La Croatie : un redressement encourageant après la guerre
Compte rendu de la mission en Croatie d'une délégation du groupe interparlementaire France-Croatie, du 18 au 22 septembre 2002
Table des matières
- COMPOSITION DE LA DÉLÉGATION
- PROGRAMME DE LA MISSION
-
INTRODUCTION
- I. BRÈVE PRÉSENTATION DU PAYS : DES SLAVES SUR LES RIVES DE L'ADRIATIQUE
- II. LA SITUATION POLITIQUE
- III. LA SITUATION ÉCONOMIQUE
-
IV. L'INTÉGRATION EURO-ATLANTIQUE
-
1. La question des minorités
- a) Avant la reconnaissance de l'indépendance croate
- b) La Croatie indépendante mais partiellement occupée
- c) Après la reconquête de 1995
- d) Le tournant politique de 2000
- e) 2002 : une nouvelle Loi constitutionnelle sur les droits des minorités
- f) La loi électorale
- g) Les minorités et la question des réfugiés
- 2. Les relations de la Croatie avec le Tribunal pénal international de La Haye
- 3. L'entrée dans l'OTAN
- 4. L'adhésion à l'Union européenne
-
1. La question des minorités
- V. LES RELATIONS BILATÉRALES ENTRE LA FRANCE ET LA CROATIE
- VI. LE COMPTE RENDU DE LA MISSION
- VII. ADOPTION DU RAPPORT DE LA MISSION PAR LE GROUPE INTERPARLEMENTAIRE
COMPOSITION DE LA DÉLÉGATION
Président de la Délégation
:
M.
Alain GERARD
Sénateur du Finistère
Président du groupe interparlementaire France-
Croatie du Sénat
Membre de la Délégation
:
M. Christian GAUDIN
Sénateur de Maine et Loire Membre du
groupe France Croatie
Secrétariat de la Délégation
:
M. Fabrice
HUGOT
Administrateur principal au service des
Collectivités territoriales
PROGRAMME DE LA MISSION
Mercredi 18 septembre |
|
|
|
14 h
05
|
Accueil par
Monsieur l'Ambassadeur de France, S.E.M. Francis Bellanger
|
Installation à l'hôtel Esplanade |
|
Mihanoviceva 1 |
|
|
|
15 h
45
|
|
|
|
16 h
00
|
|
|
|
18 h
00
|
|
|
|
20 h
30
|
En
présence du Premier secrétaire et de l'Attaché pour le
français,
|
|
|
|
|
Jeudi 19 septembre |
|
|
|
9 h
15
|
Avec le Premier Conseiller |
|
|
Entretien
avec M. Zlatko Tomcic, président du Sabor
|
En présence de Monsieur l'Ambassadeur et du Premier Conseiller |
Promenade dans Gornji Grad |
|
|
|
10 h 45 Sous la Présidence de M. Tomacs, réunion avec les membres de la commission des Affaires étrangères, la coopération interparlementaire et avec les membres du groupe interparlementaire |
En présence de Monsieurl'Ambassadeur et du Premier Ministre |
|
|
12 h 00 - 14 h 00 |
|
Déjeuner offert par M. Ivo Skrabalo, président de la commission pour la coopération interparlementaire et président du groupe interparlementaire Croatie-France au restaurant du Sabor |
En présence de Monsieur l'Ambassadeur et du Premier Conseiller |
|
|
14 h 00
- 14 h 30
|
En
compagnie du Conseiller de coopération et d'action culturelle,
|
|
|
14 h 30
- 15 h 30
|
En présence du Conseiller de coopération et d'action culturelle, du directeur du musée, M. Luksic et du Premier secrétaire |
15 h 30 - 17 h 00 Visite de la société LURA (importante société de produits laitiers) |
En présence du Chef de la mission économique, Mme Pasquier et du Premier Secrétaire |
|
|
17 h 00 Retour à l'hôtel |
|
|
|
17 h
40
|
En
compagnie de
|
|
|
18 h 00 - 18 h 30 Rencontre avec S. Exc. M. Stjepan MESIC, Président de la République |
En présence de Monsieur l'Ambassadeur et de M.Latapie, Premier secrétaire |
|
|
20 h 00 Dîner à la Résidence à l'invitation de l'Ambassadeur de France |
S. Exc. M.
Bozidar Gagro,
|
|
|
Vendredi 20 septembre |
|
|
|
8 h
00
|
En compagnie du Premier Conseiller et du Premier Secrétaire |
|
|
11 h
30
|
|
|
|
12 h 00 Rencontre avec le Maire, M. Zlatko KRAMARIC, en présence du Joupan de Osijek-Baranja, M. Ladislav BOGNAR |
En présence du Premier Conseiller et du Premier Secrétaire |
|
|
13 h 00
- 14 h 30
|
En présence du Premier Conseiller et du Premier Secrétaire |
|
|
14 h
30
|
|
|
|
15 h
00
|
|
|
|
15 h 00
- 16 h 00
|
En présence du Premier Conseiller et du Premier Secrétaire |
|
|
16 h 00
- 17 h 00
|
En présence du Premier Conseiller et du Premier Secrétaire |
|
|
17 h
00
|
|
|
|
Vers 21
h 00
|
|
|
|
Samedi 21 septembre |
|
|
|
5 h
00
|
En compagnie de l'Attaché pour le français, M. Eric Playout |
6 h
00
|
|
|
|
7 h
00
|
|
Transfert pour l'hôtel Croatia à Cavtat et installation |
|
|
|
9 h
30
|
|
|
|
10 h
00
|
En présence de l'Attaché pour le français, M. Eric Playout |
|
|
11 h
00
|
En présence de l'Attaché pour le français, M. Eric Playout |
|
|
12 h
30
|
En présence de l'Attaché pour le français, M. Eric Playout |
|
|
14 h
00
|
En présence de l'Attaché pour le français, M. Eric Playout |
|
|
16 h
00
|
En présence de l'Attaché pour le français, M. Eric Playout |
|
|
17 h
45
|
En
présence de l'Attaché pour le français, M. Eric
Playout
|
|
|
Dîner libre |
|
|
|
Dimanche 22 septembre |
|
|
|
Matinée et déjeuner libres |
|
|
|
14 h
00
|
|
15 h
40
|
|
INTRODUCTION
Les
Français, si bien rompus à l'art de la diplomatie et à
celui de la rédaction des traités, ont si souvent
participé, depuis l'épopée napoléonienne, à
la modification des frontières intérieures de l'Europe qu'ils en
oublient parfois jusqu'au nom des nations les plus anciennes qui la composent.
Quand, au gré d'un changement de régime, d'une guerre ou de
l'éclatement d'une fédération, ces nations ressurgissent
du fond de l'Histoire et redeviennent des Etats, les Français
s'étonnent de si peu les connaître et commettent l'erreur de les
traiter comme de nouveaux venus. C'est malheureusement le cas pour la Croatie
et le premier handicap qu'éprouve aujourd'hui la France face à ce
pays est l'ignorance dans laquelle nous sommes, nous autres Français,
face à nos amis Croates que l'Histoire nous a rendus. D'où
l'urgence de renouer la chaîne du temps. D'où aussi l'importance
du rôle qui échoit à notre groupe France Croatie,
créé en 2002.
Lors de sa mission en Croatie en septembre dernier, votre
délégation a pris conscience avec acuité de la forte
identité de la nation et de l'Etat croates et a mesuré le poids
de l'Histoire dans ce pays. En effet, les Croates nous sont apparus comme un
peuple meurtri par l'Histoire. Certes, l'histoire récente a
laissé des cicatrices partout visibles, mais les meurtrissures qui ont
formé l'esprit de cette nation et la perception qu'elle a
d'elle-même sont plus anciennes et n'ont été que
ravivées par la dernière guerre. Les Croates se savent
tiraillés depuis toujours entre l'Orient et l'Occident, destin
inconfortable s'il en est, mais que les Croates accepteraient plus
légèrement s'ils n'éprouvaient au fond d'eux-mêmes
le sentiment douloureux d'avoir toujours défendu l'Occident contre
l'Orient sans jamais en être récompensés.
Ce sentiment douloureux s'exacerbe aujourd'hui devant le spectacle affligeant
laissé par la dernière guerre, champs minés, villages
détruits, Dubrovnik abîmée, devant les exigences du
Tribunal international de La Haye si dures à supporter pour l'orgueil
national et enfin devant l'extrême prudence de l'Union européenne.
Dans cette atmosphère d'après-guerre, on ne peut en vouloir
à nos amis Croates, avides de reconnaissance et désireux de
comprendre, de garder à la mémoire aussi bien l'attitude de Louis
XIV, abandonnant aux représailles autrichiennes la noblesse croate
rebellée contre Vienne, que l'insuffisance du soutien de la France au
moment de l'indépendance de la Croatie. Seul le temps pourra, en faisant
son oeuvre, estomper ces traces à la condition que notre pays manifeste
un engagement plus sensible à l'égard de la Croatie et parte
à la rencontre de ce pays qui jouit d'une remarquable situation
géographique, d'une population homogène, d'une agriculture
diversifiée, d'un excellent réseau de petites et moyennes
entreprises, d'un bon système éducatif et d'un potentiel
touristique très enviable.
Fort de ces immenses atouts, la Croatie peut envisager sereinement
l'intégration euro-atlantique. Mais avant d'aborder cette question
essentielle, le rapport de mission présentera dans un premier temps les
réalités politiques et humaines de la Croatie, son organisation
institutionnelle et sa situation politique et économique, telles
qu'elles sont apparues à votre délégation lors de sa
mission du 18 au 22 septembre 2002.
I. BRÈVE PRÉSENTATION DU PAYS : DES SLAVES SUR LES RIVES DE L'ADRIATIQUE
1. Aspect physique
La
Croatie est un pays à la fois slave et latin, danubien et
méditerranéen, car c'est un pays d'Europe centrale dont les
frontières s'étirent le long de la Slovénie, de la
Hongrie, de la Bosnie-Herzégovine, de la Voïvodine et du
Monténégro, et dont les côtes regardent l'Italie par-dessus
l'Adriatique.
Sur une carte, la Croatie apparaît comme un curieux fer à cheval
dont les deux extrémités enserrent la Bosnie-Herzégovine.
La branche méridionale, la plus longue et la plus étroite,
s'appuie sur la mer Adriatique entre les bouches de Kotor au
Monténégro et la frontière de la Slovénie à
Savudrija au nord de l'Istrie. La branche septentrionale, plus large, comprend
la plaine de la Drave au nord et la plaine de la Save jusqu'au Danube.
La République de la Croatie compte
4,4 millions d'habitants
et
s'étend sur 56.542 km
2
.
Le pays jouit
d'une côte dentelée de 1.778 km sur la rive adriatique qui
comprend 1.185 îles et que nous avons pu admirer d'avion pendant le
trajet entre Zagreb et Dubrovnik. Au nord, la plaine de la Slavonie fournit de
riches terres agricoles et concentre la majorité de la population.
Enfin, la barrière montagneuse et rurale des Alpes Dinariques
sépare ces deux premières entités. Si l'on regarde la
carte de plus près, on perçoit pourtant différentes
régions.
La
Slavonie
est une vaste plaine agricole qui part de la capitale
Zagreb. Cette plaine est limitée au nord par la Drave, au sud par la
Save et à l'est par le Danube.
La
Croatie
centrale
faite de plaines et de vallons est la
région entourant Zagreb.
La
Lika
et le
Gorski Kotar
rassemblent les zones montagneuses. Le
Gorski Kotar au nord est plus accidenté que la Lika formée de
hauts plateaux karstiques encaissés entre le Velebit à l'Ouest
qui plonge dans la mer et la Dinara à l'est qui forme la
frontière avec la Bosnie Herzégovine.
L'
Istrie
est une péninsule située à
l'extrémité occidentale de la Croatie qui s'ouvre sur le premier
port de la Croatie : Rijeka.
Enfin la
Dalmatie
longe l'Adriatique en passant par Split et Dubrovnik
jusqu'à l'entrée des Bouches de Kotor.
2. La Croatie après la guerre
La
Croatie a difficilement accédé à l'indépendance en
1991, mais elle a regagné aujourd'hui sa stabilité. Rive
méridionale de l'Europe centrale, la Croatie fut tout au long de son
histoire au carrefour des influences latine, vénitienne,
austro-hongroise et ottomane. Le pays a d'ailleurs hérité son
étrange forme de la double poussée hongroise et ottomane.
La Croatie d'aujourd'hui est l'héritière du royaume croate
médiéval tour à tour indépendant, associé
à la couronne hongroise puis intégré à l'empire
autrichien jusqu'à la première guerre mondiale. Au XX
e
siècle, la Croatie sera rattachée à la Yougoslavie
naissante et de 1918 à 1991, cette union prendra d'abord la forme d'un
royaume centralisé dirigé par un monarque serbe puis après
1945, la forme d'une fédération communiste de six
républiques, dirigée par le Maréchal Tito.
A partir de 1989, après la chute du mur de Berlin, les premières
élections libres ont entraîné la défaite du parti
communiste et un processus de démocratisation a pu être mis en
place. Réagissant à ce processus et soucieux de maintenir sa
domination sur la Croatie, le pouvoir fédéral de Belgrade s'est
engagé dans une action militaire contre la Croatie, laquelle
déclara son indépendance comme l'y autorisait la Constitution de
la fédération yougoslave. La Croatie fut reconnue par la
communauté internationale en 1992 mais, entre temps, la guerre avait
fait 15.000 morts, des centaines de milliers de réfugiés et
causé de graves destructions ; en outre, la Croatie était
amputée d'un quart de son territoire.
Prenant son destin en main sous l'impulsion du Président Franjo Tudjman,
la Croatie réussit à mettre sur pied une armée et à
l'été 1995, les forces croates libèrent la plus grande
partie du pays. Cette action d'éclat digne de la célèbre
bravoure guerrière du peuple croate conduisit à la
négociation des accords de Paris-Dayton.
Cet épisode tragique de l'histoire croate est désormais clos et
le pays s'est engagé dans un vaste programme de reconstruction dont la
délégation a pu mesurer l'ampleur lors de sa mission.
3. L'organisation institutionnelle
§
Une démocratie parlementaire
La Croatie est une démocratie parlementaire dont l'instauration date des
élections libres du 22 avril 1990. Ces élections ont
rétabli dans ses droits l'antique parlement croate, le Sabor,
présenté par les Croates comme l'une des toutes premières
assemblées parlementaires connues en Europe.
Comme le permettait la Constitution de l'ancienne Yougoslavie et en vertu du
principe qui y figurait, énonçant que chaque république de
la fédération disposait du droit inaliénable à
l'autodétermination jusqu'à la sécession, l'ancienne
république socialiste de Croatie s'est proclamée
indépendante et souveraine le 25 juin 1991. La Communauté
européenne a reconnu la Croatie le 15 janvier 1992 et le 22 mai 1992, la
Croatie est devenue le 177
e
membre de l'ONU.
§ La suppression de la seconde chambre
La Constitution croate du 22 décembre 1990 s'inspirait au départ
de la constitution française de la V
e
République. Elle
instituait à l'origine un système bicaméral.
Cette Constitution a cependant été modifiée en 2001, pour
malheureusement décider de la suppression de la seconde chambre du
Parlement, la Chambre des Comitats, dite aussi Chambre des Joupanies, qui
représentait les régions croates.
Le mouvement concomitant de régionalisation, conforme aux engagements du
pays vis-à-vis du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne,
aurait pu au contraire conduire à renforcer le positionnement
institutionnel de la chambre chargée de représenter les
régions. Telle n'a pas été l'option retenue, pour des
motifs, semble-t-il, d'économie. On se permet d'espérer que le
redressement économique en cours conduira à terme à
rétablir la seconde chambre, qui joue un rôle de
pondération et de stabilité institutionnelle là où
elle existe, sans oublier sa vocation à représenter les
collectivités territoriales dans les Etats unitaires.
§ Un système semi-présidentiel
Le pouvoir exécutif est partagé entre le président de la
République et le Gouvernement. Le Président est élu pour 5
ans au suffrage universel direct à deux tours et il ne peut
prétendre qu'à un deuxième mandat (à l'instar du
président américain). Il nomme le Premier ministre et met fin
à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la
démission du gouvernement. Il dispose du droit de dissolution. Il est le
chef des armées, il peut déclarer la guerre et conclure la paix
avec l'aval du Sabor. Avec l'accord du gouvernement, il peut soumettre à
référendum un projet de loi ou de réforme
constitutionnelle. Il faut aussi noter qu'il est associé au gouvernement
dans l'élaboration et la conduite de la politique
étrangère.
Quant au gouvernement, il détermine et conduit la politique
intérieure et extérieure de la nation. Il dispose du pouvoir
d'initiative et il est responsable devant le Sabor.
Le Sabor est composé de 151 députés élus pour 4 ans
au suffrage universel direct au scrutin proportionnel. Il vote la loi et
contrôle le gouvernement.
La Croatie est une république unitaire qui comprend deux niveaux
d'administration locale : le premier est constitué par les
régions ou « Joupanies » au nombre de 21, le second
par les municipalités (communes et villes).
Les communes sont au nombre de 423, les villes au nombre de 123. Le statut de
ville est attribué aux chefs-lieux des Joupanies, aux
agglomérations de plus de 10.000 habitants et aux cités qui
présentent des caractéristiques historiques ou économiques
d'un intérêt particulier. La Joupanie n'est pas une simple
division administrative mais elle correspond à un territoire dont
l'unité géographique, historique et économique est
avérée. La Joupanie est chargée du développement
harmonieux de ce territoire.
La loi sur l'autonomie locale du 10 avril 2001 a transféré des
compétences de l'Etat vers les collectivités territoriales et
garantit leur autonomie. Les municipalités sont en charge de
l'état civil, de l'organisation des opérations
électorales, de l'entretien de la voirie et de l'habitat, de l'urbanisme
et de l'aménagement du territoire, de l'action sociale, de l'action
culturelle, de l'enseignement élémentaire, de l'aide
médicale élémentaire, de la protection civile, de la
protection du consommateur et de la protection de l'environnement.
Les Joupanies et les villes de plus de 30.000 habitants disposent, en
outre, des compétences suivantes : enseignement secondaire et
universitaire, santé, développement économique et
transports.
4. L'organisation territoriale
a) Les municipalités
Le
conseil municipal est élu pour quatre ans et règle par ses
délibérations les affaires de la commune. Il est
présidé par un président élu en son sein. Le
conseil municipal désigne et révoque également le maire.
En effet, dans les municipalités de moins de 3.000 habitants,
l'exécutif municipal est confié au conseil et son
président exerce les fonctions de maire ; mais dans les communes de
plus de 3.000 habitants, l'exécutif est confié au maire qui
est élu par le conseil municipal parmi ses membres et le
président est chargé, lui, de diriger les débats de
l'assemblée municipale.
L'exécutif municipal est chargé de préparer les
propositions soumises au conseil municipal et d'exécuter les
décisions du conseil ; il dirige également l'action des
services municipaux.
b) Les Joupanies
L'assemblée régionale est élue pour
quatre ans
et elle règle par ses délibérations les affaires de la
région. Elle élit en son sein un président. Elle
élit également en son sein un chef de l'exécutif : le
Joupan. L'exécutif régional prépare les propositions
soumises à l'assemblée régionale et exécute les
décisions de l'assemblée régionale ; il dirige
l'action des services régionaux.
Il convient de noter que le Joupan, comme le maire, cumule trois
fonctions :
- ils sont agents de l'Etat pour certaines tâches
administratives ;
- ils sont l'exécutif de leur collectivité et donc
chargés de l'exécution des délibérations des
assemblées locales ;
- le maire, comme le Joupan, est le chef de l'administration communale ou
régionale.
Le contrôle administratif des actes juridiques adoptés au niveau
local s'effectue au niveau de la Joupanie (qui est aussi un échelon
d'administration centrale déconcentrée) sous l'autorité de
l'administration d'Etat. On rappellera que le Joupan était auparavant
nommé par le gouvernement central et remplissait un rôle similaire
à celui du préfet français.
Le contrôle de légalité s'exerce a priori et lorsqu'une
décision locale n'apparaît pas conforme aux représentants
de l'Etat, elle est renvoyée à l'autorité locale pour
modification et remise en conformité.
II. LA SITUATION POLITIQUE
Les élections de janvier 2000 ont provoqué une alternance et mis fin à l'ère Tudjman ; elles ont amené au pouvoir une coalition de centre-gauche, rassemblée autour du Premier ministre social démocrate, Ivica Racan. Le mois suivant, l'élection présidentielle a porté à la tête du pays Stjepan Mesic, issu du Parti populaire de Croatie (HNS), membre de la coalition gouvernementale. Il est apparu à votre délégation que la situation politique était stable, mais que le sentiment nationaliste qui s'est fortement adouci était naturellement prompt à se raviver quand il était question des séquelles de la guerre.
1. La coalition
La
coalition gouvernementale est composée des différents partis
suivants :
-
SDP
(Parti social démocrate),
dont est issu le
Premier ministre, qui a obtenu 45 sièges au Sabor.
C'est un parti de centre gauche pratiquant une politique marquée par le
pragmatisme ;
-
HSS
(Parti paysan de Croatie)
: 15 sièges.
Il s'agit du parti fondé en 1904 : de tradition conservatrice et
catholique, il réclame l'enseignement du catéchisme à
l'école, conformément aux accords passés avec le Vatican.
Il soutient l'agriculture et la petite entreprise. Il est favorable à un
libéralisme tempéré par une bonne protection sociale, le
souci de l'individu et celui de l'environnement.
L'homme fort du HSS est M. Zlatko Tomsic, président du Sabor, qui a
reçu la délégation française. Lors de cet entretien
prolongé, il est apparu soucieux de manifester son intérêt
pour l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne et il a
annoncé que la Croatie déposerait sa candidature en mars 2003
(chose faite depuis le 21 février). Il nous a également
déclaré que l'opinion publique y était très
favorable (75 à 80 % des sondés) mais que ce chiffre n'avait
pas de signification tant que ses concitoyens ignoraient les difficultés
de la période de criblage des 31 chapitres. A ses yeux,
l'adhésion pour souhaitable qu'elle soit, ne saurait se faire sans
sacrifice pour certaines catégories de la population. M. Tomcic a
également souligné qu'il était favorable à une
approche individuelle de l'élargissement de l'Union européenne et
a rappelé qu'il fallait donc faire entrer les candidats au fur et
à mesure qu'ils étaient prêts. Il a déploré
que la guerre ait retardé la candidature de la Croatie. On notera que le
HSS est devenu le parti charnière et que M. Tomcic est
désormais courtisé par la droite.
-
LIBRA
(Parti des libéraux
indépendants)
: 9 sièges.
C'est le parti du centre - né de la scission du HSLS - qui regroupe ceux
qui récusent une politique trop ouvertement nationaliste.
-
HNS (Parti populaire de Croatie)
: 2 sièges.
Ce parti n'a pas d'assise populaire, mais il a réussi à remporter
l'élection présidentielle et même à devenir le
deuxième parti de la capitale. Il se situe nettement plus à
gauche que le SDP, du moins dans ses prises de position idéologiques.
-
LS (Parti libéral)
: 4 sièges.
Le LS est un parti de gauche qui n'a pas encore trouvé son
identité et qui reste mal implanté.
-
PGS (Alliance de Primorje et de Gorski Kotar)
: 2
sièges.
Parti régionaliste proche du SDP.
-
SBHS (Parti de Slavonie et de Baranja)
: 1 siège.
Parti régionaliste proche du SDP.
2. L'opposition
Cinq
partis sont dans l'opposition au gouvernement :
-
HDZ (Union démocrate de Croatie)
: 41
députés.
Ce parti est lié à la création de la Croatie libre et
moderne puisqu'il remporte les élections législatives de 1992 et
l'élection présidentielle la même année avec Franjo
Tudjman. La mort de Tudjman en décembre 1999 prive le parti de leader et
provoque l'alternance de janvier 2000. Son nouveau président (Ivo
Sanader) a recentré le parti à droite en le débarrassant
de sa composante ultra-nationaliste.
Si la bipolarisation se renforçait en Croatie, le HDZ aurait toutes les
chances d'apparaître comme le parti du centre droit proche de la
démocratie chrétienne allemande. A ce stade, sa mutation ne
paraît pas achevée.
-
HSLS (Parti social libéral de Croatie)
: 14
sièges.
Le HSLS est favorable à l'intégration européenne et
prêt à collaborer avec le HDZ.
-
HSP (Parti du droit croate)
: 4 sièges.
Parti d'extrême droite qui n'a d'influence réelle que localement
dans les régions éprouvées par la guerre.
-
DC (Centre démocratique)
: 3 sièges.
Ce parti a été créé pour donner à la Croatie
un parti de droite classique, mais l'évolution du HDZ a
déjoué ses prévisions et réduit son auditoire.
-
HKDU (Union chrétienne démocrate de
Croatie)
: 1 député.
Parti de la droite populiste dépourvu de troupe.
3. Les partis indépendants
-
IDS (Parlement démocrate d'Istrie)
:
4
sièges
Parti régionaliste qui se situe à gauche mais qui est très
favorable à l'Europe des régions.
-
SNS (Parti national serbe)
: 1 siège
Le SNS est le représentant de la minorité serbe au Sabor mais les
excès de ses dirigeants l'ont fortement discrédité.
Il ressort de ce rapport de forces que la coalition au pouvoir n'est pas
homogène mais que le SDP a compris que le HSS est un partenaire
essentiel et qu'à ce titre et pour conserver son soutien, le SDP
pratique une politique d'ouverture aussi bien sur la question religieuse que
sur la politique agricole ou sur le soutien aux petites et moyennes entreprises
indépendantes.
De son côté, l'opposition se réorganise rapidement et
apparaît crédible aux yeux de l'opinion. Le HDZ
débarrassé de son ultranationalisme a modernisé son image
et semble reconnu comme un parti d'alternance.
4. La place de l'Eglise
La
Croatie est un pays de tradition catholique et cet aspect de son
identité est d'autant plus saillant qu'au cours des siècles, il a
fallu le défendre contre l'orthodoxie et l'islam, et surtout contre le
communisme. S'il est juste d'évoquer le poids de l'Eglise dans
l'histoire de la Croatie jusqu'en 1990, il faut aussi constater que depuis
cette date, son influence faiblit. On sait en effet que sous la dictature
communiste, aller à l'Eglise était une profession de foi
nationale, un plébiscite au sens où l'entendait Renan, car
l'Eglise était le refuge de la « croatitude », c'est
à dire le sanctuaire du sentiment national croate. Ce sentiment
était d'autant plus fort que l'église croate était la
seule église jusqu'à Vatican II à pouvoir user, dans sa
liturgie, de la langue vernaculaire (en l'occurrence le vieux slavon) depuis le
Moyen Age et ce par autorisation spéciale de Rome, dérogation qui
identifiait d'autant mieux l'Eglise à la Nation. Une fois
l'indépendance recouvrée, l'Eglise a naturellement perdu de sa
puissance sinon de son prestige : elle se trouve aujourd'hui face à
un nouveau chapitre de son histoire, en tant qu'institution. Cela
n'empêche pas l'attachement au catholicisme d'inspirer certains partis
croates historiques, comme on l'a vu, mais alors ces partis se rattachent plus
aux valeurs chrétiennes traditionnelles qu'à l'institution
ecclésiastique.
Lors de sa mission, votre délégation a visité l'importante
cathédrale de Dakovo, dont la façade porte encore les impacts du
mortier reçu pendant la guerre d'indépendance. Cette visite
n'était pas prévue dans le programme, mais elle a permis
d'évoquer la mémoire d'un Croate nationaliste
célèbre dont les thèses ont plus tard été
volontairement déformées par les partisans de la Yougoslavie. En
effet, Monseigneur Josip Strossmayer, évêque de Dakovo,
revendiquait au XIXème siècle l'union de tous les Slaves du Sud,
mais il précisait qu'il s'agissait des Slaves qui s'étaient
déjà trouvés sous une même couronne (Croatie,
Slovénie, Bosnie, Voïvodine) et il excluait ainsi par
prétérition les Serbes et les Monténégrins... Quoi
qu'il en soit, ce grand personnage de l'Eglise croate est assurément un
acteur du réveil national au XIXème siècle et figure dans
le panthéon croate.
III. LA SITUATION ÉCONOMIQUE
La Croatie a pris le parti d'opérer une mutation en profondeur et elle a déjà obtenu quelques résultats macro-économiques remarquables tels que la stabilité monétaire, le retour de l'inflation à 2 % et le maintien du pouvoir d'achat. Il lui appartient maintenant de mettre en oeuvre une politique de restructuration de son outil industriel et d'achever le processus de privatisation.
1. Une situation stabilisée mais à un niveau encore insatisfaisant
L'inflation a été stabilisée à
2% (après 4,9% en 2001 et 3,3% en 2002), mais cette hausse des prix
mesurée n'empêche pas un niveau de prix général
très élevé qui nuit à la
compétitivité du pays. Le taux de croissance qui était de
2,5% en 2000 et de 5% en 2002 devrait se situer entre 4 et 5% en 2003.
En outre, le processus de privatisation n'est pas terminé. En effet, la
part du secteur privé dans le PIB n'est encore que de 55 %, ce qui
place la Croatie devant la Slovénie, mais derrière la Slovaquie.
A ce stade, les privatisations n'ont pas suffi à entraîner la
restructuration nécessaire du tissu industriel.
D'une part, en signant l'accord d'association et de stabilisation avec l'Union
européenne, la Croatie a entrepris une démarche drastique de mise
à niveau pour répondre aux conditions pré-requises
à son intégration dans l'Union européenne. D'autre part,
son adhésion à l'Association européenne de libre
échange (AELE) va accélérer la libéralisation du
commerce avec les pays étrangers et développer les exportations.
Les principaux indicateurs économiques sont les suivants (chiffres de
2001) :
- PIB : 22,6 milliards d'euros
- PIB par tête : 5140 euros
- Taux de chômage : 15,8 % (estimation pour 2003 : 13%)
- Salaire moyen brut mensuel : 673 euros
2. La production industrielle
La
production industrielle reste la partie la plus importante de l'économie
croate et représente environ 20 % du PIB croate, ce qui est proche
des niveaux européens. L'industrie croate emploie 25 % de la
population active croate. Au sein de l'industrie, le revenu principal provient
de la production agro-alimentaire suivi des industries
pétrolières, chimiques et électriques, de l'industrie du
papier, de l'édition et de la construction navale.
Les exportations principales concernent la construction navale, l'industrie
agro-alimentaire, suivies des industries métallurgiques et
électriques. Les biens industriels représentent 95 % des
exportations croates.
3. L'agriculture, la pêche et l'industrie agro-alimentaire
Les deux
tiers des terres agricoles sont cultivées, le dernier tiers est
réservé aux pâturages ; 83 % des terres agricoles
appartiennent à de petits propriétaires privés. Il s'agit
d'une agriculture diversifiée et traditionnelle faite par des paysans
attachés à leur terre et héritiers de cultures
séculaires. Il faut rappeler que la Croatie faisait partie des greniers
et des vergers de l'Empire austro-hongrois comme de l'ancienne
fédération communiste et qu'on y trouve aussi bien, outre toutes
les productions des pays tempérés, du vin, des olives que des
oranges, des citrons et du tabac. La pêche et l'exploitation
forestière s'ajoutent aux activités traditionnelles.
La production agro-alimentaire représente 20 % du PIB croate.
4. Les secteurs du bâtiment et de la construction
Ce
secteur est particulièrement actif puisque la Croatie est dans
l'obligation de reconstruire certaines parties de son territoire. Il emploie
62.773 personnes réparties dans 11.762 entreprises.
En 2000, 12.000 appartements ont été construits et un plan de 700
kilomètres de routes sur les dix ans à venir a été
lancé.
IV. L'INTÉGRATION EURO-ATLANTIQUE
On
entend dire parfois que les Croates veulent souligner qu'ils n'appartiennent
pas aux Balkans, qu'ils souhaitent tourner le dos au Sud et ne regarder plus
que vers l'Atlantique Nord et l'Union européenne. Ces affirmations sont
sans doute exagérées, mais elles traduisent assez bien le
sentiment de l'opinion croate qui aspire à rejoindre l'Europe dont la
Croatie n'aurait jamais dû être détachée. Le pays se
définit d'ailleurs, non sans pertinence, comme la
« façade méditerranéenne de l'Europe
centrale ».
Tous les interlocuteurs avec lesquels votre délégation s'est
entretenue ont manifesté le regret qu'ils éprouvaient de ne plus
faire partie du premier groupe des candidats à l'instar de la
Slovénie voisine, tout en attribuant cette différence de
traitement aux conséquences néfastes de la guerre
d'indépendance, évaluées à 37 milliards de
dollars. La Croatie figurait en effet à la veille de la guerre en 1990
parmi les pays qui avait les meilleures chances de rejoindre l'Europe
communautaire. Aujourd'hui encore un fossé la sépare de ses
voisins méridionaux parfois regroupés sous le vocable
« Balkans occidentaux » (Bosnie-Herzégovine,
Serbie-Monténégro, Macédoine, Albanie). Le PIB de la
Croatie équivaut à lui tout seul aux PIB de ces quatre pays qui
comptent pourtant ensemble 22 millions d'habitants. Avec un PIB/hab. de
5.140 euros (2001), contre un PIB/hab. moyen de 1.350 euros pour ces quatre
pays, la Croatie est aujourd'hui bien plus proche des autres pays candidats, et
en dépasse même quelques-uns.
Aussi les répercussions de la guerre ne suffisent-elles pas à
expliquer la décision de Bruxelles, qui a reporté à plus
tard l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne. Les
autorités européennes ont mis en avant deux autres obstacles
à l'adhésion immédiate de la Croatie à l'Union,
à savoir le problème des minorités et celui du Tribunal
international de La Haye.
1. La question des minorités
a) Avant la reconnaissance de l'indépendance croate
La
première Constitution croate adoptée au lendemain des
premières élections libres, promulguée le 22
décembre 1990, ne prévoyait aucune disposition spéciale ni
discrimination positive à l'égard des minorités, et
notamment de la minorité serbe (12 % de la population), se
cantonnant à garantir l'égalité de tous les citoyens
croates, sans aucune discrimination.
Une Charte des droits des Serbes et des autres minorités nationales de
la République de Croatie fut néanmoins adoptée le
25 juin 1991, c'est-à-dire en même temps que la
Déclaration sur la souveraineté et l'indépendance de la
République de Croatie qui marqua son émancipation politique de la
fédération yougoslave. Entre-temps une rébellion
armée des éléments les plus radicaux de la minorité
serbe de Croatie, soutenue par l'armée yougoslave aux ordres de
Belgrade, avait soustrait à l'autorité de Zagreb près d'un
quart du territoire croate. Il s'agissait donc pour le gouvernement croate de
donner des gages à la minorité serbe par une Charte qui
garantisse leur autonomie culturelle, prévoie une organisation
territoriale adaptée et pose les principes de leur représentation
proportionnelle dans les assemblées des collectivités
territoriales, dispositions censées pouvoir désamorcer le
conflit. Il n'en fut rien.
Afin d'obtenir la reconnaissance internationale de son indépendance, et
compte tenu de la pression internationale, principalement européenne et
notamment celle de la France qui s'est montrée très active et
très déterminée sur cette question, la Croatie fut
amenée à adopter le 4 décembre 1991 une Loi
constitutionnelle qui précise les principes énoncés par la
Charte. En vertu de ce texte, il était reconnu aux minorités de
Croatie notamment le droit:
- d'utiliser leur langue et leur alphabet comme langue officielle aux
côtés du croate dans les municipalités où ils
constituent la majorité de la population ;
- d'arborer leurs symboles nationaux aux côtés des symboles
nationaux croates dans les municipalités où ils constituent la
majorité de la population ;
- à l'enseignement maternel, primaire, secondaire et supérieur
dans leur langue maternelle ;
- à une représentation proportionnelle au Sabor (Parlement), au
Gouvernement et au sein des plus hautes instances judiciaires pour les
minorités représentant plus de 8 % de la population (en
l'occurrence la minorité serbe) ;
- à 5 députés pour l'ensemble des minorités ne
dépassant pas, séparément, ce seuil (Italiens, Hongrois,
Tchèques, Slovaques, Ukrainiens, Allemands, Autrichiens, toute
l'ancienne mosaïque ethnique héritée de l'Empire
austro-hongrois) ;
- à un statut d'autonomie particulier accordé aux onze
municipalités (
opcine
) où les minorités - la
minorité serbe en l'occurrence - représentent plus de la
moitié de la population. Ce statut prévoit notamment la
représentation proportionnelle des minorités au sein des conseils
municipaux, des fonctionnaires territoriaux, des instances judiciaires
autonomes, des commissariats de police municipaux, des établissements
scolaires.
b) La Croatie indépendante mais partiellement occupée
Ces
dispositions - jugées conformes aux standards européens en
matière de protection des droits des minorités par la Commission
d'arbitrage présidée par notre collègue M. Robert Badinter
- ouvrirent la voie à la reconnaissance de l'indépendance de la
Croatie par la Communauté européenne, devenue officielle
dès le mois suivant, le 15 janvier 1992.
Un amendement voté le 8 mai 1992 autorisa ensuite le regroupement des
municipalités autonomes en districts autonomes (
kotarevi
), afin
de prendre en compte le fait que les onze municipalités à
population à majorité serbe constituaient deux espaces connexes,
de respectivement cinq et six municipalités. Il prévoyait
également des mesures complémentaires qui visaient à
faciliter aux citoyens croates de souche serbe l'accès aux postes de
responsabilité sur l'ensemble du territoire croate, en dehors des deux
districts, eu égard au fait que ceux-ci n'abritaient en 1991 que
145 000 Serbes, c'est-à-dire un quart de la minorité serbe
de Croatie, tandis que la grande majorité de celle-ci résidait
dans les principales villes de Croatie, où elle constituait une
population très minoritaire.
Ces districts ayant été occupés par l'armée serbe
de 1991 à 1995 et soustraits de fait à la juridiction croate, la
Loi constitutionnelle relative au statut des minorités n'a toutefois pas
pu y être appliquée.
c) Après la reconquête de 1995
Au
lendemain de la reconquête militaire de ces territoires par
l'armée croate, en août 1995, la quasi totalité des Serbes
de souche a fui dans le sillage des troupes serbes vaincues. D'autre part, le
retour des 120 000 Croates et autres minorités chassés de
cette région par les milices serbes en 1991 nécessitait du temps
et la mise en place dans vaste programme de reconstruction et de
déminage. Aussi le gouvernement croate en a-t-il provisoirement suspendu
l'application, le 20 septembre 1995, faute de pouvoir la mettre en oeuvre dans
une région sinistrée et désormais quasiment
inhabitée.
Selon les amendements à la loi électorale en date du 21 septembre
1995, sur l'ensemble de 127 députés élus au Sabor,
8 députés sont appelés à représenter
les minorités nationales, soit 3 députés pour la
minorité serbe, 1 député pour la minorité
hongroise, ainsi que pour la minorité italienne, et enfin trois
député répartis à raison de un pour chacun des
trois groupes de minorités suivantes : tchèque et slovaque,
ruthène et ukrainienne, et, enfin, allemande et autrichienne.
Une nouvelle loi électorale votée le 29 octobre 1999 a de nouveau
modifié cette répartition. Ainsi le Parlement est
désormais composé de 151 membres élus pour 4 ans au
suffrage universel direct (scrutin proportionnel) : 140
députés représentent les Croates de Croatie, 5
députés les minorités ethniques (1 serbe, 1 italien, 1
hongrois, 1 tchèque et slovaque et 1 représentant d'autres
minorités) et 6 députés représentent les Croates de
l'étranger (ce nombre, variable, est fixé proportionnellement, en
divisant le nombre de votants par le nombre moyen de suffrages obtenu en
métropole par député, permettant ainsi une égale
représentation au Parlement des Croates de métropole et de ceux
de l'étranger).
d) Le tournant politique de 2000
Après la défaite aux élections
législatives de janvier 2000 et la victoire de la coalition de
centre-gauche conduite par le SDP et le HSLS, la Loi constitutionnelle de 1991
relative au statut des minorités fut amendée le 11 mai 2000, en
attendant d'être révisée. Ces modifications
supprimèrent définitivement les districts et municipalités
autonomes, et par voie de conséquence, le régime territorial de
représentation proportionnelle des minorités, aussi bien dans les
instances politiques et judiciaires locales, les administrations que dans
l'enseignement. Il fut cependant décidé que soit rétabli,
après publication des résultats du recensement de la population
de 2001, le seuil de 8 % au-delà duquel le poids d'une minorité
nationale lui donne le droit à une représentation proportionnelle
au Sabor. L'ensemble des minorités représentant
séparément moins de 8 % de la population obtenaient, quant
à elles, un nombre de député compris entre cinq et sept,
selon les dispositions de la loi électorale.
De même les deux lois votées le 6 avril 2001, l'une, relative au
statut des collectivités territoriales (municipalités et
régions), l'autre, relative aux élections municipales et
régionales, ont pris acte de cette harmonisation administrative, fixant
les mêmes règles sur l'ensemble du territoire.
e) 2002 : une nouvelle Loi constitutionnelle sur les droits des minorités
Au terme
de vifs débats, le Sabor, résolu à se conformer aux
exigences de Bruxelles et de l'OSCE, est parvenu à voter, le 13
décembre 2002, une nouvelle Loi constitutionnelle relative aux droits
des minorités nationales, publiée dans le Journal officiel du 19
décembre 2002. A l'instar de la loi constitutionnelle de 1991, celle-ci
reprend également à son compte la plupart des textes fondamentaux
en la matière (Charte de l'ONU, Déclaration universelle des
droits de l'homme, Acte final de l'OSCE, Convention du Conseil de l'Europe sur
la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales, etc.)
- (Art. 1).
La Loi réaffirme que la Croatie rejette (Art. 2) et interdit (Art. 4)
toute forme de discrimination et précise que la protection des
minorités fait partie intégrante de l'ordre démocratique
établi en Croatie (Art. 3), ce que garantissent la Constitution et la
Loi constitutionnelle (Art. 4).
Les minorités nationales jouissent notamment du droit :
- d'utiliser leur langue et leur alphabet, en privé, en public ainsi
qu'en tant que langue officielle (dans les documents d'état civil,
lorsque la minorité concernée représente plus du tiers de
la population municipale ou sur les panneaux d'indication publics [toponymes,
noms de rues] dans les localités où les minorités
constituent une population « importante ») ;
- à l'enseignement et à l'éducation dans leur langue
maternelle (programmes et établissements scolaires spécifiques,
personnel enseignant spécialisé) ;
- à l'usage de leurs symboles nationaux (drapeau, armoiries, hymne) aux
côtés des symboles nationaux croates dans les municipalités
où ils constituent la majorité de la population ;
- à l'autonomie culturelle ;
- à affirmer leur appartenance religieuse notamment au travers
d'associations à caractère religieux ;
- à être représentées dans les instances
représentatives au niveau local et national, ainsi que dans
l'administration et les instances judiciaires ;
- à prendre une part active dans la vie publique par le biais des
Comités et des représentants des minorités
nationales ;
- d'entretenir librement toute relation avec leur mère patrie ;
- à être préservés de toute menace qui viserait
à restreindre ces droits.
Le service audiovisuel public veillera à diffuser des émissions
permettant à un large public de mieux connaître les us et coutumes
des différentes minorités nationales (Art. 18).
Il est garantit aux membres des minorités nationales une
représentation au Parlement, comprise entre cinq et huit
députés. Les minorités nationales qui constituent plus de
1,5 % de la population (en l'occurrence uniquement la minorité
serbe) sont représentées par au moins un et au plus trois
députés, étant entendu que les minorités nationales
qui constituent séparément moins de 1,5 % de la population
(soit toutes les autres minorités) doivent être
représentées par au moins quatre députés
(Art. 19).
COMPOSITION ETHNIQUE DE LA POPULATION
CROATE
|
||
Population |
Nbre d'hab. |
% |
Croates |
3 977 171 |
89,63 |
Serbes |
201 631 |
4,54 |
Bosniaques |
20 755 |
0,47 |
Italiens |
19 635 |
0,44 |
Hongrois |
15 595 |
0,37 |
Albanais |
15 082 |
0,34 |
Slovènes |
13 137 |
0,30 |
Autres |
174 454 |
3,93 |
TOTAL |
4 437 460 |
100 |
Il est
par ailleurs garanti aux membres des minorités nationales une
représentation au niveau des collectivités territoriales
(conseils municipaux et assemblées régionales) - Art. 20.
Dans les
municipalités
où une minorité nationale au
moins représente entre 5 % et 15 % de la population, la loi
électorale veillera, si la condition n'est pas remplie après les
élections, à ce qu'au minimum un représentant de l'une de
ces minorités entre au conseil municipal.
Dans les
municipalités
où une minorité nationale
dépasse le seuil de 15 % de la population, la loi électorale
veillera, si la condition n'est pas remplie après les élections,
à ce qu'il entre au conseil municipal autant de représentants que
nécessaire de chacune des minorités concernées
jusqu'à ce soit reflété leur poids respectif dans la
population municipale.
Dans les
régions
où une minorité nationale
dépasse le seuil de 5 % de la population, la loi électorale
veillera, si la condition n'est pas remplie après les élections,
à ce qu'il entre à l'assemblée régionale autant de
représentants que nécessaire de chacune des minorités
concernées jusqu'à ce soit reflété leur poids
respectif dans la population de la région. Le dernier recensement de la
population étant le document de référence (Art. 20).
Dans les collectivités territoriales où les minorités
nationales bénéficient d'une représentation
proportionnelle dans les conseils municipaux ou assemblées
régionales, ce droit s'étend également aux instances
exécutives.
Au niveau national, on veillera à une représentation
adéquate des minorités nationales dans l'administration et les
instances judiciaires, ainsi que dans les services déconcentrés
et décentralisés. A compétences égales,
priorité est donnée aux membres des minorités nationales
(Art. 23).
Dans les municipalités où les minorités nationales
représentent plus de 1,5 % de la population ou plus de
200 personnes, ainsi que dans les régions où elles
représentent plus de 500 personnes, il est institué un
Comité de la minorité nationale. Dans les collectivités
territoriales où résident au moins 100 membres de
minorités nationales, il est procédé à
l'élection d'un représentant de la minorité nationale. Le
Comité ou le représentant représentent la minorité
nationale auprès des instances locales et peuvent leur soumettre leurs
avis, propositions ou doléances.
Au niveau national, plusieurs Conseils peuvent instituer une Coordination
nationale.
Il est créé au niveau national un Conseil des minorités
nationales dont la mission consiste à promouvoir le rôle des
minorités nationales dans la vie publique de la République de
Croatie. Le Conseil, composé douze membres (sept proposés par les
Comités des minorités et cinq personnalités
éminentes représentatives de ces minorités) peut soumettre
ses avis, propositions ou doléances au gouvernement. Il gère et
distribue les fonds publics alloués aux minorités nationales. Les
Comités, les représentants des minorités nationales ainsi
que Conseil des minorités nationales peut saisir le Conseil
constitutionnel s'il le juge nécessaire.
Au moins une fois par an le gouvernement soumet au Parlement un rapport sur la
mise en oeuvre des dispositions de la Loi constitutionnelle sur les
minorités ; le Conseil des minorités nationales soumet quant
à lui un rapport semestriel au Parlement.
f) La loi électorale
Afin
d'achever l'harmonisation législative, le Parlement a voté le
2 avril 1993 des amendements à la loi électorale relative
aux élections législatives. Ceux-ci précisent les
dispositions de l'article 19 de la Loi constitutionnelle sur les
minorités nationales qui fixent le nombre des représentants
parlementaires des minorités nationales au Sabor. Dorénavant le
nombre de députés représentant les minorités
nationales au Parlement est fixé à 8 :
- 3 députés représentant la minorité serbe ;
- 1 député représentant la minorité hongroise ;
- 1 député représentant la minorité italienne ;
- 1 député représentant les minorités
tchèque et slovaque ;
- 1 député représentant les minorités autrichienne,
bulgare, allemande, polonaise, rom, roumaine, ruthène, russe, turque,
ukrainienne, valaque et juive ;
- 1 député représentant les minorités albanaise,
bosniaque, monténégrine, macédonienne et
slovène ;
g) Les minorités et la question des réfugiés
La
question des minorités est indirectement liée à celle des
réfugiés. Elle se complique du fait des mouvements de populations
consécutifs à la guerre : la question du retour des derniers
réfugiés serbes est ralentie par le fait que leurs maisons
nécessitent pour partie d'être reconstruites lorsqu'elles ne sont
pas occupées à titre provisoire par les réfugiés
croates chassés de Bosnie qu'il faut reloger faute d'espoir de retour en
zone serbe de Bosnie.
Le gouvernement croate a d'ores et déjà accompli beaucoup
d'efforts sur cette question qui est à présent en grande partie
résolue. A ce jour plus de 306 000 réfugiés ou
déplacés ont pu rentrer chez eux en Croatie, dont 98 000
citoyens de souche serbe. D'autre part, moins de 27 000
réfugiés, dont une moitié de Serbes attendent encore de
pouvoir retourner chez eux, beaucoup de Serbes n'ayant pas déposé
de demande de retour. Il serait en effet illusoire d'espérer que tous
les réfugiés serbes de Croatie aspirent au retour, sachant que la
jeune génération a déjà opté pour une
installation en Bosnie ou en Serbie et que si les plus âgés
aimeraient revenir mourir chez eux, beaucoup craignent de retrouver leurs biens
occupés ou détruits et leurs champs minés.
2. Les relations de la Croatie avec le Tribunal pénal international de La Haye
Lors de
la mission de la délégation en Croatie, le Parlement croate s'est
réuni d'urgence lorsque est tombée la nouvelle que le
Général Bobetko était mis en examen par le Tribunal
pénal international de La Haye. L'opinion publique et la grande
majorité de la classe politique se sont insurgées contre cette
mise en examen d'un héros de la guerre d'indépendance, homme de
83 ans qui s'était auparavant illustré dans la lutte contre
le fascisme sous le gouvernement pro-hiltérien et qui a également
participé à l'insurrection de 1971 contre la dictature
communiste. A cette occasion, le HSP a solennellement demandé la
modification de l'accord liant la Croatie au Tribunal et il a exigé que
chaque demande de comparution du Tribunal fasse dorénavant l'objet d'une
approbation du Sabor.
Cet épisode que votre délégation a vécu sur le vif
illustre parfaitement l'incompréhension qui existe entre une certaine
« Europe occidentale » (Bruxelles avec l'UE, Strasbourg
avec le Conseil de l'Europe et La Haye avec le Tribunal pénal
international) et la Croatie nouvellement libre, indépendante et
démocratique sortie d'une guerre douloureuse. Cependant cet
épisode embarrassant pour le gouvernement croate a trouvé sa
conclusion dans la mort du Général Bobetko en avril dernier. Les
funérailles de ce héros national ont donné lieu à
un grand rassemblement empreint de ferveur nationale.
Pourtant, dès son arrivée au pouvoir, le nouveau Gouvernement de
M. Racan a annoncé que Zagreb reconnaissait la compétence du
Tribunal de La Haye pour les crimes de guerre commis pendant et après
les opérations de reconquête du territoire croate détenu
par les Serbes. Le Président Mesic, que votre délégation a
rencontré, défend la même ligne politique. Lors de
l'audience que le Président a accordée à la
délégation, il a indiqué qu'il considérait que
l'idée de « responsabilité collective »
troublait les esprits. A ses yeux, les Serbes étaient certes
responsables de ce qui avait été fait aux Croates, les Croates
responsables de ce qui avait été fait aux Serbes, toutes
proportions gardées, et les deux responsables de ce qui avait
été fait aux Bosniaques. Mais il fallait toutefois, selon lui,
rappeler que la guerre menée par les Croates était une guerre de
légitime défense et que si certains crimes avaient
été commis en Croatie, il convenait maintenant que quelqu'un en
assume la responsabilité et non pas la collectivité.
Le Président Mesic a clairement déclaré que lorsqu'un
crime de guerre est commis, soit la hiérarchie l'ignorait et elle doit
le prouver, soit elle ne l'ignorait pas et elle l'a couvert et alors elle doit
en répondre aujourd'hui.
Cette position n'est pas partagée par l'opinion croate qui reste
très critique à l'égard du Tribunal pénal
international. L'inculpation des héros croates tels que Bobetko reste
perçue comme une inadmissible mise sur un pied d'égalité
de l'agresseur serbe et de sa victime croate.
3. L'entrée dans l'OTAN
C'est
dans cette atmosphère que se déroulent les préparatifs de
l'entrée de la Croatie dans l'OTAN. Comme dans le cas de la Pologne et
de la République Tchèque, l'adhésion à l'OTAN a
toutes chances de se faire avant l'adhésion à l'Union
européenne, ce que les Croates ne manquent pas de faire remarquer
à leurs interlocuteurs étrangers.
Les Croates vont même jusqu'à sous-entendre qu'ils sont encore
plus attachés à l'OTAN qu'à l'Union européenne. Il
est de fait que l'entrée de la Croatie dans l'OTAN représentera
le double avantage de rendre accessibles les quelque 5.000 kilomètres de
côtes croates à la 6
e
flotte américaine, ainsi
qu'un remarquable marché d'équipement militaire. Les
Américains ont d'ailleurs entamé une coopération technique
très généreuse à l'égard des Croates. Il
convient de rappeler toutefois que l'armée croate bien que victorieuse
sort d'une guerre qui l'a laissée exsangue, trop nombreuse, mal
payée, humiliée par le Tribunal international et dotée
d'un matériel hors d'état de marche ou obsolète dans le
meilleur des cas. Enfin, il existe une convergence de vues entre les
Américains et l'opinion publique croate sur le Tribunal pénal
international. Les Etats-Unis sont d'ailleurs prêts à aider la
Croatie à restaurer l'ordre judiciaire de telle manière que la
Croatie puisse juger ses criminels de guerre sans passer sous les fourches
caudines du Tribunal de La Haye.
4. L'adhésion à l'Union européenne
Si
l'adhésion à l'OTAN peut constituer une satisfaction
diplomatique, l'adhésion à l'Union européenne constitue
malgré tout un enjeu économique indéniable et une
nécessité plus évidente.
Le 29 octobre 2001, un accord de stabilisation et d'association (ASA) a
été signé. La Croatie qui l'a ratifié le 30 janvier
2002, est entrée dans un processus désormais irréversible
de rapprochement avec l'Union européenne. La France a ratifié
à son tour cet accord le 12 mars 2003 (Journal officiel du 13 mars
2003).
Le processus de stabilisation et d'association s'articule autour de cinq volets
essentiels : les réformes démocratiques, le respect des
droits des minorités, la collaboration avec le Tribunal pénal
international, les réformes économiques et le
développement de la coopération régionale. En outre, la
Croatie a lancé un programme de lutte contre la corruption et
d'indépendance des médias.
Dans le domaine des réformes, la Croatie a montré qu'elle pouvait
se doter d'institutions démocratiques stables. Il lui reste à
parachever la réforme du système judiciaire et le processus de
décentralisation. Le projet de loi sur les droits des minorités
respecte les principes exigés par Bruxelles et le Conseil de l'Europe,
même si la question des réfugiés de part et d'autre de la
nouvelle frontière reste entière. Elle demandera sans doute du
temps et une approche au cas par cas. La collaboration avec le Tribunal
pénal international est certes délicate, mais chaque crise a pu
être dénouée.
Les réformes économiques passent par des mesures
drastiques : suppression d'ici mars 2003 de 10.000 postes de
fonctionnaires, diminution de 10 % du traitement de la fonction publique
et fermeture des entreprises d'Etat non compétitives, réduction
de certaines prestations sociales, en vue de réduire le déficit
budgétaire.
Malgré cette feuille de route très exigeante, la Croatie se fait
fort d'être prête pour l'adhésion en 2007, bien
qu'aujourd'hui, aucune date n'ait encore été fixée.
La Croatie est d'ailleurs particulièrement affectée par
l'exigence, indirectement formulée par certains au sein de l'UE,
d'imposer un regroupement des pays des Balkans comme préalable à
l'adhésion. La Croatie défend à juste titre l'approche
individuelle qui permet à chaque pays d'entrer quand il est prêt,
approche qui a prévalu dans le passé pour son voisin
immédiat, la Slovénie. Pour souhaitable que soit le
développement de bonnes relations entre les pays de l'ancienne
fédération communiste, il ne doit pas être un
préalable à l'intégration d'un pays normalement
développé et déjà doté des atouts
nécessaires à sa bonne intégration dans le concert des
nations européennes.
V. LES RELATIONS BILATÉRALES ENTRE LA FRANCE ET LA CROATIE
1. Des relations politiques en voie de renforcement
Le
président Mesic s'est rendu en visite officielle en France, le
25 février 2003. Les entretiens que celui-ci a eus avec M. Jacques
Chirac, Président de la République, ont été
l'occasion d'évoquer notamment l'état de la coopération
avec le Tribunal pénal international, ainsi que la perspective
d'adhésion à l'Union européenne, l'échéance
de 2007 étant évoquée. Il doit revenir à Paris les
18 et 19 juin prochains et il rencontrera à cette occasion le
Président du Sénat, M. Christian Poncelet.
Pour sa part, le Sénat a souhaité en constituant en son sein un
groupe interparlementaire franco-croate marquer sa volonté de
renforcement des liens entre les deux pays sur le plan parlementaire.
2. La visite du groupe interparlementaire en Croatie
L'invitation au Sénat de la présidente du Jupaniski Dom, lors de la réunion des Sénats du monde en mars 2000, avait préfiguré cette démarche. En dépit de la suppression de cette assemblée, que le groupe interparlementaire espère provisoire, un rapprochement s'est opéré avec l'assemblée nationale croate. C'est à l'invitation conjointe de son président, M. Zlatko Tomcic, et du président de la commission pour la coopération interparlementaire et président du groupe interparlementaire Croatie-France, M. Ivo Skrabalo, qu'une délégation de notre groupe sénatorial d'amitié s'est donc rendue en Croatie pour effectuer une première rencontre avec les autorités politiques nationales et locales, en septembre 2002. Le compte-rendu détaillé de cette visite figure au VI ci-après.
3. Les échanges économiques franco-croates
De
l'avis de tous les interlocuteurs rencontrés par la
délégation lors de sa visite de septembre 2002, les
échanges économiques entre la Croatie et la France sont
difficiles et ne sont pas à la hauteur du potentiel. En outre, la France
a pris un retard considérable par rapport aux autres pays
européens en matière d'investissement (1,67 % de tous les
investissements étrangers). Une des explications du peu d'enthousiasme
du côté français tient aux graves problèmes
liés à la détermination de la propriété des
biens immobiliers. Il convient cependant de mentionner l'accord de protection
des investissements, signé le 3 janvier 1996 à Zagreb et
entré en vigueur le 5 mars 1998.
Sur le plan financier, les banques françaises se sont peu
engagées, ne détenant que 3 % des créances des
banques étrangères, à comparer avec les banques allemandes
dont les créances atteignent près de 40 %.
L'aide bilatérale française est néanmoins passée de
0,06 million d'euros en 1999 à 1,37 million d'euros en 2002.
Sur le plan commercial, la France est le 6
ème
fournisseur et
le 8
ème
client de la Croatie et les ventes d'automobiles
françaises sont très encourageantes.
Il reste qu'un effort particulier devra être fait au cours des
années à venir pour stimuler le développement des
échanges franco-croates, notamment dans le domaine de l'énergie,
des matériaux, de l'agro-alimentaire et du tourisme.
4. Des relations culturelles et touristiques prometteuses
Plusieurs événements culturels qui se sont
déroulés en France au cours des dernières années
ont bénéficié de l'apport des richesses artistiques,
historiques et patrimoniales croates.
A titre d'illustration la plus significative, la grande manifestation sur les
Anjous organisée au cours du second semestre 2001 a
particulièrement retenu l'attention. De nombreuses rencontres ont permis
de mettre l'accent sur la riche tradition folklorique croate, ainsi que sur la
qualité des chants polyphoniques, à la beauté desquels les
publics français ont été rendus sensibles grâce
à plusieurs concerts organisés à l'initiative de la
communauté croate installée en France.
Mais beaucoup de trésors archéologiques, monumentaux et
artistiques se dévoilent aussi progressivement à un public
français, grâce au développement du tourisme en Croatie. Le
potentiel dont jouit la Croatie en la matière, tant sur le plan
géographique que culturel, est considérable. Les capacités
d'accueil sont en pleine expansion, accompagnées par d'importants
efforts de promotion. Ceux-ci ne sauraient manquer de porter leur fruit au
cours des années à venir, créant ainsi les conditions d'un
rapprochement progressif et durable entre Français et Croates.
Ce mouvement sera l'un des facteurs clés du renforcement des liens
politiques, économiques et d'amitié entre nos deux pays.
VI. LE COMPTE RENDU DE LA MISSION
1. Un accueil très chaleureux
Une
Délégation du groupe interparlementaire s'est rendue en Croatie
du 18 au 22 septembre 2002 à l'invitation du groupe Croatie-France du
Sabor, lequel est présidé par le député Ivo
Skrabalo, remarquable francophone et vrai défenseur des
intérêts de la France. Elle a été très
chaleureusement reçue et les autorités croates ainsi que notre
ambassadeur, Son Excellence M. Francis Bellanger, avaient préparé
un programme remarquable qui a permis à la délégation en
quelques jours d'entrer de plain-pied dans la réalité croate.
Qu'il soit permis de rendre ici hommage à tous ceux qui ont rendu ce
voyage mémorable : à nos amis Croates, M. Yvo Skrabalo, Son
Excellence M. Bozidar Gagro, ambassadeur de Croatie en France et M.
Zvonimir Frka-Petesic, secrétaire près l'Ambassade de Croatie en
France, ainsi qu'à notre ambassadeur dont la délégation a
apprécié l'érudition passionnée, la franchise et
l'entière disponibilité, et à son équipe,
particulièrement M. Gilles Thibault, M. Philippe Latapie et M. Eric
Playout.
Cette mission a offert également un aperçu de la
réalité géographique et humaine du pays puisque les
déplacements ont eu lieu du nord au sud : de Vukovar à
Dubrovnik en passant par Osijek et Dakovo. C'est avec émotion que votre
délégation a découvert les conséquences dramatiques
de la guerre qui a suivi la sortie de la Croatie de la fédération
yougoslave. Devant les dégâts matériels (les deux tiers de
la région de Vukovar sont sinistrés), dans les cimetières
aménagés aux abords des charniers, au coeur des églises
bombardées et profanées, devant les tombes ouvertes (Eglise
Saint-Philippe et Saint-Jacques à Vukovar), au bord du Danube dans des
châteaux et des hôtels dont ne subsiste que l'ossature
(château baroque d'Eltz et Grand Hôtel de Vukovar), elle a ressenti
la blessure des Croates et compris leur nationalisme. Il lui est apparu que la
Croatie sortait à peine de la guerre et que le reste de l'Europe n'avait
pas suffisamment pris la mesure des conséquences de cette guerre
terrible pour l'importante portion du territoire croate qui en a
été le théâtre.
2. Des entretiens politiques au plus haut niveau
La
mission de votre délégation, qui avait le mérite
d'inaugurer le travail interparlementaire en Croatie puisqu'elle
représentait le premier groupe de parlementaires étrangers
reçus à ce titre par le Sabor, a revêtu un caractère
exceptionnel grâce à nos amis Croates. Ainsi, votre
délégation a été reçue par les deux plus
hautes autorités politiques du pays :
- M. Stjepan MESIC, président de la République ;
- M. Zlatko TOMCIC, président du Sabor.
• La rencontre avec M. Stjepan MESIC
Le président MESIC a longuement reçu la délégation
en déclarant d'abord tout l'intérêt qu'il portait à
la coopération interparlementaire et en soulignant qu'à ses yeux
la disparition du Sénat croate ne devait en rien changer la
coopération existant avec le Sénat français, car bien
qu'il s'agisse de coopération interparlementaire, elle ne devait pas se
limiter au Parlement, mais s'exercer, selon lui, avec l'ensemble des
institutions des deux pays.
Le président MESIC a ensuit répondu à la question de la
délégation sur les difficultés de l'adhésion
à l'Union européenne, rappelant que l'accord de stabilisation
était signé, que la Croatie était membre de l'OMC, et que
l'armée se modernisait pour répondre aux normes de l'OTAN. Il n'a
pas dissocié l'adhésion à l'Union européenne de
celle à l'OTAN les présentant comme deux objectifs liés.
L'une des premières difficultés que le président MESIC a
mise en exergue est celle liée au passage d'une économie
dirigée à une économie de marché libre. Mais il
s'est réjoui à l'idée que la Croatie dont l'histoire
montrait qu'elle avait une longue expérience des unions (la plupart du
temps des « unions imposées ») allait enfin entrer
dans une union librement choisie.
Elle a également interrogé le président MESIC sur
l'affaire Bobetko, qui a éclaté pendant notre séjour et
provoqué un sursaut de nationalisme au sein de l'ensemble du pays. En
effet, le général Bobetko, ancien résistant au
régime imposé par les nazis, ancien participant de l'insurrection
de 1971 contre le régime communiste et héros de la guerre
d'indépendance, venait d'être inculpé par le Tribunal
pénal international. Comme il a été dit plus haut, le
président MESIC a alors exposé sa position hostile à
l'idée de responsabilité collective (position qui n'a pas
semblé à votre délégation en phase avec la
majorité de l'opinion croate). Il a saisi cette occasion pour annoncer
qu'il irait lui-même témoigner au TPI (contre Milosevic), ce qu'il
a fait depuis lors.
• La rencontre avec M. Zlatko TOMCIC
L'autre temps fort politique a été la séance de travail
avec le président du Sabor, M. Zlatko Tomsic qui est membre du Parti
paysan de Croatie (HSS) lequel appartient à la coalition gouvernementale
mais reste courtisé par l'opposition de droite, car il pourrait
constituer le pivot d'un futur gouvernement.
M. Zlatko Tomsic s'est dit convaincu que de bonnes relations
interparlementaires étaient un préalable nécessaire
à de bonnes relations bilatérales et il a rappelé que
notre délégation était la première à rendre
visite au Sabor. Il a ensuite abordé le développement des
relations entre la France et la Croatie et l'intégration euro-atlantique.
Il a déploré que des circonstances malheureuses aient
retardé l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne et
il s'est réjoui de la position très favorable de l'opinion
publique en faveur de l'UE (75 à 80 % dans les sondages), mais il
reconnu que l'opinion publique ignorait encore les tracasseries du passage au
crible des 31 chapitres et les sacrifices liés à l'entrée
à l'UE.
M. Tomsic a surtout insisté sur le fait qu'il était favorable
à une approche individuelle de l'élargissement et plaidé
afin que l'on fasse entrer les candidats au fur et à mesure qu'ils
étaient prêts (et non pas par
« fournée »).
Enfin, répondant à une question sur la représentation des
Croates à l'étranger, M. Tomsic nous a fait sentir
parallèlement toute l'importance des
questions des
minorités
(cf. supra). Il a également abordé la
question des minorités croates à l'étranger, distinguant
avec humour « plusieurs catégories de
Croates » :
- les Croates de Croatie ;
- les Croates de Bosnie Herzégovine ;
- les Croates « autochtones » vivant à
l'étranger, en Voïvodine, en Slovaquie, en Italie, en
Roumanie ;
- la diaspora croate (il y a 4 millions de Croates aux Etats-Unis et en
Australie, descendant de ceux qui ont émigré et 1,5 million
d'entre deux parlent encore le croate) ;
- les « Gastarbeiter » (il s'agit des Croates
travaillant provisoirement en Allemagne).
Il a rappelé que, selon la loi, seules les Croates vivant en Croatie
peuvent voter en Croatie et que ce principe lui semblait bon, mais il a reconnu
qu'il serait souhaitable que les Croates de l'étranger puissent
être représentés ne serait ce que de
« manière symbolique ».
3. Une immersion dans la réalité locale
Avant de
partir pour la province, votre délégation a fait deux visites
« coup de projecteur » : l'une dans une entreprise
agroalimentaire qui lui est apparue à la pointe du progrès et de
l'organisation. Cette entreprise (LURA) traite avec 26.000 petits fournisseurs
dont elle assure l'adaptation aux normes européennes.
L'autre visite a été consacrée au Musée Mimara de
Zagreb, collection d'oeuvres d'art rassemblées par un
mécène croate éclairé au goût aussi sûr
qu'éclectique, ce qui a permis à votre délégation
de mesurer l'importance de la culture classique dans les traditions de ce pays.
Ce voyage en province l'a ensuite emmenée à Osijek, Vukovar dans
le nord et Dubrovnik dans le sud. Ces régions ont été
touchées par la guerre et en portent encore les séquelles.
• L'administration locale et les problèmes locaux
En province, votre délégation a participé à
plusieurs réunions de travail avec les élus locaux (maires et
joupans)
Les entretiens avec les élus locaux ont révélé :
- que la coopération entre les régions et les communes
était bonne tandis que la coopération avec l'Etat était
plus difficile ;
- que la propriété du sol posait encore un problème et que
le cadastre n'était pas fiable ;
- que la décentralisation mise en place un an auparavant ne faisant
pas encore sentir ses avantages et que le contrôle a priori continuait
à se pratiquer ;
- que la tâche essentielle des collectivités territoriales
était de faire revivre l'économie après le communisme et
la guerre ;
- qu'il y avait d'immenses disparités de revenus fiscaux d'une
collectivité locale à l'autre et que l'Etat central assurait la
péréquation en modulant ses transferts ;
- enfin, et surtout, que les transferts de l'Etat aux collectivités
territoriales étaient insuffisants, de même que les ressources
allouées pour financer les responsabilités qui leur
étaient confiées (les élus locaux que nous avons
rencontrés ont déploré que le transfert de
l'éducation primaire aux communes et secondaire aux régions ne se
soit pas accompagné du transfert d'un budget suffisant).
Il est donc apparu que les élus locaux, avec pragmatisme, faisaient plus
grand cas de la remise en marche de l'économie et de la recherche des
investissements que de la défense des libertés locales,
lesquelles sont de toute manière déjà bien plus
développées que du temps du régime communiste. La gestion
quotidienne et la reconstruction l'emportent sur les clivages politiques et le
débat d'idées.
C'est d'ailleurs ce qui frappe d'abord le visiteur étranger en
Croatie : le pragmatisme d'une nation qui se reconstruit en luttant contre
les conséquences de deux fléaux qui nous semblent lointains mais
qui, pour la nation croate, sont encore présents et douloureux dans la
mémoire collective : le communisme et la guerre.
VII. ADOPTION DU RAPPORT DE LA MISSION PAR LE GROUPE INTERPARLEMENTAIRE
Le
groupe France-Croatie s'est réuni le 6 mai 2003, sous la
présidence de
M. Alain Gérard
, Sénateur du
Finistère, président du groupe.
|
« Quatrième » de couverture
1989-1991
: Après la chute du Mur de
Berlin, les
premières élections libres sont organisées et la Croatie
s'achemine vers l'indépendance quand le pouvoir fédéral de
Belgrade engage une action militaire pour empêcher la Croatie de sortir
de la fédération, droit pourtant reconnu par la constitution
fédérale.
15 janvier 1992
: La Communauté européenne
reconnaît la Croatie ; la guerre d'indépendance a fait 15.000
morts, des milliers de réfugiés et 37 milliards de dollars
de dégâts.
21 février 2003
La Croatie dépose officiellement sa
candidature à l'Union européenne.
Aujourd'hui, la Croatie se relève courageusement de l'épreuve de
la guerre et de la reconstruction et jouissant d'une remarquable situation
géographique, d'une population homogène, d'une agriculture
diversifiée, d'un excellent réseau de petites et moyennes
entreprises, d'un bon système éducatif et d'un potentiel
touristique très enviable, la Croatie peut envisager sereinement
l'intégration euro-atlantique.