EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
En 2023 et au début de l'année 2024, du fait d'une suite continue de passages pluvieux intenses, la France a été frappée par des inondations à la portée temporelle et spatiale inédite, ayant occasionné un lourd bilan humain et matériel. 53 % des départements ont ainsi été touchés par des inondations entre novembre 2023 et juin 2024, en particulier dans les Hauts-de-France, dans les Alpes du Sud, en Charente et en Charente-Maritime. Dans le Pas-de-Calais et le Nord (et, bien que plus marginalement, dans la Somme), 370 communes ont été reconnues en état de catastrophe naturelle. Dans les seuls départements du Nord et du Pas-de-Calais, les dégâts occasionnés aux biens assurables ont été évalués à 640 millions d'euros. Surtout, ces inondations ont eu des conséquences humaines dramatiques dans les territoires touchés, causant la mort de 13 personnes dans l'arc méditerranéen (Ardèche, Gard, Hérault) et dans les Deux-Sèvres et portant atteinte à la santé physique et psychosociale de nombreux sinistrés.
Afin de faire la lumière sur ces événements dramatiques et d'en tirer les leçons pour l'avenir, Gérard Larcher, Président du Sénat, a impulsé le lancement d'une mission d'information conjointe à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et à la commission des finances, en janvier 2024.
Les travaux (près de quarante auditions, trois déplacements et une consultation en ligne des élus locaux qui a permis de recueillir le témoignage de près 1200 élus) ont permis d'identifier les nombreuses difficultés auxquelles se heurtent la prévention et la gestion des inondations dans les territoires, de même que le traitement de l'après-crise et de la reconstruction qui constitue une étape primordiale pour prévenir les inondations futures. Le témoignage des maires et des élus intercommunaux, en première ligne face à ces phénomènes, ont mis en évidence un réel besoin d'accompagnement de la part des services de l'État sur ces sujets, en particulier s'agissant des petites collectivités territoriales situées en zone rurale qui disposent de moyens humains, techniques et financiers réduits. En outre, une demande de simplification administrative, notamment en matière d'entretien des cours d'eau et d'élaboration et de mise en oeuvre des programmes d'actions de prévention des inondations (PAPI) est attendue de manière unanime. Le renforcement de la solidarité entre les territoires est également apparu comme un axe pour mieux soutenir les plus petites collectivités territoriales lorsqu'elles sont frappées par ce type de catastrophes. Ces constats revêtent d'autant plus d'acuité que le changement climatique, déjà à l'oeuvre dans les territoires, conduira à une hausse de la fréquence et de l'intensité des inondations.
Face à cette réalité, la mission d'information sénatoriale a formulé 20 recommandations concrètes et pragmatiques, pour soutenir les collectivités territoriales dans la prévention et la gestion des inondations. La présente proposition de loi vise à traduire plusieurs recommandations législatives du rapport d'information n° 775 (2023-2024), adopté le 25 septembre 2024 par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et la commission des finances. Ce faisant, elle s'inscrit dans la continuité des conclusions du groupe de travail sur la modernisation des méthodes de travail du Sénat adoptées en décembre 2021, qui avait pour rapporteur Pascale Gruny, vice-présidente du Sénat.
Son article 1er vise à simplifier la gestion des cours d'eau, afin de favoriser une meilleure prévention des inondations. Il traduit la recommandation n° 1 du rapport d'information (2023-2024) précité.
Alors que le bon entretien des cours d'eau constitue un levier essentiel de prévention des inondations, on constate de nombreuses carences en la matière compte tenu de la complexité et de la lourdeur des procédures administratives applicables, qui ne permettent pas toujours une action suffisamment rapide et efficace.
Selon leur nature, les interventions dans les cours d'eau peuvent être ou non soumises à une procédure administrative préalable (déclaration ou autorisation).
Les opérations d'entretien régulier ne sont soumises à aucune procédure préalable. Sont concernés notamment l'enlèvement des embâcles, manuellement ou à l'aide d'engins (à condition d'intervenir exclusivement à partir de la berge), l'élagage des arbres à partir du cours d'eau ou de la berge ainsi que le recépage, l'enlèvement d'atterrissements localisés et de bouchons localisés qui peuvent se former en sortie de drain. Si les collectivités territoriales, leurs groupements ou syndicats mixtes se substituent à des propriétaires privés pour effectuer cet entretien, leur intervention doit être préalablement validée par le préfet à travers une déclaration d'intérêt général.
En revanche, les interventions sur les cours d'eau allant au-delà de l'entretien régulier sont soumises, selon les cas, à une déclaration préalable ou à une autorisation. Cela concerne notamment le curage des cours d'eau, l'aménagement dans le cours d'eau d'un ouvrage constituant un obstacle à l'écoulement des eaux ou à la continuité écologique de plus de 20 cm de hauteur ou encore le drainage des terres sur une surface supérieure à 20 hectares.
Des dérogations à ces règles de droit commun sont possibles en cas d'urgence. Ainsi, en application de l'article L. 214-3 du code de l'environnement, les travaux destinés à prévenir un danger « grave et immédiat présentant un caractère d'urgence » peuvent être entrepris sans que soient présentées à l'administration les demandes d'autorisation ou déclarations auxquelles ils sont en principe soumis. Cette procédure est toutefois très limitée dans son champ d'application et elle ne prend pas en compte les travaux destinés à remédier à des inondations d'ampleur ou à en prévenir le retour à court terme. L'article 1er de la proposition de loi vise à remédier à cette lacune.
En outre, on constate un dualisme trop accentué entre les procédures administratives applicables en situation normale et en situation d'urgence. Il est en effet nécessaire de favoriser des interventions rapides dans les cours d'eau en situation normale, par exemple pour permettre le retrait d'embâcles dans le lit du cours d'eau qui peuvent s'avérer dangereux en cas de crue. Pour ce faire, le rapport d'information n° 775 précité préconise d'instaurer une procédure d'autorisation simplifiée des demandes de travaux permettant de prévenir les dangers liés à la survenance d'une crue. L'article 1er de la proposition de loi propose de mettre en place une telle procédure : il est prévu qu'elle soit déclenchée sur demande du maire ou de l'autorité gémapienne et qu'elle permette, sous réserve de l'accord du préfet de département, d'exempter certains travaux des procédures d'autorisation ou de déclaration auxquels ils sont soumis. La liste des opérations éligibles ainsi que le délai dans lequel le préfet de département devrait indiquer s'il est favorable ou non à la mise en oeuvre de cette procédure seront fixés par voie réglementaire.
Afin de faciliter une reconstruction rapide et résiliente après une inondation, cette procédure serait également applicable à certains travaux de réparation, définis par voie réglementaire, comme le propose la recommandation n° 17 du rapport d'information n° 775 (2023-2024).
Enfin, de nombreux élus locaux pâtissent d'un manque de compétences techniques et d'un accès difficile à l'ingénierie pour mener à bien leurs missions en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations. Dès lors, l'article 1er vise à la mise en place par les services de l'État dans les départements d'une cellule dédiée à l'accompagnement technique des collectivités territoriales sur ce sujet. Ce faisant, il traduit également la recommandation n° 1 du rapport d'information n° 775 (2023-2024).
L'article 2 vise à accélérer et simplifier l'élaboration et la mise en oeuvre des programmes d'action de prévention des inondations (PAPI).
Les PAPI constituent un outil de contractualisation entre l'État et les collectivités territoriales visant à assurer une gestion globale des inondations. Le dispositif invite les collectivités ou groupements de collectivités en charge de la prévention des inondations à structurer leurs démarches de prévention à l'échelle de bassins de risques en définissant un programme d'actions de prévention des inondations, qui doit répondre à un cahier des charges fixé par l'État.
Une fois rédigés, les PAPI sont labellisés par le préfet coordonnateur de bassin au regard du cahier des charges, après instruction par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et avis de l'instance de bassin. Les actions listées dans le plan peuvent alors être soutenues via le fonds de prévention des risques naturels majeurs (dit « fonds Barnier ») et, dans certains cas, via le fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires (dit « fonds vert »). Ce cadre renforce la légitimité des projets et favorise l'émergence d'une vision stratégique partagée entre différentes collectivités territoriales.
Outre la longueur des délais de mise en oeuvre, les élus locaux soulignent la complexité administrative à laquelle ils sont confrontés dans le déploiement des PAPI, du fait de la multiplicité des normes à respecter et d'un doublonnement des démarches administratives à réaliser au stade de l'élaboration du PAPI et de sa mise en oeuvre. En parallèle, ils expriment un besoin d'être davantage accompagnés par les services de l'État pour élaborer et mettre en oeuvre cet outil.
Le PAPI est aussi critiqué en raison de sa complexité et des délais nécessaires à sa mise en oeuvre : pour 24 % des répondants à la consultation des élus locaux organisée dans le cadre de la mission conjointe de contrôle relative aux inondations survenues en 2023 et au début de l'année 2024, le délai entre le lancement initial de la procédure d'élaboration du PAPI et sa labellisation par les services de l'État a été supérieur à 5 ans.
L'article 2 met en oeuvre la recommandation n° 5 du rapport d'information n° 775 (2023-2024) en accélérant et simplifiant la mise en oeuvre des PAPI. Il renvoie à un décret la détermination de délais limites d'instruction, la désignation d'un « référent PAPI » que l'État met à disposition des collectivités territoriales pour les accompagner techniquement et administrativement dans l'élaboration du PAPI ainsi que la création d'un guichet unique préfectoral chargé à la fois de l'autorisation, du subventionnement et de l'accompagnement des projets inscrits au PAPI.
L'article 3 vise à instaurer une réserve d'ingénierie, dans une logique de solidarité territoriale, composée de fonctionnaires territoriaux afin de fournir une aide technique et administrative aux communes sinistrées par une inondation.
Inspirée des réserves communales et citoyennes existantes en matière de sécurité civile, cette réserve aurait vocation à intervenir afin d'apporter une assistance aux sinistrés dès lors que l'événement excède les moyens usuels des communes concernées. Ces dernières doivent en effet être en mesure d'assurer, souvent dans des temps fortement contraints, le relogement de populations, des démarches administratives pour obtenir des aides, élaborer des dossiers auprès des assurances ou encore engager la reconstruction des infrastructures prioritaires.
Or, les compétences technique et administrative du personnel communal sont parfois insuffisantes pour répondre à l'urgence de la crise et de l'après-crise. Cette réserve serait susceptible de fournir aux communes en exprimant le besoin, des professionnels aux aptitudes variées, qu'il s'agisse de gestionnaires administratifs, d'ingénieurs, d'architectes et plus généralement de spécialistes de la gestion et de la prévention des inondations.
La coordination et l'animation de cette réserve d'ingénierie seraient assurées par le président du conseil régional.
Cet article instaure enfin, auprès du représentant de l'État dans le département, un guichet unique faisant des services préfectoraux l'interlocuteur privilégié pour l'ensemble des démarches relatives à la gestion de l'après-crise. Il poursuit un objectif de simplification et d'accompagnement des communes concernées et concourt particulièrement à leur faciliter l'accès aux aides et subventions publiques auxquelles elles sont éligibles.
Ce faisant, l'article 3 met en oeuvre la recommandation n° 15 du rapport d'information n° 775 (2023-2024) précité.