NOTE DE SYNTHESE
La
réforme de la procédure pénale française
actuellement en préparation prévoit la création de
tribunaux criminels départementaux comprenant des magistrats
professionnels et des citoyens assesseurs.
Le mode de désignation de ces derniers est controversé. On avait
d'abord envisagé leur nomination par le Garde des Sceaux, sur
proposition de l'assemblée générale des magistrats de la
cour d'appel, parmi des personnes volontaires. Dans la dernière version
de l'avant-projet de loi, il est prévu qu'ils soient
désignés par le premier président de la cour d'appel,
toujours sur proposition de l'assemblée générale de ses
magistrats, mais parmi des personnes sélectionnées par les maires.
Cette controverse conduit naturellement à s'interroger sur le mode de
désignation des jurés et des citoyens assesseurs dans les
principaux pays étrangers où les citoyens participent aux
décisions des tribunaux criminels. Pour cela, on a retenu cinq pays :
l'
Allemagne,
l'
Angleterre
et le
Pays de Galles,
l'
Espagne,
l'
Italie
et les
Etats-Unis.
Dans tous ces pays, les jurés -ou les citoyens assesseurs- sont
tirés au sort, mais le tirage au sort est effectué à
partir de listes elles-mêmes établies selon des critères
variables.
C'est pourquoi il a semblé important d'analyser successivement :
- les conditions requises pour remplir les fonctions de juré,
- les interdictions et les incompatibilités à ces fonctions,
- la procédure de désignation des jurés,
- les cas d'excuse,
- les possibilités de récusation.
I - LES CONDITIONS REQUISES
a) La nationalité
La condition de nationalité est présente dans les législations de tous les pays étudiés.
b) L'absence de handicap
Tous les
pays, sauf l'Italie, exigent que les jurés ne souffrent d'aucun handicap
physique ou mental qui les empêchent de remplir normalement leurs
fonctions.
La loi italienne ne contient pas une telle obligation, mais elle impose par
ailleurs une condition de diplôme, ce qui exclut implicitement les
personnes souffrant d'un handicap mental.
c) L'âge
- la
limite inférieure
Elle est toujours d'au moins 18 ans, âge de la majorité civique.
En Allemagne et en Italie, elle est supérieure à 18 ans : ces
deux pays ont respectivement retenu comme limite d'âge inférieure
25 et 30 ans.
- la limite supérieure
Elle est de 65 ans en Italie, et de 70 ans en Allemagne ainsi qu'en Angleterre
et au Pays de Galles.
En Espagne, où elle n'existe pas, les personnes de plus de 65 ans
peuvent se faire excuser. Aux Etats-Unis, bien que ni la loi
fédérale, ni les lois des Etats, ni les règlements des
tribunaux ne le prévoient explicitement, les personnes
âgées peuvent également se faire excuser.
En Allemagne, même si la limite d'âge supérieure est de 70
ans, les personnes de plus de 65 ans peuvent se faire excuser.
d) Le niveau culturel
En
Espagne, aux Etats-Unis et en Italie, la loi fixe un niveau culturel minimal.
En Espagne, il faut que les jurés sachent lire et écrire. Aux
Etats-Unis, les jurés doivent bien connaître la langue anglaise.
Le questionnaire écrit qui leur est adressé permet de
contrôler leur compréhension de la langue écrite, et
l'entrevue avec le juge est destinée à vérifier leur
maîtrise de la langue orale. En Italie, les jurés doivent
posséder le certificat de fin d'études primaire ou secondaire
selon qu'ils sont appelés à siéger dans une cour d'assises
de première instance ou dans une cour d'assises d'appel.
En Angleterre et au Pays de Galles, c'est la condition de résidence
continue sur le territoire du Royaume-Uni pendant au moins cinq ans à
partir de l'âge de 13 ans qui permet d'exclure les personnes qui,
a
priori
, ne maîtrisent pas suffisamment la langue anglaise.
L'Allemagne est le seul pays à ne pas prévoir de condition
destinée à exclure les personnes dont le niveau culturel est
considéré comme trop faible. Toutefois, comme les citoyens
assesseurs sont ensuite choisis sur des listes établies par les conseils
municipaux, il est évident que le critère culturel est alors pris
en compte.
*
* *
La condition de propriété d'un capital ou d'un immeuble d'une certaine valeur a été supprimée de la législation anglaise en 1972.
II - LES INTERDICTIONS
Dans
tous les pays, les interdictions résultent de condamnations, effectives
ou probables. Les condamnations prises en compte sont plus ou moins graves
selon les pays. De même, la durée de l'interdiction varie. Il
s'agit généralement d'une interdiction définitive.
En Italie, le critère retenu est plus vague : la loi exige que les
jurés aient " une bonne moralité ".
III - LES INCOMPATIBILITES
Les
incompatibilités concernent en général les
détenteurs de fonctions officielles, les membres des professions
juridiques et judiciaires, les ministres du culte et les membres des forces
armées et de la police. En Espagne, les incompatibilités
s'appliquent également aux élus.
En outre, les lois allemande, espagnole et italienne prévoient que
toutes les personnes concernées à un titre ou à un autre
par l'affaire (proches, experts...) ne peuvent pas être nommées
jurés pour un procès donné. Dans les autres pays, seule la
procédure de récusation permet d'éliminer ces
jurés.
IV - LA PROCEDURE DE DESIGNATION
Dans tous les pays, les jurés appelés à siéger pour un procès donné sont tirés au sort, le tirage au sort étant censé garantir l'absence de discrimination. Cependant, la procédure antérieure au tirage au sort, c'est-à-dire le mode de désignation des jurés potentiels, varie beaucoup.
a) Les tirages au sort successifs
En
Angleterre et au Pays de Galles, en Espagne, en Italie et aux Etats-Unis, aussi
bien au niveau fédéral que dans la majorité des Etats, la
désignation des jurés d'un procès donné
résulte uniquement de tirages au sort successifs effectués
à partir des listes des personnes remplissant les conditions requises.
En Italie, la fonction de juré est théoriquement volontaire et
les citoyens sont appelés à se faire inscrire. En pratique,
compte tenu du faible nombre de volontaires, les listes sont
complétées par l'adjonction d'office de toutes les personnes qui
remplissent les conditions requises.
b) La présélection préalable au tirage au sort
L'Allemagne et une quinzaine d'Etats américains ont retenu
cette solution.
En Allemagne, chaque conseil municipal établit tous les quatre ans,
à la majorité des deux tiers, des listes de personnes
susceptibles de devenir citoyens assesseurs. Ces listes doivent être
représentatives de la population. Une commission
ad hoc
se
prononce sur les objections suscitées et établit à la
majorité des deux tiers les listes des citoyens assesseurs potentiels
à partir desquelles le tirage au sort est effectué.
Aux Etats-Unis, dans une quinzaine d'Etats, des commissaires sont
désignés par le tribunal ou l'exécutif afin de choisir les
personnes qui figurent sur les listes de tirage au sort. Ces listes doivent
respecter la jurisprudence de la Cour suprême sur l'égalité
de représentation des différents groupes ethniques,
socioprofessionnels...
V - LES EXCUSES
Une fois
le jury constitué, certaines personnes ont la possibilité de se
faire excuser.
Cette faculté est en général ouverte aux membres des
professions libérales et aux personnes à qui l'exercice des
fonctions de juré causerait de graves problèmes
économiques ou familiaux.
En outre, à l'exception de la loi allemande, toutes les lois
prévoient la possibilité pour une personne désignée
comme juré de se faire excuser si elle peut avancer une "
bonne
raison
".
En Allemagne, ainsi qu'en Angleterre et au Pays de Galles et en Italie, les
élus peuvent se faire excuser.
VI - LES RECUSATIONS
Dans les
pays européens, la récusation des jurés doit être
justifiée. La demande de récusation est acceptée dans les
cas d'incompatibilité, d'interdiction et d'incapacité manifeste,
ainsi que lorsque la preuve de la probable partialité du juré est
apportée.
En Angleterre et au Pays de Galles, l'accusation bénéficie en
théorie d'un droit de récusation discrétionnaire, mais
cette possibilité n'est plus utilisée qu'exceptionnellement,
notamment dans des affaires relatives à la sécurité de
l'Etat. En effet, la facilité qu'avait la défense de
récuser sans motif plusieurs jurés a été
progressivement réduite tout au long du 20e siècle pour
être finalement supprimée en 1988.
Aux Etats-Unis en revanche, chacune des parties à un procès a
droit, en plus des récusations motivées, à des
récusations discrétionnaires. Devant les tribunaux
fédéraux, leur nombre varie de trois à vingt selon la
gravité de la peine encourue.