QUEBEC
Après plusieurs années marquées par de nombreux
conflits dans les secteurs public et parapublic et par plusieurs propositions
de réforme, le gouvernement prépara en 1982 un projet de loi dont
l'objet était "
consacrer la primauté du droit des
citoyens de continuer à bénéficier de services
jugés essentiels, lorsque des travailleurs exercent leur droit de
grève dans les services de santé, dans les services sociaux et
dans certains services publics
".
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I. LES SERVICES CONCERNES
La loi n'énumère pas les services publics essentiels c'est-à-dire ceux dont le maintien est nécessaire en cas de grève. En revanche, elle indique qu'un service public doit être considéré comme essentiel lorsque son absence représente un danger pour la santé ou pour la sécurité de la population .
1) Les établissements de santé et les services sociaux
Le critère de santé et de sécurité justifie que tous les établissements de santé et tous les services sociaux soient astreints au maintien d'un service minimum en cas de grève .
2) Les autres services publics
Le
critère du maintien de la santé et de la sécurité
de la population est le seul pris en compte pour définir les services
publics astreints au service minimum. Les inconvénients causés
aux usagers par une grève dans un service public ou l'impact
économique d'un tel conflit ne constituent pas des critères
pertinents.
Ainsi, le transport par autobus ne constitue un service essentiel que lorsque
son absence risque de provoquer un engorgement de la circulation tel que les
véhicules d'urgence ne peuvent pas circuler librement.
En revanche, certains services sont toujours jugés essentiels :
c'est par exemple le cas du traitement des eaux usées, de l'entretien
des voies publiques ou de l'enlèvement des ordures
ménagères.
Seuls les services publics qui ont fait l'objet d'un
décret
d'assujettissement au maintien des services essentiels
doivent fournir un
service minimum pendant une grève. L'article 111-0-17 du code du travail
énonce en effet : "
Sur recommandation du ministre, le
gouvernement peut, par décret, s'il est d'avis que dans un service
public une grève pourra avoir pour effet de mettre en danger la
santé ou la sécurité publique, ordonner à un
employeur et à une association accréditée (4(
*
)) de ce service public de maintenir des services
essentiels en cas de grève
".
Par ailleurs, la loi donne la liste des services publics susceptibles
d'être assujettis par décret au maintien du service minimum lors
d'une grève :
- une municipalité et une régie intermunicipale ;
- une entreprise de transport par autobus, par bateau, par chemin de fer ou
métro ;
- une entreprise d'incinération de déchets ou
d'enlèvement, de transport, d'entreposage, de traitement, de
transformation ou d'élimination d'ordures ménagères, de
déchets biomédicaux, d'animaux morts impropres à la
consommation humaine ou de résidus animaux destinés à
l'équarrissage ;
- une entreprise de téléphone ;
- une entreprise de transport par ambulance ;
- une entreprise de production, de transport, de distribution ou de vente de
gaz ou d'électricité ;
- une entreprise qui exploite ou entretient un système d'aqueduc,
d'égout, d'assainissement ou de traitement des eaux ;
- une entreprise de collecte, de transport ou de distribution du sang ou de ses
dérivés ou d'organes humains destinés à la
transplantation ;
- un centre d'accueil privé ;
- un organisme de protection de la forêt contre les incendies ;
- une régie régionale et un conseil régional de la
santé et des services sociaux ;
- un organisme mandataire du gouvernement.
II. L'ORGANISATION DU SERVICE MINIMUM
La loi laisse aux partenaires sociaux le soin d'organiser le service minimum. Pour cela, elle décrit la procédure qu'ils doivent suivre avant de déclencher une grève.
1) Les services publics
Avant le
déclenchement d'une grève dans un service public qui est
assujetti au maintien des services essentiels, tout syndicat doit :
- respecter un préavis de sept jours ;
- négocier les services essentiels avec l'employeur.
Cette négociation peut être menée avec l'aide d'un
médiateur
désigné par le Conseil des services
essentiels. Elle doit permettre de définir les services essentiels, la
nature des prestations offertes, ainsi que les effectifs nécessaires
à leur maintien pendant la grève. La loi prévoit deux
hypothèses : les parties concluent un accord, dénommé
" entente ". Si ce n'est pas le cas, le syndicat transmet à
l'employeur une liste des services essentiels à maintenir en cas de
grève.
Le Conseil évalue si les services proposés sont suffisants et
rend sa décision dans un délai de sept jours.
S'il juge les services insuffisants, le Conseil peut :
- recommander des modifications à la liste des services
essentiels ;
- recommander de surseoir à la grève afin de reprendre la
négociation sur les services essentiels ;
- faire un rapport au ministre du Travail pour lui indiquer dans quelle mesure
l'insuffisance des services proposés constitue une menace pour la
santé ou la sécurité de la population. Le ministre peut
alors recommander au gouvernement de suspendre l'exercice du droit de
grève du syndicat jusqu'à "
ce qu'il soit
démontré, à la satisfaction du gouvernement, qu'en cas
d'exercice du droit de grève les services essentiels seront maintenus de
façon suffisante dans ce service public
".
Cette dernière possibilité est rarement utilisée.
2) Les établissements de santé et les services sociaux
Ils
doivent maintenir non pas des services, mais, pour chaque équipe,
un
pourcentage d'effectifs
pendant la grève. Ce pourcentage varie de
55 % à 90 % selon le type d'établissements.
Par ailleurs, la liste ou l'entente doit prévoir :
- le fonctionnement normal des unités de soins intensifs et
d'urgence ;
- le libre accès des bénéficiaires à
l'établissement ;
- la période à laquelle elle s'applique (fins de semaine,
vacances...) ;
- l'effectif de chaque unité.
La liste ou l'entente doit avoir été approuvée par le
Conseil des services essentiels au moins quatre-vingt-dix jours avant qu'une
grève ne puisse être déclarée.
III. LES GARANTIES DE L'APPLICATION DU SERVICE MINIMUM
La loi de 1982 a créé le Conseil des services essentiels, qui est chargé de s'assurer que les citoyens continuent de bénéficier de services jugés essentiels lorsque les travailleurs de certains services publics, des établissements de santé et des services sociaux exercent leur droit de grève.
1) Le statut du conseil
Il est
formé de huit membres nommés par le gouvernement. Le
président et le vice-président sont nommés pour au plus
cinq ans et les six autres membres pour au plus trois ans. Ces six membres sont
choisis après consultation des milieux patronal, syndical et associatif.
Les fonctions de membre du conseil sont exclusives de toute autre.
Le conseil est un organe rattaché au ministère du Travail. Il
dispose d'une administration permanente d'une trentaine de personnes
(médiateurs, enquêteurs, conseillers juridiques...). Le budget
annuel du conseil s'élève à environ 2,5 millions de
dollars canadiens, soit environ 10 millions de francs.
2) Le rôle du conseil
Pour
assumer sa mission, il :
- sensibilise les employeurs et les syndicats au maintien des services
essentiels lors d'une grève ;
- informe le public sur toute question relative au maintien des services
essentiels ;
- vérifie, par le biais de ses enquêteurs et de ses
médiateurs, que les services essentiels proposés sont
suffisants ;
- veille à ce que les services soient assurés pendant la
grève, conformément à ceux qu'il a jugés
suffisants ;
- exerce des "
pouvoirs de redressement
" lorsque les
services essentiels prévus par une liste ou par une entente ne sont pas
rendus
(5(
*
))
.
Cette dernière compétence lui a été donnée
en 1985. Le conseil intervient de sa propre initiative ou sur demande d'une
personne intéressée. Aux termes de l'article 111-17 du code du
travail, s'il estime "
que les services essentiels prévus
à une liste ou à une entente ne sont pas rendus lors d'une
grève, le Conseil peut, après avoir fourni aux parties l'occasion
de présenter leurs observations, rendre une ordonnance (...) exiger le
respect (...) d'une entente ou d'une liste sur les services
essentiels
".
Le conseil peut déposer ces ordonnances au greffe de la Cour
supérieure du Québec. Il leur donne ainsi la même force
qu'à un jugement de cette cour, de sorte qu'un contrevenant à une
telle ordonnance peut faire l'objet de poursuites pour outrage au tribunal.