pas ici dans la voie des explications. Le fait seul compte.
Aux mauvaises orientations économiques enregistrées depuis plusieurs décennies, se sont ajoutées :
- l'aggravation du fardeau de la dette et des déséquilibres budgétaires ;
- la faiblesse des investissements en particulier dans le secteur agricole ;
- la dégradation des services sociaux.
Cette gestion chaotique de l'économie a placé l'État dans l'incapacité d'honorer ses engagements et dans une situation de dépendance accrue.
Il fallait par conséquent, oser changer de système par conviction politique d'abord et à la faveur du vent démocratique qui soufflait à travers le monde. C'est chose faite à présent.
Néanmoins, la modification des rapports de force sur le plan international a fait apparaître, à son tour, des phénomènes qui représentent à nos yeux, autant de contraintes pour une coopération internationale dynamique.
Il s'agit notamment :
- d'une poussée protectionniste dans certains pays industrialisés ;
- de la tendance à la diminution de l'aide publique au développement ;
- de la poursuite de l'effondrement des cours des matières premières ;
- enfin de la dévaluation du franc cfa.
Ces nouvelles contraintes ont conduit le Gouvernement Congolais à mettre en oeuvre un plan d'action et de relance économique et sociale qui parait aujourd'hui la seule possibilité de garantir une reprise économique durable.
Ce programme formulé dans le cadre d'une stratégie à moyen terme, vise à établir les conditions d'une croissance économique soutenue à travers :
- une amélioration de la compétitivité de l'économie ;
- l'amélioration des recettes ;
- l'austérité budgétaire ;
- la rationalisation des dépenses ;
- et des réformes structurelles.
En un mot, il vise la restauration de la crédibilité financière de l'État et la promotion de l'expansion économique.
Le PARESO qui a été la base du programme d'Ajustement Structurel signé avec le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, marque une période de transition en raison de la poursuite de certains projets en cours d'exécution.
Il représente en même temps une rupture par l'amorce de quelques projets d'investissement qui concourent au développement du réseau routier et à l'amélioration des conditions de vie en milieu urbain et rural.
Son budget d'investissement n'intègre pas toutes les priorités. Il était estimé en recettes et en dépenses à 64 milliards 380 millions cfa en 1995 contre 82 milliards 328 millions en 1994, soit une baisse de 21,80 %.
L'action globale de redressement sera tellement profonde et élargie que nous en appelons au soutien et à la contribution de nos partenaires extérieurs et des institutions financières internationales.
A cet égard, nous avons accueilli avec intérêt la récente proposition du Président de la République française d'étudier les moyens de convertir en investissement une partie de la dette congolaise vis à vis de la France.
Dans cet ordre d'idées, nous souhaitons obtenir auprès des bailleurs de fonds, et ceci pour des raisons qui tiennent au passé politique particulier du Congo, des conditions au moins aussi avantageuses que celles accordées à certains pays de l'Europe de l'Est.
D'ores et déjà le Congo s'est engagé dans la voie de l'effort au prix d'un coût social énorme. Du reste la communauté internationale ne comprendrait pas une quelconque attitude de laxisme de notre part au moment où nous sollicitons plus de compréhension de sa part.
Voilà pourquoi le Gouvernement a pris des mesures à la fois difficiles et courageuses en vue de la maîtrise de la masse salariale et du rééquilibrage des finances publiques.
C'est ainsi que sur 77 000 agents de l'État, 13 000 d'entre eux recrutés dans des conditions douteuses, ont été radiés à la suite du nettoyage du fichier de la fonction publique.
En outre, un abattement de l'ordre de 15 % du revenu brut et de 30 % des indemnités de fonction, a été opéré chez les fonctionnaires, à l'exception de ceux de certains services sociaux, et ce, en fonction des catégories indiciaires.
En contrepartie un aménagement du temps de service porte à 35 heures au lieu de 40 heures, le volume hebdomadaire du travail, ce qui correspond à une réduction de 12,5 % du salaire.
Pour une meilleure répartition du poids des mesures d'ajustement, ces dispositions concernent également l'ensemble des acteurs politiques du pays dont, par contre, le volume du travail n'a pas varié.
Ces mesures drastiques visent à ramener la masse salariale à environ 100 milliards de frs cfa suivant les recommandations du FMI au lieu de 120 milliards.
Cette oeuvre de restructuration de l'économie prévoit aussi la privatisation de certaines entreprises pour alléger les charges de l'État. L'opération concerne notamment les six (6) entreprises que sont:
- la société nationale de recherches et d'exploitation pétrolière (Hydro-Congo) ;
- la société nationale d'électricité (SNE) ;
- la société nationale de distribution d'eau (SNDE) ;
- la Congolaise de raffinage (CORAF) ;
- l'Office nationale des postes et télécommunications (ONPT).
Il en va de même du secteur bancaire dont le comité de restructuration bénéficie de l'aide d'une mission de la Banque mondiale pour l'élaboration d'un plan de réhabilitation.
Il importe de souligner que ces mesures de restructuration (secteur financier et privatisation) ont fait l'objet de lois votées par le Parlement.
L'Assemblée nationale et le Sénat ont, d'autre part, voté une série de lois en vue d'une gestion rationnelle du patrimoine pétrolier.
Ainsi, le Gouvernement peut notamment négocier avec les sociétés pétrolières la transformation du régime juridique et fiscal applicable aux titres miniers soumis à un régime de concession en un régime de partage de production. Avec ces contrats, le partage de la rente est appelé à connaître une évolution plus favorable à l'État.
Par contre, en cas de mévente du produit sur le marché international, le Congo gardera sa part de pétrole à l'abri des aléas conjoncturels du brut.
D'autre part le Parlement appuie les initiatives du Gouvernement dans le sens d'une adaptation de notre législation au libéralisme économique et social consacré par la Constitution du 15 mars 1992.
C'est ainsi que le Sénat congolais étudie présentement un projet de loi qui se propose de :
- réglementer le multisyndicalisme et l'exercice du droit de grève ;
- de réhabiliter les pouvoirs disciplinaires et de gestion de l'employeur ;
- d'assurer une meilleure protection des droits des travailleurs contre les risques professionnels, etc...
Enfin, conformément à l'article 1 er de la Constitution qui stipule que la République du Congo est un État décentralisé, la mise en oeuvre des organes de la décentralisation a commencé sur toute l'étendue du territoire.
Outre que cette réforme associe les collectivités locales à la gestion de leurs propres affaires, elle est perçue surtout comme un moyen de faire de ces organes de véritables acteurs d'un développement endogène durable.
Ces réformes font l'objet d'une appréciation attentive de la part du Fonds monétaire international.
En effet, après que l'État congolais ait signé une lettre d'intention auprès du F.M.I. en mars 1995 à l'issue de la troisième revue du Programme d'ajustement structurel, la possibilité de nouveaux tirages du fonds est actuellement à l'étude.
Pour sa part, le F.M.I. a décidé d'installer un de ses fonctionnaires comme Permanent à Brazzaville pour suivre de près l'évolution de la situation financière du pays.
Par ailleurs, la mise en place des autres institutions prévues par la Constitution interviendra sous peu :
- la Haute Cour de justice ;
- le Pouvoir judiciaire ;
- le Conseil constitutionnel ;
- le Conseil économique et social ;
- le Conseil supérieur de l'information et de la Communication.
On peut donc affirmer que depuis 1992, nombre d'activités ont été positivement menées pour la transformation structurelle de notre environnement économique et politique et ce en dépit des troubles socio-politiques qui ont secoué le pays de 1992 à 1993.
Toutefois les effets conjugués de l'ensemble de ces mesures (dévaluation, privatisation, nettoyage du fichier de la fonction publique) sont douloureusement ressentis par la majorité de la population.
En effet si, à terme la dévaluation a pour objectif de restaurer la compétitivité de l'économie congolaise, elle a, par contre et immédiatement contribué à l'aggravation des conditions sociales à travers le renchérissement du coût de la vie.
C'est ainsi que l'indice des prix à la consommation des ménages de types africain a progressé de 42,4 % en 1994 contre 4,9 % pour l'ensemble de l'année 1993.
Avec le changement de parité et les mesures prises en vue d'accroître les recettes de l'État, les prix des produits d'importation, quelle que soit leur origine, ont simplement doublé ; ce qui pose le problème du respect de la parité du franc cfa par rapport aux autres monnaies étrangères.
Sur le plan social, la situation des agents radiés de la fonction publique qui ne vivaient que de leur seul salaire est aussi préoccupante. A l'instar de ceux du secteur bancaire dont les unités sont en liquidation avant la restructuration, ils demeurent dans l'attente des mesures d'accompagnement. L'enveloppe permettant de circonscrire la dépense, est en cours d'évaluation par le Gouvernement.
Certains d'entre eux trouveront dans la privatisation un espoir, ou une réparation de ce qu'ils considèrent comme injuste dans la mesure où un autre emploi est possible ou une indemnité raisonnable dans le cadre des plans sociaux d'accompagnement.
Enfin un effort doit être fait pour accroître les recettes de l'État hors pétrole par l'application intégrale de la réforme fiscalo-douanière.
Disons en conclusion qu'avec le rétablissement des relations avec les institutions financières internationales dans le cadre du Programme intermédiaire d'investissement, nous souhaitons obtenir en même temps que le rééchelonnement de notre dette auprès du Club de Paris et du Club de Londres, le bénéfice d'un traitement qui allègerait le service annuel par réduction ou annulation du service actualisé de la période.
Ceci n'exclut pas d'éventuels financements additionnels indispensables à la réalisation d'infrastructures pour d'une part, améliorer la circulation nationale et régionale, et d'autre part absorber les demandes d'emplois dans un pays où le secteur public doit être ramené à un niveau raisonnable.
Devant tant de sacrifices consentis par notre peuple, nous souhaitons bénéficier maintenant de l'ensemble des mesures d'accompagnement que le Congo est en droit d'attendre de ses partenaires de manière à valoriser la dimension humaine dans ces réformes.
Ce recours à des financements extérieurs devrait être limité pour réduire l'endettement pour les années à venir.
En effet le Congo peut s'attendre à partir de 1996, à une hausse sensible de sa production pétrolière et des recettes supplémentaires provenant de ce secteur.
Enfin, l'amélioration des performances des autres branches comme la sylviculture, 1'agriculture, la pêche, 1'industrie manufacturière peuvent ouvrir d'ici peu, des perspectives de retour à la croissance en termes réels.
Telles sont, brièvement résumés, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, les problèmes et les perspectives d'avenir de l'économie du Congo.
Vous trouverez en annexe, une fiche technique complémentaire sur l'économie des pays d'Afrique Subsaharienne et du Congo en particulier.
Je vous remercie !
A. POIGNET, Président du Sénat Congolais
FICHE TECHNIQUE SUR L'ÉCONOMIE DES PAYS D'AFRIQUE SUBSAHARIENNE ET DU CONGO EN PARTICULIER.
Trente ans après les indépendances, le continent africain reste en proie à des crises structurelles, malgré des progrès incontestables observés dans plusieurs pays.
En effet, la majorité des pays africains figurent toujours parmi les plus pauvres du monde et le nombre de victimes de la pauvreté n'y fait que croître, contrairement aux autres régions. Cette pauvreté, chronique, qui porte aussi bien sur les revenus que sur l'accès aux soins de santé, à l'éducation, à l'eau potable et aux réseaux d'assainissement, est la conséquence de mauvaises orientations macroéconomiques, des disfonctionnements de l'économie mondiale et de l'échec de certaines réformes engagées.
Quelques chiffres nous interpellent tous sur la gravité de cette situation, en nous référant aux cas particuliers de l'Afrique Subsaharienne et du Congo.
- La production alimentaire par habitant de l'Afrique Subsaharienne a baissé de 15 % au début des années 1990 par rapport aux années 1970.
- La croissance industrielle en valeur réelle est passée de 6,5 % au cours de la période 1965-1973 à -0,2 % en 1992.
- La croissance réelle agricole au cours de la même période a diminué de 2,4 % à -2,8 %, l'investissement brut de 19,6 % à 16 %, le PIB réel de 4,6 % à -0,1 % de PNB réel par habitant de 0,1 % à -0,6 %.
- Les termes de l'échange se sont fortement dégradés, passant de 111,6 au milieu des années 1970 à 90,7 en 1993, la croissance réelle des exportations, faible et celle des importations en légère baisse.
- Le poids de l'endettement devient de plus en plus écrasant et pour beaucoup de pays de la zone, si des solutions politiques courageuses ne viennent pas compléter les solutions économiques déjà envisagées, c'est tout leur avenir qui est largement hypothéqué pendant plusieurs décennies.
Dans le même temps, les investissements directs étrangers ont diminué de 61 % et les apports d'aide concessionnelle de 17 % entre 1991 et 1993.
La situation particulière du Congo est encore plus péoccupante, avec par exemple une croissance négative du PNB réel par habitant (-1,2 % entre 1988 et 1993).
L'indicateur des termes de l'échange s'est réduit à 44,9 en 1993, alors qu'il était de l'ordre de 125,8 au début des années 1980.
Les importations d'aliments de base sont en progression : 4 millions de dollars en 1973, 21,5 millions en 1973 et 31,1 millions en 1992, alors que la croissance agricole était de -10,7 % en 1993 et celle du PIB réel de -2,1 % en 1993, contre 1,5 % en moyenne entre 1988 et 1993.
Le Congo reste par ailleurs parmi les pays les plus endettés du monde, par tête d'habitant, avec 2200 dollars de dette per capita, une valeur actuelle nette de cette dette représentant 392 % des exportations et 215 % du produit national brut.
Cette situation morose dans l'ensemble a justifié la dévaluation du Franc CFA en janvier 1994, ajustement nominal considéré comme une condition et une opportunité de relance économique des pays africains de la zone franc.
Mais deux ans après cette mesure, les résultats restent contrastés suivant les pays, comme le demeure d'ailleurs le continent africain. Dans certains pays, tels la Côte d'Ivoire et le Burkina Faso, la dévaluation a entraîné une réponse positive du côté de l'offre et même une reprise de la croissance du PIB.
Les réserves de changes des banques centrales de la zone CFA se sont sensiblement accrues, du fait à la fois de l'amélioration des performances commerciales consécutive à l'augmentation du volume et du prix des exportations, d'une réduction des dépenses relatives aux importations et du rapatriement d'une certaine partie des capitaux enfuis.
Dans d'autres pays par contre, tel le Congo, les résultats espérés ne sont pas encore atteints. On a assisté plutôt à une baisse des recettes d'exportation de l'État, malgré la stabilité de la part des exportations dans le PIB. Ce dernier a baissé en termes réels de 4,9 % entre 1993 et 1994, même si sa valeur nominale a augmenté de 17,3 %.
La consommation globale réelle a également diminué, tout comme les investissements et l'épargne privée placée dans les banques.
Le taux d'inflation est passé de 4,9 % en 1993 à 42,4 % en 1994 pour la consommation de type africain et de 1,6 % à 57,2 % pour celle du type européen. C'est plutôt un résultat assez bon par rapport aux prévisions initiales après la dévaluation.
Pour surmonter ces obstacles, il nous faut désormais nous résoudre à engager des transformations structurelles courageuses et profondes, mais qui tiennent à la fois compte des particularités de chaque pays et de la dimension humaine des réformes à mettre en oeuvre, pour que celles-ci aient plus de chance de réussir.
La plupart des pays de l'Afrique subsaharienne se sont déjà impliqués dans cette voie, en instaurant un environnement politique, juridique et économique propice à ces réformes : ils sont dans une phase transitoire avec une plus grande ouverture politique, une prise en main de la gestion des conflits et la mise en oeuvre des programmes d'ajustement structurel, qui ne sont pas toujours bien perçus par les partenaires sociaux, en raison de la grande austérité qu'ils imposent.
Mais le poids excessif de la dette extérieure des pays africains et les pesanteurs de stratégies qui sont dans certains cas déterminées de l'extérieur, peuvent faire échouer les réformes en cours et aggraver la pauvreté dans nos pays.
Le traitement de cette dette devra donc mériter une réflexion plus approfondie au cours de nos discussions, quoique des mesures importantes viennent d'être prises par certains pays occidentaux, parmi lesquels la France se trouve en bonne place.
Il aurait été souhaitable qu'à la suite de la dévaluation, une mesure politique de non ajustement nominal automatique du montant de la dette fût prise pour éviter son alourdissement démesuré.
Dans le cadre du nouvel environnement créé ou envisagé dans l'immédiat, des efforts devront porter sur :
- l'intégration régionale,
- les réformes sectorielles et financières,
- la décentralisation,
- la formation et l'assistance technique.
La formation de blocs commerciaux régionaux est une des tendances dominantes de l'économie mondiale.
L'Afrique devra s'impliquer dans cette voie plus conséquemment, avec autant de vigueur et de détermination que le reste du monde. La multiplicité des institutions régionales en place, sans efficacité réelle et en proie à des difficultés financières, devraient faire place à des organisations plus performantes.
Les réformes sectorielles, visant une plus grande efficacité de la fonction publique et une restructuration profonde des entreprises publiques, doivent être un aiguillon de nos actions, tout comme l'assainissement des finances publiques.
La décentralisation, un des leviers de la politique congolaise, devra être aussi de mise, pour promouvoir une action locale appropriée et réduire progressivement les inégalités croissantes entre le monde urbain et le monde rural.
Mais la portée de toutes ces réformes dépendra de la qualité de l'expertise chargée de les mettre en oeuvre. Il faudrait alors redéfinir certains domaines de formation et d'assistance technique, en tenant compte du fait qu'il appartient avant tout aux africains de faire l'Afrique de demain.
Nous pouvons donc dire que malgré une situation économique et financière difficile, des signes de progrès, tant politique qu'économique, sont visibles dans plusieurs pays et d'autres viennent de s'engager dans des réformes. Mais la réussite de celles-ci dépendra aussi bien de la volonté politique des acteurs nationaux et internationaux, que du traitement de la dette, de la portée des concessus sociaux, de la formation et de l'assistance technique. Dans tous les cas, le développement humain doit être la priorité des priorités-