EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le sixième rapport d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) des Nations unies nous alerte sur l'impératif d'actions rapides, structurelles, durables et à grande échelle pour limiter le réchauffement à 2 °C. Cette bataille pour le climat, dans laquelle la France s'est engagée de longue date, est cardinale pour pouvoir léguer une planète vivable aux futures générations. Elle nécessite des mesures adaptées à l'enjeu, alors même que la vague de sécheresse historique de cet été tend à nous montrer que les premiers symptômes du changement climatique sont perceptibles en France.

Dans le même temps, la guerre en Ukraine et ses conséquences géopolitiques ont bouleversé les circuits d'approvisionnement usuels des ressources énergétiques fossiles, en particulier des produits pétroliers et du gaz naturel. Si la France demeure moins exposée que certains de ses voisins européens à ces ruptures d'approvisionnement, cette situation montre la dépendance de notre économie et de nos modes de vie aux énergies fossiles importées. Or ces énergies sont également à l'origine d'une part très substantielle de l'empreinte carbone de notre Nation. Ainsi, les besoins de réduction massive de nos émissions de gaz à effet de serre et notre besoin impératif et souverain d'indépendance énergétique se complètent et nous rappellent que les décisions permettant à la France d'être une puissance industrielle souveraine et décarbonée doivent être prises rapidement.

Afin d'accélérer la transition et l'indépendance énergétique de la France, le Président de la République a présenté le 10 février 2022 dans le discours de Belfort son ambition - faire de la France le premier grand pays à sortir des énergies fossiles, qui repose sur deux grands piliers indissociables. D'une part, la sobriété et l'efficacité énergétiques, qui doivent se traduire par une baisse de la consommation d'énergie de 40 % à horizon 2050. D'autre part, une accélération massive dans la production d'énergie décarbonée, en particulier d'énergie électrique : les énergies renouvelables, qui font l'objet d'un projet de loi dédié, et l'énergie nucléaire.

La France dispose, en 2022, d'une avance notable dans la décarbonation de son économie, par rapport à ses voisins européens, grâce aux choix historiques en matière de politique énergétique. Elle dispose d'un des mix électriques les plus décarbonés du monde, qui figure parmi les plus compétitifs d'Europe. À titre d'exemple, la production d'électricité en 2021 a été assurée à plus de 92 % par des sources n'émettant pas de gaz à effet de serre, notamment l'énergie nucléaire (69 % de l'énergie produite en 2021), l'énergie hydroélectrique (12 % de l'énergie produite en 2021) et les autres énergies renouvelables (11 % de l'énergie produite en 2021).

La production d'électricité d'origine nucléaire doit, tant pour décarboner notre économie que pour assurer notre indépendance énergétique et maintenir notre compétitivité, être sécurisée dans la durée et poursuivre son développement. C'est la raison pour laquelle le Président de la République, en s'appuyant notamment sur le rapport « Futurs énergétiques 2050 » de RTE, a annoncé le 10 février 2022 la relance d'une politique électronucléaire française ambitieuse et durable.

Il a ainsi fait part de son intention que six nouveaux réacteurs électronucléaires soient construits et que soient lancées les études pour la construction de huit autres réacteurs. Il a également formé le souhait que le fonctionnement de tous les réacteurs actuellement en service soit prolongé, sauf en cas de contrainte en matière de sûreté nucléaire.

Les nouveaux réacteurs ont vocation à être installés à proximité immédiate ou à l'intérieur du périmètre d'une installation nucléaire de base existante.

Dans ce contexte de relance de l'énergie nucléaire, le présent projet de loi a pour objectif de simplifier et d'accélérer la mise en oeuvre de projets de construction de nouveaux réacteurs électronucléaires en France, en précisant l'articulation entre les différentes procédures (urbanisme, autorisation de création des réacteurs électronucléaires et autorisation environnementale), tout en garantissant la protection de l'ensemble des intérêts mentionné à l'article L. 593-1 du code de l'environnement (sécurité, santé et salubrité publiques, protection de la nature et de l'environnement) et le plein respect du principe de participation du public inscrit dans la Charte de l'environnement.

Les procédures spécifiques de ce projet de loi porteront sur des emprises foncières d'ampleur limitée, de l'ordre de 100 à 200 hectares pour chaque paire de réacteurs en incluant les emprises temporaires nécessaires le temps des travaux. Ces emprises foncières seront toutes localisées à proximité immédiate ou à l'intérieur du périmètre d'une installation nucléaire de base existante. Une part importante des emprises envisagées est d'ores et déjà détenue par Électricité de France ou relève du domaine public de l'État.

Ces mesures permettront la mise en service de réacteurs électronucléaires plus rapidement, donnant à la France et l'Union européenne des capacités de production d'électricité décarbonée pilotables, qui bénéficieront à tous les consommateurs d'électricité.

Enfin, le présent projet de loi vise à clarifier les modalités de réexamen périodique des réacteurs électronucléaires de plus de trente-cinq ans et à améliorer la gestion des arrêts prolongés de fonctionnement des installations nucléaires de base. Ces mesures concourent à sécuriser juridiquement le cadre d'exploitation à long terme de notre parc électronucléaire.

Au cours des prochains mois, la France sera amenée à mettre à jour la Stratégie française relative à l'énergie et au climat, notamment pour tenir compte de l'objectif européen de rehaussement de l'ambition en matière de lutte contre le changement climatique. C'est l'objet de la prochaine loi de programmation sur l'énergie et le climat qui sera adoptée en 2023, après une concertation nationale approfondie visant à éclairer le public sur l'ensemble des enjeux de cette stratégie, en matière de transformation des usages comme de renouvellement du mix énergétique.

Le présent projet de loi n'emporte pas de décision s'agissant de l'engagement de projets de construction de nouveaux réacteurs électronucléaires, ni s'agissant des orientations relatives au mix électrique français. Il ne préjuge pas des décisions qui seront prises à l'issue des travaux en cours sur la Stratégie française relative à l'énergie et au climat, qui tiendront compte des concertations et débats publics prévus sur ces sujets. En revanche, cette stratégie pourra bénéficier, selon les orientations qui y seront retenues, des mesures prévues par le présent projet de loi et par le projet de loi ayant le même objet pour les énergies renouvelables.

Il est essentiel que le présent projet de loi aboutisse avant la fin du premier trimestre 2023, afin d'accélérer les procédures en cas de décision de construire de nouveaux réacteurs électronucléaires, de maîtriser leur délai de déploiement et d'en réduire le coût complet.

Plus globalement, le Gouvernement prend progressivement un ensemble de mesures pour assurer la réussite de la relance d'une politique ambitieuse en matière de nucléaire civil, dans des délais maîtrisés et au meilleur coût, en s'appuyant notamment sur le plan d'investissement « France 2030 » : soutiens à la formation, à la modernisation de l'outil industriel, à l'émergence de petits réacteurs modulaires et d'autres réacteurs innovants, etc.

Ce projet de loi doit ainsi permettre, en complément des actions déjà engagées par le Gouvernement, de réunir les conditions juridiques, financières et d'organisation nécessaires à la relance d'une politique ambitieuse en matière de nucléaire civil.

L' article 1 er donne le cadre général du titre I er qui vise à accélérer la construction des réacteurs électronucléaires ayant déposé leur dossier de demande d'autorisation de création sera déposé dans les quinze ans suivant la promulgation de la loi, en simplifiant les procédures administratives qui leur sont applicables.

L' article 2 institue une procédure spécifique de mise en compatibilité des documents d'urbanisme, en vue de la réalisation d'un réacteur électronucléaire. Cette procédure nouvelle, prévoyant la déclaration d'intérêt général du projet par décret en Conseil d'État et l'adoption de la mise en compatibilité des documents d'urbanisme par décret, contribue à limiter la durée inhérente aux procédures de droit commun. Le traitement des contentieux éventuels en premier et dernier ressort par le Conseil d'État, en raison de la nature des décisions prises, permettra également une sécurisation juridique rapide et tout aussi robuste.

L' article 3 , tirant notamment les conséquences de l'examen détaillé de la conformité du projet avec les règles d'urbanisme dans le cadre de la procédure de mise en compatibilité, dispense d'autorisation d'urbanisme les constructions, aménagements, installations et travaux réalisés en vue de la création d'un réacteur électronucléaire et des équipements et installations nécessaires à son exploitation. Il prévoit qu'un contrôle de la conformité au respect des règles d'urbanisme (règles de fond) de ces opérations sera assuré, pour l'ensemble du projet, dans le cadre de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale ou d'autorisation de création du réacteur, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. Il est par ailleurs prévu le maintien de l'application des dispositions relatives aux taxes et participations financières au titre du code de l'urbanisme à la charge de l'exploitant de la construction du réacteur électronucléaire.

L' article 4 prévoit que l'autorisation environnementale requise en vue de la création d'un réacteur électronucléaires et des installations nécessaires à son exploitation au sens de l'article L. 593-3 du code de l'environnement, est délivrée par décret, pour l'ensemble de ces constructions, aménagements, installations ou travaux, au vu d'une étude d'impact portant sur l'ensemble du projet. Cet article prévoit également que, par dérogation aux dispositions législatives actuelles qui précisent que les travaux portant sur une installation nucléaire de base soumise à une autorisation de création au titre du code de l'environnement ne peuvent pas être engagés avant la clôture de l'enquête publique préalable à cette autorisation, les travaux concernant la construction des bâtiments destinés à recevoir des combustibles nucléaires, y compris leurs fondations, ainsi que ceux destinés à héberger des matériels de sauvegarde, ne pourront pas être engagés avant la publication du décret d'autorisation de création du réacteur électronucléaire. En revanche, les autres travaux n'ayant pas ou très peu d'impact sur la sûreté pourront être mis en oeuvre dès lors que l'exploitant bénéficiera d'une autorisation environnementale dont la procédure d'instruction intègre l'analyse d'une étude d'impact pour le projet global et une enquête publique et sous réserve que leur conformité aux règles de fond en matière d'urbanisme ait été vérifiée par l'autorité administrative.

L' article 5 autorise, dans les zones intéressant la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral (dite « loi Littoral »), l'implantation des réacteurs électronucléaires. L'article permet de déroger à l'article L. 121-8 de la loi Littoral dans un cadre strictement encadré : la dérogation ne concernera aucun autre type d'installation nucléaire et il ne pourra y être recouru que pour les projets situés à proximité immédiate ou à l'intérieur du périmètre d'un réacteur électronucléaire existant, en bord de mer.

L' article 6 prévoit que, par dérogation aux dispositions prévoyant une déclaration d'utilité public spécifique pour atteinte à l'État naturel du rivage de la mer, la concession d'utilisation du domaine public maritime soit accordée, pour la construction et l'exploitation d'un réacteur électronucléaire, par décret en Conseil d'État, après réalisation d'une enquête publique préalable à tout changement substantiel d'utilisation de zones du domaine public maritime.

L' article 7 accorde aux exploitants de réacteurs électronucléaires reconnus d'utilité publique la possibilité de recourir à une procédure de prise de possession immédiate définie dans le code de l'expropriation.

L' article 8 prévoit que les mesures d'application du titre I er du présent projet de loi soient prises par décret en Conseil d'État.

L' article 9 clarifie, à l'article L. 593-19 du code de l'environnement, le champ de l'enquête publique et les modalités d'analyse et de prise en compte par l'Autorité de sûreté nucléaire des actions proposées par l'exploitant pour améliorer la protection des personnes et de l'environnement, lors des réexamens périodiques des réacteurs électronucléaires de plus de 35 ans.

L' article 10 modifie l'article L. 593-24 du code de l'environnement pour ne pas systématiser le caractère définitif de l'arrêt d'une installation nucléaire de base ayant cessé de fonctionner pendant deux ans, tout en prévoyant que, au-delà de ce délai, la mise à l'arrêt définitif puisse être ordonnée par décret.

L' article 11 ratifie l'ordonnance n° 2016-128 du 10 février 2016 portant diverses dispositions en matière nucléaire.

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