Colloque sur les Pays du Golfe
Dans quelle mesure un processus d'intégration économique et commerciale est-il en cours dans les pays du Golfe ?
Philippe FOUET
Chargé des dossiers multilatéraux pour la zone Moyen-Orient
Mission économique en Arabie Saoudite
I. Le processus l'adhésion à l'OMC
Cinq des pays de la région dont déjà membres de l'OMC et quatre autres (l'Arabie Saoudite, l'Iran, l'Iraq et le Yémen) ont demandé à y adhérer. L'Arabie Saoudite et le Yémen ont déjà engagé les négociations ; l'Iran et l'Iraq n'en sont qu'au début. Ainsi, des pays qui représentent le tiers des pays de la région sont encore en dehors de l'OMC.
L'Arabie Saoudite est la deuxième économie mondiale hors de l'OMC. Elle a engagé des négociations en 1993 et neuf réunions du groupe de travail ont déjà eu lieu. L'Arabie Saoudite a par ailleurs déjà signé un accord bilatéral avec l'UE, mais les discussions avec les Etats-Unis sont difficiles et il reste des obstacles à l'accès au marché : la protection de la propriété intellectuelle, les questions sanitaires et phytosanitaires, le sponsorat (qui reste obligatoire) ; de plus, certains secteurs restent inaccessibles à l'investissement étranger.
Le Yémen, 17 ème économie mondiale hors de l'OMC, a engagé des négociations en 2002 et a soumis un mémorandum fin 2002. Là encore, il reste des obstacles à l'accès au marché : la réglementation sur le commerce extérieur, la persistance des subventions dans certains secteurs, la mauvaise protection de la propriété intellectuelle, les normes opaques.
L'Iran est la troisième économie mondiale hors de l'OMC. Il a demandé son accession à l'OMC en 1996 mais s'est heurtée à un veto de la part des Etats-Unis. Beaucoup de problèmes se posent encore : propriété intellectuelle, règlement du commerce extérieur, subventions, manque de transparence dans les textes réglementaires, etc. Toutefois, le Conseil intérimaire du gouvernement iranien, qui a entrepris des démarches d'adhésion à l'OMC, a obtenu un statut d'observateur début 2004.
II. La construction du Conseil Coopératif du Golfe (CCG)
Ce conseil a été créé en 1981 et est dominé par l'Arabie Saoudite, qui y représente 50 % de son PIB et 75 % de sa population. Il possède plusieurs institutions - beaucoup moins intégrées que celles de l'UE - dont un secrétariat général à Riyad.
Le CCG a beaucoup plus avancé sur les questions économiques que sur les autres. Les mouvements des ressortissants entre ses pays membres sont pratiquement libres, de même que l'accès à la propriété immobilière. Les pays du CCG ont mis en place des structures d'achats communs et des institutions communes. Il négocie actuellement un accord de libre échange avec l'UE.
Sur le plan des réalisations concrètes, l'union douanière est effective depuis le 1 er janvier 2003, avec la mise en place d'un tarif extérieur commun, même s'il subsiste quelques questions à régler, l'Arabie Saoudite ayant mis en place un tarif différentiel pour certaines marchandises qu'elle produit localement. Il reste également des difficultés, pour certains produits pharmaceutiques par exemple, ainsi qu'un problème de répartition des recettes douanières. A terme, les membres du CCG souhaitent mettre en place un marché commun et, à l'horizon 2010, se doter d'une monnaie commune.
III. Les relations UE-CCG
L'UE est le premier partenaire commercial des pays du CCG, qui a représenté son sixième marché à l'exportation en 2003, avec un excédent de 16 milliards d'euros. Les négociations ont été entamées en 1988 et relancées par le nouveau mandat de 2001. La Commission a élaboré un projet de texte couvrant les échanges de biens et de services, la propriété intellectuelle, les marchés publics, les règles de concurrence, les questions sanitaires et phytosanitaires. Huit sessions de négociations ont déjà eu lieu.
Ceci étant, un certain nombre de points de désaccord demeurent. L'UE souhaite, dans le cadre de cet accord commercial, discuter de sujets politiques : les droits de l'homme, l'immigration ou les armes de destruction massive. On peut également citer le problème de la suppression de la double tarification des prix de l'énergie en Arabie Saoudite. Persistent aussi des problèmes concernant les nouveaux sujets (marchés publics, propriété intellectuelle). Certains pays ont par ailleurs commencé à négocier à titre bilatéral des accords de libre-échange, comme Bahreïn avec les Etats-Unis.
Jacques de LAJUGIE
Ce sujet me paraît très important. Les Etats-Unis semblent en effet chercher à « casser » le CCG. Ils souhaitent empêcher une entité régionale d'émerger, comme ils l'ont fait avec l'UE.
Je pense par ailleurs que si l'UE ne finalise pas rapidement ses négociations avec le CCG, l'exemple de Bahreïn risque de faire école. Il est donc de notre intérêt de les finaliser rapidement. Si nous attendons trop, c'est l'un de nos concurrents qui tirera profit de la situation. J'espère que les négociateurs européens en sont conscients.
Philippe FOUET
Si nous parvenons à un accord de libre échange, nous devrions en tirer des bénéfices, essentiellement aux dépens des Etats-Unis. Les secteurs de l'agroalimentaire, des produits pharmaceutiques, des équipements électroniques, de l'automobile et des services environnementaux, financiers et de distribution devraient pouvoir bénéficier d'un tel accord.
IV. Le marché commun arabe
Les pays de la Ligue Arabe ont décidé de négocier des accords bilatéraux supprimant les droits de douane, mais les résultats restent limités.
V. Conclusion
Le processus d'intégration régional dans le Golfe est bien réel. Par conséquent, il est nécessaire de raisonner au niveau du CCG et non par rapport à chaque pays pris séparément.
Jacques de LAJUGIE
Les sujets multilatéraux sont souvent complexes et ingrats, mais recouvrent des questions importantes. Toutes les négociations actuellement en cours sont un vecteur d'homogénéisation, sur certains points qui nous intéressent directement : marchés publics, propriété intellectuelle... De plus, la négociation multilatérale est un élément essentiel de l'accès au marché, aussi important que les missions ministérielles ou économiques. Elles permettent en effet de lever des obstacles, plus encore que les relations bilatérales.