Rapport de groupe d'amitié n° 69 (2005-2006) - 28 septembre 2006

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RAPPORT DE MISSION

FAIT

au nom du groupe interparlementaire d'amitié France-Afrique Centrale

sur son déplacement au Burundi et au Rwanda du 1 er au 6 juin 2006

Par MM. André ROUVIERE, président délégué pour le Burundi,
Gérard ROUJAS, président délégué pour le Rwanda
André DULAIT et François TRUCY

Sénateurs,

Le groupe d'amitié France-Afrique Centrale est composé de : MM. Jean-Pierre CANTEGRIT, président, Joël BOURDIN, André BOYER, Mme Paulette BRISEPIERRE, MM. Christian COINTAT, Yves DAUGE, André DULAIT, Jean FAURE, André FERRAND, François FORTASSIN, Yann GAILLARD, Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, MM. Paul GIROD, Jean-Pierre GODEFROY, Michel GUERRY, Jean-François HUMBERT, Mme Christiane KAMMERMANN, M. Jacques LEGENDRE, Mme Hélène LUC, MM. Jacques PELLETIER, Philippe NACHBAR, Bernard PIRAS, Jean-Pierre PLANCADE, Jean PUECH, Gérard ROUJAS, André ROUVIERE, Mme Catherine TASCA, MM. Henri TORRE, André TRILLARD, François TRUCY, Alex TURK, Jean-Marie VANLERENBERGHE.

COMPOSITION DE LA DÉLÉGATION

La délégation était composée de :

- M. André Rouvière (Soc. - Gard), président, président délégué pour le Burundi

- M. Gérard Roujas (Soc. - Haute Garonne), président délégué pour le Rwanda

- M. André Dulait (UMP - Deux Sèvres)

- M. François Trucy (UMP - Var)

La délégation était accompagnée par Mme Alix Ollivry, secrétaire exécutif du groupe d'amitié.

Remerciements :

Les ambassades de France à Bujumbura et à Kigali ont apporté un soutien efficace pour l'organisation de cette mission.

Les plus vifs remerciements doivent être adressés tout particulièrement à M. Dominique Decherf, ambassadeur de France à Kigali, à M. Daniel Zeldine, premier conseiller à Bujumbura, et à M. Serge Pinson.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat français a engagé, depuis quelques mois, une coopération étroite avec le jeune Sénat du Burundi, qui a notamment pris la forme d'actions de formation de ses cadres.

Ce rapprochement et les relations d'amitié qui se sont établies au fil des rencontres ont conduit le groupe d'amitié France-Afrique centrale à accepter avec enthousiasme l'invitation de ses homologues du Burundi à se rendre dans leur pays.

Compte tenu de la proximité des deux pays et de leur histoire proche et pourtant singulière, il a été décidé de compléter de déplacement par une visite de quelques jours au Rwanda.

Une délégation de quatre sénateurs a entrepris ce voyage, le premier du groupe d'amitié vers ces deux destinations depuis 1985, du 1 er au 6 juin 2006, avec deux objectifs : nouer des liens durables avec les sénateurs burundais et rwandais et mieux comprendre ces deux pays éprouvés par l'histoire.

Cette visite a tenu ses promesses. Au Burundi, l'accueil chaleureux qui a été réservé aux sénateurs français a confirmé les relations d'amitié fortes qui existent entre les deux institutions. La possibilité de développer des jumelages et des actions de coopération décentralisée a été longuement évoquée lors des rencontres avec les autorités locales. Souhaitons que ce mode de coopération constitue une prochaine étape des relations entre la France et le Burundi dans les années à venir.

Au Rwanda, la visite de la délégation sénatoriale, porteuse d'un message d'amitié et de solidarité, a constitué une nouvelle preuve de la volonté de la France de rétablir des liens de confiance avec le Rwanda, dans le respect de la justice et sans méconnaître l'histoire.

I- BURUNDI : CONFORTER LES ESPOIRS D'UN PEUPLE MEURTRI

Chronologie

- 1896 : le royaume du Rwanda-Urundi est intégré au protectorat colonial allemand.

- 1918 : le royaume est placé sous mandat de la société des nations et administré par la Belgique.

- 1961 : assassinat du prince Louis Rwagasore, fondateur de l'UPRONA.

- Juillet 1962 : indépendance du Burundi .

- Novembre 1966 : coup d'Etat militaire qui met fin à la monarchie et porte au pouvoir le colonel Micombero.

- 1972 : répression militaire visant essentiellement les élites hutues, en représailles à la formation d'une rébellion hutue par des leaders exilés en Afrique de l'Est.

- 1976 : coup d'Etat du colonel Bagaza.

- 1987 : coup d'état du major Pierre Buyoya.

- 1992 : Pierre Buyoya amorce une ouverture politique (constitution autorisant le multipartisme).

- Juin 1993 : premières élections démocratiques de l'histoire du Burundi. Melchior Ndadaye (Hutu, FRODEBU) est élu président.

- 21 octobre 1993 : assassinat, par l'armée, du Président Ndadaye. Massacres visant, dans un premier temps, la communauté tutsie, puis répression militaire contre la communauté hutue.

- Juin 1994 : émergence d'une rébellion armée hutue, le CNDD-FDD de Léonard Nyangoma, issue d'une scission au sein de Frodebu.

- Septembre 1994 : désignation à la tête de l'Etat de Sylvestre Ntibantunganya en remplacement du Président Ntaryamira, décédé dans l'attentat contre le président Habyarimana (6 avril 1994).

- Juillet 1996 : retour au pouvoir du major Buyoya avec l'aide de l'armée. Le pays est placé sous embargo par ses voisins régionaux jusqu'en janvier 1999.

- 28 août 2000 : signature de l'accord de paix d'Arusha , en l'absence des principaux mouvements rebelles.

- Octobre 2001 : Pierre Nkurunziza et Hussein Radjabu prennent contrôle du CNDD-FDD.

- 1 er novembre 2001 : entrée en fonction du gouvernement de transition issu des accords d'Arusha.

- Avril 2003 : déploiement de la MIAB, première force de maintien de la paix de l'Union Africaine.

- 1 er mai 2003 : fin de la première phase de la transition. Le vice-président Ndayizeye succède à Pierre Buyoya.

- 16 novembre 2003 : signature d'un accord de paix entre le gouvernement et le CNDD-FDD de Pierre Nkurunziza.

- 6 janvier 2004 : mise en place de l'état-major intégré des armées (armée gouvernementale/FDD).

- Juin 2004 : déploiement, en relais de la MIAB, d'une force de maintien de la paix des Nations-Unies (Onub).

- Février 2005 : adoption par référendum de la constitution pour la période post transition.

- Juillet 2005: large victoire du CNDD-FDD aux élections législatives.

- 19 août 2005: élection de Pierre Nkurunziza à la présidence de la République.

A. UN PAYS SORTI EXANGUE D'UNE HISTOIRE CHAOTIQUE

1. Les années noires

Au lendemain de son indépendance, en 1962, le Burundi connaît des violences politiques qui dégénèrent progressivement en affrontements entre les communautés hutue (85 % des habitants) et tutsie (15 %), cette dernière détenant l'essentiel du pouvoir. Les massacres les plus importants sont, à cette époque, attribués à l'armée et visent à éliminer les élites hutues du pays.

Puis une série de coups d'Etat militaires tend à confisquer le pouvoir au bénéfice de la minorité tutsie issue de la province de Bururi (sud du Burundi). C'est cependant le Président Pierre Buyoya, originaire de cette province, qui introduit le multipartisme en 1992 et négocie pour la première fois avec les partis modérés hutus.

Cette ouverture aboutit à la tenue, en 1993, des premières élections démocratiques depuis l'indépendance, qui portent pour la première fois un Hutu à la Présidence de la République, Melchior Ndadaye, le Front démocratique burundais (Frodebu), à dominante hutue, disposant de la majorité absolue à l'Assemblée nationale. Mais le 21 octobre 1993, son assassinat par un groupe d'officiers putschistes marque le début d'une guerre civile qui s'étend progressivement dans tout le pays et durera treize ans. L'armée burundaise, dirigée par les Tutsis, ne peut, en effet, empêcher l'émergence d'une rébellion armée hutue , le CNDD-FDD, qui prend le contrôle d'une partie du territoire.

La mort simultanée des présidents burundais et rwandais dans l'attentat du 6 avril 1994, le déclenchement du génocide rwandais et ses conséquences déstabilisatrices sur le Burundi du fait de l'afflux de réfugiés qu'il entraîne, aggravent encore la situation.

Sous la pression de l'armée, Pierre Buyoya accède à nouveau au pouvoir le 25 juillet 1996. Soumis à la pression des pays voisins, il engage alors un processus de négociations politiques.

2. Vers la paix

a) L'accord d'Arusha

Entamés en juin 1998, interrompus par le décès, en octobre 1999, du médiateur tanzanien Julius Nyerere, les pourparlers de paix sont relancés par la désignation de Nelson Mandela comme nouveau médiateur le 1 er décembre 1999.

Le 28 août 2000 , un accord politique pour la paix et la réconciliation au Burundi est conclu à Arusha, en Tanzanie. Le texte de l'accord comprend deux protocoles :

- le premier analyse la nature du conflit burundais et justifie les solutions préconisées pour sortir du conflit, notamment la prise en compte des réalités ethniques pour parvenir à une démocratie stabilisée ;

- le second, intitulé « démocratie et bonne gouvernance », comprend les dispositions promulguées le 28 octobre 2001 sous le nom de « Constitution de transition de la République du Burundi », qui demeurera en vigueur jusqu'à la promulgation de la Constitution du 18 mars 2005.

L'accord d'Arusha n'est toutefois pas signé par les principaux mouvements de rébellion, notamment le FNL-Palipehutu et le CNDD-FDD, qui poursuivent les combats et retardent son application. Malgré l'absence de cessez-le-feu, les institutions de la transition se mettent en place à partir de novembre 2001, sur la base d'un partage du pouvoir entre Hutus (60 % des postes) et Tutsis (40 %), et le rétablissement de la paix et de la démocratie s'amorce.

La période de transition est fixée par les accords de paix à deux périodes de dix-huit mois avec une alternance du pouvoir entre Tutsis et Hutus à l'issue de la première période. Du 1 er novembre 2001 au 30 avril 2003, la transition est ainsi présidée par Pierre Buyoya, épaulé d'un vice-président hutu, Domitien Ndayizeye, qui lui succède ensuite pacifiquement pour conduire la seconde phase du processus. Il est épaulé par un vice-président tutsi, Alphonse Kadege, remplacé par Frédéric Ngenzenbuhoro, le 11 novembre 2004.

La mise en place du gouvernement de transition s'est accompagnée du déploiement d'une force intérimaire de maintien de la paix de 2.870 soldats sud-africains, éthiopiens et mozambicains sous l'égide de l'Union africaine, à laquelle s'est substituée en juin 2004 une opération de maintien de la paix des Nations-Unies, dotée de 5.800 hommes.

b) L'aboutissement du processus de paix

Le processus de paix connaît une accélération sans précédent avec le ralliement de la principale rébellion hutue, le CNDD-FDD , par un accord de cessez-le-feu signé le 16 novembre 2003. Après avoir obtenu satisfaction sur sa principale revendication - la mise en place d'un état-major intégré et la promesse d'une intégration partielle de ses troupes dans les futures forces de sécurité du pays - il accepte d'intégrer les institutions de transition, ce qui permet d'améliorer significativement la sécurité sur l'ensemble du territoire. A partir de cette date et en dépit de plusieurs tentatives de médiation, seul le FNL reste en marge du processus de paix.

Sous l'égide de l'Afrique du Sud, un accord sur le partage du pouvoir pour la période post transition est ensuite intervenu le 5 août 2004 à Pretoria. C'est sur cette base qu'une nouvelle Constitution est élaborée et adoptée par référendum en février 2005, permettant la tenue des élections après deux reports successifs du calendrier (la communauté internationale a accordé une prolongation de neuf mois de la période initiale de transition à cet effet).

L'ensemble des élections prévues par les accords de paix ont eu lieu entre mars et août 2005, en présence d'observateurs internationaux de l'Union européenne, de l'Union africaine et de l'organisation internationale de la francophonie.

B. UN NOUVEL ÉLAN

1. La transition : un succès à confirmer

Au soir des dernières élections, en juillet 2005, le CNDD-FDD a remporté une large victoire sur l'ensemble des scrutins organisés - élections municipales, législatives, sénatoriales et présidentielles - dans des conditions de transparence jugées exemplaires par les observateurs internationaux, malgré les événements survenus dans deux provinces. Son candidat, Pierre Nkurunziza, est en conséquence élu, par le Parlement burundais, à la présidence de la République. L'aboutissement de la transition burundaise est porteur d'espoir pour l'ensemble de la région des Grands Lacs. Elle constitue également, à n'en pas douter, un succès pour l'Union africaine et les Nations-Unies qui ont fortement soutenu le processus de paix.


Les résultats des élections de 2005

- 3 juin 2005, élections communales : le CNDD-FDD1 obtient 55,5 % des sièges en jeu, le Frodebu 24,50 % et l'Uprona 8,1 % ;

- 4 juillet 2005, élections législatives : le CNDD-FDD remporte cinquante-neuf des cent sièges, le Frodebu vingt-quatre, l'Uprona dix, le CNDD cinq et le MRC4 deux. Pour atteindre la répartition fixée à 60 % pour les Hutus et 40 % pour les Tutsis et respecter le quota de 30 % de femmes, dix-huit autres députés ont été cooptés, ce qui porte à 118 le nombre actuel des membres de l'Assemblée nationale. Celle-ci compte désormais soixante-neuf Hutus, quarante-six Tutsis et trois Twas, le nombre de députés femmes s'élevant à trente-six. Le 16 août 2005, l'Assemblée nationale a élu à sa présidence Mme Immaculée Nahayo (CNDD-FDD), première femme à occuper ce poste au Burundi.

- 29 juillet 2005, élections sénatoriales : le CNDD-FDD remporte trente sièges, le Frodebu trois sièges et le CNDD un seul. Pour respecter la répartition ethnique paritaire, le quota de 30 % réservé aux femmes et la règle de l'attribution de trois sièges à l'ethnie Twa, plusieurs sénateurs ont été cooptés. Le nombre total de sénateurs s'établit donc à quarante-neuf, dont quatre anciens présidents de la République, membres de droit du Sénat, et dix-sept femmes. Le 16 août 2005, le Sénat a élu à sa présidence Gervais Rufyikiri (CNDD-FDD).

- 19 août 2005 : les deux chambres réunies en session conjointe ont élu M. Pierre Nkurunziza (CNDD-FDD) Président de la République, qui a prêté serment le 26 août.

- 29 août 2005 : le Parlement a approuvé la nomination aux vice-présidences de la République de Martin Nduwinana (Tutsi-UPRONA) et d'Alice Nzomukunda (Hutue-CNDD-FDD).

L'objectif des nouvelles autorités burundaises est, désormais, de consolider les acquis du processus de paix et d'éviter les erreurs commises au lendemain des premières élections libres de 1993, qui avaient vu la confiscation du pouvoir au profit de la seule majorité hutue.

A cet effet, l'équilibre fixé par les accords de paix a scrupuleusement été respecté lors de la formation du Gouvernement, avec la nomination de ministres hutus (60 %) et tutsis (40 %). De même, le contrôle de la Haute Hiérarchie militaire par la minorité tutsie n'a pas, dans un premier temps, été remis en cause.

Les défis de l'après-transition n'en demeurent pas moins immenses et nécessitent le maintien d'un engagement important de la communauté internationale dans le pays. Les autorités burundaises, en raison de leur inexpérience de la gestion des affaires publiques et de la faiblesse des moyens dont elles disposent, sont en effet peu préparées à y répondre.

Sur le plan sécuritaire

Les acquis du processus de paix sont, sur ce point, encore fragiles. En effet, le programme de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) des ex-combattants, qui a débuté le 2 décembre 2004, doit être intégralement achevé pour garantir le retour à la paix. Par ailleurs, la rébellion du FNL, principalement active dans la province de Bujumbura rural, continue la lutte armée et conserve un pouvoir de nuisance important. Elle refuse, jusqu'à présent, le processus de paix, même si les négociations en cours à Dar-es-Salam laissent espérer un règlement de cette question à moyen terme.

Un an après la fin de la transition, le premier bilan est mitigé : la poursuite du programme DDR s'est déroulée au rythme prévu et l'intensification des opérations militaires a limité le pouvoir de nuisance des FNL mais a compromis, pour le moment, les différentes tentatives de médiation.

Sur le plan économique et social

Il s'agit de relancer une économie sinistrée par dix ans de guerre civile. La stabilisation politique a permis un début de redémarrage économique et le taux de croissance s'est élevé à 5 % en 2005. Le Burundi, quatrième pays le plus pauvre de la planète, doit cependant faire face à des handicaps structurels lourds : une très forte densité démographique, qui limite le nombre de terres cultivables par ménage, une dépendance énergétique quasi absolue et une faiblesse générale des infrastructures.

Pour obtenir une aide internationale pérenne, le Burundi s'est engagé dans la normalisation de ses relations avec les créanciers extérieurs . En janvier 2004, un accord pour faciliter la réduction de la pauvreté et la croissance (FRPC) a ainsi été signé avec le FMI pour un montant de 106 millions de dollars. Le Burundi a également obtenu, en mars 2004, un premier rééchelonnement de dette au club de Paris. Il bénéficie, en outre, de l'initiative « pays pauvres très endettés » (PPTE) pour l'allégement de sa dette, depuis l'atteinte du point de décision du programme en juillet 2005. Ces avancées devraient être confortées par la conférence des bailleurs prévue en septembre 2006 pour établir un plan de reconstruction du pays.

Mesure essentielle et symbolique, l' enseignement primaire est désormais gratuit afin d'améliorer le niveau d'éducation de la population. La conséquence logique est que les autorités doivent gérer un doublement du nombre d'élèves, la formation d'enseignants supplémentaires et la construction de locaux supplémentaires en urgence. De fait, les engagements pris dans le domaine de l'éducation ne pourront être respectés sans un soutien accru des bailleurs.

En outre, la politique de réconciliation nationale doit être poursuivie, conformément aux objectifs fixés par les accords d'Arusha.

2. Le Parlement : un élément moteur de la démocratisation

Le Burundi est désormais engagé dans une phase de consolidation , durant laquelle les institutions - et particulièrement le Parlement -, auront un rôle crucial à jouer, ainsi que le prévoit la Constitution du 18 mars 2005.

Tenant compte de la nature du conflit burundais tel que l'a qualifié l'accord d'Arusha, « un conflit fondamentalement politique avec des dimensions ethniques extrêmement importantes » , la nouvelle Constitution exprime tout d'abord le souci d'une représentation équilibrée des ethnies, des forces politiques et des sexes , opérée selon une clé de répartition contraignante. Ce principe s'applique au Parlement, comme au pouvoir judiciaire, à l'administration, aux corps de défense et de sécurité et aux conseils municipaux.

Dans la continuité des principes de l'accord d'Arusha du 28 août 2000 et de la Constitution de transition du 28 octobre 2001, le texte du 18 mars 2005 confirme également la mise en oeuvre d'une organisation bicamérale , alors que la Constitution du 13 mars 1992 et puis le décret-loi du 13 septembre 1996 portant sur l'organisation du système institutionnel de transition, devenu acte constitutionnel de transition le 6 juin 1998, confient le pouvoir législatif à une assemblée unique.

Un nombre important de dispositions constitutionnelles est commun aux deux assemblées et à leurs membres. C'est le cas pour le régime des éligibilités et des immunités, l'exercice du mandat parlementaire, le pouvoir de contrôle des assemblées et le droit d'initiative législative, même si les propositions sénatoriales sont soumises en première lecture à l'Assemblée nationale.

L'Assemblée nationale se distingue du Sénat en ce qu'elle est composée d'au moins cent députés, à raison de 60 % de Hutus et de 40 % de Tutsis, y compris un minimum de 30 % de femmes, pondération identique à celle du Gouvernement mais différente de celle du Sénat qui doit comprendre un nombre identique de sénateurs Hutus et de sénateurs Tutsis. Son régime électoral varie également : alors que les sénateurs sont élus au suffrage universel indirect, les députés sont élus au suffrage universel direct, au scrutin de listes bloquées et à la représentation proportionnelle.

Avec l'instauration d'un bicamérisme différencié, le Sénat burundais, pour sa part, se voit confier, outre des compétences législatives importantes, la mission générale de « contrôler l'application des dispositions constitutionnelles exigeant la représentativité ethnique et de genre et l'équilibre dans toutes les structures et les institutions de l'Etat, notamment l'administration publique et les corps de défense et de sécurité » . Sa mission de contrôle et de régulation le place donc au coeur du processus de restauration de la démocratie. Ainsi, il est seul à :

- être saisi du rapport de l'ombudsman sur tout aspect de l'administration publique ;

- pouvoir mener des enquêtes dans l'administration publique et, le cas échéant, faire des recommandations pour s'assurer qu'aucune région ou aucun groupe n'est exclu du bénéfice des services publics ;

- être chargé de contrôler l'application des dispositions constitutionnelles exigeant la représentativité ethnique et de genre et l'équilibre dans toutes les structures et institutions de l'Etat, notamment l'administration publique et les corps de défense et de sécurité ;

- approuver les nominations aux emplois supérieurs civils et militaires proposées par le Président de la République.

Il est composé de :

- deux délégués de chaque province, élus par un collège électoral composé de membres des conseils communaux, provenant de communautés ethniques différentes et élus par des scrutins distincts. C'est donc la double règle de l'égalité des provinces et de la parité ethnique qui fonde l'élection de cette première catégorie. Le mode de scrutin est original puisqu'il s'agit d'un scrutin uninominal à trois tours ;

- trois sénateurs issus de l'ethnie Twa, la Constitution ne précisant pas leur mode de désignation ;

- des anciens chefs d'Etat, nommés sénateurs à vie de plein droit dès la cessation de leurs fonctions présidentielles.

Le Sénat du Burundi est donc une institution manifestement originale , dotée de véritables pouvoirs, mais dont le rôle et l'influence au sein des institutions seront largement conditionnés par l'usage qu'il en fera pour le service de son pays et la défense de la démocratie.

C. UN SOUTIEN INDISPENSABLE DES PARTENAIRES EXTÉRIEURS

1. Une certaine méfiance vis-à-vis de la communauté internationale

Le Burundi, après des années de guerre civile et face à la difficulté de gérer l'après-transition, a plus que jamais besoin d'un soutien extérieur, sur le plan économique comme au niveau du maintien de la paix. Pourtant, les nouvelles autorités burundaises souhaitent limiter au maximum l'ingérence de la communauté internationale dans les affaires intérieures du pays.

C'est ainsi que le Gouvernement a demandé, dans un contexte sécuritaire encore fragile, le retrait immédiat de 60 % des effectifs de la force de maintien de la paix des Nations-Unies (Onub), se résignant finalement à un désengagement progressif sur l'ensemble de l'année 2006 (résolution 1650). Il s'est également montré réticent à accepter la mise en place d'un mécanisme d'accompagnement de l'après-transition par la communauté internationale (forum des partenaires du Burundi), souhaitant circonscrire le rôle de ce mécanisme à une coordination de l'aide internationale pour la reconstruction.

Les réticences sont moins grandes vis-à-vis de l'Union européenne , qui dispose, dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (Pesc), d'un envoyé spécial pour la région des Grands Lacs et a fortement soutenu le processus d'Arusha. L'Union a notamment financé, à hauteur de 1,23 million d'euros, le déploiement d'observateurs militaires à cette occasion. La nomination du Gouvernement de transition s'est ensuite traduite par la reprise de l'aide via le fonds européen de développement (Fed), à partir de novembre 2001. Ces crédits ont notamment bénéficié au développement rural (environ 50 %), à l'appui macro-économique (27,5 %) et à la bonne gouvernance (17 %).

2. L'amélioration progressive des relations régionales

Après la suspension, en janvier 1999, de l'embargo économique, mis en place le 31 juillet 1996 à l'encontre du Burundi par les Etats de la région - regroupés au sein de l'initiative régionale de paix pour le Burundi , principalement menée par l'Ouganda, la Tanzanie et l'Afrique du Sud - et la signature de l'accord d'Arusha en août 2000, les relations du Burundi avec ses voisins se sont progressivement réchauffées.

La fin de la transition et l'élection de Pierre Nkurunziza à la présidence de la République ont également favorisé un rapprochement entre Kigali et Bujumbura , notamment sur la question des groupes armés dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC).

Les progrès sont également palpables dans les relations que le Burundi, qui a été un acteur important de la crise des Grands Lacs et des guerres menées en 1998 sur le sol congolais, entretient aujourd'hui avec la RDC, le retrait de l'armée burundaise du territoire congolais puis le ralliement au processus de paix des principales rébellions burundaises, qui utilisaient l'Est de la RDC comme une base arrière, ayant permis un apaisement des relations entre les deux pays. Le Burundi a ainsi rejoint, en août 2005, la cadre des consultations tripartites entre la RDC, le Rwanda et l'Ouganda pour accélérer le désarmement des groupes armés qui restent actifs dans la région. Toutefois, la question du FNL , qui, selon, Bujumbura, entretiendrait une présence dans le Sud-Kivu, reste cependant une source de tension .

L' Union africaine demeure, pour sa part, attentive à l'évolution de la situation au Burundi, où elle avait décidé de déployer sa première opération de maintien de la paix au Burundi, la mission interafricaine au Burundi (MIAB), financé en partie par l'Union européenne, qui avait permis d'aider au respect du cessez-le-feu du 3 décembre 2002 et au cantonnement des combattants avant l'arrivée de l'Onub en juin 2004.

3. Les espoirs suscités par l'action de la France

Dans ce contexte, la France a un rôle essentiel à jouer comme pivot de l'aide internationale au Burundi, dans le respect des limites fixées par les autorités burundaises. C'est en effet elle qui a relancé la première les programmes de coopération dès 1998 et a, ainsi, fortement contribué au retour de l'aide internationale au Burundi. Il convient de rappeler, à cet égard, qu'à la veille de la crise de 1993, la France était le premier bailleur du Burundi avec une aide de 280 millions de francs par an et une centaine d'assistants techniques en poste sur place.

La France a pris, logiquement, une part importante à l'effort de reconstruction du pays, en aidant à la réinstallation des populations sinistrées par la guerre, au ravitaillement et au pré-cantonnement des combattants, à l'appui à la commission électorale indépendante et à la réforme des administrations économiques et financières. De fait, l'aide bilatérale en faveur du Burundi est progressivement montée en puissance : elle est passée d'environ 4 millions d'euros en 2001 à 8,7 millions d'euros en 2005 , soit un doublement des engagements.

Son action s'est récemment poursuivie avec :

- l'envoi à Bujumbura, en novembre 2005, d'une mission tripartite composée des ministères des affaires étrangères et de l'économie, ainsi que de l'agence française de développement (AFD), pour préparer la reprise des activités de l'AFD au Burundi et identifier des secteurs qui pourraient être concernés ;

- puis le démarrage, au début de l'année 2006, de deux nouveaux projets qui concernent la réforme des forces de police burundaises et le soutien à l'enseignement du français ;

Les efforts de la France sont particulièrement importants dans le domaine de l'éducation , qui constitue la priorité du nouveau Gouvernement burundais, au travers du fonds d'étude mis en place par l'AFD et du démarrage du projet précité d'appui à l'enseignement du français. La relance des activités de l'AFD en 2007 , interrompues depuis 1993, devrait permettre à terme d'accroître encore l'engagement de la France dans ce domaine.

La coopération militaire constitue également un poste de choix : l'enveloppe qui y est consacrée a atteint 489.000 euros en 2005. Elle a permis de financer la formation de stagiaires burundais dans les écoles militaires françaises et africaines, ainsi que le démarrage d'un projet de réhabilitation de l'école des métiers de Muzinda.

Crédits bilatéraux que la France a consacrés au Burundi en 2005

Aide bilatérale

Forme d'aide

Montant

MAE

Coopération civile

2.330.000 €

(crédits de paiement)

Coopération technique et culturelle

(titre IV)

(1.672.500 €)

4 assistants techniques

et 3 VI

750.000 €

92 bourses

600.000 €

Autre

322.500 €

Coopération militaire

(DCMD)

(489.000 €)

Remise en état
et extension de l'école des métiers
(+ une mission
de courte durée
pour deux personnes)

231.000 €

49.000 €

Formation de stagiaires burundais dans les écoles militaires françaises
et africaines

209.000 €

Aide alimentaire (PAM, ACF, solidarités)

1.000.000

Centre culturel

190.000

AFD

L'AFD a interrompu ses engagements en 2003.

aucun décaissement

Aide budgétaire globale

3.000.000 €

Montant total de l'aide bilatérale

8.681.500

Le rôle de la France en faveur du Burundi est également essentiel au niveau des enceintes diplomatiques et internationales . Elle a ainsi plaidé et obtenu le déploiement d'une force de maintien de la paix de 5.600 hommes en juin 2004 sous l'égide de l'Onu, mais aussi une dotation supplémentaire de 10 millions d'euros au titre du Fed. C'est également sous son impulsion que le fonds monétaire international (FMI) a octroyé, en 2004, au Burundi une aide de 104 millions de dollars et a accepté un allégement significatif du service de la dette.

Cette relation privilégiée entre la France et le Burundi se traduit par des contacts politiques réguliers : les visites à Paris du président Buyoya (septembre 2002 et février 2003), puis du président Ndayizeye (février 2004), la visite conjointe à Bujumbura, en janvier 2002, des ministres français et britannique des affaires étrangères, Hubert Védrine et Jack Straw, puis en septembre 2002, la tournée dans les Grands Lacs de Dominique de Villepin.

Les contacts se multiplient de la même manière au niveau parlementaire , où le Sénat français apporte une aide technique non négligeable au nouveau Sénat burundais.


Bilan de la coopération parlementaire avec le Sénat du Burundi

Un accord de coopération a été signé le 3 juillet 2003 entre le Sénat français et le Sénat de transition du Burundi. Cet accord, qui n'a pas eu d'application concrète jusqu'en 2006, reste en vigueur avec le Sénat actuel.

Par ailleurs, une mission d'évaluation du Parlement burundais a été effectuée par le directeur du service des Relations internationales du 30 janvier au 4 février 2006 pour le compte de l'Union interparlementaire (UIP). Sur cette base, l'UIP a élaboré un programme d'assistance pluriannuel au profit des deux chambres du Parlement burundais, en cours de négociation.

Sur le plan des contacts bilatéraux, il convient de noter :

20-21 février 2006 : visite de travail au Sénat des questeurs et secrétaires généraux des deux assemblées du Burundi ;

1-9 avril 2006 : visite de travail du directeur du service des Relations internationales auprès du Sénat du Burundi ;

15-22 mai 2006 : stage au Sénat français de quatre fonctionnaires du Sénat du Burundi.

Les perspectives d'avenir sont encourageantes, le président du Sénat du Burundi étant attendu à Paris à l'automne, à l'invitation du président Poncelet. Par ailleurs, l'architecte du Sénat est actuellement sollicité pour une mission de conseil pour la construction du futur siège du Parlement burundais à Gitega.

C'est dans ce contexte favorable, et pour renforcer encore les liens entre la France et le Burundi, que le groupe d'amitié France-Afrique centrale du Sénat a décidé d'envoyer une délégation à Bujumbura. Elle y a notamment rencontré des sénateurs et des élus locaux, qui lui ont fait part de leurs espoirs, de leurs difficultés et de leurs attentes envers la France.

D. LES ENTRETIENS DE LA DÉLÉGATION

Entretien avec Gervais Rufyikiri, président du Sénat de la République du Burundi

Gervais Rufyikiri a rappelé que le Burundi s'était déjà doté d'une chambre haute quelques années après l'indépendance, sans que l'expérience ait été poursuivie. L'actuel Sénat est issu du processus de transition et a pris sa forme définitive après les élections de juillet 2005. Il comprend quarante-neuf sénateurs : trente-quatre élus dans les provinces (deux par province : un Hutu et un Tutsi), huit cooptés, quatre anciens chefs d'Etat et trois sénateurs de l'ethnie twa.

Le Sénat est organisé en quatre commissions permanentes - la commission des questions politiques, diplomatiques, administratives, de défense et de sécurité, la commission des questions institutionnelles, judiciaires et des droits et libertés fondamentales, la commission des questions économiques, des finances et du budget et la commission des questions sociales, de l'éducation, de la jeunesse et de la culture -, complétées, en tant que de besoin, par des commissions spéciales. Il est systématiquement saisi des projets de loi en deuxième lecture.

Il emploie près d'une centaine de personnes, dont le statut est encore incertain. A cet égard, il apparaît que le Parlement burundais souffre d'un véritable déficit en personnels et en infrastructures, ainsi que l'a souligné le dernier rapport de l'Union interparlementaire. A titre d'exemple, le Sénat est actuellement logé, comme locataire et pour un coût non pris en charge par l'Etat de 5.000 euros mensuels, dans les locaux d'une ancienne clinique privée. Il est toutefois prévu, à terme, que le Parlement dispose de locaux communs avec des hémicycles séparés.

Gervais Rufyikiri a ensuite évoqué le rôle majeur de la France en faveur de la reconstruction du Burundi, après la guerre civile qui a fait fuir les coopérants et a réduit à néant les projets de développement. Il a rappelé l'attachement du Burundi à la francophonie : le français est la langue officielle du pays, enseignée dès l'école primaire.

Il a souhaité que la France s'investisse plus avant dans le domaine de l'enseignement, notamment par la distribution de livres scolaires et la construction de locaux, où les besoins sont criants depuis le doublement des effectifs du fait de la gratuité de la scolarité à l'école primaire. En mai 2006, a été signé un premier accord pour promouvoir le français à l'école et dans les médias, doté d'une enveloppe de 2,6 millions d'euros qui s'ajoute au 1,1 million d'euros consacré par l'AFD à ce type d'actions. Un second programme devrait concerner l'université en 2007.

Le centre culturel français est le seul à exister à Bujumbura et l'école française, en plein essor, accueille près de 80 % d'enfants burundais, la communauté française ne comptant que 300 personnes environ.

Gervais Rufyikiri a enfin indiqué que la sécurité s'est améliorée dans le pays après la signature de l'accord d'Arusha et du cessez-le-feu de novembre 2003. Le rôle de la police a été progressivement renforcé, même si celle-ci manque cruellement de matériel. A cet égard, il existe un véritable problème de banditisme, dans la mesure où la population civile détient encore de nombreuses armes.

Seul le FNL demeure à l'écart du processus de paix, même s'il a beaucoup perdu de son influence du fait des dénonciations de la population et du nombre croissant de désertions dans ses rangs. Son pouvoir de nuisance est désormais limité à la province de Bubanza et à la banlieue de Bujumbura. Les négociations en cours en Tanzanie laissent toutefois espérer un règlement pacifique du conflit et la participation du FNL aux élections de 2010.

Rencontre avec les présidents et les vice-présidents des commissions du Sénat

Les sénateurs ne représentent pas leur parti mais leur circonscription. Le rôle du Sénat est de soutenir et de conseiller les élus locaux, souvent jeunes et inexpérimentés au sortir de la transition. A cet effet, une commission spéciale est en cours de création sur le thème de la décentralisation.

Les besoins des collectivités territoriales sont particulièrement importants en matière de coopération décentralisée, notamment au niveau technique (eau, agriculture, commerce, etc.). Chaque province compte environ 250.000 habitants, ce qui les rapproche des départements français dans l'optique d'éventuels jumelages.

Conseil communal de Buyenzi (municipalité de Bujumbura)

La commune de Buyenzi compte 80.000 habitants, représentés par sept chefs de quartier conseillers collinaires et vingt-cinq conseillers communaux élus au suffrage universel direct et issus de tous les partis, ethnies et religions.

La commune dépend de la mairie de Bujumbura pour la fixation de son budget, qui provient essentiellement de taxes professionnelles et d'habitation, ce qui ne permet pas au conseil municipal de fonctionner librement. Quelques projets, notamment des écoles, sont également financés par des pays étrangers : l'Arabie Saoudite a ainsi offert à la commune une école secondaire technique, qui accueille des élèves de toutes confessions. A cet égard, toutefois, la délégation a constaté que l'ensemble des élèves portait le voile.

Un projet de loi est actuellement à l'étude pour renforcer l'autonomie de gestion des communes, ce qui avantagerait Buyenzi, sur le territoire de laquelle de nombreuses entreprises se sont installées. Le quartier est, en effet, très sûr grâce à la présence d'une base militaire, ce qui explique également que de nombreux réfugiés aient choisi d'y vivre.

Les priorités de la commune portent sur les travaux d'assainissement et de voirie et sur la distribution d'eau et d'électricité, actuellement rationnée.

La France est actuellement chargée, dans le cadre de l'Union européenne, d'une étude sur les besoins du Burundi en électricité et la gestion de la régie nationale de l'eau. Il apparaît que la priorité en la matière est la réparation de la digue pour éviter que l'eau ne soit déviée en RDC.

Si les jumelages, notamment techniques, sont nombreux avec la Chine - la commune de Gitega a, par exemple, bénéficié d'une assistance financière et de modules de formation pour ses cadres -, ils sont encore rares avec les collectivités territoriales françaises.

Conseil communal de Ngagara (municipalité de Bujumbura)

Ngagara est l'une des plus anciennes communes de Bujumbura, créée dans les années 1950 sous la colonisation belge. Elle compte neuf quartiers résidentiels, qui abritent 20.000 habitants, ainsi qu'une zone industrielle.

La population active est composée essentiellement de cadres moyens et de fonctionnaires Toutefois, la majorité des habitants est jeune et rencontre des problèmes de chômage importants depuis la guerre civile. Le précédent gouvernement avait, en outre, privilégié les études générales et l'université, au détriment des formations professionnelles, pourtant prisées par les entreprises. Il n'existe, à cet égard, aucune aide publique pour les chômeurs, qui dépendent uniquement de la solidarité de leur famille et de leur village, ce qui freine, à n'en pas douter, le développement économique du pays.

Cette situation est d'autant plus difficile à supporter que les familles comptent, en moyenne, cinq ou six enfants, auxquels viennent s'ajouter les orphelins de la guerre que beaucoup ont recueillis, pour un salaire par ménage qui avoisine les trente dollars par mois.

Le conseil communal attend avec impatience le vote du projet de loi sur l'autonomie de gestion des collectivités territoriales et souhaite développer, à terme, les partenariats avec la France, notamment sous la forme d'un jumelage avec une autre municipalité, même s'il est conscient des difficultés posées, en la matière, par l'absence de ligne aérienne directe entre les deux pays.

Toutefois, dans un premier temps, une aide pourrait être apportée au centre culturel pour l'achat de livres et l'équipement informatique de la salle polyvalente.

A l'issue de la réunion, la délégation de sénateurs français a visité le centre culturel de la commune.

Conseil communal de Mpanda (province de Bubanza)

Mpanda, située à vingt-cinq kilomètres de Bujumbura, est l'une des cinq communes de la province de Bubanza. Elle compte 52.000 habitants répartis sur quinze collines, soit 125,5 km 2 . L'activité économique est tournée exclusivement vers l'agriculture et, dans une moindre mesure, l'élevage.

La commune connaît d'importants problèmes d'irrigation, d'adduction en eau potable, d'électrification et d'offre de soins. La mécanisation agricole est également quasi inexistante, même si la géographie du territoire (les collines) en rend la généralisation délicate. A cet égard, la délégation a été surprise d'apprendre que les chevaux, ânes et mulets sont totalement absents du territoire burundais.

La commune bénéficie de quelques financements sous forme de microcrédits destinés aux associations agricoles, à la formation des membres du conseil communal et au reboisement des collines.

Des crédits supplémentaires seraient utiles pour la construction de barrages d'irrigation et la sélection des semences, le manioc et les bananiers ayant récemment été victimes d'une maladie. A cet effet, la commune est particulièrement intéressée par un parrainage avec une chambre d'agriculture française.

Par ailleurs, la sécurité s'est considérablement améliorée sur le territoire de la commune, située sur une province où la rébellion a été particulièrement virulente. Les forces de police dépendent désormais de l'administrateur communal.

Entretien avec le Gouverneur de la province de Bubanza

La province de Bubanza, qui compte 300.000 habitants, est divisée en cinq communes, représentées chacune par vingt-cinq conseillers communaux élus, quinze zones et quatre-vingt-dix collines, représentées par cinq conseillers collinaires. Elle a été le siège des premiers combats de la guerre civile, qui y a fait de nombreux dégâts. Désormais, la paix est revenue et la cohabitation entre les différentes ethnies se déroule sans effort. Quelques éléments isolés du FNL présents dans la province nécessitent toutefois le maintien en nombre des forces armées et de police.

Compte tenu de son histoire mouvementée, la province connaît aujourd'hui d'importantes difficultés économiques et sociales. Les besoins de reconstruction nécessitent l'aide de la communauté internationale : la France a déjà financé trois écoles et l'Italie contribue au fonctionnement de l'hôpital privé. Aucun dispensaire public n'existe en effet à Bubanza, alors même que l'hôpital privé n'a pas encore signé d'accord avec le Gouvernement pour appliquer la nouvelle règle de la gratuité des soins de maternité et pour les enfants de moins de cinq ans. Les soins courants sont donc assurés pas les infirmières des centres de santé.

L'activité agricole se concentre sur la production de riz et de café, mais les inondations récentes ont causé d'importants dégâts dans les exploitations. Là encore, l'aide internationale est nécessaire. La seconde difficulté dans le domaine agricole réside dans l'attribution de terres aux réfugiés qui avaient quitté le pays, parfois depuis 1972, en l'absence d'actes écrits de propriété et dans un contexte de pénurie générale de terrains cultivables.

S'agissant de l'organisation administrative, la province ne dispose pas d'un budget propre hormis quelques menus frais de fonctionnement. Le Gouverneur, qui ne peut avoir d'autres fonctions, y représente l'Etat. Il est nommé par le Président de la République après approbation du Sénat. Chaque administrateur communal lui rend compte de son action et lui-même adresse régulièrement un rapport au ministre de l'Intérieur. Il est aidé dans ses fonctions par trois conseillers : un conseiller principal, un conseiller économique et un conseiller socioculturel.

Au total, le Burundi compte dix-sept provinces, dont trois sont dirigées par des femmes gouverneurs.

Conseil communal de Bubanza

La commune de Bubanza, chef-lieu de la province du même nom, compte 83.000 habitants avec une densité forte de 340 habitants/km 2 .

Elle connaît principalement des difficultés en matière d'infrastructures (locaux administratifs et écoles, dont trois sont encore sous tente). La Banque mondiale participe, dans ce domaine, à plusieurs projets mais demande à la commune d'y contribuer à hauteur de 2 % du coût total, ce qui constitue parfois un obstacle insurmontable, même pour de petites sommes. Ainsi, il faut un apport de 2.000 euros pour débuter la construction d'une école secondaire.

Les besoins sont également importants en matière d'offres de soins - il faut souvent faire quinze kilomètres avant de trouver un centre de santé - et de communication, notamment depuis la destruction de sept ponts, lors des dernières pluies.

De fait, la commune de Bubanza est intéressée par un jumelage avec une commune française, en particulier pour aider à la formation de ses cadres.

II- RWANDA : RECONSTRUIRE L'UNITÉ ET PRÉPARER L'AVENIR

Le Rwanda en quelques chiffres

Données générales

Nom officiel : République du Rwanda

Langue(s) officielle(s) : anglais, français, kinyarwanda

Monnaie : Franc rwandais (1 USD = 538 FrR)

Données géographiques

Superficie : 26.338 km 2

Villes principales : Kigali (capitale), Butare, Ruhengeri

Données démographiques

Population : 8,41 millions d'habitants

Croissance démographique : 3 % par an

Espérance de vie : 44 ans

Taux d'alphabétisation des adultes : 65 %

Religion(s) : chrétiens (50 %), protestants adventistes (45 %), musulmans

Indice de développement humain : 159 sur 177 (PNUD 2005)

Communauté française au Rwanda : 267 immatriculés en 2004

Données économiques

PNB : 11,15 milliard de $ (Banque Mondiale, 2004)

PIB par habitant : 1.300 $ PPA (Banque Mondiale, 2004)

Taux de croissance du PIB : 3,8 % par an

Taux de chômage : 50 %

Taux d'inflation : 12 %

Balance commerciale : - 185 millions de $

Principaux clients : Indonésie (38,4 %), Chine (4,2 %), Kazakhstan (3,6 %), Allemagne (2,7 %), Pays-Bas (2 %)

Principaux fournisseurs : Kenya (24 %), Allemagne (7,6 %), Belgique (7 %), France (5 %), Afrique du sud (3,4 %)

Part des principaux secteurs d'activités dans le PNB : agriculture (40 %), industries et mines (22 %), services (38 %)

Exportations de la France vers le Rwanda : 17,4 millions d'euros en 2004

Importations françaises du Rwanda : 0,6 million d'euros en 2004

A. LE TRAUMATISME DE 1994 : CAUSES ET CONSÉQUENCES

L'histoire du Rwanda est d'abord marquée par les troubles de la décennie 1990, et notamment par le génocide fratricide de 1994, qui a vu s'affronter pendant trois mois les Hutus et les Tutsis d'un même village, parfois d'une même famille, et dont les cicatrices sont encore vivaces.

1. De la guerre à la transition

Dès l'indépendance du pays en 1959, les Tutsis, qui constituent l'ancienne élite du pays bien qu'étant minoritaires, sont victimes de mesures de répression pouvant aller jusqu'au massacre, comme en 1973, et s'exilent dans les pays limitrophes - ils sont 600.000 en 1990 - ou vers l'Europe. La situation dégénère le 1 er octobre 1990, avec l'offensive des troupes du Front patriotique rwandais (FPR) au nord du Rwanda, à partir de l'Ouganda. Cette attaque, dirigée contre le régime du Président Habyarimana (Hutu), au pouvoir depuis 1973, trouve son origine dans le refus du Gouvernement d'autoriser le retour au Rwanda des réfugiés Tutsis.

Le régime de Kigali et le FPR parviennent toutefois à un accord le 4 août 1993, qui prévoit la mise en place d'institutions de transition et le transfert de la majorité des pouvoirs du chef de l'Etat à un gouvernement ouvert aux Tutsis. Mais l'assassinat du Président burundais Ndadaye (Hutu) le 21 octobre 1993, et les massacres qui en résultent marquent un tournant dans la détérioration de la situation régionale et dans l' exacerbation de la méfiance intercommunautaire .

Le 6 avril 1994, le Président Habyarimana et le Président burundais Ntaryamira trouvent, à leur tour, la mort dans l'attentat qui détruit l'avion qui les ramenait de Dar-es-Salam. Le jour même, les milices hutues Interahamwe projettent l'élimination systématique des Tutsis et des Hutus modérés. Près d' un million de personnes sont victimes du génocide, qui durera cent jours.

L'arrivée au pouvoir du FPR, durant l'été 1994, marque le début d'une période de transition qui sera prolongée de quatre ans en 1999. En 2000, le président de l'Assemblée, le Premier ministre et le président de la République, quittent leurs fonctions et Paul Kagame devient président de la République.

Des élections communales ont lieu en mars 2001 et une Constitution est adoptée par référendum le 26 mai 2003. Les élections présidentielles du 25 août 2003 et les élections législatives qui suivent, le 29 septembre, donnent une large victoire à Paul Kagame (95 % des suffrages) et au FPR, qui reconduit sans grand changement le dernier gouvernement de la transition.


Chronologie

- 1 er octobre 1990: invasion du FPR au Rwanda (en provenance de l'Ouganda) ;

- octobre 1990 : opération Noroît. Deux compagnies françaises sont dépêchées sur place. Deux autres viendront renforcer le dispositif en février 1993 ;

- juillet 1992 : premier cessez-le-feu. Déploiement par l'organisation de l'union africaine d'un groupe d'observateurs à la frontière entre le Rwanda et l'Ouganda ;

- juin 1993 : envoi d'une mission d'observation des Nations-Unies à la frontière entre le Rwanda et l'Ouganda (résolution 846) ;

- 4 août 1993 : accords d'Arusha entre le gouvernement et le FPR ;

- octobre 1993 : création de la Minuar (2.300 hommes) ;

- 15 décembre 1993 : retrait de Noroît. Arrivée de la Minuar ;

- 6 avril 1994 : attentat contre le président Habyarimana. Début du génocide ;

- 9-14 avril 1994 : opération Amaryllis d'évacuation des ressortissants français ;

- 21 avril 1994: la Minuar passe de 2.300 à 270 hommes ;

- 22 juin-21 août 1994 : opération Turquoise (prévue par la résolution 929) ;

- 4 juillet 1994 : chute de Kigali et prise du pouvoir par le FPR ;

- 19 juillet 1994 : mise en place du gouvernement d'union nationale ;

- novembre 1996 : attaques, par l'armée rwandaise, des camps de réfugiés au Zaïre ;

- fin 1996 : création de l'Alliance des Forces Démocratiques de Libération du Congo (AFDL) de Laurent-Désiré Kabila ;

- mai 1997 : entrée des troupes rwandaises et de l'AFDL à Kinshasa ;

- juillet 1998 : Laurent-Désiré Kabila expulse le contingent militaire rwandais ;

- 2 août 1998 : opération aérotransportée sur la base militaire de Kitona (Bas Congo) pour prendre Kinshasa. L'Angola intervient pour sauver Laurent-Désiré Kabila ;

- 1998 : création par le Rwanda à Goma, du RCD/Goma. Début de la deuxième « guerre de libération » du Congo ;

- 1999: prolongation pour cinq ans de la période de transition ;

- 23 mars 2000 : Pasteur Bizimungu, président de la République, est poussé à la démission. Il est ensuite arrêté et emprisonné ;

- 22 avril 2000 : élection et prestation de serment du président Kagame ;

- 23 août 2001 : visite a Kigali d'Hubert Védrine ;

- 22 janvier 2002 : visite conjointe à Kigali d'Hubert Védrine et Jack Straw ;

- 30 juillet 2002 : accords de Pretoria entre le Rwanda et la RDC ;

- septembre 2002 : visite de Dominique de Villepin à Kigali. Entretien avec le président Kagame ;

- 26 mai 2003: adoption de la nouvelle Constitution par référendum ;

- 25 août 2003 : élections présidentielles (remportées par le président Kagame), suivies, le 29 septembre, des élections législatives, qui marquent la fin de la période de transition.

2. Une économie fragile

Avec la mise en place du régime de transition, le Rwanda a bénéficié d'un appui financier de la communauté internationale , d'un niveau considérable au regard de l'aide dont a bénéficié son voisin burundais, pour accélérer son redressement. Le Rwanda a ainsi signé, en août 2002, avec le FMI un programme de facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC) de 6 millions de dollars sur trois ans.

Toutefois, si le pays a retrouvé son niveau de production de 1994, son économie fait face aujourd'hui à des problèmes structurels : une dépendance inquiétante vis-à-vis de l'extérieur (près de 50 % du budget de l'État provient de l'aide internationale), une absence de diversification (92 % de la population vit de l'agriculture), une pression démographique insoutenable à long terme, notamment s'agissant du partage des terres agricoles, et un déficit énergétique majeur. De fait, la majorité des régions agricoles souffre d'une extrême pauvreté.

Ces difficultés se traduisent par une dégradation des principaux indicateurs macroéconomiques : la croissance est passée de 9,4 % en 2002 à de 3,8 % en 2004, l'inflation atteint désormais 12 % et le solde commercial s'est largement détérioré du fait de la chute du cours des principaux produits exportés par le Rwanda, comme le café.

3. Des relations diplomatiques heurtées avec les Etats limitrophes

La politique extérieure du Rwanda est traditionnellement orientée vers la RDC, avec laquelle les relations ne se sont jamais normalisées depuis 1997. A cette date, le soutien apporté par le Rwanda à la coalition de l'AFDL, menée par Laurent-Désiré Kabila, a en effet précipité la chute du maréchal Mobutu.

Inquiet des agissements des miliciens Interahamwe et des anciens officiers de l'armée rwandaise (ex-Far) réfugiés dans l'Est de la RDC, le Rwanda est ensuite intervenu sur le sol congolais en 1998.

Si, en vertu de l'accord de Pretoria conclu en septembre 2002 et sous la pression internationale, le Rwanda a retiré ses troupes de RDC, Kigali a cependant longtemps entretenu la menace d'une nouvelle intervention , en invoquant l'inaction de la communauté internationale face au problème du désarmement des combattants rwandais encore présents dans l'Est de la RDC.

La force de maintien de la paix en RDC (Monuc), a ainsi récemment déploré, à deux reprises (avril et en décembre 2004), l'incursion de troupes rwandaises sur le territoire congolais.

En revanche, le Rwanda s'investit depuis dans le règlement de conflits africains . Il participe ainsi actuellement, avec un contingent de 300 hommes, à la force d'interposition de l'Union africaine déployée dans la région du Darfour au Soudan.

B. LE DÉFI DE L'UNITÉ ET DE LA RÉCONCILIATION

Outre le maintien de la paix, la gestion du retour des réfugiés et le redressement économique, le Rwanda doit également restaurer l'unité nationale mise à mal par des années de heurts entre communautés, qui ont trouvé leur aboutissement dans le génocide de 1994. Depuis 1999, le pays s'est donc engagé dans une difficile entreprise de réconciliation nationale à l'aide de deux outils : la commission nationale pour l'unité et la réconciliation et les juridictions Gaçaça.

1. La commission nationale pour l'unité et la réconciliation : l'éducation civique pour tous

Avec le prolongement de la période de transition, la politique de réconciliation nationale devient prioritaire, en vue de préparer la tenue d'élections démocratiques dans un climat apaisé et de favoriser la reconstruction du pays. A cet effet, une commission nationale pour l'unité et la réconciliation (Cnur) est instituée par le Parlement, en mars 1999, dans le cadre du programme de réconciliation nationale.

Les missions de la commission nationale pour l'unité et la réconciliation

1. Préparer et conduire des débats a l'échelle nationale dont l'objectif est de promouvoir l'unité et la réconciliation du peuple rwandais ;

2. User de tous les moyens possibles en vue d'éveiller les Rwandais pour l'unité et l'asseoir sur une base solide ;

3. Préparer et diffuser les idées et initiatives visant à promouvoir la paix au sein du peuple rwandais et à encourager la culture de l'unité et de la réconciliation ;

4. Dénoncer et combattre les actes, écrits et langages susceptibles de promouvoir toute sorte de discrimination ;

5. Préparer et coordonner le programme national pour la promotion de la réconciliation des Rwandais ;

6. Sensibiliser les Rwandais à leurs droits, au respect des droits des autres peuples et ériger entre eux une culture de lutte pour leurs propres droits ;

7. Émettre des réflexions afférentes aux projets de loi visant à combattre tout sectarisme et à promouvoir l'unité et la réconciliation du peuple rwandais ;

8. Suivre de près le respect, par toutes les institutions, des objectifs de l'unité et la réconciliation ;

9. Veiller au respect par les forces politiques, les dirigeants, ainsi que toute personne, de l'idéologie de l'unité et la réconciliation nationale.

Le programme de réconciliation nationale peut être assimilé à un programme d'éducation civique apolitique à destination de la population rwandaise, avec pour objectif de rompre définitivement avec les représentations ethniques ancrées dans les mentalités. Il prend la forme de séminaires, de conférences-débats radiodiffusées et télédiffusées, ainsi que de réunions régulières avec la population de chaque colline, dont les thèmes sont établis sur la base des idées et des souhaits de la population, recueillis au cours des enquêtes d'opinion menées par la Cnur dans les 106 districts du pays. Chaque année, un sommet national sur l'unité et la réconciliation réunit plus 800 personnes pour travailler sur ces questions.

Une formation a également été entreprise en direction des responsables de partis politiques, des parlementaires, des journalistes, des organisations non gouvernementales (ONG) qui travaillent sur le sol rwandais et des juges des juridictions Gaçaça, afin d'assurer le respect des principes d'unité et de réconciliation et de leur rappeler l'existence des différentes lois qui punissent toute division et discrimination ethniques.

Un enseignement d'éducation civique a, en outre, été intégré dans les programmes scolaires du primaire et du secondaire, sur proposition de la Cnur. Les élèves se rendent régulièrement dans les lieux de mémoire du génocide. C'est notamment le cas du mémorial de Murambi , où la délégation sénatoriale s'est rendue pour rendre hommage aux victimes de ce drame.

Par ailleurs, des messages appelant à la paix, à la tolérance, à l'unité, à la réconciliation et à la justice sociale sont régulièrement véhiculés dans le pays à travers des représentations théâtrales, des poèmes, des chansons et des publications. Des clubs de paix, d'unité et de réconciliation ont également été créés dans des milieux estudiantins, professionnels et communautaires et commencent à voir le jour dans les églises.

Un grand nombre de formateurs parcourt donc le pays pour mettre en oeuvre le programme de réconciliation nationale. Pour leur venir en aide, la Cnur a récemment édité et diffusé un guide d'éducation civique.

Au niveau législatif, la Cnur est à l'initiative de la loi sur la répression des crimes de discrimination et la pratique du sectarisme . Elle a participé à l'élaboration et à la révision des différents textes, afin de vérifier leur adéquation avec les principes d'unité et de réconciliation.

Désormais, la mention ethnique ne figure plus sur la carte d'identité. L'accès à l'enseignement, au travail, aux services de sécurité et aux postes à responsabilité se fait sur la seule base des mérites personnels. La discrimination sexiste est également supprimée : la nouvelle Constitution, votée en mai 2003, accorde ainsi d'office 30 % des sièges aux femmes au Parlement.

La propagation d'idées divisionnistes est interdite par la Constitution, de même que, plus largement, toute action visant à promouvoir les différences ethniques. C'est ainsi que plusieurs associations ont récemment réclamé la dissolution du parti MDR- Parmehutu.

Enfin, les forces armées rwandaises d'origine et les anciens combattants du FPR, jadis ennemis, forment aujourd'hui une même armée nationale et participent ensemble à des opérations de maintien de la paix, comme c'est actuellement le cas au Darfour.

Le programme de réconciliation nationale affiche donc à ce jour un bilan positif, qui a permis de sortir sans difficulté de la période de transition . Ainsi, plus de quatre millions de réfugiés, anciens et récents, ont été rapatriés, ont en majorité récupéré leurs biens et vivent en harmonie avec leurs compatriotes dans les villages. De même, plus de 300.000 orphelins du génocide ont trouvé des familles d'accueil.

2. Les juridictions Gaçaça : comment combiner la justice et le pardon ?

Inspiré de la justice participative coutumière, les juridictions Gaçaça ont été créées en 2002 pour suppléer les instances de jugement classiques dans le traitement des contentieux relatifs au génocide de 1994. L'objectif est tant d' accélérer les jugements pour les crimes et délits les moins graves que de réconcilier la population rwandaise, en recherchant la vérité et en développant une culture du pardon.

Le régime rwandais a donc pris le parti d' une justice de masse pour répondre à un crime de masse, en se refusant à ne juger que les seuls responsables de haut niveau et en basant sa politique en la matière sur deux principes : la participation de l'ensemble de la population et la transparence totale.

Les juges et les 150.000 jurés, élus par chaque colline, entendent les témoignages des accusés, des rescapés et ceux de la population. Les personnes accusées d'avoir participé au génocide sont ensuite classées en quatre catégories en fonction de la gravité des crimes qui leur sont reprochés. Seuls les crimes les plus graves sont renvoyés devant les tribunaux, les autres étant directement jugés par les Gaçaça.

a) Une mise en oeuvre difficile

Une phase pilote a été lancée en juin 2002, régie par la loi du 19 juin 2001. Quatre-vingts Gaçaça ont été mises en place dans douze secteurs, choisis en raison du nombre d'aveux qui y avaient été recueillis, de la qualité et de l'intégrité des juges élus, mesurées à l'issue de leur formation, et de la motivation de population locale pour participer au processus.

La deuxième phase a débuté en novembre 2002, portant le nombre des Gaçaça à 758 dans 118 secteurs, soit 8,4 % des 9.000 Gaçaça prévues pour un dispositif opérationnel dans l'ensemble du pays. Le processus a ensuite été quelque peu délaissé pendant l'année électorale de 2003.

Durant cette première période, les Gaçaça ont établi une liste de 40.983 présumés coupables, à partir des résultats d'une large collecte d'informations effectuée auprès des habitants. Parmi ces accusés, 7.013 (soit 14 %) avaient un dossier complet : 3.791 cas ont été envoyés au service national des juridictions Gaçaça (SNJG) pour vérification et transmission au parquet pour les crimes de première catégorie, aux Gaçaça de secteur pour les crimes de seconde catégorie et aux Gaçaça de cellule pour la troisième catégorie.

Selon les rapports d'observation du projet d'appui de la société civile au processus Gaçaça (PAPG), qui rassemblait jusqu'en 2003 la plupart des associations pour la défense des droits de l'homme, le dispositif a rencontré de nombreuses difficultés d'application durant ses deux premières années d'existence et ce, en raison de plusieurs facteurs :

- les carences des juges : ont été observées des absences et des défections fréquentes pour des raisons personnelles ou par la crainte d'être à son tour dénoncé pour des crimes commis en 1994, des incompétences allant parfois jusqu'à l'illettrisme et un manque de cohésion entre les différents instances ;

- l' absence de protection des témoins : des menaces, des cas de harcèlement, des violences physiques et plusieurs assassinats de témoins ont été constatés ;

- la faiblesse des témoignages : les rescapés, souvent cachés au moment des crimes, n'ont pu apporter que des témoignages indirects ou partiels, d'autant qu'ils ont été victimes de pressions manifestes. De même, les victimes de viol ont souvent hésité à témoigner en public dans les Gaçaça. Enfin, il est apparu que, alors que les rescapés du génocide instruisaient à charge, le reste de la population adoptait souvent une attitude de solidarité négative qui visait à décharger les personnes détenues présentées à l'audience ;

- les problèmes de procédure : les réunions n'ont pas eu lieu au jour et à l'heure fixés dans de nombreuses cellules, les rapports et les comptes rendus n'ont pas toujours été lus à la fin des audiences, voire même pas rédigés, les témoignages des rescapés ont été rejetés par certains juges, qui contraignaient ainsi les témoins potentiels au silence ; enfin, les autorités locales ne se sont pas investies suffisamment dans le dispositif alors qu'elles sont chargées de mobiliser la population et ont parfois fait preuve d'ingérence.

b) La relance du dispositif

Les Gaçaça ont été relancées en janvier 2005 par la loi du 19 juin 2004 portant réforme de la loi du 19 juin 2001 précitée, qui étend le dispositif à l'ensemble du territoire.

Cette phase devrait voir plus de 600.000 dossiers traités, mais le chiffre d'un million est souvent évoqué, compte tenu du nombre de victimes. Sur ce nombre, plus de 50.000 personnes peuvent légalement encourir la peine de mort et plus de 450.000 de lourdes peines d'emprisonnement.

Toutefois, la réforme intervenue avec la loi de 2004 n'a pas réglé tous les problèmes identifiés au cours de la période antérieure :

- la participation des populations est variable. Elle est cependant obligatoire, sous peine d'amendes, quand il n'y a pas de rescapés (la majorité des cas) ou que la juridiction Gaçaça n'est composée que de personnes absentes en 1994. En outre, les résidents qui assistent aux sessions se réfugient souvent dans le mutisme, parfois même dans la fuite à l'étranger, pour ne pas avoir à témoigner ;

- les témoins ne sont toujours pas protégés alors que les forces de l'ordre ont été déployées dans les provinces ;

- la tenue des débats est largement fonction de la qualité, variable, des juges , qui ne sont théoriquement censés que les diriger, l'assemblée ayant en principe le dernier mot. Ils subissent eux aussi davantage de pressions avec l'extension du processus, et des cas de corruption ont également été rapportés ;

- la qualification des crimes est compliquée par le passage de quatre à trois catégories. A la première catégorie (organisateurs, personnes en position d'autorité, grands criminels et violeurs), la loi de 2004 a, en effet, ajouté les personnes coupables de torture, y compris quand celle-ci n'a pas occasionné la mort, et d'actes de sarcasme et de moquerie commis sur le cadavre d'une personne. La deuxième catégorie (tueurs ordinaires) a fusionné avec la troisième (personnes coupables de coups et blessures). Enfin, la dernière catégorie regroupe les coupables de pillage et de vols ;

- les prisons, déjà surpeuplées avec 120.000 détenus, doivent accueillir de nouveaux prévenus. La loi de 2004 a, certes, introduit la possibilité de prononcer, en cas d'aveux ou de plaidoyer de culpabilité, une peine d'emprisonnement avec sursis assortie de l'obligation d'exécuter un travail d'intérêt général, celui-ci demeurant une mesure d'aménagement de la peine lorsque le condamné a déjà été emprisonné. Mais les travaux d'intérêt général ne sont pas encore opérationnels, la structure qui doit les gérer n'ayant été créée qu'à la fin de l'année 2005.

Il n'en demeure pas moins que les Gaçaça ont désormais toute leur place dans la société rwandaise : la quasi-totalité des habitants participe, plus ou moins régulièrement, aux réunions qui se tiennent une demi-journée par semaine ; les médias relatent chaque jour les débats et les autorités politiques sont fortement mobilisées.

L'exercice devra toutefois vraisemblablement se prolonger plus longtemps que prévu , soit dix ou quinze ans, pour atteindre ses objectifs : permettre aux victimes de faire leur deuil, punir les coupables et permettre la réconciliation du peuple rwandais.

Les observateurs étrangers, d'ailleurs non conviés aux procédures, respectent pour le moment une prudente expectative . Quelques bailleurs internationaux, notamment l'Union européenne et la Belgique, apportent leur appui au dispositif, mais uniquement en matière de formation et de logistique.

C. DES RELATIONS COMPLEXES AVEC LA FRANCE

1. Un contentieux qui perdure

En juin 1994, face à la gravité des événements au Rwanda et aux divisions du Conseil de sécurité des Nations-Unies quant au renforcement de la force de maintien de la paix sur place (Minuar), la France a dénoncé le génocide et a fait le choix de l' intervention humanitaire avec l'autorisation du Conseil de sécurité.

L' opération Turquoise , d'une durée de deux mois, conformément au mandat que lui avait donné le Conseil de sécurité, est alors la seule opération humanitaire d'ampleur engagée pour sauver les populations menacées. Le 4 juillet, la France met en place une zone humanitaire sure, afin de mettre les populations à l'abri des combats qui faisaient rage dans le Sud et dans l'Ouest du pays.

Cette opération n'a pas été en mesure d'empêcher tous les massacres, notamment dans les premiers jours de sa mise en place, mais elle a permis à des milliers de personnes d'échapper aux combats et à des centaines de milliers de personnes déplacées de bénéficier de secours et de soins, alors qu'on dénombrait déjà 40.000 victimes de l'épidémie de choléra.

L'opération Turquoise a également permis de rassurer les populations du Sud-Ouest du pays, qui sont restées sur place, alors qu'au même moment on assistait, dans le Nord, à un exode massif de la population vers le Zaïre (un million de réfugiés sont arrivés à Goma le 14 juillet 1994).

Le Rwanda considère cependant que la France porte une responsabilité dans le drame de 1994 et dans ses suites , en raison de l'aide militaire et logistique apportée à l'armée rwandaise sous la présidence Habyarimana, certains soldats ayant ensuite participé aux massacres, et de la présence sur la sol français de personnes susceptibles d'être impliquées dans le génocide.

Pour comprendre le rôle véritable de la France dans le drame rwandais, une mission parlementaire d'information sur les opérations militaires menées au Rwanda par la France, présidée par Paul Quilès, a été créée en 1998. Sa mission consistait en une recherche approfondie sur la politique menée par la France au Rwanda au début des années 1990. Le rapport issu des travaux parlementaires restitue toute la complexité des facteurs qui ont mené à la tragédie d'avril 1994, sans pour autant mettre en exergue une éventuelle responsabilité de la France.

Peu convaincu par ces conclusions, le Rwanda vient, à son tour, de mettre en place une Commission nationale indépendance, qui a pour mission d'enquêter sur le rôle de l'Etat français dans le génocide de 1994. Présidée par Jean De Dieu Mucyo, procureur général près la Cour Suprême, cette commission est composée de six membres et dispose d'un mandat renouvelable de six mois.

2. Une normalisation progressive des relations entre la France et le Rwanda

Depuis quelques années, le dialogue avec le Rwanda est cependant plus régulier, notamment sur les questions relatives à la situation dans la région des Grands Lacs . A cet égard, la France est particulièrement attentive à ce que s'instaure une paix durable dans l'Est du Congo, afin de préserver les deux pays de la menace que font peser les groupes armés encore présents dans cette région.

Les relations plus directement bilatérales se sont également progressivement améliorées depuis l'entretien entre les ministres des affaires étrangères français et rwandais, Michel Barnier et Charles Murigande, en juillet 2004 à Pretoria. Le Gouvernement de Kigali est désormais conscient de la volonté d'apaisement manifestée par la France .

Cette évolution s'est poursuivie avec deux rencontres entre Philippe Douste-Blazy et Charles Murigande, en marge du sommet Afrique-France en juin 2005, et du sommet de Bamako, en novembre 2005, qui ont permis d'approfondir la relation de confiance avec les autorités rwandaises.

Plus concrètement, la France a donné récemment des preuves de son désir de rapprochement, en soutenant la candidature et l'élection de Kaberuka à la présidence de la banque africaine de développement et en signant, le 21 février 2006, un accord d' annulation intégrale des dettes bilatérales .

En retour, Kigali a manifesté des signes d'ouverture significatifs, notamment en donnant son accord de principe à l'accréditation au Rwanda d'un attaché de défense.

L'action de l'Ambassade de France à Kigali s'inscrit dans ce contexte d'apaisement. C'est ainsi qu'elle oeuvre, en partenariat avec le ministère rwandais de l'éducation, au renforcement de l'enseignement du français et en français dans le cadre du projet Rareff, conduit depuis 2001 en étroite collaboration avec le Centre national de développement des programmes à Kigali. En effet, dans ce pays trilingue, le français est considéré comme un outil d'aide au développement et un élément d'ouverture à l'international.

Cette politique commence progressivement à porter ses fruits. Ainsi, en 2005, la France était le deuxième pays d'accueil des étudiants rwandais à l'étranger après la Belgique, avec environ 500 étudiants scolarisés dans un établissement d'enseignement supérieur et de recherche ou dans une école. La moitié d'entre eux sont inscrits en premier cycle, 30 % en deuxième cycle et 20 % en troisième cycle. Les filières choisies étaient variées : administration, économie et gestion (24 %), sciences humaines et sociales (18 %), sciences fondamentales et appliquées (17 %), droit et science politique (13 %), lettres, langues et arts (10 %), santé (8 %), sciences de la vie, de la terre et de l'univers (8 %), sports (1 %).

A cet effet, l'Ambassade offre des bourses d'études en France à partir du troisième cycle. Un programme de plus de cinquante bourses a ainsi été mis en place pour l'année scolaire 2005-2006.

Par ailleurs, la France consacre une enveloppe non négligeable - plus de cinq millions d'euros en 2005 - à l'aide bilatérale en faveur du Rwanda, essentiellement pour le financement d'une assistance technique . Cette aide est complétée par un contrat de désendettement et de développement du ministère de l'économie et des finances.

Il n'est pas non plus exclu que l'AFD redémarre une activité dans le pays dans les mois à venir.

Crédits que la France consacre au Rwanda en 2005

Aide bilatérale

Forme d'aide

Montant

MAE

Coopération civile

(assistants techniques)

3.575.000 €

Coopération technique et culturelle

Assistants techniques (8)

910.000 €

Bourses (73)

414.000 €

autre

176.000 €

Centre d'échanges culturels franco-rwandais

subvention

Aide consulaire

AFD

L'AFD a fermé son bureau à Kigali en 1996

(réserve de 600.000 € pour un éventuel redémarrage de ses interventions)

MINEFI

Contrat de désendettement et de développement.

47 millions d'euros

(mise en place au point d'achèvement de l'initiative PPTE- 1 er semestre 2005)

Montant total de l'aide bilatérale

5.075.000 €

C'est dans ce contexte bilatéral sensible mais en voie d'apaisement que la délégation du groupe d'amitié France-Afrique centrale s'est rendue à Kigali.

D. LES ENTRETIENS DE LA DÉLÉGATION

Entretien avec Charles Murigande, ministre des affaires étrangères et de la coopération

Charles Murigande a déclaré être porteur, au nom du gouvernement rwandais, d'un message d'amitié pour la France, sans pour autant ignorer les zones d'ombre qui ternissent les relations entre les deux pays. Il a souhaité que les regards se tournent désormais vers l'avenir et que la visite de la délégation sénatoriale permette de nouer des liens forts de solidarité et de coopération.

Il a rappelé que l'histoire du Rwanda est, à jamais, marquée par la tragédie de 1994, qui a fait près d'un million de morts en cent jours. Les survivants se sont réfugiés dans des camps de déplacés - jusqu'à quarante dans le pays - et, pour la moitié d'entre eux, à l'étranger, essentiellement en, en Tanzanie et au Burundi.

Il a indiqué que les génocidaires s'étaient pour beaucoup enfuis en RDC, d'où ils ont lancé des attaques quotidiennes contre le Rwanda, sans que la communauté internationale n'intervienne, ce qui a obligé le Rwanda à procéder à des interventions sur le territoire congolais.

Le Rwanda est désormais engagé dans un processus de démocratisation - des élections pluralistes ont eu lieu en 2003 - et de décentralisation. Il participe également à la gestion du conflit au Darfour, avec l'envoi d'un contingent de 300 hommes dans le cadre de l'UA.

Charles Murigande a estimé, à cet égard, que l'Afrique n'est pas encore apte à résoudre seule ses propres conflits ; elle a encore besoin des Occidentaux pour financer ce type d'opérations et former les régiments.

Rencontre avec la commission nationale pour l'unité et la réconciliation

Les responsables de la Cnur ont d'abord procédé à un rappel historique des relations interethniques au Rwanda.

Avant la colonisation, la cohabitation entre les peuples hutu, tutsi et, à la marge, twa, était satisfaisante : ils partageaient en effet la même culture et la même religion et obéissaient au même souverain. Signe de cette entente, les mariages mixtes étaient nombreux. Les différences étaient essentiellement d'ordre social, ce qui explique qu'il était possible de passer d'une ethnie à l'autre à l'occasion d'un changement de situation.

La dichotomie entre Hutus et Tutsis a été initiée par le colonisateur allemand, puis belge, et repris par les missionnaires. La littérature sur la cause des différences ethniques, basées sur l'origine géographique et les caractéristiques physiques, date de cette époque.

Les Occidentaux ont alors largement favorisé la minorité tutsie avant d'apporter son soutien aux « opprimés » hutus à partir des années 1950. De fait, ils ont contribué à attiser les haines et des massacres de Tutsis sont intervenus en 1959 et 1963, conduisant à leur exode continu à compter de cette date. Au début des années 1990, leur retour massif est l'une des causes du génocide de 1994.

Au lendemain du drame, la priorité était donc, avant même de juger les coupables, de mettre en oeuvre une politique de réconciliation pour éviter un nouveau drame et de gérer le retour des réfugiés, notamment s'agissant de l'épineuse question du partage des terres. Il convenait, en effet, de sécuriser le pays dans un contexte où le désir de revanche des victimes était grand.

Les premières mesures du gouvernement de transition ont donc été symboliques : suppression de la mention ethnique sur les papiers d'identité, admission sans discrimination dans les écoles et dans la fonction publique, mixité dans l'armée, jusqu'à présent largement dominée par les Tutsis.

C'est dans ce cadre qu'a été créée la Cnur, dont le programme, établi après consultation de la population, comprend trois thèmes : promouvoir l'éducation civique, aider à la gestion des conflits en formant les responsables des Gaçaça, de la société civile et de l'administration, enfin, participer à la réduction de la pauvreté. A cet effet, elle propose et/ou coordonne tout projet destiné à promouvoir l'unité et la réconciliation dans la population rwandaise.

La Cnur est composée d'un secrétariat permanent et de douze commissaires représentant la société civile.

Les difficultés auxquelles se heurte la commission dans l'exercice de ses missions sont toutefois multiples : la limite entre la réconciliation et la justice n'est pas toujours évidente, une large frange de la population est encore hostile à cette démarche et le budget dont elle dispose est largement insuffisant.

Par ailleurs, la Cnur estime que le sentiment anti-tutsi qui perdure en RDC et en Tanzanie ne permet pas d'étendre la politique de réconciliation à l'ensemble de la région des Grands Lacs, ce qui garantirait pourtant plus sûrement la paix dans l'ensemble de cette zone. De la même manière, la diaspora rwandaise, qui demeure divisionniste, ne contribue pas à l'unité du pays.

Entretien avec Mmes Edda Mukabagwiza, ministre de la justice, et Domitilla Mukantaganzwa, secrétaire exécutive des juridictions Gaçaça

Les juridictions Gaçaça ne sont pas animées par des magistrats professionnels, mais fonctionnent selon un système de participation communautaire. Chaque secteur dispose de sa propre juridiction, composée de neuf jurés élus par la population parmi les personnes qui n'ont pas participé au génocide, qui répondent aux critères de moralité et qui savent lire et écrire.

Le processus de jugement par les Gaçaça comprend trois étapes : la collecte d'informations auprès de la population de chaque cellule (une assemblée générale de 100 à 200 personnes se réunit à cet effet une fois par semaine), l'établissement de la liste de suspects et la catégorisation des crimes.

L'assemblée générale remplit une fiche par suspect, qui rassemble l'ensemble des informations collectées et indique la catégorie de crime pour laquelle il est accusé : planification et viol (catégorie 1 : 10 % des cas), meurtre (catégorie 2 : 70 % des cas) ou pillage (catégorie 3 : 20 % des cas).

Les suspects appartenant à la première catégorie voient leur dossier transmis au parquet, tandis que les Gaçaça sont chargées du procès des deux autres catégories d'accusés. Pour les suspects de catégorie 2, il est possible de faire appel, tandis qu'un arrangement à l'amiable est le plus souvent recherché pour la catégorie 3 (restitution des biens volés, par exemple).

Les sanctions sont également réduites si l'accusé demande pardon. En règle générale, la peine est partagée entre la prison et les travaux d'intérêt général.

Au total, jusqu'à 760.000 personnes pourraient être jugées dans le cadre de ce dispositif mais beaucoup, notamment les responsables, demeurent encore à l'étranger. Des listes de suspects ont été remises aux ambassades étrangères - celle de France comporte douze noms - en vue de mettre en place une coopération judiciaire renforcée et d'éviter les jugements par contumace qui ne sont satisfaisants pour aucune des parties.

La phase de collecte d'informations, débutée en 2005, est aujourd'hui terminée. 7.500 procès ont eu lieu depuis le mois de mars dans 118 secteurs. On a malheureusement déjà pu constater que des pressions sont souvent exercées sur les juges et les témoins.

S'agissant des génocidaires présumés réfugiés sur le territoire français, la ministre a indiqué qu'aucune condamnation n'avait été prononcée à leur encontre à ce jour par la justice rwandaise. La délégation sénatoriale a fait valoir, à cet égard, que la présomption d'innocence constitue, en France, une valeur fondamentale, ce qui n'empêchait pas la justice française de s'investir dans les actions de coopération judicaire avec le Rwanda.

Rencontre avec le Bureau du Sénat de la République du Rwanda

Le Sénat est actuellement logé dans les locaux provisoires mais devrait s'installer, d'ici deux ans, dans un immeuble commun aux deux chambres du Parlement, en cours de restauration.

Le rôle du Sénat est de veiller au respect des principes généraux de la Constitution, notamment ceux relatifs à l'interdiction de toute discrimination ethnique.

Le Bureau du Sénat du Rwanda a rappelé que les liens entre les Parlements français et rwandais étaient étroits avant 1994 et a souhaité que la visite de la délégation française augure de la restauration d'une relation de confiance et d'amitié entre les sénateurs des deux pays.

La délégation sénatoriale française a confirmé son désir de voir s'établir des relations régulières entre les deux chambres et a invité, à cet effet, une délégation du Sénat rwandais à se rendre en France, notamment dans le cadre d'un groupe d'amitié Rwanda-France dont elle a souhaité la création.

ANNEXE 1 - PROGRAMME DE LA VISITE AU BURUNDI

Dates

Heures

Activités

Jeudi 1 er juin 2006

13 heures

Arrivée et accueil à l'aéroport de Bujumbura

16 heures

Audience chez le Président du Sénat

17 heures

Séance de travail avec les présidents et vice-présidents des commissions permanentes du Sénat

19 heures

Dîner offert par le Président du Sénat

Vendredi 2 juin 2006

9 heures

Visite de la commune de Buyenzi dans la municipalité de Bujumbura et séance de travail avec les conseillers communaux

10 heures

Visite de la commune de Ngagara dans la municipalité de Bujumbura et séance de travail avec les conseillers communaux

11 heures 30

Visite de la commune de Mpanda et séance de travail avec les conseillers communaux

12 heures 45

Entretien avec le Gouverneur de province de Bubanza

13 heures

Séance de travail avec les conseillers communaux de la commune de Bubanza

15 heures

Visite des abords du lac Tanganyika

19 heures 30

Dîner offert par l'Ambassade de France à Bujumbura

Samedi 3 juin 2006

8 heures 30

Entretien avec la seconde vice-présidente du Sénat

8 heures 45

Audience chez le Président du Sénat

9 heures 15

Visite guidée de la ville de Bujumbura

15 heures 30

Départ pour l'aéroport

ANNEXE 2 - PROGRAMME DE LA VISITE AU RWANDA

Dates

Heures

Activités

Samedi 3 juin 2006

17 heures 15

Arrivée à l'aéroport international de Kigali

20 heures

Dîner offert par la vice-présidente du Sénat

Dimanche 4 juin 2006

10 heures

Visite du Site Mémorial de Murambi et dépôt des gerbes de fleurs

Rencontre avec le maire de Huye (Province Sud)

11 heures 45

Visite de l'Association des caféiculteurs de Maraba

14 heures

Visite du Musée national

17 heures

Dîner offert par l'Ambassade de France à Kigali

Lundi 5 juin 2006

8 heures

Entretien avec Charles Murigande, ministre des affaires étrangères et de la coopération

9 heures

Entretien avec le président de la commission nationale de l'unité et de la réconciliation

10 heures

Entretien avec la ministre de la justice et la secrétaire exécutive des juridictions Gaçaça

11 heures

Rencontre avec le Bureau du Sénat

12 heures

Entretien avec le président de la chambre des députés

15 heures

Départ pour Paris

ANNEXE 3 - PHOTOS DE LA MISSION

Burundi - conseil municipal de la commune de Bubanza

Burundi - Lac Tanganyika

Rwanda - Mémorial de Murambi

Rwanda - Association des caféiculteurs de Maraba

BURUNDI ET RWANDA : LE RENOUVEAU DE
LA REGION DES GRANDS LACS

Le groupe interparlementaire d'amitié France-Afrique centrale s'est rendu au Burundi du 1 er au 3 juin 2006, sur l'invitation du Sénat burundais avec lequel les contacts se sont multipliés depuis quelques mois.

La délégation, composée de quatre sénateurs, a choisi de poursuivre son déplacement au Rwanda du 3 au 6 juin 2006.

Elle a découvert à l'occasion de ce voyage deux pays meurtris par l'Histoire mais tournés désormais vers l'avenir avec deux objectifs : la paix et la reconstruction.

Les sénateurs ont porté à leurs collègues parlementaires du Burundi et du Rwanda un message d'amitié et de solidarité, souhaitant que leur visite soit le prélude à une longue et fructueuse collaboration entre leurs institutions.

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