EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le mode de scrutin municipal fait l'objet de nombreux débats et ceux-ci sont anciens. En la matière la 5ème République a connu deux évolutions majeures. D'une part, la loi de 1964 a divisé les communes en deux catégories. Dans celles de moins de 30 000 habitants, le scrutin majoritaire avec panachage était maintenu, alors que dans les autres, un scrutin majoritaire avec liste bloquée à deux tours était mis en place. D'autre part, la réforme de la décentralisation a amené une nouvelle redéfinition. La loi du 19 novembre 1982 a ainsi instauré un nouveau système qui constitue toujours l'architecture centrale du scrutin municipal français (exceptée la modification de seuil démographique intervenue en 2013). Le texte opérait une distinction entre les communes de moins de 3 500 habitants, dans lesquelles le scrutin majoritaire avec panachage était maintenu, et celles de plus de 3 500 habitants, dans lesquelles était mis en place un scrutin proportionnel de liste avec une prime majoritaire.
La dernière modification en date est liée à l'abaissement du seuil du vote majoritaire de 3 500 à 1 000 habitants par la loi du 17 mai 2013. Cette modification résulte elle-même de l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires.
Finalement, deux systèmes se distinguent nettement : dans les communes de moins de 1 000 habitants, le candidat doit recueillir la majorité absolue des suffrages exprimés et un nombre de suffrages égal au quart de celui des électeurs inscrits pour être élu au premier tour. Au second tour, la majorité relative suffit. Dans celles de plus de 1 000 habitants, le scrutin, même s'il est proportionnel, est empreint d'une logique majoritaire. La liste qui obtient la majorité absolue des suffrages exprimés obtient 50 % des sièges à pourvoir, les autres sièges étant ensuite répartis à la représentation proportionnelle entre toutes les listes - y compris celle majoritaire - ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés.
Cette distinction, si elle est héritée du passé et a pu faire sens pendant longtemps n'a plus, selon nous, la même justification. Le but de la présente proposition est donc d'appliquer le scrutin de liste paritaire à toutes les communes et ce, afin de répondre à trois difficultés majeures. D'une part, dans un contexte démocratique toujours plus difficile, mettre fin au système du panachage permet d'éviter ce que le sens commun désigne sous le nom de « tir aux pigeons » (1), d'autre part il permet de répondre aux exigences de parité (2), et enfin, il permet de mettre fin à des différences artificielles entre communes (3).
1. Mettre fin au système de panachage
Le panachage, c'est-à-dire la faculté d'ajouter ou de supprimer des candidats, est censé être une liberté laissée aux électeurs qui permet de gagner en représentativité. Si l'on peut retenir l'idée de la liberté des électeurs, il n'en demeure pas moins que le panachage peut avoir des effets dysfonctionnels. La nature même du panachage peut s'opposer à la construction d'une équipe municipale cohérente, les résultats pouvant entraîner des difficultés à coopérer au sein du même conseil municipal.
Par ailleurs ce système, qui a pu être qualifié « d'anarchie électorale organisée », a d'autres effets pervers. Si le fait de rayer des noms de candidats permet un « effet défouloir », ce sont ceux qui prennent les décisions les plus difficiles qui peuvent être sanctionnés par une logique de « tir aux pigeons » bien connue. Au-delà des conflits interpersonnels, on vote contre le maire ou des adjoints sortants de manière nominative parce qu'il y a un conflit avec la municipalité (par exemple en matière d'urbanisme).
À l'inverse, voter pour une liste aboutit à une dépersonnalisation relative du vote et, surtout, permet de se prononcer avant tout sur un projet plutôt que pour des individus. Cet argument prend encore plus de poids dans une configuration démocratique malheureusement marquée par des rapports plus tendus entre citoyens et élus.
Cette disposition permettra ainsi de neutraliser l'iniquité pour les maires sortants qui résulte du scrutin majoritaire plurinominal avec panachage par ajout ou suppression de noms.
2. Répondre aux exigences de parité
En 1982, la censure par le Conseil constitutionnel d'une loi du gouvernement Mauroy instaurant un quota de 25 % de femmes aux élections municipales freine toute progression en la matière et impose d'agir différemment. À partir des années 90 la parité devient enfin un sujet législatif.
De la révision constitutionnelle de 1999 portée par Lionel Jospin à la loi de 2013 précitée, plusieurs dispositions sont progressivement adoptées par le législateur : inscriptions successives de la parité dans la Constitution, création et renforcements successifs des pénalités financières pour les partis politiques qui n'investiraient pas autant de femmes que d'hommes aux élections législatives, listes paritaires pour les scrutins de liste, abaissement progressif du seuil des communes soumises au scrutin de liste, parité pour l'élection des adjoints au maire, scrutin binominal paritaire aux élections départementales.
Ces différents dispositifs ont eu des résultats divers. Si la représentation des femmes progresse, elle fait encore défaut au sein des fonctions à responsabilités, telles que les fonctions exécutives ou de chef de l'exécutif.
Selon la Direction générale des collectivités locales (DGCL), à l'issue des dernières élections municipales et communautaires de 2020, les femmes représentent 42,4 % des conseillers municipaux, 48 % des conseillers régionaux et territoriaux, 50,3 % des conseillers départementaux et 35,8 % des conseillers communautaires. En revanche, dans les communes de moins de 1 000 habitants où le scrutin de liste n'est pas appliqué, les femmes représentent 37,6 % des conseils municipaux, contre 46,6 % dans celles de plus de 1 000 habitants.
Pour reprendre la formule du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, des « zones blanches » de la parité en politique existent.
Dès 2019 et l'examen du projet de loi « Engagement et proximité », Éric Kerrouche et ses collègues du groupe Socialiste, écologiste et républicain (SER) ont défendu le renforcement de la parité, alors que le texte initial faisait une impasse totale sur l'exigence constitutionnelle d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux. Parmi les neuf amendements défendus par le groupe SER, uniquement deux dispositions ont été promulguées : l'alternance femme-homme dans la constitution de la liste de candidats aux fonctions d'adjoints au maire et le remplacement d'un adjoint par une personne du même sexe1(*).
Par ailleurs le compromis trouvé par la commission mixte paritaire à l'article 26 s'avère être un échec. Cet article dispose que :
« I. - Avant le 31 décembre 2021, les dispositions du code électoral relatives à l'élection des conseillers municipaux et des conseillers communautaires sont modifiées pour étendre l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives dans les communes et leurs groupements.
Ces dispositions, ainsi modifiées, s'appliquent à compter du deuxième renouvellement général des conseils municipaux suivant la publication de la présente loi.
II. - Une évaluation est préalablement conduite par le Parlement pour déterminer les modes de scrutin permettant de garantir cet égal accès. »
En octobre 2021, dans le cadre d'un rapport d'information sur l'accès des femmes aux responsabilités dans les territoires ruraux, la délégation sénatoriale aux droits des femmes recommandait d'étendre le scrutin de liste à toutes les communes.
Cependant, à l'automne 2021, aucun texte n'a été préparé. Ni l'exécutif, ni les majorités présidentielle et sénatoriale ne se sont réellement mises en situation de permettre la promulgation d'un texte avant le 31 décembre, se soustrayant ainsi à la loi. C'est pourquoi la proposition de loi « Tendre vers la parité réelle des mandats électoraux » a été déposée en octobre 2021 par Éric Kerrouche.
Au mois de mars 2024, soit plus de trois ans après le terme de la disposition législative précitée, aucune avancée majeure ne peut être constatée, tant du côté du Gouvernement que du Parlement et malgré les recommandations du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes.
3. Uniformisation des règles électorales
Le maintien d'une frontière arbitraire entre les modes de scrutin municipaux participe de l'idée d'une « différence » de degré, sinon de nature, entre communes. Outre les avantages énoncés plus haut, cette unification est également symbolique, quand bien même ces communes seraient autorisées à déposer des listes incomplètes.
De la même façon, l'application du scrutin de liste paritaire à toutes les communes aura l'avantage d'unifier le mode de désignation des conseillers communautaires. Ceux des communes de moins de 1 000 habitants seraient désormais désignés également au suffrage universel et soumis aux mêmes règles de remplacement (alors que ces dernières peuvent, dans le système en vigueur, donner lieu à plus de difficultés).
Compte tenu de l'organisation des espaces réservés, cette proposition de loi présente deux dispositions qui prennent effet dès le prochain renouvellement général municipal.
L'article 1er propose de généraliser le scrutin de liste à toutes les communes, sans distinction de taille, afin de garantir une parité effective dans l'ensemble des communes de France. Les élections se dérouleraient au scrutin de liste paritaire par alternance, sans panachage possible.
Force est de constater que cette position est consensuelle, puisque l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité, l'Association des maires ruraux de France, l'Assemblée des communautés de France, Villes de France, France urbaine et l'Association des petites villes de France y sont favorables.
Pour favoriser la mise en oeuvre de cette mesure et garantir le pluralisme, la proposition de loi prévoit un assouplissement des règles de droit commun pour permettre le dépôt de liste incomplète dans ces communes. Il sera possible de déposer une liste incomplète, à hauteur de deux tiers au moins (arrondi à l'entier supérieur) du nombre de sièges à pourvoir. Le conseil municipal issu d'un scrutin au cours duquel une seule liste incomplète aurait été déposée serait réputé complet. L'incomplétude d'un conseil municipal d'une commune de moins de 500 habitants est déjà prévue par le code général des collectivités territoriales et serait donc étendue à toutes les communes de moins de 1 000 habitants.
Enfin, en conséquence, les désignations des conseillers communautaires de ces communes sont alignées sur celles des communes de plus de 1 000 habitants.
L'article 2 prévoit que, à l'instar des communes de plus de 1 000 habitants, l'élection des adjoints dans les communes de moins de 1 000 habitants fasse l'objet d'un scrutin de liste paritaire, composée alternativement d'un candidat de chaque sexe.
* 1 Toutes les autres propositions - généralisation de l'élection au scrutin de liste à toutes les communes, les fonctions de chef d'exécutif et de 1er adjoint/1er vice-président occupées par des personnes de sexe différent, parité complète de l'exécutif de l'EPCI à partir du renouvellement de 2026 - n'ont pas été votées en séance.