EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Alors que la décentralisation a permis de réduire l'écart des territoires ultramarins avec l'Hexagone pour un certain nombre d'indicateurs socio-économiques, force est de constater que la considération de l'État pour ces départements des outre-mer et leur population n'est pas encore la même que pour la plupart des autres départements français. 

Manque de réflexe outre-mer par l'absence des textes législatifs déposés par les gouvernements successifs ou de connaissance des spécificités locales, dévoiement des textes votés par les adaptations réglementaires, les exemples sont nombreux ces dernières années et nuisent fortement au développement humain et économique de ces territoires : oubli des outre-mer lors du lancement du dispositif du leasing social des véhicules électriques, normes pour les matériaux de construction identiques à celles de l'Hexagone et incompatibles avec le climat tropical, exclusions d'aides nationales du fait de la non-adaptation des conditions d'éligibilité comme le diagnostic de performance énergétique, etc.  

Cette proposition propose de corriger trois sujets dont le traitement est particulièrement préjudiciable au quotidien de nombreux Français vivant dans les départements ultramarins. 

Premièrement, le logement. La crise du logement dans les outre-mer est une véritable bombe sociale à retardement. La situation dans ce secteur se dégrade année après année, impactant une grande partie de la société et plus particulièrement les plus précaires. En 2024, 140 000 Réunionnaises et Réunionnais souffrent du mal-logement ou d'absence de logement personnel. En trois ans, la production de logements aidés est passée de plus de 3 000 à moins de 1 200 en 2023. Concernant le logement social, 80 % des familles guyanaises y sont par exemple éligibles selon le rapport 2022 consacré à la Guyane de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM). Pour le logement dit très social, ce sont 83 % des demandes en Guyane et 70 % à La Réunion.

Avec 46 000 demandes de logements sociaux en 2023 en attente à La Réunion contre 26 800 en 2017, les familles réunionnaises et plus largement ultramarines sont confrontées à plusieurs contraintes cumulatives : des loyers moyens correspondant à ceux observés dans les grandes métropoles régionales et des ressources en moyenne largement plus faibles (taux de pauvreté deux fois plus élevé à La Réunion qu'en Hexagone par exemple). La Réunion fait partie des départements où les loyers sont les plus élevés de France, notamment à Saint-Denis où certains habitants dépensent jusqu'à 80 % de leurs revenus pour payer leur logement.

L'encadrement des loyers privés a été mis en place il y a bientôt dix ans à Paris, suivie par un certain nombre de collectivités, victimes de la spéculation immobilière et de loyers trop élevés, comme Lille, Plaine Commune, Lyon, Villeurbanne, les communes de l'Est parisien (Est Ensemble), Montpellier et Bordeaux. D'autres territoires seront bientôt concernés, notamment au Pays basque et dans l'agglomération Grenoble-Alpes Métropole.

Ce dispositif a fait ses preuves : il permet de bloquer les loyers abusifs au-delà de 20 % d'un loyer de référence fixé selon les prix du marché.

Il vise les communes dites tendues, dotées d'un observatoire local des loyers. Cependant, alors que le décret n° 2023-822 du 25 août 2023 a élargi la liste des communes tendues pour faire face à la crise du logement, l'expérimentation permettant de protéger de très nombreux locataires est restée fermée aux communes ultramarines, faute de « réflexe outre-mer ». Plusieurs collectivités ultramarines souhaitent pourtant le mettre en place. C'est le cas de la ville de Saint-Denis de La Réunion, intégrée à la liste des villes considérées comme « tendues », avec une augmentation de 31 % des loyers en 5 ans. L'article 1er propose de prolonger la durée totale de l'expérimentation d'une année par rapport au droit en vigueur (soit du 25 novembre 2026 au 25 novembre 2027) et de rouvrir le délai de candidature à l'expérimentation jusqu'au 25 novembre 2026. L'objectif est bien de donner aux élus locaux les outils de régulation dont ils ont besoin pour maintenir une offre de logements abordables.

Deuxièmement, la réforme des Quartiers prioritaires de la Politique de la Ville (QPV) adoptée par le Parlement en 2014 n'a pas eu les effets escomptés. Au contraire, la réforme visant à intégrer plus de territoires ultramarins dans la classification et permettre ainsi l'accès à des leviers supplémentaires en matière de politiques économiques et sociales, de l'habitat ou du sport a contribué au résultat inverse du fait de critères choisis par voie réglementaire. 

Avant la réforme, les départements et régions d'outre-mer (DROM) et les collectivités d'outre-mer (COM) comptaient 330 QPV où résidaient 30 % de leur population. Aujourd'hui, les DROM dénombrent 218 QPV où résident près de 25 % de la population.

Le nouveau zonage s'est révélé défavorable aux DROM en ce qu'il a conduit à plafonner arbitrairement la part de la population ultramarine résidant en QPV à près de 10 % de la population de l'ensemble des 1 500 quartiers prioritaires de France, sans égard au niveau de vie réel des populations ultramarines. 

Ce sont en conséquence une perte nette en termes de subventions et d'aides relatives aux contrats de ville ou à l'Agence Nationale de Rénovation Urbaine (ANRU), de programmes spécifiques d'insertion professionnelle, de ressources supplémentaires dans l'enseignement et la formation, de renforcements des services publics, de dispositifs fiscaux et financiers et surtout d'aides à la rénovation et à la réhabilitation de l'habitat alors que les normes de construction inadaptées au climat tropical ont pour conséquence une dégradation plus rapide du bâti dans les territoires ultramarins que dans l'Hexagone.

Pour supprimer les effets préjudiciables et retrouver l'élargissement conséquent du périmètre d'intervention de la politique de la ville, mais également des outils d'intervention voulus par le législateur qui y sont liés, l'article 2 propose une réécriture ne permettant plus que les critères supplémentaires d'éligibilité pour les territoires ultramarins leur soient défavorables.

Enfin, l'article 3 vise à créer des centres d'agrément spécifiques pour homologuer les matériaux de construction dans les territoires ultramarins.

Depuis le mois d'avril 2024, l'Union européenne permet à plusieurs territoires ultramarins de déroger au marquage « CE » pour faciliter l'importation de produits de construction. Obtenue grâce à la mobilisation des parlementaires et des autorités françaises, cette dérogation permettra notamment aux acteurs de faire face à l'augmentation des prix du fret et de l'approvisionnement en matériaux de construction, grâce à un régime d'exception.

Cette évolution impose la mise en place de nouveaux mécanismes de contrôle et de certification pour les matériaux. Face à cette mutation réglementaire, il devient essentiel de développer des dispositifs techniques capables de garantir la qualité et la sécurité des constructions dans des environnements aux caractéristiques géographiques et climatiques uniques.

Les centres d'agrément créés répondront à un triple enjeu : sécuriser les constructions, stimuler l'innovation technique locale et créer des référentiels normatifs adaptés aux réalités ultramarines. En prenant le Centre d'Innovation et de Recherche du Bâti Tropical (CIRBAT) de La Réunion comme modèle, nous proposons un dispositif permettant d'analyser scientifiquement les matériaux, de réaliser des tests de résistance et de développer des standards de construction tenant compte des contraintes environnementales spécifiques. Il serait souhaitable, comme pour le CIRBAT de La Réunion, que les filières locales de bâtiment et de travaux publics soient associées au fonctionnement de la structure, sous réserve que les mécanismes de contrôle demeurent indépendants des filières. 

L'objectif est de réduire la dépendance aux normes européennes standardisées, tout en garantissant un haut niveau de protection des populations et en favorisant l'émergence d'une expertise technique territorialisée. Cette approche contribuera directement au développement économique local et à la résilience des territoires ultramarins.

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