Colloque sur les Pays du Golfe
Le point de vue d'un opérateur sur le marché des hydrocarbures dans le Golfe
Philippe BOISSEAU
Directeur Moyen-Orient, Total
I. Une pression accrue sur les réserves existantes de pétrole et de gaz, énergies incontournables
Le pétrole et le gaz ont encore de longues années devant eux ; les autres énergies devraient garder une place minoritaire dans la demande énergétique pendant encore une trentaine d'années. Pétrole et gaz devraient en effet représenter les deux tiers de la demande mondiale d'ici à 2030. Le pétrole a l'avantage d'être une énergie concentrée, liquide, totalement adaptée au transport et le gaz de convenir parfaitement à la production d'électricité.
De fait, il s'exerce sur les réserves existantes une pression accrue. Jusque dans les années 80, les quantités de pétrole découvertes étaient supérieures aux quantités consommées. Depuis cette date, on en découvre de moins en moins alors que l'on en consomme de plus en plus. L'écart entre découvertes et demande ne cesse donc de s'accroître. De fait, cette ressource semble se raréfier ; on assiste sur les bassins traditionnels à un déclin réel des productions. On y trouve encore du pétrole, mais moins que ce qui serait nécessaire pour remplacer le déclin des gisements existants. C'est le cas en Amérique du Nord, en Amérique latine, en Europe, en Asie...
II. La place prépondérante des pays du Moyen-Orient et de leurs compagnies nationales sur le marché du pétrole
La répartition des réserves est très déséquilibrée : le Moyen-Orient en détient à lui seul un tiers. Les zones de production traditionnelles devraient donc être progressivement remplacées par le Moyen-Orient. Concernant le pétrole, les réserves sont concentrées dans cinq pays : Arabie Saoudite, Iraq, Emirats Arabes Unis, Koweït et Iran. Ces pays ne sont pas ceux qui produisent le plus aujourd'hui, mais leur part dans la production mondiale devrait progresser fortement.
Si un pays de l'OPEP décidait de lancer un grand projet d'exploitation d'un gisement, celui-ci ne commencerait à produire du pétrole qu'en 2008. Or, en 2010, pour faire face à la demande mondiale, la production du Moyen-Orient devra être de 28 millions de barils par jour, contre 22 millions aujourd'hui. Cela nécessitera non seulement des investissements lourds (30 milliards de dollars), mais aussi des décisions rapides. Les pays du Golfe devront avoir la capacité de mobiliser des financements considérables, sans parler de la difficulté « physique » à conduire les futurs projets, qui demanderont beaucoup de main-d'oeuvre. Il faudra donc relever des défis financiers et humains importants, qui seront peut-être source de tension pour l'approvisionnement futur en produits pétroliers.
L'autre défi tient au positionnement des compagnies nationales et internationales. Les compagnies nationales sont des géants alors que les compagnies internationales ont une taille plus modeste. Celles-ci ne représentent en effet que 14 % de la production et 9 % des réserves, mais réalisent 30 % des investissements. Or la pression concurrentielle les a poussées à développer leurs techniques et leur propre expertise. Mais les compagnies nationales, qui ne sont pas soumises à cette concurrence, ne disposent pas des mêmes compétences techniques. Pour arriver à repositionner les investissements, compagnies nationales et internationales doivent donc travailler ensemble pour mener des projets plus rapidement qu'aujourd'hui. D'importants besoins sont prévisibles, tant technologiques que financiers ; malheureusement, les pays ayant les réserves les plus importantes restent dans une logique peu propice à un développement rapide de coopérations.
III. Le marché du gaz
La demande de gaz devrait, elle aussi, connaître une forte croissance dans les prochaines années. On peut d'ailleurs noter que les pays producteurs de gaz en sont aussi de grands consommateurs, pour produire de l'électricité ou de l'eau douce notamment.
Nous devrions par ailleurs assister à une fluidification du marché mondial de GNL. La demande américaine de gaz est en effet en forte croissance, la production locale étant en déclin. De plus, la concurrence sur les marchés asiatiques a fait baisser les prix dans cette région. Le Moyen-Orient devrait donc exporter de plus en plus de gaz vers les Etats-Unis et le marché du GNL devrait se rapprocher rapidement de celui du pétrole brut.
IV. Conclusion
Les éléments clefs du développement du marché de l'énergie au Moyen-Orient seront donc les suivants :
· des investissements majeurs pour de complexes projets industriels intégrés ;
· des innovations technologiques et la gestion des opérations ;
· la gestion des incertitudes des marchés ;
· l'adaptation aux formes contractuelles ;
· l'optimisation des solutions entre les opportunités locales, régionales et les exports ;
· la formation et les transferts de savoir-faire ;
· les implications sociétales et environnementales.