EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
En France, nous décomptons environ 160 000 enfants victimes de violences sexuelles chaque année, un chiffre vertigineux et glaçant qui impose une démarche volontariste et active de la part des pouvoirs publics pour la défense et la protection de la jeunesse. Qu'il s'agisse de la santé mentale et physique, de la vie affective, de la parentalité, de la scolarité, de la vie professionnelle et plus largement des relations sociales, les impacts de ces violences sur les enfants sont trop nombreux pour être exhaustivement énumérés. Les professionnels de la protection de l'enfance alertent depuis de nombreuses années sur l'urgence des situations et l'insuffisance des réponses apportées par nos institutions, qu'il s'agisse des réponses judiciaires, des moyens budgétaires ou encore de l'arsenal législatif.
Après l'émergence des mouvements tels que « #metoo » dénonçant les violences faites aux femmes, la dénonciation des violences subies par les enfants a également fait l'objet d'une mise en lumière attendue, notamment suite à la publication du livre la Familia Grande de Camille Kouchner. Sujet de société saisi par les médias, l'inceste demeure très faiblement condamné pour des motifs de prescriptions ou faute de preuves. La réponse judiciaire demeure largement insuffisante au regard d'abord du nombre de plaintes déposées, ensuite du taux de poursuites engagées et enfin du nombre de condamnations, qui ne représente pas plus de 1 % pour des faits de viol ou d'agression sexuelle. Un tel constat reste inadmissible, d'autant qu'il place les victimes dans une forme de précarité juridique bénéficiant aux agresseurs.
L'évolution récente des lois pénales et civiles relatives aux violences sexuelles faites aux enfants caractérise une prise de conscience de notre société. Le groupe du RDSE avait déjà souhaité alerter les pouvoirs publics sur les carences de notre législation, en déposant le 30 septembre 2019, à l'initiative de Françoise Laborde, une proposition de résolution visant à engager diverses mesures pour intensifier la lutte et la prévention contre l'inceste et à demander sa surqualification pénale. Deux années plus tard, à l'initiative d'Annick Billon, le Sénat s'était engagé dans cette voie. Ainsi, depuis la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste, le code pénal, dans son article 222-22-3, prend mieux en considération la particulière gravité que représentent les viols et agressions sexuelles sur les jeunes mineurs et, plus encore, lorsqu'ils sont incestueux. Dans la continuité de ces travaux, la future loi visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales a poursuivi cette dynamique, en instituant de nombreux dispositifs attendus tant par les victimes que par les acteurs de la protection de l'enfance.
Ces avancées soulignées, il demeure encore des améliorations possibles, comme l'a montré le récent rapport « Violences sexuelles faites aux enfants : on vous croit », rendu par la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) le 17 novembre 2023. Synthétiquement, ces améliorations s'articulent autour de quatre axes : le repérage des enfants victimes, la réparation et le soin, la prévention des violences sexuelles et enfin, leur traitement judiciaire. Cette proposition de loi s'inscrit dans ce dernier axe en suivant la préconisation n°26 du rapport de la CIIVISE. Son article unique a pour objet la création d'une ordonnance de sûreté de l'enfant (OSE) permettant au juge aux affaires familiales de statuer en urgence sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale en cas d'inceste parental vraisemblable, ainsi que pour tout fait de violence susceptible de mettre en danger l'enfant.
Il existe déjà, en matière de lutte contre les violences familiales, l'ordonnance de protection de la victime de violences conjugales. Créée par la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 et prévue par les articles 515-9 et suivants du code civil, celle-ci est délivrée par le juge aux affaires familiales et permet à la victime vraisemblable de violences conjugales d'obtenir par une même décision une mesure de protection judiciaire pour elle et ses enfants ainsi que des mesures relatives à l'exercice de l'autorité parentale et à l'attribution du logement du couple. Si le recours aux ordonnances de protection se montre encore limité au regard du nombre de victimes de violences conjugales, les demandes et recours ne cessent toutefois de croître. Aussi, il apparaît opportun d'instituer un dispositif similaire, mais cette fois spécifiquement dédié à la protection des enfants victimes, à travers la création d'une nouvelle mesure judiciaire d'urgence permettant au juge aux affaires familiales de statuer, entre autres, sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale en cas d'inceste vraisemblable ou d'autres violences particulièrement graves.