EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le Gouvernement a engagé une réforme qui vise à relever de deux ans l'âge légal de départ à la retraite ainsi que la durée de cotisation requise pour prétendre à une retraite à taux plein.

L'objectif marqué par une vision comptable est double : réduire les dépenses publiques en diminuant le temps de la retraite et les pensions versées et générer de nouvelles recettes en augmentant la durée de cotisation des salariés.

Néanmoins, les impacts sociaux d'un tel choix politique ne peuvent être ignorés. En effet, le poids entier d'une telle disposition repose exclusivement sur les travailleuses et les travailleurs. Or il apparaît très clairement que le choix politique de relever l'âge légal de départ à la retraite n'est pas soutenable d'un point de vue humain et social.

À ce titre, le report de deux ans de l'âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans, qui date de 2010, est fort d'enseignement.

L'Insee a ainsi démontré que ce précédent recul de deux ans a nettement exacerbé la précarisation des personnes en fin de carrière. La réforme de 2010 a, en effet, accru la probabilité d'être précaire à 60 ans de 13 points ainsi que la part des personnes âgées de plus de 50 ans, parmi les privés d'emploi, de 15 points.

À l'heure actuelle, reculer de nouveau l'âge de départ à la retraite se heurte, plus encore qu'en 2010, aux difficultés du maintien dans l'emploi des travailleurs de plus de 50 ans. En effet, près d'un travailleur sur deux à partir de 54 ans n'est plus en emploi et un tiers des plus de 61 ans n'est plus ni en emploi, ni à la retraite. Dans le contexte actuel de chômage et de réduction des droits à l'assurance chômage, reculer l'âge légal de départ à la retraite comportera ainsi, à l'instar de la réforme de 2010, et vraisemblablement de manière amplifiée, un coût humain et social extrêmement important.

Ces présomptions sont confirmées par les travaux de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques et de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques : le coût social estimé du décalage de la retraite à 64 ans serait d'environ 100 000 allocataires de minima sociaux supplémentaires. Un nouveau recul de l'âge de départ à la retraite porterait également à près de 80 000 le nombre de nouveaux privés d'emploi indemnisés. En outre, les dernières réformes du Gouvernement en matière d'assurance chômage ont fortement réduit les conditions d'accès et la durée de l'indemnisation. Il y aura donc bien plus de personnes sans emploi et privées de toute indemnisation.

Par ailleurs, l'intensification du travail et la dégradation des conditions de travail n'ont cessé de croître. Ainsi, en 1984, 21 % des ouvriers « non qualifiés » subissaient au moins trois contraintes physiques ; en 2019, ils étaient 69 %. Pour les employés de commerce et services, ce chiffre est passé de 10 % à 48 % sur la même période. Les effets de l'âge sont ainsi très différenciés selon le métier exercé et les contraintes subies. Ces inégalités observées tout au long de la vie se traduisent par des inégalités très fortes en matière d'espérance de vie. Pour les hommes, on peut observer près de douze années d'écart d'espérance de vie entre les 10 % les plus pauvres et les 10 % les plus riches ; pour les femmes, ce sont près de huit années d'écart. Les plus riches bénéficient également plus longtemps de la retraite : seuls 49 % des hommes du premier décile dépassent les 75 ans, contre 84 % des plus riches.

En outre, sachant que les écarts de salaire entre femmes et hommes sont de 28 % en moyenne, que par conséquent, les pensions des femmes sont en moyenne inférieures de 40 % à celle des hommes et que 40 % des femmes partent à la retraite avec une carrière incomplète, les inégalités avérées dans la vie, au travail et à la retraite entre les femmes et les hommes seront mécaniquement amplifiées par un allongement de la durée de travail.

Il est donc indéniable que le choix de rallonger la durée au travail accentue les inégalités sociales et porte particulièrement préjudice aux populations les plus vulnérables, à celles exerçant les métiers les plus précaires ou les plus affectés par une forme de pénibilité.

Faire le choix de reporter l'âge légal de départ à la retraite relève bien d'une réforme relative à la politique sociale dont les effets attendus, en termes budgétaires, sont entièrement supportés par les travailleurs. Or, il apparaît très clairement que les impacts sociaux d'une telle disposition sont largement régressifs et confortent les inégalités sociales quand il conviendrait, à l'inverse, de les corriger pour une meilleure cohésion sociale.

Ainsi, en affirmant par une disposition législative une limitation de l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans, la proposition de loi vise à ériger cette limite en un principe directeur du système de retraites par répartition. Elle tend aussi à assurer l'effectivité des autres principes directeurs, en précisant les moyens d'assurer la pérennité financière du système. C'est l'objet de l'article 2 qui affirme la nécessaire contribution des revenus du capital au financement des retraites. Actuellement, les revenus du capital représentent une part infime du financement de la Sécurité sociale (4 % en 2019), laquelle n'est pas plus élevée qu'elle ne l'était en 1999 et en 2008 (données HCFiPS). Le principe selon lequel « la pérennité financière du système de retraite par répartition est assurée par des contributions réparties équitablement [...] entre les revenus tirés du travail et du capital » demeure ainsi cruellement privé d'effectivité. C'est pourquoi, aux fins de garantie des objectifs assignés au système des retraites énoncés à l'article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale, il convient d'assujettir les plus-values sur titres, rachats d'actions et dividendes à des contributions d'un montant similaire aux cotisations salariales sur les retraites, et d'en prévoir l'affectation directe au système de retraites. Cette réforme substantielle des principes de financement de notre système de retraite permet ainsi de se rapprocher du principe légal d'une répartition équitable des contributions entre revenus tirés du travail et du capital, par un apport significatif des revenus du capital les plus élevés.

Pour toutes ces raisons, il revient donc au peuple français, par voie de référendum, de pouvoir se prononcer pour ou contre la limitation de l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans et la contribution significative des revenus du capital à la pérennité financière de notre système de retraites.