Mars 2016

NOTE

sur

Le régime de l'état d'urgence

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Allemagne - Belgique - Espagne
- Italie - Portugal - Royaume-Uni

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Cette note a été réalisée à la demande de M. Philippe BAS, Sénateur de la Manche

AVERTISSEMENT

Les notes de Législation comparée se fondent sur une étude de la version en langue originale des documents de référence cités dans l'annexe.

Elles présentent de façon synthétique l'état du droit dans les pays européens dont la population est de taille comparable à celle de l'Hexagone ainsi que dans ceux où existe un dispositif législatif spécifique. Elles n'ont donc pas de portée statistique.

Ce document constitue un instrument de travail élaboré à la demande des sénateurs par la division de Législation comparée de la direction de l'Initiative parlementaire et des délégations. Il a un caractère informatif et ne contient aucune prise de position susceptible d'engager le Sénat.

NOTE DE SYNTHÈSE

Cette note est consacrée au régime de l'état d'urgence, qui se caractérise en droit français par ce que « des pouvoirs de police accrus sont, dans ce cadre, confiés au Gouvernement et au préfet pour faire face à un "péril imminent" résultant d'atteintes graves à l'ordre public ou d'événements présentant par leur nature et leur gravité le caractère de calamités publiques » 1 ( * ) .

Elle repose sur l'étude des dispositions applicables dans six États de l'Union européenne : Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Portugal et Royaume-Uni.

Elle ne s'intéresse pas :

- aux régimes tendant à faire face aux calamités publiques ou aux catastrophes naturelles ;

- aux régimes d'état de siège ou d'état de guerre.

Après avoir rappelé les grands traits du régime applicable en France, et les conclusions qui résultent de l'examen de ces législations, elle présente successivement, pour chacun des pays faisant l'objet d'une des monographies figurant ci-après :

- le cadre constitutionnel applicable à l'« état d'urgence » ou à ses équivalents et son ordonnancement au regard des droits fondamentaux ;

- et les principales normes législatives qui en déterminent le régime.

A. LA SITUATION EN FRANCE

Faute de dispositions constitutionnelles le concernant, le régime applicable à l'état d'urgence résulte, en France, exclusivement de la loi n o 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, récemment modifiée le 20 novembre 2015 2 ( * ) .

• Absence de disposition constitutionnelle

La Constitution française prévoit deux régimes applicables en cas de crise grave, à savoir : l'octroi de pouvoirs exceptionnels au Président de la République (article 16) et l'état de siège (article 36), mais reste silencieuse sur l'état d'urgence.

En vertu de l'article 16 de la Constitution, « Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel ».

Le Conseil des ministres peut, aux termes de l'article 36, décréter l'état de siège, dont la prorogation au-delà de douze jours requiert l'autorisation du Parlement.

À la suite du dépôt par le Gouvernement d'un projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, le Parlement débat de l'inscription dans la Constitution du régime de l'état d'urgence. Le texte, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 10 février 2016, vise notamment à la constitutionnalisation de l'état d'urgence, dont découleraient de nouvelles mesures de police, comme la retenue de la personne concernée pendant une perquisition administrative ou la possibilité de contrôler l'identité sans avoir à justifier de circonstances particulières 3 ( * ) .

• Le régime applicable à l'état d'urgence

Modalités de déclaration

L'état d'urgence est déclaré par décret en Conseil des ministres en cas de « péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public » ou d'« événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Il ne peut excéder douze jours, prorogeable par la loi, et s'applique sur tout ou partie du territoire (articles 1 er , 2 et 3 de la loi de 1955).

Restriction des libertés publiques résultant de l'état d'urgence

L'état d'urgence permet, dans une zone géographique déterminée, l'application de mesures exceptionnelles visant à restreindre les libertés des individus pour garantir la sécurité et l'ordre publics.

Le préfet d'un département concerné peut, à ce titre :

- « interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté » ;

- « instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé » ;

- « interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l'action des pouvoirs publics » (article 5).

Le ministre de l'Intérieur a, quant à lui, la faculté de prononcer l'assignation à résidence d'une personne, assortie le cas échéant :

- de l'obligation de demeurer dans un lieu d'habitation, pour une durée ne pouvant excéder douze heures par jour ;

- de l'obligation de se présenter périodiquement aux services de police et de leur remettre les papiers d'identité ;

- de l'interdiction d'entrer en contact avec certaines personnes ;

- du placement sous surveillance électronique mobile en cas de condamnation à une peine privative de liberté pour un acte de terrorisme (article 6, tel que modifié par la loi n o 2015-1501).

Le Conseil des ministres peut dissoudre par décret les associations dont les activités portent gravement atteinte à l'ordre public (article 6-1).

Le ministre de l'Intérieur ou les préfets ont également la possibilité d'ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, des débits de boissons et des lieux de réunion et d'interdire les réunions de nature à provoquer le désordre (article 8).

Ces mêmes autorités ont la faculté :

- d'exiger la remise des armes et des munitions (article 9) ;

- d'ordonner des perquisitions, de jour comme de nuit, lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'un lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics, à condition d'en informer le procureur de la République sans délai (I de l'article 11).

Ne peuvent faire l'objet d'une perquisition les locaux affectés à l'exercice professionnel d'un parlementaire, d'un avocat, d'un magistrat ou d'un journaliste (I de l'article 11, résultant de la loi n o 2015-1501) 4 ( * ) .

Les officiers chargés des perquisitions sont autorisés à consulter les données stockées sur des équipements informatiques (article 11-I 5 ( * ) ). Enfin, le ministre de l`Intérieur peut prendre toute mesure visant à interrompre les services de communication en ligne qui incitent au terrorisme ou en font l'apologie (II de l'article 11).

Contrôle de la mise en oeuvre

Les mesures prises en application de l'état d'urgence sont portées sans délai à la connaissance des deux chambres du Parlement (article 4-1) et sont soumises au contrôle du juge administratif (article 14-1, inséré par la loi n o 2015-1501). Elles cessent de porter effet lorsque prend fin l'état d'urgence, à l'exception de la dissolution des associations dont les activités portent atteinte à l'ordre public (articles 14 et 6-1).

• Le rapport de la Commission des Lois du Sénat sur la prorogation de l'état d'urgence

Le régime de l'état d'urgence, notamment ce qui concerne ses modalités de déclaration et de mise en oeuvre, les limitations des libertés et les dispositions de la loi n o 55-385 du 20 novembre 2015 sont présentés dans le rapport n o 177 du 19 novembre 2015 de M. Philippe Bas, Sénateur 6 ( * ) .

Un bilan des mesures prises au cours de la première période d'application de l'« état d'urgence » depuis le 14 novembre 2015 a été effectué dans le rapport n° 368 du 3 février 2016 de M. Michel Mercier, Sénateur 7 ( * ) .

B. OBSERVATIONS TIRÉES DES LÉGISLATIONS ÉTRANGÈRES

Les six régimes étudiés présentent de fortes disparités puisque :

- la Constitution espagnole distingue, à côté de l'« état d'alerte », deux autres régimes concernant l'« état d'exception » et l'« état de siège » ;

- la Constitution portugaise fait référence à l'« état d'urgence » et à l'« état de siège » ;

- et la loi britannique de 2004 permet de faire face aux situations d'urgence par des mesures exceptionnelles assez voisines de l'état d'urgence.

En revanche, les constitutions de la République fédérale allemande, de Belgique et d'Italie ne comportent pas de dispositif analogue à l'« état d'urgence ».

1. Définitions

Parmi les textes qui déterminent un régime propre à un équivalent de l'état d'urgence :

- la Constitution espagnole ne donne pas de définition des circonstances dans lesquelles il est loisible d'avoir recours à celui-ci, s'en tenant à fixer les règles intangibles de ce régime. La loi organique précise que le recours à l'« état d'exception » suppose que « le libre exercice des droits et des libertés des citoyens, le fonctionnement normal des institutions démocratiques et des services publics essentiels à la communauté ou tout autre aspect de l'ordre public sont si gravement altérés que l'exercice des compétences de droit commun ne serait pas suffisant pour le rétablir et le maintenir » ;

- la Constitution portugaise vise les cas d'agression de forces étrangères, réelle ou imminente, de menace grave ou de perturbation de l'ordre constitutionnel démocratique ou de calamité publique, qui ne justifient cependant par la proclamation de l'« état de siège » du fait de leur « moindre gravité » et confère aux autorités compétence pour prendre des mesures propres à assurer le retour rapide au fonctionnement ordinaire des institutions ;

- au Royaume-Uni , une loi de 2004 permet l'adoption par l'exécutif de mesures d'urgence afin de faire face à une crise et lui confère à cette fin, sous le contrôle du Parlement, des pouvoirs renforcés susceptibles de limiter certains droits fondamentaux. Ces mesures ont notamment pour objet de protéger les personnes et les biens et de rétablir l'activité des organes parlementaires.

En Allemagne , la législation ordinaire fait référence à la notion de « péril en la demeure » (Gefahr im Verzug) , susceptible de justifier, dans les bornes prévues par la loi, la limitation de droits fondamentaux. Le seul régime de crise qui permet la limitation d'une liberté publique est l'« état de tension » au cours duquel les pouvoirs publics peuvent limiter l'exercice du droit à choisir une profession en astreignant des citoyens à rendre un service civil ou militaire.

Bien qu'il n'existe pas de régime d'« état d'urgence » en Belgique , l'exécutif peut exercer des pouvoirs extraordinaires, sous réserve de l'adoption d'une loi d'habilitation, en cas de circonstances exceptionnelles. La loi fixe la durée de ces circonstances, les matières concernées, les objectifs et la portée de ces mesures. Toutefois, ces mesures ne sauraient suspendre l'application des dispositions relatives aux droits fondamentaux reconnus par la Constitution, ce qui les distingue de la notion d'état d'urgence.

L'article 13 de la Constitution italienne , qui ne connaît pas de dispositif analogue à l'état d'urgence au sens du droit français, dispose toutefois que « Dans des cas exceptionnels de nécessité et d'urgence, formellement indiqués pas la loi, l'autorité chargée de la sécurité publique peut adopter des mesures provisoires, qui doivent être communiquées dans les quarante-huit heures à l'autorité judiciaire, lesquelles sont révoquées et privées d'effets si cette autorité ne les approuve pas dans les quarante-huit heures qui suivent ».

2. Conditions générales applicables aux équivalents de l'« état d'urgence »

La nécessité et le caractère proportionnel des mesures ainsi que l'obligation de motiver et le caractère temporaire sont les maîtres-mots du régime applicable aux actes pris dans le cadre de l'état d'urgence.

• Nécessité

Les mesures prises et la durée de celles-ci doivent être strictement indispensables pour assurer le retour de la situation à la normale en Espagne, au Portugal comme au Royaume-Uni.

• Proportionnalité

Ces mesures doivent être proportionnées aux circonstances aussi bien en Espagne qu'au Portugal, où la déclaration d'« état d'urgence » et ses mesures d'exécution respectent le principe de proportionnalité.

• Motivation

La déclaration d'« état d'urgence » doit être motivée de façon appropriée au Portugal et au Royaume-Uni.

• Caractère temporaire

L'état d'urgence ou son équivalent sont limités à :

- sept jours à compter de la date de dépôt au Parlement du contenu des mesures d'urgence, sous réserve de l'accord de celui-ci pour les mesures adoptées au Royaume-Uni et au plus trente jours à compter de la même date ;

- quinze jours renouvelables sous les mêmes conditions que celles requises pour l'institution initiale du régime au Portugal ;

- et trente jours renouvelables sous des conditions identiques à celles requises pour l'institution initiale du régime en Espagne.

• Non-discrimination

La loi organique portugaise prévoit en outre explicitement que les mesures prises en matière de suspension des droits, libertés et garanties doivent respecter les principes d'égalité et de non-discrimination.

3. Nécessité de l'assentiment du Parlement

Laissée à l'initiative de l'exécutif, la demande de proclamation de l'état d'urgence suppose une autorisation du Parlement pour pouvoir entrer en vigueur, que celle-ci soit préalable à la décision, comme en Espagne ou au Portugal, ou rendue dans un délai de sept jours, comme au Royaume-Uni.

• Une initiative de l'exécutif soumise à l'approbation du Parlement

Au Royaume-Uni, quelques autorités appartenant à l'exécutif, dont la liste est fixée par la loi, peuvent recourir à des mesures d'urgence qui prennent effet dès leur présentation au Parlement et deviennent caduques si les deux chambres de celui-ci adoptent une résolution en ce sens ou si elles ne les approuvent pas dans les sept jours.

• Auteur et contenu de la demande adressée au Parlement

Une demande est adressée par :

- le Gouvernement au Congrès des députés en Espagne, qui y détaille, d'une part, les effets de l'« état d'exception » en mentionnant expressément les droits et libertés dont la suspension est demandée dans le cadre de la liste limitative fixée par l'article 55 de la Constitution et, d'autre part, les mesures à adopter concernant les droits dont la suspension est spécifiquement demandée ;

- et le Président à l'Assemblée de la République au Portugal, dont le message contient, tout d'abord, la demande d'autorisation de déclarer l'« état d'urgence », ensuite la mention de l'audition du Gouvernement et enfin la réponse du Gouvernement consulté.

Au Royaume-Uni, un ministre communique, dès que possible, aux deux chambres du Parlement britannique le contenu des mesures d'urgence qui ont été prises, lesquelles sont caduques si le Parlement ne les approuve pas dans les sept jours.

• Détermination du périmètre des droits et libertés susceptibles d'être suspendus

La Constitution ou la loi limitent le champ des droits fondamentaux dont l'application peut être suspendue.

Au Portugal, la Constitution prévoit que la déclaration d'état d'urgence précise la liste des droits, libertés et garanties dont l'exercice est suspendu sans porter préjudice au droit à la vie, à l'intégrité ou à l'identité des personnes, à la capacité civile, à la citoyenneté ou à la non-rétroactivité de la loi pénale, aux droits de la défense des personnes poursuivies ou à la liberté de conscience et de religion. Le décret présidentiel déclarant l'« état d'urgence » ne peut par conséquent prévoir qu'une suspension partielle des droits, libertés et garanties.

En Espagne, la Constitution elle-même dresse une liste des droits et libertés susceptibles d'être suspendus, à savoir :

- la liberté, la sécurité et la limitation de la garde à vue au temps strictement nécessaire pour la réalisation des vérifications nécessaires ;

- la procédure d' habeas corpus (droit pour une personne détenue illégalement d'être présentée au juge immédiatement) et la durée maximum du placement en détention provisoire ;

- l'inviolabilité du domicile ;

- le secret des communications, sauf décision judiciaire ;

- le droit de choisir sa résidence, de circuler sur le territoire, d'y entrer et d'en sortir ;

- le droit d'exprimer et de diffuser librement sa pensée, ses idées et ses opinions ;

- le droit de communiquer et de recevoir librement une information authentique par tout moyen de diffusion ;

- la nécessité d'une décision judiciaire pour saisir des publications, enregistrements et moyens d'information ;

- le droit de se réunir, pacifiquement ;

- ainsi que le droit de grève et celui d'utiliser des moyens adaptés dans le cadre des conflits collectifs du travail.

• Saisine immédiate du Parlement

L'Assemblée de la République portugaise est convoquée sans délai, pour statuer sur la demande du Président de la République.

Au Royaume-Uni, les mesures d'urgences sont applicables à compter de leur dépôt au Parlement et dans les sept jours suivant celui-ci.

• Contenu de l'autorisation parlementaire

Si le Congrès des députés espagnol peut, lorsqu'il débat de la demande, l'approuver dans les termes qu'il détermine et y introduire des modifications, l'Assemblée de la République portugaise ne peut déposer d'amendement ni formuler de conditions lorsqu'elle autorise l'instauration de l'« état d'urgence » au Portugal. Cette chambre adopte une résolution contenant la description détaillée de l'ampleur de l'autorisation et faisant référence à chacun des éléments que doit contenir le décret présidentiel d'instauration.

Au Portugal, la loi organique précise que le refus de confirmer l'autorisation de la commission permanente n'entraîne pas l'invalidité des actes qui ont été pris sur la base du décret portant instauration de l'« état d'urgence ».

• Nature de l'acte portant proclamation de l'état d'urgence

L'acte portant proclamation de l'état d'urgence procède :

- en Espagne, d'un décret en Conseil des ministres qui en précise les effets, le champ d'application territorial et la durée, lequel est pris après autorisation du Congrès des députés ;

- au Portugal d'un décret du Président de la République, pris après consultation du Gouvernement et approbation du Parlement, sans contreseing ministériel.

• Contenu de l'acte portant proclamation de l'état d'urgence

Au Portugal, le décret présidentiel déclarant l'« état d'urgence » :

- ne peut prévoir qu'une suspension partielle des droits, libertés et garanties ;

- prévoit si nécessaire le renforcement des pouvoirs des autorités administratives civiles et l'appui que leur prêtent les forces armées.

Ce décret contient de façon « claire » et « expresse » :

- la désignation et le fondement du recours à l'« état d'urgence » ;

- son champ d'application territorial ;

- sa durée ;

- les droits, libertés et garanties dont l'exercice est suspendu ou restreint ;

- le degré de renforcement des pouvoirs des autorités administratives civiles et l'appui que leur apportent les forces armées ;

- une référence au fait que ces mesures sont justifiées conformément aux dispositions de la Constitution qui déterminent les trois cas dans lesquels un régime de crise peut être instauré ;

- et les conséquences qu'ont ou pourraient avoir ces événements sur l'atteinte portée au fonctionnement normal des institutions.

4. Effets

On distinguera les effets de l'état d'urgence :

- sur les libertés publiques ;

- et sur le fonctionnement des institutions.

a) Effets sur les libertés publiques

L'état d'urgence et ses équivalents permettent une suspension momentanée de l'application :

- de certains « droit et libertés » en Espagne ;

- de certains « droits, libertés et garanties » au Portugal ;

- de diverses libertés au Royaume-Uni.

• Les restrictions des libertés publiques résultant des équivalents de l'« état d'urgence »

La suspension des libertés publiques peut concerner :

- la liberté individuelle et le droit des étrangers ;

- le droit de propriété ;

- la liberté de réunion ;

- le droit de grève ;

- la liberté d'aller et venir ;

- l'inviolabilité du domicile et les perquisitions ;

- le droit de propriété ;

- la liberté du commerce et de l'industrie ;

- et la liberté d'expression et de communication ;

Suspension de la liberté individuelle

L'autorité administrative peut détenir une personne qui s'apprête à porter atteinte à l'ordre public dix jours au plus en vertu de la loi organique en Espagne.

La préservation des droits de cette personne est prévue par :

- son information sans délai et de manière compréhensible des raisons de sa détention, sans qu'elle soit obligée de faire une déclaration, un avocat lui étant garanti (Espagne) ;

- la communication de cette détention au juge compétent dans les vingt-quatre heures, celui-ci pouvant à tout moment demander des informations, d'office ou par l'intermédiaire d'un juge délégué du lieu où se trouve le détenu (Espagne).

Le droit espagnol soumet les étrangers à un régime plus strict encore puisqu'ils sont :

- tenus de répondre, sous l'empire de l'« état d'exception », aux citations à comparaître lorsqu'ils en sont requis et à respecter les règles relatives au permis de résidence et aux documents d'inscription consulaire, ainsi que toute autre formalité ;

- susceptibles d'être expulsés, aux termes d'une décision motivée, s'ils contreviennent aux mesures prises ou agissent de connivence avec des personnes qui perturbent l'ordre public sauf s'ils s'apprêtent à commettre un délit, auquel cas ils sont soumis aux procédures judiciaires en vigueur, tandis que les apatrides et réfugiés dont l'expulsion n'est pas possible sont soumis au régime applicable aux Espagnols.

Limitation du droit de propriété

La loi britannique ouvre la possibilité de :

- procéder à la réquisition ou la confiscation d'un bien, avec ou sans compensation ;

- et détruire un bien avec ou sans compensation.

Limitation de la liberté de réunion

La liberté de réunion peut être suspendue du fait :

- de restrictions partielles (autorisation préalable) ou totales (interdiction, dissolution), qui ne sauraient toutefois concerner les réunions organisées par les partis politiques, les syndicats et les organisations patronales (Espagne) ;

- de l'intervention d'agents publics mandatés par l'autorité administrative dans des locaux où ont lieu des réunions, hormis le cas de flagrant délit (Espagne).

Le régime portugais ne précise pas la nature des mesures exceptionnelles susceptibles d'être prises mais indique que les réunions des organes statutaires des partis politiques, des syndicats et des associations professionnelles ne peuvent être interdites, dissoutes ou subordonnées à une autorisation préalable.

La loi britannique permet quant à elle de soumettre les rassemblements à autorisation et de les interdire.

Limitation du droit de grève

La Constitution espagnole prévoit explicitement que l'autorité administrative peut interdire la grève et les actions liées aux conflits collectifs du travail.

Limitation de la liberté d'aller et venir

La loi organique espagnole dispose également que la liberté d'aller et venir peut être limitée par :

- l'interdiction de circuler faite aux personnes et véhicules à certaines heures et dans certains lieux ;

- l'obligation d'attester son identité et de suivre un itinéraire ;

- la fixation de périmètres de protection ou de sécurité et les conditions de séjour dans ceux-ci des personnes qui peuvent entraver l'action de la force publique ;

- l'obligation de communiquer, avec un préavis de deux jours, tout déplacement hors de la localité où une personne a sa résidence habituelle ;

- la faculté donnée à l'autorité administrative de prévoir le déplacement de certaines personnes hors d'une localité ;

- le pouvoir conféré à la même autorité d'assigner provisoirement une personne à résidence dans une localité donnée, adaptée à sa situation personnelle ;

- en cas de mesures d'assignation à domicile ou d'interdiction de se déplacer, l'obligation faite à l'autorité administrative de prendre les mesures qui en découlent (voyages, logements, entretien des personnes concernées...).

La loi portugaise prévoit, quant à elle, que des restrictions d'aller et venir faites aux personnes et les limitations à la circulation des véhicules peuvent être édictées. Les autorités doivent faire en sorte que ces mesures tendent à atteindre le but fixé dans la déclaration d'« état d'urgence », en particulier en ce qui concerne le transport, le logement et l'entretien des citoyens qui en sont l'objet.

La loi britannique ouvre la possibilité :

- d'interdire la circulation d'un lieu à un autre ;

- de fixer un itinéraire obligatoire ;

- et de prohiber des voyages à des périodes données.

Inviolabilité du domicile et droit d'effectuer des perquisitions

La protection du domicile peut être suspendue, ce qui permet :

- d'effectuer des inspections et des perquisitions domiciliaires nécessaires pour faire la lumière sur des faits présumés délictueux et pour la préservation de l'ordre public, sous réserve de la participation de témoins qui peuvent être requis à cet effet et de l'établissement d'un procès-verbal communiqué à l'autorité judiciaire (Espagne) ;

- de limiter les formalités relatives aux perquisitions domiciliaires et aux autres moyens de preuve mis en oeuvre à l'établissement, en présence de deux témoins, d'un procès-verbal, lequel est communiqué au juge d'instruction, accompagné d'une information concernant les motifs et le résultat de ces opérations (Portugal).

Saisie d'armes

La loi organique espagnole permet explicitement à l'autorité administrative de saisir tout type d'armes, de munitions ou de substances explosives.

Contrôle de certaines activités

Du fait de l'état d'urgence, l'autorité administrative peut :

- ordonner l'intervention ou la supervision temporaire des industries et commerces susceptibles de menacer ou faciliter une menace à l'ordre public en rendant compte à tous les ministères concernés (Espagne) ;

- ordonner la fermeture préalable des salles de spectacle, des débits de boisson et des locaux du même type (Espagne) ;

- suspendre la diffusion de tout type de publications, d'émissions de radiodiffusion et de télévision, ainsi que des spectacles de cinéma et de théâtre (Espagne et Portugal).

La loi britannique permet, quant à elle, d'interdire certaines activités, sans autre précision.

Contrôle des transports

L'autorité administrative espagnole peut, en vertu de la loi organique, contrôler tous les moyens de transport et leur cargaison.

Contrôle des communications

L'autorité administrative a la faculté, en Espagne, en vertu de la loi organique, de :

- contrôler tout type de communications (postales, télégraphiques, téléphoniques...) pour mettre en lumière des faits présumés délictueux ou préserver l'ordre public, le juge compétent étant immédiatement informé de ce contrôle ;

- ordonner la saisie des publications, sans pouvoir exercer de censure préalable (Espagne et Portugal).

Mesures de surveillance et de protection

L'autorité administrative espagnole peut, en vertu de la loi organique, ordonner les mesures de surveillance et de protection des édifices, installations, ouvrages, services publics et industries de tout type, notamment en instaurant une surveillance armée appropriée.

b) Effets sur le fonctionnement des institutions

• Réunion du Parlement et d'instances appartenant aux pouvoirs publics

La Constitution prévoit la réunion du Parlement :

- en Espagne hors session, les deux chambres du Parlement (Congrès des députés et Sénat) étant immédiatement réunies ;

- au Portugal, sur convocation de la commission permanente de l'assemblée de la République qui rend une première décision sur la demande du Président de la République, laquelle permet de mettre en oeuvre l'état d'urgence dans l'attente de la réunion plénière de cette assemblée.

En Espagne, la Constitution dispose que la députation permanente 8 ( * ) du Congrès des députés exerce les compétences de celui-ci s'il a été dissous ou si son mandat a expiré.

La Constitution portugaise prévoit, en outre, la réunion, pendant la durée de l'état d'urgence :

- du conseil supérieur de la défense nationale lorsque l'ensemble du territoire national est concerné ;

- des services du procureur général de la République ;

- et des services de l'équivalent du médiateur de la République français.

• Interdiction de la dissolution du Parlement

La Constitution prohibe la dissolution :

- du Congrès des députés espagnol durant l'application de l'« état d'alerte » ;

- de l'Assemblée de la République portugaise dans le cadre de l'« état d'urgence ».

• Dispositions relatives au fonctionnement des institutions

La Constitution précise en ce qui concerne la marche des institutions que :

- ni le fonctionnement du Congrès des députés ni les autres pouvoirs constitutionnels de l'État espagnol ne s'interrompent (Espagne) ;

- la proclamation de l'équivalent de l'« état d'urgence » ne porte pas atteinte au principe de responsabilité du Gouvernement établi par la Constitution (Espagne) ;

- les lois qui déterminent le régime de l'« état d'urgence » fixent les conditions dans lesquelles les forces armées sont utilisées à cette occasion (Portugal).

La loi britannique permet une modification de la répartition des compétences en autorisant l'exécutif à :

- ne pas appliquer ou modifier une loi ou une disposition prise en vertu d'une loi ;

- exiger d'une personne ou d'un organisme qu'il agisse dans l'exercice de ses fonctions ;

- attribuer une compétence à un tribunal ;

- prendre des dispositions relatives aux eaux territoriales, aux zones de pêche britanniques ou au plateau continental.

• Prohibition de toute révision constitutionnelle

La Constitution interdit :

- toute révision constitutionnelle sous l'empire de l'« état d'exception » en Espagne et de l'« état d'urgence » au Portugal ;

- toute modification des dispositions de la Constitution relatives au régime de l'état d'urgence lui-même dans le cadre des pouvoirs exceptionnels dont le Gouvernement est investi au Portugal, où l'assemblée bénéficie d'une compétence exclusive et absolue pour modifier ce régime d'exception (Portugal) ;

- toute modification du fonctionnement ordinaire de la Constitution, sans qu'il soit possible de déroger aux règles constitutionnelles applicables au fonctionnement des « organes de souveraineté » (Président de la République, Gouvernement, juges) ni à ceux qui gouvernent les régions autonomes, non plus que les droits et immunités des titulaires de ces fonctions (Portugal).

• Désignation de personnes chargées de la mise en oeuvre de l'état d'urgence

Le Gouvernement portugais a la faculté de désigner :

- les personnes qui coordonnent les mesures relatives à la déclaration d'« état d'urgence » sur le territoire métropolitain, ces mesures étant prises dans les régions autonomes (les Açores et Madère) par le représentant de la République qui coopère avec le gouvernement régional ;

- et, le cas échéant, des commissaires chargés d'assurer le fonctionnement des institutions et entreprises publiques et nationalisées et des autres entreprises dont l'importance s'avère vitale dans ces circonstances.

Le Gouvernement britannique peut, quant à lui, désigner des « coordinateurs d'urgence » pour les différentes parties du Royaume et des « coordinateurs régionaux » dans chaque région concernée par les mesures qu'il a édictées.

• Concertation avec les autorités locales

Si la déclaration d'« état d'urgence » concerne :

- les régions autonomes, l'Assemblée de la République en consulte les gouvernements de la façon la plus rapide et la plus appropriée compte tenu des circonstances (Portugal) ;

- exclusivement tout ou partie du territoire d'une communauté autonome, l'autorité administrative peut coordonner l'exercice de ses compétences avec le gouvernement de cette communauté (Espagne).

5. Modification, renouvellement, cessation

• Modification

La procédure de modification est asymétrique :

- en Espagne puisque si le Gouvernement souhaite y adopter des mesures autres que celles autorisées par le Congrès des députés, il présente à celui-ci une nouvelle demande, dans les conditions applicables à la demande initiale, et que s'il estime souhaitable de mettre fin à l'« état d'exception » avant le terme initialement prévu, il en informe le Congrès des députés ;

- et au Portugal, où les mesures initiales peuvent être renouvelées ou étendues dans des conditions analogues à celles prévues pour leur instauration et réduites par décret du Président de la République soumis au contreseing du Gouvernement, sans que celui-ci ne soit consulté ni que l'Assemblée de la République ne doive donner une autorisation ou une confirmation.

• Durée de la prorogation

L'état d'urgence peut être prorogé :

- tout au plus trente jours en Espagne sous réserve de l'autorisation du Congrès des députés ;

- pour quinze jours renouvelables sous les mêmes conditions que celles requises pour l'institution initiale du régime au Portugal.

6. Contrôles de la mise en oeuvre, contentieux et sanctions pénales

• Information du Parlement et contrôle qu'il exerce

La Constitution portugaise fait référence au contrôle parlementaire de l'état d'urgence puisque :

- durant la période où l'« état d'urgence » est en vigueur, le Gouvernement est tenu d'informer de son action le Président de la République et l'assemblée monocamérale ;

- dans les quinze jours suivant la cessation de l'« état d'urgence », et dans les quinze jours suivant chaque renouvellement, le Gouvernement remet à l'Assemblée de la République un rapport détaillé sur les mesures prises sous l'empire de l'« état d'urgence ». L'Assemblée, ou sa commission permanente, statue par une résolution relative aux mesures nécessaires pour mettre en cause la responsabilité civile ou pénale en cas de violation des dispositions du décret relatif à l'« état d'urgence ». Les décisions de la commission permanente sur ce sujet doivent être confirmées par l'Assemblée dès que possible.

• Contrôle juridictionnel des atteintes aux droits individuels

Les actes de l'administration pris durant la période où l'« état d'exception » est en vigueur sont susceptibles de recours juridictionnel dans les conditions de droit commun (Espagne).

Les personnes qui subissent des dommages du fait de l'« état d'exception » au titre d'actes qui ne leur sont pas imputables ont droit à indemnisation (Espagne).

Au Portugal, les juges d'instruction doivent recevoir communication, dans les vingt-quatre heures, de toutes les assignations à résidence et de toutes les détentions de personnes consécutives à la violation des règles de sécurité en vigueur pendant l'état d'urgence, dans le respect du droit à l' habeas corpus .

• Contentieux des atteintes aux droits individuels

Durant la période pendant laquelle l'« état d'urgence » est en vigueur, les citoyens conservent, dans sa plénitude, la faculté d'intenter des recours devant les tribunaux dans les conditions de droit commun, pour la défense de leurs droits, libertés et garanties lésés ou menacés par toute disposition contraire à la Constitution ou à la loi (Portugal).

Sous réserve des termes de la déclaration d'« état d'urgence », les tribunaux de droit commun exercent, sous l'empire de l'« état d'urgence », leurs compétences. Ils veillent au respect des règles constitutionnelles (Portugal).

Les citoyens dont les droits, libertés et garanties viendraient à être violés du fait d'une mesure résultant de l'état d'urgence ou d'une décision qui en découle, laquelle contrevient à la loi ou à la Constitution, peuvent obtenir une indemnisation dans les conditions du droit commun (Portugal).

• Dispositions relatives aux sanctions pénales

Si un juge constate, durant la période où s'applique l'« état d'exception », des faits contraires à l'ordre public et à la sécurité, il peut, après avoir entendu le Parquet, placer le responsable en détention provisoire jusqu'à la fin de l'« état d'exception ». Les condamnés dans une telle affaire ne peuvent bénéficier de la remise conditionnelle durant la période d'« état d'exception » (Espagne).

Au Portugal, la violation des dispositions contenues dans la déclaration d'« état d'urgence » constitue une infraction pénale.

Le montant maximum des sanctions pécuniaires que les autorités administratives sont autorisées à infliger aux contrevenants est précisé dans la demande initiale soumise au Congrès des députés espagnols.

Au Royaume-Uni, l'exécutif a la faculté d'instituer une infraction pour non-respect de ou obstruction aux mesures qu'il a ordonnées.

Les sanctions prononcées par les autorités chargées de la mise en oeuvre de l'« état d'exception » disparaissent au terme de celui-ci, hormis celles devenues définitives (Espagne).


* 1 Emmanuel Dupic, « L'état d'urgence : pratiques et évolutions » dans La Gazette du Palais , édition professionnelle, vendredi 20-samedi 21 novembre 2015 ; n° 324 à 325, p. 6.

* 2 Loi n o 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions.

* 3 Extrait du compte rendu du Conseil des ministres du 23 décembre 2015.

* 4 L'article 11 de la loi n o 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence instituait un « contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales ». Cette disposition a été abrogée par la loi n o 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l'application de la loi n o 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions.

* 5 L'article 11 prévoyait également, dans sa rédaction résultant de la loi du 20 novembre 2015, la possibilité de copier ces données informatiques. Dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions contraires à la Constitution.

* 6 Rapport n o 177 du 19 novembre 2015 de M. Philippe Bas, Sénateur, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, prorogeant l'application de la loi n o 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions.

* 7 Rapport n° 368 de M. Michel Mercier, Sénateur, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sur le projet de loi prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence.

* 8 En vertu de l'article 78 de la Constitution, la députation permanente de chaque chambre du Parlement se compose d'au moins vingt-et-un membres élus à la proportionnelle des groupes politiques.

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