EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi vise à interdire le mensonge et la tromperie aux élus de la République.

Alors que Voltaire disait que « La politique est l'art de mentir à propos », le Royaume-Uni vient de voter une loi qui intègre un amendement porté par Adam Price, du parti écologiste et indépendantiste Plaid Cymru, criminalisant le mensonge en politique. Le Royaume-Uni ouvre la voie.

Adam Price explique : « Le mensonge en politique est une menace existentielle. Une démocratie commence à s'effondrer si les électeurs ne peuvent plus faire confiance aux élus. Alors il faut innover, essayer des choses différentes. »

L'auteur de la présente proposition de loi s'investit depuis des années sur les sujets d'éthique en politique en ayant déposé plusieurs fois un amendement et une proposition de loi visant à rendre obligatoire le casier vierge pour les candidats. Il milite également pour la reconnaissance du vote blanc (intégrée dans sa proposition de loi relative au statut de l'élu, droits et devoirs) et est le seul en France à avoir engagé en 2016 son cabinet parlementaire dans la responsabilité sociétale des entreprises (niveau exemplaire depuis 2019). Avec un projet : créer une responsabilité sociétale des élus.

La loi votée le 2 juillet au Royaume-Uni a donc fait pleinement écho à ses valeurs tout autant qu'aux enjeux actuels.

Dans un contexte où la défiance des citoyens n'a jamais été aussi exacerbée, ce texte vient encadrer des pratiques que les Français rejettent : des promesses non tenues, des programmes irréalisables et des mensonges flagrants.

Les enquêtes qui donnent des signaux de méfiance depuis des années sont sans appel :

Le baromètre de la confiance politique est une enquête académique du centre de recherches politiques de Sciences Po ( CEVIPOF) qui est devenue la référence sur la confiance des Français dans la politique.

La base de données débutée en 2009 offre une vision évolutive sur les sujets de démocratie : la confiance en les institutions et les élus.

Comme l'indiquent les auteurs de ce baromètre, son édition 2024 peut-être résumée en 5 résultats marquants. Parmi ceux-ci, deux nous intéressent particulièrement pour ce sujet :

- État d'esprit des Français : 38 % des personnes interrogées sont méfiantes (+ 9 points), un indice au plus haut depuis 2009.

- Cette défiance politique déborde sur le bien-être personnel : seules 17 % des personnes interrogées sont sereines (- 11 points) et seules 15 % ressentent du bien-être (- 10 points).

On peut donc constater le lien évident de cause à effet d'un état d'esprit qui s'est construit au fil des années - et qui est loin d'être récent - et d'un désenchantement des Français.

Cette distance envers les élus, les institutions mais aussi les administrations se creuse, générant un mal-être.

Ces données intéressent peu les parlementaires. Pourtant, ces indicateurs précieux auraient dû alerter. Leur évolution aurait dû créer une onde de choc bien avant les élections européennes et législatives de 2024.

Comment ne pas prévoir un repli vers des votes blancs ou nuls - ils ont doublé entre le 30 juin et le 7 juillet ? Comment ne pas prévoir des votes extrêmes ? Quand un baromètre annonce en février 2024 9 points supplémentaires de méfiance avec 70 % de répondants qui déclarent ne pas avoir confiance dans la politique...

Comment ne pas réagir et agir quand la lassitude enregistre une augmentation de 6 points et quand la sérénité s'étiole avec une baisse de 11 points ? Quand seulement 31 % des répondants indiquent qu'ils sont satisfaits de leur vie.

Certes, le climat anxiogène de la situation géopolitique mondiale influence ces données, mais l'analyse des critères franco-français montre une dégradation flagrante de la relation aux élus, aux institutions et aux services publics : 75 % des répondants font confiance aux hôpitaux : moins 7 points en 2 ans.

Plus triste encore, dans une enquête réalisée par l'auteur auprès de 1 000 élèves d'un lycée de son département, 11,8 % seulement des jeunes interrogés estiment que les politiques écoutent les citoyens et 52 % font confiance aux institutions.

Si la proximité est un gage de compréhension de l'action, - 6 points de plus de confiance (59 %) pour le conseil municipal -, plus on s'éloigne des habitants, plus la défiance est haute : 35 % de confiance pour le Sénat, 33 % pour le Parlement européen, 29 % pour l'Assemblée nationale et 28 % pour le Gouvernement.

Ces chiffres qui frôlent les 70 % de méfiance au niveau national renvoient à l'état dégradé de la situation.

Ces chiffres sont à corréler avec une situation similaire chez nos voisins européens qui ont rejoint le baromètre : l'Allemagne, l'Italie et la Pologne enregistrent les mêmes niveaux faibles de confiance vis-à-vis des députés et des députés européens, ce qui est éclairant sur les résultats aux élections européennes.

Le Royaume-Uni a donc frappé un grand coup en criminalisant le mensonge en politique dans un pays où les indicateurs sont au plus bas : seulement 9 % des Britanniques déclarent faire confiance aux hommes politiques pour dire la vérité, contre 12 % en 2022. Cela en fait l'activité la moins digne de confiance en Grande-Bretagne.

Un vaste sujet qui concerne tous les pays de la planète comme l'a étudié notamment André PRATTE, journaliste, sénateur au Canada - de 2016 à 2019 -. Il a rédigé plusieurs ouvrages à ce sujet dont le « syndrome de Pinocchio ».

Il dresse un tableau terriblement criant de vérité concernant notamment ce que l'on nomme pudiquement en France « la discipline de groupe » : « Les règles mêmes du jeu parlementaire sont fondées sur une exigence de mensonge. La solidarité ministérielle, et plus largement ce qu'on appelle en Amérique la « ligne de parti » (party line), tue dans l'oeuf toute velléité de dire ce qu'on pense, ce qu'on estime être la vérité. Sous peine de sévères sanctions, le politicien doit se contenter de répéter la « vérité » que les dirigeants du parti ont choisie.

En outre, comme l'opposition doit absolument dire noir lorsque le gouvernement jure blanc, et vice versa, chacun est forcé de caricaturer les faits. Nous savons tous que la vérité est généralement vêtue de gris, mais les organisateurs politiques feront vite comprendre au débutant que le gris ne séduit pas. »

Dans ce jeu de dupe, les citoyens et donc électeurs se désengagent ou crient leur colère avec des votes de protestation, qui au fil du temps, se métamorphosent en votes extrêmes assumés.

Concrètement, cette proposition de loi vise à interdire le mensonge des élus de la République. Dans un article unique, elle vise à introduire une nouvelle infraction permettant de condamner tout élu tenant publiquement des propos trompant ou tentant de tromper, dès lors que ces propos sont en lien avec l'exercice de son mandat. Cette condamnation permettrait notamment le prononcé de peine complémentaire d'inéligibilité et d'affichage et de diffusion de la décision de justice le condamnant.

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