EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'eau est une ressource précieuse et sans doute devons-nous en être davantage conscients. C'est dans la perspective d'assurer un équilibre de la ressource que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) du Sénat a souhaité entamer des réflexions dans le cadre de son droit de tirage annuel en 2023 et de la remise du rapport de la mission d'information « Gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement » qui témoigne d'une feuille de route claire et ambitieuse, 53 recommandations traduisant notre volonté politique et celle de son rapporteur Hervé GILLÉ pour proposer des solutions pragmatiques, basées sur la concertation de l'ensemble des acteurs de l'eau.

La concertation avec les acteurs est en effet dépendante des ressources disponibles du territoire considéré. De ce point de vue, la France hexagonale est régulièrement citée comme favorablement dotée avec son climat tempéré et sa chaîne de massifs montagneux. Ses infrastructures de gestion de l'eau permettant de prévenir les inondations ou de soutenir les périodes d'étiage sont également des outils essentiels. Enfin, concernant le petit cycle de l'eau, son système de distribution de l'eau potable et d'assainissement des eaux usées est globalement salué même si les situations divergent drastiquement entre territoires notamment d'Outre-Mer, ce qui nécessite la recherche de solutions sur le court terme pour la population.

Or, ces atouts sont aujourd'hui remis en cause par une multitude de facteurs et en premier lieu celui du réchauffement climatique qui dégrade plus rapidement les capacités de notre système de gestion de l'eau. Les sécheresses hors normes des étés 2022 et 2023 qui se sont prolongées jusqu'à la mi-octobre appellent une vigilance accrue de notre part concernant les déséquilibres hydriques que nous connaissons et allons malheureusement continuer à connaître dans les prochaines années.

Dans le même temps, une approche plus mesurée des prélèvements a commencé à se développer de façon concomitante avec la nécessaire prise de conscience qu'il nous faut protéger nos milieux humides fragiles. Ainsi, que ce soient lors des assises de l'eau en 2018 ou dans le cadre de l'annonce du plan eau du printemps 2023, la préoccupation de sobriété par les pouvoirs publics semble réaffirmée. Pourtant, les efforts restent globalement modestes puisque l'objectif de baisse générale de 10 % des prélèvements d'eau annoncé dans le cadre du plan eau est en réalité moins ambitieux que celui fixé en 2019 avec un report de l'échéance de 2025 à 2030. Poser la nécessité de la sobriété permettrait donc de réduire le recours aux restrictions considérées comme subies et d'engager un véritable dialogue sur le partage de la ressource.

Plus encore, ces objectifs à la fois de prélèvement et consommation raisonnés de la ressource créent des tensions et conflits d'usages qui atteignent une nouvelle ampleur, entre les utilisateurs de l'eau en premier lieu. La couverture médiatique générée à l'été 2022 et la contestation de plusieurs projets, dont celle de la construction de retenues agricoles à Sainte-Soline en Nouvelle-Aquitaine, témoignent d'un tournant dans l'opinion publique et de ce que pourrait constituer à l'avenir une politique de l'eau insuffisamment concertée. Leur nécessaire apaisement et traduction législative doivent être trouvés et facilités.

Ainsi, la contractualisation constitue une réponse appropriée aux problématiques soulevées en premier lieu avec les collectivités locales qui agissent à la fois sur le petit cycle de l'eau par la maîtrise d'ouvrage des équipements mais aussi largement sur le grand cycle l'eau.

Néanmoins, il faut pouvoir donner aux acteurs locaux les moyens d'un déploiement qui s'intègrent utilement, sans ajouter de la complexité, aux outils qui sont les leurs. Par exemple, aujourd'hui, la préparation d'un schéma d'aménagement et de gestion des Eaux (SAGE) est un travail conséquent qui peut freiner des initiatives locales.

La présente proposition de loi entend donc répondre à l'ensemble de ces problématiques en fixant des ambitions fortes et des moyens adaptés aux conditions d'une sobriété hydrique comprises et acceptées par l'ensemble des usagers et d'une plus grande concertation des collectivités locales.

Constituée le 8 février 2023 à l'initiative du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) et en application du droit de tirage du Règlement du Sénat et composée de 21 membres, la mission d'information sur la gestion durable de l'eau, présidée par Rémy POINTEREAU et pour laquelle Hervé GILLÉ était rapporteur, a procédé à la collecte de documentation, de nombreuses auditions et plusieurs déplacements. Le rapport d'information issu de ses travaux a formulé 53 propositions organisées autour de deux grands principes : la sobriété hydrique et la recherche de contrats d'engagements réciproques entre acteurs par bassin et sous-bassin. Le rapport propose de revoir, notamment à court terme, notre modèle de gestion de l'eau afin que celui-ci puisse répondre aux défis hydriques, anticiper avec les acteurs de terrain les bouleversements induits par le changement climatique et mieux réguler les conflits d'usage.

Ainsi, la présente proposition de loi vise à inscrire dans la loi certaines recommandations de ce rapport permettant de renouveler le cadre de la gouvernance de l'eau grâce à des outils rénovés de sobriété et de contractualisation entre les acteurs du territoire.

Dans le prolongement direct du précédent rapport de la délégation à la prospective du Sénat, remis en novembre 2022 et intitulé « Comment éviter la panne sèche, huit questions sur l'avenir de l'eau en France », la présente proposition de loi converge avec le scénario dit intermédiaire : celui d'une certaine sobriété dans la consommation d'eau, d'une gestion améliorée de la ressource, d'un travail approfondi sur les conflits d'usages, d'une meilleure anticipation des difficultés.

Ainsi, l'article 1er vise à fixer dans la loi un objectif général de sobriété hydrique en proposant de rénover le code de l'environnement. Les grands principes de la politique de l'eau sont inscrits à l'article L. 210-1 du code de l'environnement. Y sont mentionnés l'impératif du respect des équilibres naturels, le droit de chaque personne physique à accéder à l'eau potable ou encore le principe de récupération des coûts sur les usagers. L'article L. 211-1 définit ainsi les objectifs de la politique de l'eau, parmi lesquels figure, au 6° du I, la promotion d'une « utilisation efficace, économe et durable » de la ressource. Cependant, l'exigence générale de sobriété des usages, rendue nécessaire par le changement climatique, n'est pas mentionnée expressément. La sobriété ne peut donc pas être posée d'emblée comme un objectif, de manière préventive. Or, la gestion de la ressource sur le temps long passe nécessairement par l'application d'un principe de précaution qui est celui d'aller vers davantage de sobriété pour anticiper la raréfaction de la ressource en eau. Ce sont des changements de pratiques qu'il faut encourager.

L'article 2 propose la création d'un nouvel outil opérationnel de sobriété : les contrats d'engagement réciproque associant tous les utilisateurs de l'eau à l'échelle des bassins et des sous-bassins. Ces contrats sont complémentaires. Lorsque des projets sur l'eau donnent lieu à de fortes contestations, il convient de développer des mécanismes de médiation, à l'instar de la pratique du comité de bassin Loire-Bretagne dans le cadre du conflit des « bassines » des Deux-Sèvres.

L'article 3 confie une mission de médiation de premier niveau aux comités de bassin en cas de conflits de l'eau, et de second niveau au comité national de l'eau en tant que médiateur national lorsque la médiation à l'échelle des bassins est rompue.

L'article 4 généralise les commissions locales de l'eau (CLE) à tout le territoire, à l'échelle des sous-bassins ou d'une unité hydrographique cohérente, et élargit leur compétence consultative à l'ensemble des questions touchant à la gestion de la ressource en eau. Cette proposition permet de renforcer avec souplesse la structuration des bassins et sous-bassins qui a fait ses preuves pour organiser la politique de l'eau.

L'article 5, enfin, sécurise juridiquement les possibilités laissées aux départements de piloter les politiques locales de l'eau. Cette proposition n'a pas pour objet de revendiquer une nouvelle compétence, ni de substituer le département aux autres collectivités en matière de distribution d'eau potable. Elle se veut une réponse pratique aux défis d'une utilisation sobre et raisonnée des ressources en eau.

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