Situation économique et politique - Perspectives
S. Exc. M. Jacques-Olivier MANENT
Ambassadeur de France à Oulan-Bator
Jusqu'en 1996, la France était représentée auprès de la Mongolie depuis Moscou -où l'ambassadeur résidait-, et de façon épisodique, notamment au travers des missions du poste d'expansion économique. Depuis six ans, l'ambassade détient des locaux à Oulan-Bator, avec un personnel restreint, et seul l'ambassadeur fait la navette entre Paris et la capitale mongole. Mon successeur disposera de moyens identiques, mais résidera de manière permanente à Oulan-Bator. Ainsi, sans qu'aucun changement majeur intervienne, les problèmes seront suivis plus régulièrement au quotidien.
Pour vous présenter la Mongolie, je partirai d'un certain nombre de généralités.
I. Les spécificités de la Mongolie
1. Un espace immense...
La superficie de la Mongolie représente trois fois celle de la France, ce qui suppose des problèmes de communication très importants. Le réseau routier comprend 1 000 kilomètres de routes asphaltées dans la périphérie de la capitale. De fait, les liaisons avec les deux extrémités du pays sont extrêmement coûteuses et lentes, ce qui crée un frein au développement économique. C'est autour d'un axe ferroviaire nord/sud relié aux réseaux ferrés russe et chinois, et conçu en fonction des zones minières à explorer, que les activités se sont concentrées. A cela s'ajoute le retard en termes de télécommunications, en particulier entre Oulan-Bator et les capitales des provinces. Néanmoins, des progrès considérables ont été réalisés, notamment grâce à Alcatel. La capitale est aujourd'hui couverte et les villes de province possèdent des réseaux internes développés. La prochaine étape sera le passage à la fibre optique. Toutefois, le pays ne sera pas complètement autonome sur le plan des télécommunications avant 2007-2008.
2. ... mais vide
Avec ses 2,5 millions d'habitants et une densité de moins d'un habitant par kilomètre carré - si l'on excepte la capitale - la Mongolie est un pays vide d'hommes. Par surcroît, les habitants quittent les campagnes au profit de la capitale et des villes se situant autour de l'axe ferroviaire. Ainsi, Oulan-Bator, Darchan et Erdenet concentrent la moitié de la population totale. La majeure partie des habitants s'est sédentarisée, et les nomades ne représentent plus que 20 % de la population. Ce mouvement migratoire suscite bien entendu des problèmes à la fois économiques et sociaux.
3. Un pays enclavé
Ceinte par la Russie et la Chine, la Mongolie a payé le conflit larvé entre ces deux pays par un retard important en termes d'infrastructures. Ancien membre du Comecon et fournisseur de biens miniers, la crainte de la voir constituer un glacis militaire a condamné tout développement. Les conséquences de cet enclavement se retrouvent également dans la dépendance du pays à l'égard de ses voisins, puisque 60 % des échanges ont lieu avec la Russie et la Chine. La Russie fournit l'essentiel des importations énergétiques, ce qui n'est pas quelquefois sans poser des problèmes d'approvisionnement, tandis que la Chine contrôle une partie de la production primaire agricole et s'accapare l'essentiel de la production du cachemire mongol, de qualité supérieure.
4. Une forte dépendance à l'égard de l'aide étrangère.
La Mongolie est très dépendante de l'aide financière internationale. Autrefois assurée par l'URSS, elle est désormais versée par un groupe de pays donateurs et par des institutions financières internationales pilotées par la Banque mondiale. Depuis 1991, la Mongolie a reçu 900 millions d'euros en dons et assistances techniques, autant en soft loans , et 320 millions d'euros ont été promis pour la période 2001-2002. La part de chaque contributeur que sont le Japon, les institutions financières internationales, et les autres pays (principalement l'Union européenne) s'établit à environ un tiers. Cette assistance est appelée à perdurer puisque aucune autonomie n'est envisageable avant la fin du prochain mandat gouvernemental en 2008, date à laquelle il conviendra d'évaluer les résultats de l'aide apportée.
5. Un pays pauvre
Le PIB par habitant s'élève à 400 dollars. Les mouvements migratoires vers les villes ont eu un certain nombre de conséquences. Dans les trois principales villes, le taux de chômage atteint les 20 %, et environ 30 % de la population se trouvent sous le seuil de pauvreté (15 euros par mois et par personne), alors que ce taux est de 10 % à la campagne (moins de 100 équivalents moutons par famille). Le salaire d'un technicien qualifié est de 100 euros par mois, et celui d'un professeur du secondaire de 40 euros. Ces faibles niveaux de rémunération impliquent l'exercice d'une activité secondaire pour survivre et faire face à l'augmentation du coût de la vie engendrée par la dérégulation initiée il y a dix ans.
6. Une démocratisation réussie
La démocratisation des institutions, qui est en voie d'achèvement, est une véritable réussite. On oublie trop souvent que la Mongolie est le troisième pays asiatique doté d'un régime démocratique parlementaire, avec le Japon et l'Inde. La raison de ce succès réside dans la prise en main effectuée en 1991 par les Américains et les Européens pour faciliter la transition, ainsi que dans l'évolution du Parti révolutionnaire mongol, le PPRM. De fait, le pays a connu deux alternances en 1996 et en 2000, et l'on semble se diriger vers un bipartisme à l'américaine. Ce mouvement semble irréversible, d'autant que les dérives observées en Asie centrale paraissent exclues.
7. Une transition économique difficile
La majorité des petites entreprises d'Etat ont été privatisées entre 1996 et 2000. Aujourd'hui, le pays est entré dans la phase de cession des grands groupes nationaux, que ce soient les usines de cachemire, les banques, la compagnie aérienne ou encore la compagnie d'électricité. Le fait que le Parti révolutionnaire soit l'initiateur de la privatisation des services sociaux prouve, s'il en était besoin, la volonté des autorités de mener la dérégulation à son terme. Malheureusement, les acheteurs sont absents, y compris pour des opérations portant sur la totalité du capital. Seule la distillerie a trouvé preneur, ce qui illustre une fois de plus la confrontation des pays en transition au fléau de l'alcool. L'absence de statistiques fiables, et les bilans faussés qui en résultent, expliquent cette défiance de la part des investisseurs étrangers. En outre, le rachat de ces entreprises suppose des investissements massifs en raison de l'obsolescence du matériel. Au final, le retard pris dans la privatisation des entreprises publiques, qui devait contribuer pour une large part au financement du budget, constitue un sérieux handicap pour le pays.
II. Des atouts réels
1. Les ressources naturelles
La Mongolie dispose d'importantes ressources minières, mais pour la plupart inexploitables en raison du manque d'infrastructure et de l'éloignement. Alors que de grands espoirs reposaient sur le pétrole en 1996, les réserves s'avèrent finalement moins importantes que prévues. Par ailleurs, les retombées à en attendre dépendront du principal client qu'est la Chine. Or les activités pétrolifères développées dans la zone frontalière sont pour le moment d'un rendement médiocre en l'absence de moyens efficaces d'acheminement.
Les exportations de cuivre brut, principalement à destination de la Chine, représentent 40 % du PIB, et Pechiney occupe en Mongolie la place de premier exportateur. La découverte d'un immense gisement dans le sud du pays a incité la compagnie canadienne Ivanhoe à investir dans la construction d'une voie ferrée pour rejoindre le réseau chinois, mais il n'est pas possible d'agir de même sur tout le territoire. En revanche, l'extraction de l'or peut être développée dans tout le pays, et la Mongolie est appelée à en devenir un grand producteur.
2. Le niveau d'éducation
Les Mongols faisaient figure il y a encore dix ans de peuple parmi les mieux éduqués au monde. Même si le niveau a légèrement baissé, une part importante de la population reçoit une formation supérieure. Il est à noter que les femmes représentent aujourd'hui 65 % des doctorants, ce qui pourra engendrer des problèmes dans une société encore "machiste". Les élites qui sont aujourd'hui âgées de 40 ans ont reçu une formation supérieure en Russie, mais le pays souffre d'un manque de techniciens intermédiaires, ce qui doit être pris en compte par tout investisseur étranger.
La présence occidentale, et en particulier américaine, est importante. Il est frappant, lorsque l'on se rend dans les provinces, de constater que les seuls étrangers présents dans les sous-préfectures sont les jeunes Américains des Peace Corps , qui assument le rôle de conseillers techniques auprès du gouverneur et enseignent l'anglais dans les écoles. En effet, c'est désormais l'anglais, et non plus le russe, qui est enseigné dans les écoles secondaires. De fait, à l'instar de la classe dirigeante actuelle, les interlocuteurs décisionnaires seront bientôt tous anglophones. La francophonie est aussi représentée, mais elle est réduite à une part beaucoup plus modeste. Par ailleurs, l'allemand s'avère également utile en Mongolie, puisque le pays compte près de 20 000 germanistes qui ont été formés en RDA. D'ailleurs, l'Allemagne tire profit des bonnes relations entretenues durant de longues années de coopération.
3. La stabilité institutionnelle et politique
Cette présence occidentale a largement contribué à l'évolution des institutions, puisque les Américains ont joué un rôle clé lors des phases électorales de 1996 et 2000. Aujourd'hui, on peut supposer que le cadre n'évoluera pas beaucoup. Les élections ont lieu tous les quatre ans, et comme la coalition libérale s'est effondrée en 2000, il est fort probable que le premier ministre actuel sera reconduit en 2004. Cela constitue un encouragement pour le gouvernement actuel, mais celui-ci ne pourra pas invoquer le manque de temps si les choses n'évoluent pas d'ici à 2008. A cette date, il sera possible de déterminer si l'effort considérable de la communauté internationale valait la peine d'être accompli. Les Américains poussent les institutions financières internationales à investir en Mongolie, mais il convient de souligner que les donateurs eux-mêmes croient aux capacités du pays à devenir autonome d'ici sept ou huit ans.
4. L'Emergence d'une classe moyenne
Une classe moyenne s'appuyant sur les services et le commerce est née, mais elle demeure cantonnée à Oulan-Bator. Le nombre d'automobiles y a triplé en deux ans, et le secteur immobilier est florissant. Le prix des constructions neuves atteint même parfois des niveaux semblables à ceux de certains quartiers de Paris.
5. Le potentiel que représente l'élevage
La Mongolie est un pays d'éleveurs, et le restera longtemps. La qualité des viandes, des peaux et des autres produits dérivés donnent à ce secteur un réel potentiel à l'exportation. Cependant, sa concrétisation se heurte pour le moment à des obstacles phytosanitaires.
III. Des handicaps à surmonter
Je citerai, notamment :
-
· La bureaucratie, qu'il est toutefois possible de contourner plus aisément qu'ailleurs par les contacts humains.
· La faiblesse du cadre juridique, qui a particulièrement dissuadé les investisseurs. Il n'existe pas de cabinets d'avocats compétents, et le fait d'être étranger est un désavantage en cas de contentieux. L'Etat de droit commence toutefois à se mettre en place.
· La faiblesse du secteur bancaire, qui a cependant engagé une réforme.
· Le manque d'infrastructures.
· La dépendance à l'égard des pays voisins.
· Le montant de l'endettement extérieur. Celui-ci atteint 11 milliards de roubles à l'égard de la Russie. Il est d'ailleurs fort à parier que les Russes négocieront un effacement de la dette en échange de droits sur les mines de cuivre. En outre, le FMI estime que la Mongolie ne pourra pas à moyen terme rembourser les soft loans consentis. Au final, l'ensemble de la dette extérieure atteint 80 % du PIB.
Agnès GABORIT Je vous remercie pour cette présentation très objective. J'ai été frappée d'entendre que les entreprises privatisées ne trouvaient pas preneur. Cela me conforte dans l'idée que la privatisation n'est pas la solution-miracle.